L’Astronomie expérimentale et l’Observatoire de Meudon

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I

L’éclipse totale de soleil du 18 août 1868 marque une date inoubliable dans l’histoire de l’astronomie. Ce jour-là, fut levé pour toujours le voile qui, jusqu’alors, cachait aux yeux des hommes les mystérieux phénomènes de la surface solaire. Un savant français, dont le nom, aujourd’hui illustre, faisait déjà autorité dans la science (M. Janssen avait alors quarante-quatre ans), avait été chargé d’aller observer la grande éclipse dans une station de l’Inde anglaise. Il avait choisi la ville de Guntour, et s’y était établi avec ses lunettes et ses appareils de physique, occupé à familiariser ses aides avec le maniement des instrumens. Mais l’éclipse approchait et le temps s’était gâté : il pleuvait, depuis quelques jours, sur toute la côte. Par miracle, le temps se remit la veille, et le 18 août le soleil brillait de tout son éclat. L’éclipse put être observée avec un plein succès ; on put étudier notamment deux magnifiques protubérances, dont l’une rappelait la flamme d’un feu de forge et l’autre une montagne neigeuse, embrasée par un soleil couchant. Les raies brillantes de leur spectre prouvaient qu’elles étaient formées d’hydrogène incandescent. Et c’est en contemplant ces raies que M. Janssen, par une inspiration de génie, entrevit la possibilité d’observer les protubérances et les régions circumsolaires tous les jours, en dehors des éclipses. Il lui suffisait pour cela de promener son spectroscope sur le bord du disque solaire. Dès le lendemain, la méthode qu’il avait conçue fut appliquée, et il put revoir les protubérances de la veille, d’ailleurs profondément modifiées ; et depuis ce jour jusqu’au 4 septembre, l’heureux inventeur put se plonger dans l’étude des phénomènes qu’il était donné à lui seul de voir ; il put, à loisir, dresser des cartes de ces formations mobiles et changeantes, et jouir, en quelque sorte, d’une éclipse totale de dix-sept jours !

Les lettres contenant le récit de cette mémorable découverte n’arrivèrent à Paris qu’à la fin d’octobre, à peu près en même temps que l’annonce d’une découverte semblable, faite, le 20 octobre, en Angleterre, par M. Lockyer, qui depuis quelque temps était sur la voie d’une méthode fondée sur les mêmes principes. La méthode elle-même a été plus tard modifiée par M. Huggins. M. Janssen n’en reste pas moins le premier qui ait réussi à voir les protubérances en plein jour, inaugurant ainsi une ère nouvelle des études solaires. Il faut, pour comprendre l’enthousiasme qu’excita cette découverte, se reporter aux discussions auxquelles ont donné lieu les protubérances ou proéminences roses, entrevues pendant quelques éclipses totales ; il faut relire notamment la célèbre notice d’Arago sur l’éclipsé du 8 juillet 1842. On savait, dès cette époque, que le voile qui nous cache les entours du soleil est tissé de lumière : ils sont noyés dans l’éclat de l’atmosphère terrestre illuminée par les rayons solaires ; pour les apercevoir, il faudrait affaiblir, éteindre la lueur atmosphérique qui nous éblouit. Mais comment s’y prendre ? Les moyens que propose Arago, — ascension d’une haute montagne, emploi d’écrans circulaires qui cachent le soleil, — n’offraient guère de chances de succès, et je ne sais si l’on a seulement essayé d’y recourir. Le spectroscope seul permet d’obtenir cet affaiblissement nécessaire du fond éclairé, en étalant la lumière blanche qu’il décompose en ses élémens, tandis que la lumière monochromatique d’une protubérance reste intacte et ainsi devient visible.

Le spectre d’une protubérance se compose, à la vérité, d’une série de raies multicolores, — rouge, verte, bleue, violette ; — mais ces lignes brillantes, qui par leur position correspondent à des raies noires du spectre solaire, se trouvent séparées par de larges intervalles, et des prismes d’une dispersion suffisante les montrent dès lors isolées. L’observateur aperçoit donc, par exemple, une raie rouge qui se détache sur le fond gris cendré, formé par le spectre très affaibli de l’atmosphère ; en faisant mouvoir la fente du spectroscope de manière à balayer toute la région occupée par la protubérance, il en voit les tranches successives, représentées par la raie rouge, qui varie de longueur et d’intensité. On peut ainsi reconnaître aisément la forme de la protubérance et en dessiner les contours. Mais l’on peut aussi la voir tout entière d’un seul coup, en élargissant convenablement la fente du spectroscope, jusqu’à faire apparaître la silhouette rouge ou la silhouette bleue de la protubérance qu’il s’agit d’observer. C’est par cette méthode que, depuis des années, de nombreux astronomes explorent tous les jours les contours du disque solaire, et en surveillent les incessantes et parfois rapides transformations. Les protubérances se montrent, en effet, sous les aspects les plus variés : gerbes de feu, jets qui s’élancent à des hauteurs prodigieuses, panaches, nuages qui semblent flotter au-dessus d’un cratère, et qui se dissolvent bientôt et disparaissent. Cela ressemble souvent à des éruptions gigantesques, infernales. On dessine ces jets de flammes, on est même arrivé à les photographier d’une manière régulière.

