Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juin 1833/03

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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juin 1833
DES COQUATRIS[1] ET DES COQUATRES.

Le mot de coquatris ou cocatrix, qui s’est conservé jusqu’à nos jours dans le nom d’une petite rue de la Cité, située entre la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs et la rue des Cannettes, désignait autrefois un reptile malfaisant et d’origine diabolique dont les gens donnaient des signalemens très divers (ce qui n’avait rien d’étonnant, puisque personne ne l’avait vu), et que les uns représentaient comme un basilic ou serpent couronné qui tuait de son regard, tandis que les autres lui donnaient une figure approchante de celle du crocodile. Partant de cette dernière opinion, Hayton, prince arménien, qui devint fondateur d’un couvent de prémontrés dans la ville de Poitiers, soutient dans son livre des Tartares, écrit en 1307, que le mot de cocatriz n’est qu’une corruption du mot crocodile ou cocodrille, comme disait alors le peuple. Hayton se trompe ; le mot de cocatrix vient de celui de coquâtre par lequel, encore aujourd’hui, on prétend désigner un chapon chez lequel l’opération n’aurait réussi qu’à demi. Le cocatrix était le serpent, le basilic né de l’œuf pondu par un coquâtre ou par un coq.

Si un coq pondait un œuf, il était manifeste, d’après les idées du temps, que ce ne pouvait être que l’effet de quelque sortilége ou même de l’opération immédiate du démon. Or, d’un pareil produit, il ne pouvait naître qu’un animal éminemment malfaisant ; les philosophes n’avaient pas sur ce point une autre opinion que les ignorans. Cependant l’époque vint où les savans ne voulurent plus reconnaître un pareil pouvoir aux diables ni aux sorciers, et comme dès-lors le fait si long-temps admis ne trouvait plus son explication, ils prirent le parti de le nier tout plat. Ils soutinrent en conséquence que les petits œufs souvent dépourvus de jaune qu’on donnait pour des œufs de coqs étaient réellement des œufs de très jeunes poulettes, et ils ne tinrent aucun compte du témoignage de plusieurs ménagères, qui assuraient avoir vu pondre ces œufs par des coqs ou du moins par des animaux qui y ressemblaient de tout point.

En 1710, Lapeyronie lut à l’Académie des sciences un mémoire fort curieux sur ce sujet. « Un fermier, dit ce célèbre chirurgien, m’apporta plusieurs œufs un peu plus gros que ceux de pigeon, disant qu’ils avaient été pondus par un jeune coq, qui était le seul de sa basse cour dans laquelle il y avait aussi quelques poules. Il doutait si peu de ce fait, qu’il m’assura positivement que si je faisais éclore quelqu’un de ces œufs, il naîtrait de chacun d’eux un serpent ; et pour me persuader ce qu’il avançait, il me dit que je n’avais qu’à ouvrir un de ces œufs, que je le trouverais sans jaune, et qu’à défaut du jaune, j’y verrais en petit, mais fort distinctement, la figure d’un serpent.

« Je fis l’ouverture de l’un de ces œufs en présence de M. Bon, président de la chambre des comptes, associé honoraire, et de plusieurs autres personnes. Nous fûmes tous également surpris de voir cet œuf sans jaune, et de voir, à défaut du jaune, un corps qui ressemblait assez bien à un petit serpent entortillé. Je le développai sans peine après en avoir raffermi la substance dans l’esprit de vin. J’en ouvris ensuite quelques autres que je trouvai en gros semblables au premier ; toute la différence qui s’y trouvait, c’est que le prétendu serpent n’était pas dans tous également bien représenté.»

Lapeyronie soupçonnant que le coq, accusé d’avoir ainsi pondu des œufs, pouvait présenter quelque cas d’hermaphrodisme, se le fit apporter ; mais, l’ayant disséqué, il ne trouva dans son organisation rien qui pût justifier cette conjecture.

