M. de Cavour et la crise italienne

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M. de Cavour et la crise italienne
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 41 (p. 402-442).
M. DE CAVOUR
ET
LA CRISE ITALIENNE

Le Comte de Cavour, récits et souvenirs, par M. W. de La Rive. Paris, 1862.

La crise que traverse aujourd’hui l’Italie peut affliger, mais ne saurait, à vrai dire, surprendre personne. Voici longtemps que les esprits réfléchis la sentaient venir, et depuis quelques mois elle était devenue à peu près inévitable. Pourquoi a-t-elle si vite éclaté ? Comment l’heure fatale des épreuves a-t-elle sonné si tôt pour cette œuvre laborieuse et compliquée de l’unité italienne ? C’est ce que je voudrais rechercher brièvement, sans passion d’aucune sorte et sans parti-pris. Assez d’autres ont prodigué l’excitation à ces ardentes populations alors qu’elles avaient surtout besoin de sages avertissemens ; assez d’autres, et les mêmes peut-être, leur jetteront l’injure, si la destinée les trahit. Pour moi, je ne saurais oublier que j’ai passé au milieu d’elles les momens les meilleurs et les plus agréablement occupés de ma vie. J’étais en 1840 chargé d’affaires à Naples ; en 1835, je faisais à Rome l’intérim de premier secrétaire après avoir rempli les mêmes fonctions à Turin vers 1833. Faut-il tout dire ? mes souvenirs remontent plus loin encore, et j’ai compté parmi les nombreux attachés de cette brillante ambassade dont M. de Chateaubriand a laissé à la postérité un récit plus pittoresque peut-être que fidèle. Des motifs indépendans de ma volonté m’ont, il y a quelques mois, ramené au sein de ces gracieuses contrées, déjà si connues et toujours plus admirées. Spectateur oisif cette fois, mais non pas indifférent, j’ai habité pendant le dernier hiver cette magnifique capitale des papes, où j’ai vu jadis mourir Léon XII et introniser Pie VIII. J’ai encore une fois monté les rampes doucement inclinées du Vatican et arpenté les longs corridors du Quirinal, si souvent traversés sous le pontificat de Grégoire XVI. À Naples et en Sicile, j’ai retrouvé rendus à la liberté d’anciens amis, dont quelques-uns, déjà suspects, avaient depuis mon absence expié dans la disgrâce, dans l’exil, ou, comme Poerio, dans d’étroits cachots, la méfiance inspirée à l’ombrageux roi Ferdinand.

D’autres contrastes m’attendaient à Turin. Là fonctionnait un parlement né d’élections libres. J’ai surpris en pleine crise ministérielle la paisible cité qu’au lendemain de la révolution de juillet Charles-Albert, brouillé avec ses complices de 1821, gouvernait de compte à demi avec les jésuites. L’ancienne capitale du petit Piémont m’a semblé n’avoir rien perdu de ses habitudes régulières et de son aspect un peu monotone. Les uniformes y abondent toujours, ils s’y maintiennent plus que jamais en grand honneur ; mais au lieu de soldats habilles à l’allemande, c’étaient des gardes nationaux qui défilaient devant moi, tambours en tête, dans ces mêmes rues où je me souvenais d’avoir vu les jeunes cadets de l’école militaire dévotement conduits à la promenade par des abbés à petit collet qui, à coup sûr, ne s’imaginaient pas former si bien leurs élèves pour battre un jour les Autrichiens. J’ai couru à l’ancien hôtel de l’ambassade française ; il était devenu le club de la noblesse. Des journaux de toutes couleurs, la plupart trop dangereux pour passer nos frontières, s’étalaient dans ces salons où naguère de rares visiteurs, séduits par l’attrait du fruit défendu, venaient de temps à autre, à leurs risques et périls, savourer la plus agréable des jouissances et se former à la meilleure école qui soit au monde, à savoir l’entretien familier d’un esprit supérieur à la fois aimable et sage. C’est bien dans cette pièce, au coin de cette lourde cheminée en boiserie massive, que j’ai plus d’une fois entendu le noble marquis d’Azeglio, le doux comte de Balbo le gracieux poète Silvio Pellico, causer avec M. de Barante. Voici le cabinet où Camille de Cavour, affranchi par sa démission du joug de la discipline militaire, s’efforçait toujours d’entraîner après dîner notre ambassadeur. Quelle n’était pas la curiosité de cet infatigable interrogateur ! Quand il craignait d’avoir lassé la complaisance pourtant infinie-du chef de notre légation, venait le tour de l’obscur secrétaire. Ce n’était point petite besogne que d’expliquer à ce futur ministre de l’Italie de 1859 tout ce qu’il avait besoin de savoir sur les hommes et sur les choses de la France de 1830, Mise sur ce chapitre, la conversation ne s’arrêtait plus. Que de fois, avec le vif entrain et la confiance facile de notre âge, n’avons-nous point ainsi passé ensemble nos soirées, moi vantant les mérites de nos institutions parlementaires, lui rêvant d’en doter un jour sa patrie, sans nous douter ni l’un ni l’autre que cette heureuse liberté, le jour où elle serait acquise à l’Italie, ne serait plus guère que promise à la France !

Vous n’étiez plus là, Cavour, vous n’étiez plus là pour me serrer la main !… Il ne m’a pas été donné de vous féliciter de vos succès patriotiques, ni de vous confier mes tristesses. La mort jalouse vous a traîtreusement surpris comme un ouvrier plein de zèle enlevé trop tôt à sa tâche inachevée. Mais au milieu de ce pays que vous avez rempli de votre nom, et que j’ai trouvé courbé comme un seul homme sur votre tombe à peine fermée, j’ai pu du moins fréquenter ceux qui vous avaient le mieux connu et le plus aimé. À Turin et partout j’ai de préférence recherché cette élite d’hommes généreux qui d’un bout de l’Italie à l’autre avait répondu à votre appel, accepté votre direction et reçu vos mots d’ordre. Tous ces amis et ces compagnons de Cavour, qui d’un œil avide épiaient, il y a vingt ans, les moindres mouvemens de la France libérale, comprendront que je la veuille entretenir aujourd’hui des affaires de leur pays. Ils se sont jadis instruits à notre école ; ils nous avaient choisis comme des guides. Nos fautes leur ont servi comme des exemples à éviter, et nos désastres mêmes ont profité à leur cause. Hier encore on eût dit qu’ils nous avaient dépassé sans encombres dans la voie glorieuse, mais semée de périls, qui mène les peuples à la complète possession d’eux-mêmes. Cependant la discorde, fatale ennemie des libres institutions s’est glissée parmi eux. Peut-être touchent-ils à l’une de ces catastrophes où déjà tant de fois a sombré la fortune de l’Italie. C’est pourquoi il me semble que je cède à leur secrète impulsion et remplis presque un devoir lorsque, dans un intérêt commun aux deux nations, je viens, au milieu de la confusion des événemens accomplis, scruter la cause des difficultés de l’heure présente, sonder les incertitudes de l’avenir et tâcher de découvrir quels sont pour eux, au moment où j’écris, de l’avis de leurs plus sincères partisans, les motifs de craindre ou les raisons d’espérer.


Tout en se gardant de méconnaître l’influence des idées générales et l’action des courans de l’opinion publique, les gens éclairés qui ne se paient point de mots, qui ont appris la politique par les affaires, non par les livres, savent parfaitement à quel point dans la pratique l’homme supérieur met efficacement la main aux événemens de son temps, comment il peut à son gré en accélérer ou en ralentir le cours, les marquant presque de son empreinte, et, s’il a été heureux autant qu’énergique et habile, leur imprimer de son vivant une physionomie pour ainsi dire toute personnelle, qu’ils continuent le plus souvent à garder même après la mort. M. de Cavour a été l’un de ces hommes. Pour pénétrer le secret des révolutions qui ont renouvelé la face de l’Italie en 1859, comme pour se reconnaître dans le tumulte des actes désordonnés qui viennent de troubler le midi de la péninsule, il faut posséder la clé du caractère de celui qui le premier a donné le branle à tout le mouvement italien, car si le grand agitateur n’est plus, ses successeurs ont, en partie du moins, hérité de sa méthode, à peu près comme ces disciples du sorcier qui, ayant appris de leur maître à évoquer le diable, avaient oublié de lui demander la formule nécessaire pour le faire obéir et l’obliger à rentrer sous terre.

Voici heureusement deux récentes publications qui, en montrant M. de Cavour sous son véritable jour, permettent désormais de juger l’œuvre aussi bien que l’artisan. L’œuvre parlementaire du ministre piémontais vient d’être publiée, et fournit en ce sens des renseignemens précieux, quoique peut-être un peu trop officiels. Les récits et souvenirs de M. William de La Rive, justement parce qu’ils n’ont aucune prétention de ce genre, révèlent encore mieux M. de Cavour à tous ceux qui ne l’ont point personnellement connu. Admis, quoique beaucoup plus jeune, dans son plus familier commerce, M. William de La Rive a parfaitement saisi et rendu les traits originaux de la physionomie historique de son illustre parent. Ces pages faciles, écrites un peu capricieusement, mais non sans verve et sans talent, qui prennent M. de Cavour à son enfance, qui le suivent pas à pas pendant sa carrière si courte, mais si remplie, qui le conduisent jusqu’au jour de sa mort prématurée, racontée elle-même, dans ce livre de famille, avec une touchante émotion par la nièce chérie qui lui ferma les yeux, nous font connaître intimement ce grand ministre. On voit pour ainsi dire éclore sous ses yeux, se former et grandir les multiples aptitudes qui, d’un jeune sous-lieutenant retiré du service et pendant quinze années à peu près exclusivement occupé de la culture de ses terres, firent si rapidement, comme du jour au lendemain, un des politiques les plus merveilleusement doués qui furent jamais. Quel homme d’état fut en effet, par sa situation, par ses qualités, par le fond même de sa nature, mieux préparé d’avance pour la mission qui lui était destinée ici-bas ? Et lorsque l’heure fut venue de l’entreprendre, quelle ardeur, quelle hardiesse et quelle promptitude dans l’exécution ! Nul parmi les plus célèbres ne se montra plus tenace et cependant plus souple et plus délié. Sa fermeté indomptable n’était toutefois empreinte d’aucune raideur affectée ; elle était au contraire revêtue et comme voilée d’une certaine bonhomie naturelle et quelque peu narquoise. Il y a un vrai plaisir d’intelligence et comme une sorte d’intérêt dramatique à le considérer dans le récit de M. de La Rive tantôt marchant à ciel ouvert et tout droit vers le but qu’il s’est proposé, tantôt s’en approchant peu à peu avec des ambages infinis, par des voies détournées, à l’aide de moyens où l’adresse, il faut le dire, avait parfois plus de part qu’une trop rigide rectitude. Plein de mépris pour la routine, ennemi des règles étroites et des prescriptions minutieuses, il s’entendait singulièrement et même se plaisait aux détails de l’administration. Dans quelque branche que ce fût des services publics (et il les mania tous), ce gentilhomme amateur, devenu ministre à quarante ans, se trouva être, quand la nécessité s’en fit sentir, un organisateur excellent. Fin diplomate s’il en fut, il ne prenait guère la peine de s’imposer la réserve de la profession. Il ne craignait même pas d’user à l’occasion envers ceux avec lesquels il traitait d’un très libre langage, confiant qu’il était, en négociations comme en toutes choses, dans l’effet de sa parole et dans son ascendant sur les personnes ; mais c’est surtout au plus profond des opinions mêmes de M. de Cavour qu’apparaît un contraste des plus singuliers et véritablement extraordinaire. Pour qui sait bien déchiffrer les bizarres complications de cette riche nature, il est facile d’y découvrir comme deux courans opposés en état de lutte permanente. Peut-être risquons-nous d’étonner beaucoup quelques-uns de ses admirateurs les plus passionnés comme de ses détracteurs acharnés, si nous osons avancer que cet esprit si aventureux, si révolutionnaire faudrait-il dire (mais l’épithète sonne mal aujourd’hui à de trop chastes oreilles), a débuté par être, et malgré les apparences n’a jamais cessé de demeurer, en ce qui touchait la politique intérieure, un conservateur très décidé, et, pour risquer le vrai mot, une façon de doctrinaire italien.

