Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/10

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N° X.


OBSERVATIONS


SUR LE CANTAL, LES MONTS-DORE,


ET LA COMPOSITION DES ROCHES VOLCANIQUES,


PAR M. A. DESGENEVEZ.



Après la campagne de la société géologique aux environs de Clermont et au Mont-Dore en septembre 1833, j’ai fait avec M. de Verneuil une excursion dans le Cantal. Deux objets très distincts s’offraient nos études : c’étaient, d’une part, les phénomènes et les produits volcaniques ; de l’autre, l’application de la théorie des cratères de soulèvement à ce groupe de montagnes. Si nos observations ont été trop rapides pour avoir aucune prétention à donner une histoire complète des phénomènes compliqués dont le Cantal a été le théâtre, elles ont été cependant assez étendues, assez heureusement dirigées pour apporter quelques faits nouveaux, quelques idées nouvelles à l’œuvre commune des géologues. Par suite de cet examen, sans me ranger parmi les adversaires de la théorie des cratères de soulèvement qui me parait assise sur des bases inébranlables comme généralité, je n’ai pu accepter l’application qu’en ont faite au Cantal MM. Du fresnoy et de Beaumont. Ce mémoire sera donc à la fois descriptif et critique ; et si cette discussion où j’ai contre moi, nouveau-venu dans la science, l’autorité de noms justement célèbres, ne fait point passer ma conviction dans l’esprit des géologues qui me liront, mon travail n’en conservera pas moins, je l’espère, quelque utilité sous le rapport des faits et des détails.

Les principales sommités du Cantal sont, vous le savez, rangées circulairement autour d’une vaste dépression qui occupe le centre du massif ; elles ont en général peu de saillie au-dessus de la crête élevée qui forme le bord de la cavité, et le Plomb du Cantal lui-même, quoiqu’il dépasse de près de 200 mètres les sommités du col de Cabre, se détache à peine de cette crête. Aussi une route, aujourd’hui abandonnée, et attribuée, comme tous les travaux dont l’origine est inconnue, aux Romains, passe-t-elle sur le plateau du Plomb. D’aucun autre point la forme cratérique de la dépression centrale n’est mieux accusée. L’observateur, dont la vue est arrêtée au sud par la crête de Ferval et les contre-forts du Puy-Gros, au sud-ouest par le massif imposant des Puys de la Poche et de l’Elancèze, à l’ouest par la longue arête du Chavaroche et du Mary, et enfin au nord par les rochers qui dominent les cols de Cabre et de la font de Cère, l’observateur, dis-je, ne peut douter qu’il ne soit au bord d’un vaste cirque dont l’élégante pyramide de Puy-Griou occupe à peu près le centre.

La crête orientale sur laquelle le Plomb est assis offre également mieux qu’aucune autre partie de la circonférence la différence d’inclinaison entre les pentes extérieures et intérieures propres en général aux cratères, soit qu’on les suppose formés par soulèvement ou par éruption. Pour faire apprécier cette différence, il me suffira de dire qu’en partant d’Albepierre, bourg placé au pied de la surface extérieure du cône, on arrive à cheval sur le Plomb, tandis que l’ascension à pied est assez pénible par l’intérieur du cirque. Au nord et à l’ouest elle est encore indiquée par quelques contreforts qui, se détachant des crêtes d’enceinte, vont se perdre au loin dans les inégalités du sol primitif. Mais, en général, le Mary, le Peyrearse, le Chavaroche, et les crêtes qui lient ces pays entre eux, offrent aux regards du voyageur effrayé des pentes également raides de part et d’autre, et souvent même des murs complètement verticaux. Ce fait, trop étendu pour qu’on puisse le négliger à titre d’exception, est difficile à expliquer, quelle que soit l’hypothèse qu’on choisisse pour rendre compte du relief actuel de ce massif.

Avant de quitter les crêtes, remarquons au nord la montagne de Bataillouse, véritable nœud d’où rayonnent vers le sud-ouest le chaînon qui porte le Griou vers l’ouest, l’arête que dominent Peyrearse et le Mary, au sud-est les montagnes du Lioran, et au nord-est une suite d’aspérités dont les principales portent les noms de Saluchet, Aiguillon, rochers de Vassivière. Entre ces pointes et les montagnes du Lioran est inscrit le cirque de font Alagnon, dans lequel on pourrait voir un petit cratère accolé au grand.

Maintenant, plaçons-nous sur le sommet du Puy-Griou pour examiner les escarpemens intérieurs du cratère ; nous verrons à travers les gazons dont sont couvertes toutes ces pentes affleurer des assises trachytiques inégales, ondulées, interrompues, dans lesquelles on ne peut guère méconnaître des coulées. Qu’on ne croie pas que les plans de ces assises forment par leur continuité des cercles ou seulement de grands arcs. Après un cours qui atteint rarement mille mètres, on les voit s’arrêter brusquement ; et si elles semblent parfois se prolonger au loin, c’est une apparence qui ne supporte pas l’examen. « Bien des trachytes, dit M. Burat dans sa Description des terrains volcaniques de la France centrale, ouvrage remarquable par le talent d’observation, bien des trachytes qui paraissent former une assise continue changent de nature, de sorte qu’elles semblent plutôt des masses indépendantes accolées à une même hauteur. » Ce qui vient à l’appui de cette observation, c’est qu’on trouve sur plusieurs points ces masses isolées. Des affleurement étroits, séparés des conglomérats, mais placés les uns au-dessus des autres, indiquent le passage de plusieurs coulées suivant le même rayon du cercle ; La Roche Nègre au sud du Mary en offre un exemple. À ceux qui voient dans le Cantal un cratère d’éruption, on ne saurait donc opposer la continuité des assises et l’absence d’affleurement qui témoignent du rayonnement des laves autour du cratère. D’ailleurs cette continuité pourrait exister sans rien prouver contre l’hypothèse d’un cratère d’éruption. Les observations que MM. C. Prévost et Fr. Hoffmann ont faites dans l’Atrio del Cavallo, moderne éboulement du Vésuve, ne permettent pas de douter que l’alternance des laves et des tufs en assises régulièrement stratifiées ne soit un phénomène propre aux cratères d’éruption. J’aurais également cité le Val del Bove à l’Etna, et l’ancien cratère de l’île Bourbon, si l’on n’avait regardé quelquefois ces localités comme des cratères de soulèvement.

La forme et la disposition des vallées sont d’une grande importance dans cette question ; aussi MM. Dufresnoy et de Beaumont ont-ils fait ressortir avec soin toutes les apparences favorables à leur hypothèse. Les distinctions qu’ils ont établies entre le mode de formation des diverses vallées extérieures, entre la composition des vallées intérieures et extérieures, sont singulièrement spécieuses. Nous allons voir jusqu’à quel point elles sont fondées, et d’abord occupons nous des deux grandes vallées de Vic et de Mandailles, qui, partant au nord-est du nœud de Bataillouse, sillonnent parallèlement tout le cratère et vont sortir au sud-ouest par des gorges étroites et profondes. Ces gorges seraient les barancos ou crevasses de déchirement, résultat obligé de l’extension de surface qu’aurait produit l’épanouissement du cône par une force centrale. Mais quand on réfléchit à la nature et à la grandeur du phénomène, il est difficile d’admettre que le cône primitif ne se soit déchiré dans toute sa hauteur que suivant deux arêtes si rapprochées l’une de l’autre. On compare les effets résultant du développement de la force expansive à l’étoilement produit sur une bouteille par un choc léger. Or, cette cassure rayonnée ne se retrouve pas dans le Cantal. Il est juste de remarquer qu’aux gorges par lesquelles s’échappent la Cère et la Jordanne, semblent correspondre à l’autre extrémité des vallées les cols de Cabre et de la font de Cère. Mais ces échancrures sont peu profondes et tellement élevées, qu’elles forment les points de partage des eaux entre les pentes du nord et celles du sud. Il me semble donc que les conditions de la théorie ne sont pas remplies.

