Attaque d’un détachement de gardes-françaises entre la Chaise-Dieu et Dore-l’Église (1641)

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ATTAQUE D’UN DÉTACHEMENT
DE GARDES-FRANÇAISES
ENTRE LA CHAISE-DIEU ET DORE-L’ÉGLISE
(1641)



En histoire, les détails ne sauraient être négligés ; eux seuls peuvent faire connaître les institutions, les coutumes des époques lointaines. Aussi, les chercheurs s’attachent-ils à recueillir le plus grand nombre possible de petits faits qui, par eux-mêmes, n’offriraient qu’un intérêt secondaire, mais dont la réunion permettra un jour de combler bien des lacunes.

L’information, que nous publions, a trait à un événement dont nous n’avons trouvé la mention dans aucune de nos chroniques auvergnates. Elle nous montre la manière dont s’effectuait alors le recrutement des troupes et la rudesse des mœurs des habitants de nos campagnes. Combien, à ce point de vue, notre siècle gagne à la comparaison !

La création des gardes-françaises, dont il est ici question, date du règne de Henri II et peut se reporter à l’année 1558[1]. Ce corps, composé à l’origine de Gascons et de Picards, fut remanié, sous Charles IX, en 1563, et prit le nom de Dix-Enseignes. Son accroissement excita de tels murmures que la reine-régente chercha à les apaiser en évitant d’envoyer à l’armée les gardes-françaises qui eussent été vus d’un mauvais œil. En 1573, ce corps fut rattaché à la maison du roi et se nomma alors la garde-française.

Sa composition varia à ces diverses époques. En 1635, le régiment fut porté à trente compagnies de deux cents hommes. Leur discipline était des plus relâchées, lorsque, dans la première moitié du XVIIIe siècle, on les caserna.

Ils furent, à l’origine, vêtus d’un justaucorps de bure grise, orné d’aiguillettes rouges et coiffés à la bourguignotte. Au milieu du siècle dernier, ils prirent, à titre de corps royal, l’habit bleu de roi, parementé de rouge, agrémenté de brandebourgs blancs et accompagné de dessous écarlate. Ils étaient chaussés de guêtres blanches et portaient tous l’épée.

Quant aux officiers, jusqu’au milieu du dernier siècle, ils se présentaient sous les armes en habit de cour de toutes couleurs, et enrichi de broderies de tout genre.

Les compagnies des gardes se vendaient, excepté dans le cas où le capitaine venait à décéder sans en avoir disposé ; dans ce cas, l’avancement avait lieu à l’ancienneté de grade à grade.

Le régiment des gardes-françaises qui, en réalité, n’était que le premier régiment d’infanterie de ligne de l’armée, fut licencié le 21 juillet 1789, et l’on incorpora ses hommes dans la garde nationale soldée, dans les chasseurs de Bavière, etc.

Les rois de France avaient encore des gardes suisses dont l’origine remonte à 1478 et qu’Henri IV attacha à la garde de sa personne en 1589.

Henry Mosnier.


Information faite par M. de Chaumes, intendant d’Auvergne, contre les habitants de la Chaise-Dieu.


Du lundy cinquiesme jour d’aoust 1641, en la ville de la Chaise-Dieu, au logis ou pend pour enseigne la Croix blanche.