Tel nous l’avons connu à Turin en 1833, tel il se montre dans son active correspondance avec ses parens et ses amis de Genève, adhérant le plus souvent de tout son cœur, jusqu’en 1848, à la politique de M. de Broglie et de M. Guizot, plein de mauvaise humeur, n’en déplaise à ses amis d’outre-mer, contre ce qu’il appelle « les dégoûtantes diatribes des journaux ministériels anglais sur les princesses espagnoles et sur le roi Louis-Philippe[1]. » C’est au milieu du centre droit que tout d’abord il prend position en entrant dans les chambres piémontaises. Il appuie sans balancer de son vote et de sa parole le ministère catholique et libéral de MM. de Balbo et d’Azeglio. Il n’hésite pas à combattre de toutes ses forces le cabinet Rattazzi, qui, en appelant l’extrême gauche aux affaires, allait bientôt entraîner le malheureux roi Charles-Albert à la déroute de Novare. À peine peut-il trouver d’assez énergiques paroles pour repousser l’impôt progressif, pour blâmer les déclamations furibondes et les prises d’armes intempestives contre les Autrichiens. Il ne cesse de s’opposer de toute sa vigueur à l’emploi des procédés violens par lesquels le parti avancé s’efforçait d’exalter en Italie les passions de la multitude. Il ne redoute pas seulement pour son pays la contagion des mouvemens insurrectionnels qui lui apparaissent comme un affreux désordre. Il promène sur l’Europe bouleversée de 1848 un regard effrayé, et se laisse aller aux plus tristes prévisions. « Encore un instant, s’écrie-t-il au mois de novembre 1848, et nous verrons, comme dernier résultat du procédé révolutionnaire, Louis-Napoléon sur le trône[2]. » N’est-il pas singulier d’entendre M. de Cavour devancer ainsi de quelques années la prédiction de M. Thiers dans un discours que les vociférations des tribunes publiques l’empêchèrent de prononcer, mais qu’il voulut imprimer, le lendemain tout au long dans son journal, le Risorgimento ? Les masses ne goûtent guère, on le sait, les prophètes qui les contrarient. M. de Cavour, si populaire aujourd’hui à Turin, fut donc, par le ressentiment des démocrates de cette ville, écarté du parlement. Il y rentrait cependant peu de mois après, grâce à l’appui des modérés, et ce furent les exigences des hommes de la droite et du centre droit qui le portèrent au ministère. Chose bizarre, les objections, nous ne voudrions pas dire l’obstacle, car il n’en mit aucun, vinrent du roi Victor-Emmanuel. « Comme vous voudrez ! dit-il aux futurs collègues du comte de Cavour ; mais rappelez-vous bien que ce petit homme, avant la fin de l’année, vous aura pris à tous vos portefeuilles[3]. » Et de fait il en fut à peu près comme le roi l’avait prévu.

En réalité, M. de Cavour porta aux affaires les mêmes dispositions qui l’animaient comme publiciste alors qu’au moment de fonder le journal conservateur et modéré dont nous parlions tout à l’heure, il écrivait au père de M. de La Rive : « Quant à la politique intérieure, je suis certain que je n’aurai aucun effort à faire pour rester dans une ligne sage, le parti de l’ordre étant pour le moment le plus nombreux. Ce qui lui donne le plus de force, c’est que le clergé catholique s’est mis à la tête du mouvement. Or le clergé, bien que libéral et anti-autrichien, est néanmoins fort modéré en politique. » Cette ligne de conduite nettement tracée au début, cette préférence première hautement avouée pour les gens du parti de l’ordre et pour les hommes du clergé étaient toutefois destinées à recevoir bientôt quelque atteinte. La conduite de l’archevêque de Turin, qui, armé de son droit ecclésiastique, mais en faisant le plus déplorable usage, refusa obstinément à M. de Santa-Rosa mourant les sacremens de l’église, révolta profondément, comme par un pressentiment secret de sa propre destinée, l’âme indignée de M. de Cavour. De là une première rupture, qui certes n’a profité à personne, et dont, en Italie et ailleurs, la cause catholique, à ne considérer que ses intérêts purement temporels, a plus souffert, nous le craignons, que son illustre antagoniste. En lutte depuis ce jour avec l’autorité spirituelle d’une partie de l’épiscopat piémontais, M. de Cavour ne pouvait plus s’appuyer exclusivement sur ses anciens partisans. À d’autres égards, il n’en était pas non plus très satisfait. C’est le propre, hélas ! de quelques-uns de ceux qui se disent et se croient de très zélés conservateurs de n’appuyer jamais que bien faiblement, dans leurs embarras de chaque jour, les chefs qu’ils se sont donnés : dès son arrivée au pouvoir, M. de Cavour en fit la pénible expérience. Son choix fut vite arrêté. Par nécessité et par tactique, non par goût, il se mit à incliner visiblement vers le centre gauche et la gauche ; mais cette résolution lui coûta plus qu’on ne le saurait dire, car elle était contraire à tous ses penchans. « Je n’aurais pas demandé mieux, disait-il à cette époque à M. W. de La Rive, que de gouverner par le centre droit et avec son concours, et de développer graduellement nos institutions ; mais il m’a été impossible de m’entendre avec ce parti sur les questions religieuses. Dès lors j’ai dû renoncer à son appui. On ne peut pas gouverner sur la pointe d’une aiguille[4]. » C’étaient là dans la bouche de M. de Cavour des paroles significatives. Doué avant tout d’un merveilleux instinct de gouvernement, destiné, sauf à de rares intervalles, à ne plus jamais quitter les affaires, le nouveau ministre entendait fonder son pouvoir sur les bases les plus solides et par conséquent les plus larges. « Il n’était pas homme, dit excellemment son jeune biographe, à s’asservir aux caprices d’une majorité mobile, ni à se soumettre aux conditions que, selon la question du jour, lui dicteraient tour à tour la gauche ou la droite. Il était de ceux qui exigent et non de ceux qui mendient. Il lui fallait un parti sur lequel il pût compter. Ce parti, il le chercha d’abord, mais il ne le trouva pas où ses propres sentimens le portaient, dans le centre droit. Instruit par deux ans d’expérience, il se rapprocha du centre gauche, et, sans en être, il gouverna par lui, se l’assimilant peu à peu, comme il s’était assimilé déjà une fraction du centre droit. Ainsi il unit deux élémens divers d’origine aussi bien qu’hostiles de tendances, mais qui, tenus par sa main de fer, formaient un parti nouveau qui devait aller toujours grossissant jusqu’à absorber la nation tout entière, au point qu’un homme d’esprit pourra dire un jour : « Nous avons un gouvernement, une chambre, une constitution, même une droite et une gauche, et tout cela s’appelle Cavour. »

Ajoutons, pour être tout à fait équitable, que ce ministre si jaloux de son autorité, qui tenait si fort à garder l’initiative dans la direction des affaires et l’indépendance de ses allures, qui courait au-devant de la responsabilité et la porta toujours si légèrement, n’eut jamais la pensée de se dérober au contrôle de l’opinion publique. L’idée ne lui vint même pas de fausser en quoi que ce fût le franc jeu de ces institutions parlementaires qu’il avait si ardemment souhaitées pour son pays, et dont il était bien décidé à lui conserver, quoi qu’il arrivât, l’heureux bénéfice. L’ascendant qu’il réclamait et qui devait à la fin de sa vie devenir presque dictatorial, il aurait eu honte de l’exercer sur un peuple muet et asservi ; il avait assez de fierté pour ne vouloir commander qu’à des esprits convaincus. La contradiction et les obstacles jetés sur sa voie par ses adversaires, alors même qu’ils gênaient son action, n’excitaient pas sa colère. C’était par la liberté, non pas une liberté en l’air, vague, idéale et menteuse, mais par la pratique journalière, effective et sincère de toutes les libertés, qu’il entendait former le caractère et les mœurs du peuple piémontais, afin de l’initier peu à peu et de l’acheminer de longue main, déjà robuste et fortement trempé, vers les grandes destinées qu’au fond de son cœur il entrevoyait pour lui. Il n’y aura jamais qu’une manière de parler à l’âme d’une nation et d’agir efficacement sur elle : c’est de lui montrer qu’on partage sa passion dominante, c’est de lui donner à comprendre qu’on est plus que personne capable de lui procurer l’objet qu’elle brûle d’atteindre. Entre l’ambitieux ministre piémontais et ses ambitieux concitoyens, on s’était, vite compris et entendu à demi-mot. Voilà tout le secret de sa puissance.

L’accord intime avec la France et la bienveillance personnelle du chef de notre gouvernement n’ayant pas servi de peu aux desseins de M. de Cavour, il est curieux de connaître la nature de leurs premiers rapports. Nous aurons ainsi l’occasion de faire comprendre quels étaient ses principes en matière de politique extérieure, ou peut-être vaudrait-il mieux dire ses vues très générales et ses façons de procéder à coup sûr très particulières. Ainsi que nous l’avons vu, le coup d’état ne prenait pas absolument M. de Cavour au dépourvu. Il n’avait pas de raison de regretter la république française, qui n’avait pas beaucoup fait pour l’Italie. Il espérait davantage du régime nouveau. À vrai dire, la fameuse maxime : « L’empire, c’est la paix, » malgré son succès en France et en Europe, ne lui en imposa jamais beaucoup. Il avait l’étrangeté (c’en était une à cette époque) de ne pas croire que la restauration napoléonienne ouvrirait partout l’ère de la concorde générale et du désarmement universel. Néanmoins la guerre qu’il prévoyait et qu’il souhaitait, qu’il jugeait inévitable pour le chef de la nouvelle dynastie française, pourrait-il persuader à ce souverain de l’entreprendre tout d’abord et au profit de l’Italie ? Il se rappelait que le frère aîné de l’empereur avait pris part à l’insurrection des Légations en 1831, il savait que les patriotes italiens se vantaient à tort ou à raison de pouvoir compter sur d’anciens engagemens solennellement jurés ; mais les signes du temps n’étaient pas au début très favorables.