Lorsque des principales sommités on promène ses regards sur les flancs du cône, on est frappé tout d’abord d’une sorte de convergence des vallées vers le centre du cratère ; mais un examen attentif des lieux et de la carte fait bientôt apercevoir que cette convergence n’a pas lieu vers le centre, mais vers un axe qui part du Plomb, porte les montagnes du Lioran, de Bataillouse et de Peyrearse, et va rejoindre le Mary. C’est de cet axe que descendent toutes les eaux principales, la Jordanne, la Cère, l’Alagnon, la Rue, le Mars, la Marone, le Brezons, le Près. Cette disposition des vallées n’est point particulière au Cantal ; elles sont ainsi distribuées autour de tous les axes et les nœuds de montagnes. Toutefois elles offrent ici une particularité remarquable : c’est la grande profondeur de quelques unes de ces vallées à leur origine ; elles ne sont séparées du cratère que par des murailles d’une immense hauteur, dont quelquefois la crête suffit à peine au passage d’un étroit sentier. L’existence de ces minces parois me paraît une forte présomption contre l’hypothèse que je combats. S’il était vrai que les vallées du Mars, de la Rue, etc., eussent été ouvertes ou largement commencées par le soulèvement qui formait le cratère, n’est-il pas évident que d’aussi faibles murailles n’auraient pu rester debout, alors surtout que l’épanouissement du cône sollicitait la formation de profonds écartement, alors aussi que le mouvement de bascule éprouvé par ces assises ne pouvait avoir lieu que grâce à une grande résistance du massif extérieur. De ces considérations qui empruntent leur force aux lois de la mécanique, il résulte qu’on ne saurait admettre la formation simultanée d’un cratère de soulèvement et de vallées extérieures de déchirement sans communication avec ce cratère, ou plutôt qu’il n’y a pas eu de soulèvement circulaire général. Au reste, en cherchant à démontrer que ces vallées n’ont pas été ouvertes par une action susceptible de produire un cratère de soulèvement, je n’ai pas voulu, je me hâte de le dire, mettre en doute qu’elles doivent leur origine à des déchiremens ; il me semble même que cette origine est incontestable, même pour les partisans des causes actuelles, et M. Lyell en fournit une preuve remarquable « dans la grande crevasse de douze milles de long et six pieds de large, qui s’ouvrit sur le flanc de l’Etna, depuis la plaine de Saint Lio, jusqu’à un mille du sommet du volcan au commencement de la grande éruption de 1669. Peu après le sol se fendit encore en cinq endroits. » (La Bèche, Manuel de géologie, p. 158.)

Aucun de ces faits n’est contraire à l’hypothèse d’un cratère d’éruption. Les vallées intérieures et extérieures ont été produites par des crevasses, des éboulemens et des érosions postérieures à la formation du cratère. Mais on tire de la composition de ces vallées une objection importante. On a cru remarquer que le véritable trachyte en masse était concentré à l’origine des vallées et dans les escarpemens qui forment la grande enceinte circulaire ; disposition contraire à celle qu’auraient dû prendre des courans de lave descendus des bords du cratère. La vallée du Falgoux, qui, à la hauteur des Vaulmiers, ne présente que de puissantes assises de conglomérats, est citée à l’appui de cette objection. Il est vrai que dans cette vallée les trachytes ne paraissent pas dépasser le Puy Violent. Mais au nord-est ils descendent à moitié chemin de Murat, et presque jusqu’à Dienne à 5 et 7000 mètres du point de départ ; au sud ils se prolongent de plusieurs kilomètres à partir du Puy de la Poche, quoique tout ce massif soit couvert d’une teinte basaltique sur la carte de MM. Dufresnoy et de Beaumont, car je tiens de M. Bouillet, minéralogiste recommandable par son obligeance et par le zèle infatigable de ses recherches, que le Puy de l’Elancèze, qui s’élève au sud du Puy de la Poche, est comme celui-ci composé d’assises trachytiques. La coulée des trachytes pourrait donc s’être étendue à 4 ou 5000 mètres des bords du cratère, distance encore assez considérable si l’on tient compte de la nature pâteuse de ces roches. Mais je pense qu’elle a été le plus souvent bien moindre, et je me fonde sur le peu de développement des coulées que montrent les escarpemens intérieurs au sud du Chavaroche, au nord-est du Mary. Au Mont-Dore elles sont plus longues ; mais aussi les caractères des trachytes de cette localité, par l’homogénéité ou la demi-vitrosité de leur pâte, témoignent d’une fusion plus complète. On ne saurait donc arguer du peu d’extension qu’ont pris les coulées trachytiques, puisqu’il n’est pas démontré qu’elles possédassent la fluidité nécessaire pour s’étendre.

Malgré quelques anomalies, on peut dire que toutes les assises trachytiques qui forment le bord supérieur des escarpemens circulaires et la masse des Puys saillans au-dessus de ce bord, plongent de dedans en-dehors, c’est-à-dire dans le sens des arètes du cône, mais sous un angle plus grand (jusqu’à 10 et 12°), de sorte qu’en prolongeant par la pensée le plan de ces assises, on formerait un cône beaucoup plus aigu que le cône existant, et dont le sommet serait placé sur le même axe. Pour relever les assises trachytiques sous un angle de 7 à 8° pour produire un cratère de soulèvement de 4 à 5000 mètres de rayon, il a fallu une puissante poussée, et la matière qui a été l’agent de cette dislocation a dû nécessairement faire acte de présence dans la cavité centrale. Aussi a-t-on attribué ce rôle aux masses phonolitiques qui surgissent à peu près vers le centre du cratère. Elles forment plusieurs cônes plus ou moins surbaissés dont le Puy-Griou est le plus remarquable par son élévation et son allure élancée. Ces cônes, indépendans les uns des autres, sont rangés circulairement autour d’une petite dépression désignée comme plusieurs autres points du Cantal par le nom de la font du Vacher, et je crois qu’il y a erreur à les avoir confondus sur la carte en une seule masse. Dans les bois qui couvrent la pente de la font du Vacher, on voit le phonolite reposer sur les tufs trachytiques. Il y a donc tout lieu de penser que cette cavité est tout entière creusée dans ces tufs. D’après le mode d’action qu’on prête à ces masses phonolitiques, on s’attend à trouver autour d’elles des preuves flagrantes de soulèvement et de dislocation. Vous allez en juger.

Par suite de la formation des deux vallées intérieures où coulent la Cère et la Jordanne, le cratère est traversé par un puissant diamètre, qui partant de Bataillouse, passe sous les roches phonolitiques, et se relève pour former le Puy de la Poche. Un profil du revers oriental de ce contre-fort vous montre (planche XIX) les assises trachytiques plongeant sous les phonolites. Comment une force soulevant placée dans l’axe du Griou, et assez puissante pour relever sous un angle de 8° les masses énormes du Cantal, du Puy-Gros, de Chavaroche, etc., a-t-elle laissé inclinées en sens inverse de sa poussée des couches qui étaient en contact immédiat avec elle ? Ce n’est pas tout, les tufs et les conglomérats trachytiques sur lesquels se sont posés les cônes de phonolite, loin d’être bouleversés, présentent des strates toujours horizontales ou peu inclinées. Les lignes par lesquelles ces assises se distinguent dans les escarpemens ne peuvent appartenir qu’à des plans, et quel que puisse être l’angle sous lequel ces plans s’enfoncent dans le contre-fort, cette disposition n’est guère conciliable avec une hypothèse de soulèvement central. Si une matière pâteuse autre que les phonolites était l’instrument caché de ce soulèvement, la surface des couches serait convexe ; si des gaz avaient d’abord soulevé, puis, en se dégageant, abandonné les tufs à leur poids, ces surfaces seraient concaves, et, dans ces deux cas, les lignes de séparation des assises dans le plan vertical seraient des courbes ou des lignes brisées, et non des lignes droites.

Ainsi, au centre du cratère, au point qui devrait présenter la plus vive empreinte du phénomène dont on suppose que ces montagnes ont été le théâtre, rien ne le prouve, tout s’accorde à le nier.