Nous assistons ainsi au développement surprenant d’une nouvelle branche de l’astronomie qu’on pourrait, à juste titre, appeler l’Astronomie expérimentale, et dont l’essor date surtout de l’avènement de l’analyse spectrale. Il est vrai qu’une tentative avait été déjà faite par Arago pour introduire dans l’astronomie les méthodes de la physique : il avait conçu l’espoir de surprendre, dans les modifications de la lumière qui constituent les phénomènes de polarisation, la révélation de l’état physique des astres dont elle émane. Mais le polariscope ne tint pas ses promesses ; après quelques applications heureuses, les découvertes s’arrêtèrent. Il fallut attendre que l’étude des raies du spectre, trop négligée jusqu’alors, mît enfin dans les mains des astronomes un instrument de progrès d’une prodigieuse fécondité, et que la photographie, venant à son tour se mettre à leur service, bouleversât complètement les vieilles méthodes de recherche. L’astronomie expérimentale, née depuis quarante ans, a déjà exigé la création de tout un attirail d’instrumens spéciaux, installés dans des observatoires qui ressemblent à des laboratoires de chimie et de physique. On les appelle des observatoires d’astronomie physique ou, plus simplement, d’astrophysique. Tel est l’observatoire de Meudon, fondé en 1878, et dont la création est due entièrement à l’infatigable zèle de M. Janssen et à l’éclat de ses découvertes.

M. Janssen avait, un des premiers, compris toute la portée et toute la fécondité de la nouvelle méthode d’analyse, fondée sur l’emploi du spectroscope, que Bunsen et Kirchhoff venaient d’inaugurer, et qui commençait à s’introduire dans les laboratoires. Il avait débuté, en 1860, par une thèse où il étudiait l’absorption de la chaleur obscure par les milieux de l’œil, qui préservent la rétine en arrêtant ces radiations dangereuses. Ce travail avait été entrepris au retour d’un voyage à travers l’Amérique, exécuté en compagnie de M. Grandidier. C’est à ce moment que furent publiés les premiers mémoires de Kirchhoff, et M. Janssen, frappé de l’importance des résultats déjà obtenus, résolut de demander à l’analyse spectrale de nouvelles révélations sur la constitution du Soleil.

Ses premières recherches devaient porter sur l’étude approfondie des raies obscures que fait naître dans le spectre solaire l’absorption élective, exercée par l’atmosphère terrestre. Ces raies « telluriques, » peu apparentes quand le Soleil est élevé sur l’horizon, s’accentuent et s’élargissent beaucoup au moment du lever ou du coucher, parce que la route des rayons dans l’atmosphère est alors plus longue ; elles s’affaiblissent au sommet des montagnes, où l’air devient plus rare. Les bandes sombres du spectre solaire avaient été signalées par sir David Brewster en 1833, M. Janssen, à l’aide d’un spectroscope multiple, put les résoudre pour la plupart en raies très fines comme les raies de Fraunhofer, et s’assurer qu’elles étaient constantes dans le spectre, quoique d’intensité très variable suivant la hauteur du soleil.

C’est ce caractère spécial qui permet de distinguer les raies telluriques des raies solaires proprement dites, qui sont dues à l’absorption exercée par les vapeurs que contient l’atmosphère du soleil. M. Janssen entreprit aussitôt de dresser une carte du spectre ainsi rectifié ; elle fut complétée au cours de diverses missions en Italie et dans les Alpes, de 1862 à 1864. Au mois de septembre 1864, nous trouvons M. Janssen au sommet du Faulhorn, où il voit les raies d’origine terrestre s’effacer à mesure qu’il s’élève dans son ascension. Le mois suivant, une expérience instituée sur le lac de Genève lui permit de reproduire artificiellement les mêmes raies, et d’en démontrer ainsi, sans réplique, l’origine terrestre. Un grand bûcher de sapin ayant été allumé au bord du lac, à Nyon, la lumière de la flamme fut analysée dans le clocher de l’église de Saint-Pierre, à Genève. Or cette flamme qui, de près, ne donne aucune raie, sinon la raie jaune du sodium, présentait, à la distance de 21 kilomètres, les raies telluriques. Le lac Léman avait été choisi comme base d’expérience, afin que le faisceau lumineux, en rasant la surface de l’eau, traversât des couches d’air saturées d’humidité, ce qui devait ajouter aux chances de succès. C’est surtout dans le rouge, l’orangé et le jaune que les raies atmosphériques furent trouvées très nombreuses et très fortes.

