Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/Appendices/07

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Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 266-267).

vii
M. HYDE DE NEUVILLE
de la préfecture de police, 18 juin 1832.

Je vous remercie mille fois, Madame ; je reconnais, à votre obligeante lettre adressée à Madame de Neuville, votre bienveillante amitié pour moi, vous savez tout le prix que j’y attache et combien je vous suis dévoué ; quand même, je viens vous demander un service, c’est, quelque traitement qu’on me fasse éprouver, de ne rien demander pour moi à un gouvernement dont je n’accepterais aucune faveur… je ne le crains point, je ne l’aime point et, après ce qui vient de se passer, vous pouvez concevoir aisément tous les sentimens que je lui voue. Il n’a rien contre moi, il le sait ; il sait plus, il sait qu’il ne peut rien avoir contre moi car il n’y a pas une de mes actions qui ne puisse être produite au plus grand jour, mais il a voulu justifier des mesures odieuses, arbitraires, et il s’est empressé de profiter d’une accusation absurde, qui part d’un courtisan du pouvoir ou d’un sot, pour mettre en avant des noms que la France connaît et qu’à juste titre elle estime. C’est à nous maintenant à demander compte de l’accusation. Pour moi, j’étais très éloigné de croire qu’il fut utile de conspirer contre un gouvernement qui sait si bien se suicider et travailler à sa ruine ; je disais à tous, laissez faire et je suivais cette règle avec autant de modération que de patience ; je mettais quelque dignité, après m’être retiré des affaires en homme de cœur, à garder le silence, et à attendre tout, du tems, de la raison publique, de la force des choses,… mais, enfin, on me déclare la guerre ; je l’accepte et j’espère que toute la France sera pour moi. Un ilote est encore bien fort quand il a du sang français dans les veines, du courage et l’amour le plus sincère du pays et de ses libertés, enfin quand il peut publier tous ses actes et afficher tous ses écrits.

Voici la lettre que je reçois à l’instant d’un homme de beaucoup de talent dont les opinions ne sont pas les miennes.

« Votre arrestation m’a causé autant de douleur que de surprise ; je suis moi-même à moitié proscrit, mais, si le ministère et l’assistance d’un homme auquel votre caractère public et privé a inspiré une haute estime, peuvent vous être utiles, disposez de moi. »

Si cette lettre était tombée aux mains de Mr  le procureur général de Rennes, ce serait là un chef grave d’accusation ; un homme du mouvement, écrivant à un légitimiste disposez de moi — à coup sûr j’ai dirigé non seulement les mouvemens de l’ouest mais aussi les républicains de l’église St  Merry — il y a des hommes qui ne conçoivent pas qu’on puisse avoir du cœur et se montrer noble et généreux dans tous les partis.

Adieu, Madame ; je souffre encore beaucoup ; je vais demander au juge d’instruction une maison de santé ou Mme de Neuville pourra me suivre ; je suis, du reste, accablé de soins par Mr Carlier qui a bien voulu me retirer chez lui, et me faire sortir d’un nid de voleurs, mais mon état de faiblesse exige des soins particuliers. Je verrai si M. le juge d’instruction croit ma parole aussi sûre que des verroux. Agréez l’hommage de mon respect et de mon attachement

Hyde de Neuville