« Le fermier, poursuit notre anatomiste, n’ayant plus de coq, fut bien surpris de continuer à trouver des œufs semblables à ceux qu’il m’avait apportés ; il fut attentif à découvrir d’où ils venaient ; guéri de son erreur, il voulut en connaître la cause, et s’assura qu’ils étaient pondus par une poule qu’il m’apporta.

« J’aperçus, pendant tout le temps que je la gardai, qu’elle chantait à peu près comme un coq enroué, mais qu’elle chantait avec beaucoup de violence ; qu’elle rendait par le cloaque des matières jaunes délayées, qui ressemblaient à du jaune d’œuf détrempé dans de l’eau, et qu’elle pondait de petits œufs semblables à ceux que j’avais ouverts. »

Lapeyronie, en ouvrant l’animal, trouva dans son abdomen une vessie de la grosseur du poing pleine d’une eau fort claire, laquelle, pressant en deux points sur l’oviducte, produisait l’écrasement de l’œuf descendant de l’ovaire, et amenait l’écoulement du jaune et d’une partie du blanc ; l’œuf ainsi diminué reprenait sa forme et se revêtait de la coque dans la région ordinaire. En examinant l’intérieur de l’œuf, il était aisé de reconnaître les traces de la rupture. Le petit corps tortillé qui figurait le serpent était le reste des deux chalazes qui se trouvaient repliées sur elles-mêmes en raison de la diminution du volume produite par l’écoulement du jaune.

La production d’œufs sans jaune ne dépend pas toujours d’une altération maladive, comme celle dont nous venons de parler. Harvé pense que lorsqu’il arrive que tous les œufs qui formaient une grappe dans l’ovaire s’en sont successivement détachés, la sécrétion du blanc n’est pas pour cela arrêtée tout à coup, mais que cette humeur visqueuse peut se réunir en un globule, qui prend ensuite une enveloppe calcaire comme dans le cas normal. Cela arriverait donc aux poules épuisées par un grand nombre de pontes, et c’est ce que paraissent avoir remarqué en certaines parties de l’Italie les gens qui s’occupent des basses-cours, puisqu’ils donnent à ces œufs le nom de centinina, voulant indiquer par là que cet œuf est le centième pondu par la poule.

Comme on peut concevoir sans grande difficulté que des corps étrangers introduits par le cloaque pénètrent jusqu’au lieu où l’œuf se revêt de son enveloppe dure, on ne sera point étonné d’apprendre qu’on ait trouvé différens corps dans l’intérieur de certains œufs, et sans que la coquille portât la trace d’aucune fracture. Les exemples en effet en sont assez nombreux, et plusieurs ne permettent pas le plus léger doute sur leur authenticité. Ainsi en 1691, Dodard fit voir à l’Académie un crin de cheval de la longueur d’un pied, et qui avait été trouvé dans le jaune d’un œuf de poule. Perrault présenta de même à l’Académie un œuf dans lequel on avait trouvé une épingle enfermée, sans qu’on pût découvrir le moindre vestige de l’endroit par où elle était entrée. Cette épingle était couverte d’une croûte blanchâtre et épaisse d’un tiers de ligne. Sous la croûte, l’épingle était noire et un peu rouillée.

Le docteur Santa-Sofia rapporte qu’une femme de la duchesse douairière de Parme, ayant cassé un œuf, y trouva, dans le blanc, un petit serpent vivant, dont la tête était fort aplatie. Il était aussi long que le doigt index et gros comme la queue d’une cerise. Il mourut le jour suivant. L’œuf avait été pondu la veille du jour où il fut cassé, par une poule élevée avec plusieurs autres dans un endroit hors la ville.

Tout porte à croire que le prétendu serpent que le docteur Santa-Sofia dit avoir vu se mouvoir à la manière des autres reptiles n’était qu’un de ces vers si communs chez certains oiseaux, et qui ne se trouvent pas seulement dans la cavité du canal intestinal, mais encore dans l’intérieur de différens organes.

