Mémoires sur les contrées occidentales/Avertissement du traducteur

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Traduction par Stanislas Julien.
(tome 1p. v-xxii).

AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR.


J’avais formé, il y a bien longtemps, le projet de publier, en français, les relations des pèlerins chinois qui ont voyagé, du ive au xe siècle, à l'occident de leur pays, et particulièrement dans I’Inde, pour visiter les monuments bouddhiques, étudier la doctrine de Çakyamouni, et rapporter dans leur patrie les manuscrits originaux qui en contenaient les textes et les commentaires. J’aurais commencé par le Fo-koue-ki (Mémoire sur les royaumes de Fo) de Fa-kien, s’il n’eût pas été déjà traduit et publié par deux savants renommés, auxquels avait manqué une connaissance indispensable, l’intelligence de la langue sanscrite. Je ferai entrer plus tard ce petit ouvrage dans mon Recueil, après y avoir inséré plusieurs relations jusqu’ici inédites. Parmi ces dernières, il en était une d’une haute valeur, et à laquelle je devais me consacrer avant tout, je veux dire le Si-yu-ki (Mémoires sur les contrées occidentales) de Hiouen-thsang, qui avait passé dix-sept ans hors de son pays, au milieu des intéressantes et pénibles excursions où l’entraînaient le désir ardent de s’instruire, et surtout son zèle et son enthousiasme religieux.

À la sollicitation pressante de mon illustre ami, M. le baron Alex. de Humboldt, j’avais d’abord ébauché la traduction du commencement du Si-yu-ki, que beaucoup de savants avaient considéré jusqu’ici comme la relation originale et personnelle de Hiouen-thsang, mais qui, ainsi qu’on va le voir par la notice du grand catalogue de la Bibliothèque de l’empereur Khien-long, a été rédigé par un écrivain distingué du nom de Pien-ki, à l’aide de nombreux documents traduits du sanscrit par l’illustre voyageur, et tirés, pour la plupart, d’ouvrages statistiques et historiques, tels qu’on pouvait les faire dans l’Inde, et qui n’existent plus aujourd’hui. C’est là ce qui a fait dire, à bon droit, par les éditeurs, que l’ouvrage était traduit des langues de l’Inde, quoique l’on ne puisse, en raison des détails de l’itinéraire que l’on rencontre à chaque page, le considérer comme la traduction littérale et continue d’un texte sanscrit.

Avant d’aborder la traduction du Si-yu-ki, je l’avais d’abord lu en entier, d’une manière suffisante pour en comprendre le sens général et en embrasser le contenu. Mais, à cette époque éloignée, j’ignorais la langue sanscrite, dont la connaissance m’était indispensable, soit pour transcrire les mots indiens, représentés phonétiquement, soit pour restituer ceux qui restaient cachés sous une forme chinoise, et dont l’auteur avait négligé d’indiquer la prononciation au moyen de signes dépourvus de leur signification habituelle, et destinés à suppléer un alphabet qui n’existe pas[1].

Après avoir consulté sans fruit plusieurs indianistes de mes confrères, je me vis dans la nécessité d’apprendre moi-même et tout exprès le sanscrit, du moins autant que j’en avais besoin pour atteindre le but que je me proposais. J’ai déjà énoncé ces faits, d’une manière plus complète, dans la préface de mon premier volume, et c’est uniquement en vue des personnes qui ne le posséderaient pas, que je crois devoir les rappeler sommairement.