Jusqu’ici je n’ai envisagé les faits que sous le rapport de la géométrie des formes et des positions. La nature et l’âge des roches méritent un examen non moins attentif ; c’est le point de vue géologique et chimique de la question.

Quand la tourmente volcanique, née au sein de la terre, eut trouvé une issue à travers la croûte tertiaire ou granitique, d’immenses quantités de boues et de graviers vinrent s’entasser sur le sol. Peut-être ces premiers épanchemens eurent-ils lieu par des fractures longitudinales ou courbes qui finirent par s’engorger. Quoi qu’il en soit, l’action volcanique se régularisa, prit un centre, et se forma un cratère d’où s’épanchèrent sur les bords des laves trachytiques. Ces laves ne furent ni abondantes, ni très fluides. L’aspect âpre, raboteux, et peu cristallin des trachytes explique assez pourquoi leurs coulées ne s’étendirent pas au loin. Les fragmens brisés de ces laves refroidies, empâtées par des graviers, et par un ciment lavique, donnèrent naissance à de grands amas de conglomérats poudingiformes. De ces trois roches est composé tout le terrain trachytique formé directement. Ce qui conduit à adopter cet ordre de formation, c’est que dans le cratère actuel les tufs occupent presque exclusivement les parties inférieures des escarpemens, et que les conglomérats sont plutôt accumulés dans les parties supérieures. Ils forment même une grande partie des crêtes. J’ai cru aussi remarquer que les assises trachytiques étaient plus nombreuses et plus rapprochées auprès des bords du cratère ; du moins est-il certain qu’ils se montrent en masses épaisses dans les Puys qui s’élèvent au-dessus de ces crêtes. Ces masses du Mary, de Peyrearse, de Bataillouse, sont coupées à pic sur toutes leurs faces ; de sorte que, d’après leur structure et leur position isolée, des géologues les ont considérées comme des dykes analogues au dyke du Capucin dans la vallée des Bains au Mont-Dore. De solides raisons peuvent être apportées à l’appui de cette opinion. Si l’on examine les points où l’existence de cheminées volcaniques ne peut être mise en doute, tels que le Plomb du Cantal et le Puy du Griou, on voit que les murailles de ces cheminées sont criblées de filons, ce qui s’explique naturellement par le remplissage des crevasses produites par les explosions gazeuses. Or, les flancs des montagnes à dykes sont également sillonnés de filons. À Peyrearse, filon de phonolite, et près de la crête plusieurs filons de trachyte, parmi lesquels j’en ai observé un divisé en pavés de diverses dimensions ; au Mary, filons de trachyte, de phonolite et de basalte. On est donc fondé à supposer ces Puys traversés par des cheminées par lesquelles se seraient élevées ces masses de trachyte. Ainsi s’expliquerait la présence des trachytes rouges et gris, étrangers aux assises inférieures, à des niveaux très différens sur la plupart des sommités, sans qu’il soit nécessaire de les considérer comme ayant fait partie d’une vaste calotte brisée par une nouvelle explosion de la volcanicité. D’ailleurs plusieurs de ces trachytes, disposés en bandes étroites sur les crêtes, ont toute l’apparence de coulées. On objectera sans doute qu’il est difficile de concevoir le percement de ces cheminées aussi près des bords très élevés du cratère, sans que ces bords se soient écroulés. Mais alors qu’on n’admet plus de cratère de soulèvement, on peut croire, sans faire violence à aucun fait, qu’à l’époque où sortirent ces dykes, le cratère n’était pas profondément évidé comme il l’est aujourd’hui ; les vallées intérieures n’existaient pas, et depuis le centre jusqu’à la circonférence s’étendaient des masses compactes et solides de déjections volcaniques. Le contrefort diamétral qui porte le Griou offre un témoignage direct en faveur de cette conjecture. En effet, tandis que de part et d’autre de grands lambeaux de terrain volcanique étaient successivement emportés, peut-être par la débâcle de lacs intérieurs, seul il a survécu ; et, malgré des altérations, il indique encore la courbure de l’ancien cratère qui devait en grand ressembler, comme certains cratères de la chaîne des Puys, à une coupe évasée. Les coulées qui, dans le dessin (fig. 2), paraissent descendre des bords du cratère vers le centre, seraient donc parties d’une de ces cheminées, peut-être de Bataillouse. Quant à l’inclinaison des assises de ces sommités, on conçoit que, sortant à l’origine des pentes du cratère, elles aient pris l’inclinaison de ces pentes. Au reste, les éruptions excentriques, si elles ne sont pas complètement démontrées pour les bords du cratère actuel, ne peuvent être mises en doute pour des points plus éloignés. On en voit fort loin à l’est et au sud, d’après les renseignemens que m’a communiqués M. Bouillet ; ce qui m’a fait provoquer ces renseignemens, c’est d’avoir rencontré une de ces éruptions, clairement indiquée au rocher de Bonnevie, près Murat, miniature fidèle de quelques uns des phénomènes volcaniques dont on peut dire que le Cantal offre le portrait en pied.

J’ai peu de chose à dire des filons d’obsidienne ou de retinite (je ne sais lequel des deux) qui se montrent sur deux ou trois points du Cantal. Ils sont difficiles à classer. J’ai trouvé de l’obsidienne noire dans le trachyte du nouveau Buron des Gardes, gisement intéressant par les grands cristaux de feldspath nacré, épars dans la pâte feldspathique, et par les pyrites qui tapissent de nombreuses vacuoles. M. de Humboldt cite des trachytes avec obsidienne aux Cordillères. Si le fait que je crois avoir reconnu est bien constaté, les obsidiennes devront être comprises dans la fin de la période trachytique, peut-être dans l’époque des dykes.

J’ai parlé des filons qui coupaient quelques uns de ces dykes. Il est évident qu’ils sont sortis postérieurement à leur consolidation. Ils sont très multipliés autour des cheminées principales, et par leur nature non moins que par leur nombre, méritent d’être placés à part dans une seconde période d’éruption. La pâte en est compacte, homogène, presque noire ; les cristaux de feldspath visibles ne se distinguent que par le miroitement de petites aiguilles blanches. L’amphibole, très commune dans les trachytes, en est presque bannie ; leur structure est ordinairement prismatique ou tabulaire. C’est à cette période que je crois devoir rapporter les nappes étendues qui couvrent le plateau à l’est et en avant de Dienne, nappes que l’on exploite pour la toiture des maisons de Murat. M. Burat a décrit ces roches sous le nom de trachytes homogènes compactes, mais sans déterminer leur âge. M. Bouillet les considère comme des phonolites ; et cette opinion, que j’ai d’abord partagée, est assez bien fondée sur leur structure éminemment tabulaire, leur cassure écailleuse et nacrée dans un sens, et la lamellosité des cristaux de feldspath disséminés. Mais ce rapprochement est repoussé par le mode d’émission de ces laves en nappes, mode qui n’est pas ordinaire aux phonolites. La couleur foncée et presque noire de ces masses n’est pas sans importance, et je ne puis m’empêcher de rappeler ces lignes de M. de Humbolt, page 319 de son Essai sur le gisement des roches. « Les teintes pâles dominent dans les trachytes des Cordilières, et les masses noires de cette roche m’ont paru en général postérieures aux masses blanches, grises et rouges. La même différence de gisement paraît avoir lieu en Hongrie. » On dirait cette phrase faite pour le Cantal, auquel elle s’applique complètement. Cette masse du plateau de Dienne à son analogue aux environs de la roche Sanadoire, au nord du lac de Guery, et je puis m’appuyer ici de l’opinion d’un géologue qui a profondément étudié les trachytes.