Les faits que nous venons de rapporter rendent bien raison de l’origine des œufs sans jaune, et le dernier peut faire concevoir comment on a été conduit à penser que de ces œufs naissaient des serpens ; mais qu’est-ce qui a pu faire croire qu’ils étaient pondus par des coqs ? c’est ce que nous ne voyons pas encore. Les femmes qui assurent avoir vu pondre des coqs ont-elles été induites en erreur par les mêmes causes que le paysan dont parle Lapeyronie ? Cela a pu arriver quelquefois sans doute ; cependant remarquons bien que cet homme ne s’est mépris sur l’origine de ces œufs, que parce qu’il était déjà persuadé d’avance qu’un coq pouvait pondre. La difficulté n’est donc que reculée, et il faut chercher d’où a pu naître d’abord une si étrange opinion. Un passage d’Aristote aurait pu déjà mettre sur la voie, quand même nous n’aurions pas d’observations plus précises. Cet illustre naturaliste, après avoir raconté comment, dans certaines circonstances, les dauphins viennent s’échouer sur le rivage, et dit qu’on ne savait pas ce qui les y poussait, ajoute ce qui suit : « Mais s’il est vrai que les actions des animaux sont toujours le résultat de certains penchans, de certaines affections, il faut reconnaître également que ces actions à leur tour peuvent devenir en bien des cas causes de modifications marquées dans quelques parties de l’organisation. Ainsi une poule qui a vaincu un coq prend son chant et se comporte en mâle à l’égard des autres poules : sa crête et sa queue s’élèvent à la manière de celle des coqs, au point qu’il est difficile de la reconnaître pour femelle. Quelquefois même il lui pousse de petits ergots. »

Nous reviendrons bientôt sur ce passage, qui contient plus d’un fait important ; mais, pour le moment, nous nous contenterons de faire remarquer que dans l’observation de Lapeyronie, les œufs qui contenaient les prétendus serpens étaient pondus par une poule, qui déjà, comme les poules dont parle Aristote, rappelait par son chant celui du coq, et qui peut-être plus tard, si le scalpel n’eût abrégé sa vie, eût subi complètement la transformation, et pris le plumage des mâles.

Le docteur Butter de Plymouth a prouvé en effet, d’une manière convaincante, que la poule, dans un âge avancé, a une tendance manifeste à prendre le plumage et tout l’extérieur du coq. Parmi les faits qu’il apporte en preuve, nous citerons le suivant.

Un habitant de Compton près de Plymouth, M. Corham, a possédé long-temps une excellente race de coqs de combat, dont les mâles étaient d’un beau rouge foncé, et les femelles d’un brun obscur. Une de ces poules, dont les fils s’étaient fait dans le cockpit[2] une réputation prodigieuse, fut conservée avec un soin tout particulier, et parvint ainsi à un âge avancé. Cependant, quand elle eut atteint quinze années, on remarqua, après la mue, qu’elle avait pris à la queue quelques plumes arquées semblables à celles des coqs de sa race, tandis que les autres plumes étaient restées brunes et droites. Dans la mue suivante, elle perdit tout le brun qu’elle avait dans son plumage, prit entièrement la belle robe rouge des mâles de sa famille, de sorte qu’il eût été impossible à toute personne non prévenue de ne pas la prendre pour un coq. La transformation dans une seule saison fut complète, car il lui poussa en même temps des éperons aux jambes, et une crête et des babines comme aux mâles. Depuis cette métamorphose, elle ne pondit plus jamais. Elle ne jouit pas d’ailleurs long-temps de sa nouvelle et brillante parure ; elle mourut avant la fin de l’année.