Lorsque j’allais me remettre à l’œuvre, un peu mieux préparé qu’auparavant, je fus assez heureux pour obtenir de Russie, à titre de prêt, un ouvrage dont le titre abrégé est Hiouen-thsang-tch’ouen, ou Histoire de Hiouen-thsang[2], et qui renfermait sa biographie et le résumé de son voyage, augmenté d’une multitude d’épisodes et d’événements personnels, ainsi que de détails littéraires, neufs et pleins d’intérêt, qui manquaient dans le Si-yu-ki. Je pensai que si je commençais par l’ouvrage principal, renfermant la relation complète, je ne pourrais plus eu donner ensuite l’abrégé, qui, d’ailleurs, me semblait plus animé et plus attachant que la rédaction grave et sévère du Si-yu-ki, où, chose étrange, on ne voit apparaître qu’une seule fois la grande et imposante figure du voyageur. J’adoptai, en conséquence, pour inaugurer mon entreprise, l’ouvrage composé par Hoeï-li et complété par Tsong-yun, lesquels avaient été tous deux les disciples, et, plus tard, les collaborateurs de Houen-thsang, et je le publiai, en avril 1853, sous le titre de : Histoire de la vie de Hiouen-thsang et de ses voyages dans l’Inde, entre les années 629 et 645, etc.[3]. C’est la tête de la collection commencée, et à laquelle je donne, à partir d’aujourd’hui, un titre général qui en indique nettement l’objet et la portée. Le Si-yu-ki, dont j’offre aux lecteurs huit livres sur douze, en formera les deuxième et troisième volumes. J’ai même l’intention de le compléter par un quatrième volume, composé de documents d’un grand intérêt, qui se rattacheraient intimement au même sujet. Le troisième volume contiendra les quatre derniers livres du texte, des notes, trois index et les paradigmes des signes phonétiques. Je donne dès à présent une grande carte de l’Asie centrale et de l’Inde, rédigée par M. Vivien de Saint-Martin, pour l’intelligence des voyages de Hiouen-thsang.

Après l’achèvement du Si-yu-ki, je publierai les autres relations de voyages indiquées à la fin de la préface de mon premier volume. Je donnerai une plus grande étendue à ce Recueil, si je réussis à obtenir plusieurs autres voyages dont on trouve des extraits dans diverses encyclopédies récentes, et que je crois exister encore en Chine.

Le choix raisonné que j’avais fait, pour mon début, de l’Histoire de la vie de Hiouen-thsang et de ses voyages dans l’Inde, a été blâmé sans ménagements et sans égards dans une critique passionnée, par un sinologue russe[4] qui, malheureusement, avait un intérêt trop personnel dans la question pour être impartial et juste. Ce n’est pas tout. Lorsque j’ai traduit l’Histoire de la vie et des voyages de Hiouen-thsang, j’avais passé, en avertissant le lecteur, une multitude de rapports, de décrets, de lettres et de requêtes dont sont remplis les livres VI à X, par la raison que ces pièces, où règne constamment un style ampoulé et prétentieux, me paraissaient ne point contenir le moindre fait, ni la moindre observation propres à ajouter de nouvelles notions de quelque valeur sur l’histoire, la géographie, la littérature et les doctrines de l’Inde ancienne. J’ai relu depuis ces mêmes pièces, et j’en ai communiqué plusieurs à des juges compétents qui m’ont félicité sans réserve du parti que j’avais adopté.

L’omission volontaire de ces pièces est devenue un crime aux yeux de mon critique, et, pour s’en rendre compte, il ne craint pas d’avancer que j’avais dû les trouver inintelligibles (unverständlich). Il ajoute, pour justifier une telle conjecture (eine solche Vermuthung), qu’il n’ignore pas que « précisément de tels morceaux littéraires présentent le plus grand nombre de difficultés que puisse rencontrer un traducteur[5] ».

Pour montrer ce qu’on doit penser de cette imputation aussi injuste que malveillante, je donne ci-après le texte chinois et la traduction annotée de la Préface du Si-yu-ki, qui, soit pour les allusions historiques, soit pour l’emploi des métaphores et des termes techniques dont la signification manque dans tous les dictionnaires, offre infiniment plus de difficultés que les pièces que j’ai omises à bon escient, et qui peut être considérée comme un des morceaux les plus obscurs de la littérature chinoise, et, en particulier, comme un échantillon remarquable du style bouddhique le plus subtil et le plus raffiné.