On en était encore en France en 1852 à la phase des protestations anti-belliqueuses, des tendresses recherchées et des attentions délicates pour les souverains absolus du continent. M. de Cavour n’en fit pas moins parvenir aux Tuileries, par quelques tiers obscurs, des ouvertures secrètes qui n’avaient pas alors grande chance d’être bien accueillies ; il n’en résolut pas moins de se mettre tout de suite en règle avec le maître tout-puissant de la France. Nombre de réfugiés d’opinions diverses avaient, après le coup d’état, cherché un asile dans les états limitrophes ; quelques-uns avaient d’eux-mêmes quitté leur pays, afin de continuer au dehors une lutte désormais impossible au dedans. M. de Cavour, comme c’était son droit, prit ses mesures pour qu’il fût impossible à ces adversaires du nouveau gouvernement français de venir compromettre le Piémont dans une querelle qui n’était pas la sienne[5]. Les peines édictées par la loi organique piémontaise pour réprimer les délits commis par la voie de la presse contre les souverains et les gouvernemens étrangers n’ayant pas semblé assez sévères à M. de Cavour, il ne craignit pas d’en provoquer l’aggravation. C’était là une précaution toute diplomatique, à vrai dire. Au dedans ni au dehors de l’Italie, personne ne s’y trompa. Le discours par lequel le ministre piémontais défendit son projet fut à dessein sans doute l’un des plus libéraux qu’il ait prononcés. Jamais on ne l’avait entendu affirmer et soutenir d’une façon plus précise, pour ce qui touchait à l’intérieur, la liberté illimitée de la presse comme la sauvegarde et la garantie nécessaire de toutes les autres libertés, et, chose remarquable, cette loi de répression, commandée par les circonstances, fournit l’occasion d’un rapprochement définitif entre M. de Cavour et M. Rattazzi.

Quoi qu’il en soit, ni les protestations de toute nature, ni les gages ainsi donnés, ne suffirent d’abord à gagner la faveur du chef du gouvernement français. À toutes ces avances, il demeura froid, impassible et plutôt sévère. Les relations étaient trop bonnes alors avec « le chevaleresque empereur d’Autriche » pour qu’elles ne fussent pas un peu tendues avec la cour de Turin. Notre cabinet donnait volontiers à entendre qu’il avait à s’en plaindre. Il annonçait à Vienne son intention de surveiller de près, dans l’intérêt de l’Europe, ce petit peuple et ce petit ministre trop remuans. Un de nos diplomates les plus distingués, M. de Butenval, s’il n’a pas oublié dans les loisirs du conseil d’état les souvenirs de sa carrière diplomatique, doit se rappeler qu’il n’avait pas tout à fait pour mission de se rendre agréable à la cour auprès de laquelle il était alors accrédité. Pendant longtemps, il ne s’échangea entre Turin et Paris que des relations où de notre part il entrait assez de sécheresse et de malveillance. Cependant M. de Cavour était patient, sinon résigné. Toujours attentif, toujours à l’affût, il attendait l’occasion.

La guerre de Crimée la lui offrit, et l’on sait avec quelle ardeur il la saisit ; mais sa pensée ne fut pas tout d’abord bien comprise, même en Piémont. Parmi ceux qui la devinèrent, plusieurs blâmèrent cette mise au jeu dans une partie si forte en vue d’un gain si problématique, et en tout cas si éloigné. Le roi seul et M. de La Marmora l’approuvèrent complètement. À Vienne, on ne s’y trompa point, et l’on vit aussitôt de quoi il s’agissait. « Voilà, dit un ministre autrichien en apprenant le traité signé à Turin, voilà un coup de pistolet tiré à bout portant à nos oreilles ! » Le public italien fut enfin mis sur la voie, et tous les compatriotes de M. de Cavour s’émurent, lorsque, pour prix de ses efforts persévérans, ils le virent au congrès de Paris s’asseoir avec aisance à côté des plénipotentiaires des grandes puissances européennes ; ils l’applaudirent avec transport lorsqu’au grand scandale des diplomates de l’école de M. de Metternich, il prononçait pour la première fois dans une réunion officielle le nom de l’Italie, et faisait entendre au monde entier le cri de douleur de ses populations opprimées.

Cette période de la vie de M. de Cavour est la plus connue, c’est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas. Disons seulement que, dans la joie de ce premier triomphe, le jeune ministre piémontais fut peut-être conduit à s’en exagérer, sinon l’importance, au moins les conséquences immédiates. Il avait évidemment réussi à mettre la question italienne à l’ordre du jour de la diplomatie ; il avait gagné à sa cause une grande partie du public français, et, ce qui lui importait davantage, il y avait gagné l’empereur lui-même. Il ne s’en faisait pas moins illusion lorsque, jugeant la crise prochaine, il écrivait le 12 avril 1856 à son collègue Rattazzi : « Il faut se préparer secrètement, faire l’emprunt de 30 millions, et, au retour de La Marmora, adresser à l’Autriche un ultimatum qu’elle ne pourra accepter, et commencer la guerre. L’empereur ne saurait s’opposer à cette guerre ; au fond, il la désire[6]. »

Les choses n’étaient pas aussi avancées qu’il l’espérait. Il y avait changement dans les dispositions du souverain de la France. De bonnes paroles lui avaient été données qu’il avait le droit de prendre pour des encouragemens. Rien de plus. En fait, il y eut seulement depuis cette époque échange de lettres gracieuses et de messages confidentiels entre l’empereur, le prince Napoléon, le roi Victor-Emmanuel et son ministre. Un assez grand nombre de patriotes italiens obtinrent leur entrée dans le cabinet particulier de l’empereur. Plusieurs d’entre eux, autorisés ou non, quelques amis personnels en partaient pour parcourir l’Italie, y jetant aux quatre vents la promesse d’un radical et prochain changement du présent état de choses. C’était tout cependant. Les souvenirs de la rude guerre de Crimée étaient encore trop récens pour qu’on songeât sérieusement à entreprendre une nouvelle campagne. Parfois M. de Cavour se prenait à désespérer de pouvoir entraîner après lui la grande puissance militaire sans laquelle il ne pouvait raisonnablement rien tenter. Il était au plus fort de ses incertitudes quand arriva à Turin la désastreuse nouvelle de l’affreux attentat d’Orsini. Ce fut pour M. de Cavour un redoublement de perplexités. Ces détestables bombes jetées en pleine foule, au beau milieu de la capitale, sous la voiture d’un souverain qui, plein de confiance, ne songeait qu’à jouir, avec sa jeune femme inoffensive, de l’un des plaisirs ordinaires d’une civilisation raffinée, n’avaient-elles pas tué à tout jamais les espérances de l’Italie ? M. de Cavour avait trop de raisons de le croire et de s’en désespérer. Il en douta cependant lorsque peu de temps après il lut dans les journaux de Turin, imprimée d’après une copie envoyée directement de Paris, la missive étrange qu’avant de monter à l’échafaud le terrible propagateur de l’indépendance italienne avait trouvé opportun d’adresser au souverain qui signait son arrêt de mort.

On sait le reste, du moins en gros, et M. de La Rive a l’air de le savoir mieux que personne, plus même qu’il ne lui convient de le dire. M. de Cavour était en effet à Presinge, dans la famille de son jeune parent, lorsqu’il reçut l’invitation de se rendre à Plombières. Il y arriva en secret, dans le plus strict incognito, muni d’un passeport sur lequel son nom ne figurait pas. Que se passa-t-il dans cette entrevue ? Un seul des deux interlocuteurs pourrait le dire aujourd’hui. M. de La Rive, qui vit de nouveau M. de Cavour à son retour de Plombières, regarde comme acquis à l’histoire qu’on y convint « de la création d’un royaume de l’Italie du nord, s’étendant jusqu’à l’Adriatique et comprenant les duchés de Parme et de Modène ; la Toscane agrandie de la portion des états pontificaux située au versant septentrional des Apennins ; en retour, cession de Nice et de la Savoie à la France[7]. » M. de Cavour avait toujours espéré la guerre ; pour la première fois, elle lui était formellement promise, et ce n’est pas lui que la note du Moniteur sur l’état de nos bons rapports avec l’Autriche pouvait un instant abuser. Il était désormais sûr de son fait. Quels seraient cependant le prétexte, le lieu et le moment ? Cela n’avait pas été, à ce qu’il paraît, précisément fixé, ou du moins on l’a toujours ignoré. Le public, qui prête volontiers aux personnages considérables des volontés parfaitement arrêtées d’avance, s’est plu à imaginer que la vive interpellation adressée par l’empereur à M. Hübner au 1er janvier 1859 était le signal convenu. Il n’en était rien. M. de La Rive affirme (et nous avons toute raison de penser comme lui) qu’elle surprit à Turin M. de Cavour autant qu’à Paris elle consterna la Bourse. Il paraît même avéré que l’empereur était loin de s’attendre à l’effet produit par ses paroles ; elles eurent pour résultat d’avertir l’Autriche et de la mettre sur ses gardes. La France et le Piémont y perdaient le bénéfice d’être prêts avant leur adversaire et de choisir le point d’attaque. M. de Cavour, désireux de garder toutes les meilleures chances pour la petite armée piémontaise, en fut vivement contrarié, même un peu déconcerté. Cependant il pouvait annoncer la guerre comme imminente ; il avait encore le temps de la préparer : cela suffisait pour le rassurer et pour le consoler de tout. Il faut lire dans M. de La Rive les curieux détails de sa joyeuse et féconde activité pendant les quelques mois qui précédèrent l’ouverture des hostilités, et ce n’est point exagérer que de répéter après son biographe que l’instant où elles éclatèrent fut pour lui un moment de repos presque autant que de triomphe.

