Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/VII/Chapitre XII

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Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 132-143).


CHAPITRE XII


Monsieur le Dauphin entre au Conseil. — Exigences de la Congrégation. — Loi sur le sacrilège. — Disposition des princes pour l’armée. — Soirées chez madame la Dauphine. — Madame la duchesse de Berry à Rosny. — Ses habitudes. — Ses goûts. — Sa popularité. — Sacre du Roi à Reims. — Fêtes à Paris.

J’ai lieu de croire que la sagesse des premiers moments était en grande partie due à l’influence de monsieur le Dauphin. Monsieur de Villèle, sachant par expérience le parti qu’on peut tirer de l’héritier de la couronne, comprit sur-le-champ la force qu’acquerrait une opposition raisonnable dont il serait le chef, et voulut la neutraliser.

Feignant une grande admiration pour le jugement si sain de monsieur le Dauphin, il demanda à en illuminer le conseil. Le Prince sentit le piège. Les personnes honorées de sa confiance l’engagèrent à refuser ; mais le Roi commanda : le fils obéit comme il a fait à tous les ordres de son père jusqu’à la perte de la couronne inclusivement. Toutefois, il était bien aise qu’on ne le crût pas solidaire des actes de ce conseil où il consentait à siéger. Il ne blâmait rien de ce qui s’y décidait, mais il affectait de n’y avoir aucune part.

Ainsi, le lendemain d’une mesure importante prise contre son opinion, il disait tout haut, en passant près de la table du conseil et en frappant sur le siège qu’il y occupait : « Voilà un fauteuil où je fais souvent de bons sommes. » Une autre fois, à Saint-Cloud, s’adressant à une foule de courtisans qui l’entouraient : « Messieurs, lequel de vous pourra dire tout de suite, et sans compter, combien il y a de volumes dans ce corps de bibliothèque ? » Plusieurs personnes hasardèrent un chiffre. « C’est Lévis qui a le plus approché, reprit monsieur le Dauphin ; je sais bien le nombre, car je les ai encore tous comptés pendant le dernier conseil. C’est ordinairement ma tâche quand je ne dors pas. »

Ces paroles étaient précieusement recueillies et, pour ce prince si retenu, paraissaient d’une hostilité positive à la marche adoptée par les ministres ; mais ces désaveux n’étaient connus que d’un petit cercle, et la popularité de monsieur le Dauphin souffrit une grande atteinte par son entrée au conseil.

Toutefois, dans cette occurrence, monsieur de Villèle avait marché sur sa longe ; l’opposition de monsieur le Dauphin n’étant plus à redouter, la Congrégation ne mit aucune borne à ses exigences et souvent il lui fallut subir sa loi. Elle disposait de tous les emplois et de tous les grades. Le plus ou moins de messes entendues décidait de l’avancement militaire. Les sentinelles eurent ordre de porter les armes à l’aumônier, et les notes qu’il envoyait sur les officiers étaient bien plus consultées par les ministres de la guerre, Damas et Clermont-Tonnerre, que celles des généraux inspecteurs qui finirent par se soumettre aussi aux exigences jésuitiques.

Charles x, agrégé à la Société et sous sa domination directe, ne se permettait pas une pensée sans la soumettre à sa décision. Elle lui arrivait par divers organes. Les plus habituels étaient l’abbé de Latil, devenu archevêque de Reims, et le marquis de Rivière qui succéda au duc Mathieu de Montmorency comme gouverneur de monsieur le duc de Bordeaux et entra en fonction dès que le petit prince eut atteint sa sixième année.

En attendant mieux, on porta une loi sur le sacrilège. Elle révolta tous les esprits. La façon dont elle fut discutée et amendée à la Chambre des pairs contribua à fonder la popularité de cette assemblée qui s’honorait par sa résistance aux prétentions de la Congrégation et du parti émigré.

Il y eut plusieurs bons discours, parmi lesquels celui de monsieur Pasquier fut remarqué. Il emporta le changement de rédaction qui détruisait toute la cruelle et intempestive sévérité de la pénalité et rendait la loi à peu près nulle. C’est un des nombreux griefs de Charles X contre lui.