Mais admettons un instant que j’aie omis les pièces en question par la seule raison qu’elles étaient inintelligibles (unverständlich) pour moi, je suis, ce semble, autorisé à dire (sans manquer aux égards qu’on doit même aux personnes notoirement hostiles) que ce philologue, si sévère pour autrui, qui est à peine connu en dehors de son pays, et dont les travaux, complaisamment annoncés par lui-même, ne donnent encore que de vagues espérances, n’avait pas le droit de parler bien haut. En effet, lorsqu’il s’est permis de censurer un confrère qui, loin de la Chine, avait constamment lutté, seul et sans le secours d’aucun lettré[6], contre les difficultés d’un des textes les plus ardus de la littérature chinoise, il ne s’est pas aperçu qu’on pouvait lui répondre que si, dans l’interprétation du Si-yu-ki, il n’avait jamais rencontré d’obstacles (comme il le dit avec une naïveté qui étonne), c’était uniquement grâce à l’assistance puissante et assidue d’hommes qui, dans un genre d’érudition qui lui manquait, sont les plus savants et les plus profonds qui existent au monde.

Mais si, comme on vient de le voir, la préférence momentanée que j’avais donnée à l’ouvrage de Hoeï-li et de Tsong-yun, m’a attiré des critiques peu mesurées auxquelles j’étais loin de m’attendre, elle a été non-seulement approuvée, mais encore hautement justifiée, par un membre de l’Institut[7], qui a publié dans le Journal des Savants un magnifique travail sur le Bouddhisme indien au viie siècle de notre ère, en puisant surtout dans l’Histoire de la vie et des voyages de Hiouen-thsang les riches matériaux de son Mémoire, remarquable à la fois par l’élégance du style, la profondeur des vues et la solidité de l’érudition. Le plaidoyer éloquent de mon savant confrère est trop honorable et trop flatteur pour que je le rapporte ici. Qu’il me suffise d’avoir opposé son approbation formelle, et d’une grande autorité, à des critiques dont j’ai assez indiqué l’origine et l’esprit.

Non contente de blâmer amèrement le choix que j’avais fait, la même personne a prétendu l’expliquer en insinuant que, si je n’avais pas commencé par la traduction du Si-yu-ki, c’était, sans doute, parce que les difficultés peu communes de ce texte chinois m’avaient forcé de renoncer à mon projet et de manquer à mes promesses (seinem Unternehmen untreu zu werden) !

Je réponds à mon critique, en publiant, du premier coup, les deux tiers du Si-yu-ki. La force de cet argument n’échappera à personne, si l’on veut bien remarquer que, sans avoir eu, comme lui, le secours de plusieurs Lamas, et sous l’impulsion d’un sentiment que sa censure n’a fait que raviver davantage, j’ai traduit, dans un espace de temps excessivement court[8], les cinq cent quatre-vingt-cinq pages in-4o dont se compose le Si-yu-ki. Les quatre derniers livres sont traduits depuis un an et paraîtront prochainement.

Ce n’est point que je conteste les difficultés du Si-yu-ki ; bien au contraire, je les trouve d’une telle gravité, que nul lettré chinois ne saurait les surmonter seul, s’il était, comme le plus grand nombre, de l’école de Confucius, et, par conséquent, hostile aux idées bouddhiques et étranger aux expressions obscures qui servent à les rendre. Sans parler des mots indiens, représentés par des signes phonétiques ou traduits en chinois[9], qu’il ne saurait rétablir en sanscrit correct, il rencontrerait presque autant d’énigmes dans une multitude de termes conventionnels dont le sens manque non-seulement dans les dictionnaires de Basile, Morrison et Medburst, mais encore dans tous ceux qui ont été composés pour les Chinois eux-mêmes, dans leur propre langue[10].

On me demandera naturellement : quel secours serait donc nécessaire pour entendre sans peine et sans erreur possible cette masse d’expressions difficiles, dont la connaissance usuelle de la langue chinoise ne saurait donner la clef ?