« Peut-être certaines roches noires, dit M. Beudant (Voyage en Hongrie, tome III, p. 337), peut-être certaines roches noires basaltoïdes divisées en prismes, qu’on rencontre au pied de la roche Sanadoire, ou sur les pentes du Puy-Gros, en Auvergne, sont-elles analogues au trachyte semi-vitreux de Hongrie. Ce qu’il y a de certain, c’est que ces roches, qu’on a toujours nommées basaltes, n’ont pas les caractères des autres basaltes de cette contrée : leur pâte est plus feldspathique ; elles ne renferment pas d’olivine, et elles semblent, par leur position, se rattacher à la masse des véritables trachytes. » Si l’on se rappelle que les trachytes semi-vitreux de Hongrie se trouvent à l’extérieur des groupes trachytiques et rejetées au bord des plaines, on reconnaîtra que dans les Cordilières, en Hongrie, en Auvergne, on retrouve le même phénomène de masses trachytiques d’un gris foncé, dans une position excentrique et d’un âge postérieur aux groupes centraux de trachyte. Ce n’est pas une anomalie importante que la présence de filons de ce trachyte gris-noir au centre du cratère, et notamment à la base du Puy-Griou. Ces filons, venus après la consolidation des trachytes anciens et partis du même foyer, essayèrent de s’élever par quelques crevasses, mais, trop peu abondans pour vaincre la résistance des masses supérieures, ils se sont échappés latéralement.

Ainsi, l’histoire des phénomènes trachytiques offre trois périodes différenciées par la nature des laves et par leur mode d’émission. Il serait peu philosophique de considérer ces distinctions comme complètement absolues. Il suffit, pour qu’elles soient justifiées, que le caractère moyen de la période tranche nettement avec celui des autres époques, et c’est sous ce point de vue qu’on doit admettre les dénominations de périodes des coulées, des dykes, des filons, quoiqu’il y ait eu probablement des coulées dans la deuxième, des dykes dans la troisième, des filons et des dykes dans la première. On pourrait également les spécifier par les caractères de leurs laves ; car, dans la première, ce sont principalement des trachytes terreux et domitiques ; dans la deuxième, des trachytes rouges amphiboleux, ou gris et violets porphyroïdaux ; dans la troisième, des trachytes gris-noirs à petits cristaux de feldspath lamelleux.

Ce que vous avez entendu de la ressemblance de ces trachytes gris-noirs avec les trachytes anciens d’une part, avec les phonolites et les basaltes de l’autre, nous fait voir qu’un changement graduel s’opérait dans les laboratoires volcaniques, et nous montre une troisième émission de laves comme un nouveau terme d’une série dont la chimie pourra peut-être un jour nous révéler la loi. Ces nouvelles laves, ce sont les phonolites. Épanchées à l’état de pâte molle, elles se sont entassées autour de leurs cheminées, et se sont élevées en cônes. Outre les masses centrales déjà citées, on en trouve une très considérable dans le haut de la vallée du Falgoux. M. Bouillet m’en a indiqué une autre au sud ouest du Chavaroche ; mais je ne l’ai pas vue, et je ne sais s’il faut la rapporter aux trachytes du plateau de Dienne, ou aux véritables phonolites.

Pour faire soulever les nappes basaltiques qui couvrent les flancs du cône d’un manteau largement déchiré, il a fallu supposer que la sortie des phonolites avait eu lieu postérieurement à celle des basaltes. Je ne crains pas de dire que cette hypothèse est tout-à-fait contraire aux faits. M. Burat a clairement établi que dans le Velay, où la formation phonolitique est très développée, ces roches étaient antérieures aux basaltes, malgré quelques apparences décevantes. Le Cantal ne fait pas exception à cette loi ; non seulement aucune masse, aucun filon de phonolite ne coupe ou n’entame les basaltes, mais la Roche Blanche (ou roc Douzières), cette grande masse colonnaire de phonolite, qui domine de ses escarpemens prismés la vallée du Falgoux, est balafrée par un gros filon de basalte en connexion avec d’autres filons injectés dans les conglomérats et les trachytes qui forment la cheminée du phonolite. On peut citer aussi les basaltes de Puy-le-Froid, en Velay, qui contiennent des noyaux de phonolites. Vous voyez donc que les conditions d’âge manquent à ces roches aussi bien que les conditions géométriques, pour qu’elles aient pu produire un cratère de soulèvement.

Je pense qu’il ne sera pas inutile de jeter un coup d’œil sur les caractères minéralogiques qui font des phonolites le passage des trachytes aux basaltes. Ces comparaisons ne peuvent que jeter du jour sur un point de la science encore si confus et si incertain, que M. Brongniart s’est cru obligé de placer la roche Sanadoire, masse essentiellement phonolitique, à la fois dans les terrains plutoniques trachytiques, comme eurite compacte, dans les terrains volcaniques trappéens, comme eurite sonore, et dans les terrains laviques, comme leucostine.

Ils tiennent aux trachytes par la présence des cristaux de feldspath lamelleux, par la présence de l’amphibole et par leur couleur généralement claire. L’amphibole ne s’y montre pas toujours ; mais je n’y ai jamais vu le pyroxène.

Ils en diffèrent par leur nature plus zéolitique, plus riche en alcalis, par leur structure tabulaire et par leur mode d’émission.

Ils se rapprochent des basaltes par leur aspect compacte et cristallin, la structure prismatique et l’abondance de la mézotype dans leur pâte. Je crois avoir reconnu des zircons et de l’olivine dans le phonolite du Griou. J’engage donc les géologues qui visiteront cette montagne à examiner avec soin les roches du sommet et le sable des ruisseaux qui prennent naissance à la base.

Ils diffèrent des basaltes par l’absence du pyroxène, par une moindre proportion de protoxyde de fer et de magnésie en combinaison, et par leur émission en cônes ; mode de formation qu’on ne peut assimiler aux dykes basaltiques toujours peu saillans au-dessus de leur cheminée. Il faut dire que cependant le roc Douzières est un véritable Dyke.

Après la sortie des masses phonolitiques, la force d’éruption se défendit complètement par le remplissage de quelques fentes. La nature de ces filons diffère assez souvent de celle des roches en masse, comme nous avons vu les filons de trachyte différer des laves anciennes. La structure de ces filons est compacte ou schisteuse ; l’aspect, nacré on terreux ; la teinte, toujours claire, variant du vert au blanc jaunâtre. On voit de ces filons au pas de Compaing, autour des Chazes, au ravin de la Couelle, au Plomb, à Peyrearse, au Mary, etc. De ceux de ces filons qui ont la structure schisteuse, M. Burat a fait une classe de trachytes à part sous le nom de trachytes schistoïdes. Si je ne me trompe, il devra rayer ce groupe de son livre. Non seulement la pâte complètement homogène et dépourvue de cristaux, la structure schisteuse en petit et tabulaire en grand, éloignent ces roches des vrais trachytes ; mais on voit à la Roche Blanche du Falgoux cette variété schisteuse, blanchâtre et satinée, constituant toute la partie occidentale du dyke, passer graduellement à un phonolite bien caractérisé. On ne peut mettre en doute l’unité de cette masse, et les filons schisteux appartiennent incontestablement au même ordre de faits. La roche n’en est attaquable par les acides qu’à un bien moindre degré que celle du Griou, et, malgré son apparence de solidité, elle s’écrase très facilement. Si l’on ajoute à ces caractères que la pâte est souvent parsemée de taches mates, et percée de vacuoles, on sera conduit à penser que ces roches ne diffèrent des phonolites que parce qu’elles ont été exposées à l’action de vapeurs acides. Ces vapeurs se sont emparées d’une partie des bases, et les sels qui en sont résultés ont été enlevés par les eaux. Peut-être faut-il attribuer ces altérations à l’acide sulfurique dont les brèches alunifères de la vallée de Mandaille annoncent l’intervention dans ces phénomènes.