M. Butter a vu plus tard la même métamorphose s’opérer sur des individus qu’il avait élevés lui-même. Deux poules de race commune et excellentes pondeuses, qu’il avait pour cette raison conservées fort long-temps, furent mises en expérience, et prirent toutes les deux le plumage des mâles, l’une à l’âge de treize et l’autre à celui de quinze ans. « Lorsque cette métamorphose s’opéra, j’étais, dit-il, resté cinq mois sans aller à Bowden où je les faisais garder. Quand j’entrai dans le lieu où elles étaient, je demandai à la fille de basse-cour d’où venaient les deux jeunes coqs que je voyais devant moi, et je ne fus pas peu surpris, tout prévenu que j’eusse dû être, d’apprendre que c’étaient mes vieilles poules qui avaient pris aussi le plumage et le chant des mâles. »

Ce n’est pas chez les poules seulement qu’on voit survenir l’étrange métamorphose dont nous venons de citer des exemples ; on l’observe chez d’autres gallinacés, et notamment chez les faisans. Les chasseurs désignent par le nom de faisans-coquards des individus dont le plumage ressemble à celui des mâles, quoiqu’un peu plus terne, et qu’ils considèrent en effet comme des mâles malades ; cependant on s’est assuré depuis un demi-siècle environ que ces faisans-coquards sont des femelles : c’est ce que l’inspection anatomique prouva à Mauduit, qui en disséqua un vers 1770, et à Vicq d’Azyr, qui peu après en disséqua aussi plusieurs. Mauduit a consigné ce fait dans la partie ornithologique de l’Encyclopédie méthodique. Il ajoute qu’un inspecteur des chasses de la forêt de Saint-Germain avait aussi reconnu que les vieilles poules faisanes qui ne pondent plus ou ne pondent que très peu, prennent un plumage approchant de celui du mâle. « Cela a pu, dit-il en terminant, échapper à l’observation dans les faisanderies, parce qu’on n’y conserve que de jeunes femelles ; mais depuis on l’a vérifié par rapport à la femelle du faisan doré de la Chine, parce que l’on conserve ces animaux rares tout le temps de leur vie. »

M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a suivi à la ménagerie du Muséum cette transformation dans ses diverses périodes chez des femelles de faisan doré de la Chine, de faisan argenté et de faisan commun.

Chez une femelle de la dernière espèce, la ponte avait cessé à l’âge de cinq ans, et le changement de plumage commença dès-lors à devenir apparent. Il se manifesta d’abord sur le ventre qui prit une teinte plus jaune, et sur le col qui se colora plus vivement. Bientôt tout le corps eut changé de couleur. L’année suivante, les teintes de ses plumes prirent encore beaucoup plus de l’éclat et de la vivacité de celles du mâle. La troisième année, cet éclat augmenta encore, et à tel point qu’il était presque impossible de ne pas se méprendre sur son sexe d’après la seule inspection des couleurs, surtout si on ne voyait pas, en même temps, près d’elle un mâle véritable. La ressemblance n’était pas encore complète, mais tout faisait présumer qu’elle serait telle la quatrième année, et la faisane semblait devoir vivre bien au-delà de ce terme, lorsqu’un accident la fit périr. On avait remarqué que depuis son changement de plumage elle était devenue pour les mâles un objet fort indifférent ; elle-même, depuis la même époque, ne les cherchait ni ne les évitait plus, et semblait au contraire avoir des attentions particulières pour les jeunes femelles.

Chez une femelle de faisan argenté, qui avait été élevée dans la maison de campagne d’un ami de M. Geoffroy, puis donnée au Muséum dans sa vieillesse, le changement ne commença à se manifester que vers l’âge de huit ou dix ans, et trois ans au moins après qu’elle avait cessé de pondre, tandis que, chez l’autre, l’époque de la cessation des pontes avait coïncidé avec celle du commencement de la transformation. Le changement fut progressif trois années durant ; il était complet à la fin de la quatrième, de sorte que, non-seulement par la vivacité des couleurs, mais encore par la longueur de la crête et de la queue, cette vieille poule représentait un mâle orné de la plus brillante parure.

