L’émancipation de la femme (Daubié)/03

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TROISIÈME LIVRAISON


CARRIÈRES PROFESSIONNELLES POUR LES FEMMES


La condition de la femme, dans notre ordre économique et moral, appelle une réforme urgente ; son oppression, on ne saurait le nier, en déracinant des cœurs tout vestige de devoir individuel et public, a engendré, avec la fureur des jouissances abjectes, le mépris de la famille, de l’humanité et de l’ordre universel dont notre société se meurt.

Au moment où le pays prenait possession de lui-même, ce mal immense devait attirer l’attention des hommes de progrès ; aussi, voyant dans l’éducation des femmes le principe de leur réhabilitation, ont-ils tout d’abord fait des efforts nobles et généreux pour réagir contre l’ignorance et la misère des filles du peuple. Leur sollicitude emprunte un caractère tout particulier à la solennité de l’heure. C’est quand la voix brutale du canon dominait ou étouffait toute voix libre ; c’est lorsque les nécessités de la défense nationale contraignaient de déchirer le livre pour amorcer les armes à feu, que la ville de Paris songeait à affirmer les droits de la femme au même développement intellectuel que l’homme[1]. Quand la mitraille vomissait ses éclats meurtriers sur les écoles, les foyers et les berceaux, un ministre philosophe et citoyen préludait aux réformes générales que son nom nous promet, que son caractère nous assure, en créant une école normale d’institutrices et en fondant des bourses d’enseignement secondaire pour les jeunes filles[2].

Dans cette heure de détresse suprême il osait accomplir l’œuvre négligée pendant vingt ans de paix par un pouvoir qui dilapidait les milliards au profit d’une fastueuse et énervante corruption.

Puissent ces germes de réhabilitation, semés d’une main si ferme, au milieu de nos plus désastreuses tourmentes, nous promettre une moisson assez féconde pour nous consoler des tristesses et des angoisses inexprimables du jour ; puissent ne pas périr les énergiques efforts de pouvoirs régénérateurs puisse leur œuvre de reconstruction se poursuivre, se compléter et vivre ainsi dans la mémoire reconnaissante des âges futurs !

L’examen des lois constitutives de tout ordre social fait comprendre que le salut de la justice et de l’honneur, et, par conséquent, le salut de la France, repose sur l’unité de principes moraux, le développement des intelligences et le libre choix des carrières d’où résulte l’harmonie dans la famille, dans la cité et dans l’État. Pour arriver à fonder le droit public sur des assises inébranlables, il faut donc partir de l’éducation de l’enfant et de l’adulte, cultiver les facultés physiques, intellectuelles et morales de l’individu, afin que le citoyen soit à même de connaître ses droits et de remplir ses devoirs sociaux ; que le producteur, après avoir développé ses talents natifs, puisse se rendre apte à exercer les industries et à remplir les fonctions auxquelles ses études et sa vocation l’appellent. Considérée à ce point de vue, la diffusion de l’enseignement est un devoir de justice pour les chefs de toute nation libre, qui aspirent à rendre réelle l’égalité théorique, et malheureusement vaine, dont nos lois font la proclamation. C’est pourquoi, de l’examen des branches diverses d’enseignement général et spécial qu’il faut ouvrir à la femme, nous déduirons ses droits à l’exercice de toutes les carrières où ses aptitudes la poussent. À cette question se rattachent les réformes à introduire dans l’instruction primaire, secondaire, supérieure et professionnelle, pour que tous obtiennent une rétribution légitime, fondée, sans acception de naissance ni de sexe, sur la nature et la valeur du service rendu.




ENSEIGNEMENT PRIMAIRE


Lorsque l’insuffisance déplorable de l’instruction des filles attire l’attention du législateur, il cherche d’ordinaire à y remédier en leur ouvrant des écoles. Mais le mal subsiste quand même, parce qu’il provient de l’incapacité des institutrices, souvent surchargées de travail, presque toujours dépourvues de diplômes ou de méthode pédagogique, et de l’incurie ou de la pauvreté des parents qui n’envoient leurs enfants à l’école qu’un temps très-court.