Les filons phonolitiques ne sont pas assez importans et assez distincts des masses pour constituer une période d’émission à part. La quatrième émission est celle des basaltes anciens. Il paraît qu’à cette époque l’intérieur du cratère était encore sain et entier, et que les laves n’ont pu se faire jour à travers ces massifs puissans, ou par les cheminées centrales qu’encombraient les phonolites refroidis. Ils ne se montrent dans l’intérieur du cratère que sous forme de filons, au pied du Plomb, de l’Usclade et du Mary. Ces filons deviennent très nombreux sur les crêtes, entre le Plomb et le Puy-Gros, autour du Chavaroche et de la Roche Blanche. À deux mille mètres, en général, des bords du cratère, les laves basaltiques se sont épanchées latéralement dans un grand état de fluidité, et se sont étalées en nappes sur les flancs du cône. On a voulu établir, comme un théorème, que tout cône revêtu de basaltes était nécessairement un cône de soulèvement. Assurément s’il s’agissait de l’appliquer à un cône aigu ou médiocrement surbaissé, ce serait un argument très fort. Mais lorsqu’on cite le Vésuve, l’Etna, etc., comme démontrant que sur une surface inclinée les laves ne peuvent former que d’étroits courans, on ne prouve rien contre le Cantal, dont le cône est infiniment plus surbaissé. L’inclinaison des basaltes y dépasse rarement 4 à 5°, et il n’est pas démontré que la privatisation des laves ne puisse avoir lieu sous un angle aussi petit. D’ailleurs c’est assez gratuitement qu’on donne à ces coulées le nom de nappes, et je soupçonne qu’il n’y a pas plus de réalité sous cette apparence que je n’en ai trouvé dans l’apparence de continuité des assises trachytiques dont les escarpemens du cratère montrent la tranche. Ces laves très fluides, s’élançant avec violence d’un grand nombre de bouches, et trouvant une pente très douce qui ne leur permettait pas une vitesse d’écoulement proportionnée à la quantité des matières affluentes, se sont étalées triangulairement, comme vous l’avez tous remarqué pour l’eau des sources coulant sur des dalles faiblement inclinées. La convexité de la surface conique favorisait cet étalement ; ainsi les coulées, bien distinctes à leur origine, n’ont pas tardé à se rencontrer, à s’accoler par leurs flancs, et à présenter l’aspect de vastes plaines de laves. Les coulées, soit par épuisement du creuset intérieur, soit qu’elles rencontrassent des obstacles, s’étant arrêtées, les parties inférieures, refroidies par leur écoulement, ont prismatisé les premières ; les parties supérieures, soutenues par ces masses solidifiées, emprisonnées dans la voûte scoriacée, dont les avait recouvertes le froid atmosphérique, se sont refroidies lentement et ont pu prismer dans leur position inclinée. Quant à l’inclinaison des prismes, c’est un phénomène indépendant de la position dans laquelle les laves se sont congelées. Dans les filons de trachyte et de phonolite, comme dans ceux de basaltes, les surfaces de retrait ou de cristallisation sont toujours parallèles ou perpendiculaires aux salbandes, quelles que soient du reste la position et l’inclinaison du filon. La même cause a produit le même effet dans les coulées basaltiques. Il n’est donc pas nécessaire de recourir à des phénomènes étrangers aux habitudes de la volcanicité pour expliquer la position et la structure de ces roches.

L’éruption basaltique paraît avoir eu au moins deux périodes, bien distinguées par un changement dans les propriétés physiques et dans la composition des roches. M. Burat a fait voir avec habileté que les basaltes anciens étaient plus feldspathiques, formant ainsi passage aux phonolites et aux trachytes. Mais je suis incertain de savoir si je puis avec lui considérer les coulées modernes de Graveneire, etc., comme formant la seconde époque des basaltes. Peut-être les wackes, qu’il me paraît difficile de ne pas considérer comme des émissions basaltiques, malgré leur allure souvent singulière, appartiennent-elles à une époque d’éruption intermédiaire : c’est ce que me fait soupçonner leur position généralement indépendante des laves pyroxéniques modernes. Au reste, on sait que plusieurs géologues de l’Auvergne admettent trois époques basaltiques.

Les basaltes se sont étendus en coulées, élevés en dykes comme au Plomb, au Puy-Gros et à Bonnevie, ou injectés en filons : les dykes, par leur nature, paraissent appartenir aux basaltes anciens. Mais les filons sont de composition et d’aspect très variés, et probablement de plusieurs âges. Quelques uns ont une pâte d’un gris clair, un peu granulaire, et qui manque complètement de péridot. Quand la lave s’éleva par des fentes, elle possédait une température élevée. Elle aura fondu ses salbandes trachytiques, et le feldspath assimilé a chassé le péridot, comme cela est arrivé en beaucoup de points où les basaltes se trouvent en contact avec les trachytes. Au pied du Puy phonolitique de l’Usclade se montre un filon d’un basalte très pyroxénique, qu’on ne retrouve ni dans les coulées, ni dans les dykes du Cantal, mais seulement dans les conglomérats. On m’a dit en avoir vu, au-dessus du hameau de Benex, dans des conglomérats ignés traversés par un filon de phonolite, et ce fait lui donnerait une haute antiquité. Mais comme ce serait une anomalie aux lois qui paraissent avoir réglé l’ordre d’émission des roches, il faut, pour l’adopter, attendre un nouvel examen. Les filons de trachyte et de phonolite me semblent être sortis le plus souvent après les masses, et l’on conçoit en effet que ces grandes éruptions, en fracassant les terrains environnans, ont préparé la voie aux filons. Je suis donc porté par analogie à considérer ces filons comme postérieurs aux coulées. J’ajouterai que la présence d’une grande quantité de pyroxène dans le filon de l’Usclade est un caractère des laves basaltiques les plus modernes ; aussi bien ai-je trouvé entre les basaltes pyroxéniques du Cantal et quelques parties de la coulée de Tartaret, près du lac Chambon, au Mont Dore, une grande ressemblance. Ainsi ces basaltes, loin d’être très anciens, comme on l’a pensé, loin de pouvoir servir à démontrer que certains basaltes ont été antérieurs aux phonolites et contemporains des dernières éruptions trachytiques, représenteraient dans le Cantal la période la plus récente des émissions basaltiques dont les wackes de Bonnevie et de quelques autres points seraient la période moyenne. Les conglomérats remaniés qui s’appuient sur les flancs extérieurs du cratère contiennent sur plusieurs points des blocs nombreux de basalte criblé de pyroxène et d’olivine ; je puis citer comme exemple les environs d’Aurillac, où on donne à cette roche le nom singulier d’Œilde crapaud, qui rappelle le Toadstone des Anglais. Ces blocs ont-ils été amenés du Mont Dore par les eaux ? je croirais plus volontiers qu’on les trouvera quelque jour en place sur les flancs du Cantal, où tant de faits sont encore à explorer.

Dans cette histoire des éruptions qui ont successivement formé, agrandi, étendu le cône du volcan (car je ne puis lui refuser ce nom), je n’ai point parlé de soulèvemens ; c’est qu’aussi ils ont été peu considérables. On ne peut en attribuer qu’aux dykes et aux filons. On cite des conglomérats placés dans des positions singulières, et dont les couches relevées presque jusqu’à la verticale annoncent des dérangemens qu’on ne peut guère attribuer aux eaux. Mais observons que les bases des escarpemens du cratère sont stratifiées horizontalement, ou peu inclinées, et que ces apparences de dérangemens appartiennent presque exclusivement aux crêtes ; et rapprochons ce fait de la sortie sur ces crêtes de dykes trachytiques et basaltiques, et de la présence d’un nombre considérable de filons assez puissans ; ces dérangemens, ces soulèvemens locaux, n’auront plus droit de nous étonner. La Roche Blanche (voy. le dessin) peut être citée pour exemple ; coupée à pic du côté de la vallée du Falgoux, elle est séparée à l’est et à l’ouest par d’étroits ravins de conglomérats et de trachytes très déchirés ; au sud, des masses appartenant aux mêmes roches trachytiques, on peut dire à la même coulée, ont été portées à une assez grande hauteur par la poussée du phonolite, et plus tard les basaltes ont profité de la dislocation du terrain pour s’y introduire en filons nombreux. En se dirigeant vers Chavaroche, on retrouve la même coulée de trachytes gris et bruns encore coupée par un petit dyke de basalte. Des causes analogues, combinées à l’action des eaux, ont pu donner à certains conglomérats des contreforts extérieurs les formes bizarrement sculptées qu’ils affectent. Les basaltes modernes qui se sont peu montrés dans le Cantal, mais qui ont évidemment bouillonné sous ces massifs, sont probablement pour quelque chose dans ces effets.