Le jour même du rapport sur cette loi, monsieur Portal en faisait un autre sur une loi protectrice du commerce de cabotage. Monsieur le cardinal de Croÿ, grand aumônier, après l’avoir attentivement écouté pendant trois quarts d’heure, se pencha à l’oreille de son voisin :

« Dans quel siècle nous vivons ! Il parle de baraterie, de piraterie ; mais voyez avec quel soin il évite de prononcer seulement le mot de religion et de sacrilège. Voilà ce que c’est de confier de pareils soins à un protestant ; c’est révoltant ! »

On eut grand’peine à faire comprendre à l’Éminence qu’il s’agissait d’une autre loi que celle du sacrilège qu’il était venu pour éclairer de ses lumières apostoliques. Le mot de baraterie l’avait frappé, et il le prenait pour un terme de théologie, protestante apparemment.

Au reste, le cardinal de Croÿ était un digne homme, et, si tous les prêtres du château lui avaient ressemblé, le trône et l’autel, selon la formule adoptée, se seraient mieux trouvés de serviteurs aussi naïfs.

Après la chasse, monsieur le Dauphin n’aimait rien autant que de jouer au soldat. On lui procurait ce délassement d’autant plus volontiers qu’il ne s’occupait guère que du matériel des troupes. Quand il avait fait manœuvrer quelques bataillons, repris sévèrement un faux mouvement, remarqué une erreur dans l’uniforme ou le port d’arme, il se faisait l’illusion d’être un grand militaire et rentrait enchanté de lui-même.

Madame la Dauphine avait compris beaucoup plus habilement le rôle qu’il aurait dû jouer. Il n’y avait pas un officier dont elle ne connût la figure et le nom. Elle savait leur position, leurs espérances, leurs rapports de famille, ne prenait point les notes de l’aumônier, malgré sa haute piété, et mettait en avant le nom de monsieur le Dauphin toutes les fois qu’elle obtenait une faveur qui, d’ordinaire, était un acte de justice. Pour les jeunes officiers de la garde, sa protection avait quelque chose de maternel. Elle s’occupait de leur procurer des plaisirs aussi bien que de l’avancement, et bien des fois elle a fait lever des arrêts qui nuisaient aux joies du carnaval.

Aussi était-elle adorée par cette jeunesse pour laquelle elle faisait trêve à la sévérité accoutumée de sa physionomie. Elle se montrait ainsi la patronne de la jeune armée ; mais, en revanche, elle n’a jamais pu s’identifier avec les glorieux débris de la grande armée.

Monsieur le Dauphin y avait moins de répugnance et, sous ce rapport, reprenait l’avantage sur sa femme. Quant au Roi, l’émigré débordait en lui de toutes parts.

Louis XVIII ne manquait jamais de rappeler aux officiers de l’Empire les anniversaires des batailles où ils avaient figuré, déployant son incroyable mémoire dans le récit de marches et de manœuvres qu’eux-mêmes souvent avaient oubliées parmi les nombreux faits d’armes où ils avaient assisté, et arrivant à un souvenir flatteur et obligeant pour ceux à qui il s’adressait.

Charles X, au contraire, ne parlait jamais des guerres de l’Empire. Le maréchal Marmont, appelé souvent à faire sa partie de whist, s’amusait parfois à rappeler les anniversaires d’actions brillantes pour les armées françaises. Le Roi ne manquait pas alors de les disputer avec aigreur, les replaçant sous l’aspect présenté par les bulletins qu’il avait lus à l’étranger ; et, lorsque le maréchal ou tout autre insistait pour rétablir les faits faussement placés dans son esprit, il témoignait beaucoup d’humeur et de mécontentement. Son partenaire s’en ressentait. Il était très mauvais joueur.

En montant sur le trône, il déclara que les reproches du Roi avaient trop d’importance pour être prodigués à l’occasion d’une carte et qu’il ne se fâcherait plus. Mais Charles X n’était pas de ces gens qui se contraignent. Il avait beaucoup d’entêtement parce qu’il était inéclairable, mais nulle force de caractère. Après s’être gêné pendant quelques semaines, le vieil homme prit le dessus et les colères firent explosion. Il en était fâché, même un peu honteux, et n’aimait pas que la galerie fût nombreuse.

Il faisait habituellement sa partie chez madame la Dauphine ; il ne s’y trouvait guère que les hommes qui jouaient avec lui. Ceux-là n’étaient pas empressés de répéter les paroles désobligeantes qui échappaient au Roi dans ses vivacités parce qu’ils savaient que leur tour pouvait arriver le lendemain. Il y avait quelquefois pourtant des scènes si comiques qu’elles transpiraient au dehors. Je me rappelle, entre autres, qu’un soir le Roi, après mille injures, appela monsieur de Vérac une coquecigrue.

