L’Internationale, documents et souvenirs/Tome III/V,4

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L’INTERNATIONALE - Tome III
Cinquième partie
Chapitre IV
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IV


De juin à août 1873.


La coterie marxiste s’occupa, dès le mois de mai, de la préparation du Congrès général qu’à teneur d’une décision prise à la Haye le Conseil général de New York devait convoquer dans une ville de Suisse pour le mois de septembre 1873. Elle craignait d’y voir, cette fois, les autonomistes venir en nombre, et elle songeait aux moyens de leur fermer la porte du Congrès. Engels envoya, à ce sujet, le 3 mai, à Sorge les instructions suivantes :


En Suisse, il n’y a qu’un seul endroit possible, c’est Genève. Là nous avons pour nous la masse des ouvriers, et un local appartenant à l’Internationale, le Temple-Unique ; et si ces messieurs de l’Alliance venaient s’y présenter, nous les flanquerions simplement à la porte. En dehors de Genève, il n’y aurait que Zürich : mais là nous n’avons qu’une poignée d’ouvriers allemands (nur die paar deutschen Arbeiter), et encore pas tous... Les alliancistes mettent tout en œuvre pour venir en masse au Congrès, pendant que chez nous tout s’endort. Il ne pourra venir aucun délégué français, l’organisation étant détruite. Les Allemands... sont très désillusionnés et engourdis... Du Danemark, on n’entend ni ne voit rien... D’Angleterre il ne pourra venir que peu de délégués. Il est très douteux que l’Espagne en envoie un. Il faut donc s’attendre à ce que le Congrès soit très peu fréquenté, et à ce que les bakounistes aient plus de monde que nous. Les Genevois eux-mêmes ne font rien, l’Égalité paraît définitivement morte ; on ne peut donc, là aussi, s’attendre qu’à une faible participation, — mais au moins nous serons là dans notre domicile privé (wir sitzen in unserem eigenen Hause), et chez des gens qui connaissent Bakounine et sa bande et qui au besoin les rosseront (ind sie im Nothfall hinausprügeln). Ainsi, Genève est l’endroit unique ; et, pour nous assurer la victoire, il suffit — mais c’est une condition indispensable — que le Conseil général, en conformité de sa résolution du 26 janvier[1], déclare sorties de l’Internationale :

1° La Fédération belge, qui a déclaré ne rien vouloir avoir à faire avec le Conseil général, et a rejeté les résolutions de la Haye ;

2° La partie de la Fédération espagnole représentée à Cordoue, qui, contrairement aux statuts, a déclaré facultatif le paiement des cotisations, et a également rejeté les résolutions de la Haye ;

3° Les Sections et personnalités anglaises qui ont été représentées au prétendu Congrès de Londres du 26 janvier, et qui ont également rejeté les résolutions de la Haye ;

4° La Fédération jurassienne, qui, dans le Congrès qu’elle va tenir[2], ne manquera pas de vous donner des motifs suffisants pour aller au delà de votre décision de suspension.

Pour finir, vous pourriez déclarer que la prétendue Fédération italienne, qui a tenu un prétendu Congrès à Bologne (au lieu de Mirandola), n’appartient pas à l’Internationale, attendu qu’elle n’a rempli aucune des conditions exigées par les statuts.

Quand vous aurez voté une résolution semblable, et que le Conseil général aura nommé à Genève une commission pour la préparation du Congrès et la vérification préalable des mandats, commission composée, par exemple, de Becker, de Perret et de Duval, et d’Outine s’il est là, nous aurons fermé la porte à l’intrusion des bakounistes. Dès que le Conseil général aura donné pour instruction à cette commission que ces gens ne doivent pas être reconnus comme délégués, jusqu’à ce que la majorité des véritables délégués de l’Internationale se soit prononcée sur leur compte, tout sera en règle, et, quand même ils seraient en majorité, ils ne peuvent plus nuire ; ils iront ailleurs et feront un Congrès pour eux, mais sans avoir réussi à se prévaloir contre nous de leur supériorité numérique (aber ohne uns gegenüber ihre Mehrzahl zur Geltung gebracht zu haben). Et c’est là tout ce que nous pouvons demander.


J’espère que l’aveu est assez complet ! La « supériorité numérique » est du côté des autonomistes ; les autoritaires n’ont plus rien ; il ne leur viendra de délégués ni de France, ni d’Allemagne, ni de Danemark, ni de nulle part sauf Genève, on peut le prévoir. Et alors, il faudra se résoudre à tenir un Congrès en catimini au Temple-Unique, entre Genevois, en exhortant MM. Becker, Perret, Duval et Outine à prendre leurs mesures pour que les « bakounistes » soient accueillis avec des gourdins, s’ils tentent d’envahir le « domicile privé » où le dernier carré de l’armée marxiste se sera retranché pour la défense suprême.

Sorge ne manqua pas d’exécuter ponctuellement les ordres reçus. Le 30 mai, le Conseil général votait la résolution suivante, qui reproduisait à peu près textuellement les indications envoyées par Engels[3] :


Vu que le Congrès de la Fédération belge, tenu le 25 et 26 décembre 1872 à Bruxelles, a résolu de déclarer nulles et non avenues les résolutions du cinquième Congrès général[4] ;

Que le Congrès d’une partie de la Fédération espagnole, tenu à Cordoue du 25 décembre au 2 janvier 1873, a résolu de ne pas reconnaître les résolutions du cinquième Congrès général et d’adopter les résolutions d’une assemblée anti-internationale ;

Qu’une assemblée[5] tenue à Londres le 26 janvier 1873 a résolu de rejeter les actes du cinquième Congrès général[6] ;

Le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs, conformément aux statuts et règlements administratifs et d’accord avec sa résolution du 26 janvier 1873[7] déclare :

Toutes les Fédérations régionales ou locales, sections et personnes ayant participé aux Congrès et assemblées mentionnés ci-dessus, de Bruxelles, Cordoue et Londres, ou en reconnaissant les résolutions, se sont placées elles-mêmes en dehors de l’Association internationale des travailleurs et ont cessé d’en faire partie.


En même temps, il déclara de nouveau « qu’il n’existe pas une Fédération régionale italienne de l’Internationale, puisque aucune organisation s’attribuant ce titre n’a jamais rempli la moindre des conditions d’admission et d’affiliation imposées par les statuts et règlements administratifs ».

Cette appréhension de voir le futur Congrès marxiste en butte à une invasion d’«alliancistes », qui avait causé à Engels de si vives alarmes, était sans fondement, comme on l’a vu. Lorsque la nouvelle de la décision du Congrès jurassien relative au Congrès général (voir p. 69) fut parvenue à Londres[8] au bout de six semaines. Engels en fut si ravi qu’il se hâta d’écrire à Sorge (14 juin) une lettre triomphante :


Les Jurassiens ont opéré un mouvement décisif de retraite : l’Internationale annonce qu’ils ont décidé de proposer à leurs collègues de l’Alliance de ne pas envoyer de délégués au Congrès « que le prétendu Conseil général pourrait être tenté de convoquer », mais de tenir un Congrès séparé dans une ville suisse à désigner par leurs fédérations. Cela signifie : À Genève nous n’oserions pas nous faire voir, nous y recevrions des horions. Ils se réuniront donc dans quelque trou du Jura ; après le Congrès d’Olten, ils ne pourraient plus se montrer nulle part ailleurs en Suisse. Ils ont d’autres raisons encore : a) le peu d’envie qu’a toujours montré Bakounine d’accepter un débat personnel ; b) l’expulsion de Guillaume et la sienne, qui ferait apparaître dès le début la question cardinale sous une forme purement personnelle, à quoi viendrait s’ajouter le fait d’escroquerie[9] de Bakounine, qui le tuerait immédiatement (das ihn sofort kaputt machen würde) ; et c) ils savent bien que chez eux, en réalité, les choses ne vont pas mieux que chez nous[10], et que là aussi les querelles intestines ont lassé et dégoûté les gens.


Engels, hélas ! se trompait : ce n’était pas dans un « trou du Jura » qu’allait être convoqué le Congrès général des Fédérations autonomes, mais à Genève même, à la barbe des hommes du Temple-Unique. Aussitôt qu’il eut été avisé que les Fédérations régionales avaient accepté la proposition belge de charger la Fédération jurassienne d’organiser le Congrès général, le Comité fédéral jurassien consulta (par circulaire en date du 24 juin) les Sections jurassiennes sur le choix de la ville suisse où le Congrès devrait avoir lieu, et leur demanda l’autorisation de proposer Genève aux autres Fédérations ; les réponses des Sections devaient être envoyées pour le 1er juillet ; à l’unanimité, elles répondirent affirmativement. Et alors, par une circulaire en date du 8 juillet, le Comité fédéral jurassien invita les délégués des Fédérations régionales à se réunir le dimanche 31 août à Genève, à la brasserie Schiess, aux Pâquis, pour y ouvrir le lendemain 1er septembre le sixième Congrès général de l’Internationale, avec l’ordre du jour suivant, adopté par les fédérations :

« Constitution définitive du pacte de solidarité entre les Fédérations libres de l’Internationale, et revision des statuts généraux de l’Association ;

« De la grève générale ;

« Organisation universelle de la résistance et tableaux complets de la statistique du travail. »


Le Conseil général de New York, lui, convoqua son Congrès pour le lundi 8 septembre à Genève, et Sorge chargea spécialement Becker de prendre les mesures nécessaires d’organisation. La circulaire de convocation est datée du 1er juillet (Sorge, p. 114).


En Espagne, l’Internationale prenait un développement de plus en plus considérable. Au Congrès de Cordoue, quarante-deux fédérations locales, avec 236 sections et 20.402 membres, avaient été représentées ; après le Congrès, vingt-huit fédérations locales qui n’y avaient pas envoyé de délégués s’étaient déclarées pour les principes « anarchistes et collectivistes » ; cinq autres fédérations avaient adressé leurs félicitations au Congrès ; en sorte qu’un total de 331 sections, avec 25.601 membres, s’étaient prononcées contre les décisions du Congrès de la Haye. Une lettre de la Commission espagnole de correspondance au Comité fédéral jurassien, en février, avait annoncé que les Unions de métier constituées en Espagne désiraient établir des relations de solidarité avec les Unions des autres pays, afin de constituer des Unions internationales ; ces Unions espagnoles étaient au nombre de dix, savoir : ouvriers manufacturiers ; ouvriers du bâtiment ; travailleurs des champs ; tonneliers ; chapeliers ; ouvriers en peaux ; ouvriers en bois fins ; cordonniers ; ouvriers en fer ; ouvriers noographes (typographes, lithographes, etc.)[11]. Aux organes déjà existants de l’Internationale espagnole, la Federacion de Barcelone, le Condenado de Madrid, la Revista social de Gracia, s’étaient ajoutés successivement l’Orden de Cordoue, l’Obrero de Grenade, la Internacional de Málaga. Une statistique faite au milieu d’août 1873 constata de nouveaux progrès de la propagande et de l’organisation : la Fédération espagnole comprenait alors cent soixante-deux fédérations locales constituées, comptant ensemble 454 sections de métiers ou de résistance et 77 sections de métiers divers ; et cent huit fédérations locales en formation, comptant 103 sections de métiers ou de résistance et 40 sections de métiers divers : en tout 674 sections.