Pour qu’un soulèvement général fut évident, il faudrait qu’à l’approche du noyau volcanique les terrains calcaires et granitiques se montrassent plus ou moins relevés vers le sommet du cône, et que ce relèvement dût être incontestablement rapporté à une époque postérieure aux premières éruptions volcaniques. Si en quelques points les calcaires ont été dérangés par suite d’éruptions, éboulés par les tremblemens de terre, et que leurs lambeaux aient été empâtés dans les conglomérats (Giou de Mamou)[1], ce ne sont pas des preuves d’un soulèvement général. Dans d’autres points les calcaires n’ont pas été dérangés ; et, par exemple, les calcaires que l’on trouve sur la route de Murat aux Chazes. Je me trompe ; dans un point, à la Vayssière, ils sont inclinés de 24° et plongent vers le nord-ouest, c’est-à-dire à peu près en sens contraire du soulèvement central. Au reste, il ne faut pas aller chercher bien loin la cause de cette inclinaison ; en faisant quelques pas à l’est de la carrière, on voit dans le chemin même des boules de wacke affleurer ; et si l’on remonte un peu, on se trouve en présence d’un exemple clair et précis des soulèvemens locaux produits par la sortie des wackes. Ces basaltes sont accompagnés d’une belle brèche rouge dans laquelle sont empâtés de gros fragmens de calcaire. Au-dessus se trouve un conglomérat à blocs de trachyte et de basalte, et enfin de belles coulées de basaltes anciens et prismatiques, dont les surfaces sont inclinées sous un angle un peu moindre que les calcaires et plongent dans la même direction, de sorte que les wackes basaltiques paraissent être parties du foyer central placé sous le Cantal, et être arrivées au jour par un canal oblique montant dans la direction du nord-est. On voit par cet exemple que des soulèvemens locaux ont eu lieu, alors que la pression des matières superposées n’était pas trop considérable ; mais ces exemples ne prouvent pas un soulèvement général.

On a, dit-on, constaté un bombement général du sol tertiaire aux approches du massif. Mais rien ne prouve que ce bombement n’existait pas antérieurement au développement de l’action volcanique. On sera même fortement tenté de croire à cette antériorité si l’on songe que les volcans ne sont point un cause, mais simplement un effet. Que deux systèmes de fractions se rencontrent, il en résultera au point d’interjection une cheminée dans laquelle la pression exercée par la croûte solide du globe sur le noyau fluide, à la suite d’une contraction séculaire de notre planète, fera monter des laves jusqu’à ce que le tube d’ascension soit engorgé, ou l’équilibre de pression rétabli. Ce qui confirme cette manière devoir, c’est qu’on ne retrouve aucun débris du sol granitique à travers lequel l’action volcanique, considérée comme l’agent du soulèvement, aurait dû se faire jour. Si donc la volcanicité s’est établie sans grands efforts, c’est que le sol granitique et tertiaire était déjà fracturé en ce point, et peut-être déjà bombé.

M. Lecoq attribue aux volcans modernes le principal soulèvement des Monts Dore. Je suis loin de leur accorder cette puissance tout-à-fait excentrique, puisqu’ils se sont fait jour à d’assez grandes distances des points soulevés ; mais je suis tenté de croire que les commotions qui ont dû précéder et accompagner ces éruptions ont contribué, en crevassant le sol, à commencer les vallées ; car je ne suis pas de ceux qui pensent que les eaux ont pu, par leurs forces virtuelles, entamer aussi profondément le sol. Mais que des fissures, des éboulemens, conséquences de l’action volcanique, offrent prise au choc des eaux, aux affouillement, alors je conçois une dégradation proportionnelle dans la durée et les résultats à la masse et à la vitesse des eaux. Le fait de grandes érosions par les eaux n’est, je crois, contesté par personne ; seulement on leur fait une part plus ou moins grande dans la dégradation de l’ancien cône volcanique. Les énormes amas de conglomérats remaniés témoignent d’une grande puissance de transport et d’accumulation. Ce n’est pas que la volcanicité se soit développée sous les eaux ; lorsqu’elle a commencé, des végétaux arborescent s’élevaient sur le sol, et les escarpemens de quelques vallées recèlent encore leur débris calcinés. Nous avons été assez heureux, M. de Verneuil et moi, pour voir un très beau gisement de ces arbres carbonisés, dont la structure fibreuse et annulaire est très visible, et dont quelques parties sont complètement changées en pyrites. Ils sont enclavés dans un de ces conglomérats, assez communs, formés de gros fragmens de trachyte, liés par un ciment presque insaisissable ; en descendant du Puy de Chavaroche par la Vacherie, vers la vallée de la Bastide ou de Fontanges, on va tomber au hameau de la Peyre Delcros ; les bois sont à peu de distance au-dessous, sur le bord et dans le lit même du ruisseau, au pied d’un escarpement facile à distinguer par sa couleur blanche. La végétation détruite avait sans doute pris possession des flancs de la montagne pendant le sommeil du volcan, car j’ai trouvé sur le plateau du Puy Violent, à une hauteur d’environ 1,300 mètres, une empreinte très nette de feuilles dans les conglomérats basaltiques. Ce n’est donc probablement qu’après l’extinction totale des feux volcaniques, ou tout au plus pendant leur dernière période, que de grandes masses d’eaux sont venues se ruer sur ces montagnes. Elles ont changé d’étroites fractures en larges vallées, des éboulemens peu étendus en cirques (cirques des Ronvières, hautes vallées de la Jordanne), un cratère régulier en une cavité difforme, et un cône volcanique en un massif sans nom. Le temps a eu aussi sa large part dans ces changemens.

Je ne sais si j’ai clairement exprimé ma pensée, si vous avez apprécié les élémens nombreux et positifs sur lesquels s’est formée ma conviction ; j’ai cherché à démontrer dans ce Mémoire :

1° Que le cratère du Cantal n’est pas un cratère de soulèvement, mais un cratère d’éruption ;

2° Qu’on doit distinguer au moins six périodes d’éruption volcanique dont la renaissance de la végétation prouve l’éloignement dans le temps, quoique les produits soient rapprochés dans l’espace ; que ces périodes se sont suivies dans cet ordre : trachytes anciens, dykes trachytiques, trachytes gris-noirs, phonolites, basaltes anciens, basaltes modernes, et que les roches épanchées ne sont que des transformations graduées de l’une à l’autre ;

3° Que postérieurement à la formation du cône volcanique le terrain n’a pas subi de soulèvement général pendant une de ces périodes ; mais qu’il a pendant chacune d’elles subi sur quelques points des dérangemens isolés, indépendans, excentriques, produits par des agens sans simultanéité dans leur action.

En un mot, j’ai voulu prouver ce qu’on avait depuis long-temps énoncé, et ce qu’on a nié récemment, que le Cantal est tout simplement un volcan éteint.

Mes courses dans les Monts Dore ont été trop rapides, trop incomplètes, trop contrariées par les pluies, pour que j’aie pu les observer avec autant de soin que le Cantal. J’en ai assez vu cependant pour ne pouvoir mettre en doute l’analogie de composition et de formation de ces deux groupes.

Dans la cavité circulaire comprise entre le roc de Cuzeau et le Puy de Sancy, je vois, comme au Cantal, un cratère d’où rayonnent de puissantes coulées. Je vois les bords de ce cratère percés, bouleversés par des éruptions excentriques ; je vois les trois âges des trachytes en coulées, en dykes, en filons ; mais j’observe que cette dernière période a pris dans les Monts Dore beaucoup de développement et d’importance. Aussi les soulèvemens locaux, aussi la dislocation des parois du cratère y sont-ils bien plus marqués.

Les mêmes objections se présentent ici contre la théorie des cratères de soulèvement dans l’existence des vallées extérieures de déchirement sans communication avec le cratère, dans l’absence d’une cause évidente de soulèvement circulaire général ; mais aussi la même position et la même apparence des nappes basaltiques en faveur de cette hypothèse.

