Mélanges/Tome I/110

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imprimerie de la Vérité (Ip. 362-364).

APLATISSEMENT


17 décembre 1881


On se le rappelle, le Chronicle lança, le 16 novembre dernier, un article fort violent contre M. Sénécal et l’honorable M. Chapleau. Le 19 du même mois, cette feuille publiait une rétractation partielle de son premier écrit, disant que le rédacteur responsable n’avait pas eu connaissance de l’article dit 16.

M. Sénécal ne trouvant pas la reculade de M. Foote suffisante, institua une poursuite criminelle contre le propriétaire du Chronicle. M. Foote fut arrêté et dut donner caution de comparaître devant dame Justice, à Montréal, le 5 de ce mois.

Après l’arrestation, le propriétaire du Chronicle jeta feu et flammes contre le surintendant du chemin de fer du Nord ; il fit un grand tapage au sujet de la liberté de la presse, posant en martyr et remplissant les colonnes de sa gazette d’articles flamboyants imprimés en caractères d’affiche.

Il alla plus loin : il déclara solennellement que l’affaire Sénécal-Foote était la seule question importante sur laquelle les électeurs eussent à se prononcer : que M. Sénécal avait l’administration de treize millions du peuple ; qu’il voulait bâillonner la presse, mais qu’il ne ferait pas peur à M. John Jackman Foote. Oh ! que non !

M. John Jackman Foote alla plus loin encore : il se permit, un beau matin, de faire appel aux préjugés de messieurs les Anglais.

Enfin, le 5 décembre arrive, jour à jamais mémorable. M. John Jackman Foote annonce, au monde dans sa gazette qu’il monte à Montréal. Il n’y va pas en criminel, mais en vengeur des libertés de la presse et des droits du peuple. Ma figure est illuminée, radieuse. Il va confondre à tout jamais M. L. A. Sénécal et lui arracher les treize millions du peuple.

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Le paragraphe qui précède représente fidèlement ce qui s’est passé entre M. John Jackman Foote, l’ange exterminateur, et M. Louis Adélard Sénécal, l’homme qui administre les treize millions du peuple.

Voici maintenant le fruit de cette entrevue, voici comment M. John Jackman Foote a exterminé M. Louis Adélard Sénécal. On lit en tête des colonnes du Chronicle du 7 décembre :


À propos des accusations portées contre M. Sénécal, dans un article du Chronicle du 16 novembre dernier, nous désirons répéter ce que nous avons publié dans le Chronicle du 19 du même mois, et de plus, dire que l’article qui contenait ces attaques contre M. Sénécal n’avait pas été vu par le rédacteur responsable, avant sa publication, et nous offrons des excuses pour ce qu’il renferme. Nous sommes persuadés qu’aucune des accusations portées contre M. Sénécal dans le procès Laurier n’a été prouvée, et, personnellement, nous n’avons aucun motif de douter de son honnêteté.


Autant il est honorable et digne de se rétracter honorablement et dignement, autant il est méprisable de faire ce que M. John Jackman Foote vient de faire.

Ou le rédacteur du Chronicle était sincère dans ses attaques contre M. Sénécal et dans ses protestations en faveur de la liberté de la presse, avec lesquelles il nous a fatigué les oreilles jusqu’à la veille des élections ; ou bien il n’était pas sincère.

S’il était sincère avant les élections, il devait l’être après, car dans l’intervalle du 1er au 7 décembre aucun événement ne s’est produit pour rendre la position de M. Sénécal meilleure. Et s’il était convaincu que l’administration de M. Sénécal constitue un danger pour le public il a commis une affreuse lâcheté en reculant devant un procès.

Si, d’un autre côté, il n’était pas sincère dans ses attaques, s’il n’a voulu qu’exploiter les préjugés de ses nationaux et, assouvir ses mesquines haines, il a commis un acte indigne, mais il aurait dû, au moins, avoir le courage d’aller jusqu’au bout et de subir son procès comme un homme.

Maintenant, M. Foote a-t-il réellement eu peur du procès dont il était menacé, ou s’est-il laissé « magnétiser » par M. Sénécal qui se vante d’être quelque peu sorcier ? L’avenir nous le dira. Si le Chronicle redevient l’organe du gouvernement, s’il reçoit faveurs et patronage comme ci-devant, on dira que M. Foote s’est vendu ; si non, on dira que ce monsieur a eu une grosse venette.

Dans tous les cas, et quoi qu’il arrive, une chose est certaine, c’est que le Chronicle a gagné un nouveau titre au mépris des honnêtes gens.