C’était là un beau travail d’astronomie expérimentale, accompli entre les rives d’un lac suisse ; nous allons voir M. Janssen le terminer dans une usine de la Compagnie du gaz. Il restait, en effet, à découvrir les élémens de l’atmosphère qui produisent cette forte absorption, cause des raies telluriques. Il était déjà probable que cette action devait, en grande partie, être attribuée à la vapeur d’eau ; mais il fallait le démontrer par une expérience directe. Un premier essai, tenté en 1865, dans l’atelier central des phares, avec un tube de 10 mètres rempli de vapeur, n’avait pas donné le résultat qu’on attendait. Enfin, au mois d’août 1866, l’expérience fut reprise à l’usine de la Villette, avec un tube de fer de 37 mètres, qu’une machine de six chevaux remplissait de vapeur. Le tube fut placé dans une caisse garnie de sciure de bois afin d’en empêcher le refroidissement ; la lumière était fournie par des becs de gaz. Cette lumière, dont le spectre est d’ordinaire continu, montrait les principales raies telluriques lorsqu’on la faisait passer par la colonne de vapeur de 37 mètres, à la pression de 7 atmosphères. On avait ainsi sous les yeux le spectre d’absorption de la vapeur d’eau, et aussi la preuve du rôle que cette vapeur joue dans la production des raies telluriques. Chose curieuse, malgré l’extinction de certaines nuances du rouge et du jaune, ce spectre est très brillant du côté du rouge, et il prouve que la vapeur d’eau est de couleur orangé rouge par transmission, ce qui explique la couleur rouge du soleil couchant.

Par la découverte du spectre de la vapeur d’eau, M. Janssen a rendu possible la connaissance de l’état hygrométrique des couches inaccessibles de l’atmosphère terrestre ; il nous a ouvert l’étude des atmosphères planétaires au point de vue de la présence de l’eau, cet élément capital pour l’entretien de la vie. Il lui a été donné, à quelque temps de là, de constater par ce moyen la présence de l’eau dans l’atmosphère de Mars, pendant un séjour au sommet de l’Etna (1867). On ne peut assez insister sur l’importance de ces résultats, qui ont doublé le champ des études spectrales ; mais il faut dire tout de suite qu’ils ont été complétés plus tard par les recherches de M. Janssen et de M. Egoroff sur le spectre de l’oxygène, qui ont démontré qu’un certain nombre des raies telluriques sont dues à ce gaz. En effet, l’action absorbante de l’oxygène se manifeste par un système de raies fines, plus ou moins sombres, qui forment les groupes A, B, α, du spectre solaire, et par des bandes obscures, non résolubles, dans le rouge, le jaune, le vert, le bleu. Ces raies et ces bandes s’atténuent beaucoup au sommet des montagnes, et il est probable qu’elles s’évanouissent aux limites de l’atmosphère ; elles ne proviennent pas de l’action de la photosphère du soleil.

Pour résoudre ce problème, M. Janssen a tenté bravement, au mois d’octobre 1888, l’ascension de la station des Grands-Mulets, située sur le massif du Mont-Blanc, à plus de 3 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et sur la route qui conduit à la cime de la montagne. Entourée de glaciers, cette station était favorable aux observations, car M. Janssen avait résolu de les exécuter par un temps très froid et dans un lieu très élevé, afin d’éliminer plus sûrement les groupes telluriques dus à l’action de la vapeur d’eau, qui, dans les circonstances ordinaires, se mêlent aux groupes de l’oxygène et deviennent une cause de confusion. Mais l’ascension des Grands-Mulets présentait, à cette époque de l’année, des difficultés particulières. Le refuge était déjà abandonné, et il était tombé récemment une grande quantité de neige qui avait effacé les sentiers et masquait les crevasses ; enfin le froid, déjà rigoureux, rendait nécessaires des dispositions spéciales en vue d’un séjour prolongé. Le chef des guides avait pourtant déclaré que l’expédition n’était pas absolument impossible. Il faut lire l’émouvant récit que M. Janssen a fait de cette ascension. Il avait été obligé de se faire porter, pendant une partie du chemin, par une troupe de guides, à l’aide d’un appareil composé d’une échelle au centre de laquelle était suspendu un siège léger. Les instrumens, sortis de leurs caisses, avaient été distribués par fractions qui permettaient leur transport à dos d’hommes. On arriva malgré tout ; et pendant la nuit qui suivit le jour des préparatifs, le ciel s’éclaircit ; dans la matinée du 15, le Soleil se leva radieux, par un temps splendide comme on n’en avait pas encore vu dans l’année. M. Janssen put instituer une série continue d’observations depuis 10 heures du matin jusqu’au coucher. Dans son spectroscope à plusieurs prismes, il suivait, avec l’élévation du soleil, la décroissance d’intensité des bandes et des raies de l’oxygène : quant aux bandes et aux raies de la vapeur d’eau, elles étaient absentes, comme on l’avait prévu. Les bandes sombres de l’oxygène avaient aussi fini par disparaître, et les raies qui s’y trouvent associées s’étaient notablement affaiblies. On pouvait conclure de ces résultats que le spectre de l’oxygène disparaîtrait aux limites de l’atmosphère terrestre : il ne nous arrive pas du Soleil. Cela prouve-t-il que l’oxygène manque dans le globe solaire ? C’est là une autre question qui ne peut encore être tranchée ; il est possible, après tout, que l’oxygène se rencontre dans le Soleil sous une forme différente de celles que nous lui connaissons.