D’après ce que j’ai dit plus haut, on comprend qu’il faudrait un secours providentiel qui m’a manqué (et dont la privation sera ma meilleure excuse), le secours d’un ou de plusieurs docteurs bouddhistes, et, pour dire mieux, de Lamas, consommés dans l’intelligence des excentricités mystérieuses et souvent absurdes de la doctrine de Çakyamouni. Un autre a profité largement et sans peine de cette assistance inappréciable, mais il a oublié de faire un retour sur lui-même, et de se demander, la main sur la conscience, si, se trouvant à ma place, et dépourvu, comme je l’étais, des lumières de religieux bouddhistes, il aurait traduit, par jour, mille et même deux mille caractères (de cinq à dix pages in-4o) du Si-yu-ki, sans jamais rencontrer aucune difficulté, sans jamais commettre aucune erreur !

Je n’ai pas besoin d’insister davantage ; car, au point où est arrivé le débat, tout lecteur impartial peut prononcer en dernier ressort.

Après cette digression pénible, dont le soin de ma propre considération ne me permettait pas de m’affranchir, je reviens à la présente publication. J’ai peu de chose à dire du Si-yu-ki et des travaux dont il doit être l’objet de ma part, parce que j’ai déjà fait connaître, dans la préface de mon premier volume, 1° l’état de la question relative aux relations des voyageurs bouddhistes ; 2° le système que j’ai imaginé moi-même et mis en usage le premier, tant pour la transcription correcte des mots indiens exprimés phonétiquement, que pour la restitution de ceux qui n’étaient donnés qu’en chinois ; 3° l’itinéraire complet du voyageur, et, 4° enfin, les divers ouvrages et mémoires composés en chinois, qu’en 1853 je me proposais de publier, mais qui, par suite de l’agrandissement de mon cadre, seront suivis d’autres documents, et, peut-être, d’autres relations, que j’espère recevoir de la Chine au premier jour.

Afin de donner à la Carte de l’Asie centrale et de l’Inde toute l’utilité quelle doit avoir pour l’intelligence de l’ouvrage, et d’éclaircir les points difficiles que peut présenter l’itinéraire de Hiouen-thsang, M. Vivien de Saint-Martin (lauréat de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres) a composé un mémoire géographique d’une grande étendue, qu’il a bien voulu mettre à ma disposition pour qu’il fût publié à la fin du troisième volume, ou d’un quatrième volume, si l'abondance des matériaux m’obligeait d’aller jusque-là.

Je ne terminerai pas cet Avertissement, sans témoigner ma profonde reconnaissance à l’honorable Cour des Directeurs de la Compagnie des Indes, et au Comité des traductions orientales, qui, pleins de confiance dans les recommandations puissantes de l’illustre indianiste, M. H. H. Wilson, ont bien voulu concourir de la manière la plus gracieuse à la publication du présent ouvrage, en allégeant, par une souscription libérale, les frais d’impression et de gravure qui devaient rester à la charge du traducteur de Hiouen-thsang.

Il me reste un dernier devoir à.remplir, c’est d’annoncer, avec l’expression de la plus vive gratitude, que Son Excellence M. de Norow, ministre de l’Instruction publique en Russie, vient de me rendre un service littéraire des plus éminents, en daignant mettre à ma disposition une copie du Mahâvyoutpatti, sanscrit-thibétain-chinois-mongol (vaste Recueil de phrases et d’expressions tirées des livres bouddhiques), dont je pourrai profiter et faire profiter le public, toutes les fois qu'il s’agira de donner, avec autorité, les synonymies sinico-indiennes qui me paraîtront nécessaires, tant dans le second volume des Mémoires de Hiouen-thsang, que dans les publications du même genre que j’aurai l’occasion d’entreprendre à l’avenir.

1er octobre 1856.

