Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre XVI’

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CHAPITRE xvi.


Force et courage. — Une visite.

Que le réveil est pénible, le lendemain du jour où l’on a éprouvé de si douloureuses émotions, et quelle force, quel courage, ne vous faut-il pas pour surmonter tant de malheurs ! Je donnais cette soirée, non seulement dans le but de faire connaître mes ouvrages, mais bien encore, afin de rendre du moins une partie de ce que je devais à cette bonne amie, madame A.., qui venait de faire de nouveaux sacrifices, pour me faciliter cette fâcheuse représentation. Pauvre dame, quelle triste récompense pour votre cœur si noble et si généreux !… le chagrin, qu’elle éprouve dans ce moment-ci, qu’on ne croie pas que ce soit le regret de ne pouvoir rentrer dans les avances qu’elle m’a faites ; une idée l’accable et la poursuit sans cesse. C’est qu’à force de m’avoir tant aidée elle se trouve dans l’impossibilité de continuer sa bonne œuvre, je lui dois tant !… « Oh ! mon Dieu ; daignez arrêter ici, les cruelles épreuves que vous m’avez envoyées, et faites que je puisse montrer et témoigner à mes bienfaiteurs la reconnaissance que je ressens si vivement ! » Quelques jours après cette représentation, je reçus une visite de madame de K…, qui me dit : « Ma chère petite, vous me tourmentez horriblement ; je ne fais que penser à votre position, qu’on m’a dit être affreuse ! Je serais si heureuse de pouvoir vous en sortir ; j’essayerai tant qu’il me sera possible de faire, mais pour cela, ayez confiance en moi, et ne me cachez rien. Quels sont donc vos moyens d’existence.

— Hélas ! Madame, lui répondis-je, je n’en ai pour ainsi dire, aucun. J’ai une pension annuelle de cent vingt francs que M. le baron Taylor a eu la bonté de m’obtenir de sa société, dont je fais partie ; ensuite, il a la bienveillance de demander chaque année un secours de cent francs à S. E. le ministre de la marine (comme fille d’ancien administrateur dans cette partie). Et après, je n’ai plus rien !… – Oh ! ce n’est pas possible s’écria-t-ell, vous ne pouvez vivre avec si peu. – En effet, Madame, je donnais tous les ans un concert, qui me rapportait, à force de peines, à placer des billets, de six à huit cents francs, et en mangeant des croûtes sèches, je parvenais à subsister sans faire de dettes. Voilà deux années que je n’ai point donné de soirées musicales, pensant que des représentations de mes œuvres lyriques me seraient plus fructueuses, et au lieu de cela, comme vous l’avez vu, je suis de tous côtés, menacée des huissiers, et qu’auront-ils à prendre ? puisque je me suis défaite de tout ce que j’ai pu, même de mon piano, pour faire honneur à quelques engagements, et aujourd’hui, je me vois à la veille d’être sans asile, car mon propriétaire ne veut plus me garder. Je vous dirai toute la vérité : par trois fois différentes, n’ayant pas voulu avouer à personne, que je n’avais plus rien chez moi, je suis restée sans manger !… Cependant Dieu ne m’abandonnait pas ; le lendemain, il me venait quelques secours. Mais ce n’est pas vivre, que d’être dans une pareille situation ! – Oh ! non, dit cette bonne dame, les yeux noyés de larmes, votre position n’est pas tenable ! Je ferai tout au monde, pour la faire cesser : on m’a dit, ajouta-t-elle, que vous aviez écrit une partie de vos mémoires artistiques, voudriez-vous me les confier ?. Je les lui remis, et elle prit congé de moi, me disant courage ! et à bientôt !….