Les conclusions auxquelles M. Janssen s’était arrêté en 1888 furent pleinement confirmées par les observations qu’il put faire, quelques années plus tard, à l’occasion de deux ascensions au sommet du Mont-Blanc (1890 et 1893) ; puis, encore tout récemment, par les photographies spectrales que M. le comte de La Baume-Pluvinel réussit à obtenir à la même station, en septembre 1898. Enfin M. Janssen les a corroborées par une expérience faite au mois de mai 1889, entre la tour Eiffel et Meudon. La couche d’air interposée entre cette tour et l’observatoire de Meudon est sensiblement équivalente, au point de vue de l’absorption, à notre atmosphère, car la distance est de 7 700 mètres, et c’est là, à peu de chose près, l’épaisseur qu’aurait l’atmosphère si elle était comprimée de manière à présenter une densité uniforme, égale à celle des couches inférieures. En faisant passer à travers cette masse d’air une puissante lumière à spectre continu, on devait y voir apparaître les raies telluriques. La lumière électrique, installée au sommet de la tour et analysée à l’observatoire de Meudon, a donné en effet un spectre d’une vivacité comparable à celle du spectre solaire, et dans lequel on distinguait nettement les raies A, B de l’oxygène, et les raies de la vapeur d’eau. Les conclusions relatives à l’origine des raies telluriques du spectre solaire ont été ainsi vérifiées près du sol et à toutes les altitudes accessibles ; nul doute qu’un jour les ballons-sondes, munis d’appareils automatiques, ne les confirment par des témoignages qu’ils iront chercher encore plus haut.

Mais revenons aux voyages de M. Janssen, dont nous avons interrompu l’énumération (il serait trop long, malheureusement, d’en faire le récit détaillé). Toujours par monts et par vaux, nous le trouverons, au mois de mars 1867, à Trani, en Italie, où il se dispose à observer une éclipse annulaire. Il conclut de ses observations que la couche absorbante qui produit les raies solaires doit être très basse, remarque qui sera confirmée par la découverte de la chromosphère. Trois mois plus tard, M. Janssen va étudier, dans l’île de Santorin, en Grèce, l’éruption volcanique qui vient de s’y produire, et il constate que l’hydrogène est la base des gaz combustibles qui s’échappent du cratère. C’est en revenant de Grèce qu’il eut l’occasion de séjourner trois jours sur l’Etna et de s’y livrer à des investigations concernant les atmosphères de Mars et de Saturne. L’année 1868 le conduit dans l’Inde pour l’observation de la grande éclipse dont nous avons déjà parlé ; elle lui suggère la belle méthode destinée, sinon à rendre désormais superflue l’étude des éclipses, du moins à en diminuer singulièrement le coûteux attrait.

Il restait cependant l’espoir d’y glaner encore quelques découvertes. M. Janssen avait compté observer en Algérie l’éclipse du 22 décembre 1870. Mais Paris était bloqué. M. Janssen partit en ballon, le 2 décembre, à 6 heures du matin, de la gare d’Orléans, passa au-dessus de Versailles, Chartres, le Mans, Château-Gontier ; à 11 heures, ayant vu la mer, il descendit près de Savenay, à l’embouchure de la Loire, sans accident, malgré le grand vent qui régnait à terre. Il avait fait 100 lieues en cinq heures, à plus de 2 000 mètres de hauteur : c’est une vitesse de 20 lieues à l’heure. Suivi du ballon et de ses quatre caisses d’instrumens, il se dirigea sur Nantes par un train spécial, puis à Tours, et se mit aussitôt en route pour Marseille et Oran, lieu choisi comme le plus favorable. Il y rencontra les astronomes anglais, qui avaient, à son insu, demandé et obtenu sa libre sortie de Paris au moment où il n’en avait plus besoin. Malheureusement, le temps fut, cette fois, tout à fait mauvais, et l’éclipse ne put être observée ; mais M. Janssen avait profité de son court voyage à bord du Volta pour inventer le « compas aéronautique, » sorte de boussole adaptée aux besoins de la navigation aérienne. Il est resté, depuis cette époque, un fervent et fidèle ami des études aéronautiques, et son nom se trouve toujours mêlé à l’histoire des progrès de cette véritable science de l’avenir.

En décembre 1871, M. Janssen va observer, dans les Nilgherris, une autre éclipse, qui l’amène à supposer l’existence d’une nouvelle enveloppe solaire, l’atmosphère coronale.