Le mâle vivait encore à l’époque où le changement avait commencé à paraître chez cette faisane, et cela ne paraissait pas l’avoir rendu indifférent pour elle, peut-être parce que c’était son unique compagne ; celle-ci au contraire le fuyait et paraissait quelquefois importunée de sa présence.

La femelle du faisan à collier avait été, comme la précédente, élevée près de Paris, chez un particulier ; elle fut de même donnée au Muséum dans sa vieillesse. Les renseignemens fournis par le donateur apprirent qu’elle avait plusieurs fois pondu chez lui. Néanmoins, comme le changement de plumage se trouvait déjà fort avancé, et qu’elle présentait dès-lors plutôt les caractères extérieurs d’un mâle que ceux d’une femelle, on crut devoir, lors de sa mort arrivée peu de temps après, constater par l’examen anatomique son véritable sexe. Cet examen leva tous les doutes qu’on pouvait avoir.

Quoique la robe rappelât beaucoup celle du mâle, cependant on y remarquait encore d’assez notables différences : ainsi les couvertures supérieures de la queue et des ailes étaient rousses comme le reste du corps, le collier était moins marqué et le ventre beaucoup moins noir que chez le mâle, de sorte que sous le rapport des couleurs cette femelle tenait moins du mâle que les deux précédentes, surtout la seconde ; mais elle offrait de plus qu’elles un attribut bien masculin, un ergot à chaque patte.

Nous avons donc déjà dans le seul genre phasianus, qui comprend aussi notre coq commun, quatre espèces chez lesquelles la transformation singulière dont nous venons de parler se montre très fréquemment. L’analogie pourrait porter à croire qu’elle n’est pas moins commune dans les autres genres de la famille des gallinacés, surtout dans ceux qui sont le plus voisins du genre phasianus ; mais les faits ne confirment pas cette conjecture. Chez les paons, par exemple, la transformation est infiniment plus rare que chez les coqs et les faisans proprement dits ; on ne l’a même jamais observée au Muséum chez les paonnes, quoiqu’on les y laisse presque toujours mourir de vieillesse. M. I. Geoffroy ne paraît pas non plus en connaître d’exemples relativement aux femelles des dindons. Cependant il en existe pour ces deux espèces et même pour d’autres bien plus éloignées du genre phasianus. Latham dit positivement que les paonnes qui ont cessé de pondre prennent quelquefois le plumage du mâle, et Hunter fait une observation à peu près semblable ; enfin une femelle ainsi métamorphosée existe dans le muséum du collège d’Édimbourg, à qui elle a été donnée, depuis peu de temps, par lord Glenlee.

La transformation de la dinde est attestée par Bechstein, celle de la perdrix, par Montagu, celle de la femelle du pigeon domestique, par Tiedemann. Le même observateur la signale aussi chez une espèce qui, quoique placée parmi les échassiers, offre avec les gallinacés plusieurs traits de ressemblance, chez l’outarde ; il en cite également un exemple pour les palmipèdes dans l’espèce du canard domestique, et Casteby dans celle du pélican d’Amérique.

Pour les passereaux, je prendrai mes exemples dans le mémoire déjà cité de M. Isidore Geoffroy. « J’ai, dit-il, appris de M. Dufresne, chef du laboratoire de zoologie du Muséum, que les femelles de cotingas deviennent, dans la vieillesse, semblables à leurs mâles. M. Florent Prévost a vu le changement de plumage commencé chez plusieurs femelles de pinsons ; et la même observation a été faite aussi à l’égard de la femelle du rouge-queue et de celle de notre étourneau. »

Nous n’avons point de cas semblables à citer pour les deux derniers ordres d’oiseaux, les rapaces et les grimpeurs, mais peut-être en découvrira-t-on plus tard. Remarquons d’ailleurs que les deux familles qui ont été le mieux étudiées, parce que ce sont celles dont l’homme a tenu un grand nombre d’individus en servitude, sont précisément celles dans lesquelles on devait le moins s’attendre à trouver le phénomène. Chez les perroquets en effet, il n’y a, pour ainsi dire, pas de différence de plumage entre les mâles et les femelles, et chez les faucons, outre que la robe ne prend jamais ces couleurs brillantes qui dans d’autres oiseaux indiquent l’âge ou seulement la saison des amours, la femelle, par une anomalie unique chez les vertébrés, l’emporte sur le mâle par tous les avantages extérieurs.