Mais pénétrons un peu plus avant dans cette vie si prodigieusement occupée, et tâchons d’expliquer ce qui se passait au fond même de l’âme de M. de Cavour. Malgré l’ardeur passionnée avec laquelle il avait sollicité le secours indispensable de la France, si persuadé qu’il fût qu’il avait en cela fait acte de politique sensé et de bon citoyen, le hardi conseiller de la petite monarchie sarde, par tradition de famille et par caractère, était de trop vieille race piémontaise pour ne pas s’inquiéter un peu (au moment même de s’en servir si utilement pour son pays) du redoutable allié qu’il avait appelé à son aide. Il avait consenti à payer le prix du service en nature, c’est-à-dire en belles et bonnes provinces appartenant de date immémoriale à la monarchie sarde, mais il ne voulait pas être entraîné à le payer plus cher encore, c’est-à-dire par une dépendance trop absolue et une vassalité trop complète. À ce point de vue, la cession de Nice et de la Savoie, conditionnellement et secrètement convenue (quoiqu’il prévît bien qu’un pareil sacrifice lui serait amèrement reproché), ne lui déplaisait pas. Dans sa pensée, elle l’exemptait d’une trop lourde reconnaissance ; elle rétablissait jusqu’à un certain point l’égalité entre les contractans ; elle liait la France, elle l’obligeait, par le profit même qu’elle en retirait, à maintenir et à défendre le nouveau royaume qu’il s’agissait de fonder. Ce n’est pas tout : outre sa fierté piémontaise, M. de Cavour avait au plus haut degré l’ambition italienne. Mieux que personne, il sentait qu’une nation ne se crée point de fantaisie par simple agrandissement territorial et par la mise en commun de quelques états naguère séparés. Nul n’avait plus souvent et plus amèrement que lui déploré la facilité avec laquelle l’Italie avait, dans le passé, laissé les étrangers décider chez elle et pour elle de sa propre destinée. Rien ne lui tenait tant à cœur que de la voir mettre cette fois la main à l’œuvre, payer de sa personne et se laver d’anciens reproches trop mérités. La petite armée piémontaise était prête, et ferait certainement son devoir. Il brûlait de l’engager. « Il faut, s’écriait-il souvent au mois d’avril 1859, que nous ayons tiré le canon avant l’arrivée des Français[8]. » Cela même encore ne lui suffisait pas. Si la querelle était vidée en champ clos au moyen des seules armées régulières de la France et du petit Piémont, on avait chance presque certaine de remporter quelque éclatante victoire contre l’Autriche. Militairement la cause serait gagnée ; politiquement, selon M. de Cavour, il n’y aurait rien eu de fini ni même de commencé, car l’Italie resterait toujours à faire. C’est dans cette pensée que, malgré quelques-uns de ses collègues, à leur insu ou du moins sans beaucoup les consulter, ce qui était souvent sa manière, M. de Cavour, avec sa décision ordinaire, appelait à Turin tous les hommes de bonne volonté disposés à prendre les armes pour la cause nationale. Il alla chercher dans son exil à Paris le général Ulloa, qui avait défendu Venise contre les Autrichiens, et dans sa retraite de Caprera l’audacieux chef de bandes qui avait tenu tête aux Français dans Rome. Son étroit cabinet était devenu comme un grand bureau de recrutement. Un matin de très bonne heure, le valet de chambre de M. de Cavour y annonce quelqu’un qui demande à voir M. le comte. « Son nom ? — Il ne veut pas le dire. Il a un grand bâton et un grand chapeau. Il prétend que monsieur le comte l’attend. — Ah ! faites entrer. » C’était Garibaldi. Si Garibaldi fut le plus considérable, il ne fut pas le seul des enrôlés que M. de Cavour alla chercher jusque dans les rangs des patriotes italiens les plus exaltés. Susciter partout, n’importe où, n’importe comment, des ennemis à l’Autriche, grossir le nombre des volontaires, les armer, les approvisionner, leur fournir tous les moyens de se bien battre et de se faire honneur, telle fut alors la préoccupation principale et la besogne favorite de M. de Cavour, besogne souvent épineuse même pour lui, car le ministre de la guerre, le rigide M. de La Marmora, y voyait un élément de désordre militaire, et l’administration civile comme la diplomatie étrangère un ferment de désordre politique. M. de Cavour tint bon et passa outre. On remarqua qu’il suivit pendant toute la guerre d’un œil particulièrement attentif, et comme avec une sorte d’amour-propre d’auteur, les opérations de ce petit corps des volontaires italien, jouissant visiblement de ses prouesses contre l’ennemi, faisant remarquer qu’il était partout en avant du grand corps des armées françaises et piémontaises, le premier de l’autre côté du Tessin, quand elles cherchaient à le passer, et déjà dans Brescia, quand elles n’étaient qu’à Milan ; le comparant volontiers dans son langage familier à ce petit poisson qui, selon quelques voyageurs, « précède et fraie partout le passage à la baleine. »

Répétons-le encore : il y avait là plus et mieux qu’une fantaisie personnelle ou qu’une satisfaction d’amour-propre. M. de Cavour savait parfaitement en toutes choses ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. Il croyait, peut-être serait-il plus juste encore de dire qu’il espérait que la guerre serait longue ; il la voulait telle, parce qu’en durant elle avait chance de devenir plus nationale, c’est-à-dire de perdre la physionomie de simple expédition française pour prendre de plus en plus le caractère d’une guerre vraiment italienne. Engager à y prendre part des hommes dont mieux que personne il connaissait les antécédens qui n’étaient pas, à vrai dire, des partisans assurés de la dynastie sarde, ni peut-être d’aucune dynastie, cela l’effrayait médiocrement ; disons mieux, cela entrait dans ses vues, car il était de ceux qui pensent que, pour ramener les gens, le meilleur moyen n’est pas de commencer par les exclure. Avec un rare discernement, don précieux des vrais politiques, il avait reconnu que la cause monarchique avait depuis la catastrophe de 1849, et précisément par suite de cette catastrophe, noblement supportée par la maison de Savoie, fait de rapides progrès en Italie. Par un tact également supérieur, il pensait, et suivant nous avec grande raison, qu’une cause en progrès ne doit pas être méfiante, qu’il lui profite d’ouvrir largement ses rangs, et que les alliances qu’elle contracte deviennent aisément des conquêtes. Il ne redoutait donc en aucune façon d’avoir à ses côtés, dans sa croisade contre l’Autriche ce qu’en France on appelle communément les révolutionnaires. Révolutionnaires, c’est bientôt dit ; mais ce mot d’acception si élastique reçoit bien des sens selon les temps, selon les circonstances et surtout selon les pays. À prendre les révolutionnaires italiens de 1849 et surtout de 1859 pour des révolutionnaires français d’autrefois ou même pour ceux de nos jours, on risquerait de se beaucoup tromper. Ces dates et les rapprochemens qu’elles font naître, l’habitude de juger en gros et par analogie, pour tout dire aussi, la nature des alliés et des adversaires que la cause italienne a rencontrés dans notre presse française, ont amené au détriment de l’Italie de regrettables confusions. Pour s’être produites après février, les insurrections italiennes de 1848 ont fait à tout un monde froissé par l’avènement de la république l’effet de procéder directement du mouvement qui a renversé chez nous le trône constitutionnel du roi Louis-Philippe. Parce qu’elle a été patronée par un souverain armé d’un pouvoir absolu, la levée de boucliers de 1859 a paru exclusivement militaire, violente et antilibérale. Cette résurrection inattendue de la nationalité italienne a justement inquiété la diplomatie. Les trois cabinets qui ont la prétention de se donner sur le continent pour les représentans du vieil équilibre européen, quoiqu’en réalité ils l’aient les premiers violé en se partageant la Pologne, se sont crus revenus à l’époque où le directoire français se ruait par ambition sur la Lombardie et la Vénétie. Que de scandales, et quels dangers !

Au fond, et malgré quelques apparences suffisantes, il est vrai, pour égarer des esprits superficiels ou prévenus, rien de plus faux que ces rapprochemens entre des époques et des situations si différentes. Par entraînement de parti (les esprits les plus distingués s’en défendent mal), par plaisir de conversation dans un salon, par nécessité de polémique dans les journaux, on peut s’y laisser aller un moment : ils n’ont pourtant rien de sérieux. Un observateur éclairé ayant quelque connaissance de l’Italie et du caractère italien, — moins encore, le premier voyageur venu qui aura seulement traversé les Alpes et regardé de bonne foi le spectacle offert à ses yeux, — rapportera une impression tout opposée. Il aura vite découvert que tout ce mouvement italien, dont il sera l’heureux témoin, s’inspire surtout de l’esprit qui animait la France libérale aux dernières années de la restauration et pendant les premières années du gouvernement de juillet, mouvement un peu élargi, il est vrai, par une participation plus directe des classes inférieures aux affaires de la politique ; mais cela même, est-ce donc un mal ? Il s’apercevra que la question d’indépendance est ici mêlée et comme confondue avec la question de liberté. En présence de l’Autriche maîtresse de Milan et des trois formidables citadelles du nord détenant le plus grand port commercial et militaire de l’Adriatique, de l’Autriche disposant, par ses alliances de famille, des petits états du centre, il n’y avait pas de véritable indépendance pour l’Italie. Permis à la diplomatie de refuser aux Italiens le droit de revendiquer ce qu’ils considèrent comme leurs frontières naturelles. La diplomatie suit ses traditions quand elle s’efforce de maintenir telle qu’elle existe la répartition des territoires. À ce titre, elle n’eût pas été moins dans son rôle en protestant, il y a deux siècles, contre la conquête de la Lombardie par les Espagnols, et à une époque plus récente contre la cession par Napoléon de la Vénétie à l’Autriche. Mais puisqu’en matière de légitimité il ne s’agit que de dates à inscrire sur l’acte de possession, permis aussi aux peuples dont les besoins et les vœux ont été méconnus d’en vouloir à leur tour créer de nouvelles à leur profit. En 1859, M. de Cavour se trouvait en réalité le promoteur déclaré et le chef responsable, d’un immense mouvement national auquel il avait convié toutes les classes de la population italienne, où fermentaient pêle-mêle et en commun les fougueuses passions qui ont agité la France de 1830 et celle de 1848, mais surtout et d’abord la généreuse ardeur qui précipitait nos volontaires de 93 et 94 contre les armées étrangères.

