Mélanges d’histoire des religions/Essai sur la nature et la fonction du sacrifice

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ESSAI SUR LA NATURE ET LA FONCTION DU SACRIFICE

Nous nous sommes proposé dans ce travail de définir la nature et la fonction sociale du sacrifice. L’entreprise serait ambitieuse si elle n’avait été préparée par les recherches des Tylor, des Robertson Smith et des Frazer. Nous savons tout ce que nous leur devons. Mais d’autres études nous permettent de proposer une théorie différente de la leur et qui nous paraît plus compréhensive. Nous ne songeons pas d’ailleurs à la présenter autrement que comme une hypothèse provisoire : sur un sujet aussi vaste et aussi complexe, des informations nouvelles ne peuvent manquer de nous amener, dans l’avenir, à modifier nos idées actuelles. Mais, sous ces réserves expresses, nous avons pensé qu’il pourrait être utile de coordonner les faits dont nous disposons et d’en donner un exposé d’ensemble.

L’histoire des conceptions anciennes et populaires du sacrifice don, du sacrifice nourriture, du sacrifice contrat et l’étude des contre-coups qu’elles doivent avoir eu sur le rituel, ne nous arrêtera pas, quel qu’en puisse être l’intérêt. Les théories du sacrifice sont vieilles comme les religions ; mais, pour en trouver qui aient un caractère scientifique, il faut descendre jusqu’à ces dernières années. C’est à l’École anthropologique et surtout à ses représentants anglais que revient le mérite de les avoir élaborées.

Sous l’inspiration parallèle de Bastian, de Spencer et de Darwin, M. Tylor[1], comparant des faits empruntés à des races et à des civilisations différentes, imagina une genèse des formes du sacrifice. Le sacrifice, selon cet auteur, est originairement un don, que le sauvage fait à des êtres surnaturels qu’il lui faut s’attacher. Puis, quand les dieux grandirent et s’éloignèrent de l’homme, la nécessité de continuer à leur transmettre ce don fit naître les rites sacrificiels, destinés à faire parvenir jusqu’à ces êtres spirituels les choses spiritualisées. Au don succéda l’hommage, où le fidèle n’exprima plus aucun espoir de retour. De là, pour que le sacrifice devint abnégation et renoncement, il n’y avait qu’un pas ; l’évolution fit ainsi passer le rite des présents du sauvage au sacrifice de soi. — Mais, si cette théorie décrivait bien les phases du développement moral du phénomène, elle n’en expliquait pas le mécanisme. Elle ne faisait en somme que reproduire en un langage défini les vieilles conceptions populaires. Sans doute, par elle-même, elle avait une part de vérité historique. Il est certain que les sacrifices furent généralement, à quelque degré, des dons[2] conférant au fidèle des droits sur son dieu. Ils servirent aussi à nourrir les divinités. Mais il ne suffisait pas de constater le fait ; il fallait en rendre compte.

En réalité, R. Smith[3] fut le premier qui tenta une explication raisonnée du sacrifice. Il était inspiré par la découverte récente du totémisme[4]. De même que l’organisation du clan totémique lui avait expliqué la famille arabe et sémitique[5], de même il voulut voir dans les pratiques du culte totémique la souche du sacrifice. Dans le totémisme, le totem, ou le dieu, est parent de ses adorateurs ; ils ont même chair et même sang ; le rite a pour objet d’entretenir et de garantir cette vie commune qui les anime et l’association qui les lie. Au besoin, il rétablit l’unité. L’ « alliance par le sang » et le « repas en commun » sont les moyens les plus simples d’atteindre ce résultat. Or, le sacrifice ne se distingue pas de ces pratiques aux yeux de R. Smith. C’était pour lui un repas où les fidèles, en mangeant le totem, se l’assimilaient, s’assimilaient à lui, s’alliaient entre eux ou avec lui. Le meurtre sacrificiel n’avait d’autre objet que de permettre la consommation d’un animal sacré et, par conséquent, interdit. Du sacrifice communiel R. Smith déduit les sacrifices expiatoires ou propitiatoires, c’est-à-dire les piacula et les sacrifices dons ou honoraires. L’expiation n’est, suivant lui, que le rétablissement de l’alliance rompue ; or, le sacrifice totémique avait tous les effets d’un rite expiatoire. Il retrouve, d’ailleurs, cette vertu dans tous les sacrifices, même après l’effacement total du totémisme.

Restait à expliquer pourquoi la victime, primitivement partagée et mangée par les fidèles, était généralement détruite tout entière dans les piacula. C’est que, à partir du moment où les anciens totems furent supplantés par les animaux domestiques dans le culte des peuples pasteurs, ils ne figurèrent plus dans les sacrifices que rarement et dans des circonstances particulièrement graves. Par suite, ils apparurent comme trop sacrés pour que les profanes pussent y toucher : les prêtres seuls en mangeaient, ou bien on faisait tout disparaître. Dans ce cas, l’extrême sainteté de la victime finit par se tourner en impureté ; le caractère ambigu des choses sacrées, que R. Smith avait si admirablement mis en lumière, lui permettait d’expliquer facilement comment une telle transformation avait pu se produire. D’un autre côté, quand la parenté des hommes et des bêtes eut cessé d’être intelligible aux Sémites, le sacrifice humain remplaça le sacrifice animal ; car il était désormais le seul moyen d’établir un échange direct du sang entre le clan et le dieu. Mais alors, les idées et les coutumes qui protégeaient dans la société la vie des individus, en proscrivant l’anthropophagie, firent tomber en désuétude le repas sacrificiel.

D’autre part, peu à peu, le caractère sacré des animaux domestiques, profanés quotidiennement pour la nourriture de l’homme, alla lui-même en s’effaçant. La divinité se détacha de ses formes animales. La victime, en s’éloignant du dieu, se rapprocha de l’homme, propriétaire du troupeau. C’est alors que, pour s’expliquer l’offrande qui en était faite, on se la représenta comme un don de l’homme aux dieux. Ainsi prit naissance le sacrifice don. En même temps, la similitude des rites de la peine et du rite sacrificiel, l’effusion de sang, qui se retrouvait de part et d’autre, donna un caractère pénal aux communions piaculaires de l’origine et les transforma en sacrifices expiatoires.

À ces recherches se rattachent, d’une part, les travaux de M. Frazer et, de l’autre, les théories de M. Jevons. Avec plus de circonspection sur certains points, ces dernières sont, en général, l’exagération théologique de la doctrine de Smith[6]. Quant à M. Frazer[7], sans se rallier à l’hypothèse totémistique, il y ajoute un développement important. L’explication du sacrifice du dieu était restée rudimentaire chez Smith. Sans en méconnaître le caractère naturaliste, il en faisait un piaculum d’ordre supérieur. L’idée ancienne de la parenté de la victime totémique et des dieux survivait pour justifier les sacrifices annuels : ils commémoraient et rééditaient un drame dont le dieu était la victime. M. Frazer reconnut la similitude qui existe entre ces dieux sacrifiés et les démons agraires de Mannhardt[8]. Il rapprocha du sacrifice totémique le meurtre rituel des génies de la végétation ; il montra comment du sacrifice et du repas communiel, où l’on était censé s’assimiler les dieux, sortit le sacrifice agraire où, pour s’allier au dieu des champs à la fin de sa vie annuelle, on le tuait, puis le mangeait. Il constata en même temps que, souvent, le vieux dieu ainsi sacrifié paraissait, peut-être à cause des tabous dont il était chargé, emporter avec lui la maladie, la mort, le péché et jouait le rôle de victime expiatoire, de bouc émissaire. Mais, bien que l’idée d’expulsion fût remarquée dans ces sacrifices, l’expiation paraissait encore sortir de la communion. M. Frazer s’est plutôt proposé de compléter la théorie de Smith que de la discuter.

Le grand défaut de ce système est de vouloir ramener les formes si multiples du sacrifice à l’unité d’un principe arbitrairement choisi. D’abord, l’universalité du totémisme, point de départ de toute la théorie, est un postulat. Le totémisme n’apparaît à l’état pur que dans des nations peu nombreuses de l’Australie et de l’Amérique. Le mettre à l’origine de tous les cultes thériomorphiques, c’est faire une hypothèse, peut-être inutile, et qu’il est, en tous cas, impossible de vérifier. Surtout, il est malaisé de trouver des sacrifices proprement totémiques. M. Frazer a lui-même reconnu que, souvent, la victime était celle d’un sacrifice agraire. Dans d’autres cas, les prétendus totems sont les représentants d’une espèce animale dont dépend la vie de la tribu, que cette espèce soit domestiquée, qu’elle soit le gibier préféré ou qu’elle soit, au contraire, particulièrement redoutée. À tout le moins, une description minutieuse d’un certain nombre de ces cérémonies serait-elle nécessaire ; or c’est précisément ce qui manque.

Mais, acceptons un instant cette première hypothèse, quelque contestable qu’elle soit. La marche même de la démonstration est sujette à critique. Le point délicat de la doctrine est la succession historique et la dérivation logique que Smith prétend établir entre le sacrifice communiel et les autres types de sacrifice. Or, rien n’est plus douteux. Tout essai de chronologie comparée des sacrifices arabes, hébreux ou autres, qu’il étudiait, est fatalement ruineux. Les formes qui paraissent les plus simples ne sont connues que par des textes récents. Encore leur simplicité peut-elle résulter de l’insuffisance des documents. En tout cas, elle n’implique aucune priorité. Si l’on s’en tient aux données de l’histoire et de l’ethnographie, on trouve partout le piaculum à côté de la communion. D’ailleurs, ce terme vague de piaculum permet à Smith de décrire, sous la même rubrique et dans les mêmes termes, des purifications, des propitiations, des expiations, et c’est cette confusion qui l’empêche d’analyser le sacrifice expiatoire. Assurément, ces sacrifices sont généralement suivis d’une réconciliation avec le dieu ; un repas sacrificiel, une aspersion de sang, une onction rétablissent l’alliance. Seulement, pour Smith, c’est dans ces rites communiels eux-mêmes que réside la vertu purificatrice de ces sortes de sacrifices ; l’idée d’expiation est donc absorbée dans l’idée de communion ; sans doute, il constate, dans quelques formes extrêmes ou simplifiées, quelque chose qu’il n’ose pas rattacher à la communion, une sorte d’exorcisme, l’expulsion d’un caractère mauvais. Mais, suivant lui, ce sont des procédés magiques, qui n’ont rien de sacrificiel, et il explique avec beaucoup d’érudition et d’ingéniosité leur introduction tardive dans le mécanisme du sacrifice. C’est précisément cela que nous ne pouvons accorder. L’un des objets de ce travail est de montrer que l’élimination d’un caractère sacré, pur ou impur, est un rouage primitif du sacrifice, aussi primitif et aussi irréductible que la communion. Si le système sacrificiel a son principe d’unité, il doit être cherché ailleurs.

L’erreur de R. Smith a été surtout une erreur de méthode. Au lieu d’analyser dans sa complexité originaire le système du rituel sémitique, il s’est plutôt attaché à grouper généalogiquement les faits d’après les rapports d’analogie qu’il croyait apercevoir entre eux. C’est, d’ailleurs, un trait commun aux anthropologues anglais qui sont préoccupés avant tout d’accumuler et de classer des documents. Pour nous, nous ne voulons pas faire à notre tour une encyclopédie qu’il nous serait impossible de rendre complète et qui, venant après les leurs, ne serait pas utile. Nous tâcherons de bien étudier des faits typiques. Ces faits, nous les emprunterons particulièrement aux textes sanscrits et à la Bible. Nous sommes loin d’avoir sur les sacrifices grecs et romains des documents de la même valeur. En rapprochant les renseignements épars, fournis par les inscriptions et les auteurs, on ne constitue qu’un rituel disparate. Au contraire, nous avons dans la Bible et dans les textes hindous des corps de doctrines qui appartiennent à une époque déterminée. Le document est direct, rédigé par les acteurs eux-mêmes, dans leur langue, dans l’esprit même où ils accomplissaient les rites, sinon avec une conscience toujours bien nette de l’origine et du motif de leurs actes.

Sans doute, alors qu’il s’agit d’arriver à distinguer les formes simples et élémentaires d’une institution, il est fâcheux de prendre pour point de départ de la recherche des rituels compliqués, récents, commentés et probablement déformés par une théologie savante. Mais, dans cet ordre de faits, toute recherche purement historique est vaine. L’antiquité des textes ou des faits rapportés, la barbarie relative des peuples, la simplicité apparente des rites sont des indices chronologiques trompeurs. Il est excessif de chercher dans un chapelet de vers de l’Iliade une image approximative du sacrifice grec primitif ; ils ne suffisent même pas à donner une idée exacte du sacrifice aux temps homériques. Nous n’apercevons les plus anciens rites qu’à travers des documents littéraires, vagues et incomplets, des survivances partielles et menteuses, des traditions infidèles. — Il est également impossible de demander à la seule ethnographie le schème des institutions primitives. Généralement tronqués par une observation hâtive ou faussés par la précision de nos langues, les faits enregistrés par les ethnographes ne prennent leur valeur que s’ils sont rapprochés de documents plus précis et plus complets.

Nous ne songeons donc pas à faire ici l’histoire et la genèse du sacrifice et, s’il nous arrive de parler d’antériorité, il s’agira d’antériorité logique et non d’antériorité historique. Ce n’est pas que nous nous refusions le droit de faire appel soit aux textes classiques, soit à l’ethnographie, pour éclairer nos analyses et contrôler la généralité de nos conclusions. Mais, au lieu de faire porter notre étude sur des groupes de faits artificiellement formés, nous aurons, dans les rituels définis et complets que nous étudierons, des ensembles donnés, des systèmes naturels de rites qui s’imposent à l’observation. Ainsi contraints par les textes, nous serons moins exposés aux omissions et aux classifications arbitraires. Enfin, comme les deux religions qui vont constituer le centre de notre investigation sont très différentes, puisque l’une aboutit au monothéisme et l’autre au panthéisme, on peut espérer, en les comparant, arriver à des conclusions suffisamment générales[9].

I

DÉFINITION ET UNITÉ DU SYSTÈME SACRIFICIEL

Mais il importe, avant d’aller plus loin, de donner une définition extérieure des faits que nous désignons sous le nom de sacrifice.

Le mot de sacrifice suggère immédiatement l’idée de consécration et l’on pourrait être induit à croire que les deux notions se confondent. Il est bien certain, en effet, que le sacrifice implique toujours une consécration ; dans tout sacrifice, un objet passe du domaine commun dans le domaine religieux ; il est consacré. Mais toutes les consécrations ne sont pas de même nature. Il en est qui épuisent leurs effets sur l’objet consacré, quel qu’il soit, homme ou chose. C’est, par exemple, le cas de l’onction. Sacre-t-on un roi ? Seule, la personnalité religieuse du roi est modifiée ; en dehors d’elle, rien n’est changé. Dans le sacrifice, au contraire, la consécration rayonne au delà de la chose consacrée ; elle atteint entre autres la personne morale qui fait les frais de la cérémonie. Le fidèle qui a fourni la victime, objet de la consécration, n’est pas, à la fin de l’opération, ce qu’il était au commencement. Il à acquis un caractère religieux qu’il n’avait pas, ou il s’est débarrassé d’un caractère défavorable dont il était affligé ; il s’est élevé à un état de grâce, ou il est sorti d’un état de péché. Dans un cas comme dans l’autre, il est religieusement transformé.

Nous appelons sacrifiant le sujet qui recueille ainsi les bénéfices du sacrifice ou en subit les effets[10]. Ce sujet est tantôt un individu[11] et tantôt une collectivité[12], famille, clan, tribu, nation, société secrète. Quand c’est une collectivité, il arrive que le groupe remplit collectivement l’office de sacrifiant, c’est-à-dire assiste en corps au sacrifice[13] ; mais, parfois aussi, il délègue un de ses membres qui agit en son lieu et place. C’est ainsi que la famille est généralement représentée par son chef[14], la société par ses magistrats[15]. C’est un premier degré dans cette série de représentations que nous rencontrerons à chacune des étapes du sacrifice.

Toutefois, il y a des cas où le rayonnement de la consécration sacrificielle ne se fait pas directement sentir sur le sacrifiant lui-même, mais sur certaines choses qui tiennent plus ou moins directement à sa personne. Dans le sacrifice qui a lieu lors de la construction d’une maison[16], c’est la maison qui est affectée et la qualité qu’elle a acquise ainsi peut survivre à son propriétaire actuel. Dans d’autres cas, c’est le champ du sacrifiant, la rivière qu’il doit passer, le serment qu’il prête, l’alliance qu’il conclut, etc. Nous appellerons objets du sacrifice ces sortes de choses en vue desquelles le sacrifice a lieu. Il importe, d’ailleurs, de remarquer que le sacrifiant est atteint, lui aussi, en raison même de sa présence au sacrifice et de la part ou de l’intérêt qu’il y prend. L’action rayonnante du sacrifice est ici particulièrement sensible ; car il produit un double effet, l’un sur l’objet pour lequel il est offert et sur lequel on veut agir, l’autre sur la personne morale qui désire et provoque cet effet. Quelquefois même, il n’est utile qu’à condition d’avoir ce double résultat. Quand un père de famille sacrifie pour l’inauguration de sa maison, il faut non seulement que la maison puisse recevoir sa famille, mais encore que celle-ci soit en état d’y entrer[17].

On voit quel est le trait distinctif de la consécration dans le sacrifice ; c’est que la chose consacrée sert d’intermédiaire entre le sacrifiant, ou l’objet qui doit recevoir les effets utiles du sacrifice, et la divinité à qui le sacrifice est généralement adressé. L’homme et le dieu ne sont pas en contact immédiat. Par là, le sacrifice se distingue de la plupart des faits désignés sous le nom d’alliance par le sang, où se produit, par l’échange du sang, une fusion directe de la vie humaine et de la vie divine[18]. Nous en dirons autant de certains cas d’offrande de la chevelure ; ici encore, le sujet qui sacrifie est, par la partie de sa personne qui est offerte, en communication directe avec le dieu[19]. Sans doute, il y a entre ces rites et le sacrifice des rapports de connexité ; ils doivent pourtant en être distingués.

Mais cette première caractéristique n’est pas suffisante ; car elle ne permet pas de distinguer le sacrifice de ces faits mal définis auxquels convient le nom d’offrandes. En effet, il n’y a pas d’offrande où l’objet consacré ne s’interpose également entre le dieu et l’offrant et où ce dernier ne soit affecté par la consécration. Mais, si tout sacrifice est, en effet, une oblation, il y a des oblations d’espèces différentes. Tantôt, l’objet consacré est simplement présenté comme un ex-voto ; la consécration peut l’affecter au service du dieu, mais elle n’altère pas sa nature par cela seul qu’elle le fait passer dans le domaine religieux : celles des prémices, qui étaient seulement apportées au temple, y restaient intactes et appartenaient aux prêtres. Dans d’autres cas, au contraire, la consécration détruit l’objet présenté : dans le cas où un animal est présenté à l’autel, le but que l’on poursuit n’est atteint que quand il a été égorgé, ou mis en pièces, ou consumé par le feu, en un mot, sacrifié. L’objet ainsi détruit est la victime. C’est évidemment aux oblations de ce genre que doit être réservée la dénomination de sacrifice. On pressent que la différence entre ces deux sortes d’opérations tient à leur inégale gravité et à leur inégale efficacité. Dans le cas du sacrifice, les énergies religieuses mises en jeu sont plus fortes ; de là, leurs ravages.

Dans ces conditions, on doit appeler sacrifice toute oblation même végétale, toutes les fois que l’offrande, ou qu’une partie de l’offrande, est détruite, bien que l’usage paraisse réserver le mot de sacrifice à la désignation des seuls sacrifices sanglants. Il est arbitraire de restreindre ainsi le sens du mot. Toutes proportions gardées, le mécanisme de la consécration est le même dans tous les cas ; il n’y a donc pas de raison objective pour les distinguer, Ainsi la minḫâ hébraïque est une oblation de farine et de gâteaux[20] ; elle accompagne certains sacrifices. Or, elle est si bien au même titre qu’eux un sacrifice, que le Lévitique ne l’en distingue pas[21]. Les mêmes rites y sont observés. Une portion en est détruite sur le feu de l’autel ; le reste est mangé totalement ou en partie par les prêtres. En Grèce[22], certains dieux n’admettaient sur leur autel que des oblations végétales[23] ; il y a donc eu des rituels sacrificiels qui ne comportaient pas de victimes animales. On peut en dire autant des libations de lait, de vin ou d’autre liquide[24]. Elles sont sujettes en Grèce[25] aux mêmes distinctions que les sacrifices[26] ; il arrive parfois qu’elles en tiennent lieu[27]. L’identité de ces différents opérations a été si bien sentie par les Hindous que les objets offerts dans ces différents cas ont été eux-mêmes identifiés. Ils sont tous également considérés comme vivants et traités comme tels. Ainsi, au moment où, dans un sacrifice suffisamment solennel, on concasse les grains, on les supplie de ne pas se venger sur le sacrifiant du mal qu’on leur fait. Lorsqu’on dépose les gâteaux sur les tessons pour les cuire, on les prie de ne pas se briser[28] ; lorsqu’on les coupe, on les implore pour qu’ils ne blessent pas le sacrifiant et les prêtres. Quand on fait une libation de lait (et toutes les libations hindoues se font avec du lait ou l’un de ses produits), ce n’est pas quelque chose d’inanimé qu’on offre, c’est la vache elle-même dans son suc, dans sa sève, dans sa fécondité[29].

Nous arrivons donc finalement à la formule suivante : Le sacrifice est un acte religieux qui, par la consécration d’une victime, modifie l’état de la personne morale qui l’accomplit ou de certains objets auxquels elle s’intéresse[30].

Pour la brièveté de l’exposition, nous appellerons sacrifices personnels ceux où la personnalité du sacrifiant est directement affectée par le sacrifice, et sacrifices objectifs ceux où des objets, réels ou idéaux, reçoivent immédiatement l’action sacrificielle.

Cette définition ne délimite pas seulement l’objet de notre recherche, elle nous fixe sur un point fort important : elle suppose, en effet, l’unité générique des sacrifices. Ainsi, comme nous le faisions prévoir, quand nous reprochions à Smith de réduire le sacrifice expiatoire au sacrifice communiel, ce n’était pas pour établir la diversité originelle et irréductible des systèmes sacrificiels. C’est que leur unité n’est pas telle qu’il se la représentait.

Mais ce premier résultat paraît en contradiction avec l’infinie variété que semblent présenter, au premier abord, les formes du sacrifice. Les occasions de sacrifier sont innombrables, les effets désirés fort différents, et la multiplicité des fins implique celle des moyens. Aussi a-t-on pris l’habitude, surtout en Allemagne, de ranger les sacrifices en un certain nombre de catégories distinctes : on parle, par exemple, de sacrifices expiatoires (Sühnopfer), de sacrifices d’actions de grâces (Dankopfer), de sacrifices demandes (Bittopfer), etc. Mais en réalité, les limites de ces catégories sont flottantes, enchevêtrées, souvent indiscernables ; les mêmes pratiques se retrouvent à quelque degré dans toutes. Nous ne prendrons à notre compte aucune des classifications couramment employées ; elles ne résultent pas, à notre avis, d’une recherche méthodique. Sans essayer d’en tenter une nouvelle qui serait exposée aux mêmes objections, nous nous contenterons d’emprunter ici, pour nous faire idée de la diversité des sacrifices, l’une des classifications données par les textes hindous.

La plus instructive peut-être est celle qui, classique, répartit les sacrifices en constants et en occasionnels[31]. Les sacrifices occasionnels sont d’abord les sacrifices sacramentaires (saṃskâra), c’est-à-dire ceux qui accompagnent les moments solennels de la vie. Un certain nombre de ces sacrifices font partie du rituel domestique (exposé dans les gṛhya sûtras) : ce sont ceux qui ont lieu lors de la naissance, de la tonsure rituelle, du départ du pupille, du mariage, etc. D’autres font partie du rituel solennel ; c’est l’onction du roi et le sacrifice qui confère la qualité religieuse et civile qui est considérée comme supérieure à toutes les autres[32]. En second lieu, il y a les sacrifices votifs dont le caractère occasionnel est encore plus marqué[33] ; enfin, les sacrifices curatifs et expiatoires. — Quant aux sacrifices constants (nityâni) ou mieux périodiques, ils sont attachés à certains moments fixes, indépendants de la volonté des hommes et du hasard des circonstances. Tels sont le sacrifice journalier le sacrifice de la nouvelle et de la pleine lune, les sacrifices des fêtes saisonnières et pastorales, des prémices de fin d’année. Les uns et les autres se retrouvent généralement dans le rituel solennel et dans le rituel domestique, avec les différences que comportent la solennité de l’un et le caractère familial de l’autre.

On voit à combien d’occasions diverses les brahmanes ont fait servir les sacrifices. Mais, en même temps, ils en ont si bien senti l’unité qu’ils ont fait de ceci le principe de leurs liturgies. Presque tous les textes du rituel solennel ont le même plan : exposé d’un rite fondamental, que l’on diversifie progressivement pour le faire répondre aux différents besoins[34]. Ainsi les çrauta sûtras et les brâhmaṇas qui les commentent partent de la description générale de l’ensemble des rites qui constituent le sacrifice des gâteaux à la nouvelle et à la pleine lune, et c’est ce schème qu’ils adaptent successivement, en le modifiant suivant les circonstances, à toutes les cérémonies qui comportent un sacrifice de gâteaux. C’est ainsi qu’un sacrifice de gâteau constitue la cérémonie essentielle et des fêtes saisonnières, dont les aspects sont déjà si nombreux et variés (sacrifices à la nature, sacrifices de purification, de consommation des premiers grains, etc.), et, aussi, de toute une série de sacrifices votifs[35]. Et il n’y a pas là seulement un artifice d’exposition, mais un sens réel de la souplesse du système sacrificiel. En effet, soit le sacrifice animal solennel. Nous le trouvons isolé ou combiné avec d’autres, dans les cas les plus divers : dans les fêtes périodiques de la nature et de la végétation, et dans des rites occasionnels, lors de la construction de l’autel, dans des rites destinés à racheter la personne. Voici maintenant le sacrifice du soma[36]. Puis que le soma n’est apte au sacrifice qu’au printemps, ce ne peut être qu’une fête périodique (rite, cérémonie)[37], et pourtant on sacrifie le soma pour une multitude de fins qui tantôt dépendent et tantôt sont indépendantes des vœux et des occasions : à chaque printemps, lors de la consécration du roi, pour atteindre un plus haut rang social, pour devenir invulnérable et victorieux, pour échapper à des malheurs qui pourraient devenir chroniques. Enfin des rites de sens contraire peuvent avoir la même forme : des raisons internes au rituel ont dû être cause que la vache stérile, sacrifiée à Rudra, dieu mauvais, par les brahmanes, l’est de la même manière que le bouc offert aux dieux célestes et bons, Agni et Soma[38].

Le rituel hébreu fournit des exemples non moins frappants de la complexité des rites et de l’identité de leurs éléments. Le Lévitique réduit tous les sacrifices à quatre formes fondamentales : ‘olâ, ḫaṭṭât, shelamim, minḫâ[39]. Les noms de deux d’entre elles sont significatifs. Le ḫaṭṭât était le sacrifice qui servait particulièrement à expier le péché nommé ḫaṭṭât ou ḫaṭaâ, dont le Lévitique nous donne une définition, malheureusement bien vague[40]. Le shelamim[41] (LXX θυσία εἰρηωική) est un sacrifice communiel, sacrifice d’actions de grâces, d’alliance, de vœu. Quant aux termes ‘olâ et minḫâ, ils sont purement descriptifs. Chacun d’eux rappelle l’une des opérations particulières du sacrifice : le second, la présentation de la victime, dans le cas où elle est de nature végétale, le premier, l’envoi de l’offrande à la divinité[42].

Cette simplification du système des sacrifices[43] est sans doute le résultat d’une classification trop particulière, et trop arbitraire d’ailleurs, pour servir de base à une étude générale du sacrifice. Mais, à vrai dire, ces quatre formes typiques ne sont pas, ou tout au moins ne sont plus des types réels de sacrifices, mais des sortes d’éléments abstraits où l’un des organes du sacrifice se trouve particulièrement développé et qui peuvent toujours entrer dans des formules plus complexes. Le rituel a décomposé les cérémonies auxquelles donnait lieu chaque occasion de sacrifier en une pluralité de sacrifices simples ou qu’on considérait comme tels. Par exemple, le sacrifice de l’ordination du grand prêtre[44] se compose d’un ḫaṭṭât, sacrifice expiatoire, d’une ‘olâ, sacrifice où la victime était brûlée tout entière et d’un sacrifice du bélier des consécrations qui est un zebaḫ shelamim, sacrifice communiel. Le sacrifice pour la purification des accouchées, comprend un ḫaṭṭât et une ‘olâ[45]. Le sacrifice pour la purification du lépreux comporte des rites analogues à ceux de la consécration du prêtre[46]. Voilà donc deux sacrifices dont l’un paraît être expiatoire et l’autre plutôt communiel, qui aboutissent à des rites semblables. Ainsi, même ces deux idées irréductibles d’expiation et de communion, de communication d’un caractère sacré ou d’expulsion d’un caractère contraire, ne peuvent pas fournir la base d’une classification générale et rigoureuse des sacrifices. Peut-être chercherions-nous en vain des exemples de sacrifice expiatoire où ne se glisse aucun élément communiel ou de sacrifices communiels qui ne ressemblent par aucun côté à des sacrifices expiatoires[47].

Car, non seulement dans les sacrifices complexes, mais même dans les sacrifices élémentaires du Pentateuque, nous retrouvons la même ambiguïté. Le zebaḫ shelamim[48] est un sacrifice communiel ; et pourtant, certaines parties de la victime (le sang, la graisse, quelques viscères) sont toujours réservées, détruites ou interdites. Un membre est toujours mangé par les prêtres. La victime du ḫaṭṭât peut être attribuée tout entière aux prêtres[49] ; à défaut du sacrifiant, les sacrificateurs communiant. Dans le ḫaṭṭât célébré pour la consécration ou la purification du temple ou de l’autel, le sang de la victime sert à oindre les portes et les murs. Ce rite leur communique la consécration[50]. Or un rite du même genre se retrouve dans le zebaḫ shelamim de l’ordination ; une onction de sang toute semblable est faite sur Aaron et ses fils[51].

Ces exemples montrent quelle affinité présentent des pratiques qui, par la nature de leur objet et de leurs résultats, semblent être les plus opposées. Il y a continuité entre les formes du sacrifice. Elles sont à la fois trop diverses et trop semblables pour qu’il soit possible de les diviser en groupes trop nettement caractérisés. Elles ont toutes le même noyau ; et c’est là ce qui fait leur unité. Ce sont les enveloppes d’un même mécanisme que nous allons maintenant démonter et décrire.

II

LE SCHÈME DU SACRIFICE

L’entrée.

Nous ne pouvons évidemment songer à dessiner ici un schème abstrait du sacrifice qui soit assez complet pour convenir à tous les cas connus ; la variété des faits est trop grande. Tout ce qu’il est possible de faire, c’est d’étudier des formes déterminées de sacrifice, assez complexes pour que tous les moments importants du drame y soient réunis, et assez bien connues pour qu’une analyse précise en puisse être faite. Le sacrifice qui nous paraît le mieux répondre à cette condition est le sacrifice animal hindou védique. Nous n’en connaissons pas, en effet, dont le détail soit mieux expliqué. Tous les personnages sont très nettement présentés, au moment de leur introduction et de leur sortie aussi bien que dans le cours de l’action. De plus, c’est un rite pour ainsi dire amorphe ; il n’est pas orienté dans un sens déterminé ; il peut servir aux fins les plus diverses. Il n’en est pas qui se prête mieux à la recherche que nous voulons entreprendre. C’est pourquoi nous en ferons le fonds de notre étude, sauf à grouper autour de cette analyse d’autres faits, empruntés soit à l’Inde elle-même soit à d’autres religions.

Le sacrifice est un acte religieux qui ne peut s’accomplir que dans un milieu religieux et par l’intermédiaire d’agents essentiellement religieux. Or, en général, avant la cérémonie, ni le sacrifiant, ni le sacrificateur, ni le lieu, ni les instruments, ni la victime, n’ont ce caractère au degré qui convient. La première phase du sacrifice a pour objet de le leur donner. Ils sont profanes ; il faut qu’ils changent d’état. Pour cela, des rites sont nécessaires, qui les introduisent dans le monde sacré et les y engagent plus ou moins profondément, suivant l’importance du rôle qu’ils auront ensuite à jouer. C’est ce qui constitue, suivant l’expression même des textes sanscrits[52], l’entrée dans le sacrifice.

1o  Le sacrifiant. — Pour étudier la manière dont ce changement d’état se produit chez le sacrifiant, prenons tout de suite un cas extrême, presque anormal, qui n’appartient pas au rituel du sacrifice animal ordinaire, mais où les rites communs sont comme grossis et, pour cette raison, plus facilement observables. C’est celui de la dîkṣâ, c’est-à-dire de la préparation du sacrifiant au sacrifice du soma[53]. — Dès que les prêtres sont choisis, toute une série de cérémonies symboliques commencent pour le sacrifiant, qui vont progressivement le dépouiller de l’être temporel qu’il était, pour le faire renaître sous des espèces entièrement nouvelles. Tout ce qui touche aux dieux doit être divin ; le sacrifiant est obligé de devenir dieu lui-même pour être en état d’agir sur eux[54]. À cet effet on lui bâtit une hutte spéciale, étroitement fermée ; car le dîkṣita est un dieu et le monde des dieux est séparé de celui des hommes[55]. On le rase, on lui coupe les ongles[56], mais à la façon des dieux, c’est-à-dire dans un ordre inverse de celui que suivent habituellement les hommes[57]. Après avoir pris un bain purificatoire[58], il revêt un vêtement de lin tout neuf[59] ; indiquant par là qu’une nouvelle existence va commencer pour lui. Puis, à la suite de différentes onctions[60], on le recouvre d’une antilope noire[61]. C’est le moment solennel où le nouvel être s’éveille en lui. Il est devenu fœtus. Il se voile la tête et on lui fait fermer le poing[62], car l’embryon dans ses enveloppes a le poing fermé ; on le fait aller et venir autour du foyer comme le fœtus s’agite dans la matrice. Il reste dans cet état jusqu’à la grande cérémonie de l’introduction du soma[63]. Alors, il ouvre les poings, il se dévoile, il est né à l’existence divine, il est dieu.

Mais sa nature divine une fois proclamée[64] lui confère les droits et lui impose les devoirs d’un dieu, ou tout au moins d’un saint. Il ne doit pas avoir de rapports avec les hommes des castes impures, ni avec les femmes ; il ne répond pas à qui l’interroge ; on ne le touche pas[65]. Étant un dieu, il est dispensé de tout sacrifice. Il ne prend que du lait, nourriture de jeûne. Et cette existence dure de longs mois jusqu’à ce que son corps soit devenu diaphane. Alors, ayant comme sacrifié son ancien corps[66], parvenu au dernier degré de la surexcitation nerveuse, il est apte à sacrifier et les cérémonies commencent.

Cette initiation compliquée, à long terme, requise pour des cérémonies d’une gravité exceptionnelle, n’est, il est vrai, qu’un grossissement. Mais on la retrouve, quoique avec une moindre exagération, dans les rites préparatoires du sacrifice animal ordinaire. Dans ce cas, il n’est plus nécessaire que le sacrifiant soit divinisé ; mais il faut toujours qu’il devienne sacré. C’est pourquoi, alors aussi, il se rase, se baigne, s’abstient de tout rapport sexuel, jeûne, veille, etc.[67]. Et même de ces rites plus simples, les interprétations qu’en donnent les prières qui les accompagnent et les commentaires brahmaniques, disent clairement le sens. Nous lisons dès le commencement du Çatapatha Brâhmaṇa. « (Le sacrifiant) se rince la bouche… Car, avant cela, il est impropre au sacrifice… Car les eaux sont pures. Il devient pur à l’intérieur… Il passe du monde des hommes dans le monde des dieux[68]. »

Ces rites ne sont pas particuliers aux Hindous : le monde sémitique, la Grèce et Rome en fournissent également des exemples. Un certain degré de parenté avec le dieu est d’abord exigé de ceux qui veulent être admis au sacrifice[69]. Aussi l’étranger en est-il généralement exclu[70] ; à plus forte raison, les courtisanes, les esclaves[71], souvent les femmes[72]. De plus, la pureté momentanée est requise[73]. L’approche de la divinité est redoutable à qui n’est pas pur[74] : lorsque Iahwe va paraître sur le Sinaï, le peuple doit laver ses vêtements et rester chaste[75]. De même, le sacrifice est précédé d’une purification plus ou moins longue[76]. Elle consiste principalement en aspersions d’eau lustrale et en ablutions[77] ; quelquefois, le sacrifiant doit jeûner[78] et se purger[79]. Il doit revêtir des vêtements propres[80] ou même des vêtements spéciaux[81] qui lui donnent un commencement de sainteté. Le rituel romain prescrivait généralement l’usage du voile, signe de séparation et, partant, de consécration[82]. La couronne que le sacrifiant portait sur la tête, en même temps qu’elle écartait les mauvaises influences, le marquait d’un caractère sacré[83]. Le sacrifiant complétait quelquefois sa toilette en se rasant la tête et les sourcils[84]. Toutes ces purifications[85], lustrations, consécrations, préparaient le profane à l’acte sacré, en éliminant de son corps les vices de sa laïcité, en le retranchant de la vie commune et en l’introduisant pas à pas dans le monde sacré des dieux.

2o  Le sacrificateur. — Il y a des sacrifices où il n’y a pas d’autres acteurs que le sacrifiant et la victime. Mais, généralement, on n’ose pas approcher des choses sacrées directement et seul ; elles sont trop graves et trop hautes. Un intermédiaire ou, tout au moins, un guide est nécessaire[86]. C’est le prêtre. Plus familier avec le monde des dieux, où il est à demi engagé par une consécration préalable[87], il peut l’aborder de plus près et avec moins de crainte que le laïque, taché peut-être de souillures inconnues. En même temps, il évite au sacrifiant des erreurs funestes. Quelquefois même le profane est exclu formellement du sanctuaire et du sacrifice[88]. Le prêtre est donc, d’une part, le mandataire du sacrifiant[89] dont il partage l’état et dont il porte les fautes[90]. Mais, d’un autre côté, il est marqué d’un sceau divin[91]. Il porte le nom[92], le titre[93] ou le costume[94] de son dieu ; il est son ministre, son incarnation même[95], ou tout au moins le dépositaire de sa puissance. Il est l’agent visible de la consécration dans le sacrifice ; en somme, il est sur le seuil du monde sacré et du monde profane et il les représente simultanément. Ils se rejoignent en lui.

Par suite de ce caractère religieux, on pourrait croire qu’il peut, lui du moins, entrer dans le sacrifice sans initiation préalable. C’est en effet ce qui se passait dans l’Inde. Le brahmane arrivait avec sa nature presque divine ; il n’avait donc pas besoin d’une consécration nouvelle, sauf dans des circonstances extraordinaires[96] ; car il y a des rites qui exigent du sacrificateur, comme du sacrifiant, une préparation spéciale. Élie diffère seulement de celle que nous avons décrite à propos du laïque en ce qu’elle est généralement moins complexe. Comme le prêtre est naturellement plus proche du monde sacré, des opérations plus simples suffisent pour l’y faire entrer tout entier.

Chez les Hébreux, bien que le prêtre fût ordonné, il avait besoin, pour pouvoir sacrifier, de prendre quelques précautions supplémentaires. Il devait se laver avant d’entrer dans le sanctuaire[97] ; il devait, avant la cérémonie, s’abstenir de vin et de boissons fermentées[98]. Il revêtait des vêtements de lin[99] qu’il quittait aussitôt après le sacrifice[100]. Il les déposait dans un endroit consacré ; car ils étaient déjà par eux-mêmes une chose sainte et redoutable dont le contact était dangereux aux profanes[101]. Le prêtre lui-même, dans son commerce, pourtant habituel, avec le divin, était sans cesse menacé de la mort surnaturelle[102] qui avait frappé les deux fils d’Aaron[103], ceux d’Héli[104] ou les prêtres de la famille de Baithos[105]. En augmentant sa sainteté personnelle[106], il se facilitait l’abord difficile du sanctuaire, il se donnait des sauvegardes.

