Müller-Simonis - Du Caucase au Golfe Persique/Chap-18

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Université catholique d’Amérique (p. 323-343).

CHAPITRE XVIII


BITLIS — SAÏRD — LE BOGHTAN


Bitlis, sa situation, son cachet. Un dimanche à Bitlis ; genre des constructions de la ville ; les bas quartiers ; la forteresse et son histoire. De Bitlis à notre campement. Curieux éperon rocheux produit par des concrétions calcaires ; la vallée du Bitlis-Tchaï ; mode d’exploitation des forêts ; une rencontre de brigands ; ancienne importance commerciale de la route du Bitlis-Tchaï. Doukhân ; impossible d’y passer la nuit ; nous poussons de l’avant ; campement à la belle étoile. De notre campement à Saïrd ; journée atroce ; difficulté de la marche sur des pentes de glaise détrempée ; abondance des perdrix ; toujours la pluie ; débandade ; Saïrd ! Saïrd ; la mission dominicaine ; les Chrétiens de Saïrd ; Le pays de Boghtân, ses ressources naturelles, sa misère ; abus honteux dans l’assiette et la collection des impôts. Une famille patriarcale. Nouvelle formalité de police ! Excursion au couvent de Deïr-Mar-Yakoub. Village abandonné aux portes de Saïrd : la vieille ville (Hadarouisse). Grève des zabtiés, ses motifs..


Arrivée 3 heures soir.

Jamais on ne s’attendrait à trouver une ville dans ces gorges étroites où les pentes raides et escarpées des montagnes viennent resserrer le lit du torrent. Mais Bitlis est la capitale[1] du Kurdistan ; il est donc juste qu’elle aussi porte le cachet étrange du peuple d’aventuriers et de bandits qui l’habite.

Un rocher volcanique, une sorte d’immense bloc erratique, barre la vallée ; la rivière l’entoure presque complètement, le transformant en une presqu’île qui ne communique avec le reste de la ville que par une étroite langue de terre. Ce rocher porte la forteresse, aujourd’hui une ruine délabrée. Dominé de tous côtés par les montagnes, ce château serait une triste défense contre l’artillerie ; mais protégé par son torrent et par l’escarpement de ses abords, il devait être un redoutable obstacle dans le « bon vieux temps ».

Xénophon y passe avec ses Dix mille ; mais, si j’ai bonne souvenance, il ne mentionne pas de forteresse à Bitlis. La légende en attribue la fondation à Alexandre ; elle nomme même celui de ses lieutenants qui en eut la garde[2] (? ?).

Ce château est le point central de la ville. Un peu en amont et sur la rive droite du Bitlis-Tchaï débouche un vallon aux pentes assez douces[3]. Les habitations y sont disséminées dans des jardins ; c’est comme un faubourg de Bitlis ; mais la vraie ville se groupe autour du château et en aval, surplombant le précipice, escaladant les pentes rocheuses, offrant partout à l’œil des ruelles en casse-cou, des perspectives invraisemblables, des fouillis de maisons échafaudées les unes sur les autres.

Restant encore sur la rive droite du Bitlis-Tchaï, nous débutons par escalader un promontoire rocheux qui domine toute la ville ; il porte l’ancien palais des Begs kurdes, transformé aujourd’hui en konak, en préfecture si vous voulez[4]. Le Vali y demeure et c’est à lui que nous voulons faire notre première visite pour lui remettre nos lettres et éviter ainsi toute difficulté. Le Tabour-Agassi nous introduit.

Le Vali est un personnage d’une cinquantaine d’années ; il ne parle pas français, mais heureusement nous trouvons chez lui un Levantin, ingénieur des ponts et chaussées à Bitlis, M. X…, qui veut bien nous servir d’interprète. La visite fut des plus cordiales et le Vali se mit tout à notre disposition. Détail caractéristique ; il nous offre des cigarettes — de contrebande.

Reste à découvrir notre logement. Sahto connaît une bonne famille arménienne catholique ; il va nous conduire chez elle. Il faut à cet effet passer sur la rive gauche, ce qui veut dire exécuter dans la rue principale de Bitlis une effrayante dégringolade à laquelle succède de l’autre côté du pont une marche pénible à travers les ruelles du bazar, puis une non moins abracadabrante montée. Elle aboutit à une sorte de longue terrasse et nous découvrons enfin notre gîte. Il est sur le chemin de Saïrd, tout au bout, presqu’en dehors de la ville. On nous reçoit fort aimablement et on nous loge dans un grand divan qui n’a qu’un inconvénient, celui d’être trop grand, partant assez froid.

Il est à peine trois heures ; nous profitons de notre soirée pour aller porter aux missionnaires américains les lettres du Dr Reynolds. Ces messieurs nous reçoivent fort bien, mais avec cette amabilité de glace qui leur est propre. Ils regrettent de ne pouvoir nous inviter à dîner pour le lendemain dimanche : le repos du Sabbath les en empêche. La conversation très réservée ne nous apprit rien de neuf.


2 Décembre.

Nous commençons notre journée par assister à l’office divin dans la petite chapelle des Arméniens catholiques ; à peine rentrés chez nous, arrive un aide de camp du Vali, que celui-ci envoie nous saluer et s’informer de nos besoins. Comme je désire prendre quelques photographies de la ville, je prie l’officier de faire mettre à ma disposition un policier pour me guider et écarter la foule.