Une fois lancé en si périlleuse aventure, et n’ayant pas un instant douté de la mener à bonne fin, on comprend avec quel pénible désappointement le ministre de Victor-Emmanuel apprit la nouvelle de l’armistice qui précéda de si peu de jours la conclusion de la paix de Villafranca. Il en fut comme atterré. « Déçu, blessé au vif, — nous dit M. de La Rive, chez qui le vaincu de Villafranca vint alors chercher une retraite de quelques jours, — chancelant sous le coup qui venait d’abattre l’échafaudage de sa politique, de renverser ses espérances à demi réalisées, ses plans inachevés et rompus, il ne déguisa à l’empereur ni sa douleur ni son ressentiment. » Cependant sa douleur elle-même ne troublait pas son jugement, et son irritation, qu’il n’avait garde de cacher, ne le rendait pas injuste. « L’empereur a cédé, disait-il à ses amis de Genève, aux propos que tenaient autour de lui quelques hommes qui avaient envie de retourner à Paris, aux craintes que lui inspirait, pour la santé de l’armée, l’ardeur du climat, à la répulsion du spectacle qu’offraient les champs de bataille. Voilà ce qui l’a décidé. Il m’a donné d’excellentes raisons pour ne pas faire la guerre, mais pas une bonne pour faire la paix[9]. »

Cette paix, M. de Cavour était bien décidé à n’en pas accepter pour son compte la responsabilité. Il la trouvait non-seulement inopportune, mais mal conçue. D’après son jugement, qui m’a été confirmé à Turin par des hommes considérables, pleins de sagacité, et présens eux-mêmes sur les lieux, il aurait été facile, en se pressant seulement un peu moins, dans la position faite par les événement aux Autrichiens, d’obtenir d’eux le démembrement de Peschiera et peut-être de Mantoue ; « mais on avait préféré, disaient-ils, tirer tout fait de sa poche un ancien traité de Napoléon Ier, et l’on avait ainsi créé pour le Piémont des conditions d’existence impossibles. » C’était le sentiment qui animait tous les états sardes. Aux vitrines des boutiques de la plupart des villes du nord de l’Italie, le portrait d’Orsini remplaça pour un moment celui du chef du gouvernement français. M. de Cavour ne craignit point de répéter à plusieurs reprises qu’il était très effrayé de l’excitation des esprits, que les plus grandes précautions seraient nécessaires, si l’on voulait repasser par Turin pour retourner en France. Pour lui, il ne répondait de rien, et sans vouloir écouter les instances de l’empereur ni celles de Victor-Emmanuel, il insista pour faire immédiatement accepter sa démission.

Cependant M. de Cavour avait trop de ressort dans le caractère, trop de flexibilité et de ressources dans l’esprit pour demeurer longtemps. en proie à de vains regrets et à une colère stérile. Suivant sa coutume, il se mit bientôt à s’occuper de l’avenir plus que du passé, et, comme à son ordinaire aussi, il prit les amis qui l’entouraient pour confidens de ses nouveaux projets. « Ce n’est pas en arrière ; leur disait-il, qu’il convient de regarder, mais en avant. Nous avons suivi une voie ; elle est coupée : eh bien ! nous en suivrons une autre. Nous mettrons vingt ans à faire ce qui aurait pu être accompli en quelques mois. Qu’y pouvons-nous ? D’ailleurs l’Angleterre n’a encore rien fait pour l’Italie. C’est à son tour maintenant. Je m’occuperai de Naples. On m’accusera d’être un révolutionnaire ; mais avant tout il faut marcher, et nous marcherons. » Il n’en voulait nullement à M. Rattazzi d’avoir accepté sa succession. Il était au contraire disposé à lui prêter le plus sincère appui pour l’aider à triompher des embarras d’une situation ministérielle très difficile ; mais il avait peine à prendre son parti des conférences ouvertes à Zurich pour y régler, entre la France, l’Autriche et le Piémont, les engagemens contractés à Villafranca. Que le plénipotentiaire sarde dût apposer sa signature à une pareille transaction, cela lui coûtait extrêmement. « Tant que les Autrichiens seront de ce côté des Alpes, ce sera un devoir sacré pour moi, écrivait-il à M. Castelli, de consacrer ce qu’il me reste de vie et de force à réaliser les espérances que j’ai travaillé à faire concevoir à mes concitoyens. » Son auguste allié de Plombières lui ayant en partie enlevé le fruit des rudes batailles de Magenta et de Solferino, il ne se faisait nulle conscience de lui enlever à son tour le bénéfice des commodes stipulations de Zurich, Il Puisqu’on m’y force, s’écria-t-il, je passerai le reste de ma vie à conspirer[10]). » Sur ce pied-là, il n’y avait plus d’égalité, car en Italie M. de Cavour était sur son terrain. Autant qu’homme de son temps, quoiqu’il n’en fût pas un partisan fanatique, il s’entendait à faire manœuvrer le suffrage universel. Redevenu plein de confiance, il n’hésita pas à rentrer au pouvoir afin de présider à la campagne nouvelle des annexions. Il devait rencontrer pour les accomplir d’actifs et puissans auxiliaires. Le baron Ricasoli à Florence par son énergique initiative, M. Farini dans les duchés et M. Pepoli à Bologne par leur heureuse habileté, le secondaient de leur mieux. Restait à faire consacrer par la France un nouvel état de choses qui annulait complètement les conditions du traité si récemment signé à Zurich. L’œuvre était difficile, car l’empereur s’était employé de bonne foi pour la restauration des princes déchus. Son amour-propre était presque engagé. Pour faire pencher la balance, il fallait un dernier effort. Résolu comme toujours, M. de Cavour, quoiqu’il n’eût pas reçu la Vénétie en échange, n’hésita pas, et jeta dans l’un des plateaux Nice et la Savoie.

J’ai dit tout à l’heure que, pour exprimer la nature de l’action qu’il entendait désormais exercer au pouvoir, M. de Cavour s’était servi du mot « conspirer. » On pourrait peut-être en conclure que de longue main il aurait voulu, conseillé et préparé l’expédition de Garibaldi en Sicile et dans le royaume de Naples. C’est une croyance généralement admise en Italie. M. de La Rive, d’ordinaire si bien informé, me paraît la partager. Suivant lui, le hardi ministre du roi Victor-Emmanuel, alors même qu’il ne l’eût pas approuvé, aurait répugné, en cette occurrence, à se mettre en travers du courant populaire qui portait Garibaldi. « Il eût craint, dit-il, d’être submergé, et par instinct il tenait à une popularité lentement acquise, obtenue sans sacrifice de sa part, mais dont il avait joui trop longtemps et trop complètement pour qu’elle ne fût pas désormais une habitude de sa vie et, jusqu’à un certain degré, un mobile de sa conduite[11]. » Pour la première fois, M. de La Rive se trompe, et cette fois au détriment de son ami. M. de Cavour ne se souciait pas qu’on tentât l’aventure. Il voulait tout empêcher. Il se proposait de faire arrêter Garibaldi. Il était très animé à ce sujet. Et comme on lui objectait l’impossibilité de trouver quelqu’un qui se chargeât de cette mission : « Si personne n’ose, dit-il au roi, j’irai moi-même lui mettre la main sur le collet. » Un petit nombre de témoins, dont je tiens ceci, savent seuls quelles scènes singulières se passèrent alors entre le ministre et le souverain. Le ministre ne fut pas convaincu, mais il céda, et, remplissant jusqu’au bout son devoir constitutionnel, il ne convint jamais du dissentiment et couvrit complètement, en cette occasion comme en toute autre, la personne royale. L’invasion des Marches fut au contraire un coup d’audace qui partit de la volonté expresse de M. de Cavour. « Jamais, dit le biographe genevois et protestant du ministre piémontais, jamais peut-être les combinaisons de la politique ne se montrèrent plus impitoyables que dans cette courte campagne entamée sans prétexte, poursuivie sans scrupule, partie terrible qu’il semblait pour la monarchie italienne aussi nécessaire qu’impossible de jouer. Cavour regarda ses cartes, et cette partie suprême, il la joua et la gagna[12]. »

Pour nous, on voudra bien nous excuser, si catholique et Français nous avons plus de peine à oublier qu’afin de gagner cette partie l’armée piémontaise dut passer tout entière sur le corps d’une petite poignée de catholiques dévoués et de vaillans Français. Nous nous vantons d’ailleurs de professer la plus haute estime pour les gens de cœur qui, en ces temps de convictions si molles et de caractères si énervés, savent mettre leurs personnes au service des causes désintéressées. Nous sommes donc de ceux qui ont ressenti comme une blessure faite à notre honneur national l’injure jetée par un général italien, naguère au service de l’Espagne, à de nobles soldats avec lesquels il devait se sentir honoré de croiser l’épée. S’il faut tout dire, nous croyons aussi que le roi Victor-Emmanuel avait donné assez de gages à la cause italienne et de preuves de sa valeur pour n’être pas tenu d’aller de sa personne chasser lui-même de son dernier refuge un jeune roi, son proche parent, fils d’une admirable princesse piémontaise dont le souvenir était resté vivant et béni à Turin aussi bien qu’à Naples. Cette réserve faite, nous conviendrons que l’invasion des Marches, le secours amené si à propos à Garibaldi sur les bords du Volturne et la prise de Gaëte ont utilement servi à raffermir la popularité un moment ébranlée de M. de Cavour. Cette popularité, conquise de haute lutte et payée peut-être à un certain point de vue d’un prix trop élevé, n’était point pour lui une vaine jouissance de vanité ; elle était une force indispensable dont il ne pouvait se passer pour résister ouvertement à l’anarchie que, sans le vouloir et sans le savoir, pouvait déchaîner d’un jour à l’autre sur son pays le glorieux chef de partisans qui était alors pour l’Italie entière un objet d’idolâtrie. On le vit bien, lorsque Garibaldi, enivré de sa puissance sur la multitude et préludant aux folles témérités qui depuis ont compromis sa renommée, osa sommer le roi de renvoyer son premier ministre. Devant ces altières exigences, M. de Cavour ne cédera pas. En plein parlement, dans ce parlement agrandi par tant de récentes annexions, les unes fruits de son adroite politique, les autres dues aux brillantes prouesses de son rival, il acceptera la lutte avec Garibaldi et le terrassera aux applaudissemens frénétiques de toute l’assemblée, avec la seule arme d’une ferme parole maniée par Le plus intrépide bon sens. Cela valait mieux apparemment pour l’Italie, pour Garibaldi lui-même, que d’avoir à l’abattre plus tard à coups de fusil, humilié et vaincu, dans les gorges d’Aspromonte !