  1. J’ai recueilli jusqu’ici, pour mon usage, plus de douze cents signes phonétiques. Je me propose de les communiquer au public, d’abord dans l’ordre des prononciations chinoises, en les faisant suivre de leur valeur alphabétique, et ensuite avec tous leurs homophones, dans des paradigmes disposés suivant la méthode des Indiens.
  2. Le titre complet est : Ta-thse-ngen-sse-san-thang-fa-se-tch’ouen, ou « Histoire du Maître de la loi, du couvent de la Grande Bienveillance, versé dans la connaissance des trois Recueits sacrés (Tripiṭaka) ».
  3. Un volume in-8o de lxxxv et 472 pages. À Paris, chez B. Duprat, n° 7, rue du Cloître-Saint-Benoît, et chez A. Durand, n° 7, rue des Grès.
  4. Voyez le Bulletin de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, année 1854, no 22, p. 250 et suiv. ; voyez aussi Bericht über die wissenschaftliche Thätigkeit des H. Prof. W***., von A. Schiefner, 27 Januar-Februar 1854.
  5. «… Weil es uns nicht unbekannt ist, dass gerade solche Stücke die meisten Schwierigkeiten, bei der Übersetzung, darbieten. »
  6. On sait que les orientalistes qui ont l’avantage de résider dans l’Inde, ne se font pas faute (et je les trouve digne d’approbation et d’envie) de se faire aider par des pandits ou des brahmanes dans l’interprétation des textes sanscrits ; mais on ignore généralement que chaque sinologue d’Europe ou des États-Unis, établi en Chine, emploie habituellement, dans l’intérêt de ses études et de ses travaux, un ou plusieurs lettrés chinois, qu’on appelle Sien-seng « maîtres ». Nous en avons connu un à Paris, M. Wang-khi-ye, natif de Péking, que l’interprète du consul français à Chang-haï occupait à lui expliquer ou rédiger des pièces chinoises, moyennant un traitement annuel de 2, 000 francs. C’est avec le secours de ces savants indigènes, que Morrison père, et ses successeurs, ont composé leurs excellents dictionnaires et tous leurs travaux littéraires. Sir Francis Davis nous a appris qu’il avait fait corriger par son Sien-seng (son maître chinois) le texte du Hao-khieou-tch’ouen, qu’il a traduit et publié sous le titre de The fortunate Union, et que, sans l’aide de plusieurs lettrés fort habiles, il n’aurait pu comprendre les vers du drame Lao-seng-eul (Au heir in his old age), dont nous lui devons la traduction. Cette déclaration fait honneur à la modestie et à la loyauté de Sir David. Je pourrais citer un ouvrage fort étendu, qui, d’après l’aveu que m’en a fait le traducteur, lui avait été expliqué mot à mot par son Sien-seng, jusqu’à ce que les pages, accumulées jour par jour pendant un certain nombre d’années, lui eussent suffi pour achever son entreprise. Mais, il faut bien le dire, à la louange des sinologues établis en Chine, ces honorables orientalistes, tout en profitant, avec autant d’habileté que de bonheur des avantages de leur position, ont eu le bon esprit de ne jamais jeter la pierre à leurs confrères d’Europe qui en sont privés, et qui sont réduits à faire leurs livres eux-mêmes et sans le secours d’aucun lettré chinois. Bien plus, ils leur ont constamment rendu justice, et ont souvent encouragé et récompensé leurs efforts par les éloges les plus flatteurs et les plus chaleureux.
  7. M. Barthélémy Saint-Hilaire. Voyez le Journal des savants de mars, août, septembre, novembre 1855, février, mars, juin et juillet 1856.
  8. Les six premiers livres ont été traduis du 15 septembre au 30 octobre 1854, et les six derniers du 1er septembre au 30 octobre 1855, ainsi que peuvent l’attester MM. Vivien de Saint-Martin et Barthélemy Saint-Hilaire, qui ont pris la peine, à ces deux époques, de lire l’un après l’autre ces douze livres, au fur et à mesure de leur achèvement. Pour cela faire, il m’a suffi de m’imposer et d’exécuter régulièrement, chaque jour, la tache de traduire cinq pages in-4o, renfermant ensemble mille caractères chinois. Quelquefois, je suis allé jusqu’à deux mille caractères.