Puis, ô merveille, voici les Américains ! Après mûre délibération, ces messieurs avaient conclu que de rendre visite à des étrangers, hôtes d’un jour à Bitlis, ne serait point violer trop gravement le repos du Sabbath. Connaissant la rigidité un peu pharisaïque des observances américaines, nous leur savons vraiment gré de l’exception faite en notre faveur.

M. X…, dont j’ai parlé, et M. Z…, Moudir (chef) de la régie des tabacs, tous deux Européens d’origine, nous ont invités à déjeuner. Le repas est simple, mais très gai. Ces messieurs ont si rarement occasion de causer de l’Europe ou tout au moins des rives du Bosphore, l’avant-poste de l’Europe ! Ils sont ici dans un véritable lieu d’exil. Ils sont en quelque sorte internés dans la ville, car pour de hauts fonctionnaires les environs mêmes de Bitlis sont très dangereux ; on ne peut y faire de promenade hygiénique que sous bonne escorte ! Quant au travail administratif, il se perd en questions de pots-de-vin ; les routes de M. X… sont aussi imaginaires que la fameuse route de Van à Erzeroûm ; quant à M. Z…, comment défendra-t-il les intérêts de la régie des tabacs quand le Vali lui-même offre à ses visiteurs du tabac de contrebande ? Au demeurant, allez imposer le monopole aux tribus kurdes quand vous pouvez à peine obtenir d’elles la rentrée d’un impôt !

Nous avions déjeuné à la régie ; près de là se trouve un vieux cimetière d’où la vue d’ensemble sur Bitlis est ravissante. C’est de là que j’ai pris la photographie dont j’offre au lecteur la reproduction[5]. Si imparfaite soit-elle, elle donne du moins une vague idée de cette ville à laquelle non seulement sa disposition si pittoresque, mais aussi le genre de construction de ses maisons donnent un cachet tout particulier.


Phototypie J.-B. Obernetter, Munich.
BITLIS

Il n’est plus question d’habitation en terre comme à Van. Le pays fournit en abondance une pierre volcanique[6] d’un brun-rouge clair ; cette pierre, au moment où on la tire de la carrière, se laisse aisément débiter à la hachette, mais durcit ensuite à l’air. Elle est employée dans la construction de toutes les maisons, et ses blocs régulièrement taillés donnent aux habitations un aspect riche et coquet. Les fenêtres, souvent en ogive et donnant sur la voie publique, se rencontrent plus fréquemment que dans d’autres villes, ce qui enlève à la rue son aspect mort. Malheureusement cette pierre volcanique est très hydrophile, et l’humidité qu’elle absorbe rend facilement les habitations malsaines. Elle ne semble pas non plus d’une résistance à toute épreuve, car je remarque dans la plupart des constructions des longerons de bois intercalés à intervalles donnés entre les assises de pierre ; ils sont destinés sans doute à éviter les tassements. Une promenade dans les bas quartiers de Bitlis est des plus charmantes. De nombreux ponts d’une construction hardie franchissent le torrent qui bondit étroitement encaissé entre ses berges rocheuses ; des moulins, de petites mosquées, quelques églises arméniennes le bordent, utilisant la moindre surface plane ; et au-dessus de nos têtes, alternant avec d’impraticables à-pics de roches, émergeant de bouquets d’arbres, dominant l’abîme, les maisons de Bitlis, jetées çà et là dans le plus artistique désordre. Dans de pareilles gorges on rêverait à peine un village, quelque « castello » italien de la Sabine ou des Abruzzes ; mais nous avons ici bien vraiment une ville, et même pour la Turquie une ville importante, car on lui donne environ 30 000 habitants.

Comme on compte par foyers, le nombre exact des habitants est impossible à déterminer. L’élément kurde domine de beaucoup, car sur 6 000 maisons, 5 000 sont kurdes, 1 000 arméniennes (parmi lesquelles une trentaine catholiques). La population turque ne compte qu’une vingtaine de maisons[7].

La fondation de Bitlis par Alexandre ne repose probablement sur aucun fondement historique. Toujours est-il que sa forteresse eut de bonne heure une grande importance. Les armées d’Omar l’arrachèrent aux Byzantins en 648. Mais bientôt Bitlis devint la capitale d’une principauté kurde ; ses Begs profitèrent, comme tant d’autres, de la décadence du Khalifat pour affermir leur indépendance. Tavernier dit à leur sujet : « Bitlis est la ville principale d’un Beg ou prince du pays, le plus puissant et le plus considérable de tous, parce qu’il ne reconnaît ni le Grand Seigneur ni le roi de Perse. Le Beg ou prince qui commande en ce lieu, outre qu’il se tient fort de ces passages qu’on ne peut forcer, peut mettre sur pied 20 à 25 000 chevaux et quantité de très bonne infanterie, composée de bergers du pays qui sont toujours prêts au premier commandement[8]. »

Cependant, lorsque le Sultan Mourad IV eut arraché en 1638 Erivan et Baghdad aux Persans, le Beg de Bitlis jugea plus prudent de se soumettre à la Sublime Porte. Au demeurant, profitant de tous les embarras des Sultans, ses successeurs continuaient à se maintenir plus ou moins indépendants ; la Turquie n’exerça sur Bitlis un pouvoir direct en substituant aux Begs ses Valis, qu’après la dure campagne du Kurdistan, que termina en 1847 la défaite de Mahmoud, Beg de Van.