En 1874, de nombreuses expéditions se préparent à observer, dans des stations lointaines, le passage de Vénus sur le Soleil. M. Janssen, qui était déjà membre de l’Académie des sciences et du Bureau des longitudes, se trouvait tout désigné pour conduire au Japon l’une des missions françaises, dont faisait partie M. Tisserand. C’est pour mieux fixer les phases successives du passage de la planète qu’il imagina le revolver photographique, qui permet de saisir au vol l’image fugace d’un objet en mouvement. On peut dire que cet ingénieux appareil a été le point de départ du fusil photographique de M. Marey, et peut-être du cinématographe. M. Janssen ne revint pas d’ailleurs en France sans avoir encore observé, au Siam, l’éclipsé du 6 avril 1875.

Le second passage de Vénus, qui eut lieu le 6 décembre 1882, fut observé par M. Janssen à Oran, par un temps superbe. Des études entreprises, à cette occasion, sur la nature de l’atmosphère de Vénus aboutirent seulement à faire ressortir les difficultés très grandes de ces sortes de recherches, qui demandent des instrumens très délicats. L’année suivante, M. Janssen conduisait encore une mission à l’île Caroline, située dans l’Océan Pacifique, à 200 lieues au nord de Taïti, pour y observer, avec M. Trouvelot, l’éclipsé totale du 6 mai 1883 ; des astronomes étrangers, MM. Tacchini et Palisa, avaient demandé à se joindre à la mission française. Les recherches portèrent, cette fois, plus particulièrement sur la nature et la constitution de la couronne solaire; il fut constaté qu’elle nous envoie une forte proportion de lumière réfléchie, qui indique la présence de poussières cosmiques. En revenant de Caroline par Taïti, on relâcha aux îles Sandwich, et M. Janssen passa seul une nuit sur le bord du cratère de Kilauéa, à étudier le spectre des flammes qui s’échappaient du volcan et qui lui rappelaient les éruptions solaires.

Au retour de ce long voyage, le regretté M. Blanchard, alors président de l’Académie, adressa à son confrère une touchante allocution ; il fit une remarque aimable qui mérite d’être citée. « Vous nous avez tant accoutumés à vos départs pour des contrées lointaines, lui dit-il en substance, lorsque venait à luire l’espoir d’une découverte, que nous n’avons pas éprouvé une grande surprise à l’annonce de votre projet de vous rendre dans une île déserte de l’Océan Pacifique ; on savait que les obstacles ne vous ont jamais déconcerté… Cette fois pourtant, on se sentait touché par un rapprochement : votre enthousiasme pour la durée exceptionnelle de l’éclipse, — un peu plus de cinq minutes, — et votre insouciance pour la longueur de la navigation à travers l’Atlantique et le Pacifique, sans compter le voyage sur le continent américain, des mois d’ennui et de fatigue. Votre résolution vous avait mérité le succès, vos études antérieures vous l’avaient préparé, les circonstances atmosphériques vous l’ont assuré. C’est une bonne fortune pour la science. »

Ajoutons maintenant que, dans plus d’un de ces voyages, M. Janssen a eu pour compagne de route et secrétaire la noble femme qui, depuis longtemps, est habituée à seconder son illustre mari dans ses travaux. Mais il est temps que nous arrivions à la fondation de l’observatoire de Meudon.


II


L’astronomie expérimentale commençait à prendre son essor en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Amérique ; un peu partout, des observatoires se créaient, ou s’appropriaient à l’usage des nouvelles méthodes. La France, après avoir eu l’initiative d’une partie de ces découvertes, restait en arrière. Il est vrai qu’en 1869, au retour de sa mission aux Indes, M. Janssen avait obtenu de M. Duruy la promesse de la création d’un établissement où il pourrait poursuivre ses recherches. Mais la guerre vint arrêter ces beaux projets. Ce n’est qu’en 1874, au moment où s’organisaient les expéditions pour l’observation du passage de Vénus, que la question fut sérieusement engagée. Un député, M. Cézanne, ingénieur éminent, proposa à l’Assemblée nationale la création, près de Paris, d’un observatoire d’astronomie physique, et s’efforça d’en démontrer la nécessité; le ministre compétent promit de s’en occuper, après avoir pris l’avis de l’Académie des sciences. Le rapport de la commission nommée à cet effet fut entièrement favorable. M. Faye insista sur l’urgence de la création d’un établissement spécial, consacré exclusivement à l’astronomie physique ; il invoqua la grande loi qui dirige tous les efforts bien entendus, celle de la division du travail. La vieille astronomie ne pouvait plus suffire à embrasser toutes les sciences nouvelles nées dans ses observatoires : la météorologie, le magnétisme terrestre, s’en détachaient et réclamaient des établissemens séparés où ils fussent chez eux ; il fallait reconnaître le même droit à l’astronomie physique.

L’année suivante (1875), en présence de l’avis favorable émis par l’Académie des sciences, le ministre de l’instruction publique saisit la Commission du budget d’une demande de crédit de 50 000 francs pour parer aux premiers frais d’organisation et d’entretien d’un observatoire ; et la même somme fut ensuite votée annuellement sur les budgets de 1876, 1877, 1878, 1879. L’observatoire fut installé provisoirement à Montmartre, boulevard Ornano, au lieu même où s’étaient achevés les préparatifs de l’expédition du Japon.