Monsieur de Vérac, rouge de colère, se leva tout droit et répondit très haut :

« Non, sire, je ne suis pas une coquecigrue. »

Le Roi, très en colère aussi, reprît en haussant la voix :

« Eh bien, monsieur, savez-vous ce que c’est qu’une coquecigrue ?

— Non, sire, je ne sais pas ce que c’est qu’une coquecigrue.

— Eh bien, monsieur, ni moi non plus ! »

Madame la Dauphine ne put retenir un éclat de rire auquel le Roi se joignit, et toute l’assemblée y prit part.

Monsieur le Dauphin jouait aux échecs et se retirait de très bonne heure dans la chambre de madame la Dauphine dont alors on fermait les portes.

La princesse restait à faire de la tapisserie. Elle invitait chaque jour deux ou trois dames de sa maison, ou de celle de son mari, pour cette soirée où on se rendait très parée. La faveur de ma belle-sœur l’y faisait appeler un peu plus souvent que les autres ; les dames de service n’y assistaient pas de droit, il fallait qu’on le leur eût dit.

Madame la Dauphine n’était pas aimable pour ses dames et ne leur accordait aucune familiarité.

Madame la duchesse de Berry venait, de temps en temps, chez madame la Dauphine. Elle faisait la partie du Roi et n’était pas moins grondée que les autres. Cette espèce de Cour se tenait parfois chez elle et était alors un peu plus nombreuse. Pendant les absences de madame la Dauphine, le Roi faisait sa partie chez madame la duchesse de Berry.

À Saint-Cloud, on se réunissait dans le salon du Roi, Ce genre de vie a continué, sans que rien y apportât le moindre changement, jusqu’au 31 juillet 1830 inclusivement.

L’existence de madame la duchesse de Berry ne partageait pas la monotonie de celle des autres princes. Dès longtemps elle avait repoussé ses crêpes funèbres, et s’était jetée dans toutes les joies où elle pouvait atteindre.

Son deuil avait été un prétexte pour s’entourer d’une Cour à part. Elle avait eu soin de la choisir jeune et gaie. Le monument et la fondation pieuse qu’elle élevait à Rosny, pour recevoir le cœur de son mari, l’y avait attirée dans les premiers temps de sa douleur. Les courses fréquentes devinrent des séjours. Elle y reçut plus de monde ; elle se prêta à se laisser distraire et, bientôt, les voyages de Rosny se trouvèrent des fêtes où l’on s’amusait beaucoup. Rien n’était plus simple. Toutefois, je n’ai jamais pu me réconcilier au goût de la princesse pour la chasse au fusil.

Madame de La Rochejaquelein le lui avait inspiré. Ces dames tiraient des lapins, et, pour reconnaître ceux qu’elles avaient tués, elles leurs coupaient un morceau d’oreille avec un petit poignard qu’elles portaient à cet effet et mettaient ce bout dans la poitrine de leur veste. À la rentrée au château, on faisait le compte de ces trophées ensanglantés. Cela m’a toujours paru horrible.

Madame de La Rochejaquelein portait dans ces occasions un costume presque masculin. Madame la duchesse de Berry, enchantée de ce vêtement, fut arrêtée dans son zèle à l’imiter par la réponse sèche de sa dame d’atour, la comtesse Juste de Noailles, qu’elle chargeait de lui en faire faire un pareil :

« Madame fera mieux de s’adresser à un de ces messieurs ; je n’entends rien aux pantalons. » Ni madame de Noailles, ni madame de Reggio n’étaient parmi les favorites de la princesse.

La malignité ne tarda guère à s’exercer sur la conduite de madame la duchesse de Berry ; mais, comme elle désignait monsieur de Mesnard, qui avait trente ans de plus qu’elle et dont les assiduités étaient motivées par la place de chevalier d’honneur qu’il occupait auprès d’elle, le public, qui le tenait plutôt pour une espèce de mentor, ne voulut rien croire des propos qui remplissaient la Cour.