3 Décembre
Départ 7 h. 50 matin.

Toujours la même difficulté à obtenir des renseignements exacts ! Personne ne peut nous indiquer le temps nécessaire pour gagner Saïrd, la ville la plus voisine ! Les appréciations varient du simple au double. Généralement on s’accorde à nous dire qu’il ne faut qu’une journée ; dans ce cas, la carte est bien fautive ! Nous nous mettons en marche au petit bonheur.

Au sortir de Bitlis l’on suit d’abord la route « carrossable » de Bitlis à Saïrd ; au bout de cent mètres elle est déjà impraticable ; après un quart d’heure de marche, on la perd complètement pour retrouver l’antique sentier.

À l’endroit où finit la route, coule une petite source d’eau thermale ; au sortir même de la ville, nous avons remarqué deux sources sulfuro-ferrugineuses. On en compte une multitude dans le pays, mais personne ne songe à les utiliser.

Le chemin qui jusqu’à Doukhân restera sur la rive droite du Bitlis-Tchaï se transforme rapidement en sentier de chèvres. À environ une heure et demie de distance de Bitlis, il se heurte à un grand éperon rocheux qui, parti d’assez haut, va plonger jusque dans le lit du torrent. Cet éperon barre entièrement le passage. Ce n’est autre chose qu’un gigantesque dépôt calcaire. La source qui par son travail incessant a élevé cette muraille continue toujours son œuvre et on la voit par endroit suinter doucement à travers la roche. Cet éperon a de six à dix mètres de hauteur et presque la même largeur. Pour frayer un passage au sentier, l’on a, dans des temps sans doute très reculés, percé à travers ces dépôts calcaires une galerie transversale. Sur la rive gauche du torrent, un village kurde, dont les solides constructions de pierre[9] ressemblent à une forteresse, fait face à ce curieux éperon : bâti sur une terrasse aux parois abruptes, il domine de bien haut la gorge et le torrent.

Dans la vallée il n’y a plus trace de neige ; seuls les pics escarpés qui la dominent détachent encore l’éclatante blancheur de leurs sommets sur l’azur du ciel. Les lignes du paysage rappellent étonnamment le Tyrol.

Ce n’est plus le haut plateau d’Arménie avec ses paysages dénudés : ici la vallée est boisée et riante dans sa sauvagerie ; cette végétation est d’ailleurs étrange dans ses formes. Comme la rareté de la population rendrait improductive l’exploitation des bois de charpente, et que d’ailleurs l’absence de chemins opposerait un obstacle presque insurmontable à leur transport, les gens du pays ne recherchent que le bois de chauffage et le charbon qu’ils transportent jusqu’au cœur du haut plateau arménien. Aussi exploitent-ils tous leurs arbres en têtards. Les vieux troncs décapités s’obstinant, depuis des siècles peut-être, à pousser sans cesse de nouveaux rejets, prennent les formes les plus noueuses, les plus fantastiques. À côté de ces vétérans se groupe la jeunesse : chênes, châtaigniers, frênes, lauriers, mûriers, puis maintes espèces que je ne connais pas. Tout cela pousse en désordre, accroché aux rochers, luttant contre les lianes et entremêlé d’une foule d’arbrisseaux épineux.

Vers dix heures nous sommes rattrapés par un officier supérieur de gendarmerie, qui, accompagné d’un zabtié, se rend à Saïrd : nous ferons route ensemble.

Je vois tout à coup Guégou examiner avec soin sa carabine, enlever un tampon de graisse qu’il y avait coulé pour la protéger de l’humidité, et y glisser une balle. Il a sans doute vu un gibier ; et je ne prête pas grande attention à sa manœuvre. Mais une heure plus tard nous apercevons, campés sur un rocher à quelque hauteur au-dessus du chemin, quatre Kurdes. Ils sont armés de bons fusils et, au moment où nous arrivons à portée, ils affectent très ostensiblement de les charger ; nous en faisons autant de notre côté et, dans cette attitude guerrière, continuons d’avancer. Ils nous épiaient depuis longtemps et Guégou les avait vus prendre les devants dans les rochers ; mais ces braves Kurdes avaient compté sans l’officier de gendarmerie et son zabtié qui nous avaient rejoints entre temps. Ce renfort ne faisait pas leur affaire !

Nous passons sans broncher au pied de leur rocher pour faire halte quelques pas plus loin sur une petite pelouse. Notre manœuvre force les Kurdes à se prononcer ; ils se prononcent pour la paix et, prenant un air indifférent, se défilent en passant devant nous. Nous leur souhaitons bon voyage, et comme l’endroit est charmant, nous y faisons une petite halte et invitons l’officier à partager notre déjeuner.

Cinq minutes après, nous ne pensions plus à nos Kurdes, tant l’insouciance et les charmes du voyage font vite oublier le danger !

Bientôt le sentier devient de plus en plus casse-cou ; il faut aux chevaux des jarrets d’acier pour y résister ; à chaque instant il nous faut mettre pied à terre.

Cette vallée étroite est cependant l’une des plus accessibles du Kurdistan et l’on voit qu’autrefois le trafic dut y être important ; ici ce sont des khâns ruinés qui en témoignent ; un peu plus loin ce sont les restes d’un pont qui franchissait jadis la vallée, d’une seule arche de la construction la plus hardie[10] ; aujourd’hui il n’en subsiste que quelques assises.

