Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 047

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 185-186).


XLVII

Le reclus


Marcella, Sabine, Virgilia… me voilà en train de fondre tous ces contrastes, comme si ces noms et ces personnes étaient autre chose que des modalités de mon affection intime. Plume de mauvaises mœurs, mets une cravate au style, revêts-le d’un habit moins sordide. Ensuite nous rentrerons dans mon ancienne demeure, nous nous coucherons dans ce hamac, où j’ai passé la plus grande partie des années qui s’écoulèrent depuis l’inventaire des biens paternels jusqu’à l’année 1842. S’il s’exhale de la pièce de vagues senteurs de toilette, il ne faut pas croire que c’est moi qui ai versé les parfums. C’est un relent de Z, de N, ou de U.

Toutes ces lettres majuscules bercèrent dans ce boudoir leur élégante abjection. Mais si, outre l’arôme, on est curieux d’autre chose, c’est peine perdue : je n’ai gardé ni les portraits, ni les lettres, ni les factures. L’émotion même s’est éteinte, il ne reste que les initiales.

Je vécus ainsi en reclus. De temps à autre, j’allais au bal, au théâtre, à une réunion ; mais la plus grande partie du temps, je l’ai passée avec moi-même. J’ai vécu ; je me suis laissé porter par le flux et le reflux des événements et des jours, tantôt agité tantôt apathique, entre l’ambition et l’indifférence. Je faisais de la politique et de la littérature, j’envoyais des articles et des vers aux journaux, j’acquis même une certaine réputation de polémiste et de poète. Quand je me souvenais de Lobo Neves, qui était député, et de Virgilia, future marquise, je me demandais à moi-même si je n’aurais pas fait un meilleur député et un plus élégant marquis que Lobo Neves, car je valais mieux que lui, beaucoup mieux que lui. Et je me disais cela en regardant le bout de mon nez.