Mais il ne se sanctifiait pas seulement pour lui-même : il se sanctifiait aussi pour la personne ou pour la société au nom de laquelle il agissait. Il devait même prendre d’autant plus de précautions qu’il exposait, en même temps que lui-même, ceux dont il était le substitut. C’est ce qui était particulièrement marqué à la fête du Grand Pardon[107]. En ce jour, en effet, le grand-prêtre représente le peuple d’Israël. Il pardonne à la fois pour lui et pour Israël, pour lui et sa famille avec le taureau, pour Israël avec les deux boucs[108]. C’est à la suite de cette expiation qu’il pénètre, faisant fumer l’encens, derrière le voile du Saint des Saints[109] où il trouve Dieu dans le nuage. D’aussi graves fonctions nécessitaient des préparations toutes spéciales, en rapport avec le rôle quasi divin que le prêtre remplissait. Les rites ressemblent, toutes proportions gardées, à ceux de la dîkṣâ dont nous parlions tout à l’heure. Sept jours avant la fête, le grand-prêtre s’isole de sa famille[110], il se tient dans la cellule des paredri (des assesseurs)[111]. Comme le sacrifiant hindou, il est l’objet de toutes sortes de soins. La veille, on l’entoure de vieillards qui lui lisent la section de la Bible où est exposé le rituel du Kippour. On ne lui donne que peu à manger ; après quoi, on le conduit dans une chambre spéciale[112] où on le laisse après lui avoir fait jurer de ne rien changer aux rites. « Puis, en pleurant, lui et eux, ils se séparaient[113]. » Toute la nuit, il doit veiller[114], car le sommeil est un moment pendant lequel des souillures involontaires peuvent être contractées[115]. Ainsi tout le rituel pontifical tend vers le même but : conférer au grand-prêtre une sanctification extraordinaire[116], qui lui permette d’aborder le dieu derrière le propitiatoire et de supporter le fardeau des péchés qui seront accumulés sur sa tête.

3o  Le lieu, les instruments. — Il ne suffit pas que le sacrifiant et le prêtre soient sanctifiés pour que le sacrifice proprement dit puisse commencer. Celui-ci ne peut avoir lieu ni en tout temps ni partout. Car tous les moments du jour ou de l’année ne sont pas également propices aux sacrifices ; il en est même qui l’excluent. En Assyrie, par exemple, il était interdit le 7, le 14 et le 21 du mois[117]. Suivant la nature et l’objet de la cérémonie, l’heure de la célébration différait. Tantôt il devait être offert le jour[118] ; tantôt, au contraire, le soir et la nuit[119].

Le lieu de la scène lui-même doit être sacré ; en dehors d’un lieu saint, l’immolation n’est qu’un meurtre[120]. Quand le sacrifice se fait dans un temple[121] ou dans un endroit déjà sacré par lui-même, les consécrations préalables sont inutiles ou, du moins, très réduites. C’est le cas du sacrifice hébreu tel qu’il est réglé par le rituel du Pentateuque. Il se célébrait dans un sanctuaire unique, consacré à l’avance[122], choisi par la divinité[123] et divinisé par sa présence[124]. Aussi les textes qui nous sont parvenus ne contiennent-ils aucune disposition relative à la sanctification répétée du lieu du sacrifice. Encore fallait-il entretenir la pureté et la sainteté du temple et du sanctuaire : des sacrifices journaliers[125] et une cérémonie expiatoire annuelle répondaient à ce besoin[126].

Chez les Hindous, il n’y avait pas de temple. Chacun pouvait se choisir le lieu qu’il voulait pour sacrifier[127] ; mais ce lieu devait être au préalable consacré au moyen d’un certain nombre de rites dont le plus important est celui qui consistait à établir les feux[128]. Nous ne le décrirons pas dans le détail. Les cérémonies complexes qui le constituent ont pour objet de créer un feu dans lequel il n’entre que des éléments purs, déjà consacrés à Agni[129]. Même l’un de ces feux est allumé par friction, afin qu’il soit entièrement neuf[130]. Dans ces conditions, il a une vertu magique qui écarte les mauvais génies, les maléfices et les démons. Le feu est un tueur de démons[131]. Ce n’est même pas assez dire : il est dieu, il est Agni sous sa forme complète[132]. De même, d’après certaines légendes bibliques anciennes, le feu du sacrifice n’est autre que la divinité elle-même qui dévore la victime ou, pour parler plus exactement, il est le signe de la consécration qui l’embrase[133]. Ce qu’a en lui de divin le feu du sacrifice hindou se communique donc à la place sacrificielle et la consacre[134]. Cet emplacement consistait en un espace rectangulaire assez vaste, appelé Vihâra[135].

À l’intérieur de cet espace s’en trouve un autre, appelé vedi, dont le caractère sacré est encore plus marqué ; c’est ce qui correspond à l’autel. La vedi occupe donc une situation encore plus centrale que les feux. Ceux-ci, en effet, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres cultes, ne sont pas sur l’autel lui-même, mais l’entourent[136]. Les contours de la vedi sont soigneusement dessinés sur le sol[137] : à cet effet, on prend une pelle (ou, dans d’autres cas, le sabre de bois magique) et on effleure légèrement la terre en disant : « Le méchant est tué[138]. » Toute impureté est ainsi détruite ; le cercle magique est tracé, la place est consacrée. Dans les limites ainsi marquées, on creuse le terrain et on le nivelle : c’est ce trou qui va constituer tout l’autel. Après une lustration, à la fois expiatoire et purificatoire, on recouvre le fond du trou de différentes sortes de gazons. C’est sur ce gazon que viennent s’asseoir les dieux auxquels s’adresse le sacrifice ; c’est là que, invisibles et présents, ils assistent à la cérémonie[139]. Nous n’insisterons pas sur les divers instruments[140] qui sont déposés sur l’autel[141] après avoir été ou fabriqués séance tenante ou attentivement purifiés. Mais il en est un qui doit retenir notre attention ; car il fait, à vrai dire, partie de l’autel[142] ; c’est le yûpa, le poteau auquel va être liée la bête. Ce n’est pas une matière brute ; mais l’arbre avec lequel il a été fait avait déjà par lui-même une nature divine[143], que des onctions et des libations ont encore renforcée[144]. Il occupe, lui aussi, une situation éminente, car c’est là que se tiendra le plus important de tous les personnages visibles qui prendront part à la cérémonie[145], la victime. Aussi les Brâhmaṇas le représentent-ils comme un des points où viennent converger et se concentrer toutes les forces religieuses qui sont en jeu dans le sacrifice. Par sa tige élancée, il rappelle la manière dont les dieux sont montés au ciel[146] ; par sa partie supérieure, il donne pouvoir sur les choses célestes, par sa partie médiane, sur les choses de l’atmosphère, par sa partie inférieure, sur celles de la terre[147]. Mais en même temps, il représente le sacrifiant ; c’est la taille du sacrifiant, qui détermine ses dimensions[148]. Quand on l’oint, on oint le sacrifiant ; quand on l’affermit, c’est le sacrifiant qu’on affermit[149]. En lui s’opère, d’une manière plus forte que dans le prêtre, cette communication, cette fusion des dieux et du sacrifiant, qui deviendra plus complète encore dans la victime[150].

La mise en scène est maintenant réglée. Les acteurs sont prêts. L’entrée de la victime va commencer la pièce. Mais avant de l’introduire, il nous faut noter un caractère essentiel du sacrifice : c’est la parfaite continuité qu’il est requis d’avoir. À partir du moment où il est commencé[151], il doit se poursuivre jusqu’au bout sans interruption et dans l’ordre rituel. Il faut que toutes les opérations dont il est composé se succèdent sans lacune et soient à leur place. Les forces qui sont en action, si elles ne se dirigent pas exactement dans le sens prescrit, échappent au sacrifiant et au prêtre et se retournent contre eux, terribles[152]. Cette continuité extérieure des rites n’est même pas suffisante[153]. Il faut encore une ferme constance dans l’état d’esprit où se trouvent le sacrifiant et le sacrificateur en ce qui concerne les dieux, la victime, le vœu dont on demande l’exécution[154]. Ils doivent avoir dans le résultat automatique du sacrifice une confiance que rien ne démente. En somme, il s’agit d’accomplir un acte religieux dans une pensée religieuse ; il faut que l’attitude interne corresponde à l’attitude externe[155]. On voit comment, dès le principe, le sacrifice a exigé un credo (çraddhâ équivaut à credo, même phonétiquement ) ; comment l’acte a entrainé à sa suite la foi[156].

La victime.

Nous disions tout à l’heure que la construction de l’autel, dans le rite hindou, consiste à décrire sur le sol un cercle magique. En réalité, toutes les opérations que nous venons de passer en revue ont le même objet. Elles aboutissent à tracer comme une série de cercles magiques concentriques, intérieurs à l’espace sacré. Sur le cercle extérieur, se tient le sacrifiant ; puis, viennent successivement le prêtre, l’autel et le poteau. À la périphérie, chez le laïque dans l’intérêt duquel le sacrifice a lieu, la religiosité est faible, minima. Elle va croissant à mesure que l’espace dans lequel elle se développe, va lui-même se resserrant. Toute la vie du milieu sacrificiel s’organise ainsi et se concentre autour d’un même foyer ; tout converge vers la victime qui va maintenant apparaître. Tout est prêt pour la recevoir. On l’amène.

Parfois, elle était sacrée du fait même de sa naissance ; l’espèce à laquelle elle appartenait était unie à la divinité par des liens spéciaux[157]. Ayant ainsi un caractère divin congénital, elle n’avait pas besoin de l’acquérir spécialement pour la circonstance. Mais, le plus généralement, des rites appropriés étaient nécessaires pour la mettre dans l’état religieux qu’exigeait le rôle auquel elle était destinée. Dans certains cas, où elle avait été désignée longtemps à l’avance, ces cérémonies avaient eu lieu avant qu’elle ne fût amenée sur le lieu du sacrifice[158]. Souvent aussi, elle n’avait encore rien de sacré à ce moment. Elle était seulement tenue de remplir certaines conditions qui la rendaient apte à recevoir la consécration. Elle devait être sans défaut, sans maladie, sans infirmité[159]. Elle devait avoir telle couleur[160], tel âge, tel sexe, suivant les effets que l’on devait produire[161]. Mais pour faire passer à l’acte ses virtualités, pour l’élever au degré requis de religiosité, il fallait la soumettre à tout un ensemble de cérémonies.

Dans certains pays, on la parait[162], on la peignait, on la blanchissait, comme le bos cretatus des sacrifices romains. On lui dorait les cornes[163], on lui mettait une couronne, on la décorait de bandelettes[164]. Ces ornements lui communiquaient un caractère religieux. Parfois même, le costume qu’on lui mettait la rapprochait du dieu qui présidait au sacrifice : tel était l’objet des déguisements employés dans les sacrifices agraires dont nous n’avons plus que des survivances[165]. La demi-consécration qu’on lui conférait ainsi pouvait, d’ailleurs, être obtenue d’une autre façon. Au Mexique[166], à Rhodes[167], on enivrait la victime. Cette ivresse était un signe de possession. L’esprit divin envahissait déjà la victime.

Mais le rituel hindou va nous permettre de mieux suivre toute la suite d’opérations au cours desquelles la victime est progressivement divinisée. Après qu’on l’a baignée[168], on l’introduit, tandis qu’on fait différentes libations[169]. On lui adresse alors la parole en multipliant les épithètes laudatives et en la priant de se tranquilliser[170]. En même temps, on invoque le dieu, maître des bestiaux, pour lui demander de consentir à ce qu’on prenne sa propriété pour en faire une victime[171]. Ces précautions, ces propitiations, ces marques d’honneur ont un double but. D’abord, elles accusent le caractère sacré de la victime ; en la qualifiant de chose excellente, de propriété des dieux, on la fait telle. Mais surtout, il s’agit de l’induire à se laisser sacrifier paisiblement pour le bien des hommes, à ne pas se venger une fois morte. Ces usages, qui sont infiniment fréquents[172], ne signifient pas, comme on l’a dit, que la bête sacrifiée est toujours un ancien animal totémique. L’explication est plus prochaine. Il y a dans la victime un esprit que le sacrifice a précisément pour objet de libérer. Il faut donc se concilier cet esprit qui, autrement, pourrait, une fois libre, devenir dangereux ; de là, ces flatteries et ces excuses préalables.

Puis, on lie la victime au poteau. À ce moment, le caractère sacré qu’elle est en train d’acquérir est déjà tel que le brahmane ne peut plus la toucher avec les mains, et que le sacrificateur lui-même hésite à s’en approcher. Il a besoin d’y être invité et encouragé par une formule spéciale que lui adresse un prêtre[173]. Et cependant, pour porter à ces dernières limites cette religiosité déjà si haute, trois séries de rites sont nécessaires. On fait boire de l’eau à la bête[174], car l’eau est divine ; on la lustre en dessus, en dessous, partout[175]. Ensuite, on l’oint de beurre fondu sur la tête, sur le garrot et les deux épaules, sur la croupe et entre les deux cornes. Ces onctions correspondent à celles qui se faisaient avec de l’huile dans le sacrifice hébreu, à la cérémonie de la mola salsa à Rome, aux οὐλαί ou grains d’orge que les assistants, en Grèce, jetaient sur l’animal[176]. De même, on retrouve un peu partout des libations analogues à celles dont nous venons de parler. Elles avaient pour objet de produire une accumulation de sainteté sur la tête de la victime. Enfin, après ces lustrations et ces onctions, vient dans le rituel védique, une dernière cérémonie qui a pour effet d’enfermer la victime elle-même dans un dernier cercle magique, plus étroit et plus divin que les autres. Un prêtre prend, du feu des dieux, un brandon et, ce brandon à la main, il fait trois fois le tour de la bête. On tournait ainsi dans l’Inde, autour de toutes les victimes avec ou sans le feu. C’était le dieu, Agni, qui entourait la bête de toutes parts, la sacrait, la séparait[177].

Mais tout en avançant ainsi dans le monde des dieux, la victime devait rester en relations avec les hommes. Le moyen employé pour assurer cette communication est fourni, dans les religions que nous étudions ici, par les principes de la sympathie magique et religieuse. Quelquefois, il y a représentation directe, naturelle : un père est représenté par son fils qu’il sacrifie, etc[178]. En général, le sacrifiant étant tenu de faire personnellement les frais du sacrifice est par cela même, une représentation[179]. Mais, dans d’autres cas, cette association de la victime et du sacrifiant se réalise par un contact matériel entre le sacrifiant (parfois le prêtre) et la victime. Ce contact est obtenu, dans le rituel sémitique, par l’imposition des mains, ailleurs par des rites équivalents[180]. Par suite de ce rapprochement, la victime, qui déjà représentait les dieux, se trouve représenter aussi le sacrifiant. Ce n’est pas assez de dire qu’elle le représente ; elle se confond avec lui. Les deux personnalités fusionnent. Même l’identification est telle, au moins dans le sacrifice hindou, que dès maintenant, la destinée future de la victime, sa mort prochaine ont une sorte d’effet en retour sur le sacrifiant. De là résulte pour ce dernier une situation ambiguë. Il a besoin de toucher l’animal pour rester uni avec lui ; et pourtant, il a peur de le toucher, car il s’expose ainsi à partager son sort. Le rituel résout la difficulté par un moyen terme. Le sacrifiant ne touche la victime que par l’intermédiaire du prêtre qui ne la touche lui-même que par l’intermédiaire d’un des instruments du sacrifice[181]. C’est ainsi que ce rapprochement du sacré et du profane, que nous avons vu se poursuivre progressivement à travers les divers éléments du sacrifice, s’achève dans la victime.

Nous voici arrivés au point culminant de la cérémonie. Tous les éléments du sacrifice sont donnés ; ils viennent d’être mis une dernière fois en contact. Mais l’opération suprême reste à accomplir[182]. La victime est déjà éminemment sacrée. Mais l’esprit qui est en elle, le principe divin qu’elle contient maintenant, est encore engagé dans son corps et rattaché par ce dernier lien au monde des choses profanes. La mort va l’en dégager, rendant ainsi la consécration définitive et irrévocable. C’est le moment solennel.

C’est un crime qui commence, une sorte de sacrilège. Aussi, pendant qu’on amenait la victime à la place du meurtre, certains rituels prescrivaient-ils des libations et des expiations[183]. On s’excusait de l’acte qu’on allait accomplir, on gémissait sur la mort de la bête[184], on la pleurait comme un parent. On lui demandait pardon avant de la frapper. On s’adressait au reste de l’espèce à laquelle elle appartenait, comme à un vaste clan familial que l’on suppliait de ne pas venger le dommage qui allait lui être causé dans la personne d’un de ses membres[185]. Sous l’influence des mêmes idées[186], il arrivait que l’auteur du meurtre était puni ; on le frappait[187] ou on l’exilait. À Athènes, le prêtre du sacrifice des Bouphonia s’enfuyait en jetant sa hache ; tous ceux qui avaient pris part au sacrifice étaient cités au Prytaneion ; ils rejetaient la faute les uns sur les autres ; finalement, on condamnait le couteau, qui était jeté à la mer[188]. Les purifications que devait subir le sacrificateur après le sacrifice ressemblaient d’ailleurs à l’expiation du criminel[189].

Aussi, une fois que la bête est placée dans la position prescrite et orientée dans le sens déterminé par les rites[190], tout le monde se tait. Dans l’Inde, les prêtres se retournent ; le sacrifiant et l’officiant se retournent[191] en murmurant des mantras propitiatoires[192]. On n’entend plus que les ordres donnés à voix simple par le prêtre au sacrificateur. Celui-ci serre alors le lien qui entoure la gorge de l’animal[193], « apaise son souffle[194] », comme dit l’euphémisme employé. La victime est morte. L’esprit est parti.

Les rites du meurtre étaient extrêmement variables. Mais chaque culte exigeait qu’ils fussent scrupuleusement observés. Les modifier était généralement une hérésie funeste, punie par l’excommunication et la mort[195]. C’est que, par le meurtre, on dégageait une force ambiguë, ou plutôt aveugle, redoutable par cela seul qu’elle était une force. Il fallait donc la limiter, la diriger et la dompter. C’est à quoi servaient les rites. Le plus généralement, la victime avait la nuque ou le cou tranché[196]. La lapidation était un rite ancien qui n’apparaît plus, en Judée, que dans certains cas d’exécution pénale, en Grèce, qu’à l’état de témoin, dans le rituel de quelques fêtes[197]. Ailleurs, la victime était assommée[198] ou pendue[199]. On ne pouvait entourer de trop de précautions une opération aussi grave. Le plus souvent, on voulait que la mort fût prompte ; on brusquait le passage entre la vie terrestre de la victime et sa vie divine, afin de ne pas laisser aux influences mauvaises le temps de vicier l’acte sacrificiel. Si les cris de l’animal passaient pour de mauvais présages, on essayait de les étouffer ou de les conjurer[200]. Souvent, en vue d’éviter les déviations possibles de la consécration déchaînée, on cherchait à régler l’effusion du sang consacré[201] ; on veillait à ce qu’il ne tombât qu’à l’endroit propice[202], ou bien encore on s’arrangeait de manière à n’en pas répandre une seule goutte[203]. Cependant, il arrivait aussi que ces précautions fussent regardées comme indifférentes. À Methydrion, en Arcadie, le rite commandait de déchirer la victime en morceaux[204]. On pouvait même avoir intérêt à prolonger son agonie[205]. La mort lente, comme la mort brusque, pouvaient diminuer la responsabilité du sacrificateur ; pour les raisons que nous avons dites, les rituels étaient ingénieux à lui trouver des circonstances atténuantes. Les rites étaient plus simples lorsque, au lieu d’un animal, on ne sacrifiait que de la farine ou des gâteaux. L’oblation était jetée tout entière ou en partie dans le feu.

Par cette destruction, l’acte essentiel du sacrifice était accompli. La victime était séparée définitivement du monde profane ; elle était consacrée, elle était sacrifiée, dans le sens étymologique du mot, et les diverses langues appelaient sanctification l’acte qui la mettait dans cet état. Elle changeait de nature, comme Démophon, comme Achille, comme le fils du roi de Byblos, quand Déméter, Thétis et Isis consumaient dans le feu leur humanité[206]. Sa mort était celle du phénix[207] : elle renaissait sacrée. — Mais le phénomène qui se passait à ce moment avait une autre face. Si, d’une part, l’esprit était dégagé, s’il était passé complètement « derrière le voile », dans le monde des dieux, d’un autre côté, le corps de la bête restait visible et tangible ; et lui aussi, par le fait de la consécration, était rempli d’une force sacrée qui l’excluait du monde profane En somme, la victime sacrifiée ressemblait aux morts dont l’âme résidait, à la fois, dans l’autre monde et dans le cadavre. Aussi ses restes étaient-ils entourés d’un religieux respect[208] : on leur rendait des honneurs. Le meurtre laissait ainsi derrière lui une matière sacrée, et c’est elle qui, comme nous allons le voir maintenant, servait à développer les effets utiles du sacrifice. On la soumettait pour cela à une double série d’opérations. Ce qui survivait de l’animal était ou attribué tout entier au monde sacré, ou attribué tout entier au monde profane, ou partagé entre l’un et lautre.

L’attribution au monde sacré, divinités protectrices ou démons malfaisants, se réalisait par différents procédés. L’un d’eux consistait à mettre matériellement en contact certaines parties du corps de l’animal et l’autel du dieu ou quelques objets qui lui étaient spécialement consacrés. Dans le ḫaṭṭât hébraïque du jour de Kippour, tel qu’il est décrit dans les premiers versets du chapitre IV du Lévitique[209], le sacrificateur trempe son doigt dans le sang qui lui est présenté : il fait aspersion sept fois devant Iahwe, c’est-à-dire sur le voile, et met un peu de sang sur les cornes de l’autel des parfums, dans l’intérieur du sanctuaire[210]. Le reste était versé au pied de l’autel de l’‘olâ qui était à l’entrée. Dans le ḫaṭṭât ordinaire le prêtre mettait le sang sur les cornes de l’autel de l’‘olâ[211]. Le sang des victimes de l’‘olâ et des shelamim était simplement versé au pied de l’autel[212]. Ailleurs, on en barbouillait la pierre sacrée ou la figure du dieu[213]. En Grèce, dans les sacrifices aux divinités aquatiques, on faisait couler le sang dans l’eau[214] ; ou bien après avoir été recueilli dans une coupe, il était versé à la mer[215]. — Quand la victime avait été dépouillée, on pouvait revêtir de sa peau l’idole[216]. Ce rite était particulièrement observé dans les cérémonies où l’on sacrifiait un animal sacré quelle que fût, d’ailleurs, la forme donnée à l’idole[217]. — En tout cas, on présentait la victime tuée comme on l’avait présentée avant la consécrations[218]. Dans l’‘olâ, les aides, après avoir coupé la victime en morceaux, les apportaient avec la tête au prêtre officiant qui les mettait sur l’autel[219]. Dans les shelamim, les parties présentées recevaient des noms significatifs : teroumâ, offrande élevée, tenouphâ, offrande tournée[220].

L’incinération était un autre moyen. Dans tous les sacrifices hébreux, de même que le sang était entièrement attribué par voie d’aspersion ou d’effusion[221], la graisse et les viscères étaient brûlés au feu de l’autel[222]. Les portions ainsi consacrées au dieu qui personnifiait la consécration lui parvenaient en fumée d’odeur agréable[223]. Lorsque le dieu intervenait dans le sacrifice il était censé manger réellement et substantiellement la chair sacrifiée ; c’était « sa viande[224] ». Les poèmes homériques nous montrent les dieux s’asseyant aux banquets sacrificiels[225]. La chair cuite[226], réservée au dieu, lui était présentée et était placée devant lui. Il devait la consumer. Dans la Bible, plusieurs fois, le feu divin jaillit et fait disparaître les chairs dont l’autel est chargé[227].

Sur la chair qui restait après ces destructions préliminaires, d’autres prélèvements, étaient faits. Le prêtre prenait sa part[228]. Or la part du prêtre était encore une part divine. Les rédacteurs du Pentateuque ont été préoccupés de savoir si la victime du ḫaṭṭât devait être brûlée ou mangée par les prêtres. Moïse et les fils d’Aharon furent, selon le Lévitique[229], en désaccord sur ce point. Les deux rites avaient donc visiblement le même sens[230]. De même, dans les sacrifices expiatoires romains, les prêtres mangeaient la chair[231]. Dans le zebaḫ shelamim, les prêtres gardaient les parties spécialement présentées à Iahwe, l’épaule et la poitrine[232], la tenouphâ et la teroumâ. Les parts réservées aux prêtres ne pouvaient être mangées que par eux et leurs familles, et dans un lieu sacré[233]. Les textes grecs contiennent nombre de renseignements, non moins précis, sur les parties des victimes et des oblations réservées aux sacrificateurs[234]. Sans doute, les rites paraissent quelquefois assez peu exigeants ; ainsi, les prêtres emportent leur part chez eux ; on fait argent de la peau des victimes et les prélèvements finissent par ressembler à un casuel. Il y a, pourtant, lieu de croire que les prêtres étaient, même alors, les agents, les représentants, les lieutenants du dieu. Ainsi les mystes de Bacchus déchiraient et dévoraient les victimes quand ils étaient possédés[235]. On doit peut-être considérer comme parts sacerdotales divers prélèvements faits par les rois[236], ou par des familles sacrées[237].

L’incinération, la consommation par le prêtre avait pour objet d’éliminer complètement du milieu temporel les parties de l’animal qui étaient ainsi détruites ou consommées. Comme l’âme que l’immolation avait antérieurement dégagée, elles étaient, par cela même, dirigées vers le monde sacré. Il y avait des cas où la destruction et l’élimination qui en résultait portaient sur le corps tout entier et non pas seulement sur certaines de ses parties. Dans l’‘olâ hébraïque et dans l’holocauste grec[238], la victime était tout entière brûlée sur l’autel ou dans le lieu sacré ; sans que rien en fût distrait. Le prêtre, après avoir lavé les entrailles et les membres de la bête, les plaçait sur le feu où ils se consumaient[239]. Le sacrifice était appelé quelquefois Kalil, c’est-à-dire complet[240].

Parmi les cas de destruction complète, il en est un certain nombre qui présentent une physionomie spéciale. L’immolation de la victime et la destruction de son corps s’opéraient d’un seul coup. On ne commençait pas par la tuer pour incinérer ensuite ses restes : tout se passait à la fois. Tels étaient les sacrifices par précipitation. Qu’on jetât l’animal dans un abîme, qu’on le précipitât de la tour d’une ville ou du haut d’un temple[241], on réalisait ipso facto la séparation brutale qui était le signe de la consécration[242]. Ces sortes de sacrifices adressaient leurs victimes aux divinités infernales ou aux mauvais génies. Chargées d’influences mauvaises, il s’agissait surtout de les éloigner, de les retrancher du réel. Sans doute, toute idée d’attribution n’était pas absente de l’opération. On se représentait vaguement que l’âme de la victime, avec toutes les puissances malfaisantes qui étaient en elle, s’en allait rejoindre le monde des puissances malfaisantes ; c’est ainsi que le bouc du Grand Pardon était dévoué à Azazel[243]. Mais l’essentiel était de l’éliminer, de l’expulser. Aussi arrivait-il que l’expulsion avait lieu sans qu’il y eût mise à mort. À Leucade, on prévoyait que la victime échappât ; mais elle était exilée[244]. L’oiseau lâche aux champs dans le sacrifice de la purification du lépreux en Judée[245], le βούλιμος, chassé des maisons et de la ville d’Athènes, sont sacrifiés de cette manière. Malgré la différence des rites, il se passe ici le même phénomène que sur l’autel de l’‘olâ à Jérusalem lorsque la victime monte tout entière en fumée devant la face de Iahwe. Des deux parts, elle est séparée, elle disparaît complètement quoique ce ne soit pas vers les mêmes régions du monde religieux qu’elle se dirige dans les deux cas.

Mais quand les restes de la victime n’étaient pas tout entiers attribués soit aux dieux, soit aux démons, on s’en servait pour communiquer soit aux sacrifiants, soit aux objets du sacrifice, les vertus religieuses qu’y avait suscitées la consécration sacrificielle. Les opérations que nous allons maintenant décrire correspondent à celles que nous avons rencontrées au début de la cérémonie. Nous avons vu alors le sacrifiant, par l’imposition des mains, passer à la victime quelque chose de sa personnalité. Maintenant, c’est la victime ou ce qui en reste qui va passer au sacrifiant les qualités nouvelles qu’elle a acquises par la sacrification[246]. Cette communication peut s’obtenir par une simple bénédiction[247]. Mais, en général, on recourait à des rites plus matériels ; c’étaient, par exemple, l’aspersion du sang[248], l’application de la peau[249], des onctions de graisse[250], le contact des résidus de la crémation[251]. Parfois, l’animal était coupé en deux et le sacrifiant passait au travers[252]. Mais le moyen de réaliser la communication la plus parfaite était d’abandonner au sacrifiant une part de la victime, qu’il consommait[253]. Il s’assimilait les caractères du tout quand il en mangeait une parcelle. D’ailleurs, de même qu’il y avait des cas où tout était brûlé par le dieu, il y en avait d’autres où le sacrifiant recevait la totalité de l’oblation[254].

Toutefois, ses droits sur la partie de la victime qui lui était abandonnée étaient limités par le rituel[255]. Il devait très souvent la consommer dans un temps donné. Le Lévitique permet de manger le lendemain de la cérémonie les restes de la victime du sacrifice du vœu (neder) et du sacrifice désigné par le nom de nedabâ (offrande volontaire). Mais s’il y en avait encore le troisième jour, ils devaient être brûlés ; celui qui en mangeait péchait gravement[256]. Généralement, la victime doit être mangée le jour même du sacrifice[257] ; quand il a lieu le soir, rien ne doit rester au matin ; c’est le cas du sacrifice de la Pâque[258]. On trouvait en Grèce des restrictions analogues, par exemple, dans les sacrifices θεοῖς τοῖς Μειλιχίοις, dieux chthoniens, à Myonia en Phocide[259] ; en outre, le repas sacrificiel ne pouvait avoir lieu que dans l’enceinte du sanctuaire[260]. Ces précautions étaient destinées à empêcher que les restes de la victime, étant sacrés, n’entrassent en contact avec les choses profanes. La religion défendait la sainteté des objets sacrés en même temps qu’elle protégeait le vulgaire contre leur malignité. Si, quoique profane, le sacrifiant était admis à y toucher et à en manger, c’est que la consécration, en le sanctifiant, l’avait mis en état de faire sans danger. Mais les effets de sa consécration ne duraient qu’un temps ; ils s’évanouissaient à la longue, et c’est pourquoi la consommation devait se faire dans un délai déterminé. Inutilisés, les restes devaient être tout au moins, s’ils n’étaient pas détruits, serrés et surveillés[261]. Même les résidus de la crémation qui ne pouvaient être ni détruits, ni utilisés n’étaient pas jetés au hasard. Ils étaient déposés dans des endroits spéciaux protégés par des interdictions religieuses[262].

L’étude du sacrifice animal hindou, dont nous avons interrompu la description, présente un ensemble, rarement réalisé, de toutes ces pratiques, et de celles qui concernent l’attribution aux dieux, et de celles qui regardent la communication aux sacrifiants.

Immédiatement après l’étouffement de la victime, on en assure par un rite spécial la pureté sacrificielle. Un prêtre conduit, auprès du corps étendu, la femme du sacrifiant qui a assisté à la cérémonie[263], et, pendant différents lavages, elle « fait boire » à chacun des orifices de la bête les eaux de purification[264]. Cela fait, le dépeçage commence. Dès le premier coup de couteau, le sang coule ; on le laisse s’échapper. C’est la part destinée aux mauvais génies. « Tu es la part des rakṣas[265]. »

Vient alors la cérémonie qui a pour objet d’attribuer au dieu la partie essentielle de la victime : c’est la vapâ, en langage technique, le grand épiploon[266]. On l’enlève rapidement avec toutes sortes de précautions et de propitiations. On l’amène processionnellement comme une victime, le sacrifiant tenant toujours le prêtre qui la porte[267]. On la fait cuire auprès du feu sacré et on dispose les choses de manière à ce que la graisse, en fondant, coule goutte à goutte sur le feu. On dit qu’elle tombe « sur la peau du feu[268] », c’est-à-dire d’Agni et, comme Agni est chargé de transmettre aux dieux les offrandes, c’est une première part attribuée aux dieux[269]. — Une fois la vapâ cuite, découpée, on la jette au feu[270], au milieu de bénédictions, de révérences et après que les invocations nécessaires ont été faites. C’est une nouvelle part pour les dieux. Cette seconde attribution est elle-même traitée comme une sorte de sacrifice complet[271] ; c’est ainsi qu’on s’excuse auprès de la vapâ, comme on avait fait auprès de la victime au moment de l’immolation. — Cela fait, on revient à la bête, on l’écorche et, dans ses chairs, on découpe dix-huit morceaux[272], que l’on fait cuire ensemble. La graisse, le bouillon, l’écume[273] qui surnagent[274] dans le pot où a lieu cette cuisson, est pour le dieu ou le couple de dieux auquel s’adresse le sacrifice : on sacrifie tout cela dans le feu. Ce qu’on détruit ainsi représente formellement encore une fois la victime tout entière[275], c’est une nouvelle élimination totale de la bête qui se trouve effectuée de cette manière. — Enfin, sur les dix-huit morceaux qui ont servi à faire ce bouillon, un certain nombre sont prélevés qui sont encore attribués à différentes divinités ou personnalités mythiques[276].

Mais sept de ces parts servent à un tout autre objet[277] : c’est par elles que va être communiquée au sacrifiant la vertu sacrée de la victime[278]. Elles constituent ce qu’on nomme l’iḍâ. Ce nom est également celui de la déesse qui personnifie les bestiaux et qui dispense la fortune et la fécondité[279]. Le même mot désigne donc cette divinité et la part sacrificielle[280]. C’est que la déesse vient s’y incarner au cours même de la cérémonie, et voici comment s’opère cette incarnation. Dans les mains d’un prêtre, préalablement ointes[281], on place l’iḍâ ; les autres prêtres et le sacrifiant l’entourent et la touchent[282]. Pendant qu’ils sont dans cette position, on invoque la déesse[283]. Il s’agit ici d’une invocation au sens propre et technique du mot (vocare in, appeler dedans). La divinité n’est pas seulement invitée à assister et à participer au sacrifice, mais à descendre dans l’offrande. C’est une véritable transsubstantiation qui s’opère. Sur l’appel qui lui est adressé, la déesse vient et amène avec elle toutes sortes de forces mythiques, celles du soleil, du vent, de l’atmosphère, du ciel, de la terre, des bestiaux, etc., etc. C’est ainsi que, comme dit un texte, on épuise sur l’iḍâ (part sacrificielle) tout ce qu’il y a de bon dans le sacrifice et dans le monde[284]. Alors, le prêtre qui la tenait en ses mains mange sa part[285] et, ensuite, le sacrifiant en fait autant[286]. Et tout le monde reste assis en silence jusqu’à ce que le sacrifiant se soit rincé la bouche[287]. Alors[288], on distribue leurs parts aux prêtres, qui représentent chacun un dieu[289].

Après avoir distingué dans les divers rituels qui viennent d’être comparés les rites d’attribution aux dieux et les rites d’utilisation par les hommes, il importe de remarquer leur analogie. Les uns et les autres sont faits des mêmes pratiques, impliquent les mêmes manœuvres. Nous avons retrouvé des deux côtés l’aspersion du sang ; l’application de la peau, ici sur l’autel ou sur l’idole, là sur le sacrifiant ou les objets du sacrifice ; la communion alimentaire, fictive ou mythique pour ce qui regarde les dieux, réelle pour ce qui concerne les hommes. Au fond même, ces différentes opérations sont toutes substantiellement identiques. Il s’agit de mettre en contact la victime une fois immolée soit avec le monde sacré, soit avec les personnes ou les choses qui doivent profiter du sacrifice. L’aspersion, l’attouchement, l’application de la dépouille ne sont évidemment que des manières différentes d’établir un contact que la communion alimentaire porte à son plus haut degré d’intimité ; car elle produit non pas un simple rapprochement extérieur, mais un mélange des deux substances qui s’absorbent l’une dans l’autre au point de devenir indiscernables. Et si ces deux rites sont à ce point semblables, c’est que l’objet poursuivi de part et d’autre n’est lui-même pas sans analogie. Dans les deux cas, il s’agit de faire communiquer la force religieuse que les consécrations successives ont accumulée dans l’objet sacrifié, d’un côté avec le domaine du religieux, de l’autre avec le domaine profane auquel appartient le sacrifiant. Les deux systèmes de rites contribuent, chacun dans leur sens, à établir cette continuité qui nous paraît, après cette analyse, être l’un des caractères les plus remarquables du sacrifice. La victime est l’intermédiaire par lequel le courant s’établit. Grâce à elle, tous les êtres qui se rencontrent au sacrifice s’y unissent. Toutes les forces qui y concourent se confondent.

Il y a plus : il n’y a pas seulement ressemblance, mais solidarité étroite entre ces deux sortes de pratiques d’attribution. Les premières sont la condition des secondes. Pour que la victime puisse être utilisée par les hommes, il faut que les dieux aient reçu leur part. Elle est, en effet, chargée d’une telle sainteté que le profane, malgré les consécrations préalables qui l’ont, dans une certaine mesure, élevé au-dessus de sa nature ordinaire et normale, ne peut y toucher sans danger. Il faut donc abaisser de quelques degrés cette religiosité qui est en elle et qui la rend inutilisable pour les simples mortels. Déjà l’immolation avait, en partie, atteint ce résultat. En effet, c’est dans l’esprit que cette religiosité était le plus éminemment concentrée. Une fois donc que l’esprit est parti, la victime devient plus abordable. On pouvait la manier avec moins de précautions. Il y avait même des sacrifices où tout péril avait dès lors disparu : ce sont ceux où l’animal tout entier est utilisé par le sacrifiant, sans qu’il en soit rien attribué aux dieux. Mais, dans d’autres cas, cette première opération ne suffisait pas à décharger la victime autant qu’il était nécessaire. Il fallait donc s’y reprendre à nouveau pour éliminer encore, vers les régions du sacré, ce qui était resté en elle de trop redoutable ; il fallait, comme le dit le rituel hindou, refaire une sorte de nouveau sacrifice[290]. C’est là l’objet des rites d’attribution aux dieux.

Ainsi les rites, si nombreux, qui sont pratiqués sur la victime, peuvent être, dans leurs traits essentiels, résumés en un schéma très simple. On commence par la consacrer ; puis les énergies que cette consécration a suscitées et concentrées sur elle, on les fait échapper, par la destruction, les unes vers les êtres du monde sacré, les autres vers les êtres du monde profane. La série d’états par lesquels elle passe pourrait donc être figurée par une courbe : elle s’élève à un degré maximum de religiosité, où elle ne reste qu’un instant, et d’où elle redescend ensuite progressivement. Nous verrons que le sacrifiant passe par des phases homologues[291].

La sortie.

Les effets utiles du sacrifice sont produits ; cependant, tout n’est pas terminé. Le groupe de gens et de choses qui s’est formé pour la circonstance autour de la victime n’a plus de raison d’être ; encore faut-il qu’il se dissolve lentement et sans heurts et, comme ce sont des rites qui l’ont créé, ce sont des rites aussi qui, seuls, peuvent remettre en liberté les éléments dont il est composé. Les liens qui unissaient à la victime les prêtres et le sacrifiant n’ont pas été rompus par l’immolation ; tous ceux qui ont pris part au sacrifice y ont acquis un caractère sacré qui les isole du monde profane. Il est nécessaire qu’ils y puissent rentrer. Il leur faut sortir du cercle magique où ils sont encore enfermés. De plus, au cours des cérémonies, des fautes ont pu être commises qu’il faut effacer avant de reprendre la vie commune. Les rites par lesquels s’opère cette sortie du sacrifice font exactement pendant à ceux que nous avons observés lors de l’entrée[292].

Dans le sacrifice animal hindou, comme, d’ailleurs, dans tous les sacrifices du même rituel, cette dernière phase du sacrifice est très nettement marquée. On sacrifie ce qui reste de beurre et de graisse épars sur le gazon[293] ; puis, on détruit dans le feu sacrificiel un certain nombre d’instruments[294], le gazon du sacrifice[295], le bâton du récitant, les planchettes qui entouraient la vedi[296]. On verse les eaux de lustration qui n’ont pas été employées, puis, après avoir révéré le poteau[297], on fait sur lui une libation. Parfois, on l’emporte à la maison, il est censé purifier des fautes rituelles ; ou bien on le brûle comme le gazon[298]. On détruit par le feu tout ce qui peut rester des offrandes, on nettoie les ustensiles et on les remporte après les avoir lavés[299]. Seule, la broche qui a servi à faire rissoler le cœur est enfouie ; cas particulier du rite en vertu duquel l’instrument du crime ou de la-douleur doit être caché[300].

Voici maintenant ce qui se passe pour les personnes. Les prêtres, le sacrifiant, sa femme se réunissent et se lustrent en se lavant les mains[301]. Le rite a un double objet : on se purifie d’abord des fautes que l’on a pu commettre dans le sacrifice et aussi de celles que le sacrifice avait pour but d’effacer. En réalité, on abandonne la religiosité sacrificielle. C’est ce qu’exprime le rite de l’abandon du vœu[302] : « Ô Agni, j’ai fait mon vœu ; je me suis égalé à mon vœu, je redeviens homme… Je redescends du monde des dieux dans le monde des hommes[303]. »

Une forme exagérée du même rite en rendra le sens plus apparent : c’est le « bain d’emportement[304] » qui termine le sacrifice du soma, et qui est le contraire de la dîkṣâ. Après que les instruments ont été déposés, le sacrifiant prend un bain dans une anse tranquille formée par une eau courante[305]. On plonge dans l’eau tous les restes du sacrifice, toutes tes branches pressurées du soma[306]. Le sacrifiant délie alors la ceinture sacrificielle qu’il avait revêtue lors de la dîkṣâ ; il en fait autant pour le lien qui serrait certaines pièces du costume de la femme, pour le turban, la peau de l’antilope noire, les deux vêtements du sacrifice, et il immerge le tout. Alors lui et sa femme, dans l’eau jusqu’au cou, prennent leur bain, en priant et en se lavant, d’abord le dos, puis les membres, l’un à l’autre[307]. Cela fait, ils sortent du bain et revêtent des vêtements neufs[308]. Tout a donc été passé à l’eau de manière à perdre tout caractère dangereux ou même simplement religieux ; les fautes rituelles qui ont pu être faites sont expiées, ainsi que le crime que l’on a commis en tuant le dieu Soma. Or si le rite est plus complexe que celui dont nous avons parlé tout d’abord, il est de même nature : les faits et la théorie lui assignent la même fonction.