Enfin, vers trois heures, nous atteignons Doukhân. Un pont franchit la rivière et de l’autre côté se trouve le khân, la première demeure que nous ayons rencontrée d’aujourd’hui. Il est bondé de soldats se rendant à Bitlis ; beaucoup sont malades ; il n’y a plus de place pour nous et nos 12 chevaux ; la société d’ailleurs n’a rien d’engageant ; nous pousserons encore de l’avant et coucherons où nous pourrons. Pendant notre courte délibération l’officier de gendarmerie disparaît ; nous n’en entendîmes plus parler.

À Doukhân bifurquent les chemins, de Bitlis à Diarbekr, et de Bitlis à Môsoul par Saïrd. Le premier suit encore la vallée du Bitlis-Tchaï jusqu’à Ziaret ; le nôtre la quitte ici pour franchir un col et parcourir ensuite des vallées tributaires du Boghtân-Sou.

Nous rencontrons après Doukhân, échelonnés le long du chemin, quantité de traînards dont plusieurs paraissent moribonds. La grimpée est atrocement raide. Mais l’on marche à travers bois ; et sur la vallée principale que nous dominons maintenant, s’ouvrent d’admirables échappées. Le torrent semble toujours couler dans une gorge profonde ; mais au-dessus, les pentes des montagnes prennent des lignes plus douces, plus larges : ce sont de grands chaînons latéraux, couverts de végétation, se croisant en dents de scie et se perdant dans une lointaine perspective. La régularité de ces croisements de montagnes, la végétation qui les recouvre, notre propre caravane grimpant lentement à travers bois, me reportent à certaines aquarelles de Paul Marcoy dans son « voyage à travers les Sierras » ; autrefois je le traitais de farceur, mais je lui fais maintenant amende honorable ; il avait sans doute raison dans sa manière de rendre le paysage.

J’ai dit que les habitants exploitaient leurs forêts pour la production du charbon ; ils emploient à cet effet un procédé absolument kurde. Un vieux tronc se lasse-t-il enfin de produire des rejets, on en fera du charbon ; mais l’abattre, le débiter, le mettre en charbonnière demande bien trop de soin. N’est-il pas beaucoup plus simple de mettre le feu au tronc et de le laisser se consumer ? on en perdra, il est vrai, les trois quarts, mais on aura ainsi du charbon qui n’aura coûté que bien peu de peine ; c’est l’essentiel. Nous voyons ainsi flamber plusieurs de ces torches géantes. Que de cette façon il se produise souvent des dégâts considérables, peu leur importe ! D’ailleurs, l’écartement des arbres diminue beaucoup le danger.

Dans cette pénible montée notre caravane traîne et se débande. Quand à la tombée de la nuit elle arrive au col, les zabtiés nous déclarent que nous ne sommes qu’à mi-chemin entre Doukhân et le prochain village ! Impossible avec nos bêtes fatiguées de pousser plus loin dans l’obscurité ; nous nous perdrions sûrement. Nous ferons donc halte au prochain endroit propice. Le temps est beau : bien que nous soyons en Décembre et à près de 2 000 mètres d’altitude, une nuit à la belle étoile n’aura rien de terrible, tout au contraire.

Arrivée 6 heures soir.

Nous trouvons bientôt dans un fond boisé une petite source[11], et pour comble de bonheur une grande provision de bois préparée par un pauvre Kurde. Devenant Kurdes nous-mêmes, nous confisquons sans le moindre remords le bien d’autrui. Il faut dire que dans ce pays les titres de propriété sont si douteux ! Puis, nécessité fait loi !

Notre terrain de campement est en pente douce ; Guégou, en capitaine expérimenté, a rapidement pris ses dispositions ; le bagage, réuni en demi-cercle, formera un retranchement au haut de la pente ; nous campons tout auprès ; nos hommes en dessous de nous, et tout en bas, mais à portée de la main, et un peu plus loin du feu, les chevaux, eux aussi disposés en demi-cercle. Bientôt deux énormes feux sont allumés, l’un pour nous, l’autre pour nos hommes. Ceux-ci sont d’une gaîté exubérante. Leur nature vagabonde est tout émoustillée à l’idée d’un campement à la belle étoile ; Guégou se multiplie. La soirée est des plus animées et ce n’est qu’à onze heures que nous gagnons nos lits de camp. Nous les avions dressés, pieds au feu ; enroulés dans nos couvertures, la lesghienne rabattue jusqu’au menton, nos fusils entre les jambes, nous dormons bientôt profondément et sans soucis. Et pourtant nous sommes dans une des parties les plus dangereuses du Kurdistan !

Dominés de tous côtés, bien éclairés par nos feux, nous fournirions à des brigands une cible immanquable et nous serions « descendus » avant d’avoir seulement pu tirer un coup de fusil ! Mais nous sommes si entièrement au charme de notre campement que nous oublions tout et le matin je suis bien étonné de voir que Guégou, mieux au fait des mœurs du pays, n’a pas fermé l’œil et a passé toute la nuit accroupi près du feu.


4 Décembre
départ 7 h. 30 matin

Vers quatre heures du matin il commence à bruiner. Pendant que nous faisons notre toilette, une grande compagnie de perdrix, attirée par la clarté du feu, vient bruyamment voler à travers notre campement ; mais naturellement elle est bien loin avant que les fusils soient prêts !