Il fallait trouver le lieu d’une installation définitive. On avait le choix entre deux domaines de l’État : la Malmaison et Meudon. Le directeur des Bâtimens civils conseilla à M. Janssen de demander Meudon. « Ce beau domaine, dont le château avait été incendié après la guerre, était porté au compte de la liquidation pour une somme dérisoire, et, s’il était vendu, il était morcelé et dépecé. Il y avait donc une raison d’intérêt national à conserver à l’État un aussi précieux domaine qui, indépendamment de l’observatoire, pouvait se prêter à d’autres installations d’ordre scientifique et à des travaux et des expériences de tous genres. » On y a, en effet, installé la station de chimie végétale, un service de ballons militaires, etc.

La demande fut agréée; mais le domaine était encore occupé par l’armée, et M. Janssen dut d’abord se contenter d’une hospitalité provisoire dans le parc, où il fit dresser les instrumens et les cabanes revenues du Japon. Au fur et à mesure de l’évacuation, on put s’étendre davantage et s’installer plus commodément. Cependant il s’agissait d’obtenir la construction d’un véritable observatoire. M. Janssen présenta au gouvernement un projet d’ensemble, comprenant la restauration partielle du château et son appropriation à l’usage astronomique, la remise en état des communs pour y placer la direction, le personnel, les bureaux, la bibliothèque, les collections, enfin la restauration de la grande avenue de Bellevue et de la magnifique terrasse. En 1878, sous le ministère de MM. Léon Say et Bardoux, à la suite de rapports favorables présentés à la Chambre et au Sénat, les crédits demandés pour la restauration du château et les achats d’instrumens furent enfin accordés : ils s’élevaient à un peu plus d’un million (1 035 000 francs), et ils devaient être répartis par portions égales sur les exercices 1879, 1880 et 1881. C’est donc de l’année 1878 que date la fondation de l’observatoire de Meudon, ou, pour lui donner son titre officiel, de l’Observatoire d’astronomie physique de Paris, sis parc de Meudon (Seine-et-Oise). C’est ainsi qu’il est désigné dans les Annales dont M. Janssen a pu commencer la publication en 1896.

C’est dans le tome Ier, le seul qui ait paru jusqu’ici, qu’on trouve la description des bâtimens et des instrumens, accompagnée de photographies. Pendant vingt ans, M. Janssen, malgré l’insuffisance des crédits accordés, s’est attaché à faire de son observatoire un établissement de premier ordre, à la hauteur des exigences de la science moderne. La grande coupole qui abrite l’instrument principal, l’équatorial à lunette double, a été construite, dans les meilleures conditions, par la Société des anciens Établissemens Cail ; elle a 18 mètres de diamètre intérieur. Cette coupole est assise sur le mur circulaire neuf qui relie les deux façades conservées. Ces façades, surmontées de leurs frontons sculptés, qui sont des reliques de l’art du xviie siècle, encadrent d’une manière heureuse tout l’édifice. La coupole est mise en mouvement par l’électricité.

La lunette du grand équatorial est double, comme on vient de le dire ; elle comprend une lunette astronomique ou lunette oculaire, et une lunette photographique, reliées ensemble, et ayant la même longueur focale (16 mètres) ; mais les objectifs ont des ouvertures différentes, celui de la première lunette a un diamètre de 0m,83, tandis que celui de la lunette photographique n’a que 0m,62. La partie optique de ce bel instrument, qui est actuellement le plus puissant, comme instrument à deux fins, est due à MM. Henry frères, et la partie mécanique à M. Gautier. Entre les mains de M. Perrotin, directeur de l’observatoire de Nice, qui avait été temporairement attaché à l’observatoire de Meudon, la lunette oculaire a permis de découvrir de curieux détails touchant la structure de la surface de la planète Mars. La lunette photographique, entre les mains de M. Deslandres, a permis la constatation de faits très importans relatifs à la structure de la partie centrale de la nébuleuse d’Orion, à la question du nombre des étoiles variables dans certains amas, à la constitution en spirale de la nébuleuse planétaire d’Andromède, etc.

Deux petites coupoles, de 7m,50 de diamètre, abritent l’une la lunette équatoriale, l’autre un télescope de 1 mètre d’ouverture et de 3 mètres de distance focale, qui est le second grand instrument de Meudon, et qui a été encore exécuté par MM. Henry et par M. Gautier. Il est précieux par son énorme pouvoir lumineux. M. Janssen avait été amené à le commander par le succès que lui avait valu, en 1871, l’emploi d’un instrument analogue, de moindres dimensions (0m,40 d’ouverture et 1m,60 de longueur focale), avec lequel il avait pu reconnaître l’existence de l’atmosphère coronale. La lunette de photographie solaire, de 0m,135 d’ouverture, a été construite par Prazmowski. L’observatoire possède encore une lunette photographique de 0m,10, de Steinheil ; un équatorial de 8 pouces (0m,21) placé dans une coupole de 5 mètres de diamètre ; un sidérostat polaire ; un cercle méridien portatif ; des instrumens magnétiques et météorologiques, etc.