Nous sommes arrivés au point culminant de la courte carrière de M. de Cavour. Quels débuts et quelle fin ! L’obscur sous-lieutenant du génie, naguère presque persécuté, a vu s’accomplir au pied de la lettre, destinée bien rare, le rêve de sa jeunesse. Le voilà ministre de cette grande patrie italienne qu’il a dû créer lui-même avant d’en devenir au dedans le conseiller invariablement écouté et au dehors l’illustre interprète et comme la vivante personnification. Sans doute dix-huit mois après la paix de Villafranca, un an après sa rentrée aux affaires, alors que dans le palais Madame, devenu trop étroit pour sa nouvelle destination, l’Italie tout entière, sauf Rome et Venise, prêtait serment au roi Victor-Emmanuel, à l’aspect de tant de visages inconnus tournés vers lui, au bruit des acclamations enthousiastes qui le saluaient de toutes parts, sans doute M. de Cavour dut songer un instant à la séance où, la veille presque de la déroute de Novare, il élevait pour la première fois sa voix, alors impopulaire, dans la petite assemblée piémontaise ; mais de semblables retours sur lui-même n’étaient pas conformes à son caractère. Le succès n’était point pour lui tourner la tête, encore moins pour l’endormir. Il jouissait d’avoir si bien avancé sa tâche ; à ses yeux pourtant, il s’en fallait de beaucoup qu’elle fût terminée. Il avait la très ferme et très juste conviction que, pour accomplir ce qu’il restait à faire, les moyens précédemment employés ne vaudraient plus, et qu’à la nouvelle œuvre il faudrait de nouveaux procédés d’action. C’est le moment où s’opéra, non pas dans les sentimens ni dans les visées de M. de Cavour, mais seulement dans sa façon de se conduire, une transformation que le public européen n’a pas eu le temps de bien apercevoir, parce que le ministre piémontais fut trop vite enlevé par la mort au milieu même de son évolution. Évidemment l’esprit d’initiative, la hardiesse, l’audace même n’avaient jamais manqué à M. de Cavour. On l’avait toujours vu se porter de préférence au-devant des questions, traînant hommes et choses à sa remorque, brusquant les uns, forçant la main aux autres. Telle n’était plus désormais sa disposition. Habile comme il était, il avait garde toutefois d’en convenir ni même d’en rien laisser soupçonner à son entourage, car il entendait bien se servir encore, pour ses desseins nouveaux, de son ancienne réputation. Il ne lui déplaisait pas surtout que hors de l’Italie, au sujet des grandes affaires extérieures restées à l’ordre du jour, on le tînt encore pour l’homme ardent et pressé qu’il avait été. À vrai dire, il ne l’était plus. Il sentait que désormais l’important était de consolider la nouvelle monarchie, d’organiser en une nation compacte les diverses populations récemment agglomérées, et de les façonner à la liberté. Ces desseins, sur lesquels il ne s’ouvrait pas entièrement à ses partisans d’Italie, il les confiait à ses amis de Genève. « Ma tâche, écrivait-il à M. de La Rive, est plus laborieuse et plus pénible maintenant que par le passé. Constituer l’Italie, fondre ensemble les élémens divers dont elle se compose, mettre en harmonie le nord et le midi, offre autant de difficultés qu’une guerre avec l’Autriche et la lutte avec Rome. »

Ainsi, comme on le voit par ses propres expressions, ni la guerre avec l’Autriche ni la lutte avec Rome ne font partie à cette époque, nous ne disons pas du programme public, sur lequel il continue de les inscrire, mais du plan particulier que M. de Cavour se propose de suivre. Ce n’est pas la première fois que, dans la carrière de cet homme d’état, on rencontre ainsi en présence deux politiques, sinon opposées quant au but, du moins fort différentes dans leurs voies et moyens : l’une, volontiers retentissante, à l’usage du vulgaire, toute d’apparat et pour l’affiche ; l’autre réservée et modeste en apparence, moins bruyante à coup sûr, mais après tout aussi fière, et au fond beaucoup plus efficace. Il renonçait à prendre actuellement Venise et les trois forteresses à l’Autriche, parce qu’il aurait fallu recourir de nouveau à l’assistance militaire de la France, C’était assez de s’en être aidé une première fois, quand elle était indispensable. Par orgueil patriotique, il préférait attendre le moment où, toutes ses forces étant réunies et groupées en un seul faisceau, l’Italie pourrait, les circonstances aidant, tenter elle-même ce dernier et suprême effort. Peut-être d’ailleurs ne serait-il pas nécessaire d’en appeler aux armes. Pourquoi la diplomatie ne pourrait-elle, sans guerre, moyennant quelque habile combinaison suscitée par les affaires d’Orient, octroyer un jour au nouveau royaume d’Italie ce complément si désiré ? Il ne désespérait même pas de pouvoir entrer en pourparlers avec le gouvernement besoigneux de Vienne. Il comptait, à tort ou à raison, sur l’Angleterre pour faciliter le marché et lui avancer les fonds. Tous les moyens lui semblaient plausibles et bons ; il n’en était aucun qu’il ne préférât à une nouvelle intervention de la France.

Il avait d’autres raisons pour aller doucement dans les affaires de Rome. D’abord il ne voulait à aucun prix risquer de se brouiller avec l’empereur Napoléon III, car s’il n’était pas disposé à lui demander de nouveaux services, il était encore plus éloigné d’oublier les anciens. Avec sa parfaite connaissance des circonstances intérieures du gouvernement français, il comprenait bien que c’eût été mal le récompenser des secours reçus dans ses propres embarras que d’aller, en matière aussi délicate, par ses exigences incommodes, en susciter lui-même de non moins redoutables à son utile et complaisant auxiliaire. Ce n’est pas tout. Dans ses diverses entreprises (nous avons vu qu’il n’avait pas voulu celle de Naples), M. de Cavour s’était toujours senti soutenu et comme porté non-seulement par le plein courant de l’opinion de son pays, mais, à de rares et notables exceptions près, par l’assentiment de tous ceux qui au dehors formaient à ses yeux comme le vrai public libéral de l’Europe. Ce surcroît d’autorité qui résulte pour un homme d’état de l’approbation donnée du dehors à ses actes, il en faisait cas plus que personne. Autant donc il avait été résolu et hardi quand il n’avait eu à combattre que des forces, pour ainsi dire matérielles, autant il se sentait porté à la prudence et à la circonspection au moment où il pouvait craindre de rencontrer devant lui des résistances toutes morales. Pour triompher d’elles, ni la témérité, ni la ruse, ni la violence, n’étaient de mise. Il fallait employer la raison, la patience, la bonne foi, et, puisqu’il s’agissait de convictions personnelles et d’affaires de conscience, agir par la persuasion et convaincre la conscience publique. M. de Cavour, qui, sans avoir jamais négligé le parlement italien, était sûr d’en être, en toute occasion, compris et approuvé à demi-mot, ne l’avait pas depuis quelque temps entretenu beaucoup de questions politiques ; il s’était contenté de s’y défendre brièvement quand il y avait été attaqué, sans beaucoup viser à l’effet, surtout à l’effet à produire au dehors. Il changea tout à coup de méthode : il rechercha et provoqua presque les discussions. Ses discours sur la question romaine, les derniers et les plus étudiés qu’il ait prononcés, sont en réalité moins adressés aux chambres, si profondément d’accord avec lui, qu’à la nation italienne, et moins aux Italiens qu’à l’Europe tout entière. C’est dans la collection récemment publiée qu’il faut les relire, car là on les trouve assez complets.

Dans ces discours, où la bonne foi de M. de Cavour ne saurait, suivant nous, être mise en doute, il déclare, au sujet de la question romaine, ses véritables intentions tant à l’égard de la France que du souverain pontife. Rappelons-en, quoiqu’ils soient en partie connus, les plus saillans passages.


« Il faut que nous allions à Rome, mais à ces deux conditions : que ce soit de concert avec la France, et que la grande masse des catholiques, en Italie et ailleurs, ne voie pas dans la réunion de Rome au reste de l’Italie le signal de l’asservissement de l’église. Il faut, en d’autres termes, que nous allions à Rome sans que l’indépendance du souverain pontife en soit diminuée. Il faut que nous allions à Rome sans que l’autorité civile étende son pouvoir sur le domaine des choses spirituelles. Voilà les deux conditions qui doivent se réaliser pour que notre entrée à Rome ne mette point en péril les destinées de l’Italie

«….. Mais j’irai plus loin : lors même que, par suite d’événemens que je ne crois ni probables ni même possibles, la France se trouverait réduite à une telle situation qu’elle ne pût matériellement s’opposer à notre entrée dans notre capitale, nous ne devrions point réaliser la réunion de Rome à l’Italie, s’il devait en résulter un grave dommage pour nos alliés.

« Nous avons contracté, messieurs, une grande dette de reconnaissance envers la France. Je ne prétends certes point qu’il faille appliquer aux rapports internationaux les règles strictes de moralité qui doivent présider aux relations individuelles ; cependant il y a des préceptes de morale que les nations elles-mêmes ne sauraient violer impunément

«….. Nous avons encore, messieurs, un motif plus grave de nous mettre d’accord avec la France. Quand nous avons appelé en 1859 la France à notre aide, quand l’empereur consentit à venir en Italie à la tête de sa vaillante armée, il ne nous dissimula point les engagemens dont il se tenait pour lié envers la cour de Rome. Nous avons accepté son aide sans protester contre les obligations qu’il nous déclarait avoir assumées ; après avoir tiré de cette alliance tant d’avantages, nous ne pouvons pas protester contre des engagemens que jusqu’à un certain point nous avons admis.

« Mais alors, me dira-t-on, la question romaine est insoluble ?

« Je réponds que, si nous réussissons à réaliser la deuxième des conditions dont j’ai parlé, la première rencontrera peu d’obstacles, c’est-à-dire que si nous pouvons faire en sorte que la réunion de Rome à l’Italie n’inspire pas de craintes graves au monde catholique, — et j’entends par là cette grande masse de personnes de bonne foi qui professent les dogmes religieux par un sentiment vrai et non point par calcul politique, cette grande masse que n’aveuglent pas de vulgaires préjugés, — si nous arrivons, dis-je, à persuader à la grande majorité des catholiques que la réunion de Rome à l’Italie peut s’opérer sans que l’église cesse d’être indépendante, je crois que le problème sera bien près d’être résolu[13]…..

«…..Mais, dit-on encore, nous ne pourrons jamais obtenir l’assentiment à ce dessein du catholicisme ou des puissances qui s’en regardent comme les représentans et les défenseurs… Cette difficulté ne saurait être tranchée par le glaive : ce sont les forces morales qui doivent la résoudre ; c’est la conviction qui ira croissant de jour en jour dans la société moderne, même au sein de la grande société catholique, que la religion n’a rien à craindre de la liberté… Saint-père, pourrons-nous dire au souverain pontife, le pouvoir temporel n’est plus une garantie de votre indépendance ; renoncez-y, et nous vous donnerons cette liberté que depuis trois siècles vous demandez en vain à toutes les grandes puissances catholiques, cette liberté dont vous avez péniblement, par des concordats, arraché quelques lambeaux concédés en retour de l’abandon de vos privilèges les plus chers et de l’affaiblissement de votre autorité spirituelle. Eh bien ! cette liberté que vous n’avez jamais obtenue de ces puissances qui se vantent de vous protéger, nous, vos fils soumis, nous vous l’offrons dans sa plénitude ; nous sommes prêts à proclamer en Italie le grand principe de l’église libre dans l’état libre. »