Les textes bibliques sont malheureusement moins complets et moins clairs ; on y trouve pourtant quelques allusions aux mêmes pratiques. Dans la fête du Grand Pardon, le grand-prêtre, après avoir chassé le bouc d’Azazel, rentrait au sanctuaire et retirait son costume sacré, « afin qu’il ne propageât pas la consécration » ; il se lavait, remettait d’autres vêtements, sortait et sacrifiait l’‘olâ[309]. L’homme qui avait conduit le bouc se baignait et lavait ses vêtements avant de revenir[310]. Celui qui brûlait les restes du ḫaṭṭât faisait de même[311]. Nous ignorons si les autres sacrifices étaient accompagnés de pratiques analogues[312]. En Grèce, après les sacrifices expiatoires, les sacrificateurs, qui d’ailleurs s’abstenaient le plus possible de toucher la victime, lavaient leurs vêtements dans une rivière ou une source avant de rentrer dans la ville ou chez eux[313]. Les ustensiles qui avaient servi au sacrifice étaient lavés soigneusement quand ils n’étaient pas détruits[314]. Ces pratiques limitaient l’action de la consécration. Elles sont assez importantes pour avoir subsisté dans la messe chrétienne. Le prêtre, après la communion, lave le calice, se lave les mains ; après quoi, la messe est finie, le cycle est clos, et l’officiant prononce la formule finale et libératrice : Ite, missa est. Ces cérémonies correspondent à celles qui ont marqué l’entrée dans le sacrifice. Le fidèle et le prêtre sont libérés, comme ils avaient été préparés au début de la cérémonie. Ce sont des cérémonies inverses, elles font contrepoids aux premières.

L’état religieux du sacrifiant décrit donc, lui aussi, une courbe symétrique de celle que parcourt la victime. Il commence par s’élever progressivement dans la sphère du religieux, il atteint ainsi un point culminant d’où il redescend ensuite vers le profane. Ainsi, chacun des êtres et des objets qui jouent un rôle dans le sacrifice, est entraîné comme par un mouvement continu qui, de l’entrée à la sortie, se poursuit sur deux pentes opposées. Mais si les courbes ainsi décrites ont la même configuration générale, elles n’ont pas toutes la même hauteur ; c’est naturellement celle que décrit la victime qui parvient au point le plus élevé.

D’ailleurs, il est clair que l’importance respective de ces phases d’ascension et de descente peut varier infiniment suivant les circonstances. C’est ce que nous montrerons dans ce qui va suivre.

III

COMMENT LE SCHÈME VARIE
SELON LES FONCTIONS GÉNÉRALES DU SACRIFICE

Nous n’avons fait, dans ce qui précède, que construire un schème. Mais ce schème est tout autre chose qu’une simple abstraction. Nous avons vu, en effet, qu’il était réalisé in concreto dans le cas du sacrifice animal hindou ; de plus, autour de ce rite, nous avons pu grouper un ensemble de rites sacrificiels que prescrivent le rituel hébraïque et les rituels grecs et latins. En réalité, il constitue la matière commune dont sont faites les formes plus spéciales du sacrifice. Suivant la fin poursuivie, suivant la fonction qu’il doit remplir, les parties qui le composent peuvent avoir des proportions différentes et se disposer dans un ordre différent ; les unes peuvent prendre plus d’importance au détriment des autres, certaines même peuvent faire totalement défaut. De là, naît la diversité des sacrifices, mais sans qu’il y ait entre les combinaisons diverses de différences spécifiques. Ce sont toujours les mêmes éléments groupés autrement ou inégalement développés. C’est ce que nous allons essayer de faire voir à propos de quelques types fondamentaux.

Puisque le sacrifice a pour but d’affecter l’état religieux du sacrifiant ou de l’objet du sacrifice, on peut prévoir a priori que les lignes générales de notre dessin doivent varier suivant ce qu’est cet état au début de la cérémonie. Supposons d’abord qu’il soit neutre. Le sacrifiant (et ce que nous disons du sacrifiant pourrait se répéter de l’objet dans le cas du sacrifice objectif) n’est investi, avant le sacrifice, d’aucun caractère sacré : le sacrifice a alors pour fonction de le lui faire acquérir. C’est ce qui arrive notamment dans les sacrifices d’initiation et d’ordination. Dans ces cas, comme la distance est grande entre le point d’où part le sacrifiant et celui où il doit arriver, les cérémonies d’introduction sont nécessairement développées ; il entre pas à pas, avec précaution, dans le monde sacré. Inversement, comme la consécration est alors plus désirée que redoutée, on craindrait de l’amoindrir en la limitant et en la circonscrivant trop étroitement. Il faut que le sacrifiant, même rentré dans la vie profane, garde quelque chose de ce qu’il a acquis au cours du sacrifice. Les pratiques de sortie sont donc réduites à leur plus simple expression. Elles peuvent même disparaître tout à fait. Le Pentateuque ne les signale pas quand il décrit les rites de l’ordination des prêtres, des Lévites. Dans la messe chrétienne, elles ne survivent que sous la forme de purifications supplémentaires. Les changements produits par ces sacrifices ont, d’ailleurs, une durée très variable. Ils sont parfois constitutionnels et impliquent une véritable métamorphose. On prétendait que l’homme qui touchait aux chairs de la victime humaine sacrifiée à Zeus Lycaios (le loup) sur le Lycée était changé en loup, comme Lycaon l’avait été après avoir sacrifié un enfant[315]. C’est même pour cette raison que ces sacrifices se retrouvent dans les rites d’initiation, c’est-à-dire dans les rites qui ont pour objet d’introduire une âme dans un corps[316]. En tous cas, le sacrifiant se trouvait, à la fin de la cérémonie, marqué d’un caractère sacré qui, quelquefois, entraînait des interdictions spéciales. Ce caractère pouvait même être incompatible avec d’autres du même genre. Ainsi, à Olympie, l’homme qui, après avoir sacrifié à Pélops, mangeait des chairs de la victime, n’avait pas le droit de sacrifier à Zeus[317].

Cette première caractéristique est solidaire d’une autre. La fin de tout le rite est d’augmenter la religiosité du sacrifiant. Pour cela, il fallait l’associer à la victime le plus étroitement possible ; car c’est grâce à la force que la consécration a amassée en elle, qu’il acquiert le caractère désiré. Nous pouvons dire que, dans ce cas, le caractère dont la communication est le but même du sacrifice, va de la victime au sacrifiant (ou à l’objet). Aussi est-ce après l’immolation qu’ils sont mis en contact, ou, tout au moins, c’est à ce moment qu’a lieu la mise en contact la plus importante. Sans doute, il arrive qu’une imposition des mains établisse un lien entre le sacrifiant et la victime avant que celle-ci soit détruite ; mais quelquefois (par exemple, dans le zebaḫ shelamim), elle manque totalement et, en tout cas, elle est secondaire. La plus essentielle est celle qui se produit une fois que l’esprit est parti. C’est alors que se pratique la communion alimentaire[318]. On pourrait appeler sacrifices de sacralisation les sacrifices de cette sorte. La même dénomination convient également à ceux qui ont pour effet, non pas de créer de toutes pièces un caractère sacré chez le sacrifiant, mais simplement d’augmenter un caractère préexistant.

Mais il n’est pas rare que l’homme qui va sacrifier se trouve déjà marqué d’un caractère sacré, d’où résultent des interdictions rituelles qui peuvent être contraires à ses desseins. La souillure[319] qui se contracte en n’observant pas les lois religieuses ou par le contact des choses impures, est une sorte de consécration[320]. Le pécheur, comme le criminel, est un être sacré[321]. S’il sacrifie, le sacrifice a pour but, ou du moins l’un des buts du sacrifice est alors, de le débarrasser de sa consécration. C’est l’expiation. Mais remarquons un fait important : maladie, mort et péché, sont, au point de vue religieux, identiques ; la plupart des fautes rituelles sont sanctionnées par le malheur ou le mal physique[322]. Et, inversement, ceux-ci sont censés être causés par des fautes consciemment ou inconsciemment commises. La conscience religieuse, même celle de nos contemporains, n’a jamais bien séparé l’infraction aux règles divines et ses conséquences matérielles sur le corps, sur la situation du coupable, sur son avenir dans l’autre monde. Aussi pouvons-nous traiter à la fois des sacrifices curatifs et des sacrifices purement expiatoires. Les uns et les autres ont pour objet de faire passer, grâce à la continuité sacrificielle, sur la victime l’impureté religieuse du sacrifiant et de l’éliminer avec elle.

Aussi la forme la plus élémentaire de l’expiation est-elle l’élimination pure et simple. De ce genre, est l’expulsion du bouc d’Azazel, et celle de l’oiseau dans le sacrifice de la purification du lépreux. Le jour du Pardon, on choisissait deux boucs. Le grand-prêtre, après divers ḫaṭṭât, mettait les deux mains sur la tête de l’un d’eux, confessait sur lui les péchés d’Israël, puis l’envoyait au désert. Il emportait avec lui les péchés qui lui étaient communiqués par l’imposition des mains[323]. Dans le sacrifice de la purification du lépreux[324], le sacrificateur prenait deux passereaux (?). Il coupait la gorge de l’un d’eux au-dessus d’un vase de terre contenant de l’eau vive. L’autre était trempé dans cette eau sanglante, avec laquelle une aspersion était faite sur le lépreux. Le passereau vivant était alors lâché et il emportait la lèpre avec lui. Le malade n’avait plus qu’à faire une ablution ; il était purifié et guéri. Le ḫaṭṭât présente une élimination aussi claire dans les cas où les restes de la victime étaient portés hors du camp et brûlés complètement[325]. — Les sacrifices médecine hindous comportent des cas analogues[326]. Pour guérir de la jaunisse[327], au-dessous du lit, on lie des oiseaux jaunes ; puis on le lustre de telle façon que l’eau tombe sur les oiseaux qui se mettent à jacasser. Comme le dit l’hymne magique, c’est à ce moment que « la jaunisse » est « dans les oiseaux jaunes[328] ». — Dépassons un peu ce stade trop matériel du rite. Un homme est affligé d’un mauvais sort. On emploie une série de rites dont les uns sont purement symboliques[329], mais dont les autres se rapprochent du sacrifice : On lie à la patte gauche « d’un coq noir[330] » un « crochet », au crochet on attache un gâteau et on dit en lâchant l’oiseau[331] : « Vole d’ici, ô mauvais sort[332], détruis-toi d’ici ; envole-toi ailleurs ; sur celui qui nous hait, avec ce crochet de fer, nous te lions[333]. » La tare du sacrifiant s’est fixée sur l’oiseau et a disparu avec lui, soit qu’elle se détruise, soit qu’elle retombe sur l’ennemi[334].

Mais il y a un cas en particulier où l’on voit clairement que le caractère ainsi éliminé est essentiellement religieux : c’est celui du « taureau à la broche[335] », victime expiatoire au dieu Rudra. Rudra est le maître des animaux, celui qui peut les détruire, eux et les hommes, par la peste ou la fièvre. Il est donc le dieu dangereux[336]. Or, dieu du bétail, il existe dans le troupeau, en même temps qu’il l’entoure et le menace. Pour l’en écarter, on le concentre sur le plus beau des taureaux du troupeau. Ce taureau devient Rudra lui-même ; on l’élève, on le sacre comme tel, on lui rend hommage[337]. Puis, au moins d’après certaines écoles, on le sacrifie hors du village, à minuit, au milieu des bois[338] ; de cette manière, Rudra est éliminé[339]. Le Rudra des bêtes est allé rejoindre le Rudra des bois, des champs et des carrefours. C’est donc bien à expulser un élément divin que le sacrifice a tendu et réussi.

Dans tous ces cas, le caractère sacré dont le sacrifice opère la transmission va non pas de la victime au sacrifiant[340], mais, au contraire, du sacrifiant sur la victime. C’est sur elle qu’il se débarrasse. Aussi est-ce avant l’immolation et non après qu’a lieu leur mise en contact, celle du moins qui est vraiment essentielle. Une fois qu’il s’est déchargé sur elle, il tend, au contraire, à la fuir ainsi que tout le milieu où s’est passée la cérémonie. Pour cette raison, les rites de sortie sont développés. Les rites de ce genre que nous avons signalés dans le rituel hébreu ne nous ont été présentés que pour des sacrifices expiatoires. Après le premier sacrifice qui l’a purifié, le lépreux doit compléter sa purification par une ablution supplémentaire et même par un nouveau sacrifice[341]. Au contraire, les rites d’entrée sont restreints ou manquent. Le sacrifiant étant déjà investi d’un caractère religieux n’a pas à l’acquérir. La religiosité dont il est marqué s’abaisse progressivement depuis le commencement de la cérémonie. Le mouvement ascensionnel que nous avons trouvé dans le sacrifice complet est rudimentaire ou fait défaut. Nous nous trouvons donc en présence d’un autre type, dans lequel entrent les mêmes éléments que dans le sacrifice de sacralisation ; mais ces éléments sont orientés en sens contraire et leur importance respective est renversée.

Dans ce qui précède, nous avons supposé que le caractère sacré dont était marqué le sacrifiant au début du sacrifice était pour lui une tare, une cause d’infériorité religieuse, péché, impureté, etc. Mais il y a des cas où le mécanisme est exactement le même et où pourtant l’état initial est pour le sacrifiant une source de supériorité, constitue un état de pureté. Le nazir[342], à Jérusalem, était un être parfaitement pur ; il s’était consacré à Jahwe par un vœu à la suite duquel il s’abstenait de vin et ne coupait plus ses cheveux. Il devait se garder de toute souillure. Mais, une fois arrivé au terme de son vœu[343], il ne pouvait s’en dégager que par un sacrifice. À cet effet, il prend un bain de purification[344], puis il offre un agneau en ‘olâ, une brebis en ḫaṭṭât et un bélier en zebaḫ shelamim. Il se rase les cheveux et les jette sur le feu où cuit la viande du shelamim[345]. Lorsque le sacrificateur fait le zebaḫ shelamim, il met sur les mains du nazir la teroumâ, la tenouphâ, c’est-à-dire les parties consacrées, et un gâteau de l’offrande correspondante[346]. Après quoi ces oblations sont présentées à Jahwe. Ensuite, dit le texte, le nazir pourra boire du vin, c’est-à-dire qu’il est délié de la consécration. Elle est passée d’une part sur ses cheveux coupés et offerts sur l’autel, de l’autre sur la victime qui le représente. L’une et l’autre chose sont éliminées. Le processus est donc le même que dans l’expiation. Le caractère sacré, quelle qu’en soit la haute valeur religieuse, va du sacrifiant à la victime. Par conséquent le sacrifice d’expiation n’est lui-même qu’une variété particulière d’un type plus général, qui est indépendant du caractère favorable ou défavorable de l’état religieux affecté par le sacrifice On pourrait l’appeler sacrifice de désacralisation.

Les choses, comme les personnes, peuvent se trouver en un état de si grande sainteté qu’elles en deviennent inutilisables et dangereuses. Des sacrifices de ce genre deviennent nécessaires. C’est le cas, en particulier, des produits du sol. Chaque espèce de fruits, céréales et autres, est tout entière sacrée, interdite, tant qu’un rite, souvent bien symbolique, n’en a pas fait disparaître l’interdit qui la garde[347]. Dans ce but, on concentre sur une partie des fruits toute la vertu que contiennent les autres. Puis on sacrifie cette partie et, par cela seul, les autres sont libérées[348]. Ou bien encore, passant par deux étapes de désacralisation successives, on concentre d’abord sur les prémices l’ensemble de la consécration, puis, on représente ces prémices elles-mêmes par une victime que l’on élimine. C’est ce qui arrivait, par exemple, dans le cas de l’apport des premiers fruits à Jérusalem[349]. Les habitants d’un district[350] apportaient en corps leurs paniers. En tête du cortège marchait un joueur de flûte. Des cohanim venaient au-devant des arrivants ; et, dans la ville, tout le monde se levait à leur passage, rendant ainsi les honneurs dus aux choses sacrées qui étaient là. Derrière le joueur de flûte, il y avait un bœuf, aux cornes dorées, couronné d’olivier. Ce bœuf, qui peut-être portait les fruits ou traînait le char, était plus tard sacrifié[351]. Arrivé à la montagne sainte, chacun, « même le roi Agrippa en personne », prenait son panier et montait au parvis[352]. Les colombes qui étaient posées dessus servaient d’holocaustes[353], et ce qu’on avait en mains était remis au prêtre. Ainsi, dans ce cas, deux moyens se superposent d’écarter la sainteté des premiers fruits : consécration au temple, sacrifice du bœuf et sacrifices des colombes, personnifications des vertus qui étaient censées y résider.

Le rapprochement que nous venons de faire, entre le cas du nazir et l’expiation individuelle, entre le cas des premiers fruits et celui des autres choses qu’il faut débarrasser d’un caractère religieux plus réellement mauvais, nous amène à faire une remarque importante. C’était déjà chose notable que, d’une manière générale, le sacrifice pût servir à deux fins aussi contraires que d’acquérir un état de sainteté et de supprimer un état de péché. Puisqu’il est fait, dans les deux cas, des mêmes éléments, il faut qu’il n’y ait pas, entre ces deux états, l’opposition tranchée qu’on y aperçoit d’ordinaire. Mais de plus, nous venons de voir que deux états, l’un de pureté parfaite, l’autre d’impureté, pouvaient être l’occasion d’un même procédé sacrificiel, dans lequel les éléments étaient non seulement identiques, mais agencés dans le même ordre et orientés dans le même sens. Il arrive encore qu’un état profane soit traité, sous de certaines conditions, comme un état opposé de consécration religieuse. C’est que nous n’avons dégagé jusqu’ici que des mécanismes élémentaires, des types presque abstraits qui, en réalité, sont le plus souvent solidaires. Il ne serait pas tout à fait exact de se représenter l’expiation comme une élimination pure et simple, où la victime ne jouerait que le rôle d’un intermédiaire passif ou d’un réceptacle. La victime du sacrifice expiatoire est plus sacrée que le sacrifiant. Elle se charge d’une consécration qui n’est pas toujours différente de celle qu’elle prend dans les sacrifices de sacralisation. Aussi bien, nous verrons-nous des rites de sacralisation et des rites expiatoires réunis dans un même sacrifice. La force que contient la victime est de nature complexe ; dans le rituel hébraïque, les résidus de la crémation de la vache rousse, qui sont rassemblés dans un lieu pur, rendent impur par leur contact un homme qui se trouve en état normal, et pourtant ils servent à la purification de ceux qui ont contracté certaines souillures[354]. Au même ordre de faits appartiennent certaines des communications qui s’établissent entre le sacrifiant et la victime à la suite du meurtre sacrificiel : il y a des sacrifices expiatoires où, la victime étant dépouillée, le sacrifiant, avant d’être complètement purifié, se tient sur la peau de la victime ou la touche. Ailleurs, on traîne la peau de l’animal dans le lieu pour lequel se fait l’expiation[355]. Dans des sacrifices plus complexes, dont nous aurons l’occasion de parler, l’élimination se complique d’une absorption. En somme, à bien considérer le sacrifice hébreu, la consécration de la victime s’accomplit de la même façon dans le ḫaṭṭât et dans l’‘olâ. Le rite de l’attribution du sang est simplement plus complet dans le premier sacrifice. Et il est remarquable que, plus l’attribution du sang est complète, plus l’exclusion expiatoire est parfaite. Lorsque le sang était porté dans le sanctuaire, la victime était traitée comme impure, et on la brûlait hors du camp[356]. Dans le cas contraire, la victime était mangée par les prêtres comme les portions consacrées du shelamim. Quelle différence y avait-il donc entre l’impureté de la victime du premier ḫaṭṭât et le caractère sacré de la victime du second ? Aucune : ou plutôt il y avait une différence théologique entre les sacrifices expiatoires et les sacrifices de sacralisation. Dans le ḫaṭṭât et dans les autres sacrifices, il y avait bien attribution du sang à l’autel, mais l’autel était divisé par une ligne rouge ; le sang du ḫaṭṭât était versé au-dessous ; le sang de l’holocauste, au-dessus[357]. Il y avait deux religiosités, dont la distinction n’était pas très profonde.

C’est qu’en effet, comme l’a bien montré Robertson Smith, le pur et l’impur ne sont pas des contraires qui s’excluent ; ce sont deux aspects de la réalité religieuse. Les forces religieuses se caractérisent par leur intensité, leur importance, leur dignité ; par suite, elles sont séparées. Voilà ce qui les constitue ; mais le sens dans lequel elles s’exercent n’est pas nécessairement prédéterminé par leur nature. Elles peuvent s’exercer pour le bien comme pour le mal. Cela dépend des circonstances, des rites employés, etc. On s’explique ainsi comment le même mécanisme sacrificiel peut satisfaire à des besoins religieux dont la différence est extrême. Il porte la même ambiguïté que les forces religieuses elles-mêmes. Il est apte au bien et au mal ; la victime représente aussi bien la mort que la vie, la maladie que la santé, le péché que le mérite, la fausseté que la vérité. Elle est le moyen de concentration du religieux ; elle l’exprime, elle l’incarne, elle le porte. C’est en agissant sur elle qu’on agit sur lui, qu’on le dirige, soit qu’on l’attire et l’absorbe, soit qu’on l’expulse et l’élimine. On s’explique de la même manière que, par des procédés appropriés, ces deux formes de la religiosité puissent se transformer l’une dans l’autre et que des rites qui, dans certains cas, paraissent opposés, soient parfois presque indiscernables.

IV

COMMENT LE SCHÈME VARIE SUIVANT LES FONCTIONS SPÉCIALES DU SACRIFICE

Nous venons de montrer comment notre schème varie pour s’adapter aux différents états religieux dans lesquels se trouve l’être, quel qu’il soit, affecté par le sacrifice. Mais nous ne nous sommes pas encore préoccupés de ce qu’était cet être en lui-même, mais seulement s’il avait ou non un caractère sacré avant la cérémonie. Cependant, il est aisé de prévoir que le sacrifice ne saurait être le même quand il est fait en vue du sacrifiant lui-même ou d’une chose à laquelle ce dernier porte intérêt. Les fonctions qu’il remplit doivent alors se spécialiser. Voyons quelles différenciations se produisent de ce chef.

Nous avons appelé personnels les sacrifices qui concernent directement la personne même du sacrifiant. De cette définition il résulte qu’ils présentent tous un premier caractère commun : puisque le sacrifiant est l’origine et la fin du rite, l’acte commence et finit avec lui. C’est un cycle fermé sur le sacrifiant. Sans doute, nous savons bien qu’il y a toujours au moins attribution de l’esprit de la chose sacrifiée au dieu ou à la puissance religieuse qui agit dans le sacrifice. Il reste pourtant que l’acte accompli par le sacrifiant lui profite d’une façon immédiate.

En second lieu, dans toutes ces sortes de sacrifices, le sacrifiant, à l’issue de la cérémonie, a amélioré son sort, soit qu’il ait supprimé le mal dont il souffrait, soit qu’il se soit remis en état de grâce, soit qu’il ait acquis une force divine. Il y a même un très grand nombre de rituels où une formule spéciale, soit à la sortie, soit au moment solennel de la sacrification, exprime ce changement, ce salut qui survient[358], la façon dont le sacrifiant est transporté dans le monde de la vie[359]. Il arrive même que la communion détermine comme une aliénation de la personnalité. En mangeant la chose sacrée où le dieu est censé résider, le sacrifiant l’absorbe ; il est possédé de lui, κάτοχος ἐκ τοῦ θεοῦ γίνεται[360], comme la prêtresse du temple d’Apollon sur l’Acropole d’Argos, quand elle a bu le sang de l’agneau sacrifié. Il semblerait, il est vrai, que le sacrifice expiatoire n’eût pas les mêmes effets. Mais, en réalité, le jour « du Pardon » est aussi le « jour de Dieu ». C’est le moment où ceux qui échappent au péché par le sacrifice, sont inscrits « au livre de vie[361] ». Comme dans le cas de la sacralisation, le courant qui s’établit, à travers la victime, entre le sacré et le sacrifiant, régénère celui-ci, lui donne une nouvelle force. Par cela seul que le péché, la mort ont été éliminés, les puissances favorables entrent en scène pour le bien du sacrifiant.

Cette régénérescence par le sacrifice personnel a donné naissance à un certain nombre de croyances religieuses. On doit d’abord y rattacher la théorie de la renaissance par le sacrifice. Nous avons vu les symboles qui font du dîkṣita un fœtus, puis un brahmane et un dieu. On sait quelle fut l’importance des doctrines de la renaissance dans les mystères grecs, les mythologies scandinaves et celtiques, les cultes osiriens, les théologies hindoues et avestiques, dans le dogme chrétien lui-même. Or, le plus souvent, ces doctrines sont nettement rattachées à l’accomplissement de certains rites sacrificiels : la consommation du gâteau d’Éleusis, du soma hindou, du haoma iranien, etc…[362].

Souvent, un changement de nom marque cette recréation de l’individu. On sait que le nom est, dans les croyances religieuses, intimement lié à la personnalité de celui qui le porte : il contient quelque chose de son âme[363]. Or le sacrifice s’accompagne assez souvent d’un changement de nom. En certains cas, ce changement se réduit à une addition d’épithète. Encore aujourd’hui, dans l’Inde, on porte le titre de dîkṣita[364]. Mais parfois le nom est complètement changé. Dans l’ancienne Église, c’était le jour de Pâques qu’on baptisait les néophytes après les avoir exorcisés : après ce baptême, on les faisait communier et on leur imposait leur nouveau nom[365]. Dans les pratiques judaïques, encore de nos jours, le même rite est employé quand la vie est en danger[366]. Il est probable qu’il accompagnait autrefois, un sacrifice ; on sait qu’un sacrifice expiatoire, lors de l’agonie, a existé chez les Juifs comme[367], d’ailleurs, dans, d’autres religions sur lesquelles nous sommes suffisamment renseignés[368]. Il est donc naturel de penser que changement de nom et sacrifice expiatoire faisaient partie d’un même complexus rituel, exprimant la modification profonde que l’on produit à ce moment dans la personne du sacrifiant.

Cette vertu vivifiante du sacrifice ne se limite pas à la vie d’ici-bas, elle s’est étendue à la vie future. Au cours de l’évolution religieuse, la notion du sacrifice a rejoint les notions qui concernent l’immortalité de l’âme. Nous n’avons rien à ajouter sur ce point aux théories de Rohde, de MM. Jevons et Nutt sur les mystères grecs[369], dont il faut rapprocher les faits cités par M. S. Lévi, empruntés aux doctrines des Brâhmaṇas[370] et ceux que Bergaigne et Darmesteter avaient déjà dégagés des textes védiques[371] et avestiques[372]. Mentionnons aussi la relation qui unit la communion chrétienne au salut éternel[373]. Si considérables que soient ces faits, il ne faut pas, d’ailleurs, en exagérer la portée. Tant que la croyance à l’immortalité n’est pas dégagée de la théologie fruste du sacrifice, elle reste vague. C’est la « non-mort » (amṛta) de l’âme que le sacrifice assure. Il garantit contre l’anéantissement dans l’autre vie comme dans celle-ci. Mais la notion de l’immortalité personnelle ne s’est dégagée de la précédente qu’à la suite d’une élaboration philosophique et, de plus, la conception d’une autre vie n’a pas pour origine l’institution du sacrifice[374].

Le nombre, la variété et la complexité des sacrifices objectifs sont tels que nous ne pouvons en traiter qu’assez sommairement. Sauf pour le sacrifice agraire dont l’étude est dès maintenant assez avancée, nous devrons nous contenter d’indications générales qui montrent comment ces sacrifices se rattachent à notre schème général.

Le trait caractéristique des sacrifices objectifs est que l’effet principal du rite porte, par définition, sur un objet autre que le sacrifiant. En effet, le sacrifice ne revient pas à son point de départ ; les choses qu’il a pour but de modifier sont en dehors du sacrifiant. L’effet produit sur ce dernier est donc secondaire. Par suite, les rites d’entrée et de sortie, qui ont particulièrement en vue le sacrifiant, deviennent rudimentaires. C’est la phase centrale, la sacrification, qui tend à prendre le plus de place. Il s’agit avant tout de créer de l’esprit[375], soit qu’on le crée pour l’attribuer à l’être réel ou mythique que le sacrifice concerne, soit que, pour libérer une chose de quelque vertu sacrée qui la rendait inabordable, on transforme cette vertu en esprit pur, soit qu’on poursuive l’un et l’autre but à la fois.

Mais, de plus, la nature particulière de l’objet intéressé par le sacrifice modifie ce dernier. Dans le sacrifice de construction[376], par exemple, on se propose de créer un esprit qui soit le gardien de la maison, ou de l’autel, ou de la ville que l’on construit ou que l’on veut construire, et qui en fasse la force[377]. Aussi les rites d’attribution se développent-ils. On emmure le crâne de la victime humaine, le coq, la tête de chouette, etc. D’autre part, suivant la nature de la construction, selon qu’il s’agit d’un temple, ou d’une ville ou d’une simple maison, l’importance de la victime varie ; suivant que l’édifice est déjà construit ou à construire, le sacrifice aura pour objet de créer l’esprit ou la divinité gardienne, ou bien il sera une propitiation du génie du sol que les travaux de construction vont léser[378]. La couleur de la victime varie par cela même : elle est noire, par exemple, s’il s’agit de propitier le génie de la terre, blanche si l’on veut créer un esprit favorable[379]. Les rites de destruction eux-mêmes ne sont pas identiques dans les deux cas.

Dans le sacrifice-demande, on cherche avant tout à produire certains effets spéciaux que le rite définit. Si le sacrifice est l’accomplissement d’une promesse déjà faite, s’il est fait pour délier l’obligataire du lien moral et religieux qui pèse sur lui, la victime a, à quelque degré, un caractère expiatoire[380]. Si, au contraire, on veut engager la divinité par un contrat, le sacrifice a plutôt la forme d’une attribution[381] : le do ut des est le principe et, par suite, il n’y a pas de part réservée aux sacrifiants. S’il s’agit de remercier la divinité d’une grâce particulière[382], l’holocauste, c’est-à-dire l’attribution totale, ou bien le shelamim, c’est-à-dire le sacrifice dont une part reste au sacrifiant, peuvent être de règle. D’un autre côté, l’importance de la victime est en relation directe avec la gravité du vœu. Enfin, les caractères spéciaux de la victime dépendent de la nature de la chose désirée : si l’on veut de la pluie, on sacrifice des vaches noires[383], ou l’on fait intervenir dans le sacrifice un cheval noir sur lequel on verse de l’eau[384], etc. On peut donner de ce principe général une raison très plausible. Là, comme dans l’acte magique avec lequel ces rites se confondent par certains côtés, le rite agit, au fond, par lui-même. La force dégagée est efficace. La victime se moule sur la formule votive, s’incorpore à elle, la remplit, l’anime, la porte aux dieux, en devient l’esprit, « le véhicule[385] ».

Nous n’avons fait qu’indiquer comment le schème du sacrifice varie avec les différents effets qu’il doit produire. Voyons comment les divers mécanismes que nous avons distingués peuvent se réunir dans un sacrifice unique. Les sacrifices agraires sont précisément d’excellents exemples à ce point de vue. Car, essentiellement objectifs, ils n’en ont pas moins d’importants effets sur le sacrifiant.

Ces sacrifices ont un double but. Ils sont destinés d’abord à permettre et de travailler la terre et d’utiliser ses produits, en levant les interdictions qui les protègent. En second lieu, ils sont un moyen de fertiliser les champs que l’on cultive et de conserver leur vie quand, après la récolte, ils apparaissent dépouillés et comme morts. Les champs, en effet, et leurs produits sont considérés comme éminemment vivants. Il y a en eux un principe religieux qui sommeille pendant l’hiver, reparaît au printemps, se manifeste dans la moisson et la rend, pour cette raison, d’un abord difficile aux mortels. Parfois même, on se représente ce principe comme un esprit qui monte la garde autour des terres et des fruits ; il les possède, et c’est cette possession qui constitue leur sainteté. Il faut donc l’éliminer pour que la moisson ou l’usage des fruits soit possible. Mais en même temps, comme il est la vie même du champ, il faut, après l’avoir expulsé, le recréer et le fixer dans la terre dont il fait la fertilité. Les sacrifices de désacralisation simple peuvent suffire au premier de ces besoins, mais non au second. Les sacrifices agraires ont donc, pour la plupart, des effets multiples. On y trouve réunis des formes de sacrifices différentes. C’est un des cas où l’on observe le mieux cette complexité fondamentale du sacrifice sur laquelle nous ne saurions trop insister. Aussi ne prétendons-nous pas faire en ces quelques pages une théorie générale du sacrifice agraire. Nous n’osons pas prévoir toutes les exceptions apparentes et nous ne pouvons débrouiller l’enchevêtrement des développements historiques. Nous nous bornerons à l’analyse d’un sacrifice bien connu, qui a fait déjà l’objet d’un certain nombre d’études. C’est le sacrifice à Zeus Polieus que les Athéniens célébraient dans la fête connue sous le nom de Dipolia ou de Bouphonia[386].

Cette fête[387] avait lieu au mois de juin, à la fin de la moisson et au commencement du battage des blés. La principale cérémonie se passait sur l’acropole, à l’autel de Zeus Polieus. Des gâteaux étaient disposés sur une table de bronze. Ils n’étaient pas gardés[388]. Alors, on lâchait des bœufs ; l’un d’eux s’approchait de l’autel, mangeait une partie des offrandes et foulait aux pieds le reste[389]. Aussitôt un des sacrificateurs le frappait de sa hache. Quand il était abattu, un second l’achevait en lui tranchant la gorge avec un couteau ; d’autres le dépouillaient, pendant que celui qui l’avait frappé le premier prenait la fuite. Après le jugement au Prytaneion dont nous avons parlé, la chair du bœuf était partagée entre les assistants, la peau était recousue, remplie de paille, et l’animal ainsi empaillé était attelé à une charrue.

Ces pratiques singulières prêtaient à la légende. Trois versions en attribuaient l’origine à trois personnages différents ; l’une à Diomos, prêtre de Zeus Polieus, l’autre à Sopatros, la troisième à Thaulon[390], qui paraissent bien être les ancêtres mythiques des prêtres de ce sacrifice. Dans les trois versions, le prêtre a déposé l’offrande sur l’autel ; un bœuf survient, les enlève ; le prêtre furieux frappe le sacrilège et, sacrilège lui-même, il s’exile. La plus longue de ces versions est celle dont le héros est Sopatros. Une sécheresse et une famine sont la conséquence de son crime. La Pythie consultée répond aux Athéniens que l’exilé pourrait les sauver ; qu’il faudrait punir le meurtrier, ressusciter la victime dans un sacrifice semblable à celui où elle est morte et manger de sa chair. On fait revenir Sopatros, on lui rend ses droits pour qu’il offre le sacrifice et l’on célèbre la fête comme nous l’avons décrite.

Voilà les faits : que signifient-ils ? Il y a trois actes à distinguer dans cette fête : 1o  la mort de la victime ; 2o  la communion ; 3o  la résurrection de la victime[391].

Au début de la cérémonie, des gâteaux et des grains sont déposés sur l’autel. Ce sont probablement les prémices des blés battus[392]. Cette oblation est analogue à toutes celles qui permettent aux profanes l’usage des récoltes. Toute la sainteté du blé à battre a été concentrée dans les gâteaux[393]. Le bœuf y touche ; la soudaineté du coup qui le frappe montre que la consécration a passé sur lui, foudroyante. Il a incarné l’esprit divin logé dans les prémices qu’il a mangées. Il devient cet esprit, si bien que son meurtre est un sacrilège. Toujours, la victime du sacrifice agraire représente symboliquement les champs et leurs produits. Aussi est-elle mise en relation avec eux avant la consécration définitive. Dans le cas présent le bœuf mange le gâteau des prémices, ailleurs, il est promené à travers les champs, ou bien la victime est tuée avec les instruments agricoles ou enterrée à mi-corps.

Mais les faits doivent être considérés sous une autre face. En même temps que le champ, la victime peut représenter aussi les fidèles qui vont profaner la récolte en s’en servant[394]. Non seulement les produits de la terre écartaient le sacrifiant, mais encore le sacrifiant pouvait être dans un état tel qu’il devait en rester éloigné. Le sacrifice devait corriger cet état. Dans certains cas, des pratiques purificatoires prenaient place dans la cérémonie. Ainsi, une confession se joignait au sacrifice[395]. D’autres fois le sacrifice lui-même réalisait cette sorte d’expiation. Il pouvait se présenter comme un véritable rachat. C’est ainsi que la Pâque est devenue un rite de rachat général à l’occasion de la consommation des prémices. Non seulement on rachetait la vie des premiers-nés[396] des hommes par le sang de l’agneau pascal[397], mais on affranchissait encore chaque Hébreu du danger. On pourrait peut-être rapprocher de ces faits les luttes que les sacrifiants se livrent entre eux dans certaines fêtes agraires[398]. Les coups paraissent les sanctifier, les purifier et les racheter. Il y a donc, dans le premier moment du rite[399], une double opération : 1o  désacralisation du blé récolté et battu au moyen de la victime qui le représente ; 2o  rachat des moissonneurs et des laboureurs par l’immolation de cette victime qui les représente.

Pour les Dipolia, les documents ne font pas allusion à une communication entre le sacrifiant et la victime avant la consécration. Mais elle se produit après ; elle est réalisée par un repas communiel[400] qui constitue une nouvelle phase de la cérémonie. Après que les sacrificateurs ont été absous de leur sacrilège, les assistants peuvent oser communier. On se rappelle que, d’après le mythe, la Pythie le leur avait conseillé[401]. Un grand nombre de sacrifices agraires sont suivis d’une communion semblable[402]. Par cette communion, les sacrifiants des Dipolia participaient à la nature sacrée de la victime. Ils recevaient une consécration atténuée, parce qu’elle était partagée et qu’une partie du bœuf restait intacte. Investi du même caractère sacré que les choses dont ils voulaient user, ils pouvaient s’en approcher[403]. C’est par un rite de ce genre que les Kafres de Natal et du Zululand se permettent au début de l’année l’usage des nouveaux fruits ; la chair d’une victime est cuite avec des grains, des fruits et des légumes. Le roi en met un peu dans la bouche de chaque homme et cette communion le sanctifie pour toute l’année[404]. La communion de la Pâque avait les mêmes résultats[405]. Très souvent, dans les sacrifices célébrés avant le labourage, on donne au laboureur une part de la chair de la victime[406]. Cette communion, il est vrai, peut paraître inutile puisque le sacrifice préalable a déjà eu pour effet de profaner la terre et les grains. Il semble qu’elle fasse double emploi[407] ; il est possible en effet, que, parfois, elle ait suffi à obtenir l’effet désiré. Mais, en général, elle succède à une désacralisation qui produit déjà une première profanation. C’est ce qui est très sensible dans le rite hindou des Varuṇapraghâsas. L’orge est consacré à Varuṇa[408] ; il est sa nourriture[409]. Les créatures, autrefois, dit le mythe, en mangèrent et devinrent hydropiques. C’est grâce au rite dont nous allons parler qu’elles échappèrent à ce danger[410]. Voici en quoi il consiste. Entre autres offrandes[411], deux prêtres font, avec des grains d’orge, deux figurines qui ont la forme d’un bélier et d’une brebis. Le sacrifiant et sa femme mettent, le premier sur la brebis, l’autre sur le bélier, des touffes de laine qui représentent des seins et des testicules, en aussi grande quantité que possible[412]. Puis on fait le sacrifice ; une part est attribuée à Varuna ainsi que d’autres offrandes d’orge. Et alors on mange solennellement le reste. « Par le sacrifice on écarte[413] » Varuṇa, on l’élimine, on débarrasse ceux qui mangeront de l’orge du « lien » qu’il jetterait sur eux. Puis, en mangeant ce qui reste des figurines, on absorbe l’esprit même de l’orge. La communion se superpose donc nettement à la désacralisation. Dans ce cas et dans les cas similaires, on craint sans doute que la profanation n’ait été incomplète et que, d’autre part, le sacrifiant n’ait reçu qu’une demi-consécration. Le sacrifice établit un niveau entre la sainteté de l’objet à mettre en usage et celle du sacrifiant.

