Mélanges/Tome I/67

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imprimerie de la Vérité (Ip. 208-209).

LA RÉFORME AGRICOLE


11 août 1881.


On parle beaucoup, depuis quelque temps, de réformer notre système d’agriculture. Certes, nous avons grand besoin d’améliorer sérieusement notre manière de cultiver la terre, si nous voulons que notre pays soit réellement prospère et que le fléau de l’émigration cesse.

Mais sous prétexte d’opérer des réformes, il faut bien se garder des projets extravagants, impraticables, et partant nuisibles : il faut fuir les utopies. On a parlé quelque part d’un projet de fermes modèles et entretenues aux frais du gouvernement provincial.

Ces fermes modèles officielles coûteraient très cher, et feraient peu de bien, croyons-nous.

Nos cultivateurs, voyant le gouvernement dépenser annuellement plusieurs milliers de piastres sur ces fermes, diraient tout simplement : Qu’on nous donne la même somme d’argent et nous ferons aussi bien, peut-être mieux encore.

Ce sont des préjugés, nous dira-t-on. Préjugés, peut-être, mais dans tous les cas, il faut en tenir compte si nous voulons produire quelque bien. Il est inutile de nous frapper la tête contre le mur ; nous nous briserons le crâne, bien sûrement, mais nous ne ferons pas bouger une seule pierre de la muraille.

Il y a pourtant un moyen bien simple d’obtenir des fermes modèles dans chaque paroisse, non des fermes coûteuses qui exciteraient le mécontentement et la jalousie des cultivateurs, mais des fermes qui leur seraient d’une grande utilité et qui leur serviraient de véritables modèles.

Il y a longtemps que nous aurions ces fermes modèles et pratiques, si on avait voulu écouter le Rév. M. Tassé.

Que l’on offre de temps en temps des prix à ceux qui cultivent de la manière la plus profitable, en ayant bien soin de choisir des juges intègres et compétents dont les jugements ne seront pas discutés. On pourrait commencer par quelques paroisses pour la première année jusqu’à ce que l’organisation soit complète, et dans cinq ou six ans généraliser ces concours et les étendre à tout le pays.

On dira peut-être que nos cultivateurs sont arriérés, qu’ils cultivent mal, et que ce serait une folie de songer à faire d’eux des fermiers modèles. Mais on ne pense pas à une chose, c’est que tout arriéré qu’il puisse être, le cultivateur le plus habile dans chaque paroisse peut servir de modèle à tous ceux qui font moins bien que lui.

Quand la concurrence aura incité les cultivateurs d’une paroisse à faire de leur mieux, si le juge est à la hauteur de sa mission, son verdict, donné publiquement et commenté par lui-même devant tous les cultivateurs, sera pour ces derniers la meilleure des leçons en agriculture. Quand le même juge reviendrait juger les concurrents de cette paroisse, après trois ou quatre ans, il constaterait certainement de grands progrès.

Ce concours ferait beaucoup plus de bien que les expositions de comté qui coûtent si cher et produisent si peu de résultats satisfaisants.