    J’aurais continué, à la fin de 1854, la traduction de la seconde partie, si, faute de pouvoir faire imprimer mon premier volume, je ne m’étais décidé à consacrer mon temps et mes soins à l’impression de l’ouvrage que j’ai fait paraître le 1er février 1856, sous te titre

    de : Histoire et Fabrication de la porcelaine chinoise, etc. ; un volume in-8o de cxxiii et 320 pages, avec une carte de la géologie céramique de la Chine, et 14 planches relatives aux procédés de fabrication. À Paris, chez Mallet-Bachelier, no 55, quai des Augustins.
  9. Quel est le lettré chinois, qui, avec Chi-thsin (siècle — parent), saurait remonter à Vasoubandhou ; avec Jou-i (comme — pensée), à Manôrhita ; avec Kiaï-ji (bonne conduite — soleil), à Çîlâditya ? Voilà pour les mots traduits. Les mots phonétiques lui offriraient aussi des obstacles invincibles. Il lui serait, en effet, impossible de retrouver, par exemple, les Dharmagouptas dans Than-wou-te, les Sarvâstivâdas dans Sa-po-l’o, les Kâçyapyas dans Kia-ye-i, les Mahîçâsakas dans Mi-cha-sai, les Vâtsîpouttrîyas dans P’o-tso-fou-lo, etc.
  10. Le meilleur moyen de donner une juste idée des difficultés dont il s’agit, est d’en citer un certain nombre, en faisant suivre le premier sens, de l’explication qu’en donnent les auteurs. Les exemples suivants sont tirés de l’Encyclopédie Youen-kien-louï-hun, liv.  CCCXVI-CCCXVII.

    嗨影 Hoeï-ing « obscur — ombre », entrer dans le Nirvâṇa (en parlant du Bouddha).

    歸真 Koueï-tchin « revenir — pureté », même sens.

    遷義赽世 Thsien-i-youeï-chi « transporter — figure — passer outre — siècle », même sens.

    元門 Youen-men « origine — porte », pris pour 玄門 Hiouen-men « noire — porte », un couvent.

    白法 Pe-fa « blanche — loi », et 元言 Youen-yen « origine — parole », pour 玄言 Hiouen-yen « noire — parole », l’étude de la méditation appelée Dhyânu.

    蜂薹 Fong-t’ai « abeille — tour », la tour où le Bouddha lisait les livres sacrés.

    <p.梵輪 Fan-lun « pure — roue », la région du Bouddha.

    恒沙 Heng-cha « éternel — sable », le monde, le siècle.

    元津 Youen-tsin « origine — gué », pour 玄津 Hiouen-tsin « profond — gué », la profondeur de la doctrine bouddhique.

    龍言 Long-in « dragon — son », la voix du Bouddha.

    火龍 Ho-long « feu — dragon », l’image ou la statue du Bouddha.

    紺馬 Kan-ma « violet — cheval », le cheval du Bouddha.

    金粟影 Kin-so-ing « or — millet — ombre », l’ombre du Bouddha.

    妙薹 Miao-t’aï « excellente — tour », la sublimité de la doctrine du Bouddha.

    方便門 Fang-pien-men « la porte des expédients », la doctrine du Bouddha.

    慧殿 Hoei-tien « intelligence — palais », même sens.

    Les interprétations que je viens de donner sont tirées de l’Encyclopédie impériale intitulée Youen-kien-louï-han ; elles sont par conséquent » à l’abri de toute contestation. L’ouvrage de Hiouen-thsang fourmille d’expressions du même genre, que n’explique aucun dictionnaire chinois. J’aurais pu en rapporter un nombre considérable » si je n’avais craint de donner à cette note une étendue démesurée. Celles que je me borne à citer donneront une idée suffisante des difficultés du Si-yu-ki. Je citerai d’abord, entre parenthèses, le premier sens qu’offrent les dictionnaires ; je rapporterai ensuite celui qui résulte du contexte.