Mais dans les sacrifices dont le but est de fertiliser la terre[414], de lui infuser une vie divine ou de rendre plus active la vie qu’elle peut avoir déjà, il ne s’agit plus comme précédemment, d’éliminer un caractère sacré ; il faut le communiquer. Les procédés de communication directe ou indirecte sont donc nécessairement impliqués dans ces sortes d’opérations. Il faut fixer dans le sol un esprit qui le féconde. Les Khonds sacrifiaient des victimes humaines pour assurer la fertilité des terres ; les chairs étaient partagées entre les différents groupes et enterrées dans les champs[415]. Ailleurs, le sang de la victime humaine était répandu sur la terre[416]. En Europe, on dépose dans le champ des cendres de la Saint-Jean, du pain bénit de la Saint-Antoine[417], des os de bêtes tuées à Pâques ou à d’autres fêtes[418]. Mais, souvent, la victime n’était pas toute employée de cette manière et, comme dans les Bouphonia, les sacrifiants en recevaient leur part[419]. Parfois même elle leur était attribuée tout entière. C’était une façon de faire participer le laboureur aux bénéfices de la consécration, et peut-être ainsi, de confier à sa garde les forces qu’il s’assimilait et que, dans d’autres cas, on fixait dans le champ. D’ailleurs, plus tard, on semait les reliefs de ce repas, lorsqu’on ensemençait ou labourait[420]. Ou bien encore, on partageait une autre victime, nouvelle incarnation du génie agraire, et l’on disséminait dans la terre la vie qui en avait été autrefois retirée. Ce qu’on rendait à la terre c’était à la terre qu’on l’avait emprunté[421]. Cette correspondance fondamentale entre les rites de la profanation des prémices et ceux de la fertilisation des champs, entre les deux victimes, a pu, dans certains cas, donner lieu à une véritable fusion des deux cérémonies, pratiquées alors sur une même victime. C’est ce qui est arrivé pour les Bouphonia. Elles sont un sacrifice à double face : elles sont un sacrifice du battage, puisqu’elles commençaient par une offrande de prémices, mais elles ont également pour but final la fertilisation de la terre. On a vu, en effet, d’après la légende, que la fête fut établie pour mettre fin à une famine et à une sécheresse. On pourrait même dire que la communion faite à l’aide de la chair du bœuf a, elle aussi, ce double but : permettre la consommation des nouveaux grains, donner aux citoyens une bénédiction spéciale pour leurs futurs travaux agraires.

Mais poursuivons l’analyse de nos données. Nous touchons au troisième moment de notre rite. Sopatros, en tuant le bœuf, avait tué l’esprit du blé et le blé n’avait pas repoussé. D’après les termes de l’oracle, le second sacrifice doit ressusciter le mort. C’est pourquoi on empaille le bœuf ; le bœuf empaillé[422], c’est le bœuf ressuscité. On l’attelle à la charrue ; le simulacre de labourage qu’on lui fait effectuer à travers le champ correspond à la dispersion de la victime chez les Khonds. Mais il faut remarquer que l’existence individuelle du bœuf, de son esprit, survit à la consommation de ses chairs, et à la diffusion de sa sainteté. Cet esprit, qui est celui-là même qu’on a retiré de la moisson coupée, se retrouve là, dans la peau recousue et remplie de paille. Ce trait n’est pas particulier aux Bouphonia. Dans une des fêtes mexicaines, pour représenter la renaissance du génie agraire, on dépouillait la victime morte et l’on revêtait de sa peau celle qui devait lui succéder l’année suivante[423]. En Lusace, à la fête du printemps où l’on enterre « le mort », c’est-à-dire le vieux dieu de la végétation, on enlève la chemise du mannequin qui le représente et on la porte immédiatement sur l’arbre de mai[424] ; avec le vêtement, on emporte l’esprit. C’est donc la victime elle-même qui renaît. Or cette victime, c’est l’âme même de la végétation qui, concentrée d’abord dans les prémices, a été transportée dans la bête, et que l’immolation a, de plus, épurée et rajeunie. C’est donc le principe même de la germination et de la fertilité, c’est la vie des champs qui renaît et ressuscite ainsi[425].

Ce qui frappe surtout dans ces sacrifices, c’est la continuité ininterrompue de cette vie dont ils assurent la durée et la transmission. Une fois que l’esprit est dégagé par le meurtre sacrificiel, il reste fixé là où le rite le dirige. Dans les Bouphonia, il réside dans le mannequin du bœuf empaillé. Lorsque la résurrection n’était pas figurée par une cérémonie spéciale, la conservation d’une partie de la victime ou de l’oblation attestait la persistance et la présence de l’âme qui résidait en elle. À Rome, on ne conservait pas seulement la tête du cheval d’octobre, mais encore l’on gardait son sang jusqu’aux Palilies[426]. Les cendres du sacrifice des Forcidiciæ étaient également conservées jusqu’à cette date[427]. À Athènes, on enfermait les restes des porcs sacrifiés aux Thesmophories[428]. Ces reliques servaient de corps à l’esprit dégagé par le sacrifice. Elles permettaient de le saisir, de l’utiliser, mais d’abord de le conserver. Le retour périodique du sacrifice, aux époques où la terre se dépouillait, assurait la continuité de la vie naturelle, en permettant de localiser et de fixer le caractère sacré qu’il y avait intérêt à conserver et qui, l’année d’après, reparaissait dans les nouveaux produits du sol pour s’incarner de nouveau dans une nouvelle victime.

La suite des sacrifices agraires présente ainsi une série ininterrompue de concentrations et de diffusions. Aussitôt la victime devenue esprit, génie, on la partage, on la disperse pour semer la vie avec elle. Pour que cette vie ne se perde pas (et l’on risque toujours d’en perdre un peu, témoin l’histoire de Pélops à l’épaule d’ivoire), il faut la rassembler périodiquement. Le mythe d’Osiris dont les membres épars étaient rassemblés par Isis est une image de ce rythme et de cette alternance. Pour conclure, ce groupe de sacrifices contenait en lui-même, abstraction faite du retour régulier des travaux agricoles, la condition de sa périodicité ; au reste, elle est stipulée par la légende qui rapporte l’institution qui en fut faite. La Pythie prescrivait la répétition indéfinie des Bouphonia et des autres cérémonies de même nature. L’interruption était inconcevable.

En un mot, de même que le sacrifice personnel assurait la vie de la personne, de même le sacrifice objectif en genéral, et le sacrifice agraire en particulier assurent la vie réelle et saine des choses.

Mais, en général, le cérémonial des sacrifices agraires, dont nous venons d’analyser un type, a été surchargé de rites accessoires, ou bien dénaturé suivant l’interprétation qu’ont pu recevoir telles ou telles de ses pratiques. Il s’y mêle généralement des rites magiques de la pluie et du soleil : on noie la victime, ou l’on répand de l’eau sur elle ; le feu du sacrifice, ou des feux spéciaux représentent le feu du soleil[429]. D’autre part, il est arrivé que, les rites de désacralisation (de l’objet, du sacrifiant) prenant une place prépondérante, le rite tout entier pouvait recevoir, comme l’a montré M. Frazer, le caractère d’un véritable sacrifice expiatoire[430]. L’esprit du champ qui sortait de la victime y revêtait les espèces d’un bouc émissaire[431]. La fête agraire devenait une fête de Pardon. Souvent, en Grèce, les mythes qui racontaient l’institution de ces fêtes les représentaient comme l’expiation périodique de crimes originels. C’est encore le cas des Bouphonia[432].

Ainsi, d’un seul sacrifice agraire, toute une masse d’effets peuvent sortir. La valeur de la victime d’un sacrifice solennel était telle, la force expansive de la consécration était si grande, qu’il était impossible d’en limiter arbitrairement l’efficacité. La victime est un centre d’attraction et de rayonnement. Toutes les choses que le sacrifice touchait recevaient leur part de son influence. Mais suivant l’état, la nature, les besoins des personnes ou des objets, les effets produits par un rite unique pouvaient différer.

V

LE SACRIFICE DU DIEU

Cette valeur singulière de la victime apparaît clairement dans l’une des formes les plus achevées de l’évolution historique du système sacrificiel : c’est le sacrifice du dieu. C’est, en effet, dans le sacrifice d’une personne divine que la notion du sacrifice arrive à sa plus haute expression. Aussi est-ce sous cette forme qu’elle a pénétré les plus grandes religions et qu’elle y a donné naissance à des croyances et à des pratiques qui vivent encore.

Nous allons voir comment les sacrifices agraires ont pu fournir un point de départ à cette évolution. Mannhardt et M. Frazer[433] ont déjà bien vu qu’il y avait d’étroits rapports entre le sacrifice du dieu et les sacrifices agraires. Nous ne reviendrons pas sur les points de la question qu’ils ont traités. Mais nous chercherons, à l’aide de quelques faits supplémentaires, à montrer comment cette forme du sacrifice se rattache au fond même du mécanisme sacrificiel. Notre effort principal tendra surtout à déterminer la part considérable que la mythologie a prise à ce développement.

Pour qu’un dieu puisse ainsi descendre au rôle de victime, il faut qu’il y ait quelque affinité entre sa nature et celle des victimes. Pour qu’il vienne se soumettre à la destruction sacrificielle, il faut qu’il ait son origine dans le sacrifice lui-même. Cette condition paraît, à certains égards, remplie dans tous les sacrifices ; car la victime a toujours quelque chose de divin que dégage le sacrifice. Mais une victime divine n’est pas une victime dieu[434]. Il ne faut pas confondre le caractère sacré que revêtent les choses religieuses avec ces personnalités définies, qui font l’objet de mythes et de rites également définis, et qu’on appelle des dieux. Dans les sacrifices objectifs, il est vrai, nous avons vu déjà se dégager de la victime des êtres dont la physionomie était plus précise par cela seul qu’ils étaient attachés à un objet et à une fonction déterminés. Même, dans les sacrifices de construction, l’esprit libéré est devenu presque un dieu. Cependant, ces personnalités mythiques restent en général vagues et indécises. Ce sont les sacrifices agraires dans lesquels elles arrivent à leur plus grande détermination. Ils doivent ce privilège à différentes causes.

En premier lieu, dans ces sacrifices, le dieu et la victime sacrifiée sont particulièrement homogènes, parce que l’objet du sacrifice et la victime peuvent être identiques ou aisément identifiés. L’esprit du blé est presque indistinct du blé qui l’incarne. Au dieu de l’orge, on offre des victimes faites de l’orge dans lequel il réside. On peut dès lors prévoir que, par suite de cette homogénéité et de la fusion qui en résulte, la victime pourra communiquer à l’esprit son individualité. Tant qu’elle est simplement la première gerbe de la moisson ou les premiers fruits de la récolte, l’esprit reste, comme elle, une chose essentiellement agraire[435]. Il ne sort donc du champ que pour y rentrer aussitôt ; il ne se concrétise qu’au moment précis où il se concentre dans la victime. Dès qu’elle est immolée, il se diffuse de nouveau dans toute l’espèce agricole dont il fait la vie et redevient ainsi vague et impersonnel. Pour que sa personnalité s’accentue, il faut que les liens qui l’unissent aux champs se relâchent ; et, pour cela, il est nécessaire que la victime elle-même tienne de moins près aux choses qu’elle représente. Un premier pas est fait dans cette voie quand, comme il arrive souvent, la gerbe consacrée reçoit le nom ou même la forme d’un animal ou d’un homme. Parfois même, comme pour rendre la transition plus sensible, on y renferme[436] un animal vivant, une vache, un bouc, un coq, par exemple, qui devient la vache, le bouc, le coq de la moisson. La victime perd ainsi une partie de son caractère agraire et, dans la même mesure, le génie se détache de son support. Cette indépendance s’accroît encore quand la gerbe est remplacée par une victime animale. Alors, le rapport qui l’unit avec ce qu’elle incarne devient à la longue si lointain qu’il est parfois difficile de l’apercevoir. Seule, la comparaison a pu découvrir que le taureau et le bouc de Dionysos, le cheval ou le porc de Déméter étaient des incarnations de la vie des blés et des vignes. Mais la différence est surtout marquée quand le rôle de victime est assumé par un homme[437] qui y porte sa propre autonomie. Alors le génie devient une personnalité morale qui a un nom, qui commence à exister dans la légende en dehors des fêtes et des sacrifices. C’est ainsi que, peu à peu, l’âme, la vie des champs devient extérieure aux champs[438] et s’individualise.

Mais à cette première cause, une autre s’est ajoutée. Le sacrifice détermine, par lui-même, une exaltation des victimes qui va jusqu’à les diviniser. Nombreuses sont les légendes où se trouvent racontées de ces apothéoses. Hercule n’était admis dans l’Olympe qu’après son suicide sur l’Œta. Attis[439] et Eshmoun[440] furent animés après leur mort d’une vie divine. La constellation de la Vierge n’est autre qu’Érigone, une déesse agraire qui s’était pendue[441]. Au Mexique, un mythe rapportait que le soleil et la lune avaient été créés par un sacrifice[442] ; la déesse Toci, la mère des dieux, était également présentée comme une femme qu’un sacrifice aurait divinisée[443]. Dans le même pays, lors de la fête du dieu Totec, où l’on tuait et dépouillait des captifs, un prêtre revêtait la peau de l’un d’eux ; il devenait alors l’image du dieu, portait ses ornements et son costume, s’asseyait sur un trône et recevait à la place du dieu les images des premiers fruits[444]. Dans la légende crétoise de Dionysos, le cœur du dieu, qui avait été massacré par les Titans était placé dans un xoanon où il devait être adoré[445]. Philon de Byblos emploie, pour exprimer l’état d’Oceanos, mutilé par son fils Kronos, une expression bien significative : « il fut consacré », ἀφιερώθη[446]. Dans ces légendes subsiste la conscience obscure de la vertu du sacrifice. La trace en persiste également dans les rites. Par exemple, à Jumièges, où le rôle de génie annuel de la végétation était tenu par un homme dont l’office durait un an et commençait à la Saint-Jean, on feignait de jeter le futur Loup vert dans le feu du bûcher ; après cette feinte exécution, son prédécesseur lui remettait ses insignes[447]. La cérémonie n’avait pas simplement pour effet d’incarner le génie agraire. Il naissait au sacrifice même[448]. — Or, étant donné qu’il n’y a pas lieu de distinguer les démons des victimes agraires, ces faits sont précisément des exemples de ce que nous avons dit à propos de la consécration et de ses effets directs. L’apothéose sacrificielle n’est pas autre chose que la renaissance de la victime. Sa divinisation est un cas spécial et une forme supérieure de sanctification et de séparation. Mais cette forme n’apparaît guère que dans les sacrifices où, par la localisation, la concentration, l’accumulation d’un caractère sacré, la victime se trouve investie d’un maximum de sainteté que le sacrifice organise et personnifie.

Voilà la condition nécessaire pour que le sacrifice du dieu soit possible. Mais pour qu’il devienne une réalité, ce n’est pas assez que le dieu soit sorti de la victime : il faut qu’il ait encore toute sa nature divine au moment où il rentre dans le sacrifice pour devenir victime lui-même. C’est dire que la personnification d’où il est résulté doit devenir durable et nécessaire. Cette association indissoluble entre des êtres ou une espèce d’êtres et une vertu surnaturelle est le fruit de la périodicité des sacrifices dont il s’agit précisément ici. La répétition de ces cérémonies, dans lesquelles, par suite d’une habitude ou pour toute autre raison, une même victime reparaissait à intervalles réguliers, a créé une sorte de personnalité continue. Le sacrifice conservant ses effets secondaires, la création de la divinité est l’œuvre des sacrifices antérieurs. Et ceci n’est pas un fait accidentel et sans portée, puisque, dans une religion aussi métaphysique que le christianisme, la figure de l’agneau pascal, victime habituelle d’un sacrifice agraire ou pastoral, a persisté et sert encore aujourd’hui à désigner le Christ, c’est-à-dire le dieu. Le sacrifice a fourni les éléments de la symbolique divine.

Mais c’est l’imagination des créateurs de mythes qui a parachevé l’élaboration du sacrifice du dieu. En effet, elle a donné d’abord un état civil, une histoire et, partant, une vie plus continue à la personnalité intermittente, terne et passive qui naissait de la périodicité des sacrifices. Sans compter qu’en la dégageant de sa gangue terrestre, elle l’a rendue plus divine. Parfois même, on peut suivre dans le mythe les différentes phases de cette divinisation progressive. Ainsi, la grande fête dorienne des Karneia, célébrée en l’honneur d’Apollon Karnéios, avait été instituée, racontait-on, pour expier le meurtre du devin Karnos tué par l’Héraclide Hippotès[449]. Or, Apollon Karnéios n’est autre que le devin Karnos dont le sacrifice est accompli et expié comme celui des Dipolia ; et Karnos lui-même « le cornu[450] », se confond avec le héros Krios « le bélier[451] », hypostase de la victime animale primitive. Du sacrifice du bélier, la mythologie avait fait le meurtre d’un héros et elle avait ensuite transformé ce dernier en grand dieu national.

Cependant, si la mythologie a élaboré la représentation du divin, elle n’a pas travaillé sur des données arbitraires. Les mythes conservent la trace de leur origine : un sacrifice plus ou moins dénaturé forme l’épisode central et comme le noyau de la vie légendaire des dieux qui sont sortis d’un sacrifice. M. S. Lévi a expliqué le rôle que jouent les rites sacrificiels dans la mythologie brahmanique[452]. Voyons comment, plus spécialement, l’histoire des dieux agraires est tissée sur un fond de rites agraires. Pour le montrer, nous allons grouper quelques types de légendes grecques et sémitiques, voisines de celle d’Attis et d’Adonis, et qui sont autant de déformations du thème du sacrifice du dieu. Les unes sont des mythes qui expliquent l’institution de certaines cérémonies, les autres sont des contes, généralement issus de mythes semblables aux premiers[453]. Souvent, les rites commémoratifs qui correspondent à ces légendes (drames sacrés, processions[454], etc.) n’ont, à notre connaissance, aucun des caractères du sacrifice. Mais le thème du sacrifice du dieu est un motif dont l’imagination mythologique a librement usé.

Le tombeau de Zeus en Crète[455], la mort de Pan[456], celle d’Adonis sont assez connus pour qu’il suffise de les mentionner. Adonis a laissé dans les légendes syriennes des descendants qui partagent son sort[457]. Dans quelques cas, il est vrai, les tombeaux divins sont peut-être des monuments du culte des morts. Mais plus souvent, à notre avis, la mort mythique du dieu rappelle le sacrifice rituel ; elle est entourée par la légende, d’ailleurs obscure, mal transmise, incomplète, de circonstances qui permettent d’en déterminer la véritable nature.

On lit dans la tablette assyrienne de la légende d’Adapa[458] : « De la terre ont disparu deux dieux ; c’est pourquoi je porte le vêtement de deuil. Quels sont ces deux dieux ? Ce sont Du-mu-zu et Gish-zi-da ». La mort de Du-mu-zu est un sacrifice mythique. La preuve en est donnée par ce fait qu’Ishtar, sa mère et son épouse, veut le ressusciter[459] en versant sur son cadavre de l’eau de la source de vie qu’elle va chercher aux enfers ; car elle imite en cela les rites de certaines fêtes agraires. Quand l’esprit du champ est mort ou a été mis à mort, on jette son cadavre à l’eau ou on l’asperge d’eau. Alors, soit qu’il ressuscite, soit qu’un arbre de mai se dresse sur sa tombe, la vie renaît. Ici, c’est l’eau versée sur le cadavre et la résurrection qui nous déterminent à assimiler le dieu mort à une victime agraire ; dans le mythe d’Osiris, c’est la dispersion du cadavre et l’arbre qui pousse sur le cercueil[460]. À Trézène, dans le péribole du temple d’Hippolyte, on commémorait par une fête annuelle les λιθόβολια, la mort des déesses Damia et Auxesia, vierges étrangères, venues de Crète, qui avaient été, suivant la tradition, lapidées dans une sédition[461]. Les déesses étrangères sont l’étranger, le passant qui joue souvent un rôle dans les fêtes de la moisson ; la lapidation est un rite de sacrifice. Parfois, une simple blessure du dieu équivaut à sa mort annuelle. Belen, dit une légende, endormi dans le Blumenthal, au pied du ballon de Guebwiller, fut blessé au pied par un sanglier, comme Adonis ; de chaque goutte du sang naquit une fleur[462], symbole de la nature vivifiée.

La mort du dieu est souvent un suicide. Hercule sur l’Œta, Melkarth à Tyr[463], le dieu Sandés ou Sandon à Tarse[464], Didon à Carthage s’étaient brûlés eux-mêmes. La mort de Melkarth était commémorée par une fête chaque été ; c’était une fête de la moisson. La mythologie grecque connaît des déesses qui portaient le titre d’Ἀπαγχομένη, c’est-à-dire de déesses « pendues » : telles Artémis, Hécate, Hélène[465]. À Athènes, la déesse pendue était Érigone, mère de Staphylos, héros du raisin[466]. À Delphes, elle s’appelait Charila[467] : Charila, disait le conte, était une petite fille qui, au cours d’une famine, était allée demander au roi sa part de la dernière distribution ; battue et chassée par lui, elle s’était pendue dans un vallon écarté. Or une fête annuelle, instituée, dit-on, sur l’ordre de la Pythie, était célébrée en son honneur. On commençait par une distribution de blé ; puis on fabriquait une image de Charila, on la frappait, on la pendait et on l’enterrait. Dans d’autres légendes, le dieu s’inflige une mutilation dont, quelquefois, il meurt. C’est le cas d’Attis et d’Eshmoun qui, poursuivi par Astronoe, se mutila avec une hache.

C’était souvent un fondateur du culte ou le premier prêtre du dieu dont le mythe racontait la mort. Ainsi, à Iton, Iodama, sur le tombeau de laquelle brûlait un feu sacré, avait été prêtresse d’Athena Itonia[468]. De même Aglaure, à Athènes, dont les Pluntéries étaient censées expier la mort, avait été prêtresse d’Athena. En vérité, le prêtre et le dieu ne sont qu’un seul et même être. Nous savons, en effet, que le prêtre peut être, aussi bien que la victime, une incarnation du dieu ; souvent il se déguise à son image. Mais il y a là une première différenciation, une sorte de dédoublement mythologique de l’être divin et de la victime[469]. Grâce à ce dédoublement, le dieu paraît échapper à la mort.

C’est à une différenciation d’une autre sorte que sont dus les mythes dont l’épisode central est le combat d’un dieu avec un monstre ou un autre dieu. Tels sont, dans la mythologie babylonienne, les combats de Marduk avec Tiamat, c’est-à-dire le Chaos[470] ; de Persée tuant la Gorgone ou le dragon de Joppe, de Bellérophon luttant contre la Chimère, de Saint-Georges vainqueur du Dadjdjal[471]. C’est aussi le cas des travaux d’Hercule et enfin de toutes les théomachies ; car, dans ces combats, le vaincu est aussi divin que le vainqueur.

Cet épisode est l’une des formes mythologiques du sacrifice du dieu. Ces combats divins, en effet, équivalent à la mort d’un seul dieu. Ils alternent dans les mêmes fêtes[472]. Les jeux Isthmiques, célébrés au printemps, commémorent ou la mort de Mélicerte ou la victoire de Thésée sur Sinis, les jeux Néméens célèbrent ou la mort d’Archemoros ou la victoire d’Hercule sur le lion de Némée. — Ils sont accompagnés quelquefois des mêmes incidents. La défaite du monstre est suivie du mariage du dieu, de Persée avec Andromède, d’Hercule avec Hésione ; la fiancée exposée au monstre et délivrée par le héros n’est autre, d’ailleurs, que la Maibraut des légendes allemandes poursuivie par les esprits de la chasse sauvage. Or, dans le culte d’Attis, le mariage sacré suit la mort et la résurrection du dieu. — Ils se produisent dans des circonstances analogues et ont le même objet. La victoire d’un jeune dieu contre un monstre antique est un rite du printemps. La fête de Marduk, au premier jour du Nisan, répétait sa victoire contre Tiamat[473]. La fête de saint Georges, c’est-à-dire la défaite du dragon, était célébrée le 23 avril[474]. Or, c’était au printemps que mourait Attis. — Enfin, s’il est vrai, comme le rapporte Bérose, qu’une version de la Génèse assyrienne montrait Bel se coupant lui-même en deux pour donner naissance au monde, les deux épisodes apparaissent concurremment dans la légende du même dieu ; le suicide de Bel remplace son duel avec le Chaos[475].

Pour compléter la preuve de l’équivalence de ces thèmes, disons qu’il arrive souvent que le dieu meure après sa victoire. Dans Grimm (Maerchen, 60), le héros, s’étant endormi après sa lutte avec le dragon, est assassiné ; les animaux qui l’accompagnent le rappellent à la vie[476]. La légende d’Hercule présente la même aventure : après avoir tué Typhon, asphyxié par le souffle du monstre, il gisait inanimé ; il ne fut ressuscité que par Iolaos avec l’aide d’une caille[477]. Dans la légende d’Hésione, Hercule était avalé par un cétacé. Castor, après avoir tué Lyncée, était tué lui-même par Idas[478].

Ces équivalences et ces alternances s’expliquent facilement si l’on considère que les adversaires mis en présence par le thème du combat sont le produit du dédoublement d’un même génie. L’origine des mythes de cette forme a été généralement oubliée ; ils sont présentés comme des combats météorologiques entre les dieux de la lumière et ceux des ténèbres ou de l’abîme[479], entre les dieux du ciel et ceux de l’enfer. Mais il est extrêmement difficile de distinguer avec netteté le caractère de chacun des combattants. Ce sont des êtres de même nature, dont la différenciation, accidentelle et instable, appartient à l’imagination religieuse. Leur parenté apparaît pleinement dans le panthéon assyrien. Ashshur et Marduk, dieux solaires, sont les rois des Anunnakis, les sept dieux de l’abîme[480]. Nergal que l’on appelle quelquefois Gibil, dieu du feu, porte ailleurs un nom de monstre infernal. Quant aux sept dieux de l’abime, il est difficile, surtout dans les mythologies qui succédèrent à la mythologie assyrienne, de les distinguer des sept dieux planétaires, exécuteurs des volontés célestes[481]. Bien avant le syncrétisme gréco-romain qui faisait du soleil le maître de l’Adès[482] et rapprochait Mithra de Pluton et de Typhon[483], les tablettes assyriennes disaient que Marduk gouverne l’abîme[484], que Gibil, le feu[485], et Marduk lui-même sont fils de l’abime[486]. En Crète, les Titans qui mettaient à mort Dionysos étaient ses parents[487]. Ailleurs, les dieux ennemis étaient des frères, souvent des jumeaux[488]. Quelquefois, la lutte survenait entre un oncle et son neveu, ou même entre un père et son fils[489].

À défaut de cette parenté, une autre relation unit les acteurs du drame et montre leur identité fondamentale. L’animal sacré de Persée à Sériphos était le crabe, le καρκίνος[490]. Or le crabe qui, dans la légende de Sériphos, était l’ennemi du poulpe, se joint à l’hydre de Lerne, qui est un poulpe, pour combattre Hercule. Le crabe, comme le scorpion, est tantôt l’allié, tantôt l’ennemi du dieu solaire ; au total, ce sont des formes du même dieu. Les bas-reliefs mithriaques montrent Mithra chevauchant le taureau qu’il va sacrifier. Ainsi Persée montait Pégase, né du sang de la Gorgone. Le monstre ou l’animal sacrifié servait de monture au dieu victorieux avant ou après le sacrifice. En somme, les deux dieux de la lutte ou de la chasse mythique sont des collaborateurs. Mithra et le taureau, dit Porphyre, sont démiurges au même titre[491].

Ainsi le sacrifice avait produit dans la mythologie une infinité de rejetons. D’abstraction en abstraction, il était devenu l’un des thèmes fondamentaux des légendes divines. Mais c’est précisément l’introduction de cet épisode dans la légende d’un dieu qui a déterminé la formation rituelle du sacrifice du dieu. Prêtre ou victime, prêtre et victime, c’est un dieu déjà formé qui agit et pâtit à la fois dans le sacrifice. Or la divinité de la victime n’est pas limitée au sacrifice mythologique ; mais elle apparaît également dans le sacrifice réel qui lui correspond. Le mythe, une fois constitué, réagit sur le rite d’où il est sorti et s’y réalise. Ainsi le sacrifice du dieu n’est pas simplement le sujet d’un beau conte mythologique. Quelle que soit devenue la personnalité du dieu dans le syncrétisme des paganismes, adultes ou vieillis, c’est toujours le dieu qui subit le sacrifice ; ce n’est pas un simple figurant[492]. Il y a, du moins à l’origine, « présence réelle » comme dans la messe catholique. Saint Cyrille[493] rapporte que, dans certains combats de gladiateurs, rituels et périodiques, un certain Kronos (τις Κρόνος), caché sous terre, recevait le sang purificateur qui coulait des blessures. Ce Κρόνος τις est le Saturne des Saturnales qui, dans d’autres rituels, était mis à mort[494]. Le nom donné au représentant du dieu tendait à l’identifier au dieu. C’est pour cette raison que le grand prêtre d’Attis, qui lui aussi jouait le rôle de victime, portait le nom de son dieu et prédécesseur mythique[495]. La religion mexicaine offre des exemples bien connus de l’identité de la victime et du dieu. Notamment à la fête d’Huitzilopochtli[496], la statue même du dieu, faite de pâte de bette, pétrie avec du sang humain, était mise en morceaux, partagée entre les fidèles et mangée. Sans doute, comme nous l’avons remarqué, dans tout sacrifice, la victime a quelque chose du dieu. Mais ici elle est le dieu lui-même et c’est cette identification qui caractérise le sacrifice du dieu.

Mais nous savons que le sacrifice se répète périodiquement parce que le rythme de la nature exige cette périodicité. Le mythe ne fait donc sortir le dieu vivant de l’épreuve que pour l’y soumettre à nouveau et compose ainsi sa vie d’une chaîne ininterrompue de passions et de résurrections. Astarte ressuscite Adonis, Ishtar Tammuz, Isis Osiris, Cybèle Attis et Iolaos Hercule[497]. Dionysos assassiné est conçu une deuxième fois par Sémélé[498]. Nous voilà déjà loin de l’apothéose dont nous avons parlé au début de ce chapitre. Le dieu ne sort plus du sacrifice que pour y rentrer et réciproquement. Il n’y a plus d’interruption dans sa personnalité. S’il est mis en pièces, comme Osiris et Pélops, on retrouve, on rapproche et l’on ranime ses morceaux. Alors, le but primitif du sacrifice est relégué dans l’ombre ; ce n’est plus un sacrifice agraire ni un sacrifice pastoral. Le dieu qui y vient comme victime existe en soi, il a des qualités et des pouvoirs multiples. Il s’ensuit que le sacrifice apparaît comme une répétition et une commémoration du sacrifice originel du dieu[499]. À la légende qui le raconte s’ajoute généralement quelque circonstance qui en assure la perpétuité. Ainsi, quand un dieu meurt d’une mort plus ou moins naturelle, un oracle prescrit un sacrifice expiatoire qui reproduit la mort de ce dieu[500]. Quand un dieu est vainqueur d’un autre, il perpétue le souvenir de sa victoire par l’institution d’un culte[501].

Il faut remarquer ici que l’abstraction qui, dans le sacrifice, faisait naître le dieu pouvait donner un autre aspect aux mêmes pratiques. Pur un procédé analogue au dédoublement qui a produit les théomachies, elle pouvait séparer le dieu de la victime. Dans les mythes étudiés plus haut, les deux adversaires sont également divins ; l’un d’eux apparaît comme le prêtre du sacrifice où succombe son prédécesseur. Mais la divinité virtuelle de la victime ne s’est pas toujours développée. Souvent elle est restée terrestre ; et par suite, le dieu créé, sorti autrefois de la victime, demeure maintenant en dehors du sacrifice. Alors, la consécration, qui fait passer la victime dans le monde sacré, prend l’aspect d’une attribution à une personne divine, d’un don. Cependant, même dans ce cas, c’est souvent un animal sacré qu’on sacrifie ou, tout au moins, quelque chose qui rappelle l’origine du sacrifice. En somme, on offrait le dieu à lui-même : Dionysos bélier devenait Dionysos Kriophage[502]. Parfois, au contraire, comme dans les dédoublements d’où sont résultées les théomachies, l’animal sacrifié passait pour un ennemi du dieu[503]. S’il était immolé, c’était pour expier une faute commise contre le dieu par son espèce. Au Virbius de Nemi, tué par des chevaux, on sacrifiait un cheval[504], La notion du sacrifice au dieu s’est développée parallèlement à celle du sacrifice du dieu.

Les types de sacrifice du dieu que nous venons de passer en revue se trouvent réalisés in concreto et réunis ensemble dans un seul et même rite hindou : le sacrifice du soma[505]. On y peut voir tout d’abord ce qu’est dans le rituel un véritable sacrifice du dieu. Nous ne pouvons exposer ici comment Soma dieu se confond avec la plante soma, comment il y est réellement présent, ni décrire les cérémonies au milieu desquelles on l’amène et on le reçoit sur le lieu du sacrifice. On le porte sur un pavois, on l’adore, puis on le presse et on le tue. Alors, de ces branches pressurées, le dieu se dégage et se répand dans le monde ; une série d’attributions distinctes le communiquent aux différents règnes de la nature. Cette présence réelle, cette naissance du dieu, succédant à sa mort, sont, en quelque sorte, les formes rituelles du mythe. Quant aux formes purement mythiques qu’a revêtues ce sacrifice, elles sont bien celles que nous avons décrites plus haut. C’est d’abord l’identification du dieu Soma avec l’ennemi des dieux, Vṛtra, le démon qui retient les trésors d’immortalité et qu’Indra tue[506]. Car pour s’expliquer comment un dieu pouvait être tué, on se l’est représenté sous les espèces d’un démon ; c’est le démon qui est mis à mort ; de lui sort le dieu ; de l’enveloppe mauvaise qui la retenait, se dégage l’essence excellente. Mais, d’un autre côté, c’est bien souvent Soma qui tue Vṛtra ; en tout cas, c’est lui qui donne des forces à Indra, le dieu guerrier, destructeur des démons. Même dans certains textes, c’est Soma, qui est son propre sacrificateur ; on va jusqu’à le représenter comme le type des sacrificateurs célestes. De là au suicide du dieu la distance n’était pas grande ; les Brahmanes l’ont franchie.

Par là, ils ont mis en lumière un point important de la théorie du sacrifice. Nous avons vu qu’entre la victime et le dieu il y a toujours quelque affinité : à Apollon Karnéios on offre des béliers, à Varuṇa de l’orge, etc. C’est par le semblable qu’on nourrit le semblable et la victime est la nourriture des dieux. Aussi le sacrifice a-t-il été rapidement considéré comme la condition même de l’existence divine. C’est lui qui fournit la matière immortelle dont vivent les dieux. Ainsi, non seulement c’est dans le sacrifice que quelques dieux prennent naissance, mais encore c’est par le sacrifice que tous entretiennent leur existence. Il a donc fini par apparaître comme leur essence, leur origine, leur créateur[507]. Il est aussi le créateur des choses ; car c’est en lui qu’est le principe de toute vie. Soma est à la fois le soleil et la lune au ciel, le nuage, l’éclair et la pluie dans l’atmosphère, le roi des plantes sur la terre ; or, dans le soma victime, toutes ces formes de Soma sont réunies. Il est le dépositaire de tous les principes nutritifs et fécondants de la nature. Il est, en même temps, nourriture des dieux et boisson enivrante des hommes, auteur de l’immortalité des uns et de la vie éphémère des autres. Toutes ces forces sont concentrées, créées et distribuées à nouveau par le sacrifice. Celui-ci est donc « le maître des êtres », Prajâpati. Il est le Puruṣa[508] du fameux hymne X, 90 du Rig Veda, dont naissent les dieux, les rites, les hommes, les castes, le soleil, la lune, les plantes, le bétail, il sera le Brahman de l’Inde classique. Toutes les théologies lui ont attribué cette puissance créatrice. Répandant et rassemblant tour à tour la divinité, il sème les êtres comme Jason et Cadmos sèment les dents du dragon d’où naissent les guerriers. De la mort il tire la vie. Les fleurs et les plantes poussent sur le cadavre d’Adonis ; des essaims d’abeilles s’envolent du corps du lion tué par Samson et du taureau d’Aristée.

Aussi la théologie emprunta-t-elle ses cosmogonies aux mythes sacrificiels. Elle expliqua la création, comme l’imagination populaire expliquait la vie annuelle de la nature, par un sacrifice. Pour cela, elle reporta le sacrifice du dieu à l’origine du monde[509].

Dans la cosmogonie assyrienne, le sang de Tiamat vaincu avait donné naissance aux êtres. La séparation des éléments du chaos était conçue comme le sacrifice ou le suicide du démiurge. M. Gunkel[510] a prouvé, croyons-nous, que la même conception se retrouvait dans les croyances populaires des Hébreux. Elle apparaît dans la mythologie du Nord. Elle est aussi à la base du culte mithriaque. Les bas-reliefs veulent montrer la vie qui sort du taureau sacrifié ; déjà sa queue se termine par un bouquet d’épis. Dans l’Inde, enfin, la création continue des choses au moyen du rite finit même par devenir une création absolue, et ex nihilo. Au commencement rien n’était. Le Puruṣa désira. C’est par son suicide, par l’abandon de soi-même, par le renoncement à son corps, modèle, plus tard, du renoncement bouddhique, que le dieu fit l’existence des choses.

Toutefois même à ce degré d’héroïsation du sacrifice, sa périodicité subsiste. Les retours offensifs du chaos et du mal requièrent sans cesse de nouveaux sacrifices, créateurs et rédempteurs. Ainsi transformé et, pour ainsi dire, sublimé, le sacrifice a été conservé par la théologie chrétienne[511]. Son efficacité a été simplement transportée du monde physique au monde moral. Le sacrifice rédempteur du dieu se perpétue dans la messe journalière. Nous ne prétendons pas rechercher comment s’est constitué le rituel chrétien du sacrifice, ni comment il se rattache aux rites antérieurs. Nous avons pourtant cru pouvoir, au cours de ce travail, rapprocher quelquefois les cérémonies du sacrifice chrétien de celles que nous avons étudiées. Qu’il nous suffise ici d’en rappeler simplement l’étonnante similitude et d’indiquer comment le développement de rites, si semblables à ceux du sacrifice agraire, a pu donner naissance à la conception du sacrifice, rédempteur et communiel, du dieu unique et transcendant. Le sacrifice chrétien est, à cet égard, un des plus instructifs que l’on puisse rencontrer dans l’histoire. Nos prêtres cherchent, par les mêmes procédés rituels, à peu près les mêmes effets que nos plus lointains ancêtres. Le mécanisme de la consécration de la messe catholique est, dans les lignes générales, le même que celui des sacrifices hindous. Il nous présente, avec une clarté qui ne laisse rien à désirer, le rythme alternatif de l’expiation et de la communion. L’imagination chrétienne a bâti sur des plans antiques.

VI

CONCLUSION

On voit mieux maintenant en quoi consiste selon nous l’unité du système sacrificiel. Elle ne vient pas, comme l’a cru Smith, de ce que toutes les sortes possibles de sacrifices sont sorties d’une forme primitive et simple. Un tel sacrifice n’existe pas. De tous les procédés sacrificiels, les plus généraux, les moins riches en éléments que nous ayons pu atteindre sont ceux de sacralisation et de désacralisation. Or, en réalité, dans tout sacrifice de désacralisation, si pur qu’il puisse être, nous trouvons toujours une sacralisation de la victime. Inversement, dans tout sacrifice de sacralisation, même le plus caractérisé, une désacralisation est nécessairement impliquée ; car autrement les restes de la victime ne pourraient être utilisés. Ces deux éléments sont donc si étroitement interdépendants que l’un ne peut exister sans l’autre.

Mais, de plus, ces deux sortes de sacrifices ne sont encore que des types abstraits. Tout sacrifice a lieu dans des circonstances et en vue de fins déterminées ; de la diversité des fins qui peuvent être ainsi poursuivies naissent des modalités diverses dont nous avons donné quelques exemples. Or, d’une part, il n’y a point de religion où ces modalités ne coexistent en plus ou moins grand nombre ; tous les rituels sacrificiels que nous con naissons présentent déjà une grande complexité. De plus, il n’y a pas de rite particulier qui ne soit complexe en lui-même ; car, ou bien il poursuit plusieurs buts à la fois, ou bien, pour en atteindre un seul, il met en mouvement plusieurs forces. Nous avons vu des sacrifices de désacralisation et même proprement expiatoires se doubler de sacrifices communiels. Mais on pourrait donner bien d’autres exemples de complications. Les Amazulu, pour avoir de la pluie, rassemblent un troupeau de bœufs noirs, en tuent un, le mangent en silence ; puis brûlent les os hors du village ; ce qui fait trois thèmes différents dans la même opération[512].