Hélas ! la bruine du matin devient bientôt une pluie fine qui ne nous quittera plus un instant jusqu’au soir. Le chemin, toujours aussi casse-cou et rempli de cailloux, franchit les pentes supérieures de plusieurs vallées dont les eaux se dirigent vers le Nord-Est. La carte n’en fait aucune mention ; pour moi, ces cours d’eau doivent se réunir tous en une grande vallée qui, au bout d’un certain temps, doit tourner au Sud pour rejoindre la rivière principale, le Khazer-Sou, qui se jette dans le Boghtân-Sou au-dessous de Saïrd.

Jusqu’à Saïrd le chemin ne traverse aucun village, et je ne puis identifier Varkhân.

Peu de temps après avoir quitté notre campement, une nouvelle difficulté vient s’ajouter à celle des cailloux : le terrain est formé de schistes décomposés qui sous la pluie donnent une glaise affreusement collante et glissante. Pour éviter de dangereuses dégringolades, nous sommes souvent forcés de mettre pied à terre, quittes à patauger horriblement dans cette boue gluante.

Par un beau temps le paysage doit être magnifique ; le sentier franchit trois ou quatre cols pour couper ensuite des vallées où coulent d’assez fortes rivières. L’une d’entre elles a même un passage à gué assez difficile. Je les tiens toutes pour des affluents du Khazer-Sou.

Pendant que nous cheminons mélancoliquement, un des zabtiés a la mauvaise idée de faire de la fantasia. Voici que les chevaux de bagage, agacés par la pluie, trouvent la diversion charmante et n’ont rien de plus pressé que de se lancer à la suite du zabtié dans un galop à fond de train ; en un instant, une charge par ci, une autre par là, un cheval par terre, un éparpillement de bagages, une confusion complète ! Dans la boue et sous la pluie, le rechargement manque absolument de charmes !

Arrivés au bas d’une de ces pentes glissantes, que nous-mêmes avons descendue un peu plus vite que nous ne l’eussions voulu, nous ne pouvons nous empêcher de rire de bon cœur en voyant le bon sens des bêtes de charge qui débouchent à ce moment au sommet de la pente. Elles envisagent un instant bien en face la difficulté qui les attend, entament philosophiquement la descente, puis, comme à un signal donné, s’asseyent sur leur train de derrière, écartent les jambes de devant et, arc-boutées ainsi, dégringolent suivant les lois de l’accélération jusqu’au bas de la pente !

Sur tout le parcours, le genévrier abonde ; aussi rencontrons-nous une quantité incroyable de perdrix. Je crois que, sans exagération, nous en avons fait lever plus de deux cents. Je suis trop agacé par la pluie pour songer à la chasse et laisse ce soin à Guégou. Il a un art consommé pour deviner la perdrix, courir à fond de train vers la compagnie, puis se tapir, avancer sans plus de bruit qu’un chien d’arrêt et parvenir ainsi tout près du gibier.


Perdrix choukâr.

Cette perdrix choukâr est notablement plus grosse que notre perdrix commune ; elle a le bec et les pattes rouges, un collier noirâtre et un plumage assez varié ; son fumet me semble aussi beaucoup plus fort ; c’est un manger peut-être plus délicat que notre perdrix.

La journée s’avance, et rien n’annonce Saïrd ; cependant, si nous voulons un gîte, il faut y arriver ; chacun se presse de son mieux. Démoralisés par la faim, car nous avons à peine pu manger, par la pluie, car elle tombe sans cesse, nous oublions toute mesure de précaution, et, au risque de se perdre ou d’être dévalisée, notre caravane s’échelonne misérablement, parfois sur plus d’un kilomètre de long. L’obscurité se fait, et rien, toujours rien, sinon l’averse. Enfin, nous voyons poindre au loin une lumière, puis une autre ; un quart d’heure encore et voici Saïrd !

Mais il faut trouver la maison des Pères. Chacun est retiré chez soi et personne ne veut nous guider.

Arrivée 8 h. 10 soir.

Nous errons dans les ruelles étroites, nous heurtant aux auvents de chaume du bazar, buttant et barbotant dans le ruisseau. Nous découvrons avec beaucoup de peine la demeure des missionnaires. Le P. Defrance et le P. Le Crosnier ne nous attendaient plus.


5 Décembre.

Tout le bagage est trempé et nous sommes heureux de pouvoir nous sécher, nous et nos hardes. La pluie continue d’ailleurs à tomber à torrents. Sous le toit hospitalier des missionnaires le temps passe en agréables causeries soit avec eux, soit avec les notables chrétiens de la ville.

Saïrd se trouve à peu près à mi-chemin entre Môsoul et Van ; par la bonne saison il faut environ huit jours de marche pour gagner l’une ou l’autre de ces deux villes.

Sa situation est fort agréable. La ville s’étage en gradins sur le flanc des collines qui la séparent du Boghtân-Sou. Autour de Saïrd ces collines s’abaissent en une large vallée dont les eaux sont tributaires du Khazer-Sou, affluent du Boghtân. L’on dit son climat très sain.

Sa population est estimée à 12 ou 15 000 âmes, dont 3 à 4 mille Chrétiens[12].

Saïrd est le siège d’un évêché chaldéen qui a sous sa juridiction, outre les Chaldéens de la ville même, 33 villages formant une population de 3 500 à 4 000 âmes.