    聖 ji Ching-tsi (saints — vestiges) signifie à la fois les traces du Bouddha, les objets qui proviennent de lui (ses dents, ses cheveux, son balai, son vase, etc.), et des monuments sacrés, tels que des Stoûpas, des Vihâras :

    2o 行道 Hing-tao (marcher — voie), tourner autour d’une personne ou d’un Stoûpa, en signe de respect ;

    3o 取無餘 Wou-ts’iu-yu (prendre — sans — reste), entrer dans le Nirvâna complet, définitif ;

    4o 相輪 Siang-lun (figure — roue), ou 輪相 Lun-siang (roue — figure), la coupole d’un Stôupa ;

    5o 覆鉢 Fo-po (renversé — vase), même sens ;

    6o 經行 King-hing (passer — marcher), se promener, spécialement pour faire de l’exercice.

    Pour désigner des prodiges, des miracles, l’auteur se sert d’une multitude d’expressions étranges, telles que :

    7o 靈鑑 Ling-kien (esprit — miroir). La même expression signifie aussi « intelligence merveilleuse » (liv. V, fol. 5 vo ligne 1) ;

    靈應 Ling-ing (esprit — répondre) ;

    神迹 Chin-tsi (esprit — vestiges) ;

    奇迹 Khi-tsi (extraordinaires — traces) ; 神異 Chi-i (esprit — différent, ou extraordinaire).

    Ajoutons, 8o 應眞 Ing-tchin (répondre — vrai) un Arhat ;

    9o 得一道 Te-i-tao (obtenir — une — voie), arriver au premier degré de la sainteté, celui de Srôtâpanna ;

    10o 五道 Ou-tao (cinq — voies), les cinq conditions où l’on peut renaître ;

    11o 得果 Te-ko (obtenir — fruit), arriver au Nirvâṇa ; item, obtenir l’intelligence ;

    12o 雞林 Khi-lin (coq — bois), le couvent du Pied-du-Coq, ou Koukkouṭa pâda sañghârâma ;

    13o 旋繞 Siouen-jiao (tourner — entourer), tourner autour de quelqu’un en signe de respect ;

    14o 流轉 Lieou-tch’ouen (couler — tourner), subir la loi de la transmigration ;

    15o 冥鑒 Ming-kien (obscur — miroir), les effets secrets de la puissance divine ;

    16o 證聖 Tching-ching (témoigner — saint), devenir Bouddha ;

    17o 入檀捨 Ji-than-che (entrer — santal — donner), être employé en aumône. Than-che est un mot hybride, dont la première syllabe est l’abrégé du mot sanscrit dâna « don » ; che veut dire « donner » ;

    18o 外義 Waï-i (dehors — justice), les idées des hérétiques. Le mot i justice, veut dire quelquefois, comme ici, « sens, signification ». De plus, dans cette expression, waï « dehors » est l’abréviation de 外道 Waï-tao hérétique ;

    19o 靈基 Ling-ki (esprit — fondement), un Stoûpa ;

    20o 堅固之林 Kien-kou-tchi-lin (le bois du ferme et du solide), le bois des arbres sâlas. Ici l’auteur a confondu sâla (l’arbre shorea robusta) avec sâra « solide » ;

    21o 潛化 Tsien-hoa (passer à gué — transformer), entrer dans le Nirvâna ;

    22o 驟移灰管 Tseou-i-hoeï-kouan (courir — déplacer — cendre — roseau), passer rapidement du froid au chaud, de l’hiver à l’été, c’est-à-dire au bout de quelques années.

    Je m’arrête ici, bien convaincu que j’ai démontré assez clairement les difficultés lexicographiques des Mémoires de Hiouen-thsang (sans parler de celles que présentent les idées religieuses, les faits mythologiques et les mots indiens défigurés par la transcription), difficultés qu’on ne peut comprendre qu’à force de lire des textes et de comparer les passages où elles se trouvent, car, ainsi que je l’ai dit, on n’en saurait trouver la clef dans les dictionnaires destinés aux Européens, ni même dans ceux qui ont été composés pour l’usage des Chinois.