« L’église libre dans l’état libre, » voilà le dernier mot d’ordre de M. de Cavour à ses compatriotes. L’Europe entière l’a entendu avec surprise, se demandant s’il fallait n’y voir que l’expédient aventureux d’une politique aux abois, ou le saluer comme la devise de l’avenir. Dans l’opinion de M. de La Rive, « ce mot auquel l’église catholique a répondu par un cri de réprobation, y voyant un piège grossier, un artifice oratoire, loin de cacher aucune arrière-pensée ou d’être une formule de circonstance, un futile et ingénieux propos du moment, allait droit à un but défini et était l’expression sincère d’une conviction sérieuse. » Quoi qu’il en soit, et quelque jugement qu’on entende porter, ceux qui croient l’opinion de M. de Cavour sincère ont le droit de rappeler que chez lui elle datait de loin. Libéral en politique, libéral en matière commerciale, il l’était aussi dans les questions religieuses ; de tout temps, il avait regardé la liberté de l’église comme une des conditions de la liberté générale. « J’ai suivi, » écrivait-il à M. Naville en 1844, « avec un bien vif intérêt la discussion de la loi sur l’enseignement. Ces débats honorent la France et notre siècle. Le résultat me paraît de nature à satisfaire tous les hommes éclairés et modérés. Peut-être à Genève trouvera-t-on qu’on a été trop favorable aux petits séminaires ; mais on n’aurait pas raison. Les concessions faites au clergé sont aussi utiles que raisonnables. Je ne puis partager les craintes qu’elles inspirent aux philosophes et aux jurisconsultes de l’école Dupin. » Plus tard, en 1846, causant à Leri avec M. W. de La Rive, il déplorait la condition faite au clergé français par la révolution ; il en exposait l’injustice et le péril. « En Piémont, ajoutait-il, nous avons une église qui possède, une église propriétaire, indépendante du gouvernement, et c’est un grand bien pour l’état non moins que pour la religion. » Fidèle à ses anciennes convictions, il n’a pas voulu, quelles que fussent les incitations de quelques députés de la gauche, laisser mettre la main sur les propriétés du clergé séculier. En Piémont, qu’on le sache bien, les cardinaux, les archevêques, les évêques et les prêtres du clergé séculier jouissent encore des biens territoriaux qui se trouvent nommément attachés à leur emploi. Des biens du clergé régulier on a fait deux parts. Aux ordres qui ont pour règle absolue et exclusive le service des hôpitaux, l’instruction à donner aux enfans et les missions effectives au dehors, à ceux-là, on a laissé leurs biens, qu’ils continuent à gérer eux-mêmes. Avec le reste, on a composé la caisse dite ecclésiastique, administrée par une commission composée à la fois de laïques et de prêtres ; elle subvient aux besoins du clergé séculier et dessert les pensions faites aux membres du clergé régulier dont les ordres ont été abolis. Tel est l’état des choses en Piémont, dans les anciens duchés, dans les Légations, à peu de choses près à Naples et en Sicile, partout excepté en Toscane, où les ordres monastiques jouissent de tous leurs biens, mais ne peuvent, par la remise en vigueur d’un ancien décret ducal, se recruter de novices sans permission de l’état. C’est au moyen de cet immense fonds commun que M. de Cavour, brouillé seulement avec quelques-uns des évêques, d’ailleurs assez médiocres, nommés par les anciens gouvernemens, mais beaucoup mieux vu qu’on ne se l’imagine en France de la très grande majorité du clergé italien, comptait traiter avec l’église italienne en se montrant d’ailleurs facile et généreux. Avec Rome, la négociation était autrement difficile. Songeait-il sérieusement à l’entamer ? Espérait-il la conduire à bonne fin ? Repoussé, qu’eût-il fait ? C’est là son secret ; il l’a malheureusement emporté dans la tombe.


Ou nous avons mal rempli notre dessein, ou l’on doit maintenant comprendre le vide immense laissé par la mort de M. de Cavour. Un long cri de douleur traversa l’Italie tout entière. Ce n’était pas seulement le cri de désespoir d’un peuple reconnaissant, mais plutôt le cri d’angoisse d’une nation consternée qui sent qu’elle a perdu son guide. Il était la lumière qui lui marquait sa voie. Cette lumière, on l’avait suivie de confiance à travers des sentiers obscurs et périlleux, et voici qu’elle s’éteignait tout à coup. Ce n’est pas que l’Italie manquât en ce moment d’hommes d’état distingués, dévoués à ses intérêts, décidés à poursuivre l’œuvre de celui dont ils avaient été les plus utiles auxiliaires. Leur bonne volonté, leur capacité même, ne pouvaient toutefois empêcher que, M. de Cavour disparu, la situation ne fût considérablement changée. Indiquons brièvement en quoi consista surtout ce changement, et tâchons d’expliquer comment l’on a été conduit à la crise actuelle.

Ainsi que nous l’avons dit précédemment, M. de Cavour, quoiqu’il fût un ministre très libéral et fort constitutionnel, n’avait point beaucoup songé, dans le vif de l’action, à s’appuyer très fortement sur le parlement. Il n’avait pas besoin de lui emprunter sa force, parce qu’il la possédait en lui-même. Il gouvernait à coup sûr dans le sens de la majorité, mais plutôt à côté d’elle que par elle, ne s’en servant que pour justifier, surtout vis-à-vis de l’étranger, les actes qu’il avait résolu d’accomplir. Le pays savait cela parfaitement. En 1859, après la collision avec l’Autriche et au lendemain des annexions, les collèges électoraux n’avaient point eu pour principal souci de nommer des députés rompus aux mœurs parlementaires, particulièrement capables de mener à bien l’œuvre si compliquée de la fondation d’un régime constitutionnel. « A quoi bon ? disait-on alors. Nous avons Cavour. — On nous a nommés, me disait l’un des hommes les plus éminens de la chambre actuelle, à peu près comme l’on donnerait des croix d’honneur. » Les populations se sont ralliées au hasard autour des noms qui avaient été prononcés le plus souvent à leurs oreilles, choisissant sans beaucoup s’inquiéter de leurs opinions particulières : ici un général de l’armée régulière, là un garibaldien, ayant fait parler d’eux pendant la dernière guerre ; dans cette ville, quelque ancien exilé rentré dans ses foyers ; ailleurs, un poète national ou quelque professeur distingué. En réalité, tous ces élus, non pas du suffrage universel, mais d’un suffrage très étendu, avaient rempli l’unique mission que leur avaient confiée leurs mandataires. Toujours et en toute occasion ils avaient fait ce qu’avait voulu M. de Cavour. Cavour mort, leurs dispositions ne devaient plus être les mêmes à l’égard de son successeur, quel qu’il fût. Ils entendaient montre quels étaient les maîtres, et ne se souciaient plus de se donner exclusivement à personne. Le mouvement des esprits courait toujours dans le même sens, mais le point de départ était déplacé. Le baron Ricasoli, l’héritier désigné de M. de Cavour, noble et grand caractère, âme droite et fière, politique ferme et résolu, mais non très habile tacticien parlementaire, ne démêla peut-être pas très bien au premier abord l’inclination nouvelle des esprits. Il se proposait trop de continuer uniquement M. de Cavour.

M. de Cavour avait toujours eu à son commandement d’énormes majorités, qui lui avaient servi d’un côté à maintenir son autorité personnelle près du roi Victor-Emmanuel, de l’autre à fortifier sa position à l’étranger, surtout vis-à-vis de la France, en lui permettant de peser d’un poids plus lourd dans les négociations pendantes au sujet de la question romaine. M. Ricasoli voulut obtenir, comme son prédécesseur, des majorités à peu près unanimes. On le vit donc tantôt mettre le marché à la main au corps législatif avec trop de rudesse peut-être, tantôt laisser au contraire flotter sa politique dans un vague intentionnel qui lui permît de grossir démesurément le chiffre de ses adhérens. En agissant autrement, il aurait sans doute pu former et discipliner une majorité suffisante pour soutenir son cabinet. Sa situation ministérielle aurait été moins imposante en apparence, mais en réalité plus solide. Il ne l’essaya même pas. Nous désirons nous tromper en pensant que M. Ricasoli commettait une autre imprudence, lorsqu’il annonçait trop souvent en termes trop précis et comme très prochaine, à la tribune du parlement italien, l’évacuation de la cité pontificale par les troupes françaises. Il n’est pas sage de surexciter légèrement les espérances d’un peuple. Il faut se garder de tirer à vue sur l’avenir de ces terribles lettres de change que le signataire n’est pas toujours libre d’acquitter. En cette occurrence, M. Ricasoli avait le malheur de blesser le gouvernement français, et pour lui plus que pour un autre cela était aussi un danger. Entre les cabinets de Paris et de Londres, il y a toujours eu, il y aura toujours malheureusement, quelle que soit la cordialité réelle ou simulée de l’alliance générale des deux gouvernemens, une petite rivalité quotidienne et de détails, une lutte souterraine et mesquine qui, à peu près partout en Europe, divise sur place, comme en deux camps opposés, les représentans de la France et de l’Angleterre. Cette division au milieu même de l’accord compose toute l’histoire de la diplomatie contemporaine. C’est elle qui tient en suspens les destinées de l’Orient, c’est elle qui a si souvent entravé la marche du gouvernement constitutionnel de l’Espagne, c’est elle qui a suscité tant de crises dans le petit royaume de Grèce. Elle deviendra de plus en plus flagrante en Italie, où déjà elle a porté des fruits amers. Bien sots étaient à coup sûr les gens qui à Turin voulaient absolument voir dans M. Ricasoli le partisan exclusif de l’Angleterre, ou dans M. Rattazzi le représentant avéré de la politique impériale. On ne saurait les classer ainsi l’un et l’autre sans les calomnier tous deux également, car ces deux hommes d’état sont avant tout d’excellens patriotes italiens, uniquement dévoués aux intérêts de leur pays. Il n’en est pas moins vrai que, par ses antécédens, par sa situation sociale, par quelques-uns des traits de son caractère, par ses préférences de société, chacun d’eux se prêtait un peu aux interprétations qui avaient cours.