Coupe longitudinale de la salle à manger des Dominicains à Saïrd[13]. Échelle 1/100.

Lorsque les Dominicains de Môsoul fondèrent le poste avancé de Van, ils reconnurent la nécessité de le relier au centre de leur mission par des postes intermédiaires ; la fondation du poste de Saïrd en 1882 fut le premier acheminement vers l’exécution de ce plan. Deux missionnaires Dominicains y furent envoyés. De Saïrd où ils sont établis, ils rayonnent dans les environs, soit dans le Boghtân, soit dans le Berouali, et jusqu’à Redwân. Dans la ville même ils dirigent une petite école de français et entretiennent deux écoles dans la communauté chaldéenne. Ils ont un dispensaire de pharmacie où plus de 6 000 personnes reçoivent annuellement des consultations et des remèdes gratuits.

En dehors des Chaldéens, le pays de Saïrd compte environ 6000 familles arméniennes schismatiques, établies pour la plupart au Nord de la ville, dans des villages populeux (environ 30 000 âmes).

Les Syriens jacobites ont environ 25 villages avec une population approximative de 4 000 âmes.

Le reste des habitants du Sandjack de Saïrd se compose de Kurdes, de Musulmans et de Yezidis.

Près de Saïrd se trouve le « pays » du Boghtân qu’arrose « l’eau du Boghtân », Boghtân-Sou. Ce « pays » compte 300 villages avec une population totale d’une quarantaine de mille âmes, composée de Musulmans, de Chaldéens et d’Arméniens[14]. Ses principales sources de revenus sont l’élevage des troupeaux et la culture de la terre[15] : avec une bonne administration les habitants devraient être riches ; ils meurent de faim.

Puisque j’entame ce sujet, je préfère, bien qu’ils ne soient point à leur place chronologique, rapporter ici les renseignements que j’ai recueillis dans le pays, notamment dans les villages que nous avons traversés en quittant Saïrd.

La crainte des exactions et du pillage amène les villageois à ne cultiver que dans la stricte mesure de leurs besoins ; le mouvement commercial est par conséquent borné, et le système primitif des échanges en nature suffit souvent aux transactions ; le numéraire est donc très rare.

Survienne une mauvaise récolte, la famine s’ensuit, puisqu’on n’a ni argent pour payer un blé étranger, ni produits à échanger contre lui. Au demeurant, avec les mauvaises communications l’importation d’une quantité considérable de céréales serait chose très difficile.

Le Boghtân souffrit d’une famine horrible pendant les années 1879 et 1880. La population fut décimée : dans les déplorables conditions économiques où elle se trouvait, elle eût eu besoin pour pouvoir se relever, d’un régime très doux.

Au lieu de cela, le Boghtân doit en ce moment un arriéré d’impôts de 19 millions de piastres (environ 4 180 000 francs) et cependant il a payé trois fois la valeur totale de l’impôt ! L’explication de cet affreux état de choses est bien simple. Supposons qu’un contribuable (le cas serait le même si au lieu d’un particulier nous prenions un village), doive une dîme de 100 piastres. Il les apporte au collecteur. Celui-ci lui fait un reçu à compte de 40 piastres et en empoche personnellement 60. Le contribuable n’ose protester, car l’employé le renverrait avec son argent, quitte à le faire ensuite poursuivre pour refus de payement d’impôt, ce qui veut dire prison et confiscation. Il se retire donc avec son reçu ; quelques jours plus tard on lui fait sommation d’avoir à payer les 60 piastres restantes, pour lesquelles il n’aura de nouveau qu’un reçu de 30 piastres ; la sinistre comédie continuera jusqu’à ce qu’il ait enfin son reçu de 100 piastres. Il l’aura donc payé de 2 à 300 !

Encore suppose-t-on dans le cas présent que le contribuable a réellement en main le numéraire suffisant. Mais le numéraire étant rare, souvent quand vient le moment de payer, le contribuable est à court d’argent ; on fait marcher le gendarme : c’est une nouvelle source de dépenses, car pour gagner du temps, le contribuable « graisse la patte » à celui-ci.

Dans le Boghtân ruiné, grâce à ces coulages éhontés, les impôts ne rentraient plus ; les gendarmes ne suffisaient plus ; on a envoyé la troupe ; on a saisi ustensiles, meubles, troupeaux et on en a fait argent à des prix ridicules. Il y a eu de cette façon un peu moins de coulage ; mais le pays a été irrémédiablement ruiné et le passage des troupes a été signalé par des attentats constants aux mœurs.

Jusqu’ici, je n’ai parlé que de la dîme ; mais l’État a frappé un impôt foncier de 4 pour mille. Or on a vu des propriétés achetées à l’État lui-même 3 000 piastres être inscrites sur les rôles d’impôts à un capital de 175 000 piastres et taxées sur cette base. Ajoutez à cette monstruosité le fait de l’impôt payé deux ou trois fois et voyez où vous arrivez. Les Aghas ou chefs qui sont exploités par le gouvernement se rattrapent encore sur le dos du pauvre cultivateur en prélevant arbitrairement des taxes en nature sur les récoltes.

Les malheureux habitants voudraient abandonner en masse leurs terres pour aller chercher fortune ailleurs ; mais on les force à rester.