Dans le sacrifice animal hindou, cette complexité est encore plus accusée. Nous y avons trouvé des parts expiatoires attribuées aux mauvais génies, des parts divines réservées, des parts de communion dont le sacrifiant jouissait, des parts sacerdotales que consommaient les prêtres. La victime sert également à des imprécations contre l’ennemi, à des divinations, à des vœux. Par un de ses aspects, le sacrifice ressortit aux cultes thériomorphiques, car on envoie l’âme de la bête rejoindre au ciel les archétypes des bêtes et y entretenir la perpétuité de l’espèce. C’est aussi un rite de consommation, car le sacrifiant qui a posé les feux ne peut manger de viande qu’après avoir fait un tel sacrifice. C’est enfin un sacrifice de rachat ; car le sacrifiant est consacré, il est sous la prise de la divinité et il se rachète en se substituant la victime. Tout se mêle et se confond dans une même opération qui, malgré cette diversité, ne laisse pas d’être harmonique. À plus forte raison en est-il ainsi d’un rite, dont l’étendue est immense, comme le sacrifice à Soma, où nous avons, outre tout ce qui précède, un cas réalisé de sacrifice du dieu. En un mot, de même que la cérémonie magique, de même que la prière, qui peut servir à la fois à une action de grâces, à un vœu, à une propitiation, le sacrifice peut remplir concurremment une grande variété de fonctions.

Mais si le sacrifice est si complexe, d’où peut lui venir son unité ? C’est qu’au fond, sous la diversité des formes qu’il revêt, il est toujours fait d’un même procédé qui peut être employé pour les buts les plus différents. Ce procédé consiste à établir une communication entre le monde sacré et le monde profane par l’intermédiaire d’une victime, c’est-à-dire d’une chose consacrée détruite au cours de la cérémonie. Or, contrairement à ce que croyait Smith, la victime n’arrive pas nécessairement au sacrifice avec une nature religieuse, achevée et définie ; c’est le sacrifice lui-même qui la lui confère. Il peut donc lui donner les vertus les plus diverses et, ainsi, la rendre apte à remplir les fonctions les plus variées, soit dans des rites différents, soit pendant un même rite. Elle peut également transmettre un caractère sacré du monde religieux au monde profane ou inversement ; elle est indifférente au sens du courant qui la traverse. On peut, en même temps, charger l’esprit qui s’est dégagé d’elle de porter un vœu jusqu’aux puissances célestes, se servir d’elle pour deviner l’avenir, se racheter de la colère divine en faisant aux dieux leurs parts, et enfin, jouir des chairs sacrées qui restent. D’un autre côté, une fois qu’elle est constituée, elle a, quoi qu’on fasse, une certaine autonomie ; c’est un foyer d’énergie d’où se dégagent des effets qui dépassent le but étroit que le sacrifiant assigne au rite. On immole un animal pour racheter un dîkṣita ; par un contre-coup immédiat, l’âme libérée de l’animal s’en va alimenter la vie éternelle de l’espèce. Le sacrifice dépasse ainsi, naturellement, les buts étroits que les théologies les plus élémentaires lui assignent. C’est qu’il ne se compose pas seulement d’une série de gestes individuels. Le rite met en mouvement l’ensemble des choses sacrées auxquelles il s’adresse. Dès le début de ce travail, le sacrifice nous a apparu comme une ramification spéciale du système de la consécration.

Il n’y a pas lieu d’expliquer longuement pourquoi le profane entre ainsi en relations avec le divin ; c’est qu’il y voit la source même de la vie. Il a donc tout intérêt à s’en rapprocher puisque c’est là que se trouvent les conditions mêmes de son existence. Mais d’où vient qu’il ne s’en rapproche qu’en en restant à distance ? D’où vient qu’il ne communique avec le sacré qu’à travers un intermédiaire ? Les effets destructifs du rite expliquent en partie cet étrange procédé. Si les forces religieuses sont le principe même des forces vitales, en elles-mêmes, elles sont de telle nature que le contact en est redoutable au vulgaire. Surtout quand elles atteignent un certain degré d’intensité, elles ne peuvent se concentrer dans un objet profane sans le détruire. Le sacrifiant, quelque besoin qu’il en ait, ne peut donc les aborder qu’avec la plus extrême prudence. Voilà pourquoi, entre elles et lui, il insère des intermédiaires dont le principal est la victime. S’il s’engageait jusqu’au bout dans le rite, il y trouverait la mort et non la vie. La victime le remplace. Elle seule pénètre dans la sphère dangereuse du sacrifice, elle y succombe, et elle est là pour y succomber. Le sacrifiant reste à l’abri ; les dieux la prennent au lieu de le prendre. Elle le rachète. Moïse n’avait pas circoncis son fils ; Iahwe vint « lutter » avec lui dans une hôtellerie. Moïse se mourait lorsque sa femme coupa violemment le prépuce de l’enfant et le jeta aux pieds de Iahwe en lui disant : « Tu m’es un époux de sang. » La destruction du prépuce a satisfait le dieu qui ne détruit plus Moïse racheté. Il n’y a pas de sacrifice où n’intervienne quelque idée de rachat.

Mais cette première explication n’est pas assez générale, car, dans le cas de l’offrande, la communication se fait également par un intermédiaire, et pourtant il n’y a pas destruction. C’est qu’une consécration trop forte a de graves inconvénients, alors même qu’elle n’est pas destructive. Tout ce qui est trop profondément engagé dans le domaine religieux est, par cela même, retiré du domaine profane. Plus un être est empreint de religiosité, plus il est chargé d’interdits qui l’isolent. La sainteté du Nazir le paralyse. D’un autre côté, tout ce qui entre en contact trop intime avec les choses sacrées prend leur nature et devient sacré comme elles. Or le sacrifice est fait pour des profanes. L’action qu’il exerce sur les gens et sur les choses est destinée à les mettre en état de remplir leur rôle dans la vie temporelle. Les uns et les autres ne peuvent donc entrer utilement dans le sacrifice qu’à condition de pouvoir en sortir. Les rites de sortie servent en partie à ce but. Ils atténuent la consécration ; mais, à eux seuls, ils ne pourraient l’atténuer assez si elle avait été trop intense. Il importe donc que le sacrifiant ou l’objet du sacrifice ne la reçoivent qu’amortie, c’est-à-dire d’une manière indirecte. C’est à quoi sert l’intermédiaire. Grâce à lui, les deux mondes en présence peuvent se pénétrer tout en restant distincts.

Ainsi s’explique un caractère très particulier du sacrifice religieux. Dans tout sacrifice, il y a un acte d’abnégation, puisque le sacrifiant se prive et donne. Même cette abnégation lui est souvent imposée comme un devoir. Car le sacrifice n’est pas toujours facultatif ; les dieux l’exigent. On leur doit le culte, le service, comme dit le rituel hébreu ; on leur doit leur part, comme disent les Hindous. — Mais cette abnégation et cette soumission ne sont pas sans un retour égoïste. Si le sacrifiant donne quelque chose de soi, il ne se donne pas ; il se réserve prudemment. C’est que, s’il donne, c’est en partie pour recevoir. — Le sacrifice se présente donc sous un double aspect. C’est un acte utile et c’est une obligation. Le désintéressement s’y mêle à l’intérêt. Voilà pourquoi il a été si souvent conçu sous la forme d’un contrat. Au fond, il n’y a peut-être pas de sacrifice qui n’ait quelque chose de contractuel. Les deux parties en présence échangent leurs services et chacune y trouve son compte. Car les dieux, eux aussi, ont besoin des profanes. Si rien n’était réservé de la moisson, le dieu du blé mourrait ; pour que Dionysos puisse renaître, il faut que, aux vendanges, le bouc de Dionysos soit sacrifié ; c’est le soma que les hommes donnent à boire aux dieux qui fait leur force contre les démons. Pour que le sacré subsiste, il faut qu’on lui fasse sa part, et c’est sur la part des profanes que se fait ce prélèvement. Cette ambiguïté est inhérente à la nature même du sacrifice. Elle tient, en effet, à la présence de l’intermédiaire, et nous savons que, sans intermédiaire, il n’y a pas de sacrifice. Parce que la victime est distincte du sacrifiant et du dieu, elle les sépare tout en les unissant ; ils se rapprochent, mais sans se livrer tout entiers l’un à l’autre.

Il y a pourtant un cas d’où tout calcul égoïste est absent. C’est le sacrifice du dieu ; car le dieu qui se sacrifie se donne sans retour. C’est que, cette fois, tout intermédiaire à disparu. Le dieu, qui est en même temps le sacrifiant, ne fait qu’un avec la victime et parfois même avec le sacrificateur. Tous les éléments divers qui entrent dans les sacrifices ordinaires rentrent ici les uns dans les autres et se confondent. Seulement, une telle confusion n’est possible que pour des êtres mythiques, imaginaires, idéaux. Voilà comment la conception d’un dieu se sacrifiant pour le monde a pu se produire et est devenue, même pour les peuples les plus civilisés, l’expression la plus haute et comme la limite idéale de l’abnégation sans réserve.

Mais, de même que le sacrifice du dieu ne sort pas de la sphère de l’imagination religieuse, de même on pourrait croire que le système tout entier n’est qu’un jeu fantastique d’images. Les pouvoirs auxquels s’adresse le fidèle qui sacrifie ses biens les plus précieux semblent n’être rien de positif. Qui ne croit pas, ne voit dans ces rites que de vaines et coûteuses illusions et s’étonne que toute l’humanité se soit acharnée à dissiper ses forces pour des dieux fantomatiques. Maie il y a peut-être de véritables réalités auxquelles il est possible de rattacher l’institution dans son intégralité. Les notions religieuses, parce qu’elles sont crues, sont ; elles existent objectivement, comme faits sociaux. Les choses sacrées, dieux et autres, par rapport auxquelles fonctionne le sacrifice sont des choses sociales. Et cela suffit pour expliquer le sacrifice. Pour que le sacrifice soit bien fondé, deux conditions sont nécessaires. Il faut d’abord qu’il y ait en dehors du sacrifiant des choses qui le fassent sortir de lui-même et auxquelles il doive ce qu’il sacrifie. Il faut ensuite que ces choses soient près de lui pour qu’il puisse entrer en rapport avec elles, y trouver la force et l’assurance dont il a besoin et retirer de leur contact le bénéfice qu’il attend de ses rites. Or, ce caractère de pénétration intime et de séparation, d’immanence et de transcendance est, au plus haut degré, distinctif des choses sociales. Elles aussi existent à la fois, selon le point de vue auquel on se place, dans et hors l’individu. On comprend dès lors ce que peut être la fonction du sacrifice, abstraction faite des symboles par lesquels le croyant se l’exprime à lui-même. C’est une fonction sociale parce que le sacrifice se rapporte à des choses sociales.

D’une part, ce renoncement personnel des individus ou des groupes à leurs propriétés alimente les forces sociales. Non, sans doute, que la société ait besoin des choses qui sont la matière du sacrifice ; tout se passe ici dans le monde des idées, et c’est d’énergies mentales et morales qu’il est question. Mais l’acte d’abnégation qui est impliqué dans tout sacrifice, en rappelant fréquemment aux consciences particulières la présence des forces collectives, entretient précisément leur existence idéale. Ces expiations et ces purifications générales, ces communions, ces sacralisations de groupes, ces créations de génies des villes donnent ou renouvellent périodiquement à la collectivité, représentée par ses dieux, ce caractère bon, fort, grave, terrible, qui est un des traits essentiels de toute personnalité sociale. — D’autre part, les individus trouvent à ce même acte leur avantage. Ils se confèrent, à eux et aux choses qui leur tiennent de près, la force sociale tout entière. Ils revêtent d’une autorité sociale leurs vœux, leurs serments, leurs mariages. Ils entourent, comme d’un cercle de sainteté qui les protège, les champs qu’ils ont labourés, les maisons qu’ils ont construites. En même temps, ils trouvent dans le sacrifice le moyen de rétablir les équilibres troublés : par l’expiation, ils se rachètent de la malédiction sociale, conséquence de la faute, et rentrent dans la communauté ; par les prélèvements qu’ils font sur les choses dont la société a réservé l’usage, ils acquièrent le droit d’en jouir. La norme sociale est donc maintenue sans danger pour eux, sans diminution pour le groupe. Ainsi la fonction sociale du sacrifice est remplie, tant pour les individus que pour la collectivité. Et comme la société est faite non seulement d’hommes, mais de choses et d’événements, on entrevoit comment le sacrifice peut suivre et reproduire à la fois le rythme de la vie humaine et celui de la nature ; comment il a pu devenir périodique à l’usage des phénomènes naturels, occasionnel comme les besoins momentanés des hommes, se plier enfin à mille fonctions.

Au reste, on a pu voir, chemin faisant, combien de croyances et de pratiques sociales, qui ne sont pas proprement religieuses, se trouvent en rapports avec le sacrifice. Il a été successivement question du contrat, du rachat, de la peine, du don, de l’abnégation, des idées relatives à l’âme et à l’immortalité qui sont encore à la base de la morale commune. C’est dire de quelle importance est pour la sociologie la notion du sacrifice. Mais, dans ce travail, nous n’avions pas à la suivre dans son développement et à travers toutes ses ramifications. Nous nous sommes simplement donné pour tâche de chercher à la constituer.


  1. Civilisation primitive, II, chap. xviii.
  2. Voir une brochure un peu superficielle de M. Nitzsch, Idee und Stufen des Opferkultus, Kiel, 1889. — À cette théorie se sont, au fond, successivement rattachés les deux auteurs qui ont adressé à Rob. Smith les plus fortes critiques : Wilken, Over eine Nieuwe Theorie des Offers, De Gids, 1891, p. 535, sq. ; M. Marillier, La place du totémisme dans l’évolution religieuse, Rev. d’Hist. des Relig., 1897-1898 (voy. Compte rendu, Année sociologique, tome II, p. 202, sq.).
  3. Art. Sacrifice, Encycloyædia Britannica. — Religion of Semites (Burnett Lectures, 1re  édit. 1890, 2e  éd. 1894).
  4. Article de Mac Lennan, Plant and Animal Worship, Fortnighily Review, 1869, 1870.
  5. Kinship and Marriage in Early Arabia, 1884, Cambridge.
  6. Introduction to the History of Religion, 1896. Pour les restrictions voir p. 111, 115, 160. — M. Sidney Hartland s’est rattaché (Legend of Perseus, t. II, ch. xv) à la théorie de R. Smith.
  7. Frazer, Golden Bough, chap. iii.
  8. Mannhardt, Wald- und Feldkulte, 2 vol., Berlin, 1875 ; id., Mythologische Forschungen, Strasbourg, 1884.
  9. Nous devons, avant tout, indiquer quels sont les textes dont nous nous servons et quelle est notre attitude critique à leur égard. — Les documents du rituel védique se répartissent en Vedas ou Saṃhitâs, Brâhmaṇas et Sûtras. Les Saṃhitâs sont les recueils d’hymnes et de formules récités dans les rites. Les Brâhmaṇas sont les commentaires mythologiques et théologiques sur les rites. Les Sûtras sont les manuels rituels. Quoique chacun de ces ordres de textes repose sur l’autre, comme une série de strates successifs dont le plus ancien serait les Vedas (voir Max Müller, Sanskr. Lit., p. 572, sqq.), on peut, avec la tradition hindoue, que les sanscritistes tendent de plus en plus à adopter, les considérer comme formant tous un bloc et se complétant l’un l’autre. Sans leur attribuer de dates précises, même approchées, on peut dire qu’ils sont incompréhensibles les uns sans les autres. Le sens des prières, les opinions des brahmanes, leurs actes, sont absolument solidaires, et la signification des faits ne peut être donnée que par une comparaison incessante de tous ces textes. Ces derniers se répartissent suivant les fonctions des prêtres qui les emploient, et les divers clans brahmaniques. Nous nous sommes servis des suivants : I. Écoles du récitant : le Ṛg Veda (= R. V.), recueil des hymnes employés par le hotar (nous ne voulons pas dire qu’il ne contienne que des hymnes rituels, ni qu’il soit de date récente), édit. Max Müller, 2e  ; traduction Ludwig ; puis entre autres textes de cette école, l’Aitareya Brâhmaṇa (= Ait. B.), édit. Aufrecht (citée par Adhyaya et Khaṇḍa), traduction Haug ; comme Sûtra de l’une des branches de cette école, l’Âçvalâyana çrauta sûtra, édit. Bibl. Ind. (= Âçv. çr. sû.). — II. Écoles de l’officiant. a) École du Yajur-Veda blanc (Vâjasaneyins) dont les textes sont édités par Weber : Vâjasaneyi-Saṃhitâ (= V. S.), Veda des formules ; Çatapatha Brâhmaṇa (= Çat. Br.), trad. Eggeling, in Sacred Books of the East (= S. B. E.), XII, XIII, XLI, XLVI ; Kâtyâyana çrauta-sûtra (= Kât. çr. sû.) ; — b) école du Yajur Veda noir (Taittirtyas) : Taittirîya Saṃhitâ (= T. S.), éd. Weber, Indische Studien, XI et XII, contient les formules et le Brâhmaṇa ; Taittirîya Brâhmaṇa (= T. B.) contient de même des formules et le Brâhmaṇa ; Âpastamba-çrauta-sûtra (édit. Garbe), dont nous avons tout particulièrement suivi le rituel. — À ces textes se superposent ceux du rituel domestique, les gṛhya sûtras des diverses écoles (trad. Oldenberg in S. B. E. XXIX, XXX). — À côté d’eux, se trouve la série des textes atharvaniques (du brahman) : Atharva-Veda (= A. V.), Veda des incantations, édit. Whitney et Roth ; traductions : choix, Bloomfield in S. B. E. XLVIII ; livres VIII-XIII, V. Henry. Kauçika sûtra (= Kauç. sû.), édit. Bloomfield. — Notre étude du rituel hindou eût été impossible sans les livres de M. Schwab et de M. Hillebrandt, et sans l’assistance personnelle de MM. Caland, Winternitz et Sylvain Lévi, maîtres de l’un d’entre nous.

    Pour notre étude du sacrifice biblique, nous prendrons pour base le Pentateuque. Nous n’essayerons pas d’emprunter à la critique biblique les éléments d’une histoire des rites sacrificiels hébreux. D’abord, les matériaux sont, à notre sens, insuffisants. Ensuite, si nous croyons que la critique biblique peut constituer l’histoire des textes, nous refusons de confondre cette histoire avec celle des faits. En particulier, quelle que soit la date de la rédaction du Lévitique et du Priestercodex en général, l’âge du texte n’est pas, selon nous, nécessairement l’âge du rite ; les traits du rituel n’ont, peut-être, été fixés que tardivement, mais ils existaient avant d’être enregistrés. Ainsi nous avons pu éviter de poser, à propos de chaque rite, la question de savoir s’il appartenait ou non à un rituel ancien. Sur la fragilité d’un certain nombre des conclusions de l’école critique, Voy. Halévy, Rev. Sémitique, 1898, p. 4 sqq., 97 sqq., 193 sqq., 289 sqq., 1899, p. 1 sqq. — Sur le sacrifice hébreu, comme ouvrages généraux : Munk, Palestine, Paris, 1848 ; — Nowack, Lehrbuch der Hebräischen Archaeologie, 1894, II, p. 138 sqq. ; — Benzinger, Hebräische Archaeologie, 1894, p. 431 sqq. ; comme ouvrages spéciaux : Hupfeld, De primitiva et vera festorum apud Hebraeos ratione, Progr. Halle, 1851 ; — Riehm, Ueber das Schuldopfer, Theol. Studien und Kritiken, 1854 ; — Rinck, Ueber dus Schuldopfer, ibid., 1855 ; — J. Bachmann, Die Festgesetze des Pentateuchs, Berl., 1858 ; — Kurtz, Der Alttestamentliche Opferkultus, Mitau, 1862 ; — Riehm, Der Begriff der Sühne, Theol. St. Krit., 1877 ; — Orelli, Einige Alttestamentl. Prämissen zur Neutest. Versöhnungslehre, Zeitsch. f. Christl. Wissen. u. Christl. Leben, 1884 ; — Müller, Kritischer Versuch über den Ursprung und die Geschichtliche Entwicklung des Pessach und Mazzothfestes, Inaug. Diss., Bonn, 1884. — Schmoller, Das Wesen der Sühne in der Alttestam. Opfertora, Theol. St. Krit., 1891 ; — Folck, De Nonnullis Veteris Testamenti Prophetarum locis,  etc., Progr. Dorpat, 1893 ; — Br. Baentsch, Das Heiligkeitsgesetz, etc., Erfurt, 1893 ; — Kamphausen, Das Verhältniss des Menschenopfers zur Israelitschen Religion, 1896, Progr. Univ. Bonn. — Sur les textes évangéliques concernant le sacrifice, voir Berdmore Compton, Sacrifice, Londres, 1896.