Claude Benoist, notaire royal de St-Badel, y demeurant, aagé d’environ XXX VIII ans, lequel après serment par luy fait de dire verité, a dict qu’au mois de juin dernier, n’est mémoratif du jour, ayant été commandé par la marquise d’Alègre d’aller au devant de la compagnie du sieur de Lamesan, cappitaine au régiment des gardes de Sa Majesté, qui conduisoit la recreue de sa dicte compagnie, et passoit dans le pays aux environs d’Alègre, et luy portoit une lettre de la part de ladicte dame Marquise pour exempter ses terres, il rencontra ledict sieur de Lamesan ou du Massé, ne sait aultrement dire son nom ne l’ayant jamais ouy nommer qu’aux soldats de sa compagnie, lesquels estoient pour la pluspart gascons et dont l’on n’entendait facilement le langage, lequel luy demanda le chemin pour aller à la Chaise-Dieu ; et luy depposant s’offrit de l’accompagner jusques audict lieu, comme il fist. En estant arrivé aux fauxbourgs de Baniche, se seroit retiré dans son hostellerie, chez le nommé Pont blanc, et ne sait ce que se passa dans ladite ville, sinon qu’il a ouy dire, par commun bruit dans le pays, que ledict cappitaine fut justement se loger dans ladicte ville, disant et faisant son ordre ainsi qu’il avait dict a luy depposant lorsqu’il le rencontra, et le fit voir aux consuls et habitants de ladicte ville, et que les bailly, consuls et habitants d’icelle ville luy ayant demonstré qu’ils avoient une exemption de Son Eminence, laquelle ils luy representèrent et l’ayant prié de les traiter aussi favorablement qu’avoit faict le sieur de St-Pol, cappitaine au même régiment, huict jours ou environ auparavant, lequel se seroit départi après avoir veu ladicte exemption de loger dans ladicte ville, mesme deux pères religieux réformés de l’abbaye de ladite ville, ayant joinct leurs prières avec celles desdicts habitans pour le mesme subject, il sortit et se retira de ladicte ville avec ses soldats, lesquels il fit filer du costé de St-Badel, dont luy depposant estant adverty, il courut après luy à course de cheval et l’attrappa aux fauxbourgs de Nostre-Dame de ladicte ville de la Chaise-Dieu et luy ayant ledict cappitaine demandé s’il tenoit le chemin de Dore l’Église, il luy avoit faict répondre que non et qu’il tiroit droit dans le chemin de St-Badel qui appartenoit à ladicte dame d’Alègre. Sur quoy ledict capitaine l’avoit prié de le mettre dans le chemin de Dore, disant qu’il avoit appris à la Chaise-Dieu que c’estoit le chemin qu’avoit tenu le sieur de St-Pol, cappitaine au régiment des gardes, et auroit passé depuis peu de jours, conduisant la recreue de sa compagnie ; et après que luy depposant eut dict audict cappitaine que n’estoit dans le chemin de Dore, il rappella ses soldats et, ayant rencontré un paysan, l’auroit pris pour guide pour aller du costé dudict Dore, et luy depposant pris congé de lui et se retira. Ne scait ce qu’est arrivé audict lieu de Dore, bien a ouy dire plusieurs et différentes choses sur le faict dudict logement sans scavoir rien de certain, d’aultant que les uns disent une chose et les aultres une aultre ; et ce quy est de plus constant dans tous ses bruits est que ledict cappitaine fut blessé en voulant loger audict lieu, eut son cheval tué sans scavoir par qui ni comment, sinon qu’il scait bien qu’il fust traicté et médicamenté à Craponne, au logis du sieur Picon, bailly dudict lieu, quy est tout ce qu’il a dict, et, lecture faicte, a dict sa depposition contenir vérité et a persisté et signé.

Benoist.


