Mœurs des diurnales/1/09

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Loyson-Bridet ()
Mœurs des Diurnales : Traité de journalisme
Société du Mercure de France (p. 124-126).


DE LA GRAMMAIRE ET DE LA SYNTAXE


Aujourd’hui que les journaux ont six pages qu’il faut remplir entre dix heures et demie et minuit (quand il n’y a pas de « première »), on ne saurait polir ni repolir son ouvrage ou le remettre vingt fois sur le métier. On ne peut se coucher avant trois heures du matin, ni décemment se lever avant midi, à moins d’exécution capitale, d’arrestation sensationnelle, de perquisition à six heures du matin, ou de duel, choses auxquelles vous êtes tenus d’assister.

Déjeuner à une heure et demie. Rendez-vous personnels et intimes de trois à cinq. De cinq à sept et demie, visites à faire ou à recevoir — un tour au Napolitain. Passer le smoking et dîner à huit heures et demie. Il n’y a personne au journal avant dix heures et demie et il serait de mauvais ton d’y arriver le premier. Reste une heure et demie pour « se mettre au point » et « donner sa copie ». À ces besoins nouveaux correspond aussi une syntaxe nouvelle, où il est nécessaire d’apporter des méthodes rapides.

Dans les cas douteux, et quand votre phrase est engagée, n’hésitez pas à placer une négation, voire même à en accumuler plusieurs. Au pis, en bonne grammaire, deux négations valent une affirmation et vos lecteurs ne s’amuseront pas à opérer des soustractions pour vérifier vos pensées.


Qui sait à quoi n’aboutiront pas « ces aveux » que raconte aujourd’hui la Carrière d’un Navigateur.

(Le Temps, 13 novembre 1902.)


Elle… mena la vie la plus agrémentée d’incidents piquants ou tragiques qui ne se puisse imaginer.

(Les Débats, 11 novembre 1902.)


Il y aura là de chaudes batailles d’enchères, car nulle vente n’excite au plus haut point la curiosité de tous.

(Le Gaulois, 30 novembre 1902. — Ce journal publiait à la même date Fautes de Français par Émile Faguet, de l’Académie Française. Simple coïncidence.)


On peut aussi, dans le même cas, supprimer les négations, afin d’éviter toute erreur :


Mais M. Rouvier a plus raison encore qu’il s’en doute. Le mal est plus profond qu’il le pense.

(Le Figaro, 10 Janvier 1903.)