Mais des événements politiques graves allaient se passer. Après la réunion des Cortès constituantes, qui avaient adopté en principe la République fédérale, Pi y Margall était devenu chef du pouvoir exécutif (11 juin). De nombreux mouvements ouvriers, pour des augmentations de salaire et pour la diminution de la journée de travail, avaient eu lieu depuis plusieurs mois ; ils continuèrent à se produire, et, dans beaucoup de localités, à la suite d’actes arbitraires des autorités, on en vint aux mains. La Commission espagnole de correspondance publia, le 15 juin, une protestation dans laquelle elle disait : « Il faut que les travailleurs s’éloignent de toutes les farces et de tous les farceurs de la politique bourgeoise, qu’ils s’organisent, se préparent pour l’action révolutionnaire du prolétariat afin de détruire le plus tôt possible les privilèges qui soutiennent des pouvoirs autoritaires et font leur force ». À Barcelone, vers le 20 juin, à la suite d’une manifestation populaire, un groupe de socialistes, à la tête desquels se trouvait Vinas, s’empara de l’hôtel de ville et y installa un « Comité de salut public », composé de sept délégués des bataillons de la garde nationale, sept délégués des différents cercles fédéralistes, et sept délégués des ouvriers ; mais au bout de quelques jours il fallut reconnaître que la population barcelonaise n’était pas disposée à s’associer à un mouvement révolutionnaire. Dans d’autres villes, à Carmona, à Paradas, à San Lucar de Barrameda, etc., les ouvriers se soulevèrent, et se rendirent maîtres des municipalités pendant un temps plus ou moins long.

En même temps que les ouvriers agissaient, les républicains fédéraux dits intransigeants (intransigentes) se préparaient à s’insurger contre le gouvernement des républicains fédéraux dits bénévoles (benevolos), ou platoniques. Des troubles éclatèrent à Grenade, à Séville, à Málaga, à Valencia, etc. Sur ces entrefaites, les ouvriers d’Alcoy, au nombre de dix mille, déclarèrent la grève générale ; la municipalité ayant fait tirer sur les grévistes, les ouvriers coururent aux armes (lundi 9 juillet), et, après une lutte acharnée[12], restèrent maîtres de la ville. La bourgeoisie espagnole, dont la presse avait immédiatement travesti les événements d’Alcoy en inventant des atrocités (curés pendus à des lanternes, hommes plongés dans des bains de pétrole, têtes de gardes civils coupées et promenées dans les rues, jeunes filles violées, etc.), réclama à grands cris une répression : Pi y Margall, mis en demeure de faire marcher l’armée, préféra donner sa démission (13 juillet) ; Salmeron, républicain unitaire, le remplaça. Alors le gouvernement envoya contre Alcoy une armée de six mille hommes ; les ouvriers, dont un millier seulement avaient pu se procurer des armes, négocièrent ; le gouverneur d’Alicante promit qu’il ne serait exercé aucune poursuite contre les insurgés, et la bourgeoisie d’Alcoy s’engagea à céder à toutes les exigences formulées par les travailleurs relativement à la grève (augmentation de salaires, et journée de huit heures), et à payer en outre leur journée à tous les ouvriers, comme s’ils avaient travaillé, pendant tout le temps de la grève et des événements. Ces conditions furent acceptées. « Les promesses de la bourgeoisie, — dit la correspondance (Madrid, 4 août) publiée par notre Bulletin, à laquelle j’emprunte ces détails — ont été jusqu’ici observées. Quant à celles de l’autorité, s’il est vrai qu’elle n’a fait aucune arrestation à Alcoy, il paraît cependant qu’elle a lancé des mandats d’amener contre quelques membres de notre Commission fédérale. Le Conseil municipal d’Alcoy a été remplacé par une commission composée de bourgeois et d’ouvriers ; la police a été supprimée, et le soin de la sécurité publique confié à des patrouilles de travailleurs. »

Les républicains fédéraux « intransigeants », ayant vu le pouvoir passé aux mains des unitaires, s’insurgèrent à Carthagène, à Murcie, à Cadix, à Séville, à Grenade, à Valencia, etc., pour faire une révolution « cantonaliste ». Le gouvernement espagnol fit appel à l’intervention étrangère (on sait que l’Allemagne envoya une frégate contre Carthagène), et dirigea deux armées, sous Pavia et Martinez Campos, contre les insurgés. Pavia s’empara successivement de Séville (30 juillet) et de Cadix (4 août) ; Martinez Campos assiégea et prit Valencia (26 juillet-8 août), puis Murcie ; quant à Carthagène, sa forte position devait lui permettre de résister plus longtemps. Barcelone ne prit pas de part au mouvement cantonaliste ; les ouvriers de la ville et des environs proclamèrent la grève générale ; mais, pour éviter l’insurrection, le gouvernement réussit à faire sortir de Barcelone des bataillons révolutionnaires, qu’il envoya contre les carlistes pour remplacer les troupes employées contre Séville et Valencia ; ainsi « le peuple se trouva désarmé, et la réaction resta maîtresse de la cité[13] ». Je ne puis raconter ici le détail des événements ; je veux seulement, pour indiquer sommairement quelle part y prirent les internationaux, reproduire quelques passages de la lettre qui nous fut écrite de Madrid le 4 août (à un moment où Valencia et Murcie étaient encore en armes) :

« La Fédération d’Alcoy et celle de San Lucar de Barramoda[14] (près Cadix) sont les seules qui aient tenté pour leur propre compte un mouvement contre l’ordre de choses établi. Partout ailleurs, à Carthagène, à Valencia, à Séville, à Grenade, etc., l’insurrection a été l’œuvre, non des ouvriers socialistes, mais de chefs militaires ou politiques qui ont cherché à exploiter, dans un but d’ambition personnelle, l’idée de l’autonomie du canton ou du municipe... Les insurrections provinciales, je le répète, n’ont pas été faites par l’Internationale ; en beaucoup d’endroits même, elles ont été faites contre elle, et les chefs du mouvement se sont montrés aussi hostiles au socialisme que le sont les gouvernants de Madrid.

« Dans quelques localités, cependant, les ouvriers internationaux, bien que n’ayant pas pris l’initiative du mouvement cantonaliste, ont cru devoir l’appuyer. À Valencia, par exemple, c’est ainsi que les choses se sont passées. Dans cette ville, le gouvernement de Madrid avait fait arrêter plusieurs membres de notre Association. La révolte contre le pouvoir central devait avoir pour résultat, si elle était victorieuse, la cessation de ces persécutions ; la nombreuse fédération de Valencia s’est donc jetée avec ardeur dans le mouvement ; et il paraît même que les « intransigeants », qui avaient d’abord été à la tête de l’insurrection, s’étant retirés lorsque la situation devint difficile, ce fut l’Internationale qui resta seule maîtresse du terrain. Les ouvriers de Valencia ont déjà repoussé à deux reprises l’armée de Martinez Campos ; je ne sais s’ils réussiront à se défendre encore bien longtemps.

« Mais, bien que les « intransigeants » n’aient rien de commun avec les internationaux et leur aient même montré de l’hostilité, notre presse bourgeoise affecte à dessein de les confondre, et d’attribuer à l’Internationale tout ce qui se passe. »

Dans le courant d’août, un des insurgés d’Alcoy (Francisco Tomás) nous écrivait (Bulletin du 17 août) :

« Le mouvement cantonaliste ayant échoué, et les bourgeois se figurant que notre Association en a été l’âme, il est très probable que les persécutions contre l’Internationale vont prendre un caractère d’acharnement croissant. Ce sont, comme vous le savez, les républicains « intransigeants » qui ont pris l’initiative du mouvement cantonaliste ; mais dans quelques villes, entre autre à Valencia, à Grenade, à Málaga, à Séville, il paraît que les internationaux y ont pris une part active. Toutefois nous manquons jusqu’à présent de nouvelles directes de ces localités depuis les derniers événements. Tout ce que nous savons, c’est qu’à Séville, les seuls qui se soient battus, et « battus comme des lions[15] », sont une troupe d’environ deux cents internationaux. Nous attendons des renseignements véridiques pour nous former un jugement exact sur tous ces faits… Il me reste à vous dire que la participation des internationaux dans le mouvement cantonaliste a été complètement spontanée et sans aucune entente préalable ; voilà comment il s’est fait que, pendant que les uns se battaient, les autres se croisaient les bras. Je ne crois pas que rien soit perdu. Au contraire, nos espérances sont plus grandes que jamais. L’idée révolutionnaire fait chaque jour de nouveaux progrès, et ce qui vient de se passer nous servira d’enseignement pour fortifier notre organisation et nous préparer mieux à la prochaine lutte. »

La Solidarité révolutionnaire de Barcelone, après l’échec du mouvement, publia (14 août) un court résumé des événements, où elle précisait en ces mots la participation de l’Internationale :

« Des juntes révolutionnaires s’étaient établies ; quelques-unes avaient un caractère véritablement socialiste. Le mouvement n’était pas internationaliste ; mais, partageant l’indignation générale, les membres de notre Association l’appuyèrent en beaucoup de points, et quelques-uns d’entre eux, comme Melendez à Carthagène, Rosell à Valencia, Mingoranza à Séville, Rodriguez à Grenade, et plusieurs autres, firent parties des juntes révolutionnaires. »

Vu les mandats d’arrêt lancés contre les membres de la Commission espagnole de correspondance, il fallut constituer une nouvelle Commission, qui s’installa à Madrid, et dont Miguel Pino, de Málaga (voir t. II, p. 274), devint le secrétaire correspondant. C’est cette nouvelle Commission qui rédigea le rapport (daté du 19 août) destiné au Congrès général de Genève, et qui s’occupa de faire élire les délégués qui devaient y représenter la Fédération espagnole.

Je note en passant que les événements d’Espagne eurent pour résultat de provoquer en Portugal une manifestation de sympathie. Notre Bulletin publia dans son numéro du 17 août les lignes suivantes :

« La Section internationale de Lisbonne nous a fait parvenir un document signé des membres de son bureau, par lequel les internationaux portugais se déclarent complètement solidaires des internationaux espagnols, et en particulier des actes de l’Internationale à Alcoy. »

Notre correspondant de Madrid nous écrivit au sujet des socialistes du Portugal (Bulletin du 24 août) :

« La Fédération portugaise, qui avait jusqu’ici gardé une attitude neutre dans les questions qui divisent l’Internationale, paraît disposée à se rallier aux principes autonomistes. Elle a traversé une crise, d’où nous espérons qu’elle sortira plus puissante et plus forte que jamais, débarrassée de quelques éléments qui étaient pour elle une entrave, et qui, occupant les postes de confiance, avaient appris, à l’école d’Engels[16], à cacher aux fédérés les communications et les correspondances importantes. »


À propos de la situation de l’Internationale en France, il sera intéressant de reproduire une lettre écrite par Bakounine à Pindy, à la date du 11 janvier 1873. La voici :


Mon cher Pindy, Tu ne seras pas étonné que l’envie m’ait pris de causer avec toi. J’ai été si content, si heureux de me voir en parfaite harmonie avec toi à Saint-Imier ! Nous avons, et moi surtout j’ai si peu d’amis français ! Toi, Alerini, Camet, voilà tout notre paquet[17]. Ah ! il ne faut pas que j’oublie cet excellent Élisée Reclus, qui est venu me voir il y a trois ou quatre semaines, et avec lequel nous nous entendons de mieux en mieux. C’est un homme modèle, celui-ci — si pur, si noble, si simple et si modeste, si oublieux de soi-même. Il n’a peut-être pas tout le diable au corps désirable ; mais c’est une affaire de tempérament, et la plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a. C’est un ami précieux, bien sûr, bien sérieux, bien sincère et tout à fait nôtre. Il m’a envoyé tout dernièrement deux nouveaux manifestes de MM. Albert Richard et compagnie. Je vous les envoie. Lis-les ; ils sont curieux. Vous les recevrez de Sonvillier. Et sais-tu qui figure maintenant dans la compagnie de Richard ? Bastelica en personne et son ami Pollio. Ils sont tous réunis aujourd’hui à Milan, bien recommandés aux soins de nos amis italiens...[18].

Et en France, comment les choses marchent-elles ?

Tant que l’état de choses actuel existe, vous devriez faire, il me semble, de la Fédération jurassienne un centre provisoire de tout le mouvement international révolutionnaire dans la France méridionale ; et toi, mon cher ami, qui as conservé une influence si légitime dans ton pays, tu peux y contribuer beaucoup. La grande difficulté pour tes compatriotes, c’est qu’ils ont désappris à conspirer, et que, sous le régime actuel, sans conspiration on ne peut rien organiser en France. Je te serai bien obligé si tu voulais bien me donner quelques nouvelles précises sur le mouvement qui s’y fait aujourd’hui. En général, prenons l’habitude de nous écrire de temps à autre. Nous sommes si peu, et ce n’est qu’en nous serrant et en nous soutenant mutuellement que nous pourrons faire quelque chose. J’espère donc que tu m’écriras bientôt, et dans cet espoir je te serre la main.