  10. Le yajamâna des textes sanscrits. Remarquons l’emploi de ce mot, participe présent moyen du verbe yaj (sacrifier). Le sacrifiant est, pour les auteurs hindous, celui qui attend un retour sur soi de l’effet de ses actes. (Rapprocher la formule védique « nous qui sacrifions pour nous », ye yajâmahe, de la formule avestique yazamaide. Voir Hillebrandt, Ritual Litteratur, p. 11.) — Ces bénéfices du sacrifice sont, suivant nous, des contre-coups nécessaires du rite. Ils ne sont pas dus à une volonté divine libre, que la théologie a, peu à peu, intercalé entre l’acte religieux et ses suites. On comprendra, dès lors, que nous négligions un certain nombre de questions qui impliquent l’hypothèse du sacrifice don et l’intervention de dieux rigoureusement personnels.
  11. C’est le cas normal dans le sacrifice hindou, qui est, aussi rigoureusement que possible, en théorie du moins, individuel.
  12. Par exemple, Il., Α, 313 sqq.
  13. C’est le cas, en particulier, des sacrifices vraiment totémiques, et de ceux où le groupe remplit lui-même le rôle de sacrificateur, tue, déchire et dévore la victime ; enfin d’un bon nombre de sacrifices humains, surtout ceux de l’endocannibalisme. Mais, souvent, le seul fait d’assister suffit.
  14. Dans l’Inde antique, le maître de maison (gṛhapati) sacrifie quelquefois pour toute sa famille. Quand il n’est que participant aux cérémonies, sa famille et sa femme (cette dernière assistant aux grands sacrifices), en reçoivent certains effets.
  15. Selon Ézéchiel, le prince (naçi = exilarque) devait faire les frais du sacrifice des fêtes, fournir les libations et la victime. Ézéch. XLV, 47 ; II Chron. XXXI, 3.
  16. Voir plus loin, p. 89-90.
  17. Voir plus loin, p. 90, n. 1. Nous citerons particulièrement les sacrifices célébrés pour l’entrée d’un hôte dans la maison : H. C. Trumbull, Threshold Covenant, p. 1, sqq.
  18. Sur l’alliance par le sang et la façon dont elle a été rattachée au sacrifice, voy. R. Smith, Rel. of Sem., lect. IX ; H. C. Trumbull, The Blood covenant.
  19. Sur la consécration de la chevelure, voir G. A. Wilken, Haaropfer, Rev. col. Inter., 1884 ; Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 324 sqq. Cf S. Hartland, The Legend of Perseus, vol. II, p. 215.
  20. Lév. II, 1 sqq. ; VI, 7 sqq. ; IX, 4 sqq. ; X, 12 sqq. ; Ex. XXIII, 18 ; XXXIV, 25 ; Amos, IV, 5. — La minḫâ remplit tellement l’office de tout autre sacrifice que (Lév. V, 11) une minḫâ sans huile ni encens remplace un ḫaṭṭât et porte le même nom. Il est souvent parlé de minḫâ dans le sens général de sacrifice (Cf. I Rois XVIII, 29, etc.). Inversement, dans l’inscription de Marseille le mot de zebaḫ est appliqué comme celui de minḫâ à des oblations végétales : C. I. S., 165, l. 12 ; l. 14 ; Cf. id., 167, l. 9 et 10.
  21. Lév. II.
  22. Aristoph., Plut., 659 sqq. — Stengel, Die Griechischen Kultusalterthümer, 2e  édit., p. 89 sqq.
  23. Porph., de Abst., II, 29. — Diog. Laërt., VIII, 13 (Délos). — Stengel, ib., p. 92. — Pline, N. H., XVIII, 7. — Schol. Pers., II, 48.
  24. Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 230 et suiv. voit même dans les libations de vin et d’huile des rituels sémitiques des équivalents du sang des victimes animales.
  25. K. Bernhardi, Trankopfer bei Homer, Progr. d. Kgl. Gymn. z. Leipzig, 1885 ; Fritze, De libatione veterum Graecorum, Berl., Dissert., 1893.
  26. νηφάλια et μελίκρατον. Cf. Stengel, p. 93 et 111. — Frazer, Pausanias, t. III, p. 583.
  27. Stengel, ib., p. 99. — Une libation d’eau-de-vie a remplacé quelquefois, dans les usages actuels, d’anciens sacrifices. Ex. dans P. Bahlmann, Münsterl. Märchen (voir Compte rendu, Année sociologique, t. II), p. 341. Cf. Sartori, Bauopfer (voir Compte rendu, Année sociologique, t. II), p. 25.
  28. Voir les textes cités par Hillebrandt, Neu- und Vollmonds-Opfer, p. 42, 43.
  29. Ces offrandes végétales se sont-elles substituées aux sacrifices sanglants, comme le voulait la formule romaine in sacris simulata pro veris accipi (Serv., Ad Aen., II, 416 ; Fest., p. 360 b) ? Il était commode sans doute d’imaginer un passage progressif du sacrifice humain au sacrifice animal, puis du sacrifice animal au sacrifice de figurines représentant des animaux et de là, enfin, aux offrandes de gâteaux. Il est possible que, dans certains cas, d’ailleurs mal connus, l’introduction de nouveaux rituels ait produit de ces substitutions. Mais rien n’autorise à généraliser ces faits. Même l’histoire de certains sacrifices présente plutôt une succession inverse. Les animaux de pâte sacrifiés dans certaines fêtes agraires sont des images des démons agraires et non des simulacres de victimes animales. L’analyse de ces cérémonies donnera plus loin les raisons de tout ceci.
  30. Il résulte de cette définition qu’il y a entre la peine religieuse et le sacrifice (du moins le sacrifice expiatoire) des analogies et des différences. La peine religieuse, elle aussi, implique une consécration (consecratio bonorum et capitis) : elle consiste en une destruction qui effectue cette consécration. Les rites sont assez semblables à ceux du sacrifice pour que R. Smith y ait vu l’un des modèles du sacrifice expiatoire. Seulement, dans le cas de la peine, la manifestation violente de la consécration porte directement sur le sujet qui a commis le crime et qui l’expie lui-même ; dans le cas du sacrifice expiatoire, au contraire, il y a substitution et c’est sur la victime, non sur le coupable que tombe l’expiation. Toutefois, comme la société est contaminée par le crime, la peine est en même temps pour elle un moyen de laver la tache dont elle est souillée. Le coupable remplit donc à son égard le rôle d’une victime expiatoire. On peut dire qu’il y a en même temps peine et sacrifice.
  31. Voir Max Müller, Zeitschr. d. D. Morg. Gesell., IX, p. lxiii. — Kât. çr. sû. 1, 8, 10, 12 et comm. de Mahidhâra ad locum, surtout à 11 ; cf. Kulluka ad Manu, 2, 25. — Vedânta Sâra, 7 et suiv. (Éd. Böhtlingk, Sanskrit-Chrestomathie, p. 254, 255). Cette classification n’est, semble-t-il, attestée que par des autorités assez récentes, tandis que les autres classifications remonteraient aux plus anciens textes. Mais, on fait, elle se trouve bien d’abord dans les collections liturgiques qui distinguent des formules régulières (yajus), les formules des rites facultatifs (Kâmyeṣṭiyajyâs), et les formules des rites expiatoires (prayaçcittâni). Elle se trouve dans les Brâhmaṇas qui (par exemple le Taitt. Br.) consacrent de très longues sections soit aux expiations, soit aux vœux particuliers, et aux sacrifices nécessaires. Enfin les sûtras distinguent constamment les rites en constants (nityâni), obligatoires et périodiques, en facultatifs (kâmyâni), occasionnels (naimittikâni) et expiatoires (prayaçcittâni). Ces divisions sont connues aussi bien du rituel solennel que du rituel domestique (voy. Oldenberg, Survey of the contents of the Gṛhyasûtras in S. B. E., XXX, p. 806-7). Ces textes contiennent aussi des passages concernant les rites curatifs (bhaiṣajyâni), parallèles à ceux que nous fait connaître le Kauçika sûtra (adh. III, édit. Bloomf. 1890). De telle sorte que les sacrifices ont bien été, dès le principe, répartis suivant cette division, qui n’est devenue consciente que plus tard.
  32. Le vâjapeya. Weber, Sitz. ber. d. k. Ak. d. Wiss. z. Berl. Phil. Hist. Cl., 1892, p. 765 et suiv., et Hillebrandt, Vedische Mythologie, I, 247 (Breslau, 1890).
  33. Par exemple pour obtenir un fils, une longue vie (Hillebrandt, Rit. Litt., § 58 et § 66). Ces sacrifices sont extrêmement nombreux. Plus nombreux même que les textes publiés ne nous les présentent.
  34. Le principe est même tellement rigoureux qu’on expose le rituel du sacrifice avant le rituel de l’établissement de l’autel (voy. Hillebr., § 59, Rit. Litt., Vorbem.).
  35. Hillebr., Rit. Litt., § 66. désigne à la fois la plante victime, le dieu que dégage le sacrifice, et le dieu sacrifié. Cette réserve faite, nous optons.
  36. Nous traduisons ainsi le mot soma, dans le composé somayajña, comme un nom commun. Le terme est intraduisible, car le mot soma
  37. Le soma en effet ne peut être sacrifié qu’au moment où il est en fleurs, au printemps (voy. Açvalâyanasomaprayoga, in Mss. Wilson 458, Bodley. Oxf. fo 137).
  38. Il y a en effet la plus grande analogie possible entre le rituel du sacrifice de l’animal à Agni-Soma (Ap. çr. sû., VII) et le rituel atharvanique de l’étouffement de la vaçâ (vache stérile) (Kauçika sûtra, 44 et 45). De même dans le rituel domestique les divers sacrifices animaux, y compris celui du taureau expiatoire (voy. plus loin, p. 76), sont tellement analogues que les uns ou les autres ont pu, suivant les écoles, servir de thème fondamental à la description (voir Hillebr. Rit. Litte., § 44).
  39. Deutéronome, XII, 6, 11, 27 ; Lév., XVII, 8 ; Juges, XX, 26, II Samuel, VI, 17, etc., ne mentionnent que l’‘olâ et le zebaḫ ou le shelamim. La question de savoir si ces passages se rapportent à des rituels antérieurs ou à des rituels parallèles, n’importe pas à l’objet spécial de votre travail — Pour la théorie suivant laquelle les sacrifices expiatoires n’ont été introduits que tardivement dans le rituel hébraïque, nous renvoyons simplement au résumé de Benzinger, Hebräische Archaeologie, p. 441 et p. 447 sqq. Le passage I Sam., III, 14 est trop vague pour que l’on en puisse rien conclure contre l’existence du ḫaṭṭât. En tout cas il est impossible d’admettre que les sacrifices expiatoires soient des transformations de l’amende pécuniaire.
  40. Lév. IV, 2.
  41. Shelamim = zebaḫ shelamim. Sur l’équivalence des zebaḫim et de zebaḫ shelamim, voir Benzinger, loc. cit., p. 135.
  42. Nous nous rattachons dans la traduction du mot ‘olâ à l’interprétation traditionnelle fondée d’ailleurs sur l’expression biblique « il fit monter l’‘olâ (la montée) » — Cf. Clermont-Ganneau, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions, 1898, p. 599. — Sur le ‘avon et son expiation, voir Halévy, Revue sémitique, 1898, p. 49. — Une autre sorte de péché dont le rituel a prévu l’expiation, le asham (Lév. V), ne paraît pas avoir donné lieu à une forme spéciale de sacrifice. Il arrive que le sacrifice qui l’expie soit désigné par le nom de asham, mais d’après Lév. V, la cérémonie expiatoire se compose de ḫaṭṭât et de ‘olâ ; Lév. VII, 2-7 identifle le ḫaṭṭât et le asham ; cf. Nombres, V, 9 sqq. Pourtant Ézéch. XL, 39 ; XLII, 43 ; XLVI, 20 distingue formellement les deux sacrifices.
  43. L’inscription de Marseille (C. I. S., I, 165) présente une réduction analogue des divers sacrifices à trois sacrifices types : 1o  le kalil qui équivaut à l’‘olâ hébraïque ; 2o  le sauat, sacrificium laudis ou orationis qui équivaut au shelamim ; 3o  le shelem-kalil. La ligne 11 mentionne seule deux sacrifices particulière, le shasaf et le ḫazut (voy. C. I. S., t. I, p. 233). — Le Shelem-kalil doit-il être considéré comme une juxtaposition de sacrifices ? Voir A. Barton, On the sacrifices Kalil and Shelem-kalil in the Marseille Inscription, Proc. Am. Or. Soc., 1894, p. lxvii-lxix. — L’inscription 167 (Carthage) ne distingue que Kelilim et Sauat. Cf. Clermont-Ganneau, Inscription Nabatéenne de Kanatha, C. R. de l’Ac. des Inscr., 1898, p. 597-599.
  44. Ex. XXIX. — Lév. VIII.
  45. Lév. XII, 6.
  46. Lév. XIV. — À rapprocher Lév. XIV, 7 de Ex. XXIV, 20.
  47. Les sacrifices grecs se peuvent diviser assez facilement en sacrifices communiels et en sacrifices expiatoires, sacrifices aux dieux infernaux et sacrifices aux dieux du ciel : ils sont classés de cette façon dans l’excellent manuel de Stengel, Die griechischen Kultusalterhümer. Cette classification n’est juste qu’en apparence.
  48. Lév. IV ; VII, 14 ; IX, 21, etc.
  49. Lév. X, 16.
  50. Ézéch. XLIII, 19 sqq. ; XLV, 19. Cf. purification du lépreux, Lév. XIV, 7.
  51. Ex. XXIX, 20.
  52. Le principe de l’entrée dans le sacrifice est constant dans le rituel. Il est remarquablement exprimé dans le sacrifice du soma où nous avons la prâyaṇtyeṣṭi, le sacrifice d’entrée, répondant exactement à l’udayanîyeṣṭi, sacrifice de sortie. Çat. Br., 3, 2, 3, 1 ; 4, 5, 1, 1. — Cf. Ait. Br., 4, 5, 1 et 2. Cf. Taitt. S., 6, 1, 5, 3, 4. — Généralement de simples rites, de consécration directe, suffisent à préparer les sacrifices. Mais nous voyons qu’il y a des cas où le sacrifice principal est précédé de sacrifices préliminaires. Ainsi les praecidaneæ romaines (Gell., 4, 6, 7). Les προθύματα ne sont pas du même genre (Eur., Iph. A., 1310-1348. Cf. Paton, Cos, 38, 17), mais d’autres sacrifices y correspondaient : Paton, Cos, 38, 12.
  53. Sur la dîkṣâ, voir Bruno Lindner, Die dîkṣâ oder Weihe für das Somaopfer, Leipz., 1878 (étudie seulement les textes théologiques et les compare). Ces textes du Çat. Br., de l’Ait. Br., de la Taitt. saṃ. sont d’ailleurs réellement complets sur la question. — Oldenberg, Rel. d. ved., p. 398, sqq. M. Old. voit dans la dîkṣâ un rite d’ascétisme comparable à ceux du shamanisme. Il n’attache pas de valeur au symbolisme des cérémonies et le croit de date récente, M. O. semble avoir réellement mis en lumière un côté des faits ; mais son explication se laisse fort bien concilier avec la nôtre. Pour l’ensemble des textes brahmaniques voir S. Lévi, Doctrine du sacrifice dans les Brâhmaṇas, p. 103-106. Pour la traduction du mot dîkṣâ, nous nous rattachons à l’opinion de M. Weber, Vâjapeya (loc. cit., p. 778). La dîkṣâ n’est que vaguement indiquée au Ṛg veda, et n’avait pas à l’être. Elle a une place prépondérante dans tout le reste de la littérature védique. Le succès de ce rite, d’ailleurs fort bien conservé, a été très grand dans les rituels puraniques et tantriques.
  54. Voir S. Lévi, ib., p. 103.
  55. T. S., 6, 1, 1, 1.
  56. De ce rite, répandu dans la plupart des religions, les textes hindous donnent une excellente interprétation ; les cheveux, les sourcils, la barbe, les ongles des mains et des pieds sont la « partie morte », impure du corps. On les coupe pour se rendre pur. T. S., 6, 1, 1, 2.
  57. S. Lévi, ib., p. 87, 88. T. S., 6, 1, 1, 5. — Çat. Br., 3, 1, 2, 4, 5.
  58. C’est le rite de l’apsudîkṣâ (Âp. çr. sû., X, 6, 15 sqq.), qui symbolise à la fois sa purification (voir le mantra T. S., 1, 2, 1, 1 = V. S., 4, 2, a = R. V., 10, 17, 10 et A. V., 6, 51, 2) et sa nouvelle conception. Voici la série des symboles, suivant l’Ait. Br., 1, 3, 1 sqq. « Le bain signifie sa conception, la hutte est sa matrice : le vêtement l’amnios, la peau de l’antilope noire le chorion », etc. Les écoles varient d’ailleurs légèrement sur les diverses significations des différents rites, et sur leur ordre.
  59. Âp. çr. sû., X, 6, 6. Le mantra est T. B., 3, 7, 7, 1. Cf. V. S., 4, 2, c, et Çat. Br., 3, 1, 2, 20.
  60. Âp. çr. sû., X, 6, 11 sqq. T. S., 6, 1, 1, 4, 5, etc.
  61. Ap. çr. sû., X, 8, 11, 12. Cette peau d’antilope est selon certains textes (Ait. Br., loc. cit. et Çat., 3, 2, 1, 2) l’une des membranes de l’embryon dieu qu’est le didîkṣamâṇa, celui qui s’initie. D’autres textes, d’égale valeur (T. S., 6, 1, 3, 2) disent qu’il s’agit simplement de revêtir le sacrifiant de la peau de l’animal brahmanique, afin de lui faire acquérir la qualité de brahmane.
  62. Âp. çr. sû., X, 8, 11, 12.
  63. Âp., X, 9, 10. T. S., 6, 1, 3, 3. — Cf. Web., Ind. St., X, p. 358, n. 4.
  64. Âp., X, 11, 5 sqq.T. S., 6, 1, 4, 3.
  65. Âp., X, 11, 7 sqq. ; X, 12, 1, 13-18.
  66. Son âtman, son individu. Il est devenu une « offrande aux dieux ». Ait. Br., 6, 3, 9 ; 6, 9, 8 ; Çat., 3, 3, 4, 21. — Âp. çr. sû., X, 14, 10. « C’est ce qui est expliqué au Brâhmaṇa. Quand ce dîkṣita devient maigre, il devient pur (medhya, sacrificiel). Quand il n’y a plus rien il devient pur. Quand la peau touche les os, il devient pur. C’est gras qu’il est initié, c’est maigre qu’il sacrifie. Ce qui de ses membres est absent, il l’a sacrifié. » Le sacrifiant a, par le jeûne, dépouillé autant que possible son corps mortel, pour revêtir une forme immortelle. — On voit comment les pratiques ascétiques ont pris place dans le système du sacrifice Hindou (voy. S. Lévi, ib., p. 83, n. 1. Cf. p. 54). Développées dès ce moment, elles ont pu devenir, dans le Brahmanisme classique, dans le jaïnisme, dans le bouddhisme, le tout du sacrifice. L’individu qui sacrifie se sacrifie. Par exemple, le jeûne bouddhique upoṣaḍha correspond exactement au jeûne upavasatha de la nuit upavasatha du sacrifice ordinaire, lequel correspond au jeûne du dîkṣita (voy. Çat. Br., 1, 1, 1, 7, Le rapprochement est de M. Eggeling ad loc. ; S. B. E, XII, cf. ib., 2, 1, 4, 2, etc., sur le jeûne de la dîkza, ib., 3, 2, 2, 10, 19). Dès le Çat. Br. les vertus de l’ascétisme sont considérées comme aussi grandes que celles du sacrifice (ib., 9, 5, 1, 1-7, etc.). — Nous n’avons pas besoin de faire remarquer l’analogie qu’il y a ici avec les pratiques sémitiques, grecques et chrétiennes. Le jeûne sacrificiel du Kippour est devenu le modèle des autres jeûnes judaïques. Ces actions préparatoires sont devenues, souvent, le type du sacrifice de soi. — L’ascétisme préalable du sacrifice est, dans bien des cas, devenu le sacrifice entier.
  67. Hillebr., Neu- und Vollmondsopfer, p. 3, 4. Cf. Çat. Br., 1, 1, 1, 7 sqq. et passages cités, note préc. Cf. Schwab, Thieropfer, p. xxii, 39.
  68. Çat. Br., 1, 1, 1, 1 sqq.
  69. Nomb. IX, 44 ; XV, 13-15, 29. — Cf. Paus., II, 27, 1 ; Eur., Él., 795 ; C. I. A., II, 582, 583.
  70. Les incirconcis ne peuvent paraître aux cérémonies du culte : Ézéch. XLIV, 7 ; Cf. Ex. XII, 43, 45, 48 ; Lév. XXII, 10, 12, 13. — Hérod., VI, 6 ; Dittenb., Syllog., 358, cf. 373, 26. — Dans l’Inde classique et même védique, seuls les membres des trois castes supérieures ont le droit de sacrifier.
  71. Athénée, IV, p. 149 C. ; VI, p. 262 C.
  72. Dittenb., 373, 9. Fest., p. 82. Lamprid., Elagab., 6 ; Cat., R. R., LXXXIII dans le sacrifice à Mars Silvanus. — Les cas d’expulsion des femmes lors des cérémonies sont fort nombreux.
  73. Lév. VII, 19-21 ; II Chron. XXX, 47, à propos du sacrifice de la Pâque. — Cf. C. I. G., 3562. — Cependant certaines impuretés n’écartaient pas de certains sacrifices : cf. Nomb. IX, 10. — Cf. Od., Ο, 222 sqq.
  74. Ex. XIX, 22.
  75. Ib., XIX, 10 sqq. Nomb. XI, 18-25. Les interdictions de rapports sexuels à l’occasion d’une cérémonie quelconque sont d’ailleurs un principe religieux presque constant.
  76. Cf. Paus., X, 32, 9 : Panégyrique de Tithorea.
  77. Gen. XXXV, 2 ; Ex. XIX, 4 ; XL, 12 ; Lév. VIII, 6 ; Nomb. VIII, 7. — Stengel, Griech. Kult. Alt., p. 97. — Marquardt, Hdb. d. Röm. Alt., VI, p. 248, n. 7. — Il., Α, 313 sqq.
  78. Lév. XXIII, 27, 32, jeûne du Kippour. Nomb. XXIX, 7. — Cf. le jeûne du communiant et du prêtre avant la messe catholique.
  79. Voir certains exemples dans Fraser, Gold. B., II, 76.
  80. Gen. XXXV, 2 ; Ex. XXIX, 8 ; XL, 14 ; Lév. VIII, 13 (consécration d’Aaron). Cf. Paus., II, 35, 4 : Procession des Chthonia d’Hermione. — Plut., Cons. ad Apol., 33, p. 119. — L’usage de vêtements spéciaux, le barbouillage du corps ou de la figure, font partie du rituel de presque toutes les fêtes connues.
  81. Porph., V. Pyth., 17.
  82. S. Reinach, Le voile de l’oblation, 1897, p. 5 sqq.
  83. Stengel, loc. cit., p. 98. — Ménandre, Le Laboureur, v. 8, Rev. des Ét. grecques, 1898, p. 123. — E. Samter, Römische Sühnriten, Philologus, 1897, p. 393, sqq.Fest., p. 117.
  84. Ex. ; Nomb. VIII, 7. — Lucien, De Dea Syria, 55.
  85. Sur l’ensemble des cérémonies préparatoires (iḫrâm — sanctification) aux anciens sacrifices correspondant aux pèlerinages actuels de la Mecque, voir Wellhausen, Reste des Arabischen Heidenthums, p. 79 sqq. Les pèlerinages à Hiérapolis présentaient les mêmes pratiques : Lucien, loc. cit. De même pour les pèlerins de l’ancien Temple : Jér. XLI, 8. Voir Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 333, p. 481 (note additionnelle).
  86. Les rites qui ne font pas partie du rituel domestique et où le sacrifiant officie lui-même sont assez rares dans les religions que nous étudions. En Judée, il n’y avait que le sacrifice de la Pâque où l’on pût, en l’absence de tout Lévite ou Cohen et en dehors de Jérusalem, tuer une victime. — En Grèce, par exemple, le sacrifice à Amphiaraos (Oropos) peut être présenté par le sacrifiant en l’absence du prêtre (C. I. G. G. S., 235), — Dans le rituel hindou, personne, s’il n’est brahmane, ne peut sacrifier sur les trois feux du grand sacrifice. La présence du brahmane n’est pas exigible, au contraire, dans le culte familial (Hillebr., Rit. Litt., p. 20).
  87. Ex. XXIX. — Lév. VIII. — Nomb. VIII.
  88. Ézéch. XLIV, 9, 11.
  89. II Chron. XXX, 17. Les Lévites sacrifient la Pâque pour les impurs. — En l’absence du sacrifiant hindou, on pouvait accomplir pour lui certains rites essentiels (Hillebrandt, Neu- und Vollmondsopfer, p. 146, n. 7).
  90. Ex. XXVIII, 48. — Nomb. XVIII, 1, 2, 3.
  91. Ces deux caractères sont bien marqués en ce qui concerne le brahmane. D’une part il est si bien le délégué du sacrifiant qu’il devient le maître de sa vie (voy. Sylv. Lévi, Doctrine du sacrifice dans les Brâhmaṇas, p. 12). D’autre part, il est si bien le délégué des dieux qu’on le traite souvent comme tel, lorsqu’on l’invite au sacrifice, lorsqu’il reçoit sa part sacerdotale (voy. plus bas, p. 63, n. 6). Sur le caractère du brahmane dans le rituel, voir Weber, Ind. Stud., X, p. 185 : Cf. Çat. Br., 1, 7, 1, 5 où les brahmanes sont appelés dieux humains.
  92. Culte d’Attis et de Cybèle, voy. Frazer, Gold. B., I, p. 300. Paus., VIII, 13, 1 ; Cf. Frazer, Pausanias, t. IV, p. 223, t. V, p. 261. Back, De Græcorum cæremoniis in quibus homines deorum vice fungebantur, Berlin, 1883.
  93. Paus., VI, 20, 1.
  94. Paus., VIII, 15, 2 : Culte de Déméter à Phénée en Arcadie. — Polyaen., VII, 59 : Culte d’Athéné à Pellène. Voir Samter, Römische Sühnriten, die Trabea, Philologus, 1896, LVI, p. 393, pour le vêtement du prêtre romain. Pourtant, selon Macrobe, III, 6, 17, on sacrifie la tête voilée à l’Ara Maxima, « ne quis in æde dei habitum ejus imitetur ».
  95. Cf. Frazer, Gold. B., I, p. 286, 338, 348, 368, 370 ; II, p. 2, 27. — Höfler, Corr. Bl. d. deut. Gesell. f. Anthr., 1896, 5.
  96. Au cas où le brahmane était lui-même sacrifiant et au cas d’un sattra, session rituelle, grand sacrifice où les prêtres étaient soumis à la dîkṣâ en même temps que le sacrifiant, roi ou grand homme. — Dans tous les autres cas, il n’y a de prescrites pour le brahmane que de petites lustrations : se rincer la bouche, se laver les mains, etc. Ce rite était toujours obligatoire quand on avait fait mention de puissances mauvaises (Çâṅkhâyana-gṛhya-sûtra, I, 10, V ; Kâty. çr. sû., I, 10, 14).
  97. Ex. XXX, 20, 21. Cf. Rawlinson, W. A. I., 23, 1, 15, pour les mains. Le lavage des mains du prêtre et des fidèles est un usage dans la synagogue comme dans le rituel catholique.
  98. Lév. X, 9. — Ézéch. XLIV, 21. — Jos., Ant., 3, 12, 2 ; Bell. Jud., 5, 5, 7. — Phil., De Ebr., p. 377 sqq. M.
  99. Lév. VI, 3 ; XVI, 4, 32. — Cf. Ex. XXVIII, 40, 42.
  100. Lév. VI, 4 ; XVI, 23. — Ézéch. XLIV, 19.
  101. Ex. XXVIII, 35. — Ézéch. XLII, 11-14 (le texte des LXX est préférable).
  102. Ex. XXVIII, 43 ; XXX, 20, 24.
  103. Lév. X, 1 sqq.
  104. Sam. IV, 11.
  105. Voy. le récit légendaire de Gem. ad Talm. J., Traité Yoma, I, 1, 5, qui dit qu’un grand-prêtre qui ferait une hérésie rituelle au jour du Kippour, mourrait sur-le-champ, que des vers sortiraient alors de son nez, un sabot de pied de veau de son front, comme il était arrivé aux prêtres de la famille de Baithos.
  106. Cf. Tossifta Soukka, III, 16.
  107. Nous nous servons de la Mischnâ et du Talmud de Jérusalem (nous renvoyons pour plus de commodité à la trad. Schwab). Traité Yoma, ch. II, III, Schwab, V, p. 158. Voir à ce sujet J. Derenbourg, Essai de Restitution de l’ancienne rédaction de Mussechet Kippourim, Rev. Études Juives, VI, 41. — Houtsma, Over de Israelitische Vastendagen, Versl. Med. d. k. Ak. v. Wet. Afdeel. Letterk., 1897, Amsterdam.
  108. Lév. XVI.
  109. Ib., 2.
  110. Talm. J., Yoma (Schwab, p. 161). À l’occasion du Kippour, on renforçait la pureté sacerdotale et on en arrivait à l’isolement absolu.
  111. Pendant ces sept jours le grand-prêtre fait le service en grand costume pontifical, lequel avait, on le sait, des vertus particulières. Ex. XXVIII.
  112. La cellule de Beth-Abdinos.
  113. Ib., I, 5, Mischnâ. La Gemara (ad loc.) donne plusieurs explications de ce rite incompris. L’une d’elles semble indiquer ce qui a pu en être le vrai sens : les vieillards pleurent parce qu’ils sont forcés d’abandonner, ainsi isolé, le pontife dont la vie est à la fois si précieuse et si fragile.
  114. Pour cela, ou bien il fait lui-même de l’exégèse biblique, ou il écoute des docteurs, ou on lui lit des passages bibliques. La prescription de s’occuper, pendant la veille du sacrifice, de choses sacrées, d’en parler et de ne parler que d’elles est aussi une prescription du sacrifice hindou ; c’est encore une prescription sabbatique et, en général, une règle des fêtes dans la plupart des rituels connus. Les vigiles chrétiennes, d’abord spécialement pascales, puis multipliées, sont peut-être l’imitation des doctes entretiens du soir de la Pâque juive.
  115. Des pertes séminales, telle est l’explication, juste mais partielle, que donne notre texte. En effet, il faut se rappeler que ls sommeil est très généralement considéré comme un état dangereux ; car l’âme est alors mobile, hors du corps, et peut n’y pas rentrer. Or la mort du grand-prêtre serait une calamité. On la prévient en l’obligeant à veiller. — Le sommeil est de même un état dangereux pour la dîkṣita hindou, qui dort à l’abri d’Agni, près du feu, dans une position spéciale (cf. T. S., 6, 1, 4, 5, 6).
  116. Yoma, I, 2 et Gem. Talm. J., Schwab, v. p. 168. Cf. Misch., ib., III, 3.
  117. Hémérologie du mois de Elul : Rawlinson, W. A. I., IV, pl. 32, 3. Voir Jastrow, The original character of the Hebrew Sabbath. (Voir compte rendu, Année sociologique, II, p. 265).
  118. Stengel, loc. cit., p. 13 (sacrifice aux dieux célestes).
  119. Stengel, loc. cit. (sacrifices aux dieux chthoniens). Paus., II, 24, 4 (Argos, sacrifice à Apollon Δειραδιὠτης) Voir plus bas p. 77 pour le sacrifice du taureau à Rudra. — La fixation de l’heure, du jour, auquel doit se faire le sacrifice est un des points les mieux précisés par les rituels hindous et autres. La constellation sous laquelle on sacrifie n’est pas non plus indifférente.
  120. Lév. XVII, 3-5.
  121. Il est bien entendu que nous ne voulons attribuer aucune antériorité au sacrifice fait dans un lieu à consécration constante, sur le rituel sacrificiel qui requiert un lieu variable consacré pour une occasion déterminée.
  122. Ex. XXIX, 37, 44. — Nombres, VIII, 15 sqq.II Sam. VI, 17. — I Rois, VIII, 63, etc. — En ce qui concerne la défense de sacrifier ailleurs qu’à Jérusalem, voy. Lév. XVII, 3-4 ; Deut. XII, 5 sqq. ; XIV, 23 ; XV, 20 ; XVI, 2 sqq. Il est certain que cette défense est de date récente, voir II Rois, XXIII. Il semble même qu’il ait toujours subsisté en Palestine de « petits autels ». Misch. in Megilla, I, 19, 12. (Talm. J., Schwab, p. 220, 222, 223). Cf. Talm. Babli., Zebaḫim, 116 a.
  123. Ex. XX, 24. — Deut. XII, 5, etc.
  124. Ex. XXIX, 42-46, etc.
  125. Ex. XXXIX, 38. — Cf. Porph., de Abst., I, 25 etc. Sur la perpétuité du feu de l’autel, et la façon dont la destinée d’Israël est liée à celle du Temple, voir surtout Daniel, IX, 27, VIII, 11-15, XI, 31, etc. Ceci est devenu un thème légendaire de la littérature juive.
  126. Ex. XXX, 10. — Ézéch. XLV, 14.
  127. Pourvu qu’il fût propice et déclaré « sacrificiel » (yajñiya) par les brahmanes.
  128. Sur l’établissement des feux, voir Hillebr., Rit. Litte., § 59. — Koulikovski, Les trois feux sacrés du Rig-Veda, Rev. de l’Hist. des Rel., XX, p. 151 sqq. ne traite que de la répartition des feux. — Weber, Ind. St., IX, p. 216. — Eggeling, ad Çat. Br. (S. B. E., XII, 247 sqq.).
  129. Les matières avec lesquelles et sur lesquelles il est allumé, préparé, (les saṃbharas) correspondent toutes à un mythe fort important (T. B., 1, 1, 3 et 5, cf. Ç. B., 2, 1, 4). Ce sont des choses dans lesquelles paraît résider quelque chose d’igné, de particulièrement vivant. Tellement vivantes même, que la légende voit en certaines d’entre elles les formes primitives du monde. Cette création du feu symbolise la création du monde.
  130. Le feu est toujours allumé par friction : lors de la position des feux, lors du sacrifice animal, lors du sacrifice du soma. Voy. Schwab, Thierop., § 47, p. 77 sqq. ; Weber, Ind. St., I, 197, n. 3 ; A. Kuhn, Herabkunft des Feuers und des Göttertranks, p. 76 sqq. Autour de cette création du feu-dieu, les brahmanes ont, dès le Rig-Veda, mêlé des conceptions panthéistiques. Car seul le feu du sacrifice est excellent, seul il est l’Agni complet, contient « les trois corps d’Agni », son essence terrestre de feu domestique, atmosphérique (éclair), céleste (soleil) ; il contient tout ce qu’il y a d’animé, de chaud, d’igné dans le monde (T. B., 1, 2, 1, 3, 4).
  131. C’est même l’une des épithètes les plus anciennes d’Agni. Voy. Bergaigne, Rel. Véd., II, p. 217.
  132. Voir avant dernière note.
  133. Lév. X, 2 ; Juges, VI, 11, sqq., sacrifice de Gédéon ; XIII, 19 sqq., Manoah ; I R. XVIII, 38, Élie ; I Chron. XXI, 26, etc. La préparation des feux tient une grande place dans les autres rituels. Sur la nécessité d’un feu pur, cf. Lév. X, 1. — Sur le renouvellement des feux au Mexique : Sahagun, Historia de las cosas de Nova España, II, p. 18 ; Chavero, Mexico à traves de los Siglos, I, p. 77 ; — à Lemnos : Philostrate, Heroïca, XIX, 14 ; — B. Corr. Hell., XVIII, 87 et 92 ; — en Irlande, Bertrand, Religion des Gaulois, p. 106. — Cf. Frazer, Gold. B., I, p. 76, p. 194. — Frazer, Pausanias, t. II, p. 392 : t. V, p. 521. — Sur ce rite dans les religions Indo-Européennes, V. Knauer, in Festgr. Roth, p. 64.
  134. Elle devient le « devayajana », la place du sacrifice aux dieux. Il faut voir dans les Brâhmaṇas les spéculations mystiques sur ce point. Le « devayajana », est le seul terrain ferme de la terre. Celle-ci n’est même là que pour servir de lieu de sacrifice aux dieux. Cette place est encore le point d’appui des dieux, leur citadelle, c’est de là que, prenant leur élan (devâyatana), ils sont montés au ciel. C’est encore le centre du ciel et de la terre, le nombril de la terre. — Quelques folles que paraissent de telles expressions, rappelons-nous que pour les Juifs le temple était le centre de la terre ; de même pour les Romains, Rome ; et sur les cartes du moyen âge Jérusalem était le nombril du monde. Ces idées ne sont pas si loin de nous. Le centre religieux de la vie coïncide avec le centre du monde.
  135. Le nom est même devenu celui des cloîtres bouddhiques. — Nous ne pouvons suivre ni le détail, ni l’ordre rigoureux des rites du sacrifice animal hindou. Ainsi la cérémonie de l’allumage du feu est proclamée, par une école au moins (Kât. çr. sû., VI, 3, 26), inséparable des cérémonies d’introduction de la victime.
  136. Voir des plans du terrain dans Hillebrandt, N. V. O., p. 194, et Eggeling, S. B. E., XXIII fin.
  137. Elle est exactement mesurée, et prend les formes les plus diverses selon les sacrifices (Voir Hilleb., N. V. O., p. 47 sqq., p. 176, sqq. : Schwab, Thier., p. 13 sqq. — Thibaut, Baudhayana Çulbaparibhâṣa sûtra (in Pandit, Bénarès, IX, 1875). Dans le cas de notre sacrifice animal, il y a deux vedi, une qui est à peu près la vedi ordinaire, que nous décrivons dans le texte, et l’autre qui est surélevée (voy. Schwab, p. 14, 21), sur laquelle est un feu, qui est l’un des feux du sacrifice (Âp., VII, 7, 3. V. Schwab, p. 37). Mutatis mutandis, elles se construisent ou se creusent de la même façon.
  138. T. S., 1, 1, 9, 1, sqq. Les mantras expriment que les mauvais sorts sont écartés, que les dieux protègent de tous côtés la vedi. Ceux qui accompagnent l’élévation de l’uttarâ vedi expriment plutôt la seconde idées (T. S., 1, 2, 12, 2), surtout ceux qui accompagnent la lustration de l’autel construit.
  139. Dès le Ṛg veda, les dieux portent l’épithète « barhiṣadaḥ », ceux qui s’assoient sur la jonchée du sacrifice : Voir Grasmann, Wört. z. R. V., ad verbum. Cf. R. V., II, 3, 4 ; V, 31, 12 ; VI, 1, 10, etc.
  140. Voy. Schwab, op. cit., p. 11, 47. D’ordinaire les ustensiles sacrés d’un temple ne doivent pas sortir de ce temple. Ainsi, à Jérusalem, les couleaux étaient enfermés dans une cellule spéciale, celle des ḫalifoth : Voir Talm. J., Soucca, V, 8, Gem., Schwab, VI, p. 51 ; Middoth, IV, 7, Gem. ; Yoma, III, 8. — Certains sacrifices exigent une vaisselle spéciale et neuve, ainsi le sacrifice domestique de le Pâque : de même en Grèce, voir Paton, Cos, 38, 25 ; 39, 6. — Cf. Frazer, Gold. B., t. II, p. 107.
  141. Voir Schwab, p. 46, pour l’énumération de ces instruments. Âp. çr. sû., VII, 8. — Pour la purification, voir Schwab, no 35.
  142. Âp. çr. sû., VII, 9, 6. Il est planté de telle façon qu’une moitié en soit dans la limite de la vedi, une autre moitié en dehors.
  143. On recherche un arbre d’essence déterminée (T. S., 6, 3, 3, 4, Âp. çr. sû., VII, 1, 16, 17. Voir Schwab, p. 2 sqq.). On l’adore et le propitie (Âp. çr. sû., VII, 2, 1) ; on l’oint ; on le coupe avec précautions ; on oint et on incante la souche. Toutes cérémonies qui, comme l’a vu M. Oldenberg, marquent bien un cas d’ancien culte de la végétation, (Rel. d. Ved., p. 256). M. Old compare encore (p. 90) ce poteau, d’une part aux poteaux sacrificiels en général et en particulier à l’ashera sémitique, plantée, elle aussi, sur l’autel (Voy. Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 187, n. 1). Les deux rapprochements sont en partie fondés.
  144. Âp. çr. sû., VII, 10, 1 sqq. Pour le sens du rite (T. S., 6, 3, 4, 2, 3). Le rite tout entier avec tout son symbolisme est certainement ancien. Pendant qu’on oint le yûpa, qu’on l’enfonce et le dresse, ce sont des mantras du Ṛg veda que récite le hotar (Âçv. çr. sû., 3, 1, 8-11). — Les mantras sont dans l’ordre suivant : I, 36, 13, 14 ; III, 8, 13, 2, 5, 4 (Hymne âprî) ; au cas où il y a plusieurs bêtes sacrifiées et plusieurs poteaux, III, 8, 6, 11. Le même rituel est prescrit, Ait. Br., 6, 2, 17, 23, qui commente les vers du Rig-veda. Cet hymne exprime déjà les diverses fonctions du yûpa, qui tue les démons, protège les hommes, symbolise la vie, porte l’offrande aux dieux, étaie le ciel et la terre. Cf. T. S., 6, 3, 4, 1, 3.
  145. Le sacrifiant reste lui aussi, un certain temps, tenant le yûpa. (Âp. çr. sû., VII, 11, 5. Selon certains sûtras, la femme et l’officiant y restent aussi. La tradition des Âpastambins paraît meilleure). En tous cas c’est le sacrifiant qui fait une partie des onctions, et passe sa main tout le long du poteau. Tous ces rites ont pour but d’identifier le sacrifiant au poteau et à la victime dont on lui fait prendre pendant un certain temps la place.
  146. Ait. Br., 6, 1, 1 ; cf. Çat. Br., 1, 6, 2, 1, etc.
  147. T. S., 6, 3, 4, 3, 4. — Cf. T. S., 6, 3, 4, 7 ; Ç. B., 3, 7, 1, 2-5.
  148. Il a la taille du sacrifiant quand celui-ci est soit sur un char, soit debout et les bras levés (T. S., 6, 3, 4, 1, Âp. çr. sû., VII, 2, 11, sqq.).
  149. T. S., 6, 3, 4, 4.
  150. Nous supposons que ce qui est vrai de la vedi et du yûpa l’est, en général, des autels, bétyles et pierres levées sur lesquels ou au pied desquels on sacrifie. L’autel est le signe de l’alliance des hommes et des dieux. D’un bout à l’autre du sacrifice le profane s’unit au divin.
  151. De là la prière dite au commencement de tout sacrifice, par le sacrifiant « puissé-je m’égaler à ce rite » Ç. B., 1, 1, 1, 7. De là surtout le métaphore courante dans les textes sanscrits qui compare le sacrifice à une toile que l’on tisse et que l’on tend : R. V., X, 130 ; Bergaigne et Henry, Manuel pour étudier le sanscrit védique, p. 125, n. ; S. Lévi, Doctr., p. 79 ; p. 80, n. 1.
  152. S. Lévi, ib., 23 sqq. Toute faute rituelle est une coupure dans la toile du sacrifice. Par cette coupure, les forces magiques s’échappent et font mourir, où affolent, où ruinent le sacrifiant. — Nous n’avons pas besoin du rappeler les cas fameux racontés par la Bible, d’hérésies rituelles terriblement punies ; les fils d’Héli, la lèpre du roi Osias, etc. — C’est qu’en général, il est dangereux de manier les choses sacrées : par exemple, il faut avoir soin, dans l’Inde védique, que le sacrifiant ne touche pas la vedi (Ç. B., 1, 2, 5, 4) et de ne toucher personne avec le sabre de bois magique, etc.
  153. Les expiations rituelles ont précisément pour but d’isoler les effets des fautes qui sont commises au cours du rite (voir plus haut). Cf. : Serv., ad Aen., IV, 696. Et sciendum si quid cærimoniis non fuerit observatum, piaculum admitti.Arnob., IV, 31. — Cic., d. har. resp., XI, 23. — De même, le frontal du grand-prêtre à Jérusalem expiait toutes les fautes légères commises au cours du rite : Ex. XXVIII, 38. Cf. Talm. J., Yoma, II, 1 (Schwab, V, p. 175).
  154. Ici nous avons un curieux parallèle à établir avec les théories du rituel judaïque. Un agneau consacré au sacrifice pascal ne pouvait être changé (Talm. Pesachim, IX, 6, Mischnâ) ; de même une bête désignée pour un sacrifice doit être sacrifiée, même si la personne meurt pour qui le sacrifice devait être fait (ib., Haggigha, I, 1, Gem. fin, Schwab, VI, p. 261). Pour la même raison on faisait passer devant le grand-prêtre, la veille du Kippour, toutes les bêtes qu’il devait égorger le lendemain, afin qu’il ne fît pas de confusion entre les diverses victimes.
  155. On sait que l’attitude ordinairement recommandée est le silence. Voir plus loin, p. 48. Cf. Marquardt, op. cit., VI, p. 178.
  156. Voir S. Lévi, Doctr., p. 112, sqq.
  157. Ces cas comprennent ceux où les victimes sont des êtres totémiques ou d’anciens totems. Mais il n’est pas logiquement nécessaire que des animaux sacrés aient eu toujours ce caractère (voir Marillier, Rev. de l’Hist. des Relig., 1898, I, p. 230-231 ; Frazer, Gold. B., II, p. 135-138) comme le soutient, par exemple, M. Jevons (Introd. to the Hist. of. Relig., p. 55). Cette théorie est en partie celle de Rob. Smith, Kinship, p. 308 sqq. et Rel. Sem., p. 357, sqq. — La vérité est que, d’une façon ou d’une autre, il y a une relation définie entre le dieu et sa victime et que celle-ci arrive souvent au sacrifice déjà consacrée. Ex. Stengel, op. cit., p. 107 sqq. — Marquardt, op. cit., p. 172. — Bull. Corr. Hell., 1889, p. 169. Schol. Apoll. Rhod., II, 549 (sacrifice de colombes). — Ramsay, Cities and Bishoprics of Phrygia, I, p. 138. — Paus., III, 14, 9 et Frazer, ad loc.Plut., Qu. Rom., 111. — Ath., VIII, p. 346 d (sacrifice du poisson à Hiérapolis), etc. — Dans d’autres cas, le dieu refusait certaines victimes. Ex. Paus., X, 32, 8. — Hérod., IV, 33 ; Paus., II, 10, 4. — Jahwe n’admit jamais que les quatre espèces d’animaux purs : ovines, bovines, caprines, et les colombes.