La plupart des institutrices, on ne saurait le nier, sont si impropres à leur tâche qu’après avoir donné les notions élémentaires de la lecture, de l’écriture et du calcul, elles laissent végéter les enfants d’une intelligence même exceptionnelle, sans leur communiquer de connaissances plus étendues. Ainsi, dans nos bourgs, nos chefs-lieux de canton, certaines jeunes filles, de la classe aisée, qui ont fréquenté toute leur vie les écoles, en sortent à seize et à dix-sept ans, sans avoir appris l’orthographe la plus usuelle. Au lieu de leur faire connaître les règles de la langue par des applications fréquentes et raisonnées, on a mis sous leurs yeux des cacographies, des locutions vicieuses ; on s’est borné à un système exclusif d’éternelles dictée, dont la correction hâtive n’a laissé aucune trace dans leur esprit. Par des récitations arides et incomprises, on a surchargé leur mémoire au détriment de leur intelligence. Ainsi, après avoir passé leur enfance et leur adolescence dans l’atmosphère épaisse de l’école, les élèves en sortent d’ordinaire avec l’horreur de l’étude ; avec tous les préjugés d’une ignorance déplorable, sans avoir l’esprit ouvert sur aucune question ; sans prendre intérêt à aucune lecture, ayant, pour ainsi dire, désappris leur langue maternelle.

Le travail excessif des instituteurs contribue aussi à retarder les progrès des élèves ; si, dans les communes rurales peu populeuses, les écoles sont trop vastes et les maîtres trop nombreux pour la population scolaire, d’autres communes au contraire réunissent dans une seule salle d’étude trop d’élèves pour un seul maître ; malgré la capacité et le zèle de celui-ci, les anciens élèves, sacrifiés aux exigences des notions élémentaires à donner aux nouveau-venus, ne font aucun progrès dans la prison où on les séquestre. La création d’asiles dans certaines communes, d’écoles primaires supérieures dans d’autres, en classant les intelligences, hausserait le niveau de l’enseignement primaire ; si toutefois les élèves n’étaient admis à l’école de second degré qu’après un examen constatant qu’ils peuvent en suivre les cours avec fruit.

Même lorsque des difficultés matérielles s’opposent à la séparation des écoles, on obtiendrait de bons résultats en perfectionnant les programmes et les méthodes.

Le programme des écoles primaires, trop souvent scindé, doit former un tout gradué sur le temps et l’assiduité que l’enfant donne à l’école et sur les prévisions qui l’y enlèvent prématurément. Ainsi chaque cours présentera, à différents degrés, un certain nombre de connaissances essentielles, dont la division sera méthodiquement faite, comme dans l’enseignement secondaire, où un enfant ne quitte une classe qu’après avoir acquis les notions exigées dans la classe précédente. Il faut donc limiter assez le nombre des élèves pour que le maître puisse se rendre compte des progrès de chacun par des examens périodiques sur toutes les parties du programme. Il faut exiger surtout une grande assiduité aux leçons, faire une classe particulière, des répétitions spéciales pour les nouveau-venus et proportionner le personnel des maîtres à celui de la population scolaire.

Pour atteindre ce but, il n’est pas même nécessaire de déterminer à priori le nombre des écoles à ouvrir dans une localité, attendu que la capacité plus ou moins vaste des salles permet de recevoir un plus ou moins grand nombre d’enfants et de maîtres. Quand on aura déclaré que tout enfant ayant droit à l’enseignement, tout tuteur a le devoir de l’envoyer à l’école, et toute commune celui de l’y recevoir, les convenances et les nécessités locales régleront ensuite mille autres questions de détail, auxquelles notre niveau centralisateur a été jusqu’à présent si funeste.

Quoique l’application des programmes ne doive point paralyser l’initiative des institutrices, l’inspectrice pourrait s’assurer, en questionnant les élèves, que leur classement méthodique et progressif a été fait avec toute l’impartialité possible.