Ton dévoué,
M. Bakounine[19].


Alerini et Brousse, tous deux réfugiés à Barcelone, le premier depuis le printemps de 1871, le second depuis décembre 1872, y constituèrent au printemps de 1873, en s’adjoignant le jeune canut lyonnais Camille Camet (venu de Zürich), un comité de propagande et d’action, qui se donna pour tâche de publier un journal en langue française et de préparer en France un mouvement insurrectionnel. Ce comité, qui prit le nom de Comité de propagande révolutionnaire socialiste de la France méridionale, exposa son programme dans une circulaire autographiée datée du 4 avril 1873 (publiée par Nettlau, note 3708), où il disait :


Unis pour la lutte économique, les travailleurs de tous les pays ont déjà remporté sur ce terrain plus d’une victoire. C’est à la solidarité ouvrière que sont dus tous ces succès. Aujourd’hui cette arme est appelée à nous rendre de plus grands services encore. Il faut la transporter sur un autre terrain que le terrain économique, sur un autre champ de bataille que celui de la grève, sur celui de la révolution.

Les circonstances sont favorables, puisque en Espagne une période révolutionnaire vient de s’ouvrir. Il faut dès aujourd’hui qu’une solidarité morale s’établisse entre les prolétaires de ce pays et les travailleurs du Midi de la France, pour que demain tout soit préparé pour qu’elle devienne effective et matérielle et qu’elle les unisse sur le terrain de l’action.

... C’est pour arriver à cette union... qu’il a été fondé à Barcelone un Comité de propagande révolutionnaire socialiste, et que ce Comité va publier un organe, la Solidarité révolutionnaire. Déjà les relations avec la France méridionale sont assurées ; confié à des mains amies, notre journal sera distribué sûrement à tous ceux à qui il s’adresse. Mais cette action révolutionnaire, ces publications destinées à l’aider, vont entraîner des frais considérables, frais que des souscriptions doivent couvrir. Décidé à faire son devoir, le Comité compte sur tous les révolutionnaires dignes de ce nom.


La circulaire parlait ensuite du programme du Comité, et disait :


Nous nous placerons sur le terrain de l’an-archie... Nous ne sommes pas communistes, parce que ce système nécessite l’établissement d’un grand pouvoir central... ; nous ne sommes pas non plus mutuellistes, parce que nous ne croyons pas à la constitution de la valeur... : nous sommes collectivistes.


Et elle se terminait ainsi :


Voilà, citoyens, le but de notre Comité, le programme du journal qui sera son organe. Nous comptons sur le concours de tous ceux qui sont dévoués à la cause du travailleur.

Pour le Comité : Ch. Alerini, Paul Brousse, Camille Camet.

Les fonds souscrits devront être envoyés à l’adresse suivante : M. Charles Boc, Calle de Provenza, n° 250, à Barcelone, Espagne, qui est celle du citoyen Paul Brousse, trésorier du Comité.


La Solidarité révolutionnaire ne commença à paraître que le 10 juin. Un de ses collaborateurs fut Jules Guesde (alors fixé momentanément à Gênes), qui ajoutait à sa signature la qualité de membre de la Fédération jurassienne ; dans un article de lui, intitulé L’État (numéro du 1er juillet 1873), on lit :


La société actuelle est fondée sur l’inégalité des rapports entre les hommes qui la composent... La minorité... a dû demander à un tiers la force qui lui manquait, et les moyens de résistance, c’est-à-dire d’oppression, qu’elle ne trouvait pas en elle-même. Ce tiers est le gouvernement ou l’État, inutile dans une société digne de ce nom, et dont l’unique mission est la conservation artificielle de ce qui est... L’État ou le gouvernement est donc... l’obstacle le plus considérable que rencontre la classe ouvrière en travers de ses revendications... La condition sine quâ non de tout affranchissement des masses est l’abolition, la destruction de l’État... On ne saurait trop le répéter, en France surtout, maintenir l’État, sous quelque forme et sous quelque prétexte que ce soit, c’est faire le jeu de la gent capitaliste, c’est perpétuer la domination d’une caste moribonde dont les prétentions ne sont égalées que par l’incapacité.


La Solidarité révolutionnaire eut dix numéros ; le n° 10 porte la date du 1er septembre 1873. Elle dut cesser ensuite de paraître, Brousse étant venu se fixer en Suisse, et Camet, qui était rentré en France — malgré la condamnation dont il avait été l’objet à Lyon — pour y faire de la propagande, ayant été arrêté.

À côté de la propagande révolutionnaire clandestine, un mouvement syndicaliste, d’allures encore bien modestes, continuait à se produire à Paris et dans quelques grandes villes. Une souscription avait été ouverte par le journal le Corsaire pour permettre l’envoi de délégations ouvrières à l’Exposition universelle de Vienne, et l’élection des délégués par les ouvriers fut pour eux une occasion de se grouper et de s’entendre. Un correspondant nous écrivit de Paris : « L’élection de cette représentation ouvrière servira, je l’espère, de point de départ à la fédération des métiers. Presque tous ceux qui concourent à ce mouvement sont les partisans d’un régime démocratique à la Gambetta bien plus que d’une organisation socialiste comme nous la comprenons ; mais ils n’en servent pas moins, malgré eux, la cause socialiste en aidant à la réorganisation du prolétariat, qui tôt ou tard sera vivifié par l’esprit de l’Internationale. »

Je ne puis indiquer, même approximativement, combien la France comptait, dans l’été de 1873, de chambres syndicales organisées, ni combien il s’y trouvait de groupes secrets adhérents à l’Internationale. Tout ce que je puis dire, c’est que les Sections internationales en France avaient une existence bien réelle, car elles allaient se faire représenter par cinq délégués à notre Congrès général.

Pendant ce temps, Engels écrivait à Sorge (14 juin) : « Serraillier [le fondé de pouvoirs du Conseil général pour la France] n’a absolument rien à écrire, attendu qu’il n’a plus une seule adresse en France, tout a été pincé. Mais il vous fera, pour le Congrès, un petit rapport sur les procès. »


En Belgique, une crise industrielle sévissait depuis quelques mois dans la région de Verviers ; « cette crise, écrivait notre Bulletin, a plus fait pour le développement de l’esprit révolutionnaire que des années de propagande écrite ou parlée ». Le Conseil fédéral belge voulut ouvrir une souscription pour venir en aide aux ouvriers verviétois ; mais ceux-ci refusèrent fièrement de recevoir des secours, et, dans une déclaration imprimée en tête de leur journal le Mirabeau, ils dirent :

« Nous saisissons cette occasion pour engager toutes les fédérations à employer l’argent de leurs caisses à compléter et à achever l’organisation du parti socialiste révolutionnaire. Quant à nous, nous supporterons notre misère et nous nous préparons à la Révolution, espérant que tous les travailleurs nous prouveront bientôt la solidarité qui les unit à nous, autrement que par des envois d’argent. »

On s’attendait si bien à des événements graves, que lorsque la Liberté, de Bruxelles, qui pendant les six années de son existence avait si vaillamment défendu les principes socialistes, annonça, à la fin de juin 1873, qu’elle était obligée de cesser sa publication, notre Bulletin fit suivre cette nouvelle de ce commentaire plutôt singulier : « C’est un nouveau symptôme du mouvement révolutionnaire des esprits en Belgique. Le temps de l’exposition des principes et de la discussion scientifique est passé ; on a fait assez de théorie : les Belges veulent maintenant faire de l’action. »

Le mouvement qui tendait à la création d’Unions internationales de métier, déjà signalé à l’occasion d’une lettre de la Commission espagnole de correspondance, donna lieu à deux Congrès tenus en Belgique. Le 1er juin eut lieu à Anvers un Congrès pour la création d’une Fédération internationale des ouvriers cordonniers ; une vingtaine de délégués y prirent part ; la plupart représentaient des sociétés belges ; il y avait un délégué de France ; l’Association générale des cordonniers d’Allemagne et la Fédération espagnole des cordonniers avaient envoyé leur adhésion ; un règlement fédéral fut élaboré. Le 24 août, un Congrès réuni à Liège constitua la Fédération européenne des ouvriers tailleurs. Quoique non adhérentes à l’Internationale, ces deux organisations réalisaient, par leur constitution, un des points les plus importants de notre programme.

La Fédération régionale belge tint, quinze jours avant le Congrès général, un Congrès à Anvers, les 15 et 16 août. On y discuta l’ordre du jour du Congrès général. On s’y prononça pour l’organisation de la grève générale. La proposition suivante, relative à l’Espagne, fut adoptée à l’unanimité :

« Le Congrès déclare que l’Internationale n’a rien de commun avec les partis politiques, tels que libéraux, catholiques, progressistes, républicains, etc. Le secrétaire fédéral belge pour l’extérieur enverra à la Fédération espagnole une adresse de sympathie pour engager nos frères les internationaux d’Espagne à persévérer dans leurs généreux efforts pour l’affranchissement du prolétariat. »


En Hollande, un Congrès démocratique réuni le 1er juin à Amsterdam avait fondé une association politique appelée Demokratische Bond van Noord- en Zuid-Nederland. La Tagwacht de Zürich annonça que la Section internationale d’Utrecht avait adhéré à la nouvelle Association ; elle ajouta : « Il faut espérer que les Sections flamandes de Belgique seront bientôt, par les efforts du Demokratische Bond, arrachées à leur bakounisme et à leur indifférence politique » ; et, dans son numéro suivant, elle publia les félicitations qu’au sujet de son article elle avait reçues de M. Bademacher, l’organisateur du Bond néerlandais. À cette occasion, notre ami Gerhard, d’Amsterdam, nous écrivit, le 22 juillet, que la nouvelle association dont la Tagwacht avait parlé était déjà mourante, et que son organe, Het vrije Volk, avait cessé de paraître ; il nous donnait en même temps en ces termes son appréciation sur la situation générale : « Quand je vois tout ce qui se passe sur le terrain du mouvement ouvrier, je suis convaincu qu’un choc, une lutte sanglante, est inévitable ; mais certainement il faut tout d’abord faire de la propagande pour nos idées, et, pour l’accomplissement de ce travail de propagande, la meilleure organisation me paraît celle de sections et fédérations complètement libres, au lieu d’une centralisation du pouvoir. L’Internationale, à ce qu’il me semble, n’est pas destinée à prendre de grandes proportions dans notre pays. Bon nombre d’ouvriers sont d’accord avec nos principes, mais ils ne voient pas la nécessité d’une organisation internationale. »

La Section d’Utrecht, qui, sur la question des résolutions de la Haye, s’était d’abord séparée des autres Sections néerlandaises, s’était ravisée ; et elle prit part, avec les autres Sections, à un Congrès de la Fédération tenu à Amsterdam le 10 août 1873. Dans ce Congrès, la Fédération hollandaise décida de se faire représenter par un délégué à notre Congrès général à Genève ; elle donna à son délégué le mandat de se rendre ensuite au Congrès convoqué par le Conseil général de New York, pour lui demander de revenir à des idées plus conciliantes ; le délégué devait se retirer s’il ne réussissait pas dans cette démarche.


En Angleterre, la Fédération anglaise — celle qui s’était réunie en Congrès le 26 janvier — n’était point morte, comme l’avaient espéré ses adversaires[20], et elle allait donner une preuve de sa vitalité en envoyant deux délégués au Congrès général, en la personne de Hales et d’Eccarius. « Si l’on a pu constater quelque indifférence chez les internationalistes anglais, dit Hales dans le rapport qu’il présenta au Congrès, il faut en chercher la cause dans les intrigues et les calomnies de la coterie marxiste ; vingt et une sections cependant ont protesté contre les résolutions du Congrès de la Haye. »


Sur la situation en Allemagne, en Autriche, et dans la Suisse allemande, on peut s’en rapporter aux aveux contenus dans les lettres écrites par Engels et Becker à leur correspondant Sorge.