Quant à la famille royale, elle était persuadée de l’extrême légèreté de la conduite de la princesse. On a entendu fréquemment le Roi lui faire des scènes de la dernière violence. Elle les attribuait à l’influence de sa belle-sœur et leur mutuelle inimitié s’aggravait de plus en plus.

La discorde s’était aussi emparée de l’intérieur du pavillon de Marsan ; madame de Gontaut et monsieur de Mesnard s’étaient disputé la faveur de la princesse ; mais le dernier l’avait emporté, et il en résultait un refroidissement pour la gouvernante qui éloignait la mère des enfants. Madame la duchesse de Berry s’en occupait très peu et ne les voyait guère. Une rougeole assez grave de monsieur le duc de Bordeaux, qui donnait quelque souci, ne changea rien à un voyage de Rosny.

Le Roi et madame la Dauphine en ressentirent un mécontentement qu’ils exprimèrent hautement ; et cependant, ils auraient été les premiers à trouver mauvais que la princesse fît valoir ses droits de mère, comme primant ceux que l’étiquette attribuait à la gouvernante. Chaque jour, celle-ci menait les enfants chez le Roi, à son réveil, et je ne pense pas que madame la duchesse de Berry fût extrêmement ménagée dans ces entrevues quotidiennes.

J’ai entendu raconter, dans le temps, que ses nombreuses inconvenances prêtaient fort à la critique ; mais, en outre que cela est peu important, j’étais tout à fait en dehors du cercle où ce petit commérage royal faisait événement, et j’en serais historien très vulgaire.

J’ai toujours vu madame la duchesse de Berry également maussade et pensionnaire. Le malheur ne lui avait rien appris sous ce rapport.

Je me rappelle qu’au dernier concert où j’assistai chez elle nous rentrâmes dans son salon, une quarantaine de femmes restées après la musique. Elle nous laissa nous ranger en rond autour de la chambre, passa vingt minutes à chuchoter, rire et batifoler avec le comte de Mesnard ; puis, le prenant sous le bras, rentra dans son intérieur sans avoir adressé un seul mot à aucune autre personne. On sortit un peu impatienté de la sotte figure qu’on venait de faire ; mais, pour mon compte, j’étais persuadée que ce n’était que l’attitude d’une enfant gâtée et point élevée.

Avec ces façons, qui déplaisaient extrêmement aux personnes appelées de loin en loin à lui faire leur cour, madame la duchesse de Berry était pourtant aimée de ses habitués. On lui trouvait de la bonhomie, du naturel, de la gaieté et de l’esprit de trait.

Elle était bonne maîtresse et adorée à Rosny où elle faisait le bien avec intelligence. Elle jouissait d’une certaine popularité parmi la bourgeoisie de Paris. Son plus grand mérite consistait à différer du reste de sa famille. Elle aimait les arts ; elle allait au spectacle ; elle donnait des fêtes. Elle se promenait dans les rues ; elle avait des fantaisies et se les passait ; elle entrait dans les boutiques. Elle s’occupait de sa toilette, enfin elle mettait un peu de mouvement à la Cour, et cela suffisait pour lui attirer l’affection de la classe boutiquière. Celle des banquiers lui savait gré de paraître en public et d’assister à tous les petits spectacles, sans aucune étiquette. Elle aurait été moins disposée que madame la Dauphine à maintenir la distinction des rangs.

Les artistes, qu’elle faisait travailler et dont elle appréciait les ouvrages avec le tact intelligent d’une italienne, contribuaient aussi à ses succès et la rendaient en quelque sorte populaire.

Monsieur de Villèle s’appuya de l’influence de monsieur le Dauphin contre celle de la Congrégation dans une circonstance où le succès des intrigues, ourdies par elle, aurait probablement hâté de quelques années la catastrophe de 1830.

Elle voulait faire retrancher, dans le serment du sacre, les expressions de fidélité à maintenir la Charte, sous prétexte que ce pacte admettait la liberté des cultes.

Le Roi était fort disposé à faire cette restriction ostensiblement. Le parti congréganiste du conseil l’approuvait et le clergé, avec le nonce en tête, l’en conjurait. Monsieur de Villèle ne se faisait pas d’illusion sur les conséquences d’une telle conduite ; il eut recours à monsieur le Dauphin. Celui-ci parvint à décider son père à renoncer à ce dangereux projet. Mais ce ne fut pas sans peine. Toute la nuit qui précéda la cérémonie se passa à faire et à discuter différentes rédactions du serment.