Si borné et si court que soit alors le temps de la fréquentation de l’école primaire, il faudra l’employer à entretenir l’activité d’esprit des élèves et à leur apprendre à s’instruire par elles-mêmes. L’institutrice intelligente, se gardant d’exiger des récitations littérales et inconscientes de narrations ou de faits incompris, cherchera à former le jugement des enfants en leur faisant définir les mots qu’ils emploient, répéter la leçon en d’autres termes, expliquer leurs lectures, en prendre des notes, en faire des résumés, mettre en prose quelques morceaux choisis de vers, etc. L’habitude de se servir du dictionnaire, de la table d’un livre, de suivre les indications d’une carte, d’un plan, d’un dessin, en un mot de ne confier à la mémoire que les faits que l’intelligence se sera assimilés par ce travail personnel, apprendra aux élèves à remonter aux causes, en se demandant le pourquoi des choses. Les devoirs oraux donneraient aussi la facilité d’élocution et laisseraient une part plus grande à l’activité de l’élève, surtout si l’on introduisait dans les écoles, comme dans les asiles, la leçon de choses, ou méthode concrète, qui parlerait à la fois aux yeux et aux oreilles, au moyen de collections propres à donner le goût de l’observation et de l’étude ; ces collections, placées dans les salles de mairie, pourraient être laissées aussi les dimanches et les jours fériés à la disposition des adultes des deux sexes. La bibliothèque scolaire et communale deviendrait alors le complément du matériel d’école. Si les livres manquent dans nos campagnes, il faut regretter que les lecteurs y soient plus rares encore ; des lectures expliquées dans les écoles d’adultes ; une analyse faite par l’élève des livres lus à domicile ; l’étude des passages les plus remarquables, etc., pourraient seuls inspirer aux campagnards le goût pour les plaisirs de l’esprit.

Ainsi l’accroissement du savoir et de la moralité arracherait les masses à ces habitudes grossières et funestes que les ignorants contractent parce que, dans leurs moments de repos, ne sachant se soustraire à l’ennui par des idées, ils y échappent par des sensations.

La plupart des communes qui ont l’enseignement spécial font une seule distribution de prix chaque année pour les élèves des deux sexes ; au moyen de cette fête des écoles, il serait facile de stimuler maîtres et instituteurs, en établissant des concours généraux entre les écoles de garçons et celles de filles, et en laissant les compositions écrites sous le contrôle des inspecteurs. Cette responsabilité, qui résulte de la publicité, deviendrait un puissant moyen de progrès et préviendrait la partialité dans la distribution de récompenses qui doivent être décernées au mérite. Si une école se trouvait assez faible pour ne mériter aucun prix, il y aurait là une leçon trop sévère pour que l’enseignement des femmes n’en tire pas profit dans les communes où il est livré à des mains inhabiles.

Inutile d’ajouter que la réforme des mauvais procédés pédagogiques et des méthodes défectueuses, réclame tout d’abord une bonne direction pour les aspirantes institutrices, et, par conséquent, la création d’écoles normales auxquelles je consacrerai une partie de cette étude.



LE VOTE DES FEMMES EN ANGLETERRE[3].


DISCOURS DE M. LE PROFESSEUR CAIRNES


Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs,


Après le discours de M. J. Stuart-Mill, ma tâche heureusement devient facile. Une particularité du mouvement actuel, c’est que, bien qu’il soit politique, son but principal et, en tout cas, ses résultats les plus importants sont plutôt moraux et sociaux que politiques. Je suis loin de dénier que les franchises électorales des femmes ne puissent donner d’importants résultats législatifs ; mais je pense que nous ne rendrions pas justice à notre cause si nous permettions que la plupart des arguments employés en sa faveur eussent en vue cette classe de considérations ; les considérations vraiment importantes sur ce sujet, celles qui déterminent en réalité un peuple réfléchi, soit qu’il veuille appuyer ce mouvement ou s’y opposer, ce n’est pas l’attente de résultats politiques, salutaires ou non ce sont des prévisions comme celles de l’effet probable que l’extension du suffrage aux femmes aurait sur leur caractère personnel, et, par ce caractère, sur les attributions diverses de la vie où elles ont une si grande influence. On vous a dit que la tendance de cette politique est de développer parmi les femmes un sentiment plus puissant de devoir public et de responsabilité relativement aux intérêts moraux les plus élevés de la société. C’est, ce me semble, précisément une de ces vérités qu’on peut regarder comme brillant par sa propre lumière ; il n’est pas pour moi de principe moral plus clair que l’alliance de la responsabilité et du pouvoir, et que l’impossibilité absolue d’éveiller le sentiment de la responsabilité, si l’on ne produit celui de la conscience et du droit…