« Les Allemands, — écrit Engels (3 mai 1873), — qui chez eux se chamaillent avec les lassalliens, ont été très désappointés par le Congrès de la Haye (sind durch den Haager Kongress sehr enttäusch geworden), où ils s’attendaient à ne trouver, en opposition à leurs propres disputes, que fraternité et harmonie (wo sie im Gegensatz zu ihrem eigenen Gezänk lauter Brüderlichkeitund Harmonie erwarteten), et cela les a relâchés. En outre, les autorités du parti sont en ce moment composées de lassalliens invétérés (York et compagnie), qui voudraient rabaisser le parti et le journal du parti au niveau du lassalléanisme le plus plat. La lutte continue. Ces gens veulent profiter du moment où Liebknecht et Bebel sont en prison pour exécuter leur plan. Le petit Hepner fait une résistance énergique, mais il est tenu presque en dehors de la rédaction du Volksstaat, et il est d’ailleurs expulsé de Leipzig. Le triomphe de ces...[21] équivaudrait à la perte du parti pour nous, au moins pour l’instant. J’ai écrit à Liebknecht à ce sujet sur un ton très ferme (sehr determiniert), et j’attends sa réponse. »

En Autriche, il s’était formé, parmi les socialistes, deux fractions ennemies l’une de l’autre : l’une, qui s’appelait l’Association « Volkswille » (Volonté du Peuple), avait pour organe la Volkstimme, rédigée par Oberwinder, un meneur auquel Sorge lui-même reproche d’avoir été « trop disposé à se rapprocher des partis bourgeois » (p. 104 de son livre) ; l’autre se groupait autour du journal Gleichheit, rédigé par Andréas Scheu, qui défendait un socialisme plus radical. Engels écrivait à Sorge (3 mai) : « Scheu nous est suspect : 1° parce qu’il est en relations avec Vaillant ; 2° parce qu’il y a des indices que, comme son ami et prédécesseur Neumayer[22], il est en relations avec Bakounine... Quant à Oberwinder, étant donné qu’en Autriche le féodalisme n’est encore qu’en partie vaincu, que les masses y sont incroyablement bêtes, et que la situation y est encore à peu près celle de l’Allemagne avant 1848, s’il ne réclame pas du premier coup les choses les plus extrêmes, avec une phraséologie ultra- radicale, s’il suit, au contraire, la politique que nous avons nous-même recommandée, à la fin du Manifeste communiste, pour l’Allemagne d’alors, nous ne pouvons pas lui en savoir mauvais gré. » Becker, à son tour, écrivait de Genève (19 mai) : « Scheu et consorts ont certainement en eux quelque chose des idées de Bakounine (tragen sicher etwas von dem Zeug Bakunins in sich), et on doit veiller à ce que cela n’entraîne pas, là aussi, aux mêmes conséquences regrettables. Le Conseil général fera bien de se prononcer olficiellement pour le parti du « Volkswille », tout en agissant d’ailleurs, autant que possible, d’une façon conciliante. Quant à moi, c’est la tactique que je suis. »

On verra plus loin comment Becker et le Conseil général allaient tirer parti de leurs relations avec Uberwinder, devenu officiellement leur protégé, tandis que le Volksstaat, en Allemagne, se prononçait pour Scheu.

Quant à la situation des marxistes en Suisse, elle n’était pas brillante ; voici ce que Becker écrivait à Sorge (19 mai 1873) : « Pour notre Congrès, c’est incontestablement Genève le meilleur endroit ; c’est là que nous avons les sections les plus nombreuses, qui sont toutes décidément pour nous... Dans tous les autres endroits de la Suisse, nous n’avons pas encore un terrain assez solide, ce qui, il est vrai, n’aurait guère d’importance, si nous n’avions pas subi dans les dernières années des échecs sérieux par suite de la guerre, de la Commune, et de la bakouniniade (In jedem andern Orte der Schweiz haben wir vorläufig nicht festen Boden genug, was zwar nicht gar viel zu bedeuten hätte, wenn wir nicht in den letzten Jahren durch den Krieg, die Kommune und die Bakuniniade starke Erschütterungen erlitten hätten). »


Dans la colonie russe de Zürich, un nouvel incident se produisit en juillet et août 1873, qui amena la dissolution de la Section slave, et la rupture de Bakounine avec Holstein, OElsnitz et Ralli.

L’imprimerie du groupe des amis de Bakounine devait publier une série de livres de propagande, en russe, sous le titre de Éditions du parti socialiste révolutionnaire (Izdania sotsialno-revolioutsionnoï partii). Le premier fut demandé à Bakounine : ce devait être un exposé théorique du socialisme anarchiste. Pour le second, Ross s’adressa à moi, en me demandant d’écrire une histoire abrégée de l’Internationale. Je proposai le plan suivant : 1° un court résumé de l’histoire de l’Internationale en Suisse, emprunté au Mémoire de la Fédération jurassienne, et suivi de la reproduction de quelques articles de l’Égalité et du Progrès ; 2° un court résumé de l’histoire de l’Internationale en Belgique, suivi de la reproduction de quelques articles de la Liberté ; cela formerait un premier volume ; dans un volume ultérieur on parlerait des autres pays. Mon plan fut accepté, et je rédigeai les deux notices sur la Suisse et la Belgique ; elles furent traduites en russe par Zaytsef, je crois ; les articles de journaux furent choisis soit par Bakounine, soit par le groupe zuricois[23], et traduits, les uns par Zaytsef, les autres par des Russes de Zürich. Bakounine ajouta un chapitre très intéressant (chap. XXXI), écrit par lui, intitulé « l’Alliance internationale des révolutionnaires socialistes[24] », suivi de ses quatre discours au Congrès de Berne de 1868 et du rapport présenté au Congrès de Bâle sur l’héritage. Ce petit livre fut rapidement achevé, et, bien que formant le tome II des Izdania, ce fut lui qui parut le premier, à la fin d’août 1873, en un volume de 352 pages, sous ce titre : Développement historique de l’Internationale ; Première partie (Istoritcheskoé razvitié Internatsionala ; Tchast I.) Quant à l’ouvrage doctrinal de Bakounine, qui forme le tome Ier des Izdania, et qui devait se composer, lui aussi, de plusieurs parties, la première partie (la seule qui ait été écrite) parut à la fin de 1873, en un volume de 308 pages et 24 pages d’appendices, sous ce titre : Autoritarisme et Anarchie ; Première partie (Gosoudarstvennost i Anarkhia ; Tchast I.) Les onze premières feuilles seulement (pages 1-176) du volume furent imprimées à Zürich ; le reste, qui est composé en un autre caractère, a été imprimé à Genève[25].

Or, pendant que s’achevait l’impression du volume Istoritckeskoé razvitié Internatsionala, un conflit personuel éclatait entre Ross et deux autres membres du groupe de l’imprimerie, Œlnitz et Holstein ; ceux-ci réussirent à gagner à leur cause Ralli, que Ross avait espéré d’abord avoir de son côté ; et tous trois, Œlsnitz, Holstein et Ralli, mirent Bakounine en demeure de choisir entre Ross et eux. Bakounine répondit à Œlsnitz (Locarno, 16 août 1873) : « Tu as posé la question clairement. Toi, Ralli, Holstein, vous ne voulez plus rien avoir à faire avec Ross. Vous me prévenez que toute nouvelle tentative de ma part serait inutile, et vous me demandez de choisir entre lui et vous. En m’adressant une semblable invitation, vous avez sans aucun doute prévu ma réponse. Je ne peux ni ne veux me séparer de Ross. Je suis trop étroitement lié avec lui pour que cela soit possible. Depuis plus de trois ans que nous sommes unis par l’amitié et l’action, il m’a donné trop de preuves de son chaud attachement personnel, et de son attachement encore plus chaud et infatigable à la cause commune, pour qu’une rupture avec lui soit admissible pour moi... Puisque la rupture entre vous et moi est ainsi devenue inévitable, tâchons qu’elle nuise le moins possible à notre cause commune ; car nous restons toujours les serviteurs de la même cause, avec le même programme et le même but. Vous êtes, à ce qu’il paraît, très sérieusement unis tous les trois pour le service de cette cause. Ross et moi nous resterons, comme avant, unis dans le même but. Par conséquent, non seulement nous ne pouvons pas être ennemis, mais nous serons obligés de rester alliés à un degré important pour la cause commune. Voulez-vous, tout en constituant entre vous, à partir de ce moment, une inséparable collectivité, continuer à agir avec moi personnellement, et rien qu’avec moi, pour la cause ? ou bien trouverez-vous nécessaire de rompre avec moi aussi toute relation ? Cela dépendra entièrement de vous. J’accepterais avec joie la première alternative ; mais je suis prêt aussi, quoique avec tristesse, à accepter la seconde. »

Œlsnitz répondit à Bakounine, le 23 août, au sujet de la continuation des relations, qu’il ne pouvait rien dire avant d’avoir consulté le groupe de ses amis, ajoutant qu’à leurs yeux, la communauté du programme n’était pas chose démontrée ; quant aux sentiments, Œlsnitz déclarait conserver à Bakounine son estime personnelle, sauf en ce qui concernait la dernière affaire.

À cette lettre, Bakounine répliqua le 29 par celle-ci : « Cher Œlsnitz, j’ai reçu ta lettre du 23 : qu’il soit fait selon votre désir. Ne décidons rien maintenant ; laissons à la marche future de nos affaires le soin de déterminer le caractère de nos futures relations pour la cause. Je vous annonce maintenant, pour le cas où l’un de vous désirerait me rencontrer pour un entretien personnel, que je partirai d’ici, le 2 ou le 3 septembre, pour me rendre à Berne... Ainsi prennent fin, pour l’instant, nos relations pour la cause, mais nullement nos relations personnelles, auxquelles je crois si bien, que j’espère que par elles, dans un temps pas trop éloigné, seront renouvelées nos relations pour la cause. »

Cet espoir ne devait pas se réaliser : au contraire, en septembre, la rupture devait s’aggraver de récriminations réciproques qui la rendirent irrémédiable.


En Italie, les persécutions gouvernementales n’avaient pas arrêté les progrès de l’Internationale. En dehors des journaux socialistes déjà existants, la Fédération italienne voulut avoir son organe à elle : ce fut le Bollettino della Federazione italiana dell’ Internazionale, dont le premier numéro parut en mai 1873 ; il y avait dans ce numéro (dit notre Bulletin du 1er juin 1873) un remarquable Appel adressé aux paysans, et un article faisant l’historique des persécutions subies par l’Internationale en Italie. Costa nous écrivait de Bologne, le 4 juillet : « La Fédération italienne n’a pas, il est vrai, l’organisation formidable de la Fédération espagnole ; mais nos principes sont extrêmement répandus parmi le peuple, et les instincts révolutionnaires des prolétaires italiens sont des meilleurs... Notre peuple est plus mûr qu’on ne le pense, et la servitude séculaire n’a pas énervé les instincts révolutionnaires chez les ouvriers manuels, en particulier dans les petites localités, et surtout dans les campagnes. » (Bulletin.) Une communication de la Commission italienne de correspondance (26 juin) annonçait la création d’une vingtaine de nouvelles sections, l’apparition d’un journal socialiste à Sienne, le Risveglio, et la préparation de trois Congrès provinciaux (Romagne, Marches et Ombrie, Emilie). Le premier de ces Congrès, celui des Sections romagnoles, eut lieu le 20 juillet à San Pietro in Vincoli, village de la province de Ravenne : trois fédérations locales et quinze sections y étaient représentées ; le Congrès nomma un délégué pour le Congrès général qui allait avoir lieu en Suisse. Le Congrès des Sections des Marches et de l’Ombrie eut lieu le 1er août à Pietro la Croce près d’Ancône.

