Méditations/VIII

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Mercure de France (p. 30-32).

VIII


Balaam dit à l’ange de Jéhovah : « J’ai péché, car je ne savais pas que tu te tenais devant mois sur le chemin. »
Nombres, c. xxii, 34.


Un poète allant à la chasse rencontra une pauvresse qui béquillait précédée d’un petit chien avenant. Vieille, elle n’avançait que peu à peu, entre ses deux croix qu’elle portait plus qu’elles ne la soutenaient. Le poète prit dans son carnier du pain et de la viande qu’il lui donna. Tandis qu’il faisait cette aumône, il ressentit qu’en échange il recevait de la mendiante une invisible charité. Elle lui dit des mots qu’il ne peut répéter, car :

Cosi la neve al sol se disigilla
Cosi al vento nelle foglie lievi
Se perdea la sentenzia di Sibilla.

Dante, Il Paradisio, c. xxxiii, 22.

Puis il alla courir les bois. Comme il revenait, à l’angélus de midi, il retrouva cette femme sur un talus et rapiéçant des hardes, À nouveau elle parla au poète. Ses ciseaux luisaient.

Quelques mois après, le poète étant malade et alité, on vint lui dire qu’une pauvresse était passée avec un petit chien qu’elle avait fait s’agenouiller devant la porte.

Seul le cœur, mais sans qu’il en sache rien expliquer, communie avec une telle rencontre. Cette fée de Dieu apparut au poète en un jour d’espoir suivi de quatre années pénibles. Et elle lui réapparut dans l’intervalle, mais en songe, mettant dans son cabas ce qui menaçait d’anéantir un souhait d’amour. Dans quel but fit-elle ce geste grave ?

Le souhait du poète n’a pas été exaucé, et ce n’est point que cette sainte ne disposât d’une prière assez puissante pour toucher Dieu. Mais, je pense, elle se servit de cette oraison, dans sa sagesse, afin de conjurer un bonheur qu’elle envisageait comme un futur désastre. Nul doute qu’en cette matinée où le chasseur rencontra elle et son chien, il n’ait croisé sur la route i’ânesse de Balaam qui, docile à la voix de l’Ange plus qu’au bâton de son maître, refusa d’aller vers Balac, roi de Moab.