On ne peut pas plus, dans le Mont Dore que dans le Cantal, attribuer aux phonolites de grands changemens dans le relief du sol. Si la position des roches Sanadoire, Tuillière et Malviale au foyer d’une dépression parabolique a pu autoriser cette idée, on devra la soumettre à un nouvel examen en apprenant que les phonolites se montrent en plusieurs points autour du lac de Guery, et qu’ils forment à l’est les Puys de Triouleroux et de la Clé du Lac.

Une partie des roches qui entourent cette nappe d’eau, formée par un barrage de basaltes, me paraissent appartenir à l’époque des filons trachytiques. J’ai déjà cité l’opinion de M. Beudant à cet égard.

Je trouve ici de nouveaux faits pour rapporter aux phonolites les filons que M. Burat a classés parmi les trachytes compactes schistoïdes. Sur la route de Murat le Quayre, on voit deux gros filons de phonolite passer vers une de leurs salbandes à cette roche mate, friable et schisteuse, qui est l’objet de la contestation, et qui me paraît le produit évident d’une altération de la roche saine par des vapeurs acides.

C’est une vue ingénieuse que d’avoir supposé que les périodes d’éruption avaient été plus rapprochées dans les Monts Dore qu’au Cantal, et s’étaient presque confondues en Velay. La nature des roches justifie cette opinion. En effet, les trachytes inférieurs des Monts Dore sont gris, basaltoïdes, amphiboliques, et se rapprochent beaucoup de l’époque des filons ; les phonolites et les trachytes gris-noirs se confondent presque aux environs du lac de Cuery.

Je ne sache pas qu’au Mont Dore on ait trouvé du calcaire dans les tufs et les conglomérats. Mais j’ai vu du granite, de la protogine et de l’eurite gris en fragmens, tantôt arrondis, tantôt anguleux. Il est probable, d’après cela, que les masses volcaniques reposent sur les roches dites primitives.

Je ne terminerai pas cette note sans faire valoir, en faveur de mon opinion sur la formation et les altérations des cônes volcaniques du Cantal et des Monts Dore, un fait admis par MM. Dufrénoy et de Beaumont. Dans les Monts Dore ils ne reconnaissent plus un seul soulèvement produit par une force appliquée au centre du cratère, mais plusieurs centres de soulèvement dont rien ne prouve la formation simultanée. Or, ce qu’ils n’appliquent qu’à l’un des groupes, je le crois commun aux deux ; si l’effet est moins visible au Cantal, c’est que la cause a été moins puissante ; c’est que les filons et les dykes y sont bien moins nombreux et moins importans. Mais il est le même, et je ne puis que généraliser ce que j’ai déjà dit : le Cantal et le Mont Dore sont des volcans éteints dont les cratères d’éruption ont été déformés par des éruptions excentriques et sans simultanéité.

Lorsque j’ai songé à faire un mémoire sur le Cantal, j’ai dû soumettre à un examen attentif les roches recueillies dans mes excursions. Il m’a semblé que la première chose à connaître c’était leur composition, la proportion au moins approximative des corps qui la constituent, et le mode de combinaison de ces corps entre eux. Malheureusement les chimistes qui se sont livrés avec ardeur à l’analyse des espèces minérales n’ont presque rien fait pour celle des roches. Cette indifférence ne doit pas étonner ; les roches, en effet, n’offrent pas, comme les minéraux cristallisés régulièrement, des combinaisons définies susceptibles d’être formulées d’après les lois générales de la théorie atomique. Pour tirer parti de leur examen chimique, il faut pouvoir leur appliquer les observations géologiques. Cet enseignement mutuel des deux sciences apprendrait souvent à rapprocher ce que les apparences éloignent, et à mesurer l’importance des causes qui ont influé sur le mode d’émission, sur la diversité d’aspect des matières. Ces réflexions m ont conduit à discuter le petit nombre d’analyses déjà connues, et en m’aidant de quelques essais, je suis arrivé à des résultats très incomplets sans doute, mais qui m’ont paru intéressans.

Élaborés dans les mêmes creusets souterrains, épanchés autour des mêmes cheminées volcaniques, les trachytes, les phonolites, les basaltes sont composés essentiellement des mêmes élémens, silice, alumine, oxide de fer, soude et potasse, auxquels viennent s’adjoindre parfois la chaux, la magnésie, l’oxide de manganèse. La silice joue le rôle d’acide par rapport à tous les autres élémens. Dans des combinaisons où l’acide est toujours le même, il est évident que les variations de propriétés physiques doivent être principalement attribuées aux bases ; et comme ces bases diffèrent beaucoup de propriétés, les roches sont différentes. L’alumine et le peroxide de fer étant isomorphes d’une part, et le protoxyde de fer, le protoxyde de manganèse, la chaux et la magnésie de l’autre, on conçoit comment ces bases ont dû souvent se remplacer dans l’immense bain des matières en fusion, et par suite comment les matières sont venues au jour sous des aspects si divers quoique parties du même foyer. En général l’alumine et la magnésie tendaient à les rendre plus réfractaires, les protoxydes de fer et de manganèse plus fusibles, les alcalis plus vitreuses. Mais il ne faut pas perdre de vue que les silicates, infusibles par eux-mêmes, se fondent aisément quand ils sont combinés deux à deux, trois à trois. De plus, la fusibilité dépend beaucoup de l’état de saturation de l’acide. Ainsi les silicates et les bisilicates sont bien plus fusibles que ceux qui contiennent plus ou moins de silice. Les roches du Cantal nous offrent des exemples de ces différences. La géologie nous a montré les phonolites amoncelés à l’état pâteux, et les trachytes gris-noir étendus en nappe, grâce à une fluidité plus grande. Les alcalis se trouvent dans les deux roches à peu près en même quantité. Mais la première doit sa coloration en gris-verdâtre à une médiocre proportion de sesquisilicate ferreux ; les secondes sont colorées en gris-noir par une proportion notable de silicate ferreux. Or, cette dernière combinaison est plus fusible que l’autre ; c’est elle que certaines opérations sidérurgiques rejettent en abondance sous forme de scories grises métalloïdes. Ainsi les trachytes noirs ont dû être plus fusibles que les phonolites, ont pu s’étendre en nappes.

Je pense qu’il faut revenir de cette opinion émise dans les meilleurs ouvrages de géologie, que la coloration des roches est un phénomène sans importance. On croit avoir tout dit quand on a prononcé que les roches étaient diversement colorées par le fer. Cependant il est évident que la couleur dépend du mode de combinaison des élémens entre eux. On manque de recherches exactes pour établir d’une manière positive les relations de ces deux phénomènes. Toutefois c’est surtout de la présence du fer qu’ils semblent dépendre, aussi bien que la plus ou moins grande fluidité des roches. Il est tout-à-fait remarquable que cette dernière propriété paraisse tenir bien plus à la proportion du protoxyde de fer qu’à celle des alcalis. En effet, les trachytes anciens et les phonolites contiennent 14 à 15 p. 100 de bases alcalines, et n’ont pas été aussi fondus, aussi fluides que les basaltes, qui n’en renferment guère que 7 à 8. Au contraire, les trachytes gris-noir et les basaltes très chargés de protoxyde de fer offrent les caractères d’une grande liquidité.

Le rouge, le noir, le bleu, le vert foncé accusent le protoxyde de fer. Le blanc, le jaune serin, le jaune indiquent ou cachent le peroxide. Les domites et certains trachytes, quoique à peine revêtus de faibles teintes jaunâtres, renferment d’assez fortes proportions de peroxide de fer, et lui doivent peut-être leurs propriétés réfractaires. En effet, si l’on se rappelle qu’à une température élevée le silicate ferrique perd de l’oxygène et se transforme en silicate de protoxyde, on en conclura que ces domites et ces trachytes ont été exposés à une médiocre chaleur, et n’ont pu former que des masses pâteuses, peu coulantes, d’un aspect mat et terreux. Un accroissement de température a ramené le fer à l’état d’oxidule, en a introduit une nouvelle quantité, et a formé des laves noires coulantes, des basaltes.