L’activité des militants de la Fédération italienne avait été intimement liée, dès le début, à celle de Bakounine ; et des relations ainsi nouées naquit un projet dont je dois exposer ici l’origine et la réalisation ; le changement qui en résulta dans la position de Bakounine devait modifier profondément la manière de sentir et d’agir du vieux révolutionnaire.

Carlo Cafiero (né en septembre 1846) appartenait, comme on le sait, à une famille de riche bourgeoisie ; son père était mort récemment, et, bien que l’héritage paternel dût être partagé entre plusieurs ayants-droit, la part qui revenait à notre ami lui assurait une fortune considérable ; mais les opérations nécessaires à la liquidation de cet héritage devaient être assez longues, Cafiero avait résolu de mettre les ressources qu’allait lui procurer cette fortune à la disposition du parti socialiste italien ; et il décida de consacrer tout d’abord une somme d’une vingtaine de mille francs à l’acquisition à Locarno d’une maison dont Bakounine deviendrait le propriétaire nominal. Dans cette demeure, le vieux révolutionnaire, qui dès ce moment songeait à se retirer de la vie militante, mènerait ostensiblement une existence bourgeoise ; il serait censé avoir reçu de ses frères, en Russie, la part qui lui revenait de l’héritage paternel. En réalité, la maison, située à proximité de la frontière, servirait de rendez-vous et de retraite aux révolutionnaires italiens qui viendraient y conspirer. Ce plan fut élaboré pendant l’hiver 1872-1873 ; l’emprisonnement de Cafiero à Bologne, en mars 1873, en retarda la réalisation ; mais sitôt remis en liberté, en mai, Cafiero se rendit à Barletta, sa ville natale, pour y activer le plus possible la réalisation d’une partie de ses capitaux. Bakounine, dans l’intervalle, devait chercher et choisir la propriété qu’il s’agissait d’acquérir, et il reçut de Cafiero pleins-pouvoirs pour l’acheter en son propre nom. Il jeta son dévolu sur une maison de campagne appelée la Baronata, située sur la route de Locarno à Bellinzona, au bord du lac, dans la commune de Minusio, et en devint le propriétaire par un acte en due forme. L’achat de cette propriété eut, comme on le verra, des résultats fâcheux ; Bakounine et Cafiero, qui n’avaient pas la moindre expérience en matière de finance, se lancèrent dans des acquisitions successives, conséquences de la première, firent exécuter des travaux coûteux, se laissèrent tromper par des entrepreneurs, des intermédiaires et des intrigants sans scrupules, jetèrent sans compter l’argent par les fenêtres ; et l’affaire de la Baronata devait finir, au bout d’un an, par la ruine à peu près complète de Cafiero et une brouille momentanée entre lui et Bakounine.

Il existe un Mémoire justificatif écrit les 28 et 29 juillet 1874 par Bakounine, au moment de la brouille[26] ; c’est un plaidoyer, dans lequel, involontairement, l’auteur a présenté les choses sous le jour le plus propre à le « justifier » à ses propres yeux ; néanmoins on peut y puiser certains renseignements. Je reproduis ici les passages du début, relatifs à l’origine du projet d’achat d’une maison ; aux motifs qui empêchèrent Bakounine de se rendre, en juillet 1873, en Espagne où l’appelaient ses amis de ce pays ; et aux premières opérations concernant l’agrandissement et l’aménagement de la Baronata :


Emilio [Bellerio] sait le commencement de la Baronata. Ce fut depuis longtemps, depuis l’automne 1872 ou l’hiver 1873, que Cafiero conçut spontanément l’idée d’acheter à Locarno une maison avec plus ou moins de terre et dont je serais le propriétaire nominal, où je résiderais avec toute ma famille constamment[27], et qui servirait en même temps de lieu de relais, de refuge ou d’habitation passagère à tous les intimes. Pendant tout l’hiver 1872-1873 il ne fut question que de cela tant dans nos conversations intimes que dans ma correspondance avec Cafiero.

En été 1873, la révolution espagnole semblait devoir prendre un développement tout à fait victorieux. Nous eûmes d’abord la pensée d’y envoyer un ami, puis, sur les instances de nos amis espagnols, je me décidai de m’y rendre moi-même. Mais pour effectuer ce voyage nous avions besoin d’argent, et notre seule ressource était Cafiero ; et Cafiero était empêché de nous en donner parce qu’il n’avait pas encore terminé ses affaires avec ses frères[28]. Nous décidâmes, un jeune ami et moi, de le presser ; et, comme il était inutile et à peu près impossible de le faire par lettre, le jeune ami se rendit chez lui [à Barletta]. Il y fut arrêté[29]. Alors force me fut de m’entendre avec Cafiero par correspondance, en me sevant d’un langage symbolique qui avait été établi entre nous. Dans une de mes lettres, répondant aux siennes qui protestaient énergiquement contre mon départ [pour l’Espagne], je lui en démontrai l’urgence et lui annonçai en même temps ma résolution de partir aussitôt qu’il m’aurait envoyé la somme nécessaire. J’y ajoutai une prière, celle de devenir le protecteur de ma femme et de mes enfants dans le cas où je succomberais en Espagne… Il me répondit par une lettre toute pleine de fraternelle affection et dans laquelle il me promettait de devenir la providence vigilante des miens. Mais en même temps il protestait encore contre mon départ, et, raison suprême, il ne m’envoya pas l’argent nécessaire pour l’effectuer, soit manque réel d’argent, soit résolution de sa part de ne pas m’en donner pour ce voyage[30]. Alors il me considérait comme un être précieux, absolument nécessaire à notre cercle d’intimes, et que par conséquent il fallait conserver à tout prix, même contre sa volonté. Aujourd’hui il en est venu, paraît-il, à me considérer comme un vieux chiffon absolument inutile et bon à jeter à tous les vents. Il pense qu’il s’est trompé alors, comme il se trompe aujourd’hui. Je n’ai jamais été aussi précieux qu’il avait bien voulu le penser il y a un an, ni aussi inutile qu’il le pense aujourd’hui. Mais passons outre.

Au mois d’août 1873, Cafiero vint enfin à Locarno, libéré de ses frères, et il apporta le premier argent avec lui. Je ne me rappelle pas la somme, mais il la trouvera consignée dans le grand livre de comptes que je lui ai remis la veille de mon départ[31]. Ce que je sais et ce qu’il ne niera pas, sans doute, c’est que l’emploi de cette somme fut réglé entre lui et moi jusqu’aux moindres détails. Entre autres, il y eut quelques mille francs (voir toujours le grand livre) assignés pour le premier paiement de la Baronata, que je venais d’acheter non seulement avec son consentement, mais à la suite de ses plus pressantes sollicitations. D’abord cela ne parut qu’une dépense de quatorze mille francs, qui s’accrurent ensuite de quatre mille francs à cause de la bévue commise par Chiesa[32], qui avait laissé de côté les deux prairies faisant partie de la propriété et sans lesquelles, selon Gavirati[33], d’accord avec tout le monde, cette dernière n’avait aucune valeur[34].

C’est en ce moment que commence l’histoire de nos imaginations et entreprises fantastiques. La Baronata, devenue notre propriété, consistait alors de la vieille maison, d’une assez grande vigne tout à fait délabrée, d’un très petit potager, et della scuderia[35], moins la nouvelle adjonction pour remise et chambre au-dessus. Il était évident que la vieille maison avait trop peu de chambres pour abriter toute ma famille et encore tous les intimes qui viendraient temporairement habiter avec nous. Pour y suppléer, il n’y avait que deux moyens : ou bien agrandir la vieille maison, en y ajoutant deux assez grandes chambres derrière la galerie, ou bâtir une nouvelle maison. J’opinai résolument pour le premier moyen : j’avais comme le pressentiment que la construction d’une nouvelle maison...[36], et il me semblait que l’adjonction de deux chambres suffirait absolument à nos besoins. Mais on m’objecta que d’abord la maison était humide, et l’humidité, disait le Dr Jacoby[37], — qui aussi bien que sa femme et les Zaytsef nous avait accompagnés dans cette visite d’investigation, — deviendrait mortelle pour ma précieuse santé ; et cette chère santé était alors la principale préoccupation de Cafiero, au moins à en juger par ce qu’il disait ; et je ne sais plus s’il disait ce qu’il pensait, comme j’en avais été persuadé alors, — car ce n’est que dans les tout derniers temps que j’ai commencé à m’apercevoir que, vis-à-vis de moi aussi bien que vis-à-vis de tout le monde, il y a souvent une grande différence entre sa parole et sa pensée intime[38]. En outre on ajoutait, et cette observation vint précisément de Cafiero, que l’adjonction de deux chambres ne serait pas suffisante pour le but qu’on se proposait ; et, enfin, que les deux nouvelles chambres, privées complètement de soleil, seraient excessivement malsaines.

On décida donc, contre mon avis, de bâtir une nouvelle maison. On s’en alla en expédition sur la montagne[39], par un sentier si rude à gravir que je ne les accompagnai pas, et que deux mois plus tard j’ignorais encore l’emplacement choisi pour la nouvelle maison. Ostroga[40] était de la partie, et il fut invité par Cafiero à jeter le plan du nouveau bâtiment. Ostroga en fit deux : l’un beaucoup plus grand, conformément aux indications de Cafiero ; l’autre plus petit, c’est celui de la maison actuelle, avec quelques modifications et embellissements proposés par l’ingénieur Galli.

... Ce fut alors que Cafiero émit pour la première fois avec beaucoup de chaleur une pensée à laquelle il resta obstinément fidèle jusqu’à son retour de Russie[41]. Il disait que je devrais désormais m’abstenir de toute expédition révolutionnaire, que je devrais laisser cela aux jeunes gens... Je convenais avec Cafiero que l’état de ma santé, ma pesanteur, la maladie de mon cœur et la raideur de mes membres et de mes mouvements qui en sont la conséquence nécessaire, me rendaient désormais peu apte aux expéditions aventureuses... ; mais j’ai toujours maintenu mon devoir et mon droit de me jeter dans tout mouvement révolutionnaire qui prendrait un caractère plus ou moins général, consistant et sérieux, et j’ai toujours senti et pensé que la fin la plus désirable pour moi serait de tomber au milieu d’une grande tourmente révolutionnaire.

D’ailleurs ce ne fut alors entre nous rien qu’une discussion académique ; les circonstances étaient telles qu’il ne fallait pas songer à une expédition révolutionnaire. La révolution espagnole venait d’échouer misérablement, faute d’énergie et de passion révolutionnaire dans les chefs aussi bien que dans les masses, et tout le reste du monde était plongé dans une réaction la plus morne. Seule l’Italie présentait quelques symptômes d’un réveil révolutionnaire, mais il fallait encore beaucoup travailler pour en tirer une puissance populaire. J’étais donc d’accord avec Cafiero que non seulement moi, mais encore tous, nous devions nous dissimuler pour le moment autant qu’il était possible pour pouvoir d’autant mieux travailler en secret, et que pour cela il n’y avait pas de meilleur moyen que de prendre sur toute la ligne le masque de paisibles et très matériels bourgeois.

Conformément à ce nouveau système, il fut convenu que... je prendrais plus que jamais le caractère d’un révolutionnaire fatigué et dégoûté, et qui, à la suite de ce dégoût, ayant perdu toutes les illusions, se jette avec passion dans les intérêts matériels de la propriété et de la famille. Cela était devenu d’autant plus nécessaire que notre cercle était devenu non seulement l’objet des persécutions et de l’espionnage de tous les gouvernements, mais encore celui des attaques furibondes des révolutionnaires plus ou moins socialistes des autres partis, et surtout moi, l’objet des dénonciations et d’infâmes calomnies de la part des Allemands et des Juifs de l’école de Marx et compagnie.

