Mémoire sur un nouveau genre de liquéfaction ignée qui explique la formation des laves lithoïdes

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Mémoire sur un nouveau genre de liquéfaction ignée qui explique la formation des laves lithoïdes
Nouveau Bulletin des SciencesTome 1 (p. 137-142).
Mémoire sur un nouveau genre de liquéfaction ignée qui explique la formation des laves lithoïdes ; par M. De Drée.

Institut.
28 mars 1808.
Les empreintes visibles de l’action du feu, dit l’auteur de ce Mémoire, ont été longtems les seuls caractères auxquels on distinguoit les produites volcaniques. Aussi ces produits se sont-ils longtems bornés aux obsidiennes, aux scories, aux ponces. Les naturalistes de nos jours ont été les premiers à faire connoître que les masses pierreuses qui débordent les cratères ou qui débouchent par les flancs des montagnes volcaniques en torrens enflammés, se consolidoient ensuite en pierres très-ressemblantes aux roches attribuées à la voie humide. L’examen des matières composant ces courans a donné lieu à deux questions dont la solution est du plus grand intérêt pour la géologie, savoir :

1. Quelle opération a pu liquéfier les matières sentant de bases aux laves et leur conserver en même tems la constitution pierreuse ou lithoïde.

2. Quelle est l’époque où se sont formés les cristaux inclus dans les laves porphyritiques.

L’on a beaucoup disserté sur ces questions. Dolomieu pensoit que les laves lithoïdes étoient le résultat d’une application particulière du calorique qui agissant sur les matières, les mettoit dans un état de ramolissement sans les fondre ni les changer de nature, il pensoit aussi que les cristaux étoient préexistans dans les laves et que la vitrification ne s’opéroit que lorsque les matières ramollies se trouvoient en contact avec l’air dans les foyers supérieurs des volcans.

Un mémoire sur la fusion des laves et des whinstones, par M. Hall, des expériences faites par MM. Dartigues et Watt et des observations de M. Fleuriau de Bellevue, ont fait naître une opinion contraire, celle d’attribuer la formation des laves lithoïdes à la dévitrifîcation, opinion qui feroit passer toutes les laves lithoïdes par la fusion vitreuse pour les ramener à l’état de pierres. Ces mêmes savans attribuoient l’origine des cristaux inclus dans les laves porphyritiques à la même opération.

M. de Drée, obligé de classer la collection des laves qu’il possède et dont il va publier le catalogue, dans les œuvres de Dolomieu, sentit la nécessité de résoudre ces questions et il entreprit en conséquence une suite d’expériences dont le but étoit de rechercher si par une application non immédiate, mais communiquée de la chaleur ; si en empêchant la dissipation d’aucun des principes élémentaires et l’introduction d’aucun agent de décomposition, on pourroit parvenir à faire passer des roches à un état de liquéfaction qui leur permit de reprendre la constitution pierreuse en se consolidant.

M. de Drée a choisi pour ses expériences les roches qui lui paroissoient devoir être la matière première de certaines laves et principalement des porphyres. Ses procédés ont été la fermeture de la matière dans des vaisseaux bien clos et quelquefois la compression. Il a placé dans des étuis de porcelaine ou des creusets de Hesse, le morceau le plus gros possible de la roche, et pour ne pas laisser de vide il a rempli les interstices avec cette même roche réduite en poudre impalpable, pressée le plus fortement possible. Il a recouvert ensuite la matière par une lame de mica (substance qui par son élasticité et sa difficulté a fondre lorsqu’elle est en grande lame convenoit à cet emploi), pour empêcher le mélange avec la poudre de quartz dont il a mis une couche épaisse et très-tassée. Les étuis de porcelaine ont été fermés avec des bouchons lutés à l’aide d’une matière facilement vitrifiable, et disposés ainsi dans l’appareil de compression. Les creusets ont été renfermés dans d’autres creusets aussi avec de la poudre de quartz ; et après avoir clos le tout par un couvercle luté avec de l’argile, ils ont été ficellés avec du fil-de-fer. Des pyromètres de Wegdvood ont été placés dans l’intérieur des étuis ou des creusets à côté de la matière.

Quant aux appareils de compression, ils ont été changés plusieurs fois et l’auteur ne donne aucun détail à cet égard.

Ces expériences lui ont donné des produits qu’il divise en quatre séries.