On a pu voir dans les divers exemples que nous venons de citer que la transformation par laquelle certaines femelles, dans la classe des oiseaux, prennent l’extérieur du mâle, ne se montre que chez celles qui, par l’effet de l’âge ou d’un vice de conformation, sont devenues impropres à la reproduction de l’espèce. Cette condition se trouve déjà tacitement exprimée dans le passage d’Aristote. Certes nous n’admettrons pas avec lui que ce soit la vanité, l’orgueil de la victoire remportée sur un coq qui fasse prendre à la poule un habit plus brillant que ne le comporte sa condition ; mais ce que nous devons demander à un naturaliste ancien, ce ne sont pas des explications qu’on trouvera d’ordinaire plus ingénieuses que solides, ce sont des faits, surtout ceux qui concernent les habitudes et les mœurs des animaux qu’ils ont observés mieux que nous. Or, dans le cas qui nous occupe, le fait indépendant de toute interprétation, c’est le combat de la poule contre le coq, et ce fait est décisif ; car quel est le coq qui ait jamais maltraité une poulette ? quelle est la poule, encore dans l’âge des amours, qui ait fait à un coq mauvaise mine ? La chose est évidente, les poules querelleuses d’Aristote n’étaient que de vieilles poules !

Si, dans certains cas, les femelles des oiseaux prennent en vieillissant l’extérieur du mâle, les mâles dans beaucoup d’espèces ont pendant la jeunesse la livrée des femelles, de sorte qu’à cette époque il est souvent fort difficile de distinguer les sexes ; c’est dans le temps où l’animal est capable de se reproduire et principalement dans la saison des amours, que la distinction est bien prononcée. Cela se voit aussi, quoique d’une manière moins marquée, dans d’autres vertébrés, notamment dans certains mammifères, et la différence porte principalement sur les productions épidermoïques, poils, plumes, ergots, dents et cornes. Ainsi le développement des défenses dans les pachydermes, de la crinière dans le lion, annonce l’époque de la puberté. L’émasculation au contraire retient jusqu’à un certain point ces parties dans les conditions où elles se trouvent dans les femelles. Un soprano ne prend point de barbe ; un cerf soumis jeune à l’opération ne se pare point de cornes. Au contraire, une vieille femme prend quelquefois de la barbe, et des femelles de chevreuil, ainsi que l’a fait connaître Otto dans son anatomie pathologique, ont en vieillissant pris des cornes semblables à celles du mâle. Je dois la communication de ce fait à M. I. Geoffroy, et j’en ai trouvé un semblable dans l’ouvrage de Girault le Gallois (Giraldus cambrensis). Cet écrivain raconte dans son itinerarium Cambriœ, livre 2, chap. ier, que dans le pays de Galles, on tua de son temps une biche dont la tête portait la ramure d’un cerf de douze ans. Cette tête fut envoyée comme objet de curiosité au roi d’Angleterre Henri ii.

La stérilité produit chez les femelles des effets analogues à ceux de l’âge, c’est-à-dire qu’elle donne souvent à leur système épidermoïque quelque chose de celui du mâle, et pour ne parler ici que de l’espèce humaine, j’ai depuis long-temps remarqué la présence de poils au menton chez plus de la moitié des jeunes femmes qui s’affligeaient de n’avoir point d’enfans.


Roulin. D. M.
  1. En espagnol cocatriz, en anglais cockatrice.
  2. Lieu où l’on fait battre les coqs.