  158. C’est encore un cas très général : ainsi le cheval de l’açvamedha était soigné, adoré, pendant de longs mois (voy. Hillebr., Nationalopfer in Alt-Indien in Festgr. Böhtlingk, p. 40 sqq.) : de même la meriah des Khonds, l’ours des Aïnos, etc., tous cas bien connus.
  159. Ceci est une prescription védique, aussi bien que biblique, peut-être générale. Voir, en ce qui concerne le sacrifice animal hindou, Schwab, op. cit., p. xviii ; Zimmer, Altindisches Leben, p. 131 ; Katy. çr. sû., 6, 3, 22 et paddh. à Âp. çr. sû., VII, 12, 1 et comm., T. S., 5, 1, 1. En ce qui concerne les victimes du temple, voir Ex. XII, 5 ; Lév. XXII, 19 sqq. ; Deut. X, 21 ; XVII, 1 ; Malachie, I, 6-14, etc. — Cf. Stengel, op. cit., p. 107.
  160. Ainsi le cheval de l’açvamedha devait être rouge (il portait le nom de Rohita, rouge, et était un symbole du soleil ; voir Henry, Les Hymnes Rohita de l’Atharva-Veda, Paris, 1889). Sur les victimes rouges, voir Fest., p. 45 ; Diod., I, 88 ; Cf. Frazer, Gold. Bough, II, 59. — Sur les vaches noires, pour produire la pluie, voir plus bas, p. 91. — En Grèce (Stengel, op. cit., p. 134, n. 1), les victimes destinées aux dieux célestes étaient généralement claires ; celles qu’on offrait aux dieux chthoniens étaient toujours noires.
  161. Voir plus bas, p. 90.
  162. Paton, Cos, 37, 22. — Stengel, op. cit., p. 89 sqq. — Mannhardt, W. u. F. Kulte, II, p. 108.
  163. Il., Κ, 294 ; Od., Λ, 304. — Cf. Rawlinson, W. A. I, IV, p. 22, 37 sqq. — Cf. plus bas, p. 80.
  164. Paus., X, 32, 9.
  165. Cf. Frazer, Gold. B., II, p. 145, 198, etc.
  166. Chavero, Mexico à través de los Siglos, p. 644.
  167. Porph., D. Abst., II, p. 154.
  168. Âp. çr. sû., VII, 12, 1.
  169. Âp. çr. sû., VII, 12, 10. Les mantras de ces libations sont T. S., 1, 4, 2. Chose curieuse, ces mantras se retrouvent dans A. V., 11, 34 : cf. Weber, Ind. Stud., III, p. 207 ; ils sont employés (Kauç. sû., 57, 20) lors de l’initiation du jeune brahmane. C’est que, en fait, il s’agit bien d’une sorte d’introduction dans le monde religieux. — Des libations lors de la présentation de la victime se retrouvent assez souvent : Paton, Cos, 40, 9. — En Assyrie, Rawlinson, W. A. I., IV, 32, Inscript. de Sippara.
  170. T. S., 1, 3, 7, 1 ; 6, 3, 6, 1, 2 ; Âp. çr. sû., VII, 12, 6. — Cf. V. S., 6, 5 = Maitr. S., 5, 3, 9, 6 ; Çat. Br., 3, 7, 3, 9 sqq. ; Kât. çr. sû., 6, 3, 19.
  171. Âp., ib., le dieu est dans le cas présent Prajâpati-Rudra : T. S., 3, 1, 4, 1, commenté par T. S., 3, 1, 4, 5. Cette invocation n’est pas pratiquée par d’autres écoles.
  172. Marq., Röm. Alterth., VI, p. 175. — Cf. Frazer, Gold. B., II, p. 110, sqq. — La chose était encore plus naturelle lorsqu’il s’agissait d’une victime humaine (voir Serv., ad Aen., I, 67. Cf. Eur., Hérak., 550 sqq. ; Phoen., 890 ; Ath., XIII, p. 602. Chavero, Mexico, etc., p. 610. Cf. Macpherson, Memorials of service in India, 1865, p. 146) et encore plus lorsqu’il s’agit d’une victime dieu.
  173. Âp., VII, 13, 8. Le mantra est T. S., 1, 3, 8, 1 commenté, 6, 3, 6, 3, dhṛṣa manuṣa « affermis-toi, ô homme ! » — Une autre tradition V. S., VI, 8, Ç. Br., 3, 7, 4, 1, veut qu’on adresse à la bête la formule dhṛṣa manuṣân, « affermis les hommes ». Nous croyons, contrairement à l’opinion de M. Schwab (op. cit., p. 81, n. 2), que le texte des Taitt. est plus fondé, dans la nature du rite. Les Vâjasaneins représentent, là comme ailleurs, une tradition plus épurée et rationalisée. Le rapprochement avec R. V., I, 63, 3, ne prévaut pas.
  174. Âp., VII, 13, 9 et comm. On lui dit : « tu es un buveur d’eau » : V. S., VI, 10 a. T. S., 1, 3, 8, 1. M. Ludwig ad R. V., X, 36, 8, t. IV, p. 233 pense (cf. Sây. ad Taitt. S.) que le sens est : « Tu as soif d’eau ». Mais le sens que nous adoptons est celui qu’indiquent le Ç. Br., 3, 7, 4. 6, Cf. T. S., 6, 3, 6, 4 fin, ainsi que les comm. à V. S., loc. cit. et à Kât., 6, 3, 32. En faisant boire la bête, on la rend intérieurement pure. De même le sacrifiant se rince la bouche avant le sacrifice.
  175. Âp., VII, 13 sqq.
  176. H. v. Fritze, Οὐλαί, Hermès, 1897, p. 255 sqq. M. Stengel pense que les οὐλαί sont le pain du repas divin. À Mégare, dans le sacrifice à Tereus, les οὐλαί étaient remplacées par des cailloux : Paus., I, 41, 9. Cf. Lefébure, Origines du Fétichisme, Mélusine, 1897, p. 151, et Folklore, 1898, p. 15. En Sicile, les compagnons d’Ulysse en sacrifiant trois bœufs du soleil se servirent de feuilles en guise d’οὐλαί. Cf. Paus., I, 9, 4. Le jet d’οὐλαί peut être un moyen de communication entre le sacrifiant et la victime, ou bien encore une lustration fécondante comparable aux jets de grains sur la mariée.
  177. C’est la cérémonie du parayagnikriya, de la circumambulation avec le feu. Âp. çr. sû., VII, 15, 1. Le rite est certainement de la plus haute antiquité, car le prêtre (le maitrâvaruṇa, cf. Weber, Ind. St., IX, p. 188) répète Âçv. çr. sû., III, 2, 9 sqq.) l’hymne R. V., IV, 5, 1-3 (voy. Trad. Old. et notes in S. B. E., XLVI ad loc.). — Le sens du rite est triple. C’est d’abord un tour du feu, d’Agni, dieu prêtre des dieux, dépositaire des trésors, qui sacre la victime, la conduit vers les dieux en lui montrant le chemin (tel est le sens des trois vers du R. V. employés en cette occasion et composés spécialement pour elle, cf. Ait. Br., 6, 5, 1 et 6, 11, 3. La victime est ainsi divinisée (cf. T. S., 6, 3, 8, 2 ; Ç. B., 3, 8, 1, 6). C’est ensuite un simple cercle magique. On écarte les démons, qui rôdent, comme le dieu, autour de la victime. C’est enfin un tour rituel bon, fait de gauche à droite, dans le sens des dieux (Baudh. çr. sû., II, 2, cité par Caland), qui a une vertu magique par lui-même. Sur la question des circumambulations autour des victimes, voir Simpson, The Buddhist praying-wheel et le compte rendu que nous en avons fait, Ann. Soc., 1897, et surtout l’exhaustive monographie de M. Caland, Een Indogermaansch Lustratie-Gebruik, Versl. en Mededeel. d. Konink. Ak. v. Wetensch. Afd. Letterkunde, 4e Reeks, Deel II, 1898, p. 275 sqq. — Le rite est, en premier lieu, fondamental dans le rituel hindou, domestique (cf. Pâr. gṛh. sû., 1, 1, 2) et solennel (Hilleb., N. V. O., p. 42. Cf. Ç. B., 1, 2, 2 et 3 ; voir Caland, op. cit., n. 2 et 3, p. 300) ; en second lieu, à peu près en général dans les populations indo-européennes (voir Caland) ; enfin, fort répandu un peu partout.
  178. II Rois III, 27 ; Ézéch. XVI, 36 ; Cf. Genèse, XXII ; Deut. XII, 31 ; Ps. CVI, 37 ; Jes. LVII, 5. — Luc., Dea Syr., 58. — Légende d’Athamas. Preller, Gr. Myth., II, p. #12. — Cf. Basset, Nouv. Contes berbères, 1897, no 91. — Hoefler, Corr. Bl. d. d. Ges. f. Anthr., 1896, 3. — Sacrifice d’un membre de la famille. Porphyre, De Abst., II, p. 27 — Cf. Légende de Çunaḥçepa (S. Lévi, Doctr., p. 135). Les exemples de cette nouvelle représentation sont particulièrement nombreux dans le sacrifice de construction. Voir Sartori, Bauopfer, Zeitschr. f. Ethn., 1898, p. 17.
  179. Voir plus haut, p. 11. Ex. : I Chron. XXI, 28, sqq., histoire de David dans l’aire d’Ornan.
  180. Lév. I, 4 : III, 23 ; IV, 2 ; XVI, 4. — Ex. XXIX, 15, 19 — Cf. Nomb. VIII, 10 ; XXVII, 18, 23. — Cf. Deut. XXIV, 9 — Ps. LXXXIX, 26. — Tylor, Prim. Cult., II, p. 3. — Cf. Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 423.
  181. Âp., VII, 15, 10, 11. Le mantra psalmodié, T. S., 3, 1, 4, 3. exprime que « le souffle », la vie du sacrifiant est, comme son désir, liée à la destinée de la bête, 3, 1, 5, 1. L’école du Yajur Veda Blanc ne prescrit pas de mantra (Kât., VI, 5, S) et, de plus, ne fait pas célébrer d’offrandes expiatoires à ce moment, différence notable. Mais le rite de communication, ainsi que sa théorie restent les mêmes. Çat. Br., 3, 8, 1, 10. T. S., 6, 3, 8, 1. « Les brahmanes discutent. « Il faut toucher l’animal, disent les uns ; mais il est conduit à la mort, cet animal  ; s’il le touchait par derrière le yajamâna mourrait subitement. » D’autres disent : « Il est conduit au ciel, cet animal, s’il (le sacrifiant) ne le touchait pas par derrière, il serait séparé du ciel. » C’est pourquoi il faut le toucher avec les deux broches de la vapâ, celles avec lesquelles on enlève la graisse de l’épiploon. Ainsi, il est comme touché et non touché » (cf. 6, 3, 5, 1). Le Ç. B. explique que la communication est mystérieuse, à la fois inoffensive et utile pour le sacrifiant dont le vœu et l’âme vont au ciel avec la victime.
  182. Nous n’étudions pas la question de la « présentation » de la victime au dieu et de l’invocation qui l’accompagne le plus souvent. Nous serions entraînés à de trop longs développements, car il s’agit là des rapports du sacrifice et de la prière. Disons seulement qu’il y a : 1o  des rites manuels : lier la bête au poteau (voir plus haut, p. 37), aux cornes de l’autel (Ps. CXVIII, 27 ; cf. Rob. Smith, p. 322 ; Lév. I, 11) ; 2o  des rites oraux : invitation des dieux, description des qualités de la victime, définition des résultats qu’on attend. On appelle la consécration d’en haut par tous ces moyens réunis.
  183. Nous faisons allusion aux libations dites apavyâni du sacrifice animal hindou (voir Schwab, Th., p. 98, n. 1. Cf. comm. à T. B., 3, 8, 17, 5 : rattache le mot à la racine , purifier). Elles ne se retrouvent que dans les écoles du Yajur veda Noir. Elles se font pendant la consécration de la bête à l’aide du tour du feu, et au moment où on la conduit à la place du meurtre (Âp., VII, 15, 4, les mantras sont : T. S., 3, 1, 4, 1, 2 — expliqués T. S., 3, 1, 5, 1. Ils se retrouvent M. S., 1, 2, 1). Les formules expriment que les dieux s’emparent de la bête et que celle-ci va au ciel ; que cette bête représente les autres, parmi les bestiaux dont Rudra-Prajâpati est le maître, lequel recouvrant sa progéniture, la liant, va « cesser de lier » (faire mourir) les vivants, bêtes et hommes, etc.
  184. Stengel, op. cit., p. 101. — Hérod., II. 39, 40. — À Rome, Marq., op. cit., VI, p. 192. — Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 430, 431. — Frazer, Gold. B., I, p. 364 ; II, p. 102 sqq. — Peut-être faut-il rapprocher de ces pratiques le deuil de Flaminica, lors de la fête des Argei. Pl., Qu. Rom., 86.
  185. Ce rite, fort général, comme l’a montré M. Frazer, est remarquablement exprimé dans le rituel hindou. Au moment d’étouffer, parmi les formules que le prêtre ordonnateur, le maitrâvaruṇa, récite, celles de l’adhṛgunigada (Âçv. çr. sû., II, 3, 1 commenté Ait. Br., 6, 6, 1), qui comptent parmi les plus antiques du rituel védique, se trouve la suivante : « Ils nous l’ont abandonné cet être, sa mère et son père, sa sœur et son frère de même souche, et son compagnon de même race » Âp. çr. sû., VII, 25, 7, avec T. S., 3, 6, 11, 2. Voir Schwab, p. 141, n. et Çat. Br., 3, 8, 3, 11 ; Âp., VII, 16, 7. — Cf. T. S., 6, 3, 8, 3 et Ç. B., 3, 8, 1, 15.)
  186. Le çamitar, l’ « apaiseur », nom euphémistique du sacrificateur, peut être ou n’être pas un brahmane (Âp., VII, 17, 14). En tous cas, c’est un brahmane de rang inférieur, car il porte le péché d’avoir tué un être sacré, quelquefois inviolable. Il y a dans le rituel une sorte d’imprécation contre lui : « Que dans toute votre race, jamais un tel apaiseur ne fasse de telles choses », c’est-à-dire, puissiez-vous n’avoir pas de sacrificateur parmi vos parents. (Nous suivons le texte d’Âçv. çr. sû., III, 3, 1, que suit M. Schwab, op. cit., p. 105, et non pas le texte d’Ait. Br., 6, 7, 11.
  187. Ælien, Nat. an., XII, 34 (Tenedos). — Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 305.
  188. Porph., De Abst., II, 29-30 ; Paus., I, 24, 4 ; 28, 20. — Mythe de l’institution des Karneia : Paus., III, 13, 4 : Usener, Rhein. Mus., 1898, p. 359 sqq. — Stengel, op. cit., p. 140. — Cf. Platon, Leg., IX, p. 865.
  189. Voir Frazer, Paus., t. III, p. 54 sqq.
  190. On dit : « Tournez ses pieds au Nord, faites aller au soleil son œil, répandez au vent son souffle, à l’atmosphère sa vie, aux régions son ouïe, à la terre son corps. » Ces indications, Âçv. çr. sû., III, 3, 1, cf. Ait. Br., 6, 6, 13, sont importantes. La tête est tournée vers l’Ouest, parce que tel le chemin général des choses : celui par où va le soleil, celui que suivent les morts, par où les dieux sont montés au ciel, etc. — L’orientation des victimes est un fait fort notable. Malheureusement les renseignements sémitiques, classiques, ethnographiques sont relativement pauvres sur la question. En Judée, les victimes étaient attachées aux cornes de l’autel, de différents côtés suivant la nature du sacrifice, et probablement avaient la tête tournée vers l’Est. — En Grèce, les victimes aux dieux chthoniens étaient sacrifiées la tête contre terre ; celles aux dieux célestes, la tête vers le ciel (voir Il., Α, 459 et schol.). Cf. les bas-reliefs représentant le sacrifice mithriaque du taureau, dans Cumont, Textes et monuments relatifs au culte de Mithra.
  191. Âp. çr. sû., VII, 17, 1. Âçv. çr. sû., III, 3, 6. De même, dans la messe catholique les fidèles s’inclinent à l’élévation.
  192. On dit à la bête qu’elle va au ciel, pour les siens, qu’elle ne meurt pas, qu’elle n’est pas blessée, qu’elle va dans le chemin des bons, le chemin de Savitar (le soleil), le chemin des dieux, etc. Âp., VII, 16, 7 ; T. B., 3, 7, 7, 14.
  193. Kâty. çr. sû., VI, 15, 19. Il importe que le corps soit intact au moment de la mort.
  194. Tel est l’ordre répété trois fois, Âçv. çr. sû., III, 3, 1, 4.
  195. Ex. Maspero, Rev. Arch., 1871, p. 335, 336, 336.
  196. Ce qui avait lieu dans tous les cas du rituel hébraïque (Lév. I, 5, etc.), sauf dans le sacrifice des pigeons, dont la gorge était entamée avec l’ongle (Lév. I, 14, 15). — En Grèce, voir Od., Γγ, 449. — Apoll. Rhod., Arg., I, 429 sqq.Soph., Aj., 296 sqq.
  197. Lapidation du Pharmakos dans les Thargélies, Eurip., Androm., 1128 ; Istros, F. H. G., I, p. 422. — Cf. la fête des λιθοβόλια à Trézène, Paus., II, 32. — Cf. Mannh., W. F. K., I, 449, 548, 552. — La lapidation semble avoir eu pour but de « diviser la responsabilité » entre les assistants : Jevons, Introd. Hist. Rel., p. 298. Victime frappée de loin, voir Suidas, βουτύπος. Cf. Porph., de Abst., II, 54 sqq.
  198. Dion. Hal., VII, 72, p. 1459. — Apoll. Rhod., Arg., I, 426. — Od., Ξ, 425.
  199. Rob. Smith, op. cit., p. 370.
  200. Dans l’Inde védique, une série d’expiations étaient prescrites au cas où, depuis son entrée dans le champ du sacrifice, l’animal faisait des signes sinistres (T. B., 3, 7, 8, 1, 2 : v. commentaire ; voir Schwab, Thier., p. 76, no 46), au cas où, préparé pour l’asphyxie, l’animal pousse un cri, ou touche son ventre avec son pied, Âp. çr. sû., VII, 17, 2, 3 ; cf. T. S., 3, 1, 5, 2. Voir, pour d’autres faits, Weber, Omina et Portenta, p. 377 sqq.
  201. On connaît le principe biblique qui exigeait que tout sang fût consacré à Dieu, même celui des bêtes tuées à la chasse : Lév. XVII, 10 ; XIX, 25 ; Deut. XII, 16, 23, 25 ; XV, 23. — Cf. en Grèce, Od., Γ, 455 ; Ξ, 427. — Stengel, op. cit., p. 401. — Höfler, Corr. Blatt. d. D. Gesell. f. Anthrop., 1896, p. 5. Même précaution à l’égard du lait, Höfler, ib..
  202. En Judée, le sang recueilli dans des vases était remis au prêtre officiant (Lév. I, 5 ; IX, 12) et celui-ci en faisait l’usage rituel. — En Grèce, dans quelques sacrifices, le sang était recueilli dans une coupe, σφάγιον ou σφαγεῖον : Poll., X, 65. — Xén., Anab., II, II, 9.
  203. Rob. Smith, R. Sem., p. 417. — Sacrifice scythe, Hérod., IV, 60. Chez certaines tribus de l’Altaï on brise l’épine dorsale de la victime. Kondakoff-Reinach, Antiquités de la Russie Méridionale, p. 181.
  204. Paus., VIII, 37, 5. — Rob. Smith, Rel. Sem., p. 368.
  205. Mannh., W. F. K., I, p. 28 sqq.
  206. Pl., De Iside et Osiride, 15, 17 ; Mannh., W. F. K., II, 52 ; Rohde, Psyche, p. 393 ; Dieterich, Nekyia, p. 497 sqq., etc.
  207. Wiedemann, Æg. Zeitsch., 1878, p. 89. Cf. Morgan-Wiedemann, Rech orig. Ég., p. 245. — Cf. Frazer, Gold. Bough, II, p. 90.
  208. Hérod., III, 91. Voir les faits connus, dans Frazer, Gold. Bough, II, p. 112 sqq.
  209. Lév. IV, 5, 7 ; 16-19 ; XVII, 41. On s’appuie souvent sur ce dernier passage pour dire que la vertu expiatoire du sacrifice appartient au sang. Mais ce texte signifie simplement que le sang mis sur l’autel représente la vie de la victime consacrée.
  210. Ex. XXX, 19 ; Lév. XVI, 16. Voir surtout Talm. J., Yoma, Misch., V, 4, 6.
  211. Lév. IV, 25, 30 ; VIII, 14 ; IX, 9 ; XVI, 16 : Ézéch. XLIII, 20.
  212. Lév. I, 5 ; IX, 42. — Lév. III, 2.
  213. L’usage de peindre en rouge certaines idoles provient sans doute de ces onctions primitives. Voir Frazer, Paus., t. III, p. 20 sqq. ; Hérod., IV, 62 ; Sprenger, Das Leben und die Lehre des Mohammad, t. III, p. 457 ; Miss Kingsley, Travels in West Africa, p. 454, Marillier, Rev. Hist. des Relig., 1898, I, p. 222, etc.
  214. Stengel, op. cit., p. 124. — Michel, Recueil d’inscriptions grecques, 714, 37 (Mykonos). Cf. Rev. Mart. J. Hall, Through my spectacles in Uganda, Lond., 1898, p. 96, 97 (Bagandas).
  215. Athénée, VI, 261, D.
  216. Rob. Smith, Rel. Sem., 435 sqq. — Cf. Müller-Wieseler, Denkmäler, I, pl. LIX, images de Héra Αἰγοφάγος.
  217. Ex. à Thèbes, Hérod., II, 42.
  218. Varro, De R. R., I, 29, 3.
  219. Lév. I, 6, 8, 9 ; IX, 18. — Ex. XXIX, 17. — Les os ne devaient pas être brisés : Ex. XII, 46 ; Nomb. IX, 12.
  220. Lév. VII, 14 ; IX, 24 ; X, 14, 15 ; XIV, 12, 21.
  221. Voir plus haut, p. 51. On connaît les interdictions bibliques de manger le sang qui est la vie, et qui appartient à Dieu : I Sam. XIV, 32, 33 ; Deut. XII, 23 ; Lév. XVII, 11 ; Gen. IX, 2-5. Cf. Virg., Géorg., II, 484. Servius, ad Æn., III, 67 ; V, 78. Cf. Ellis, Ewe Speaking peoples, p. 112. Cf. Marillier, La place du totémisme, etc., Rev. d’Hist. des relig., 1898, I, p. 351.
  222. Lév. III, 3, 4, 16 sqq. ; VII, 23 ; IX, 19, 28 ; pour les shelamim, Lév. IV, 8 sqq., 19, 34 ; IX, 10. — En Grèce : Stengel, op. cit., p. 101 ; Paton, Cos, 38 ; Hésych., ἔνδρατα ; Hérod., IV, 62.
  223. Lév. I, 9, 13, 17 ; II, 2, 9, etc. ; Ps. LXVI, 15. Cf. És. I, 13. — Cf. Clermont-Ganneau, Inscript. de Kanatha, C. R. de l’Ac. des Inscr., 1898, p. 599. — Il., Α, 301 ; Θ, 549 sqq.
  224. Lév. XXI, 8, 17, 21. Ézéch. XLIV, 7. Hérod., IV, 61. À propos des Hirpi Sorani, et de la façon dont les loups enlevaient la viande des sacrifices, voir Mannhardt, W. F. K., II, p. 332.
  225. Od., Γ, 51 sqq. ; Η, 201 sqq.
  226. Dans le rituel hébraïque la victime était bouillie ou bien brûlée. — Pour les victimes bouillies, voir I Sam. I, 13 ; Hérod., IV, 61.
  227. Voir plus haut, p. 35.
  228. Ex. XXIX, 32 sqq. ; Lév. VII, 8, 14 ; I Sam. II, 13 sqq. ; Ézéch. XLIV, 29 sqq.C. I. S., 165 passim, 167.
  229. Lév. X, 16 sqq. Cf. IV, 44 ; VI, 18, sqq.
  230. Le différend fut tranché par une distinction : la victime devait être brûlée « hors du camp », lorsque le sang avait été apporté dans le sanctuaire, c’est-à-dire lors du sacrifice du Grand Pardon. Dans les autres cas, la chair appartenait aux prêtres. Lév. VI, 23 : X, 18. Cf. IV, 21 ; VIII, 17 ; IV, 11.
  231. Cf. Act. fr. Arv. a. 218 (C. I. L., VI, 2104) : et porcilias piaculares epulati sunt et sanguinem postea.Serv., ad Aen., III, 231.
  232. Ex. XXIX, 27, sqq.Lév. VII, 18, 39 sqq. ; X, 14. — Nombres, V, 9 ; VI, 20 ; XVIII, 8 sqq.Deut. XVIII, 3.
  233. Lév. VI, 19, 22 : Les hommes seuls peuvent manger du ḫaṭṭât et il faut qu’ils soient purs. Pour les shelamim (X, 14), auxquels les femmes des cohanim sont admises, il faut les manger en un lieu pur. Les viandes sont toujours cuites dans une chambre sacrée : Ézéch. XLVI, 20.
  234. Paton, Cos, 37, 21, 51 ; 38, 2, 5 ; 39, 10 sqq. — Michel, op. cit., 714 (Mykonos), 726 (Milet). — B. C. H., 1889, p. 300 (Sinope). — Pausanias, V, 13-2. — Stengel, Zunge der Opferthiere, Jahrb. f. Phil., 1879, p. 687 sqq.
  235. Rohde, Psyche, II, p. 15.
  236. Hérod., IV, 161, 57.
  237. Paton, Cos, 38, 17.
  238. Plut., Qu. Symposiacæ, VI, 8, 1 (Smyrne). — Virg., Æn., VI, 252. Serv., ad loc. — Cf. Tautain, in Anthropologie, 1897, p. 670. — Les LXX ont traduit ‘olâ par holocauste.
  239. Lév. I, 9 ; IX, 20 ; I, 17. — Ézéch. XL, 38.
  240. Deut. XXXIII, 10 ; ‘olâ kalil, I Sam. VII, 9. — Ps. LI, 21, le kalil est distingué de l’‘olâ.
  241. Luc., de Dea Syria, 58. — Hérodien, V, 5 sqq. ; Lamprid. Helag., 8. — Movers, Phönizier, I, 363. — Plut., d. Is. et Os., 30. — Aux Thargélies : Ammonios, p. 142 (Valck.) ; cf. Mannhardt, Myth. Forsch., p. 136, n. 1. — Aux Thesmophories : Rhein. Mus., XXV, 549 (Schol. à Luc., Dial. mer., II, 1). — À Marseille : Serv., ad Æneid., III, 57. — Le bouc d’Azazel, au jour du grand Pardon, était de même précipité du haut d’un rocher : Talm. J., Mischnâ de Yoma, VI, 3, 7.
  242. Il y a quelque analogie entre ces précipitations et certaines des noyades de victimes pratiquées dans les fêtes agraires. Voir Stengel, op. cit., p. 120 sqq. — Mannhardt, W. F. K., II, p. 278, 287. Cf. Rohde, Psyche, I, 192.
  243. Lév. XVII, 26.
  244. Strabon, X, 2, 9.
  245. Lév. XIV, 53.
  246. Plut., Quæst. Symp., VI, 8, 1. Voir pour un certain nombre de faits du même genre, dont le nombre pourrait être aisément augmenté. Frazer, Gold. B., II, p. 157 sqq.
  247. Lév. IX, 22. — Le Çat. Br. exprime merveilleusement le même principe : « le sacrifice appartient aux dieux, la bénédiction au sacrifiant » : Çat. B., 2, 3, 4, 5.
  248. Lév. XIV, 7. — Wellhausen, Reste des Arabischen Heidenthums, p. 174 (initiation). — En Grèce : Xénophon, Anab., II, 2, 9 (serment). Frazer, Pausanias, t. III, p. 271, p. 593 (purification).
  249. Luc., Dea Syria, 55. Paus., I, 34, 3 (on se couche sur la peau de la victime). Cf. Frazer, Pausanias, t. II, p. 476. — Δίος κῴδιον : Stengel, op. cit., p. 146. Cf. Lenormant, Gaz. Archéol., 1884, p. 352 ; R. Smith, Rel. Sem., p. 937, 438.
  250. Rob. Smith, op. cit., 383-4.
  251. Cendres de la vache rousse qui servent aux eaux de lustration : Nomb. XIX, 9. — Ovide, Fastes, IV, 639, 725, 733.
  252. Voir plus haut ; Jér. XXXIV, 18 sqq. : cf. Rois, XVIII, 336. Le rite semble avoir fait partie d’un sacrifice sacramentaire, symbolique d’un contrat. Cf. Gen. XIII, 9 sqq.Plut., Qu. Rom., 111.
  253. On sait que le nom technique des chairs du zebaḫ shelamim, etc. qu’on pouvait consommer dans Jérusalem était celui de Qedashim = saintetés (Cf. LXX, κρέα ἅγια) ; Jér. XI, 15. Cf. Rob. Smith, Rel. Sem., p. 238.
  254. Dans le zebaḫ shelamim, en dehors des parties réservées, les sacrifiant a droit au tout.
  255. Voir Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 237 sqq.
  256. Lév. VII, 15-18 ; XIX, 5-8 ; Ex. XXIX, 34. Cf. Mannhardt, W. F. K., II, p. 250. — Frazer, Gold. B., II, p. 70.
  257. Lév. VII, 15 ; XXII, 29, 30. Voir Dillmann-Knobel, t. XII, p. 448.
  258. Ex. XII, 10 ; XXIII, 18 ; XXIV, 25 ; Deut. XVI, 4.
  259. Paus., X, 38, 6 ; Voir Frazer, t. III, p. 240. — Rob. Smith, op. cit., p. 282, 369. — Cf. Athénée, VII, p. 276.
  260. Paus., ib. ; II, 27, 1 ; VIII, 38, 6. Hésych., s. v. Ἑστίᾳ θύομεν. — Paton, Cos, 38, 24.
  261. Paus., X, 32, 9 (Culte d’Isis à Tithorea) : les restes de la victime restent exposés dans le sanctuaire d’une fête à l’autre ; et, avant chaque fête, on les enlève et les enfouit.
  262. Lév. VI, 4 ; XIV, 4 ; Cf. IV, 11 ; on recouvrait de terre le sang des oiseaux tués dans le temple. — À Olympie il y avait un monceau de cendres devant l’autel : Paus., X, 13, 8. Voir Frazer, Paus., t. III, 556 ; Stengel, p. 15.
  263. La femme du sacrifiant assiste à tous les sacrifices solennels hindous, à une place spéciale, liée légèrement, et est l’objet de certains rites, qui lui communiquent en quelque sorte les effluves du sacrifice et assurent sa fécondité. Kâty. çr. sû., VI, 6, 1 sqq. Âp. çr. sû., III, 18, 1-12 com.
  264. Elle fait boire tous les « souffles » sarvân prâṇân, c’est-à-dire, les yeux, la bouche, les deux narines, les deux oreilles, l’organe sexuel (à ajouter in T. S.), l’anus (Âp., VII, 18, 6) pendant que l’officiant asperge à grande eau tous les membres (T. S., 1, 3, 9, 1. Cf. 6, 3, 9, 1 ; V. S., VI, 14 ; Ç. B., 3, 8, 2, 4-7 : on doit reconstituer nâsike, etc. in T. S.). La cérémonie a plusieurs sens. Les Taittirîyas ont exagéré le côté propitiatoire : la mort est « une douleur », une flamme qui brûle avec les souffles, qu’il faut apaiser. Pour cela on fait boire aux souffles de l’eau, et la douleur et la flamme partent avec l’eau dans la terre (Cf. Ç. B., 3, 8, 2, 8, 16). Aussi les Taitt. ont-ils pour chacun des mantras adressés à chaque office : « Buvez » et non pas « purifiez-vous » (Vâjasanyins) expression qui correspond au nom même du rite. Les Vâjasanyins insistent sur le côté purificatoire du rite ; ils disent « Purifiez-vous » : « la victime est une vie, elle est même l’amṛta (nourriture immortelle, l’immortalité) des dieux. Or on tue la bête quand on l’étouffe et l’apaise. Mais les eaux sont les souffles de vie (contiennent les principes vitaux) ; ainsi, ce faisant (cette lustration), on replace les souffles. La victime redevient vie et nourriture immortelle des immortels ». (Ç. B., loc. cit.).
  265. Âp., VII, 18, 14, mantras : T. S., 1, 3, 9, 2 ; la même école ib., 6, 3, 9, 2, propose un rite plus précis (Cf. Kâty., VI, 6, 11). Mais les textes de l’école du Ṛg Veda (l’adhṛgunigada, Âçv. çr. sû., III, 3, 1 ; Ait. Br., 6, 7, 1, 10) parlent simplement de répandre le sang pour les démons, afin qu’ils s’éloignent. La discussion instituée à ce sujet est intéressante : il est explique que les démons, comme les dieux, assistent aux sacrifices ; qu’il leur faut à eux aussi leurs parts ; parce que sans cela, comme ils y ont droit, si on ne la leur donnait pas pour les écarter (nir-ava-dâ : cf. Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 218 et T. S., 6, 3, 9, 2), ils « s’appesantiraient » sur le sacrifiant et sa famille. — Différentes autres parties de la victime sont aussi attribuées aux démons, ce sont les gouttes de sang qui s’échapperont lors de la cuisson du cœur (Kâty., VI, 7, 13) et, de plus, l’estomac, les excréments, les brins de gazon sur lesquels on répand le sang recueilli (Âp. çr. sû. ne donne pas ces détails : voy. Schwab, p. 137) ; on les enfouit tous dans la « fosse aux excréments », en dehors du lieu sacrificiel (Âp. çr. sû., VII, 16, 1 ; cf. Açv., III, 33, 1). L’Ait. Br., 6, 6, 16 donne une autre interprétation à cet enfouissement. — Les textes glissent assez volontiers sur ces parts faites au démon. Il a paru irréligieux (cf. Ait., 6, 7, 2), de convier les ennemis des dieux au sacrifice. — Mais les rites sont nets : en général les débris inutilisables des sacrifices (par exemple les sons des grains concassés pour fabriquer un gâteau) sont ainsi rejetés, expulsés. — On peut comparer à ces faits la pratique grecque du sacrifice à Ἡρα γαμηλία, où l’on rejetait le fiel de la victime (Plut., Conj. præc., 27), et la prescription biblique d’enfouir le sang des oiseaux de purification. — Faisons observer que le rituel des sacrifices de l’Inde prouve que, contrairement aux idées admises, un sacrifice sanglant n’a pas nécessairement pour principe l’usage à faire du sang.
  266. La partie supérieure du péritoine, musculeuse et graisseuse, « la plus juteuse, pour toi, du milieu, parmi les graisses, a été enlevée, nous te la donnons », R. V., III, 21, 5. Elle est la partie centrale de la bête, le principe de sa vie individuelle, son âtman (T. S., 6, 3, 9, 5), comme le « sang est la vie » chez les Sémites. Elle est le principe sacrificiel de la victime (le medhas) T. S., 3, 1, 5, 2 ; Ç. B., 3, 8, 2, 28 ; voir Ait. Br., 7, 3, 6, un mythe rituel curieux.
  267. Âp. çr. sû., VII, 19 sqq. En tête marche un prêtre, ayant un brandon allumé à la main, puis le prêtre qui porte la portion à l’aide de deux broches (car il ne doit pas la toucher directement), puis le sacrifiant qui tient le prêtre comme plus haut (Âp., VII, 19, 6, 7, comm.). Les raisons du rite sont les mêmes que les motifs indiqués plus haut (p. 45 et n. 1. T. S., 6, 3, 9, 3 et 4).
  268. R. V., III, 21, 5. Oldenberg ad loc. Hymns, contra Sâyaṇa ad R. V., et T. B. passages cités à la note suivante.
  269. Tout le rite est fort ancien car un des prêtres récite l’hymne : R. V., II, 75, 1, puis III, 21 tout entier = T. B., III, 6, 7, 1 sqq.M. S., 3, 10, 1. — Cf. T. S., 6, 4, 3, 5. Cf. Ait., 7, 2, 5 sqq.; voir Ludwig, Rig-Veda, IV, p. 303. — Bergaigne, Hist. de la Liturgie védique, p. 18, considère cet hymne comme récent parce qu’il est formé de vers de mètres variés, c’est-à-dire d’une série de formules entièrement séparées. (Voir Oldenberg, Vedic Hymns, S. B. E., XLVI, p. 283.) Ce fait est incontestable ; les formules sont de diverses sources et ont été colligées tardivement. Mais les formules sont bien antérieures à l’hymne. De telle sorte que, si l’hymne n’a pas d’unité de rédaction, il présente une unité d’objet et la façon naturelle dont il a été composé démontre qu’il se rattache à un des rites les plus anciens. — L’hymne décrit fort exactement tous les détails de l’opération (Cf. T. S., 6, 3, 9, 5 et Ç. B., 3, 2, 2, 11). À ce rite sacrificiel des plus importants les brahmanes ont trouvé une signification naturaliste.
  270. Âp., VII, 22, 2.
  271. Tous se lavent. Âp., VII, 22, 6. = Kâty., 6, 6, 29. = Açv., 3, 5, 1 et 2. Les mantras sont T. S., 4, 1, 5, 1. = R. V., X, 9, 1 à 3. La V. S., VI, 16 donne le même texte que A. V., VI, 89. Ce dernier mantra exprime la délivrance de la maladie du péché, de la mort, de la malédiction, divine et humaine. — C’est d’ailleurs le sacrifice de la vapâ, qui marque, dans le cas où le sacrifice a pour but de racheter un homme, le moment précis du rachat.
  272. Voir Schwab, Thieropf., n. 98, p. 126 sqq.
  273. Voir Schwab, Thieropf., p. 141, no 1 : cf. Ludwig, Rig-veda, IV, p. 361. — Voir Âp., VII, 23, 7 sqq. ; Ç. B., 3, 8, 3, 10, Eggeling, ad loc.
  274. Âp., VII, 25, 8.
  275. T. S., 6, 3, 11, 1 Pendant la sacrification on récite : R. V., VI, 60, 13 ; I, 109, 7 et 6. = T. B., 6, 3, 11, 1 sqq., formules de glorification aux dieux, décrivant la façon dont ils agréent l’offrande et la consomment une fois qu’elle leur est parvenue.
  276. À Agni « Sviṣṭakṛt », qui parfait les rites (voy. Weber, Ind. Stud., IX, p. 218) ; cf. Hilleb., N. V. O., p. 118. — Pour les autres êtres auxquels sont attribuées des parts (du gros intestin) dans une offrande supplémentaire (Âp., VII, 26, 8 sqq.), voir Schwab, no 104. Les mantras récités et les réponses correspondent assez mal.
  277. On peut leur en ajouter d’autres, sans os. Âp., VII, 24, 11.
  278. Sur l’Iḍâ, voir tout particulièrement Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 289 sqq. et les passages cités à l’Index.
  279. Voir Bergaigne Rel. Véd., I, 323, 325 ; II, 92, 94. Syl. Lévi, Doct., p. 103 sqq.
  280. Ce moment du sacrifice est assez important pour que le Çat. Br. y ait rattaché la fameuse légende, devenue populaire, du déluge (Çat. Br., 1, 8, 12 entier ; Eggeling ad loc., S. B. E., XII). Cf. Weber, Ind. Stud., I, p. 8 sqq. — Muir, Old Sanskrit Texts, I, p. 184, p. 190 sqq. — Mais les autres Brâhmaṇas n’ont, de cette légende, que la fin, qui est seule un article de foi brahmanique. Selon eux, c’est en inventant le rite de l’iḍâ, on créant ainsi la déesse Iḍâ (sa femme, ou sa fille selon les textes), que Manu, le premier homme et le premier sacrifiant a acquis postérité et bétail (voir T. S., 1, 7, 1 et 2, tout entiers 6, 7 ; T. B., 3, 7, 5, 6). En tout cas, elle et son correspondant matériel représentent les bestiaux, en sont toute la force : iḍâ vai paçavo, « iḍâ, c’est les bestiaux ».
  281. Voir Hillebr., N. V. O., p. 124 ; Schwab, Th., p. 148.
  282. Hillebr., p. 125.
  283. La cérémonie se nomme iḍâhvayana, ou bien iḍopahvana, terme qui correspond exactement à l’épiclèse de la messe chrétienne. Le texte est Açv. çr. sû., I, 7, 7, traduit dans Hillebrandt, N. V. O., p. 125 et 126 ; Oldenburg, Rel. d. Ved., p. 290 sqq. Les textes Çâṅkh. çr. sû., I, 10, 1 ; Taitt. Br., 3, 5, 8, 1 ; 3, 5, 13, 1 sqq. sont légèrement différents. — Cette invocation consiste essentiellement en une série d’appels de la divinité, qui est censée amener avec elle toutes les forces mentionnées, et d’autre part convier, à son tour, les prêtres et le sacrifiant à prendre leur part des forces ainsi amassées. Le sacrifiant dit, pendant une pause (Âp., IV, 19, 6. — T. S., 1, 7, 1, 2) : « que cette offrande (de lait de mélange) soit ma force ».
  284. Taitt. Br., 3, 5, 8 à fin ; 3, 5, 13 à fin.
  285. L’avântareḍâ, iḍâ supplémentaire qu’il tient dans l’autre main. (Voy. Weber, Ind. St., IX, p. 213). Il dit (Açv. çr. sû., 1, 7, 8 ; cf. T. S., 2, 6, 8, 1 et 2 : « Iḍâ, agrée notre part, fais prospérer nos vaches, fais prospérer nos chevaux. Tu disposes de la fleur de richesse, nourris-nous-en, donne-nous-en ».
  286. Le sacrifiant dit : « Iḍâ, agrée, etc…, puissions-nous consommer de toi, nous en corps et en âme (comm. à Taitt. Br.), nous tous avec tous nos gens » (T. B., 3, 7, 5, 6).
  287. Açv. çr. sû., 1, 8, 2.
  288. Certaine école prescrit un rite de présentation aux mânes (Kâty., 3, 4, 16 et 17). Le rite quoique ancien (V. S., II, 31) n’est qu’un rite d’école.
  289. Voir les mantras : Hillebrandt, N. V. O., 126 sqq. C’est ainsi que la bouche de l’agnîdhra (pretre du feu) est censée être la bouche même d’Agni. Les parts sacerdotales sont donc bien des parts divines. — Il ne s’agit pas ici, comme l’a vu M. Oldenberg, d’un repas en commun, d’un rite de communion sociale, quelles qu’en soit les apparences. Dans l’iḍâ, « la part du sacrifant » a une sorte de vertu « médecine » (Oldenberg) ; elle donne de la force au sacrifiant, « elle place en lui les bestiaux », comme disent les textes : paçûn yajamâne dadhâti (à remarquer l’emploi du locatif) — Voir T. S., 2, 6, 7, 3 ; Ait. Br., 2, 30, 1 ; 6, 10, 11 ; Çat. Br., 1, 8, 1, 12, etc. — L’Iḍâ fait partie du rituel en tous les sacrifices solennels hindous. — Ajoutons que le reste de la victime est, dans une certaine mesure, profané : les brahmanes et le sacrifiant peuvent les emporter chez eux (Schwab, p. 149). Nous ne connaissons pas de règle prescrivant des délais pour la consommation des restes des victimes. Mais il en existe pour la consommation de toutes les nourritures en général.
  290. Voir plus haut.
  291. On a pu s’étonner que, dans ce schème, nous n’ayons pas fait allusion aux cas où la victime est autre chose qu’un animal. Nous en avions relativement le droit. Nous avons vu, en effet, comment les rituels ont proclamé l’équivalence des deux sortes de choses (voir plus haut, p. 13). Par exemple, dans tout l’ensemble des sacrifices agraires, leur identité foncière rend possible la substitution des unes aux autres (voy. p. 91). Mais il y a plus, il est possible d’établir des symétries réelles entre les victimes et les oblations sacrificielles. — La préparation des gâteaux, la façon dont on les oignait d’huile, ou de beurre, etc., correspond à la préparation de la victime. Même la création de la chose sacrée, au cours de la cérémonie est bien plus évidente, dans le cas de l’oblation, que dans tout autre, puisqu’on la confectionne souvent de toutes pièces, sur le terrain même du sacrifice : Pour l’Inde, voir Hillebrandt, N. V. O., p. 28, 41, surtout au cas où ce sont des figurines (Hillebrandt, Rit. Lit., § 64, p. 116 ; § 48. Cf. Weber, Nakṣatra, I, 338, renseignements assez fragmentaires : (Çâṅkh. gṛh. sû., IV, 19). Pour la Grèce, voir plus haut, p. 14. Stengel, p. 90 sqq. ; Festus, 129 ; cf. Frazer, Golden Bough, II, p. 84, p. 139 sqq. ; Lobeck, Aglaophamus, p. 141, 1080 sqq. — Ensuite la destruction a le même caractère de consécration définitive que le mise à mort, d’une victime animale. On met toujours au moins l’esprit de l’oblation hors du monde réel. Seule, une différence existe, venant de la nature même des choses : dans la majorité des cas le moment de l’attribution et celui de la consécration coïncident, sans que la victime porte pour autant le caractère d’une chose à éliminer. En effet, la libation est détruite au moment où elle découle sur autel, se perd dans la terre, s’évapore ou brûle dans le feu ; le gâteau, la poignée de farine se consument et partent en fumée. La sacrification et l’attribution à la divinité ne font qu’un seul et même temps rituel. Mais il n’y a aucun doute sur la nature de la destruction : c’est ainsi que le simple dépôt de bois à brûler est, dans le rituel hindou, à certains moments, un sacrifice par lui-même (nous faisons allusion aux sâmidhenî, voir Hillebr., N. V. O., p. 74 sqq.). — Enfin la répartition des parts est mutatis mutandis, analogue à celle du sacrifice animal : ainsi dans le cas du sacrifice de la pleine et nouvelle lune, nous trouvons des parts aux dieux, une iḍâ, etc. — Rappelons enfin que le plus important de tous les sacrifices hindous, le plus extraordinaire peut-être de tous les sacrifices, celui où on a fait subir à une victime tous les traitements possibles, où on en a fait un dieu, le sacrifice du soma, est, comme le sacrifice chrétien, constitué par une oblation végétale.
  292. Rien n’est plus explicable ; car ce sont les mêmes gens et les mêmes choses qui sont en jeu, et, d’un autre côté, en vertu des lois qui règlent les choses religieuses, ce sont les mêmes procédés lustratoires qui confèrent ou enlèvent un caractère sacré.
  293. Âp., VII, 26, 12 ; Kât., 6, 9, 11 ; T. S., 1, 3, 11, 1 et Ç. B., 3, 8, 5, 5 ; pour le mantra dont Kât. fait un meilleur emploi. On a fait une série de petits sacrifices (voir Schwab, Th., no 111) dont les formules expriment la terminaison du rite.
  294. Âp., VII, 27, 4. Kât., VI, 9, 12 (Chose remarquable, Âp. emprunte le mantra à V. S., VI, 21).
  295. Hillebr., N. V. O., p. 145-147 ; Schwab, Th., no 111, p. 156-9. Pendant ce rite se fait toute une curieuse récapitulation des divers moments du sacrifice (T. B., 3, 6, 15 entier) et des bienfaits qu’en attend le sacrifiant ; il goûtera ce dont il a fait goûter les dieux (Cf. Açv. çr. sû., 1, 9, 1).
  296. Hillebr., N. V. O., p. 147-149.
  297. En le remerciant d’avoir conduit aux dieux l’offrande : Âp., VII, 28, 2 ; T. B., 2, 4, 7, 11 ; cf. T. S., 3, 5, 5, 4.
  298. Âp., ib., 4. — Ait. Br., 6, 3, 5.
  299. Schwab, Thieropf., p. 107 ; Hilleb., N. V. O., p. 140-141.
  300. Âp., VII, 26, 15. Ç. B., 3, 8, 5, 8. T. S., 6, 4, 1, 8. T. S., 1, 3, 11 ; V. S., VI, 22. Âp., VII, 27, 16.
  301. Âp., VII, 26, 16 sqq. T. S., 1, 4, 45, 3.
  302. Hilleb., N. V. O., p. 474. Cf. Sylv. Lévi, Doctr., p. 66.
  303. Cf. Çat. Br., 1, 1, 1, 4-7.
  304. Avabhṛta. Voir Weber, Ind. Stud., X, 393 sqq. Cf. Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 407 sqq. Peut-être les expressions de « fluide », etc., dont se sert M. Old. ne sont-elles pas les meilleures, mais il a pourtant indiqué le sens du rite, tel qu’il apparaît, mon pas dans le Ṛg Veda (où il est d’ailleurs mentionné. Voy. Grassmann : Wörterb. ad verb.) mais dans tous les autres textes rituels et théologiques. Âp. çr. sû., VIII, 7, 12 sqq. et XIII, 19 sqq.Kât., VI, 10, 1 ; X, 8, sqq.
  305. Ces lieux, les étangs, les tîrthas, qui sont encore aujourd’hui des endroits particulièrement sacrés de l’Inde, sont censés être la propriété favorite de Varuna (Çat. Br., 4, 4, 5, 10).
  306. Âp., III, 20, 10, 11.