Supposez que par une rare merveille un homme parvienne à amasser quelque argent ; il est sûr qu’on saura lui susciter mille chicanes pour l’en dépouiller ; il ne sera pas cité au baladiet (mairie) pour le plus futile motif sans être obligé de payer un fort bakschîch.

Malgré l’éloignement de ces pays, la situation désolante du Boghtân a finie par être connue ; on a fait des plaintes à Constantinople ; elles ont abouti à de très sérieux rapports qui ont été très sérieusement mis au panier. Tout le monde mangeant, chacun soutient son compère.

Dernièrement à Bitlis un individu, pour recevoir la mission d’aller lever 300 piastres d’impôts, a payé 800 piastres de pots-de-vin au Vali !

Toutes les charges sont vendues au plus offrant, qui doit se dédommager ensuite aux dépens du contribuable.

Je dois citer encore une cause de ruine pour les villages situés sur les chemins fréquentés ; c’est le passage des employés qui se font grassement héberger, eux et leur suite, généralement sans rien payer[16]. Aussi bien ne compte-t-on plus les villages qui sont aujourd’hui des ruines.

Le lecteur aura peine à croire mon récit. Il n’est malheureusement que trop vrai ; les renseignements que j’ai donnés m’ont pour la plupart été fournis par des personnes sérieuses, par des employés mêmes ; les villageois, trop timides, ont été les plus réservés. Voulût-on même appliquer à ces données un fort coefficient d’exagération, il reste encore une réalité misérable.


7 Décembre.

Nous faisons visite à une famille patriarcale ; elle compte près de soixante membres tous réunis autour du chef de clan. La famille Dgibro (abréviation de Dgibraïl, Gabriel) est la plus considérée parmi les familles chaldéennes de Saïrd ; autrefois elle fut une puissance comme richesses et sa demeure était presque un palais ; aujourd’hui c’est délabrement et décadence. La négligence a tout perdu. Ici on ne tient pas de registres. Les comptes particuliers sont inscrits sur des chiffons de papier et renfermés dans un sac. Pour tirer au clair une situation, il faut collationner tous ces papiers ; la besogne est ennuyeuse ; on la remet jusqu’au jour où l’on sent que les choses vont mal ; mais alors il est souvent trop tard. Cette grandeur déchue fait peine.

Nouvelle formalité turque ! — Au départ de Van, le Vali nous avait déclaré qu’ayant un bouyourouldou pour nous, il n’était besoin d’aucun teskéré pour nos katerdjis, non plus que pour nos domestiques. Ici on nous les réclame et on nous force à les prendre pour le reste du voyage. Heureusement l’on n’y met point de mauvaise volonté ; ce n’est qu’une question de medjidiés à empocher.

Le temps s’étant un peu remis au beau, nous en profitons pour aller visiter le couvent de Deïr-Mar-Yâkoub ; il est à une heure de distance de Saïrd et domine la vallée du Boghtân. Son nom lui vient d’un moine chaldéen Mar-Yâkoub, personnage fort vénéré dont on y garde le tombeau. Le couvent lui-même est très simple de construction, pauvre, à peine habité. On nous y montre entre autres manuscrits une très belle bible chaldéenne du ive ou xe siècle.

À quelques minutes du couvent, la « pierre du lion » domine à pic, de près de 300 mètres de hauteur, la vallée du Boghtân. Le panorama y est superbe. Le Boghtân-Sou, dominé par de hautes falaises rocheuses, paraît s’engager en aval dans d’étroits défilés, tandis que son cours supérieur arrose une vallée plus large et fertile.

Près du courant poussent quelques beaux térébinthes[17].

Entre Deïr-Mar-Yâkoub et Saïrd se trouvent les restes d’un village abandonné depuis deux ou trois ans. Les Kurdes y faisaient tant d’incursions que la position n’était plus tenable. Aux plaintes des habitants l’autorité répondait : « Connaissez-vous les coupables ? Amenez-les nous avec vos témoins et nous les emprisonnerons. » Comme si ce n’était point demander à l’agneau d’aller s’emparer du loup pour l’amener au berger ! Et notez que ce village est aux portes de Saïrd ! Cela en dit long sur la situation des localités éloignées.

Entre Saïrd et Deïr-Mar-Yâkoub l’on voit également les ruines d’un village ou plutôt d’une ville dont la destruction remonte certainement à une époque assez reculée. La tradition qui nomme cet endroit Hadarouisse, raconte, que c’était jadis la résidence d’un Émir puissant. La ville aurait été détruite il y a 5 ou 600 ans au milieu des guerres dont le pays fut le théâtre. On assure qu’on y a trouvé beaucoup d’antiquités, des idoles et des médailles grecques. Il serait fort intéressant de faire des fouilles, et peut-être pourrait-on retrouver ici l’une de ces cités énigmatiques dont les géographes gréco-romains nous ont transmis les noms.