Je devais donc me poser en bourgeois très aisé uniquement absorbé par les intérêts de ma famille. À cela il y avait un inconvénient assez grave et qui n’échappa point à notre attention. Tout le monde savait que jusqu’à ce jour j’avais été très pauvre, vivant dans un état proche de la misère. Comment expliquer au monde la transformation merveilleuse et si subite de ma fortune ? Nous discutâmes beaucoup cette question, Cafiero et moi, et nous décidâmes que, d’abord, nous n’avions pas de compte à rendre à ce monde bourgeois pour lequel nous n’avions que haine et mépris ; que je pouvais avoir hérité ou reçu de Russie une partie de mes biens par des voies qui (pour échapper aux persécutions et aux confiscations du gouvernement russe) devaient nécessairement rester secrètes ; et qu’ensuite, en prît-on même prétexte pour nous calomnier, loin de nous en soucier, nous devions nous en réjouir, puisque cela nous servirait à cacher encore mieux notre jeu.

Par suite de cette résolution, je devins donc un beau jour un bourgeois sinon riche, du moins aisé, sans rendre compte à personne, en dehors de nos plus intimes, de la manière dont je l’étais devenu. Trois hommes firent exception à la règle à Locarno : Emilio Bellerio, Zuytsef, et Remigio Chiesa, Zaytsef à titre d’ami individuel très dévoué et très discret, et Chiesa parce qu’il nous était nécessaire sous bien des rapports et qu’il nous a réellement rendu de très bons services, sans nous avoir jamais fait repentir de notre confiance jusqu’ici. En outre le savaient encore le Dr Jacoby et sa femme à titre d’amis, et les Ostroga à titre de très anciens alliés et amis. Mais même le vénérable Paolo Gavirati, pour lequel j’ai un si profond respect, et qui m’a tant de fois prouvé son amitié inaltérable, même lui ne fut pas mis dans la confidence de notre secret[42].


Un jeune Russe nommé Débagori-Mokriévitch rendit visite à Bakounine dans le courant d’août 1873 (c’était Ross qui, sur sa demande, l’avait amené à Locarno). Il a publié dans ses Souvenirs le récit de cette visite, et on y trouve, au sujet de la Baronata, quelques indications que je transcris ici, à défaut d’une description que je ne pourrais faire moi-même, n’ayant jamais vu cette propriété dont on a tant parlé :


Bakounine[43] nous tendit les deux mains, et, respirant difficilement à cause de son asthme, se leva et se mit à s’habiller... Lorsqu’il eut fini sa toilette, nous sortîmes dans le jardin, où, sous une tonnelle, fut servi le déjeuner. Alors vinrent deux Italiens. Bakounine me présenta à l’un d’eux, qui n’était autre que Cafiero, son ami intime, qui a sacrifié toute une fortune assez considérable à la cause révolutionnaire italienne. Silencieux, il prit place à côté de nous, et se mit à fumer sa pipe. Entre temps arriva le courrier, et Bakounine commença à feuilleter toute cette masse de journaux et de lettres. Plus tard vint Zaytsef, l’ancien collaborateur de la revue la Parole russe...

Le deuxième jour après notre arrivée à Locarno, nous allâmes en bateau avec Bakounine visiter, à proximité de la ville, une maison achetée en son nom, et qu’il voulait nous montrer. Les révolutionnaires italiens l’avaient acquise dans le but d’y créer un lieu de refuge, en même temps que pour assurer la position de Bakounine à Locarno. Comme propriétaire, il ne pouvait être expulsé du canton[44], lors même que le gouvernement italien l’eût demandé... Nous traversâmes obliquement la baie, et nous abordâmes au rivage, qui s’élevait en rocs escarpés, couverts de broussailles. Nous montâmes un étroit sentier et, par une petite porte, nous entrâmes dans la propriété. La villa était une maison d’un étage, aux murs décrépits. La façade donnant sur le lac était plus élevée que celle de derrière, ainsi qu’il arrive pour les maisons bâties sur une pente. Les épaisses murailles de cette vieille bâtisse, qui me semblait fort peu habitable, lui donnaient l’air d’un petit fort. Lorsque nous pénétrâmes dans l’intérieur, une atmosphère humide et rance nous enveloppa. Les pièces de derrière étaient obscures, les fenêtres donnant sur la falaise où s’étendait un petit jardin cultivé. En revanche, la maison présentait beaucoup de commodité comme lieu de refuge. On pouvait se glisser inaperçu jusqu’au bord du lac, libre dans toutes les directions. Pour éviter la douane, on pouvait gagner l’Italie en canot...

Après avoir terminé l’inspection, nous descendîmes dans le sous-sol, où le gardien de la maison nous servit un repas composé de pain, de fromage, et de mauvais vin. À table, nous continuâmes la conversation. Bakounine était tout absorbé par la création d’un dépôt d’armes et d’un refuge à passages secrets, par lesquels, au besoin, on pourrait s’échapper. Il croyait à la possibilité d’une perquisition chez lui. Peut-être ne se fiait-il pas assez à la liberté suisse...

« Vous autres Russes, me dit-il, vous aurez besoin peut-être d’une imprimerie ambulante pour faire imprimer à l’étranger vos feuilles volantes. Eh bien, vous pourrez en installer une ici. » Mais aussitôt il changea de ton, et ajouta rudement : « Ah, ces conspirateurs russes ! Ils vont commencer à bavarder, et compromettre encore notre cause italienne. »

Ce reproche me fut désagréable, et je pris en mains la défense des Russes, d’une manière dont je ne puis me rappeler. Mais quelle fut mon émotion lorsque, après que j’eus fini mon apologie, Bakounine s’écria : « Eh quoi, ces Russes ! De tout temps ils ont prouvé qu’ils n’étaient qu’un troupeau ! À présent ils sont tous devenus anarchistes ! L’anarchie, chez eux, est pour le moment à la mode. Qu’il s’écoule quelques années encore, et l’on ne trouvera plus un seul anarchiste parmi eux ! »

Ces mots se fixèrent dans ma mémoire, et souvent, depuis, ils se sont représentés à mon esprit dans leur vérité prophétique.


Quittons la Baronata et Bakounine ; pour terminer ce chapitre, il me reste à dire ce qui s’était passé dans la Fédération jurassienne depuis le Congrès de Neuchâtel.


Notre Bulletin, qui parut, à partir de juillet 1873, tous les huit jours, et dans un format agrandi[45] publia, en tête de son numéro du 6 juillet, un article où nous disions :


Il y a dix-huit mois que le Bulletin de la Fédération jurassienne commençait sa publication. C’était alors une toute petite feuille autographiée, une circulaire plutôt qu’un journal. Nous éprouvions l’impérieux besoin d’appeler le grand jour de la publicité sur les odieuses attaques auxquelles les Sections du Jura étaient en butte de la part des hommes de l’ex-Conseil général depuis deux années. Tel fut le motif de cette publication. Dès le cinquième numéro, l’accroissement de nos ressources nous permit de remplacer l’autographie par la typographie. Le Bulletin imprimé continua l’accomplissement de la même tâche : démasquer l’intrigue autoritaire et attirer l’attention de toutes les Fédérations sur les funestes résultats de la Conférence de Londres, de triste mémoire. Le Congrès de la Haye, et l’énergique affirmation du principe fédératif, affirmation qui se produisit dans toutes les Fédérations vivantes et organisées, Amérique, Angleterre, Belgique, Espagne, France, Hollande, Italie, marquèrent la fin de la lutte. Le prochain Congrès général, convoqué directement par les Fédérations elles-mêmes, donnera sans doute une sanction éclatante au principe de fédération et d’autonomie dont notre Bulletin a été, nous pouvons le dire, l’un des plus fidèles représentants.

Une phase nouvelle de la vie de l’Internationale s’ouvre en ce moment après les luttes acharnées, mais nécessaires, qui l’ont déchirée pendant trois ans. L’organe de la Fédération jurassienne doit en même temps prendre un caractère nouveau, approprié à cette transformation. Nous consacrerons dorénavant la plus grande partie des colonnes du Bulletin à un exposé des principes de la science sociale et à un résumé du mouvement ouvrier universel. Nous nous sommes assuré, dans tous les pays où existe l’Internationale, des correspondants qui tiendront nos lecteurs au courant de tout ce qui intéresse la cause du travail. Nous ne négligerons pas de signaler, dans des articles spéciaux, les erreurs ou les crimes de la politique bourgeoise et d’apprécier, du point de vue socialiste, les actes des gouvernements. Enfin nous ouvrirons nos colonnes à tous les renseignements concernant le développement de l’organisation ouvrière dans la région jurassienne.

... Maintenant que nous disposons d’un organe hebdomadaire, dont la rédaction sera beaucoup plus variée et qui pourra tenir ses lecteurs au courant de tout ce qui se passe, nous espérons voir le Bulletin remplacer dans toutes les familles d’ouvriers les journaux bourgeois, auxquels on s’abonne par la nécessité d’être renseigné tout en réprouvant leurs principes[46]. Si la classe ouvrière de notre région comprend ses véritables intérêts, elle nous donnera un appui général, et notre modeste Bulletin pourra alors prendre des dimensions et une périodicité conformes à la grandeur de la cause qu’il représente.


Le 22 juin avait eu lieu à Bienne le Congrès annuel de la Fédération des sociétés de résistance des ouvriers monteurs de boîtes en or, dont un certain nombre de membres étaient des adhérents individuels de l’Internationale ; on y avait discuté la question du travail des femmes, celle de l’introduction des machines, celle du travail par « parties brisées ». Le Bulletin du 13 juillet publia à cette occasion les réflexions suivantes :


La Fédération des ouvriers monteurs de boîtes d’or, comme la plupart des autres associations de résistance, ne se propose qu’un but très limité : le maintien des conditions actuelles du travail. De là l’opposition au travail des femmes, la guerre faite par les ouvriers aux machines qui font concurrence à leurs bras, et leur refus de consentir au travail par parties brisées, c’est-à-dire à la division du travail.

Rien de plus légitime, assurément, que cette lutte pour le salaire et que cette résistance à l’emploi de procédés industriels qui auraient pour résultat d’avilir la main-d’œuvre et d’abaisser le niveau intellectuel de l’ouvrier... Mais il y a un autre point de vue qu’il est dangereux de négliger. Les coalitions ouvrières sont impuissantes à empêcher l’introduction des machines dans l’industrie ;... que les ouvriers monteurs de boîtes sachent bien que, malgré tous leurs efforts, un jour viendra, et ce jour est prochain, où les machines pénétreront dans leurs ateliers. Il en est de même pour le travail par parties brisées : la division du travail est un élément nécessaire de la production moderne...

Pourquoi les ouvriers monteurs de boîtes sont-ils hostiles à l’emploi des machines et à la division du travail ? Ce n’est certes pas par ignorance ni par haine pour les progrès de l’industrie ;... [c’est parce que] les avantages produits par l’emploi des machines et par la division du travail sont accompagnés de graves inconvénients pour les ouvriers : ce qui est bénéfice pour le patron et pour l’industrie en général, est acheté au prix d’un véritable désastre pour le travailleur...

Ce que les ouvriers repoussent, ce n’est pas en réalité l’emploi des machines ni la division du travail : ce sont les maux qui naissent pour l’ouvrier de l’emploi des machines et de la division du travail. Que l’on trouve un moyen de supprimer ces maux,... et les ouvriers seront les premiers à réclamer le plus grand perfectionnement possible des machines et la plus extrême division du travail.

Eh bien, le moyen dont nous parlons, il existe. C’est un moyen radical — mais il n’y en a pas d’autre : Il faut que les machines, et tous les instruments de travail en général, ne soient plus la propriété des patrons, mais deviennent la propriété collective des ouvriers.

... Nous le disons donc, avec la plus profonde conviction, aux monteurs de boîtes et à tous les ouvriers de notre pays : « Vos sociétés de résistance seront impuissantes à empêcher chez nous le développement de la grande industrie et l’emploi des machines... Il faut donc... comprendre dès aujourd’hui que le véritable but des sociétés ouvrières doit être, non pas de s’opposer aux machines, mais de devenir elles-mêmes propriétaires des machines et de tout l’outillage... »


Le 3 août eut lieu à Undervillier une assemblée privée des adhérents des diverses Sections du Jura bernois, pour s’entendre sur le caractère de la propagande socialiste et les moyens de l’organiser dans la région. Les résolutions adoptées à cette réunion furent publiées dans deux numéros du Bulletin (10 et 17 août) ; elles caractérisent très nettement la façon dont les ouvriers jurassiens comprenaient, à ce moment, le programme d’organisation et d’action.