  307. Âp., XIII, 22, 2, comm. En même temps, ils répètent diverses formules exprimant : qu’ils expient leurs péchés, leurs fautes rituelles, qu’ils acquièrent force, prospérité et gloire, en s’assimilant ainsi la force magique des eaux, des rites et des plantes.
  308. Ils donnent leurs anciens vêtements aux prêtres ; abandonnant ainsi leur ancienne personnalité ; en en revêtant de neufs, ils font « peau neuve comme un serpent ». « Il n’y a pas plus de péché en eux, maintenant, que dans un enfant sans dents » : Ç. B., 4, 4, 5 23.
  309. Lév. XVI, 22, 23. Il changeait encore une fois de vêtement à l’issue du jeûne et rentrait chez lui en recevant les félicitations de ses amis d’avoir supporté toutes les épreuves, accompli tous les rites, échappé à tous les dangers de ce jour (Talm. J., Yoma, VIII, 8, 5, Mischnâ).
  310. Lév. XVI, 26.
  311. Ib., 28. — De même celui qui ramenait les cendres de la vache rousse.
  312. Nous savons (Ézéch., XLIV, 49), que les vêtements des prêtres étaient enfermés dans des « chambres saintes », où les prêtres allaient se vêtir et se dévêtir avant d’aller vers le peuple ; le contact de ces vêtements était dangereux pour les laïques.
  313. Porphyre, De Abst., II, 48. — Paton, Cos, 28, 24 — Cf. Frazer, Golden Bough, II, p. 54 sqq.
  314. Lév. VI, 21 (ḫaṭṭât).
  315. Plat., Rép., VIII. — Paus., VIII, 2, 6 ; VI, 2, 3. — Pline, N. H., VIII, 22. — Voir Mannhardt, W. F. K., II, p. 340. — Même légende sur le sanctuaire de Hyrie : Gruppe, Griech. Mythologie, p. 67 sqq. — Cf. Wellhausen, Reste des Arabischen Heidenthums, p. 162 et n., p. 163. — Voir plus bas, p. 84.
  316. Nous faisons allusion aux faits connus, depuis les travaux de Mannhardt, Frazer, Sidney Hartland, sous le nom de l’Âme extérieure, auxquels les deux derniers auteurs ont rattaché toute la théorie de l’initiation.
  317. Paus., V, 13, 4. Même interdiction à Pergame pour ceux qui avaient sacrifié à Télèphe.
  318. Voir plus haut, p. 57, 62. C’est proprement alors que s’effectue l’identification quelquefois recherchée, entre le sacrifiant, la victime et le dieu, on l’obtient alors absolue (Sur ce principe, voir Ép. Hébr., 2, 11).
  319. Ps. CVI, 39. « Ils se souillent par leurs œuvres et ils se pervertissent par leurs pratiques ».
  320. Lév. XI, sqq. — Cf. Marquardt, op. cit., VI, p. 277. — Cf. Frazer, Encyclopædia Britannica, art. Taboo. — Cf. Gold. Bough, passim. — Cf. Jevons, Introd. Histor. Relig., p. 107 sqq.
  321. Cf. Rohde, Psyche, I, p. 179, 192 ; S. R. Steinmetz, Studien zur ersten Entwickelung der Strafe, II, p. 350 sqq.
  322. C’est la sanction générale des fautes rituelles au Lévitique, dans le Deutéronome, dans l’Exode, comme dans Ézéchiel et les livres historiques : il faut observer les rites, pour ne point mourir, n’être pas atteint de lèpre aiguë comme le roi Osias. — Cf. Oldenherg, Rel. d. Ved., p. 287, 319. Cf. Bergaigne, Rel. Véd., III, p. 150 sqq.
  323. Lév. XVI. Cf. plus haut, p. 45 n. 2.
  324. Lév. XIV, 1, sqq..
  325. Sur les sacrifices expiatoires grecs, voir Lasaulx, Sühnopfer der Griechen, Akad. Abhdlg., Würzburg, 1841. — Donaldson, On the Expiatory and substitionary sacrifices of the Greeks, Transactions of Edinburgh, 1876, p. 433 sqq. — Pour les faits germaniques, voir Ullrich Jahn, Die abwehrenden und die Sühnopfer der Deutschen, Inaug. Diss., Breslau 1884, réimprimé dans Die Deutschen Opfergebraüche bei Ackerbau und Viehzucht (Germ. Abhd., III de Weinhold).
  326. Voir Oldenb., Rel. d. Ved., p. 287 sqq., p. 522 sqq.
  327. Kauç. sû., 26, 18. — Cf. le bel article de Kuhn, pour une série de rites analogues observés dans l’Europe entière (Kuhn’s Zeitschrift, XIII, p. 113 sqq.). Sur ce rite, voir Bloomfield, Hymns of the Atharva-Veda, S. B. E., XLII ad A. V., I, 22, p. 244 : cf. Introd. à VII, 116 (p. 565, 7).
  328. A. V., I, 22, 4.
  329. Sur ces rites, voir Bloomfield, Op. cit., introd. à VII, 116, et Winternitz, Altind. Hochzeitsrituell, Abhdl. d. k. k. Ak. d. Wiss. z. Wien, XL, p. 6, 12, 23, 67. Kauç. sû., 18, 17, 16.
  330. Nous traduisons littéralement. M. Bloomfield et le commentaire expliquent (ad loc.) par le mot corbeau.
  331. A. V., VII, 115, 1.
  332. Lakṣmî, « marque » de malheur, empreinte de la déesse Nirṛti (de la destruction). Cette marque correspond et à la couleur noire du corbeau et au petit gâteau qu’on lui lie à la patte.
  333. Le rejet des mauvais sorts sur l’ennemi est un thème constant du rituel védique, atharvanique et autre.
  334. Cf. Kauç. sû., 32, 17.
  335. Sur ce rite voir Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 82, p. 446, n. 1, et surtout Hillebrandt, Rit. Litt., p. 83. Le rite fait partie du rituel domestique. Les textes sont : Âçv. gṛh. sû., 4, 8 ; Pâr., 3, 8 : Hiraṇ., 2, 8, 9 ; Âp. gṛh. sû., 19, 13 sqq. ; 201-19. Le texte d’Âçv. semble attribuer à ce rite le sens d’un rite de prospérité (4, 8, 35 ; Pâr., 3, 8, 2). Mais les caractères du rite sont bien nets et le commentaire à Hiraṇ., 2, 9, 7 (édit. Kirate, p. 133) y voit une çânti à Rudra, dieu des bêtes, une « façon d’apaiser » le dieu à l’aide d’une victime qui serait « la broche des vaches ». Cf. Oldenberg, trad. d’Hiraṇ., S. B. E., XXX, p. 220. M. Oldenberg voit surtout dans ce rite un cas de Thierfetichismus. C’est qu’il s’attache surtout à décrire le point remarquable du rite qui est l’incorporation du dieu dans la victime. — Le rite ne nous est parvenu qu’à travers des textes assez récents, présentant des divergences importantes. Nous ne pouvons exposer ici l’analyse historique des textes. Le résultat auquel nous arrivons est qu’il y a eu là trois rites plus ou moins hétérogènes, qui ont fusionné plus ou moins, deux à deux, ou tous ensemble suivant les écoles et les clans brahmaniques. Nous exposons surtout le rite des clans des Âtreyas (Âçv., Pâr.). En tous cas le rite est fort ancien et les hymnes du Ṛg Veda à Rudra, V, 43 ; I, 114 ; II, 38 ; VII, 46, sont, tant par les sûtras que par Sâyana, consacrés à ce rite auxquels ils s’appliquent remarquablement.
  336. Sur Rudra, voir surtout Oldenberg, Rel. d. Ved., 216-224 ; 283 sqq. : 333 sqq. Cf. Barth, M. Oldenberg et la Relig. du Veda, Journal des savants, 1896. Siecke, Der Gott Rudra, etc. Archiv. f. Religionswiss., 1, 3 et 4 (d’un naturalisme intempérant). Bergaigne, Rel. Véd., III, 31 sqq., 152-154. Lévi, Doctr., p. 167 (Ait. Br., 13, 9, 1). Il nous est impossible d’exposer ici les raisons de notre explication de la personnalité mythique de Rudra.
  337. C’est le point sur lequel toutes les écoles s’accordent : on lui fait flairer des offrandes (cf. Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 82 : la façon dont on fait respirer les offrandes au cheval divinisé de l’açvamedha ; cf. encore Kâty. çr. sû., 14, 3, 10) ; on l’appelle de toute la série des noms de Rudra : « ôm (syllabe magique) à Bhava, ôm à Çarva etc. » Cf. A. V., IV, 28 ; on récite les textes à Rudra : T. S., 4, 5, 1, sqq. Voir Mantrapâtha, Âpastamba, édit. Winternitz, II, 18, 10 sqq.
  338. Suivant Pâraskâra.
  339. On ne peut rien ramener de la bête au village « parce que le dieu cherche à tuer les hommes ». Les parents ne pouvaient s’approcher de la place du sacrifice, ni manger sans ordre et invitation spéciale la chair de la victime : Âçv., 4, 8, 31 et 33 (voir Oldenberg, S. B. E., XXIX. p. 258).
  340. Pour la simplicité de l’exposition nous sous-entendons partout que la même chose peut se répéter, dans les mêmes termes, des objets.
  341. Lév. XIV, 10 sqq.
  342. Nombres VI, 13 sqq.Talmud J., Traité Nazir (Schwab, t. IX. p. 84, sqq.).
  343. Talm., Nazir, I, 2. Le nazir offre le même sacrifice quand il allège sa chevelure devenue trop lourde.
  344. Ib., II, 10.
  345. Nazir, ib., VI, 7 et 8. — Nombres, VI, 18.
  346. Nombres, VI, 19.
  347. Voir surtout Frazer, Golden Rough, note additionnelle au t. II, pour un certain nombre de faits ethnographiques : cf. ib., II, p. 62 sqq. Il serait aisé d’étendre le nombre de faits cités. M. F. a vu avec raison que la plupart des offrandes de premiers fruits consistent en la consécration d’une partie de l’espèce comestible, partie qui représente le tout. Mais son analyse, si consciencieuse, n’a pas rendu compte de la fonction du rite.
  348. Cette partie est d’ordinaire la première de toute chose. On sait quelle est l’étendue des prescriptions bibliques qui concernent les premiers-nés des hommes et des animaux, les premiers fruits et les premiers grains de l’année, les premiers produits d’un arbre (‘orlâ), le premier blé consommé (azymes), la première pâte levée (ḫallâ). De tout ce qui vit et fait vivre les prémices appartiennent à Iahwe. Les bénédictions talmudiques et synagogales ont encore accentué ce thème, puisqu’elles sont obligatoires quand on goûte pour la première fois d’un fruit, quand on commence le repas, etc.
  349. Talmud J., Biccourim, I, Mischnâ, 2 et suiv. On ne peut évidemment suivre le rite dans les textes bibliques qui ne contiennent que les prescriptions sacerdotales et non pas les usages populaires. Le caractère populaire de tout ce rite est évident : ce joueur de flûte, ce bœuf couronné d’olivier, aux cornes dorées (que pouvait remplacer un chevreau aux cornes argentées, cf. Gem. ad loc.), ces paniers, ces colombes, ce sont là des traits originaux, d’une antiquité incontestable. D’ailleurs ces textes mischnaïques sont fort anciens eux-mêmes.
  350. Ils se réunissaient la veille, et passaient la nuit sur la place publique de peur de contact impur selon la Gemarâ.
  351. Gem. à 2. Les rabbins discutent pour savoir si c’était en shelamim on en ‘olâ.
  352. Rite de rachat personnel, cas assez remarquable.
  353. Cf. Menaḫot, dans Talm. Babli, 58 a (renvoi de Schwab, ad loc.).
  354. Nomb. XIX.
  355. Voir plus haut, p. 75.
  356. Rituel du Kippour.
  357. Talmud J., Maaser Sheni, VI, Gem. (Voir Schwab, p. 247). Cf. Mischnâ de Middoth, citée ib.
  358. On sait que c’est un thème fondamental des Prophètes et des Psaumes que cette « mort » où est plongé le fidèle avant le retour de Iahve (Cf. Ézéch. XXXVIII, 2 ; Job, XXXIII, 28, et commentaire in Talm. J., Baba qamma, VI, 8, 4, Gem.). — Voir Ps. CXVI en entier et CXVII à partir de 17 : « Je ne mourrai point, mais je vivrai, etc. » Nous nous dispensons de rappeler les formules catholiques de la messe.
  359. Dans l’Inde, tout le monde, au sacrifice, est réputé vivre dans ce monde nouveau. Quand on fait lever le sacrifiant assis, on lui dit : « Debout, dans la vie ». Pendant qu’on va, portant une chose sacrée, la formule est : « Va le long de la vaste atmosphère » (T. S., 1, 1, 2, 1). Au début de tous les rites, un des premiers mantras est « Toi pour le suc, toi pour la sève » (T. S., 1, 1, 1, 1). — Et, à la fin du sacrifice, la régénérescence est totale (cf. plus haut, p. 69, n. 4).
  360. Paus., II, 24, 1. — Sur le transport par le soma, sur la façon dont les ṛṣis qui l’ont bu se sentent soit emportés dans l’autre monde, soit possédés par le dieu Soma, voir Bergaigne, Rel. Véd., I, 151 sqq. ; Ṛg Veda, X, 119 ; X, 136, 3, 6, sqq. : VII, 48 en entier. Cf. Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 330. Sur la possession, voir Wilken, Het shamanisme bij den volken van den Indischen Archipel, extr. de Bijdr. tot de Taal- Land- en Volkenkunde v. Ned. Ind., 1878, p. 1 sqq. Frazer, Pausanias, t. V, p. 381 : cf. Paus., I, 34, 5. Roscher, Rhein. Mus., LIII, p. 172 sqq.
  361. Ces expressions sont empruntées aux spéculations bibliques et talmudiques sur le jour du « jugement », du Kippour.
  362. Voir nos comptes rendus des livres de A. Nutt, Rohde, Cheetham (Année Sociologique, II, p. 214 et sqq.). — En ce qui concerne les doctrines hindoues, voir Sylv. Lévi, Doctr., 102, 108, 161 ; en ce qui concerne le haoma, voir Darmesteter, Haurvetât et Amretât, p. 54 ; Ormuzd et Ahriman, p. 90.
  363. Voir Lefébure, Mélusine, 1897 ; Brinton, Relig. of Prim. Peoples, p. 89 sqq.
  364. Le pèlerin de la Mecque, l’ancien sacrifiant du ḫagg, prenait et prend encore le titre de hadj. Voir Wellhausen, Reste d. Arab. Heid., p. 80.
  365. Voir Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 282, sqq. Voir plus haut, p. 72. Sur la relation entre le sacrifice et les rites de l’initiation et de l’introduction de la nouvelle âme, cf. Frazer, G. B., I, p. 344 sqq. — L’accession à la vie chrétienne a toujours été considéré comme un vrai changement de nature.
  366. Nous savons que, dans bien des cas parallèles, et même dans celui-ci, un autre effet est visé, dépister les mauvais esprits en changeant de nom, dérouter la malchance. Voir Midrasch à l’Ecclésiaste, I, 19, Talm. B. fol. 16 a ; Gemara de Schebouoth, Talm. J., VI, 10, Schwab, IV, p. 79. Cf. Snouck Hurgronje, Mekka, II, p. 122.
  367. Talm. J., traité Guittin, Gem., p. 45 (Schwab).
  368. Voir Calend, Altindische Todten Bestattungsgebraüche, no 2. — De Groot, The Religious System of China, I, p. 5.
  369. Année Sociologique, II, p. 217.
  370. Doctr., p. 93-95. Nous admettons absolument le rapprochement, proposé par M. Lévi, entre la théorie brahmanique de l’échappement à la mort par le sacrifice et la théorie bouddhiste de la mokṣâ, de la délivrance. Cf. Oldenberg, Le Boudha, p. 40.
  371. Voir Bergaigne, Rel. Véd., sur l’amṛta, « essence immortelle », que confère le soma (I, p. 254 suiv., etc.). Mais là, comme dans le livre de M. Hillebrandt, Ved. Myth., I, p. 289, sqq. et passim, les interprétations de mythologie pure ont un peu envahi l’explication du texte. Voir Kuhn, Herabkunft des Feuers und des Göttertranks. Cf. Roscher, Nektar und Ambrosia.
  372. Voir Darmesteter, Haurvetât et Amretât, p. 16, 41.
  373. Tant dans le dogme (ex. Irénée, Ad. Haer., IV, 4, 8, 5), que dans les rites les plus connus ; ainsi la consécration de l’hostie se fait par une formule où est mentionné l’effet du sacrifice sur le salut. Voir Magani, l’Antica Liturgia Romana, II, p. 268, etc. — On pourrait encore rapprocher de ces faits l’haggada talmudique suivant laquelle les tribus disparues au désert et qui n’ont pas sacrifié n’auront pas part à la vie éternelle (Gem. à Sanhedrin, X, 4, 5 et 6, in Talm. J.), pas plus que les gens d’une ville devenue interdite pour s’être livrée à l’idolâtrie, ou que Cora l’impie. Ce passage talmudique s’appuie sur le verset, Ps. L, 5 : « Assemblez-moi mes justes qui ont conclu avec moi alliance par le sacrifice. »
  374. Ce serait ici le lieu d’étudier le côté pour ainsi dire politique du sacrifice : dans un bon nombre de sociétés politico-religieuses (sociétés secrètes mélanésiennes et guinéennes, brahmanisme, etc.), la hiérarchie sociale est souvent déterminée par les qualités acquises au cours de sacrifices par chaque individu. — Il conviendrait aussi de considérer les cas où c’est le groupe (famille, corporation, société, etc.), qui est sacrifiant, et de voir quels sont les effets produits sur une personne de ce genre par le sacrifice. On verrait aisément que tous ces sacrifices de sacralisation ou de désacralisation ont sur la société, toutes choses égales d’ailleurs, les mêmes effets que sur l’individu. Mais la question ressort plutôt à la sociologie en général qu’à l’étude précise du sacrifice. D’ailleurs elle a été fortement étudiée par les anthropologues anglais : les effets de la communion sacrificielle sur la société sont un de leurs thèmes favoris (voir R. Smith, Rel. of Sem., p. 284 sqq., Sidney Hartland, Leg. Pers., II, ch. xi, etc.).
  375. M. Grant Allen a, dans la deuxième partie de son livre, The Evolution of the Idea of God (compte rendu, Ann., I, p. 193), soutenu des idées concernant ces sacrifices et les sacrifices du Dieu, qui paraîtront peut-être relativement analogues aux nôtres (voir surtout p. 265, 266, 339, 340 sqq.). Nous espérons pourtant qu’on s’apercevra des différences fondamentales.
  376. C’est un des rites dont l’étude comparative est le plus avancée. H. Gaidoz, Les rites de la construction, Paris, 1882. M. Winternitz, Einige Bemerkungen über das Bauopfer bei den Indern, Mitthlg. d. Anthr. Gesell. z. Wien, 1888, XVII, Intr., p. 37 sqq., et surtout l’exhaustive monographie de Sartori, Das Bauopfer, Zeitsch. f. Ethn., 1898 (cf. compte rendu, Année Soc., II, p. 236), essai de classement des formes où seuls l’analyse du rite laisse réellement à désirer. Sur la conservation des corps ou de parties de corps des victimes dans les constructions, voir Wilken, Iets over de Schedelvereering bij d. volken v. d. Ind. Arch., Bijdr. tot de Taal -Land- en Volkenkunde v. Ned. Ind., 1889, p. 34. — Pinza, Conservazione delle leste umane, passim.
  377. C’est le cas le plus général. Il s’agit réellement de la création d’une espèce de dieu auquel on rendra plus tard un culte. Il y a là un cas parallèle à celui du sacrifice agraire. Cet esprit sera vague ou précis, se confondra avec la force qui rend solide la construction, ou bien deviendra une sorte du dieu personnel, ou sera les deux à la fois. Mais toujours il sera rattaché par certains liens à la victime dont il sort et à la construction dont il est le gardien et le protecteur contre les sorts, les maladies, les malheurs, inspirant à tous le respect du seuil, aux voleurs et aux habitants. (H. C. Trumbull, The Threshold Covenant, New-York, 1896.) — De même qu’on fixe la victime agraire, en semant ses restes, etc., de même on répand le sang sur les fondations et plus tard on emmure la tête. — Les sacrifices de construction ont pu se répéter dans divers rituels ; d’abord en des occasions graves, réparation d’une construction, siège d’une ville, puis devenir périodiques, et se confondre dans bien des cas avec les sacrifices agraires, donner comme eux naissance à des personnalités mythiques (voir Dämmler, Sittengeschichtliche Parallelen, Philologus, LVI, p. 19 sqq.).
  378. Le cas est fort général, lui aussi. Il s’agit de se racheter, par une victime, des colères de l’esprit propriétaire soit du sol, soit, dans quelques cas, de la construction elle-même. Les deux rites se trouvent réunis dans l’Inde (voir Winternitz, loc. cit.), dans le sacrifice à vastoṣpati « Rudra maître du lieu » ; d’ordinaire ils sont isolés (Sartori, loc. cit., p. 14, 15, 19 et p. 42 sqq.).
  379. Voir Winternitz, loc. cit.
  380. Le cas le plus connu est celui de la fille de Jephté. Mais il y a toujours, après l’accomplissement d’un sacrifice volontaire, le sentiment de s’être acquitté, d’avoir « rejeté le vœu », comme disent énergiquement les théologiens hindous.
  381. La formule générale de l’attribution que disait le sacrifiant, lorsque l’officiant jetait au feu une part quelconque, était, dans l’Inde Védique : « Ceci au Dieu N. N. pas à moi ».
  382. Ce sont les sacrifices « de grâce », de louange de la Bible. — Ils semblent avoir été assez peu nombreux dans la plupart des religions : voir pour l’Inde, Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 305, 6 ; Wilken, Over eine nieuwe Theorie des Offers, De Gids, 1890, p. 365, sqq.
  383. Cullaway, Religious System of the Amasuiu, p. 59, n. 14. Cf. Frazer, Gold. Bough, II, 42, etc. — Cf. Marillier, Rev. Hist. Relig., 1898, t. I, p. 209. — Cf. Sahagun, Historia de las cosas de la Na España, II, p. 20.
  384. Hillebrandt, Ved. Rit. Litt., p. 75. — Il faut rapprocher de ces faits les cas de noyades de victimes dans l’eau. Dans d’autres cas on répand sur une victime quelconque de l’eau : ex. II Rois, XVIII, 49 sqq.  etc. — Cf. Kramer, d’après Smirnov, Das Fest Sineja und das Feldgebel, etc. Bull. Soc. Arch. Hist. Ethn. de l’Univ. de Kazan, in Globus, 1898, p. 165. Smirnov et Boyer, Populat. finnoises, 1898, p. 175.
  385. Dans le rituel védique, lorsqu’on oint l’animal sur la croupe on dit : « Que le maître du sacrifice (le sacrifiant) aille avec [toi et] sa volonté au ciel » (Âp. çr. sû., VII, 14, 4. V. S., 6, 40, c. T. S., 1, 3, 8, 1) ; commenté (T. S., 6, 3, 7, 4. Ç. B., 8, 7, 4. 8) où il est expliqué que la bête s’en va au ciel et emmène en croupe le vœu du sacrifiant. On s’est très souvent figuré la victime comme un messager des hommes, ainsi les Mexicains, ainsi les Thraces d’Hérodote (IV, 9), etc. — Notre énumération des sacrifices objectifs n’est nullement complète : nous n’avons traité ni du sacrifice divinatoire, ni du sacrifice d’imprécation, ni du sacrifice nourriture, ni du sacrifice du serment, etc. Une étude de ces diverses formes démontrerait peut-être qu’il s’agit, là aussi, de créer et d’utiliser une chose sacrée, un esprit qu’on dirige vers telle et telle chose. On pourra peut-être, de ce point de vue, arriver à une classification.
  386. Voir Mannhardt, Mythologische Forschungen, p. 68 sqq.Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 304 sqq. — Frazer, Golden Bough, II, p. 38, 41. — V. Prott, Buphonien, Rhein. Mus., 1891, p. 187 sqq. — Stengel, ib., p. 399 sqq. — Farnell, Cults of the Greek States, I, p. 56, 58 et p. 88 sqq. (voit dans les bouphonies un cas de culte totémique). — Frazer, Pausanias, t. II, p. 208 sqq. ; t. V, p. 599. — A. Mommsen, Heortologie², p. 512 sqq. — Gruppe, Griechische Mythologie, I, p. 29.
  387. Paus., I, 24, 4.
  388. Voir Pausanias, I, 24, 6 ; 28, 10. — Porphyre, De Abstinentia, II, 9, 28 sqq.Schol. Arist., Nub., 985. — Schol. Hom., Il. Σ, 83. — Suidas, Διὸς ψῆφος. — Hésych., Διὸς θᾶκοι.
  389. Porph., De Abst., II, 28.
  390. Porph., ib., II, 9 — Ib., I, 28, 30 : — Schol. Hom., l. c. et Arist., l. c.
  391. Eusèbe, Praep. Ev., III, 2, 9, a vu dans la mort d’Adonis le symbole de la récolte fauchée. Mais c’est se faire du rite une idée vague et étroite.
  392. Mommsen, loc. cit., pense que les Bouphonies sont une fête du battage.
  393. Stengel, loc. cit., prétend que le superposition du sacrifice sanglant à l’offrande des prémices dans les Dipolia est un cas de substitution du sacrifice sanglent aux offrandes végétales.
  394. Cato, de Agric., 14. — Ambarvalia, Marquardt, VI, p. 200, n. 3. — Cf. Frazer, Gold. B., I, p. 39. — Voir des exemples fort clairs du même genre de faits : Sartori, Bauopfer, p. 17. Pinza, op. cit., p. 154.
  395. Il y avait une confession lors de l’apport de la dîme et des fruits dans le temple de Jérusalem (Talm. J., Mischnâ, Maaser Sheni, V, 10 sqq.). Dans l’Inde, une confession de la femme faisait partie du rituel des Varuṇapraghâsas, voir Sylv. Lévi, Doctr., p. 156.
  396. Wellhausen, Prolegomena, III, 1. — Rob. Smith, Rel. Sem., p. 406, p. 464, etc. Nous maintenons, contre l’interprétation trop étroite de Wellhausen et de R. Smith, le caractère communiel de la fête ; remarquons, de plus, la façon dont on y consomme le premier blé, dont on y consacre la première gerbe et disons que, là comme ailleurs, sans qu’il soit nécessaire de supposer la fusion de rites différents d’origines et de nationalités, il y a simplement un cas de rite naturellement complexe.
  397. L’obligation ce sacrifier la Pâque, de consommer l’agneau, d’apporter les premiers fruits (voir plus haut, p. 80, n. 2, cf. p. 96) est rigoureusement personnelle dans le rituel hébraïque. De même, dans le rite des Varuṇapraghâsas, étudié plus loin, nous trouvons un exemple remarquable de rachat personnel. On délie de chaque individu de la famille « le lien » que lui jetterait Varuṇa. On fait autant de gâteaux d’orge en forme de pots (karambhapâtrâṇi) qu’il y a de membres de la famille (Âp. çr. sû., VIII, 5, 41) plus un, qui représente l’enfant à naître (Taitt. Br., 1, 6, 5, 5), et à un certain moment de la cérémonie, chacun les place sur sa tête (Âp., VIII, 6, 23). On écarte ainsi, dit le Brâhmaṇa, Varuṇa, dieu de l’orge, de la tête (Taitt. Br., 1, 6, 5, 4).
  398. Voir Pausanias, II, 32, 2 (Trézène) ; cf. Frazer, Pausanias, III, p. 266 sqq.Paus., III, 11, 12 ; 14, 8, 10 ; 19, 7 (Sparte). — Usener, Stoff d. Griech. Epos, p. 42 sqq. — Cf. Mannhardt, B. W. F. K., I, p. 281. — Frazer, Gold. Bough, II, 165. — Sur les luttes des fêtes de la Holf, voir Crooke, Pop. Relig. a. Folklore of Northern India, I, p. 315 sqq. où l’on trouvera cités un certain nombre d’équivalents. — Mais le rite est complexe, et il est fort possible qu’il y ait là surtout une imitation magique de la lutte annuelle des bons et des mauvais esprits.
  399. La légende marque en effet ce caractère quasi expiatoire des Bouphonia
  400. M. Farnell (loc. cit.) et Rob. Smith, art. Sacrifice (Encyclopædia Britannica), y voient une survivance de la communion totémique.
  401. Porphyre, loc. cit.
  402. Mannhardt, W. F. K., I, 105. — Frazer, Gold. B., I, p. 71, 106, 157 ; note addit. au t. II.
  403. Cf. Frazer, Gold. B., II, p. 9, 21, 23, 31, 42, 73, 75, 78, etc.
  404. Frazer, G. B., II, p. 74.
  405. Les Hébreux ne peuvent manger de fruits de la terre promise avant d’avoir mangé les azymes et l’agneau, Jos. V, 10 sqq. Ex. XXIV, 15 sq. ; 18 sqq., etc.
  406. Frazer, G. B., II, p. 31.
  407. D’après le texte des paroles de la Pythie, il semble bien que la communion ait été relativement surérogatoire (λῷον ἔσισθαι).
  408. Voir S. Lévi, Doctrine, p. 155, n. 3.
  409. De là le nom du rite, « les nourritures de Varuṇa ».
  410. Ç. B., 2, 5, 2, 1. — Voir S. Lévi, p. 156, n. 1, le texte T. B., 1, 6, 4, 1. n’indigne que ce dernier terme du mythe. — Nous n’étudions qu’un des trois rites qui font partie de la cérémonie : l’un de ces rites est un bain identique au bain de la sortie du sacrifice à soma (voy. plus haut, p. 67), l’autre est une confession de la femme, de tout point comparable à l’épreuve lévitique de la femme adultère. Toute la fête a ainsi un caractère purificatoire bien marqué (voy. plus haut, p. 95, n. 1 et 3).
  411. Toutes faites d’orge ; exceptionnellement quelques-unes peuvent être faites de riz : Âp. çr. sû., VIII, 5, 35.
  412. Âp., VIII, 5, 42 ; 6, 1 sqq. ; 10 sqq. — Évidemment ces deux images représentent l’esprit de l’orge, considéré comme fécondant et fécondé (cf. T. B., 1, 6, 6, 4, sur la copulation figurée de ces deux animaux, par laquelle les créatures se délient du lien de Varuṇa), mais il n’y a pas de texte bien net sur ce point ; quoique le rite ait bien en lui-même le sens d’une création magique de l’esprit de l’orge (cf. Ç. B., 2, 5, 2, 16 où il est dit que le bélier c’est « Varuṇa visible » et où il s’agit du bélier figuré et non pas d’un bélier quelconque comme le croit M. Lévi, Doctrine, p. 155, n. 4), les textes ne dégagent pas assez cette signification pour que nous puissions la développer.
  413. Ava-yaj (T. B., 1, 6, 5, 1).
  414. Mannhardt, W. F. K., I, p. 350 sqq.
  415. Macpherson, Memorials of service in India, p. 129 sqq. — Cf. Sacrifice du bœuf dans les champs. Frazer, Gold. B., II, 20, 23, 41.
  416. Mannhardt, W. F. K., I, p. 363.
  417. Bahlmann, Münsterländische Märchen, etc., p. 294.
  418. Höfler, Correspond. Blatt. d. Ges. f. Anthr., 1896, 4.
  419. Frazer, Gold. B., II, p. 21, 28 sqq., 43, 47 sqq.
  420. Mannhardt, W. F. K., I, p. 350 sqq. — Frazer, Gold. B., I, p. 381 sqq.
  421. Le génie vivait l’hiver à la ferme. — Frazer, Gold. B., II, p. 16, 14.
  422. Cf. Kondakoff et Reinach, Antiquités de la Russie méridionale, p. 181 (tribu de l’Altaï). — Hérod., IV, 72. — Frazer, Golden B., II. p. 42 (Chine). Ib., 94, 220, pour des usages du même genre.
  423. Frazer, Gold. B., II, p. 220.
  424. Ib., I, p. 266.
  425. Ib., I, p. 257 sqq.
  426. Ov., Fastes, IV, 73 sqq. — Properce, V, 1, 19. — Mannhardt, W. F. K., I, p. 314 sqq. ; Myth. Forsch., p. 189.
  427. Ov., Fast., IV, 639.
  428. Frazer, Gold. B., II, p. 43. — Schol. Luc. in Rhein. Mus., 1870, p. 548, sqq. (E. Rohde). — Cf. culte d’Isis à Tithorea, voir plus haut p. 58, n. 5.
  429. Voir Marillier, Rev. Hist. Relig, 1898, I, p. 209. I Rois, XVIII, 19 sqq.
  430. Frazer, Gold. B., I, p. 384.
  431. Pharmakos (Thargélies), Boulimos (Pl., Qu. Symp., VI, 8, 1) ; Argel à Rome (Marquardt, p. 191) ; Mannhardt, Myth. Forsch., p. 135.
  432. Cf. les Thargélies, expiation de la mort d’Androgée ; Gruppe, Gr. Myth., p. 37 : les Karneia, de celle de Karnos, etc. — Cf. légende de Mélanippe et de Comaitho à Patros (Paus., VII, 19, 2 sqq.)
  433. Mannhardt, W. F. K. ; Mythologische Forschungen. — Frazer, Golden B., I, p. 213 sqq., II, p. 1 sqq. — Jevons, Introduction to the History of Religion. — Grant Allen, The Evolution of the Idea of God, chap. x sqq. — Liebrecht, Der aufgefressene Gott, in Zur Volkskunde, p. 436, 439. — Goblet d’Alviella, Les rites de la moisson, in Rev. Hist. des Relig., 1898, II, p. 1 sqq.Rob. Smith, Sacrifice in Encyclopædia Britannica ; Religion of Semites, p. 414 sqq. — Vogt, Cong. Inter. d’Archéol. préhist., Bologne, 1874, p. 428. Nous ne soutenons pas que tout sacrifice du dieu soit d’origine agraire.
  434. Nous réservons évidemment le cas des animaux totems.
  435. Voir dans Mannhardt, Korndämonen, Berl., 1888 ; W. F. K. et Mythol. Forsch. et dans Frazer, Gold. B., t. II, les innombrables faits cités : la victime, le génie du champ, la dernière gerbe portent le même nom. Nous suivons ici leur exposé.
  436. Il arrive même qu’on y place, sacrifice bien élémentaire, des victuailles, etc. Mannhardt, W. F. K., I, p. 215.
  437. Mannhardt, W. F. K., I, p. 350, 363. — Frazer, Gold. B., I, 381 sqq. : II, p. 21, 183 sqq.Porph., D. Abst., II, 27.
  438. Cf. Frazer, Gold. B., p. 360.
  439. Arnob., Adv. nat., V, 5 sqq. (Mythe d’Agdistis qui obtient de Zeus que le cadavre d’Attis ne se corrompe pas). — Julien, Or., V, p. 180.
  440. Phil. Byblos, éd. Orelli, 44.
  441. Roscher, Lexikon, art. Ikarios.
  442. Chavero, Mexico, etc., p. 365.
  443. Cod. Ramirez. Relación del origen de los Indios, éd. Vigil, p. 28. — Sahagun, Historia de las cosas de N. España, II, 11 et 30.
  444. Bancroft, Native Races of the Pacific States, I, 319 sqq. ; Cf. Frazer, Gold. B., II, p. 224.
  445. Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, 6. — Rohde, Psyche, II, p. 166. — Frazer, Pausanias, t. V, p. 143.
  446. Phil. Bybl. (éd. Orelli), 34. — Cf., peut-être, Bull. Cor. Hell. 1896, p. 303 sqq. Inscript. de El-Bardj : ἀποθεωθέντος ἐν τῷ λέβητι.
  447. Mannhardt, W. F. K., II, p. 325.
  448. En Lusace l’esprit qui vivait dans les blés était appelé le mort. Frazer, Gold. B., I, 265 sqq. Cf. Mannhardt, W. F. K., I, p. 420. Ailleurs on figurait la naissance du génie en donnant à la dernière gerbe, aux premiers grains, la forme d’un enfant ou d’un petit animal (le corn-baby des auteurs anglais) : le dieu naissait du sacrifice agraire. Voir Mannhardt, Mythol. Forsch., p. 62 sqq. — Frazer, Gold. B., I, p. 344 ; II, p. 23 sqq. (Naissance des dieux : de Zeus sur l’Ida). Gruppe, Griech. Myth., p. 248. — Lydus, De Mens., IV, 48. — Voir Pausan., VIII, 26, 4, pour la naissance d’Athéna à Aliphera et le culte de Zeus Λεχεάτης (en couche). — Soma est de même fort souvent appelé un jeune dieu, le plus jeune des dieux (comme Agni), Bergaigne, Rel. Véd., I, p. 244.
  449. Théopompe, fr. 171 (F. H. G., I, p. 307). — Pausan., III, 13, 4. Oinomaos dans Eusèbe, Praep. Ev., V, 20, 3, p. 219. — Cf. Usener, Rh. Mus., LIII, 359 sqq. — Cf. pour une légende du même genre id. ; Rh. Mus., LIII, p. 365 sqq.
  450. Voir Hesych., s. v.
  451. Paus., III, 13, 3, sqq.
  452. Doctr., chap. ii ; cf. Bergaigne, Rel. Véd., I, p. 101 sqq.
  453. Voir Usener, Stoff d. Griech. Epos, II ; Göttliche Synon., v. C. R., Année sociologique, II, p. 251 sqq.
  454. Les épisodes mythiques sont généralement solidaires des cérémonies rituelles, p. 251, sq. Cyprien raconte qu’il avait été, dans sa jeunesse, figurant de la δράκοντος δραματοθργία, à Antioche (Confessio SS. Cypriani, in AA. SS., sept. 26, t. VII, p. 205). Sur la figuration du combat d’Apollon contre Python à Delphes, voir Frazer, Pausanias, III, p. 52, t. V, p. 244.
  455. Cyrille, Adv. Julian., X, p. 342, D. — Diodore, VI, 5, 3.
  456. Mannhardt, W. F. K., II, p. 433, cf. p. 149.
  457. Clermont-Ganneau, La stèle de Byblos in Bibl. Éc. Hautes Études, 44, p. 28. — Eerdmans, Der Ursprung der Ceremonien des Hosein Festes, Zeitschr. f. Assyrologie, 1894, p. 280 sqq.
  458. Harper, Die Babylonischen Legenden von Elana, Zu, Adapa (Delitzsch, Beitr. z. Assyr., II, 2, l. 22). — Cf. Stucken, Astralmythen, II, Lot, p. 89.
  459. Jeremias, Die Höllenfahrt der Ishtar, cf. La purification du cadavre dans le rituel védique, p. 59, n. 2).
  460. Plut., De Iside et Osiride, § 13 sqq.Gold. B., I, p. 301 sqq. — Firmicus Maternus, De Err. profun. Relig., 27, ensevelissement d’Osiris dans les mystères Isiaques.
  461. Paus., II, 32, 2.
  462. Fournier, Vieilles coutumes des Vosges, p. 70.
  463. Clém. Rom., Recognitiones, X, 24. Cf. Hérod., VII, 167. — Movers, Phönizier, I, p. 153, 135, 394 sqq. — Pietschmann, Gesch. d. Phönizier. — Rob. Smith, Rel. Sem., p. 373, n. 2.
  464. O. Müller, Rhein. Mus., 1829, p. 22-39, Sandon und Sardanapal.
  465. Usener, Götternamen, p. 239 sqq.
  466. Voir plus haut, p. 106.
  467. Plut., Qu. Graec., 12.
  468. Paus., IX, 34, 2.
  469. Et pourtant il y a des cas où les trois personnages divins sont tués tour à tour, ainsi dans le mythe de Busiris et de Lityersès (voy. Mannhardt, Mythol. Forsch., p. 1, sqq.) ; l’étranger est tué par Busiris et Lityersès, ceux-ci sont tués par Hercule, et Hercule se suicidera plus tard.
  470. Halévy, Recherches bibliques, p. 29 sqq. — Jensen, Kosmologie, p. 263-364. — Gunkel, Schöpfung und Chaos. — Delitzsch, Das Babylon. Weltschöpfungsepos, 1896.
  471. Clermont-Ganneau, Horus et Saint-Georges, Rev. Archéol., 1876, II, p. 196, 372 ; 1877, I, p. 33 ; Bibl. Éc. Hautes Ét., t. XLIV, p. 78, 82.
  472. Stengel, op. cit., p. 101 sqq.
  473. Fête de ZAG-MU-KU (rish-shatti, commencement de l’année), voir Hagen, in Beitr. z. Assyr., II, p. 238. — W. A. I., IV, 23, 39 sqq. — Cf. Parmentier, Rev. de philol., 1897, p. 142 sqq.
  474. Clermont-Ganneau, Rev. Archéol., 1876, XXXII, p. 387.
  475. Eusèbe, Chron., éd. Schone, I, p. 14, 18.
  476. Cf. Sidney Hartland, The Legend of Perseus, III pour le mythe du héros endormi et les équivalents. — De même Indra tombe épuisé après sa lutte contre le démon Vṛtra, ou bien s’enfuit, etc. La même légende est racontée de Viṣṇu, etc.
  477. Eudoxos, dans Athénée, IX, 392 E. — Eustathe, Il., 1702, 50.
  478. Hygin, fab. 80.
  479. Cf. Usener, Stoff d. Griech. Epos.
  480. K. 2801, 1 (Beitr. z. Assyr., III, p. 228 ; ib., II, p. 258, 259). — K. 2585. — Šamaš juge des Anunnakis. — K.  606, Etana meurtrier des Anunnakis.
  481. Cf. Talm. Bab., Chillin., fol. 91 T. — Haarbrücker, Schahrastani, Religionsparteien und Philosophenschulen, Halle, 1851, p. 5 sqq.
  482. Parthey, Pap Berl., i, v, 321 sqq.
  483. Martianus Capella, De nuptiis Philologiæ et Mercurii, II, 85.
  484. W. A. I., IV, 21, 1 c.
  485. id., 14, 2, Rev. 9 : Gibil, mar apsi (fils de l’abîme).
  486. id., 22, 1, obv. 30.
  487. Cf. Usener, Stoff, etc., II : Thersite = Pharmakos accusé par Achille d’avoir dérobé les coupes d’Apollon et mis à mort ; et d’autre part Thersite = Theritas = Apollon.
  488. Stucken, Astralmythen, II, Lot.
  489. Oineus et les fils d’Agrios. Usener, Gött. Syn. (Rh. Mus., LIII, p. 375).
  490. Tümpel, Der Karabos des Perseus in Philologus, Neue Folge, VII, p. 544. — Cf. Stucken, Astralmythen, I, Abraham, 233 sqq.
  491. Porphyre, Antr. Nymph., 24. — Darmesteter, Ormuzd et Ahriman, p. 327 sqq. — Il va sans dire que les explications symboliques (ex. : Gruppe, Griech. Cult. und Myth., p. 133 sqq. ; Frazer, Gold. B., I, p. 408) ne sauraient convenir. Le symbole n’est qu’une explication après coup et du mythe et du rite. En effet, ces légendes sont si naturellement sacrificielles qu’elles peuvent être remplacées par des épisodes où le dieu offre lui-même un sacrifice. Ex. : légende de Persée (Pausan. de Damas, frg. 4) : Persée offre un sacrifice pour faire cesser une inondation (légende d’introduction probablement récente dans le cycle) ; légende d’Aristée (Diod., IV, 81-82) : Aristée sacrifie pour faire cesser une peste (autre légende, Virg., Géorg., IV, 548 sqq. Cf. Maas, Orpheus, p. 278-297 ; Gruppe, Gr. Myth., p. 249, n. 2 ; Porphyre, Antr. Nymph., c. XVIII). Cf. lion de Samson (Juges, XIV, 8). Sur le sacrifice mithriaque, voir Cumont, Textes et Monum. rel. au culte de Mithra, passim ; Darmesteter, Ormuzd et Ahriman, p. 150, p. 256 ; sur les dieux sacrifiants, dans l’Inde védique, équivalents aux dieux lutteurs, ou luttant à l’aide du sacrifice, voir S. Lévi, Doctr., II.
  492. Mannhardt, W. F. K., I, p. 316.
  493. Adv. Julianum, IV, p. 128 D.
  494. Parmentier, Rev. de Phil., 1897, p. 143 sqq.
  495. Exemple : Ath. Mitth., XXII, 38 (Pessinonte).
  496. Torquemada, Monarquia Indiana, VI, 88, (Kinsborough, VI, note p. 414). — Cortez, 3e  lettre à Charles-Quint (Kinsborough, VIII, note, p. 228).
  497. Cf. Mannhardt, W. F. K., I, p. 358 sq. ; 572 sqq.
  498. Proclus, Hymne à Athena dans Lobeck, Aglaophamus, p. 561 ; Abel, Orphica, p. 235.
  499. Voir plus haut, p. 108 (Karneia) ; voir plus bas, p. 118. Cf. Usener, Göttliche Synonyme in Rhein. Mus., LIII, p. 371.
  500. Voir plus haut, p. 102, n. 3.
  501. Ainsi Héraclès institue le culte d’Athena Αἰγοφάγος après son combat contre Hippocoon (Paus., I, 15, 9) ; — après avoir jeté des bœufs de Géryon dans la source Kyane, il ordonne le renouvellement de son acte (Diod., V, 4, 1, 2).
  502. Roscher, Lexikon, I, 1059. — Frazer, Gold. B., p. 328 ; cf. Héra Αἰγοφάγος (Paus., III, 5, 9).
  503. Frazer, Gold. B., II, p. 38 sqq. — Cf. Seidel, Fetischverbote in Togo, Globus, 1898, p. 355.
  504. Frazer, ib., II, p. 62. — Cf. Diod., V, 68. — Cf. le principe, Servius ad Æn., III, 48 : Victimæ numinibus aut per similitudinem aut per contrarietatem immolabantur.
  505. On trouvera une bibliographie de ce qui concerne Soma dans Macdonnell, Vedic Mythology (Grundriss d. Ind. Ar. Philologie), p. 418. — Voir surtout Bergaigne, Rel. Véd., I, 148, 125 ; II, 296, 366, etc. — Hillebrandt, Ved. Mythologie, I (exposé succinct du rite lui-même, p. 146 sqq.) — Sur Soma dans les Brâhmaṇas, voir S. Lévi, Doctrine, p. 169. — Le soma, plante annuelle, sacrifiée au printemps, cf. plus haut, p. 19, n. 1, nous semble avoir surtout servi originairement à un rite agraire (v. Bergaigne, Rel. Véd., III, p. 8 et 9, n. 1) ; il est le « roi des plantes » dès le Ṛg veda, et l’Inde brahmanique a plutôt développé ce thème : v. Hillebrandt, Ved. Myth., p. 390. — Une étude complète du sacrifice du soma n’est pas faite encore, on comprend dès lors que nous n’ayons tenté de rien appuyer par des textes, la matière étant ici infinie. — Quant aux interprétations naturalistes du mythe de Soma, nous ne pouvons les discuter toutes, nous les admettons d’ailleurs toutes, ne les trouvant nullement inconciliables.
  506. Lévi, Doctr., p. 162. Bergaigne, Rel. Véd., II, 84, 85 ; 63 n. 1, etc. — Hillebrandt, Ved. Myth., Viçvarûpa, p. 531, etc.
  507. Voir Sylvain Lévi, Doctrine, chap. i et Préface.
  508. Bergaigne, Rel. Véd., I, I, p. 876. Voir la remarquable discussion de M. Ludwig, Rig Veda, III, p. 308.
  509. Stucken, Astralmythen, II, p. 97. Talm. B., Gem. à Taanith, 4, 2. Le monde repose sur le sacrifice célébré dans le temple.
  510. Schöpfung und Chaos in Urzeit und Endzeit.
  511. Voir Vogt, Congrès international d’anthropologie et d’​archéologie préhistorique, Bologne, 1871, p. 325. Cf. Lusaulx, Die Sühnopfer der Griechen, etc. 1841.
  512. Callaway, Religious system of the Amazulu, p. 59 ; cf. p. 92.