Ce qui porte le plus souvent à n’attacher que peu d’importance à la coloration des roches, ce sont les variations fréquentes de couleurs dans une même masse. Mais il faut remarquer, d’une part, qu’on ne doit considérer ce phénomène que d’une manière générale ; et de l’autre, que ces variations ont presque toujours lieu entre des élémens isobasiques, entre des silicates de même oxide à divers états de saturation, et par conséquent entre des couleurs qui s’accordent. Ainsi, malgré ces variations, il n’en est pas moins constant que certaines couleurs peuvent être considérées comme caractéristiques de certaines époques d’émission, par cela même qu’elles indiquent un changement dans le travail des creusets souterrains.

Gmelin a publié les analyses de quelques phonolites, et a conclu, de ses recherches, que cette roche était composée d’un mélange de feldspath et d’une substance zéolitique soluble dans les acides. Quelques personnes se sont autorisées de ce fait pour considérer la solubilité partielle dans les acides comme un caractère distinctif des phonolites. C’est là une grave erreur qu’il importe de détruire. J’ai essayé les principales espèces de roches volcaniques, et toutes se sont trouvées composées de silicates solubles et de silicates insolubles, en proportions très variables dans une même espèce. Il suffit, d’ailleurs, de comparer entre elles les analyses de Gmelin pour reconnaître que ces mélanges ne sont assujétis à aucune loi fixe. La zéolite (je me sers de ce nom assez impropre pour la commodité du langage) entre dans les phonolites analysés pour 14, 16 et 55 sur 100 ; ou, ce qui revient au même, ces roches abandonnent aux acides 8, 11 et 30 parties de diverses bases. En faisant digérer à froid les roches réduites en poudre impalpable dans de l’acide hydrochlorique étendu de son volume d’eau, j’ai trouvé les pertes suivantes :

1" Trachyte rouge de Bataillouse 9,25

2° Trachyte gris-noir des filons (base de Griou) 14,50
3" Trachyte gris foncé de la Queuille (plateau de Dienne). 13,50
4" Phonolite du Griou 14,00
5° Phonolite de la Roche-Blanche (vallée du Falgoux) 7,53
6" Phonolite schisteux en filon de Peyrearse (trachyte schistoïde de M. Burat) 5,33
7° Eurite de la Couelle, homogène, jaunâtre, terreux en filon 5,00
8° Basalte du Plomb du Cantal 25,00

La dissolution ne contient presque que de l’alumine, du protoxyde de fer, et des alcalis. La chaux n’y est en général pas assez abondante pour être dosée. Le trachyte noir de la base du Griou fait exception ; il contient du carbonate de chaux que rien à la vue ne peut faire soupçonner, mais que décèle l’effervescence dans les acides. En traversant les calcaires, les laves ont pu s’en assimiler une certaine quantité. Ainsi la chimie nous indique la présence du terrain tertiaire sous le Griou, comme la géologie nous conduit à l’admettre sous le Mary. Il est probable que l’examen de tous les filons fournirait les mêmes présomptions pour d’autres points du Cantal.

Un autre fait ressort de ces essais ; c’est que les trachytes ne sont pas composés, comme le disent la plupart des traités, de feldspath compacte et de feldspath vitreux, puisqu’ils se dissolvent en partie dans les acides, et que le feldspath y est insoluble.

Cherchons à réunir les élémens de l’histoire chimique et minéralogique de ces roches.

Les trachytes contiennent une grande quantité d’alcali, ordinairement 1/7 du poids de la roche, et tantôt du peroxide, tantôt du protoxyde de fer. La fluidité paraît dépendre de la proportion de ce dernier corps.

Les phonolites renferment à peu près autant d’alcali ; le protoxyde de fer y devient un élément essentiel, quoiqu’en petite proportion.

Dans les basaltes, moitié moins d’alcali, beaucoup plus de protoxyde de fer. La grande quantité de pyroxène disséminé y introduit la magnésie comme élément essentiel.

L’amphibole, souvent assez abondante dans les trachytes pour constituer des variétés, se montre aussi dans les phonolites et devient rare dans les basaltes.

Le pyroxène se rencontre quelquefois dans les trachytes ; je ne l’ai jamais vu dans les phonolites ; il abonde dans les basaltes, et sa proportion y croît à mesure que l’âge des roches devient plus récent.

Le péridot est un accident dans les trachytes ; il se montre aussi dans les phonolites, mais ne devient abondant et essentiel que dans les basaltes, et surtout dans les basaltes les plus modernes. On trouve des zéolites dans les trachytes, stilbite, chabasie, mésotype ; elles augmentent dans les phonolites, et sont surtout abondantes dans les basaltes.

Ainsi, d’une part, les alcalis diminuent, le protoxyde de fer et la magnésie augmentent.

D’une autre, l’amphibole et le feldspath diminuent, le pyroxène, le péridot et la mésotype augmentent.

Cette double progression croissante et décroissante est tout-à-fait d’accord avec l’ordre d’émission que la géologie nous a indiqué dans les roches du Cantal. Elles ne permettent pas de placer les phonolites ailleurs qu’entre les trachytes et les basaltes, liés qu’ils sont aux trachytes par l’abondance des alcalis, aux basaltes par la présence du protoxyde de fer comme élément essentiel.

Il me semble qu’on peut conclure de cet exposé que ce n’est point par des changemens brusques, par des renouvellemens complets qu’a procédé la nature sous le rapport chimique. Un accroissement ou une diminution de température, le remplacement partiel des alcalis par l’oxide ferreux ou la magnésie, voilà à peu près à quoi se sont bornées les variations internes qui ont rejeté à la surface de la terre des roches d’aspect si différent. C’est une chose tout-à-fait digne de l’attention des géologues qu’à des phénomènes mécaniques séparés par de longs intervalles de temps correspondent d’aussi faibles oscillations, des changemens si incomplets dans la nature des matières vomies. Si l’on réfléchit que d’autres roches, les trapps, les grunsteins se prêteraient aux mêmes considérations, et que l’on a observé des passages évidens des roches volcaniques aux roches dites primitives, on est tenté de croire que toutes les roches pyrogènes pourraient bien n’être que des modifications d’une même matière sous l’influence de circonstances qui nous échappent. Les travaux sidérurgiques et les recherches des chimistes nous donneront un jour la solution de ce problème intéressant ; car Leibnitz a dit avec raison : Natura magna ars est.



EXPLICATION DE LA PLANCHE XIV.

J’ai essayé de réunir dans une coupe tous les élément à moi connus de l’histoire du Cantal. Ce n’est pas arbitrairement que j’ai indiqué les filons ; les naturalistes qui visiteront ces montagnes retrouveront, en allant du Cantal au Puy-Griou, et de ce point à Peyrearse, au Puy-Mary et à Chavaroche, tous les affleurement indiqués sur la planche ; seulement, pour montrer la symétrie des accidens volcaniques, j’ai transporté dans le Puy-Chavaroche des filons phonolitiques qui se trouvent au Puy-Mary et à Peyrearse, en conservant, autant que je l’ai pu, leur niveau.

Les fragmens de calcaire empâtés dans les conglomérats du Puy-Mary et de Giou de Mamou, ainsi que les trachytes calcarifères du Gnou, indiquent la présence de quelques lambeaux tertiaires sous les assises volcaniques.

Les deux premiers plans sont des coupes, les arrière-plans sont en perspective, d’après une esquisse que j’ai prise sur les lieux.


  1. M. C. Prévost a soutenu que le mélange des calcaires et des conglomérats à Giou était le résultat d’un éboulement, d’un undercliff ; MM. Dufrénoy et de Beaumont le regardent comme le produit d’une éruption locale. Je crois qu’on peut accorder les deux opinions en se rappelant que des lacs ont dû occuper l’intérieur du cratère pendant les périodes de sommeil du volcan, et que l’écoulement de ces eaux par la gorge de Vic a pu causer des éboulemens dans les conglomérats qui avaient antérieurement empâté des lambeaux calcaires.