Voici les parties essentielles de ces résolutions :


I. Organisation des travailleurs industriels et agricoles dans le Jura bernois.

1. Le groupement corporatif s’impose comme première nécessité d’organisation ouvrière.

2. L’union des divers groupes corporatifs s’impose comme seconde nécessité d’organisation.

3. L’assemblée se prononce pour la libre fédération des groupes corporatifs, la centralisation dans n’importe quel domaine aboutissant à l’étouffement de la liberté humaine, au despotisme.

4. Les Sections travailleront à constituer dans chaque district une fédération ouvrière, par le groupement des sociétés ouvrières déjà existantes, et à la constitution des sociétés de métier dans les professions non organisées.

5. Le but direct des sociétés de métier... est la pratique de la mutualité et de la solidarité dans les cas de maladie, de chômage et de grève. La fédération des sociétés d’un même métier étant le complément nécessaire d’une organisation corporative sérieuse, les Sections travailleront également à former des fédérations de métier.

6. Il est indispensable qu’à part les sociétés de métiers, il existe des groupes d’étude et de propagande socialistes dans le plus grand nombre de localités possible. Les Sections travailleront donc à généraliser dans le Jura bernois l’institution des cercles d’études socialistes...

7. L’Association internationale des travailleurs étant la manifestation générale du mouvement ouvrier, et ayant par ce fait assumé sur elle toutes les haines du monde bourgeois, la propagande de l’adhésion de toutes les sociétés ouvrières à la Fédération jurassienne de l’Internationale doit être activée par toutes les Sections...

8. Les Sections, constatant que le Schweizerischer Arbeiterbund a adopté un programme absolument centraliste autoritaire, se voient dans la nécessité de lui refuser leur adhésion. Néanmoins, dans les cas de grève, elles se feront toujours un devoir de pratiquer la solidarité ouvrière.


II. Organisation de la propagande dans le Jura bernois.

2.... Deux grands principes se sont dégagés, puissants et irréfutables, du travail qui s’est opéré dans le sein du prolétariat :

En politique, le principe de l’autonomie des individus et des groupes et leur libre fédération ;

En économie, le principe de la propriété collective des instruments de travail et du capital en général...

3. La rupture complète de l’action du prolétariat avec n’importe quelle action de la bourgeoisie, la résistance dans tous les cas possibles à la domination et à l’exploitation du monde bourgeois, et finalement l’action révolutionnaire du prolétariat contre toutes les institutions qui garantissent le règne de la bourgeoisie, sont les conditions essentielles du succès dans l’œuvre d’émancipation sociale des classes ouvrières...


III. De l’attitude des travailleurs jurassiens dans les questions de politique légale nationale et en présence de la politique révolutionnaire internationale
suivie par le prolétariat de plusieurs pays d’Europe.

... Nous ne devons rien avoir de commun avec la politique bourgeoise nationale, parce que, à quelques résultats qu’elle aboutisse, elle n’est que la consolidation du système bourgeois et par conséquent une entrave à l’émancipation du prolétariat... Ces considérations nous engagent à soumettre aux Sections du Jura bernois la ligne de conduite politique suivante :

1. Rupture complète avec tous les partis politiques bourgeois sans exception aucune.

2. Condamnation absolue de toute transaction avec n’importe quelle organisation politique bourgeoise.

Les Sections ne resteront en communauté d’action et ne pratiqueront la solidarité qu’avec les organisations purement ouvrières.

3. L’Union démocratique jurassienne... sera considérée par les Sections comme un parti politique ennemi.

4. Les Sections ne reconnaissent pas d’autre politique que la politique révolutionnaire et internationale, qui a pour but : la destruction des États et la constitution des Communes libres et leur libre fédération.

5. ... Elles reconnaissent que le prolétariat parisien, en se soulevant le 18 mars 1871 pour revendiquer l’autonomie communale, et le prolétariat espagnol, en combattant aujourd’hui pour la même idée, ont ouvert au prolétariat la voie de la seule politique qui puisse l’émanciper de la domination et de l’exploitation du monde bourgeois.


La Fédération jurassienne comprenait, en août 1873, les groupements suivants :

Fédération locale du Locle, formée par la Section centrale, la Section des graveurs et guillocheurs, et la Section des faiseurs de secrets ;

Section de la Chaux-de-Fonds (en outre, à côté de la Section, il existait une fédération ouvrière locale, qui, sans faire partie intégrante de l’Internationale, en admettait le programme économique) ;

Section de Neuchâtel (à côté de la Section existait, comme à la Chaux-de-Fonds, une fédération ouvrière locale) ;

Union des Sections internationales du district de Courtelary, formée par la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, le Cercle d’études sociales de Sonvillier, et le Cercle d’études sociales de Saint-Imier ;

Section de Moutier ;

Fédération ouvrière de Porrentruy ;

Section de Bienne ;

Section de propagande et d’action socialiste révolutionnaire de Genève[47] ;

Section l’Avenir, de Genève[48] ;

Section slave de Zürich ;

Section d’Alsace ;

Un certain nombre de Sections françaises.


Nous étions arrivés à la veille du Congrès général, de l’organisation matérielle duquel s’était chargée, à notre demande, la Section de propagande et d’action socialiste révolutionnaire de Genève. Dans son numéro du 31 août, le Bulletin salua l’arrivée des délégués de l’Internationale par l’article suivant :


Le Congrès général.

Le Congrès qui va s’ouvrir demain à Genève doit être le point de départ d’une ère nouvelle pour l’Internationale.

Les représentants des fédérations qui repoussent la centralisation autoritaire, et qui veulent que notre Association conserve pour principe fondamental l’autonomie des groupes qui la composent, vont se réunir pour reviser les statuts généraux.

Dans l’esprit des fédérations qui envoient leurs délégués au Congrès de Genève, le lien qui unit entre eux les travailleurs des divers pays, c’est la solidarité économique. L’article unique du pacte d’alliance entre les associations ouvrières du monde entier, c’est l’engagement de se donner la main pour résister solidairement aux détenteurs du capital dans la lutte que le travail soutient contre eux.

Toute fédération qui reste fidèle à cet engagement remplit son devoir comme adhérente à l’Internationale. Notre Association ne lui impose pas d’autre obligation. Elle ne prétend pas dicter aux différents pays une politique uniforme, ni intervenir, au moyen d’un Comité central, dans l’organisation intérieure des diverses régions. Chaque pays détermine lui-même sa politique propre, chaque fédération s’administre elle-même sans aucune immixtion d’un pouvoir central ; de tous, l’Internationale ne réclame qu’une chose : l’observation du devoir suprême de la solidarité dans la lutte économique.

Telle est la conception, si simple et si grande à la fois, à laquelle le Congrès de Genève a pour mission de donner une sanction nouvelle et définitive ; c’est cette idée que nous opposons aux projets chimériques et aux tentatives puériles de ceux qui ont essayé de transformer l’Internationale en lui donnant des chefs, et en réduisant ses sections à l’état de simples unités tactiques d’une armée soumise à l’obéissance passive. Un plan semblable à celui que le Conseil général de New York était chargé de réaliser ne pouvait donner aucun résultat sérieux ; et, en effet, qu’avons-nous vu ? les chefs sont là, il est vrai : l’état major s’est nommé lui-même au Congrès de la Haye ; mais son armée lui a fondu dans la main, et l’Internationale tout entière, dans tout ce qu’elle a de vivant et d’organisé, s’est rangée sous la bannière de l’autonomie et de la libre fédération, qui est la nôtre.

Pendant que les autoritaires essayaient vainement de constituer l’unité dans l’Internationale par l’action d’un pouvoir central et en éliminant tout ce qui refuserait de se courber sous la dictature, nous sommes arrivés, nous, à ce résultat, en acceptant comme légitimes toutes les tendances diverses, à la condition qu’elles ne fussent pas contraires au principe même de notre Association ; en nous abstenant scrupuleusement de faire violence aux particularités locales; en ne cherchant enfin l’unité que sur ce terrain où aujourd’hui elle peut seule exister : celui de la solidarité économique.

Et voilà comment on pourra voir, au Congrès de Genève, Anglais et Italiens, Américains et Belges, Espagnols et Jurassiens se tendre une main fraternelle. Tous sont d’accord sur le principe supérieur, qui est la définition même de l’Internationale : la fédération solidaire du travail. Ce principe accepté et pratiqué par tous, les Anglais et les Américains ne trouvent point mauvais que les Italiens et les Espagnols cherchent leur émancipation dans une révolution dont le programme est la destruction de tout gouvernement ; et ceux-ci, à leur tour, ne songent point à blâmer les Américains et les Anglais de suivre une voie différente, et de s’en tenir à la politique légale. Chaque peuple a son génie propre ; tous ne peuvent pas marcher dans le même chemin ; mais tous marchent au même but : l’affranchissement complet du travail et l’égalité de tous les êtres humains.

Voici, d’après les renseignements qui nous sont parvenus jusqu’à présent, quelle sera à peu près la composition du Congrès de Genève.

L’Angleterre enverra deux ou trois délégués[49], dont les noms ne nous ont pas encore été communiqués. Il y aura quatre délégués de Belgique[50], dont l’un a été élu par le Congrès régional belge qui s’est tenu les 15 et 16 août à Anvers, et dont les trois autres représenteront des fédérations locales. La Hollande sera représentée par un délégué. L’Espagne a nommé dix délégués ; mais, vu la crise terrible que traverse en ce moment la Fédération espagnole, il est probable que la moitié seulement des élus pourra se rendre à Genève[51]. D’Italie, on compte sur sept ou huit délégués : Bologne, Ancône, Florence, Rome, Naples seront parmi les villes représentées[52]. L’Amérique vient d’annoncer qu’elle ne pourrait pas envoyer de délégation ; mais le Conseil fédéral américain, dans une adresse spéciale destinée au Congrès, a donné son adhésion à l’ordre du jour et exprimé son opinion sur les diverses questions à discuter[53].

À l’égard de la France, la plus grande réserve nous est commandée. Nous n’en parlerons qu’après le Congrès.

La Fédération jurassienne, enfin, aura probablement huit délégués. La Section de Porrentruy, l’Union des Sections du district de Courtelary, la Section de la Chaux-de-Fonds, la fédération locale du Locle, la Section de Neuchâtel, et, pensons-nous, les deux Sections de Genève, se feront représenter chacune par un délégué spécial. Les autres Sections de la Fédération seront représentées par un membre du Comité fédéral, qui a reçu mandat à cet effet de la Fédération entière[54].

Nous souhaitons que les délégués, pénétrés du sentiment de la grave responsabilité qui leur incombe, fassent à Genève un travail sérieux, et que ce Congrès puisse effacer à jamais les tristes souvenirs de celui de la Haye.