Nous voulons quitter Saïrd demain, mais voici une grosse difficulté. Il est peu sûr de voyager sans zabtiés. Or, les braves gendarmes de la garnison de Saïrd sont en grève. Leur solde n’a plus été payée depuis longtemps, et ils refusent de faire aucun service avant d’avoir reçu au moins un à-compte. Le zabtié à cheval a droit à une solde de 310 piastres par mois ; le zabtié à pied a droit à 145 piastres. Or, généralement lorsqu’ils arrivent à la caisse, munis de leur bon de payement, la réponse stéréotypée du caissier est : « La Caisse est vide ; je n’ai pas d’argent ». Parfois cela est vrai, souvent cela est faux. Le zabtié, espérant toujours, se contente de cette réponse pendant quelque temps ; à la longue, pour ne pas mourir de faim, il vend son bon de payement à un intermédiaire, pour la moitié de sa valeur. C’est là tout ce que voulait le caissier, qui reçoit ensuite la visite de l’intermédiaire ; il découvre immédiatement dans la caisse l’argent nécessaire ; le bon est payé, mais la différence se partage entre le caissier et son compère !

Le système est ingénieux : aussi bien est-il très répandu. À Bitlis M. X… nous disait avoir souvent été obligé de vendre à un entremetteur kurde ses bons de payement de 1 000 piastres pour 700 piastres !

  1. Il est presque inutile de remarquer que j’emploie ici le mot capitale pour désigner la ville principale. Jamais les Kurdes, divisés en mille tribus, n’ont eu une capitale proprement dite.
  2. Barb, d’après le 4e livre de Schéref, Phil. hist. Classe der Kais. Ak. der Wiss. Wien, Heft von Juli 1839, 4.
  3. On voit très distinctement ce vallon sur la vue de Bitlis.
  4. Ainsworth donne comme altitude du Konak 5 470′ d’après ses observations barométriques ; 5 000′ à l’hypsomètre ; moyenne 5 235′ = 1 595m environ. (Ainsworth, ii, 372.)
  5. J’ai fait exécuter une aquarelle d’après cette photographie qui, fort endommagée par le voyage, n’a pu donner à l’artiste toutes les indications désirables ; en particulier elle ne rendait plus aucunement les effets plongeants qui sont la caractéristique de Bitlis.
  6. Je ne sais comment Brant et Southgate (cités par Ritter’s Erdkunde, x, 686) donnent cette pierre comme une pierre de grès.
  7. Au point de vue commercial, Bitlis est une place assez importante ; elle exporte une assez grande quantité d’étoffes (cotonnades et laines) teintes en rouge. Cette teinture à la garance est une des spécialités de Bitlis. Aux environs l’on trouve aussi en grande quantité l’orpiment (As₂S₃) qui sert pour la teinture en jaune. Je cite — pour mémoire, car il n’est pas question de les exploiter — de riches mines de cuivre, découvertes il y a quelques années entre Bitlis et Diarbekr.
  8. Tavernier, L. iii, ch. 3.
  9. Probablement le village de Parkhand.
  10. Plusieurs voyageurs donnent toute une nomenclature de villages situés sur ce parcours. Il n’en reste plus rien aujourd’hui. Ils étaient probablement groupés autour des Khâns. Cf. Ritter’s Erdkunde, xi, 96–98.
  11. Ainsworth, ii, 366, se rendant de Saïrd à Bitlis, dut camper au même endroit, non sans grande crainte des Kurdes.
  12. D’après les renseignements d’un notable, Saïrd compte :
    250 maisons d’Arméniens grégoriens ;
    4 » d’Arméniens catholiques ;
    99 » Chaldéens catholiques ;
    50 » Syriens jacobites ;
    8 » Syriens catholiques ;
    30 » Protestants ;
    1400 » Musulmans.
    1841
  13. Je donne ce croquis — coupe longitudinale de la salle à manger des Dominicains — comme un type de l’architecture mixte, mi-persane, mi-arabe que l’on rencontre dans ce pays. La chambre occupe toute la profondeur du bâtiment : les fenêtres, très basses, ouvrent dans les deux côtés étroits ; les murs sont ornés de fausses portes et de niches. Jusqu’à hauteur d’homme la salle est rectangulaire ; sur ce rectangle se pose une voûte ellipsoïdale à laquelle les coins du rectangle se raccordent par des arcs ogivaux. La salle est badigeonnée à la chaux. Toutes les ornementations, quoique fort simples, sont de très bon goût.
  14. Il est à peine besoin de dire que tous les chiffres statistiques sont approximatifs.
  15. Ses principales productions consistent en blé, orge, millet, coton, noix de galle, garance (Bitlis a la spécialité de la teinture rouge dont le Boghtân et d’autres cantons fournissent la matière), raisins, figues, amandes et autres espèces de fruits. Le pays nourrit des moutons et des chèvres ; on en exporte des peaux de panthères, de renards, de chèvres sauvages, etc. Toutes ces productions sont maintenues à leur minimum, par suite de la mauvaise administration.
  16. Autrefois, quand les employés ou les soldats prenaient leurs quartiers dans des maisons chrétiennes, non seulement ils faisaient grande chère, non seulement ils violaient régulièrement les femmes ; mais au départ, au lieu d’indemniser les malheureux, ils en extorquaient encore l’impôt de la bouche, c’est-à-dire, se faisaient payer pour l’honneur qu’ils avaient fait à des chiens de manger leurs provisions ! Je cite ces faits en note, car ils m’ont été certifiés à propos de la Bulgarie ; mais évidemment ils devaient se reproduire dans les autres parties de l’Empire ottoman.
  17. Le térébinthe produit une amande dont on tire de l’huile, et qui sert aussi à la fabrication du savon. L’arbre a à peu près le port du noyer ; mais les petites branches sont plus contournées et, proportionnellement à leur longueur, plus grosses que celles du noyer.