Du sixiesme jour desdicts mois et an, en ladite ville de la Chaise-Dieu, du matin, pris avec nous pour adjoinct Me Antoine Cheverlanges, lieutenant en l’élection de Brioude, pour nous interpreter le langage des tesmoings, après avoir de luy pris le serment. Antoine Cavard, fils à Benoist, natif de la presente ville, y demeurant, aagé de vingt deux ans ou environ, lequel, après serment par luy faict de dire verité, deppose qu’estant au service du sieur de la Revoulte, gentilhomme de la paroisse de Dore l’Église, un jour du mois de juin dernier, ainsy qu’il luy semble, n’en est de aultrement mémoratif, estant dans la maison de sondict maistre, il entendit sonner le tocsin dans le bourg de Dore, et lors fut commandé par ladicte demoiselle de la Revoulte, sa maistresse, d’aller audict bourg pour apprendre ce que c’estoit : ce qu’il fist. Et, y estant arrivé, auroit veu une quantité de peuple, hommes et femmes, au nombre de quatre ou cinq cens, estant dudict bourg de Dore ou paroisse, que couroient après les soldats, que a depuis ouy dire estre les soldats d’une compagnie des gardes de Sa Majesté, lesquels soldats s’enfuiant du costé d’un village appellé Réraguès, de ladicte paroisse de Dore, où ils furent attaqués par lesdicts poursuivants à coup de battons, arquebuses, picques, halebardes, fourches de fer, espées et aultres armes, et force jetteries de pierres après lesdicts soldats, lesquels se deffendirent et le cappitaine et officiers pendant une demye heure ou environ, entre cinq et six heures du soir ; mais lesdicts soldats, cappitaine et officiers furent contraincts de cedder à la force et multitude et s’enfuirent en abandonnant leurs bagages, ne vit blesser aucun desdicts soldats ou officiers, d’autant que y arriva sur le tard : Mais a ouy dire que le cappitaine y avoit été blessé et son cheval tué. Se souvenant qu’après que lesdicts soldats eurent pris la fuite, ils laisserent une mule ou mulet noir, ayant bas à la françoise, chargé de deux malles de cuir vellu, avec chacune aix et serrures et la forme d’un chapeau au dessus de la couverture ; laquelle mule ou mulet, au bruit que faisoient lesdicts paysans et soldats, s’espouvanta de telle sorte qu’elle jetta ses coffres par terre et à l’instant lesdicts paysans en grand nombre se jetterent sur lesdicts coffres et, à grands coups de pierres, s’esforçaient de les rompre ; ce qu’ils eussent faict, s’ils n’en eussent esté empesché par luy depposant, leur disant : « Tout beau, mes amys, ne rompez pas les coffres, car vous vous mettriez en peyne ». Ce qui occasionna lesdicts paysans de se porter de faire plus grands efforts, d’auttant qu’ils cognoissoient ledict depposant estre domestique dudict sieur de la Revoulte, gentilhomme de ladicte paroisse. Ne scait, ne dire les noms de ceux qui se mirent en debvoir de rompre les coffres, d’aultant que y avoit si grand nombre de personnes que aucune a peu distinguer, sinon que est mémoratif que le nommé Fraix cadet, du village de Loubaresse, et le grangier du nommé Titasson, consul dudict Dore, nommé Jean Faucon, demeurant à Peyrissange, de la mesme paroisse, y estoient present et voulurent rompre lesdicts coffres avec les aultres. Se souvient aussy que, lesdicts coffres ayant esté délaissés par lesdicts paysans pour le respos de sondict maistre, il pria lesdicts habitans de l’ayder à porter iceux dans le bourg de Dore pour les mettre en seureté en la maison du curé ; mais pas un desdicts habitans ne le voulut assister, de sorte qu’il fut contrainct de traisner lesdicts coffres jusques proche la maison et devant la porte de la mestairye du sieur de Reyrac dans le village de Reyraguès et pria la mestayère de vouloir ouvrir sa maison ou sa grange pour les retirer, ce que ne voulut faire de crainte de la grande émotion. Ce que donna subject à luy depposant de laisser lesdicts coffres en la garde de ladicte mestayère, luy desclarant qu’elle en seroit responsable, et en arriveroit faulte et est bien mémoratif que lesdicts coffres estoient bien pesants, ayant esté obligé de les traisner l’ung après l’aultre. Ce fait, il se retira en la maison de sondict maistre, ou sa maistresse l’attendoit, et, en se retirant, un nommé Chevans, habitant d’Arlanc, que a une mestairye dans ledict bourg de Dore, lequel s’estoit trouvé dans ledict combat et lequel luy depposant avoit veu une espée à la main qui emmenoit ladicte mule ou mulet et entendit beaucoup de voix qui criaient après ledict Chevans, disant : « Attendez, attendez, n’emmenez pas la mule » : ce qui fut cause que ledict Cherans ramena ladicte mule ou mulet que fut mise entre les mains dudict Titasson, consul, que elle fut menée dans sa maison par son fils. Ne scait ce que sont devenus lesdicts coffres, sinon que a ouy dire qu’ils avaient esté rompus le mesme jour et qu’on avoit pris tout ce qui estoit dedans ; et, le lendemain, passant devant la maison de la susdicte mestayère qui avoit un œil noir et poché et qui luy dict qu’elle estoit bien marye de ce que n’estoit demeuré le jour précèdent en sa maison, disant que s’il y eut couché, il eut empesché que lesdicts coffres n’eussent esté rompus et emportés, comme ils avoient esté, d’autant que quatre paysans seroient venus en son logis, demye heure après que se seroit retiré, pour emporter lesdicts coffres ; s’y estant voulu opposer, ils l’avoient battue et excédée ainsy qu’il voyoit, et, estant les plus forts, avoient emporté lesdicts coffres proche la rivière, là où ils les ont rompus et emportés tout ce qui estoit dedans, s’estant cachés, pour faire ledict vol, dans un petit bois proche le bordage de ladicte rivière à desseinz de n’estre pas descouverts ; et luy a dict ladicte mestayère que lesdicts paysans estoient les nommés Jean Faucon et Pierre Aubaveysse, dict Pillard, du village de Peyrossange, et le nommé Breschart, du même village, et le nommé Jean Pirault, du village d’Aubaresse, de la mesme paroisse de Dore. Ne scait dire ce que y avoit dans lesdicts coffres, sinon a ouy dire que la mère dudict Pirault avoit rendu, aux officiers de la justice d’Arlanc, cinq cens escus et que ledict Pirault, son fils, s’en seroit fuy, et aussy que ledict Breschart avoit rendu dix escus ausdicts officiers, disant qu’il n’y en avoit davantage. Et, enquis du nom de ceux qui avoient commis lesdicts excès contre lesdicts soldats, a dict qu’il lui seroit impossible de les nommer tous, mais, entre aultres, a recogneu Titasson, consul ; son gendre, appelé l’Appoticaire clavelier dudict Arlanc.