On remarque dans ceux de la première, que la poudre de porphyre, sans changer de nature, s’est consolidée à l’état de pierre, que les morceaux ont été liquéfiés et ramollis au point de couler et de se reconsolider de même sous la constitution pierreuse, semblable à celle des laves lilhoïdes, sans que les cristaux de feld-spath du porphyre employé aient été dénaturés, ni déformés.

Deux de ces produits sont très-remarquables, parce qu’à la suite de la liquéfaction, il y a eu dans la partie formée par la poudre, un rapprochement de molécules qui a produit les rudimens de cristallisation. L’auteur fait voir qu’aucun des produits de cette série n’a passé par la fusion vitreuse.

Dans les produits de la 2me. série on observe que la poudre a été liquéfiée, mais que les morceaux n’ont point été ramollis et que l’un et l’autre ont pris l’aspect de la pâte de la porcelaine ; ce qui annonce que ces produits avoient éprouvé un commencement de fusion vitreuse.

Ceux de la 3me. série se distinguent en ce que toute la pâte des porphyres a passé à la fusion vitreuse complète, sans que les cristaux de feld-spath aient perdu leur forme et leur contexture lamelleuse.

Enfin les produits de la 4me. série sont des obsidiennes homogènes, mais il a fallu une haute température pour conduire à la dissolution vitreuse, les cristaux de feld-spath.

De ces résultats, M. de Drée conclut : que,

1°. Les roches ou pierres, par une application particulière de la chaleur et dans certaines circonstances, peuvent être conduites à un état de liquéfaction ignée telle qu’elles peuvent couler, sans que pour cela elles perdent presqu’aucun de leurs principes constituans, sans que les substances composantes se dissolvent comme par la fusion vitreuse et sans qu’il y ait même aucun changement notable dans la constitution de la roche à tel point que cette matière liquéfiée donne en se reconsolidant, une pierre semblable à une lave lithoïde où l’on retrouve dans le même état et dans les mêmes dispositions les substances composantes de la roche.

2°. Le principe général pour parvenir à cette liquéfaction ignée, est de s’opposer au dégagement des substances expansives, d’empêcher l’accès d’aucune substance étrangère et d’écarter la matière de toute application immédiate du feu.

Dans cette opération l’action du calorique opère seulement le ramollissement de la matière en détruisant pour le moment la cohésion fixe des molécules, mais elle n’entraîne pas la désorganisation des substances comme dans la fusion vitreuse.

L’auteur nomme ce genre de fluidité liquéfaction ignée, pour le distinguer de la fusion vitreuse qui conduit les matières minérales pierreuses à l’état de verre ; et il désigne même cette dernière fusion par l’épithète vitreuse, pour qu’on ne la confonde point avec la fusion métallique qui a un résultat tout différent.

3°. Les diverses espèces de roches ou pierres ne demandent pas le même degré de chaleur pour passer à cette liquéfaction ; l’auteur, dans ce moment, ne peut assigner au juste le terme le plus bas, ni le plus élevé ; cependant ce dernier lui paroît devoir être aux environs de 50° du pyromètre de Wedgwood, tandis que le degré le plus bas est au-dessus de la température d’un four à chaux ; car ayant placé deux fois plusieurs essais dans un de ces fours à un feu de 72 à 80 heures, il n’a obtenu aucun ramollissement dans la matière.

Une température au-dessus du terme convenable porte le trouble dans la matière et la détermine vers la fusion vitreuse.

4°. Il ne suffit pas d’arriver au degré convenable de chaleur, il faut encore soutenir longtems cette température et sur-tout la prolonger en raison de la grosseur des morceaux qu’on veut liquéfier, la pénétration des grosses masses doit s’opérer par l’effet du tems et non par l’augmentation d’intensité de la chaleur ; l’on sait que cette pénétration du calorique dans les pierres est extrêmement lente.

5°. La compression n’est pas nécessaire pour les roches qui sont composées d’élémens terreux et qui contiennent peu de substances expansives ; une fermeture exacte, sans aucun vide, et la matière en assez forte masse pour qu’une portion soit comprimée par l’autre, suffisent dans ce cas.

6°. La compression est au contraire nécessaire sur les roches ou pierres qui ont pour élémens constituans des substances que la chaleur met à l’état aériforme.

7°. L’observation a démontré à l’auteur que la poudre des roches qu’il employoit n’étant pas sèches, éprouvoit dans les creusets un retrait et que ce retrait y formant des vides, donnait par là accès à des substances aériformes, qui disposoit souvent la poudre à la fusion vitreuse ; pour éviter cet inconvénient, il a fait sécher au rouge la poudre de quelques porphyres, et par ce procédé la liquéfaction ignée n’a été que plus assurée, mais il faut remarquer que l’on ne peut l’employer que sur des matières qui n’ont pas pour élémens des substances gazeuses, et que la compression pareroit à tous les inconvéniens de ce genre.