Monsieur de Villèle ne savait pas lui-même laquelle serait adoptée au dernier moment, tant la discussion avait été orageuse et la volonté du Roi vacillante. On vit sa physionomie se dérider lorsque les mots de fidélité à la Charte sortirent de la bouche royale.

Monsieur le Dauphin avait fait pencher la balance. Sa haute et constante piété lui donnait quelque crédit auprès du Roi dans les questions religieuses lorsque l’intrigue n’avait pas un temps prolongé pour le combattre, et l’entrevue du père et du fils avait précédé immédiatement la cérémonie ; les conseillers jésuites avaient dû se contenter d’exiger la restriction mentale.

Si la satisfaction de monsieur de Villèle fut visible, le mécontentement du clergé et des hauts congréganistes ne fut pas dissimulé ; et le nonce recevait et rendait des visites de condoléance avant la fin de la journée.

Suivant mes habitudes de paresse, je n’eus pas même la tentation d’aller à Reims. Si j’avais cru que c’était, comme il est très probable, la dernière apparition de la sainte Ampoule pour les Rois très chrétiens, peut-être cela aurait-il stimulé ma curiosité. Malgré la magnificence sous laquelle on avait cherché à masquer les momeries, cléricales et féodales, de la cérémonie, elles excitèrent la critique.

Charles X, en chemise de satin blanc, couché par terre pour recevoir par sept ouvertures, ménagées dans ce vêtement, les attouchements de l’huile sainte, ne se releva pas, pour la multitude, sanctifié comme l’oint du Seigneur, mais bien un personnage ridiculisé par cette cérémonie et amoindri aux yeux de la foule.

Les oiseaux, lâchés dans la cathédrale en signe d’émancipation, ne furent que des volatiles incommodes ; et personne ne pensa à crier : « Noël, Noël. »

En revanche, lorsque le Roi, splendidement revêtu du manteau royal, prononça le serment du haut du trône, que les portes du temple s’ouvrirent à grand fracas, que les hérauts annoncèrent au peuple que leur Roi était sacré, que les acclamations extérieures se joignirent aux acclamations intérieures pour répondre, à la voix de ces hérauts, par le cri universel de : Vive le Roi, l’impression fut très vive sur tous les assistants.

Il y a toujours, dans les vieilles cérémonies, des usages pour qui le temps a formé prescription, et d’autres qui répondent constamment aux impressions générales. Le tact consiste à les discerner et l’esprit à les choisir.

C’est ce que l’Empereur avait su distinguer. Son couronnement, très solennel et très religieux, n’avait pourtant été accompagné d’aucune de ces prostrations que les prétentions de l’Église réclament et que l’esprit du siècle repousse. Je sais bien que les princes, en s’y soumettant, pensent ne s’humilier que devant le Seigneur ; mais le prêtre paraît trop en évidence pour pouvoir être complètement mis de côté dans des cérémonies où le sens mystique reste caché sous des formes toutes matérielles.

Le Roi fit, au retour de Reims, une très magnifique entrée dans Paris. Le cortège était superbe. Je le vis, par hasard, comme il revenait de Notre-Dame aux Tuileries. Le Roi, dans une voiture à sept glaces, était accompagné par son fils et les ducs d’Orléans et de Bourbon. Les princesses d’Orléans se trouvaient dans le carrosse de madame la Dauphine avec madame la duchesse de Berry. Les équipages de tous les princes suivaient. Ceux de monsieur le duc d’Orléans étaient aussi élégants que magnifiques.

Malgré cette pompe étalée par un temps superbe, nous remarquâmes que le Roi était reçu avec beaucoup de froideur. Nous étions déjà loin des acclamations de cœur qui l’avaient accueilli, quelques mois auparavant, sous les intempéries d’une pluie battante.

Les ministres, les ambassadeurs, la ville de Paris, donnèrent successivement des fêtes auxquelles la famille royale assista et qui, dit-on, furent fort belles et fort bien ordonnées. Je n’en vis aucune. J’étais établie à la campagne et peu disposée à me déranger pour un bal.

Le Roi eut assez de succès à l’Hôtel de Ville. Il sait merveilleusement allier la dignité à la bonhomie, et partout il est toujours parfaitement gracieux. Avec ces qualités, un souverain ne peut que réussir dans une fête de bourgeoisie.