Il faut enfin parler des grands laboratoires pour l’étude spectrale des gaz et des vapeurs de notre atmosphère. La disposition des bâtimens s’est heureusement prêtée à l’installation des tubes d’une longueur considérable qu’exigeait l’analyse des spectres d’absorption des gaz et des vapeurs. M. Janssen a un laboratoire de 100 mètres de longueur et qui peut, au besoin, être porté à 140 mètres. Les boxes en chêne des anciennes écuries du château ont formé de précieux soutiens, bien espacés, pour des tubes de 60 mètres de longueur qui servent à recevoir les gaz comprimés. Ces tubes, qui ont de 5 à 6 centimètres de diamètre, sont construits en acier doublé de cuivre rouge, et assemblés par bouts de 6 mètres ; ils résistent à des pressions de 200 atmosphères ; ils sont fermés aux deux extrémités par des disques de verre. D’autres tubes d’acier, plus courts, peuvent supporter des pressions de plusieurs milliers d’atmosphères. Les gaz sont comprimés à l’aide de pompes et introduits par des robinets. Comme sources de lumière, on emploie la lumière Drummond ou la lumière électrique. C’est dans ce laboratoire qu’on a pu, notamment, étudier les spectres de l’oxygène et découvrir la loi curieuse qui régit l’apparition des bandes dans ce gaz. Mais c’est principalement sur la photographie solaire que se sont concentrés, dans ces dernières années, les efforts du savant directeur de l’observatoire de Meudon.


III


À son retour du Japon, où la photographie avait joué un grand rôle dans l’observation du passage de Vénus, et dès qu’on fut, tant bien que mal, installé à Meudon, M. Janssen résolut d’approfondir le problème de la reproduction photographique de la surface du Soleil. Les images obtenues jusque-là, même les plus parfaites, ne montraient pas les détails délicats de la surface visible : il était évident que le temps de pose avait été toujours tout à fait exagéré ; il restait sans doute beaucoup à faire. Il s’agissait d’abord de choisir les rayons sur lesquels devait porter l’achromatisme de l’objectif ; on s’arrêta aux rayons violets, et les verres furent taillés en conséquence. On dut se préoccuper ensuite des moyens d’augmenter la finesse de la couche sensible, et d’en mettre la sensibilité spectrale en rapport avec la teinte de l’image. Il fallait enfin régler minutieusement la durée de l’exposition ; M. Janssen y parvint en se servant d’un appareil ingénieux qu’il nomme trappe photographique, et qui permet de réduire la durée de l’action lumineuse à 1/3000 de seconde. Le diamètre des images fut porté successivement à 20, à 30, et parfois jusqu’à 70 centimètres. En dosant ainsi, d’une manière rigoureuse, l’action de la lumière, M. Janssen a réussi à obtenir des épreuves photographiques du Soleil dont la perfection n’a été égalée nulle part. L’observatoire de Meudon possède aujourd’hui une admirable collection de quelques milliers de clichés qui constituent son trésor, et dont les spécimens joints au tome Ier des Annales peuvent donner une idée.

Ces photographies ont révélé des détails de la photosphère que les plus grandes lunettes étaient impuissantes à montrer, ou du moins qu’on n’apercevait que très rarement. C’est ainsi qu’un éminent astronome américain, M. Langley, disait à M. Janssen, dans une visite à Meudon, en 1877, que les détails montrés par ces images, il ne les avait aperçus, pendant vingt années d’observations, que cinq ou six fois, pour quelques secondes seulement. C’est sans doute la durée si courte de la pose qui donne ici à la photographie la supériorité sur l’œil.

« Les photographies du Soleil, dit M. Janssen, sont à la fois les plus faciles et les plus difficiles à obtenir. Elles sont les plus faciles, si l’on veut se contenter de la reproduction générale de la surface de l’astre avec la silhouette des taches et de leurs pénombres. Elles sont les plus difficiles si l’on veut parvenir jusqu’à la reproduction parfaitement nette des derniers élémens qui forment la surface lumineuse de la photosphère. En effet, le Soleil possède une telle puissance lumineuse que la paresse ou l’insensibilité relative de la substance photographique ne peut jamais devenir une difficulté, et qu’il est absolument inutile d’employer ces mécanismes au moyen desquels on oblige les instrumens générateurs des images à suivre les astres. Mais aussi, cette puissance lumineuse même devient un obstacle pour l’obtention des images très parfaites, à cause de certains effets où figure l’irradiation qu’elle produit, et qui tend à confondre les élémens si délicats dont la surface solaire est formée. » Les images fournies par le photohéliographe de Kew, depuis 1858, ont leur utilité pour la statistique des taches et pour l’étude de leur distribution, mais elles ne peuvent nous renseigner sur la structure intime de la surface du soleil ; et tout ce qui a été tenté ailleurs dans cette direction est encore loin d’égaler la perfection et la richesse des photographies solaires de Meudon, qui nous ont révélé la véritable forme des élémens de la photosphère.