8°. L’addition d’une substance étrangère n’est point nécessaire. M. de Drée a fait plusieurs essais en ajoutant du muriate de soude et du soufre, il n’a pas remarqué que cela dût changer aucune des conditions requises.

9°. Le rapprochement des molécules similaires peut avoir lieu dans certaine matière liquéfiée, et produire des rudimens de cristallisation, lorsque le prolongement de cette fluidité lui laisse le tems de s’opérer.

10°. La liquéfaction ignée et la fusion vitreuse sont deux opérations bien distinctes. — Dans la liquéfaction ignée le calorique détruit momentanément la cohésion fixe des substances sans changer leur nature. — Dans la fusion vitreuse, au contraire, toutes les substances composantes sont dissoutes pour former le verre, matière homogène qui n’a plus de rapport avec la matière première.

La cristallisation, suite de la liquéfaction ignée citée ci-dessus article 9, et la dévitrification, suite de la fusion vitreuse annoncée par MM. Hall, Dartigues et Fleuriau, sont aussi deux opérations différentes, quoique l’une et l’autre le résultat de la prolongation de la fluidité ignée. — En effet, la cristallisation est un simple rapprochement des molécules similaires qui n’ont cessé d’exister dans la matière liquéfiée. — Au lieu que la dévitrification est une nouvelle formation de substances qui s’opère dans le fluide vitreux où toutes les parties sont dissoutes, et ces substances ne sont jamais entièrement semblables à celles qui composoient la matière avant la fusion.

11°. De ce qui précède, dit M. de Drée, on ne peut s’empêcher de conclure par analogie que les laves lithoïdes sont le produit de la liquéfaction ignée. La chaleur obscure, résultat des actions chimiques, qui se communique sans combustion aux matières dans les profondes cavités de la terre, et la compression qu’éprouvent leurs énormes masses, sont les mêmes conditions qu’exige la liquéfaction artificielle qu’il a obtenue.

Il n’écarte point par là cette grande pensée que Dolomieu a mise au jour sur la fluidité pâteuse de l’intérieur du globe ; cette hypothèse si favorable à l’explication de beaucoup de phénomènes géologiques ne pourroit que confirmer et rendre plus facile cette liquéfaction ignée des laves lithoïdes.
12°. Les cristaux de feld-spath indus dans les porphyres ne perdent à la liquéfaction ignée, ni leur forme, ni leurs caractères essentiels.

Ces mêmes cristaux résistent à l’action vitrifiante lors même que la pâte du porphyre a passé à la fusion vitreuse, et cependant cette pâte contient aussi la substance feld-spalhique. Cela confirme ce principe qu’une substance en mélange avec d’autres est plus fusible que lorsqu’elle forme une masse homogène.

Il faut une très-haute température pour que les cristaux de feld-spath se dissolvent dans la pâte vitreuse.

13°. Enfin, des principes établis dans ce dernier article, on doit encore conclure que les cristaux de feld-spath inclus dans les laves porphyritiques, soit lithoïdes, soit vitreuses, ainsi que les cristaux d’autres espèces qu’on y trouve, tels que les amphigènes, les augites, etc., existoient dans la matière avant quelle devint fluide.

Il est cependant, dit l’auteur, une exception à cette règle générale pour certaines laves lithoïdes, car il est de ces laves dont les petits cristaux ont été formés pendant la fluidité ignée, ainsi que cela est expliqué article 9. Quelques caractères particuliers à cette nouvelle formation peuvent servir à les faire reconnoître. Cependant la distinction entre ces deux sortes de cristaux n’est pas toujours facile.

M. de Drée termine son Mémoire en le restreignant aux conclusions ci-dessus, mais en annonçant qu’il donne suite à ses expériences dans l’espoir d’obtenir des résultats importans pour la solution de quelques grands problèmes géologiques.

Il fait voir ensuite que l’opération qui a porté la craie pulvérisée à la contexture du marbre dans les expériences de M. Hall, est une liquéfaction pareille à celle qu’il indique, et non le résultat de la dévitrification, ainsi que M. Hall paroît l’avoir pensé d’après l’opinion qu’il a émise dans son Mémoire sur la fusion des laves.

A. B.