Claude Baile, laboureur, demeurant à Dore, natif de Coulanges, paroisse dudict Dore, aagé de trente ans ou environ, lequel, après serment par luy faict de dire vérité, a dict qu’au mois de juin dernier, le sept ou huict d’auparavant de la St-Jean, il passa une recreuë d’une compagnie du régiment des gardes, laquelle, ainsy qu’il a ouy dire, se presenta aux portes de la presente ville pour y loger. Ne scait pour quoy il n’y logèrent point, sinon qu’il a ouy dire que de ladicte ville on les renvoya loger audict Dore ; et aussy a ouy dire que s’estant ladicte recreuë retirée à Dore et ayant demandé à loger, parlant au curé et au nommé Marcland prebtre, vicaire dudict lieu, et au nommé Titasson, consul, qui luy auroit demandé l’ordre. Sur quoy lesdicts soldats ou officiers de ladicte recreuë battirent à coup de battons deux habitants dudict lieu, l’un nommé Fiacre Cottin, l’aultre Robert Vaire, musnier, habitant de Reyrac ; dict aussy Jean Chapon, du village de Fousson, Denis Boissière, Robert Molnier dudict lieu de Dore, Benoist Ducas dudict lieu, Claude Bernard dudict lieu, Annet Mattelin, Jean Paschal, Fiacre Cottin, tous dudict bourg ; Vidal Bravard, de la Boyssere ; Pierre Coudert, Antoine Mallapert, de Peyrissange ; Benoict Boyssyère le jeune, de Bar ; Simon de Laubeyresse, dudict Fousson ; Damien Raban et Pierre Roux, du village du Tillieu, qui est tout ce que a dict et, la lecture faicte de sa depposition a persisté et declaré ne scavoir signer.

Et adjoustant à sa depposition, a dict qu’un nommé Jacques, grangier dudict bourg de Dore, a receu un coup de pistollet dans le nez, qu’on dict luy avoit esté tiré par le cappitaine de ladicte compagnie, ce que sçoit pour avoir veu ledict grangier lors de ladicte meslée tout couvert de sang, et depuis scait que ledict grangier s’est faict recoudre le nez. Que ledict Jean revenant du marché d’Ariane, il entendit sonner le tocsin audict bourg de Dore, lequel fit assembler quantité d’habitans, tant dudict Dore que des villages circonvoisins estans de ladicte paroisse, partye venant dudict bourg et desdicts villages, partye venant du marché du bourg d’Arlanc, lesquels s’estoient assemblés entre ledict bourg de Dore et le village de Reyrac, ou il vit les soldats de ladicte recreuë l’espée à la main et desdicts habitans la plus grande partye armés de bastons, fourches de fer et halebardes, et quelques uns des espées, lesquels s’entrebattaient sans scavoir qui avoit commencé la meslée, d’autant qu’il ny estoit pas au commencement et vit à l’instant lesdicts soldats qui se retirerent du costé de St-Victour, ce qui occasionna lesdicts habitans de se retirer chacun en sa maison. Ne cognoist lesdicts soldats et, pour le regard desdicts habitans, ne scaurait les nommer, d’aultant qu’ils estoient en trop grand nombre jusques à six ou sept vingt ou environ, et qu’il n’eut pas le loisir de les distinguer, sinon Titasson, consul dudict Dore, ayant son espée au costé dans le foureau ; que aussy en passant le long dudict Dore, l’appoticaire d’Arlanc, gendre dudict Titasson, son espée au costé et à cheval, que alloit joindre son beau-père, ne l’ayant veu dans la meslée. A ouy dire que le cappitaine fut blessé et son cheval pareillement blessé que depuis mourut à Craponne, comme aussy il y eut deux habitans de la paroisse de Dore, blessés, l’un nommé Pierre Cottin et l’autre nommé Jacques dont il ne scait le surnom qui est dudict bourg de Dore ; qui est tout ce qu’il a dict et, lecture faicte de sa depposition, a dict icelle contenir vérité, y a persisté et déclaré ne scavoir signer.

De Chaulnes.Chevelanges.

Nous ordonnons que les commissaires des habitants de la Chaise-Dieu et de Dore l’Église seront assignés à comparroir, de leurs personnes, par devant nous, à certain brief et competent jour, chacune par un scyndic fondé de procuration speciale, tant pour estre ouys et interrogés sur le contenu desdites informations et estre advoués pour subir la confrontation, si besoing est. Faict à Riom le XII d'aoust 1641.

De Chaulnes.




  1. Voy. Bardin, Dictionnaire de l’armée de terre, t. III, p. 2500.