… En conséquence, le sentiment de l’obligation morale ne peut naître qu’avec la conscience de l’affranchissement…

Les droits que nous réclamons pour les femmes, directement liés aux principes les plus fondamentaux de la morale, dérivent immédiatement de ses axiomes primitifs ; il est donc impossible de défendre ces droits, ou d’argumenter en leur faveur, sans faire un appel constant aux notions de morale les plus simples et les plus élémentaires. On me dira peut-être que ces généralités ne sont pas néanmoins confirmées par les faits, et l’on me rappellera sans doute le nombre des femmes qui, bien que privées de leurs franchises, ont montré avec une éclatante évidence que leur intérêt aux affaires politiques est grand, ainsi que leur compétence pour la discussion des problèmes politiques et moraux les plus importants et les plus ardus…

… Je maintiens que ce fait, tel qu’il existe, loin de combattre le principe, le confirme au contraire avec l’évidence la plus décisive, car si nous nous demandons quelles sont les femmes qui ont montré ce vif intérêt pour les affaires politiques, nous voyons que ce sont précisément celles qui ont trouvé moyen d’y exercer de l’influence ; celles qui à un très-haut degré sont indépendantes du suffrage, en raison de qualités et de talents exceptionnels qui les rendent capables de faire connaître leurs opinions en dehors de la faculté du vote ; je dis que ce fait, loin de combattre la cause que je soutiens, fournit au contraire un argument important en faveur de l’extension du suffrage aux femmes, pour qu’il éveille chez le grand nombre, par des moyens analogues, le même sentiment vigoureux de devoir public et le même honorable désir de progrès social manifesté déjà par le petit nombre de femmes distinguées qui ont ce but louable. Sans insister sur ce sujet… je vais résumer brièvement un autre aspect de la vérité contenue dans notre motion. Je faisais remarquer tout à l’heure, comme trait caractéristique de cette agitation, que son principal objet avait plutôt un caractère indirect que direct, c’est-à-dire qu’il était uni à son action sur le caractère des femmes et, par les femmes, sur la société tout entière. Je suis d’autant plus désireux d’insister ici sur ce point qu’il me semble qu’on a tiré de cette considération quelques-uns des arguments les plus plausibles qu’on nous ait opposés. J’ai lu dans une critique de nos tentatives que les femmes n’occupent pas la sphère très-étendue d’activité qui leur est ouverte ; rien, par exemple, ne les empêche d’entrer dans tous les emplois commerciaux et industriels ; en littérature elles ont fait leurs preuves ; elles peuvent prendre carrière dans le journalisme et la médecine ; mais, dit-on, à de rares exceptions près, elles n’ont pas profité de ces avantages ; pourquoi, ajoute-t-on, au lieu de parler, ne descendent-elles pas dans l’arène pour agir ? D’après ces raisonneurs, leur inaction est une preuve concluante qu’elles ne se sentent point propres à ces occupations, et l’on nous rappelle tout ce que pourrait faire une seule femme qui se mettrait à résoudre le problème de l’initiative individuelle en usant des moyens qu’elle a à sa disposition. Pour réfuter cet argument je dois dire d’abord que si cette cause n’a pas triomphé déjà, ce n’est point par manque de femmes prêtes à descendre dans l’arène qui leur était ouverte et à diriger leur route dans une des voies qui leur sont fermées… L’insuccès, dis-je, ne tient pas au manque de femmes de cette trempe. Mais, reprend-on, elles sont en si petit nombre. Bien certainement elles ne sont pas très-nombreuses ; on m’accordera que tout le sexe féminin n’est pas composé d’héroïnes ; si elles étaient des héroïnes, elles auraient probablement moins besoin des efforts que nous faisons maintenant pour elles ; mais l’héroïsme leur manque, et nous savons parfaitement qu’il y a beaucoup de choses que les femmes feraient si elles en avaient le courage et qu’elles ne font pas. Qui donc les retient ? Je pense trouver la réponse dans l’objection même. On nous parle de femmes obligées de déployer une énergie extraordinaire pour apprendre un gagne-pain honnête. Quoi donc ? Nous ne regardons pas comme un héros un homme qui aspire à devenir négociant ou docteur ; pourquoi formerions-nous un jugement différent à l’égard d’une femme ? Naturellement la réponse est très-évidente ; toutefois il n’y a pas de lois prohibitives dans les cas cités, mais c’est l’opinion publique qui repousse la femme ; l’opinion publique qui prononce qu’il lui sied mal de s’engager dans quelque occupation en dehors d’un certain rang de conventions étroites. Nous désirons éloigner ces obstacles de la voie des femmes ; nous voulons dompter cette opinion publique et en établir une meilleure sous laquelle non seulement quelques héroïnes isolées, mais les femmes d’une capacité ordinaire et d’un caractère commun ne puissent être détournées par qui que ce soit d’employer leurs facultés dans n’importe quelle voie et quelle carrière elles trouveront plus utile au public et plus profitable et satisfaisante pour elles-mêmes. C’est, il me semble, une justification suffisante de notre présence dans cette assemblée, car nous pensons que le meilleur moyen d’atteindre à ce but c’est d’étendre les droits politiques de la femme ; reconnaissons une bonne fois que les femmes ont des devoirs publics et privés envers l’État ; qu’elles ont à l’égard de la société des dettes comme à l’égard de leurs familles et d’elles-mêmes ; que la vie leur est ouverte pour leur bonheur comme elle l’est aux hommes ; admettons complétement cette vérité, et un changement radical dans toute leur éducation et tout leur genre de vie en résultera. Nous produirons ainsi les conditions dans lesquelles seules il est possible d’expérimenter loyalement la capacité des femmes pour la vie commerciale et professionnelle. Je ne vois pas qu’il nous soit nécessaire de nous enquérir du résultat de cette expérience ; il suffit qu’on doive la faire ; nous désirons qu’on la fasse, et nous pensons qu’on ne peut la faire d’une manière bonne et efficace sans que le mouvement dont nous sommes ici les promoteurs soit couronné de succès.