Ces élémens sont constitués par une matière fluide très mobile ; dans les points de calme relatif, elle prend des formes globulaires, et il en résulte l’aspect d’une granulation générale ; mais partout où régnent des courans, les granules s’allongent : ce sont des grains de riz, des feuilles de saule, ou même de véritables filamens. Cependant ces foyers d’agitation n’occupent que des plages limitées, et la forme granulaire est la règle. La surface du Soleil offre ainsi l’aspect d’un réseau dont les mailles seraient formées par des chapelets de grains réguliers, montrant, dans les intervalles, un enchevêtrement de corps étirés, allongés. Ces bouleversemens décèlent la présence de courans ascendans qui viennent rompre et disloquer la mince couche de matière lumineuse à laquelle le soleil doit son pouvoir rayonnant. Là où le calme se rétablit, ces fragmens prennent une forme d’équilibre globulaire. Ce serait là l’explication du réseau photosphérique. Les images successives prises avec le revolver photographique permettent d’étudier les mouvemens de cette lave, qui sont d’une violence inouïe.

Depuis 1898, la grande lunette de l’observatoire de Meudon a été mise à la disposition de M. Deslandres, qui l’a utilisée pour la photographie stellaire : il a photographié avec succès des amas d’étoiles et des nébuleuses. On sait, d’autre part, qu’à l’Observatoire de Paris MM. Lœwy et Puiseux travaillent, depuis quelques années, à la formation d’un atlas photographique de la lune, qui est une véritable merveille. On voit que, pour les applications de la photographie à l’astronomie, la France a repris la tête du mouvement et ne craint plus aucune comparaison.


IV


Depuis 1891, l’observatoire de Meudon a une succursale au-dessus des nuages : c’est la station que M. Janssen est parvenu à établir au sommet du Mont-Blanc, à 4 800 mètres d’altitude. Ce petit observatoire de montagne, dont l’installation a rencontré de très grandes difficultés, a été édifié et outillé, de 1891 à 1897, avec des fonds fournis par M. Janssen lui-même et par quelques généreux amis de la science. Nous avons déjà parlé des recherches qui ont été exécutées sur la cime de la montagne pour constater l’affaiblissement ou la disparition des raies telluriques appartenant à l’oxygène. Un jeune astronome russe, M. Hansky, a pu, en 1897, y déterminer, en collaboration avec M. Grova, qui observait à Chamonix, la valeur exacte de la constante solaire, qui mesure l’intensité de la radiation calorifique du Soleil. Cette radiation est en partie arrêtée par l’atmosphère terrestre, mais les hautes montagnes en reçoivent une portion plus large que les basses régions. On a encore effectué au Mont-Blanc des mesures de l’intensité de la pesanteur et d’autres travaux sur lesquels il serait trop long d’insister. Je ne parlerai pas non plus ici du voyage de M. Janssen au Congrès de Washington (1884), où devait se décider la question du méridien universel. Mais il convient de mentionner les prix qu’il a fondés à l’Académie des sciences, aux Sociétés de géographie, de photographie, d’astronomie, désireux d’encourager les autres après avoir si souvent payé de sa personne. Il a donné le rare exemple d’une vie exclusivement consacrée à la science, sans réserve et sans arrière-pensée.

Que lui reste-t-il à désirer ? Il voudrait voir soutenus, encouragés plus efficacement et développés d’une manière plus large les établissemens qu’il a créés et qui sont destinés à poursuivre les recherches qu’il a inaugurées ou inspirées. L’astronomie expérimentale offre un vaste champ aux investigations, La chimie céleste est encore à ses débuts ; quels horizons ne nous ouvre pas l’analyse spectrale des étoiles et des nébuleuses ! M. Janssen en a montré lui-même les perspectives infinies dans sa belle lecture sur l’Âge des Étoiles, qu’on a entendue, en 1887, dans la séance publique des cinq Académies. Les étoiles blanches sont dans la fleur de leur jeunesse, les jaunes, et surtout les rouges, sont sur leur déclin ; elles se refroidissent et s’encroûtent, et leurs spectres ont des rides. Le Soleil, — notre soleil, — a dépassé l’âge de la plus grande activité : c’est une étoile sur le retour. Ces indications nous parviennent des profondeurs de l’univers, sur les ailes de la lumière, qui se laisse interroger par le spectroscope. Rien n’empêche de supposer qu’un jour on découvrira encore d’autres moyens d’exploration, peut-être même de plus puissans. N’avons-nous pas vu le téléphone et la télégraphie sans fil surgir avant qu’on ait eu le temps d’achever toutes les lignes des télégraphes ordinaires ? Nous sommes vraiment talonnés par le progrès ! En attendant l’avènement de nouvelles méthodes, l’astronomie expérimentale pourra se contenter encore longtemps de celles qui sont à sa disposition, car l’analyse spectrale, la photométrie, la photographie céleste, n’ont pas dit leur dernier mot ; pas plus, d’ailleurs, que l’art subtil des opticiens.


R. Radau.