  1. Voir plus haut p. 58.
  2. Le Congrès de Neuchâtel du 27 avril, dont Engels ne connaissait pas encore les décisions.
  3. Je ne connais cette résolution du 30 mai que par le pamphlet L’Alliance, etc., qui en donne le texte (p. 56), en la présentant, naturellement, comme un acte proprio motu des dociles pantins de New York.
  4. Le Congrès de la Haye.
  5. Par le choix de cette expression d’« assemblée », le Conseil général s’est figuré sans doute avoir enlevé toute valeur au Congrès de la Fédération anglaise du 26 janvier.
  6. La Fédération jurassienne n’est pas mentionnée, soit que le Conseil général ne connût pas encore les résolutions du Congrès de Neuchâtel, soit qu’il n’y eût pas trouvé les « motifs suffisants » dont avait parlé Engels, soit encore qu’il jugeât préférable de s’en tenir, jusqu’au Congrès général, à l’ukase de « suspension ».
  7. Voir ci-dessus p. 58.
  8. Engels ne l’apprit que par la lecture du journal l’Internationale, de Bruxelles. Il ne lisait pas notre Bulletin : on s’était fait, dans l’entourage de Marx, un point d’honneur de ne pas s’y abonner.
  9. Escroquerie est en français dans le texte. Sorge a ajouté lui-même ici une note explicative ainsi conçue : « Escroquerie, une action déloyale (betrügerische Handlung), une filouterie (Schwindel) commise par Bakounine, mais à laquelle, par égard pour des tiers, il avait été fait simplement allusion, sans rien préciser ».
  10. On voit qu’Engels, passé maître en charlatanisme, jugeait les autres à son aune.
  11. Bulletin du 15 mars 1873.
  12. Le mouvement était dirigé par un membre de la Commission espagnole de correspondance, Severino Albarracin.
  13. La Solidarité révolutionnaire de Barcelone, 16 juillet 1873. — Sur le journal de langue française la Solidarité révolutionnaire, voir plus loin, p. 90.
  14. À San Lucar, « le peuple, composé presque entièrement d’internationaux, avait dissous le Conseil de ville, et chargé de l’administration municipale le Conseil local de la fédération. Diverses mesures révolutionnaires furent prise, comme la démolition des églises et des couvents, un impôt de 25,000 duros (125,000 fr.) sur la bourgeoisie, et l’obligation pour celle-ci de donner du travail aux ouvriers inoccupés ». (Rapport de la Commission espagnole de correspondance au Congrès général de Genève, 1873.) Notre Bulletin du 24 août dit : « La ville de San Lucar de Barrameda, la seule, avec Alcoy, où l’Internationale ait agi pour son propre compte, a été occupée par l’armée de l’ordre. La Federacion annonce que cent cinquante internationaux ont été emprisonnés. »
  15. Mot du général Pavia rendant hommage aux défenseurs de Séville.
  16. Engels écrivait à Sorge, le 14 juin : « Les Portugais [c’est-à-dire ses affidés en Portugal] se plaignent de ne recevoir absolument rien de vous ; et pourtant ils sont très, très importants pour nous ».
  17. Bakounine, on le voit, ne comptait pas Lefrançais ni Malon au nombre de ses amis ; il ne connaissait pas les proscrits qui formaient la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève.
  18. Bastelica finit en effet par se laisser entraîner à faire cause commune avec Richard et Blanc ; mais je crois que la nouvelle que donnait ici Bakounine était un peu prématurée, et que ce fut seulement quelques mois plus tard, dans l’été de 1873, que Bastelica fit adhésion ouvertement à l’entreprise d’Albert Richard. En tous cas, il ne se trouvait pas à Milan en janvier 1873. Lorsque l’imprimerie G. Guillaume fils fut devenue, au commencement de 1873, l’imprimerie L.-A. Borel, Bastelica continua d’y travailler comme typographe pendant environ deux ans encore ; il se rendit ensuite à Strasbourg, puis à Paris, où il est mort dans l’obscurité, vers 1880, m’a-t-on dit. Naturellement, dès que je sus la nouvelle attitude prise par Bastelica, je cessai toute relation avec lui. — Du rôle joué dans cette affaire par le Marseillais Pollio, je ne sais rien.
  19. Lettre publiée par Nettlau, p. 759 et note 2768.
  20. Engels écrivait à Sorge (26 juillet 1873) : « Jung, Hales, Mottershead sont fichus (kaputt), ainsi que leur prétendue Internationale ».
  21. L’éditeur des lettres a remplacé ici par des points quelque gros mot qui lui aura paru dépasser les bornes de ce qui est toléré par l’usage allemand.
  22. Neumayer avait été délégué au Congrès de Bâle.
  23. Pour ce choix, on ne me consulta pas ; il en résulta qu’on m’attribua par erreur la paternité de deux articles du Progrès, l’un du 4 septembre 1869 (sans titre, qui est de Joukovsky, l’autre du 12 mars 1870 (L’État), qui est de Schwitzguébel.
  24. Voir t. Ier, p. 76.
  25. J’emprunte ce qui suit à une communication reçue de Ross en février 1908 : « La seconde moitié du volume Gosoudarstvennost i Anarkhia a été imprimée à Genève, de septembre à novembre 1873 ; les caractères russes employés appartenaient au Polonais Jilk. Pour cette seconde partie, j’ai remanié un peu le manuscrit de Bakounine, en supprimant quelques longueurs ou répétitions. » Dans un des appendices de ce livre (Appendice A), Bakounine, examinant ce que doit faire la jeunesse russe, lui conseille d’aller dans le peuple (idti v narod) : « Dans cette situation, — dit-il, — que doit faire notre prolétariat intellectuel, la jeunesse socialiste révolutionnaire honnête, loyale, dévouée à toute extrémité ? Elle doit, sans aucun doute, aller dans le peuple, parce que partout maintenant, mais surtout en Russie, en dehors du peuple, en dehors des nombreux millions des masses travailleuses, il n’existe ni vie, ni cause, ni avenir. Mais comment et dans quel but aller dans le peuple ?... Le peuple doit voir la jeunesse au milieu de lui, partageant sa vie, sa misère, sa révolte. La jeunesse doit être là non comme spectateur, mais comme acteur et comme initiateur prêt à risquer sans cesse son existence dans tous les mouvements et soulèvements populaires, si petits qu’ils soient. » Bakounine avait donné à la jeunesse le même conseil dès 1868, dans le premier numéro de Narodnoé Diélo, et en 1869 dans sa brochure Quelques paroles à mes jeunes frères en Russie (Genève, mai 1869).
  26. Ce Mémoire, écrit en français, fut — comme il sera expliqué au chap. VIII — envoyé (de Splügen) par l’auteur à son jeune ami Emilio Bellerio ; celui-ci, d’après les indications placées en tête, devait en donner communication à Cafiero, et ensuite à Mme Bakounine (qui à ce moment se trouvait à la Baronata) ; après quoi, ajoutait Bakounine, le Mémoire devait être détruit, « parce qu’il contient des faits politiques qui ne doivent jamais sortir du cercle des plus intimes ». En septembre 1874, Cafiero me confia la garde de ce document, et j’obéis plus tard aux intentions de l’auteur en le brûlant (1898). Mais, à l’insu de Cafiero, Bellerio, avant de lui remettre le Mémoire, en avait pris une copie, qu’il donna à Bakounine, sur sa demande, en octobre 1874 ; cette copie a été retrouvée à Naples en 1899 par Nettlau, qui en a inséré le contenu, par citations détachées, dans sa biographie de Bakounine. Nettlau ayant livré à la publicité le Mémoire justificatif, je pense avoir le droit d’en imprimer ici des extraits.
  27. Comme on le verra au chapitre VIII, aussitôt que Cafiero lui eut parlé de l’achat d’une villa, Bakounine forma le projet de faire revenir sa femme auprès de lui ; et cette idée fut même la raison déterminante qui lui fit accepter l’offre généreuse de son ami (il le dit dans un passage du Mémoire justificatif). Par l’expression « toute ma famille », Bakounine désigne les parents de sa femme, qui devaient accompagner celle-ci.
  28. Cafiero, comme on l’a vu, s’était rendu à Barletta pour réaliser sa fortune, aussitôt après sa sortie de la prison de Bologne.
  29. Ce « jeune ami » était Errico Malatesta, qui fut en effet emprisonné le lendemain de son arrivée à Barletta (dernière quinzaine de juillet 1873). Il resta incarcéré six mois, et fut remis en liberté en janvier 1874, sans avoir passé en jugement.
  30. Bakounine m’écrivit, à ce moment, pour me dire qu’il était extrêmement désolé de ne pouvoir se rendre en Espagne, faute d’argent. Je n’étais nullement persuadé que sa présence pût être d’une utilité réelle dans la Péninsule ; mais, puisqu’il tenait si vivement à y aller, il me sembla qu’il fallait tout tenter pour lui en fournir les moyens. Je lui annonçai donc que, grâce à une combinaison que je lui expliquais, il me serait possible d’emprunter quinze cent francs, que je mettais à sa disposition. Il me répondit que la somme était insuffisante. Je n’insistai pas, estimant que je n’avais pas d’avis à émettre dans la question.
  31. C’est le lundi 27 juillet 1874 que Bakounine, brouillé avec Cafiero, comme on le verra au chap. VIII, quitta la Baronata.
  32. Remigio Chiesa était un ami tessinois : voir t. II, pages 252 et 254.
  33. Sur le pharmacien Gavirati, voir t. II, pages 132 et 252.
  34. Plus tard, au printemps de 1874, en l’absence de Cafiero (alors en Russie), pour agrandir la Baronata, Bakounine devait acheter encore la propriété Romerio, qui était contiguë et dans laquelle se trouvait un bois.
  35. « De l’écurie ».
  36. Ici le copiste a oublié trois ou quatre mots, qu’il faut suppléer. Ces mots, devaient être : « aurait des suites fâcheuses », ou quelque chose de semblable.
  37. Le médecin russe Jacoby était le beau-frère de Zaytsef ; après avoir précédemment habité Turin, il séjournait à Locarno avec sa famille, depuis le commencement de 1873, je crois.
  38. Ne pas oublier que ceci a été écrit dans un moment de colère. Comme on le verra quand on aura lu le détail de toute cette lamentable histoire, Cafiero n’a pêché que par excès de générosité, de laisser-aller et d’imprévoyance.
  39. Le terrain de la Baronata s’étendait sur une pente, et la partie supérieure de la propriété, où on construisit la maison neuve, était séparée de la partie inférieure par une espèce de falaise.
  40. « Ostroga » était le nom sous lequel Mroczkowski — à ce moment en visite à Locarno — vivait à Menton, où il exerçait la profession de photographe.
  41. C’est au mois de juin 1874 que Cafiero fit un voyage en Russie (dont il sera parlé au chapitre VIII. Il en revint au commencement de juillet 1874.
  42. Bakounine — pour des raisons qui m’échappent — crut devoir ne pas confier non plus à sa femme ce qui s’était passé entre Cafiero et lui. Il la laissa se figurer qu’il était devenu riche, qu’il était enfin entré en possession de l’héritage paternel ; elle ignora — jusqu’au 6 août 1874 — que le véritable propriétaire de la Baronata était Cafiero.
  43. Bakounine avait quitté depuis peu de temps l’Albergo del Gallo, et habitait dans la même maison que B. Zaytsef.
  44. C’est une erreur : les autorités suisses expulsent aussi bien, les étrangers propriétaires que les autres, lorsqu’un gouvernement en fait la demande.
  45. Le format du Bulletin, lors de sa création en février 1872, et jusqu’à la fin de juin 1873, avait été de 0m, 21 X 0m, 27 ; de juillet 1873 à décembre 1874. il fut de 0m, 22 X 0m, 30. Un troisième agrandissement, en 1875, le porta à 0m,25,5 X 0m, 35.
  46. À cette époque, la plupart des feuilles politiques locales, dans la Suisse française, ne paraissaient qu’une ou deux fois par semaine, rarement trois.
  47. Cette Section venait de créer un organe spécial de propagande locale, appelé le Travail. Il n’eut que quatre numéros.
  48. C’est le groupe dont il a été parlé p. 68.
  49. Elle en envoya deux.
  50. Il y en eut cinq.
  51. Il vint en effet seulement cinq délégués espagnols (sur dix élus) : c’était plus qu’à tous les Congrès précédents.
  52. Trois des délégués italiens ne purent se rendre au Congrès (l’un d’eux, parce qu’il avait été emprisonné) : il en vint quatre.
  53. La Fédération américaine, à défaut d’un délégué, fit un envoi de fonds, afin de prendre sa part des frais occasionnés par le Congrès.
  54. La Section de Porrentruy et celle de la Chaux-de-Fonds, contrairement aux prévisions, n’envoyèrent pas de délégué spécial, et se firent représenter par le délégué collectif de la Fédération jurassienne.