LE SUFFRAGE DES FEMMES EN FRANCE


Si les mœurs anglaises devançant la loi sont parvenues à la faire réformer, la loi est du moins en France assez libérale pour contraindre la pratique de la liberté des mœurs corrompues par un long absolutisme. Donnons-en pour témoignage irrécusable la déclaration suivante qui, écrite, à l’avènement de la République, à un Maire de Paris, n’a remarquons-le, rencontré aucune opposition.


« Paris, 28 septembre 1870.
Monsieur le Maire,

Les États-Unis, l’Angleterre, etc., pour admettre les femmes au vote, doivent réformer des lois applicables aux hommes seuls. Grâce à l’égalité civile, proclamée en 1789, le texte de nos lois s’applique, sans acception de sexe, à tous les Français, Les veuves et les filles majeures en particulier, acquittant l’impôt comme Français, peuvent se prévaloir de ce titre pour se faire inscrire sur les registres électoraux.

Leur abstention, motivée autrefois par l’irresponsabilité des fonctionnaires publics, n’a plus aujourd’hui de raison d’être.

J’ai donc l’honneur, Monsieur le Maire, de vous annoncer mon intention de me faire inscrire sur les registres électoraux de votre arrondissement que j’habite et de vous prier d’accueillir favorablement ma déclaration.

À l’appui de cette initiative, je prends la liberté de vous rappeler que notre dernier pouvoir même a fait une interprétation libérale de la loi pour les diplômes d’enseignement secondaire et supérieur délivrés en 1861 la première fois aux femmes, quoiqu’il y eût contre leurs droits une longue prescription qui n’existe point dans le cas actuel.

Jamais non plus les femmes n’ont été exclues du droit de pétition acquis à tous les citoyens français. À plus forte raison avons-nous lieu d’espérer que les fonctionnaires responsables de tout gouvernement libre, feront droit ici à notre réclamation.

Vous me permettrez donc, Monsieur le Maire, de considérer votre silence comme une adhésion. Dans le cas seulement d’une opposition que, jusqu’à preuve contraire, je voudrais croire improbable, si ce n’est impossible, je vous prierais de me dire sur quel texte législatif elle s’appuie et surtout de quelle autorité elle émane. »



  1. Commission pour l’enseignement des femmes, à Paris (Voir le Rapport de Mme Coignet.)
  2. Circulaire aux recteurs, 1870.
  3. Rapport d’un meeting tenu à Londres par la Société nationale pour le suffrage des femmes.