M. Rattazzi, le jeune avocat fils de ses œuvres, ancien démocrate du parti avancé, qui avait poussé le roi Charles-Albert à Novare, puis accepté le pouvoir après Villafranca, était assez naturellement désigné, surtout depuis son dernier voyage à Paris, comme le chef du parti qui désirait s’appuyer principalement sur le gouvernement français. M. Ricasoli, ancien baron toscan, grand seigneur aux manières aristocratiques, qui avait tant contribué à la réunion de Florence au Piémont et combattu la candidature du prince Napoléon en Toscane, passait avec assez d’apparence de raison pour avoir mis ses plus fortes espérances dans l’appui du cabinet britannique. Toute gratuite qu’elle fût, cette supposition n’ajoutait pas à sa force ; elle était un embarras pour lui. Très estimé, très capable, justement confiant dans la considération méritée dont il était entouré, M. Ricasoli n’était peut-être pas non plus assez soigneux de ses rapports avec les personnes. Il supportait difficilement les petites contrariétés de détails ; il prenait trop à cœur les déboires journaliers dont se compose la vie politique, et de même qu’il n’avait pas beaucoup songé à se rendre agréable à sa majorité, il ne se préoccupa peut-être pas assez de plaire au roi. Ce dernier oubli causa sa chute, qui ne fut en réalité déterminée par aucun mouvement de l’opinion publique. Le roi lui préférait M. Rattazzi. Le baron Ricasoli le savait ; il sut aussi bientôt qu’un aide-de-camp du roi Victor-Emmanuel était allé s’informer à Caprera si Garibaldi ne donnerait pas volontiers son appui au cabinet nouveau que le souverain se proposait d’appeler. Le messager officieux n’était pas encore de retour de sa mission quand M. Ricasoli, surpris et mécontent de voir que les délibérations les plus secrètes du cabinet étaient révélées au roi par un de ses collègues lié avec M. Rattazzi, troublé du mauvais vouloir que lui témoignait le représentant de la France, découragé d’ailleurs par les difficultés qu’il rencontrait à compléter son ministère, résolut d’offrir sa démission. Il allait l’envoyer lorsqu’un message royal fort laconique lui apprit que M. Rattazzi était chargé de former un nouveau cabinet. Le coup était rude. M. Ricasoli le reçut avec une tranquillité d’âme qui lui fit grand honneur. En public comme en particulier, il expliqua sa retraite par la raison plausible, quoique non fondée, des refus que plusieurs membres de la chambre avaient opposés à ses offres de portefeuilles, et de l’insuffisance ou du moins de la faiblesse de l’appui que lui avait prêté la majorité de la chambre ; puis il se hâta de s’éloigner de Turin pour se dérober aux questions indiscrètes, laissant le champ libre à son successeur.

L’avènement de M. Rattazzi dans les circonstances que nous venons d’indiquer était de nature à froisser la majorité ; elle était surtout choquée, et l’opinion publique avec elle, du maintien au pouvoir de l’ancien collègue de M. Ricasoli dont l’action dissolvante avait amené cette crise ministérielle. Un instant les partisans de l’ancien cabinet songèrent à maire le successeur de M. Ricasoli en minorité dans la chambre élective. Ils le pouvaient aisément s’ils voulaient faire alliance avec l’extrême gauche ; mais le roi n’avait fait, après tout, qu’user de sa prérogative constitutionnelle. Afin de soutenir le ministre qu’il préférait, il était également en droit de dissoudre la chambre et d’en appeler au pays. Dans l’état où se trouvait l’Italie, c’était chose grave d’entrer en lutte ouverte avec le chef de la dynastie et de poser devant les électeurs la question du gouvernement personnel. Les chefs de la majorité eurent le bon sens de le comprendre, et les anciens collègues du baron Ricasoli ne furent pas les moins empressés à calmer leurs plus fougueux adhérens. Ils obtinrent que, sans donner un vote d’absolue confiance au nouveau cabinet, on éviterait encore plus de se mettre en opposition systématique avec lui. Cette sagesse porta vite ses fruits ; M. Rattazzi comprit la nécessité de ne pas faire attendre au public une satisfaction morale qu’il était de bon augure de lui voir réclamer impérieusement. Celui de ses collègues qui avait fait partie de l’ancien cabinet, et dont la présence sur les nouveaux bancs ministériels soulevait le plus d’objections, en fut écarté. Le cabinet se fortifia en même temps du concours de trois hommes honorables, MM. Durando, ministre des affaires étrangères, Conforti à la justice, et Matteucci à l’instruction publique, ce dernier bien connu des lecteurs de la Revue et de tous ceux qui professent en Europe le culte élevé des sciences. Ainsi modifié, le ministère prit une mesure qui fut tout d’abord bien accueillie. Il incorpora dans les cadres de l’armée régulière, moyennant certaines conditions à remplir, les officiers de l’armée de volontaires qui avait combattu sous les ordres de Garibaldi. Ces anciens chefs des bandes méridionales devaient prendre rang, d’après leur ancienneté, à la suite des officiers de leur grade. Pour les armes savantes, l’intendance, etc., on se borna à imposer quelques conditions d’examen qui garantissaient leur aptitude. Cette mesure avait pour effet de dissoudre, en les enrôlant d’une façon définitive, des corps organisés et cependant sans emploi, dont la turbulence ne laissait pas d’être un sujet d’inquiétude. C’était aussi donner sans inconvéniens d’aucune sorte une juste satisfaction à Garibaldi, toujours généreusement occupé du sort des hommes qui avaient combattu sous ses ordres. Bien heureux eût été M. Rattazzi de pouvoir s’en tenir là ; mais Garibaldi ou plutôt les personnes de son entourage mirent en avant d’autres exigences. On s’était trop aidé de leur concours pour ne pas leur en payer le prix. Le général en chef de l’armée méridionale fut donc autorisé à commencer en Italie une tournée officielle pour la fondation des tirs nationaux ; les autorités reçurent ordre de l’accueillir partout avec les plus grands honneurs et de lui prêter assistance pour accomplir la mission, assez vague d’ailleurs, dont il était chargé. Une somme considérable, dont l’emploi n’était pas beaucoup mieux indiqué, fut placée en même temps à sa disposition. Le général en chef ne se fut pas plutôt mis en route, en se rendant d’abord à Milan, Lodi, Brescia et dans les villes des duchés, que sa vue, ses discours produisirent partout comme une sorte de commotion électrique qui fit tressaillir les populations. « On reconnaît l’autorité officielle du gouvernement, me disait à ce sujet un Piémontais considérable des anciens temps, dans tous les états de l’ancienne maison de Savoie ; mais hors de là l’autorité morale, le prestige personnel appartiennent à Garibaldi. Le, voilà lâché : que va-t-il faire ? » Sarnico et Aspromonte ont répondu à cette question.

On ne connaîtra jamais bien et nous avouons ne pas savoir au juste ce qui a pu se passer par intermédiaires entre M. Rattazzi et Garibaldi pendant les temps qui ont précédé la petite expédition avortée sur le versant lombard des Alpes du Tyrol, et la grande aventure qui vient de se dénouer si déplorablement au fond des montagnes de la Calabre. Dans l’une ou dans l’autre occasion, le téméraire auteur de ces violens coups de main avait-il quelque motif fondé de se croire tacitement approuvé par le gouvernement, dont à coup sûr et de la meilleure foi du monde il entendait servir les intérêts ? Nous l’ignorons, et dans notre ignorance nous nous interdisons toute espèce de supposition. Ce qui est certain, c’est que de pareilles tentatives menaient tout droit aux abîmes. Une collision soit avec l’Autriche, soit avec la France, compromettait également la cause italienne. M. Rattazzi a eu raison de vouloir réprimer l’une et l’autre, même à force ouverte et par la voie des armes. Il l’a fait avec une rare décision, qui cependant a dû lui coûter. En face de la gravité de la situation faite à la péninsule par ce commencement de lutte intestine, lutte déplorable où les premiers coups portés ont jeté à terre, frappé par des balles fratricides, le héros le plus populaire de l’indépendance italienne, il serait oiseux de se demander si cette extrémité douloureuse n’a pas été en partie imposée au cabinet piémontais par les incertitudes mêmes de son origine. Il n’y a pas grand intérêt non plus à rechercher si, en se proposant tout à la fois de plaire au roi, de donner satisfaction à Garibaldi et de resserrer l’alliance française, M. Rattazzi, avec les vues les plus droites et les plus patriotiques intentions, n’a pas au contraire compromis à quelque degré la popularité de Victor-Emmanuel, rendu le plus désastreux service à celui qu’il a prématurément tiré de sa retraite de Caprera et fait tort à l’alliance française. Ces questions ne touchent qu’aux personnes ; elles sont secondaires. Nous avons hâte d’aborder les questions bien autrement graves que soulève l’état présent des choses de l’autre côté des Alpes.


Verrons-nous s’accomplir l’œuvre entreprise par M. de Cavour et que poursuivent maintenant ses successeurs ? La maison de Savoie prendra-t-elle Venise aux Autrichiens et Rome au pape, comme elle a pris les duchés, Naples, les Légations et les Marches à leurs anciens possesseurs ? L’unité sera-t-elle faite ? Que ceux-là répondent qui, par le temps qui court, ont le courage de se porter prophètes. Telle n’est pas ma vocation. L’expérience que j’ai acquise, les événemens dont j’ai été le témoin attristé, en m’ôtant ma confiance dans les prévisions des autres, ne m’en ont point donné dans les miennes. En politique, quand l’action ne nous est pas commandée, le plus sage est d’observer beaucoup, d’y regarder de très près, mais de ne pas se hâter de conclure. Ce qui adviendra de l’Italie, je ne sais ; ce que j’y ai vu, je puis le dire. D’un bout à l’autre de la péninsule, depuis ce village perché là-bas sur les pentes neigeuses des Alpes jusqu’à ces rivages brûlés de Trapani, parmi ces blonds montagnards à demi Allemands du Tyrol, italien comme parmi ces noirs insulaires qui semblent, des bords de la Sicile, tendre la main à leurs frères d’Afrique, une idée est née d’hier, et déjà elle s’est emparée de l’imagination de la jeunesse qui grandit, des gens faits qui entrent dans la vie et des vieillards mêmes près d’en sortir ; idée commune à l’élite de ceux qui pensent par eux-mêmes, comme à la masse encore plus nombreuse de ceux qui s’imprègnent sans le savoir de l’atmosphère qu’ils respirent. Cette idée, cette volonté, cette passion, c’est n’importe comment, n’importe à quelles conditions et à quel prix, de devenir le plus tôt possible les citoyens libres d’une grande et puissante nation. Dans les contrées du nord et du centre de l’Italie, ce sentiment, à peine développé, a trouvé vite le moyen de se réaliser et de se satisfaire ; ces contrées se sont faites piémontaises. J’avoue que j’ai d’abord été surpris de leur résolution ; je ne m’attendais point, quand je suis arrivé à Florence l’année dernière, à trouver la fusion si avancée et si complète. Je me souvenais d’avoir entendu les concitoyens de Machiavel et de Dante si justement fiers de leur passé historique, de leur civilisation plus avancée, de leurs lois relativement plus douces, parler avec un certain mépris de ces barbares Piémontais qui estropiaient si cruellement le pur idiome toscan. Combien tout cela était changé ? L’exposition de l’industrie réunissait alors dans ce petit pays, comme autour du berceau primitif des arts et du commerce moderne, les négocians de toutes les villes de l’Italie ; nombre de visiteurs étaient accourus, pressés d’aller patriotiquement saluer cette première et pacifique ébauche de l’unité italienne. Quel bon accueil réciproque et quelle joie universelle ! Délicates politesses comme entre gens qui se verraient pour la première fois, franche et sérieuse cordialité comme entre parens qui se retrouveraient après avoir été longtemps séparés, peut-être même un peu brouillés, tout y était revêtu et paré de l’aimable bonne grâce italienne. Nul reste des anciennes jalousies de race, des vieilles rivalités de province à province, et presque de ville à ville.

Les déplorables divisions de 1848 et de 1849 ont servi de leçon à ce peuple intelligent. Les Autrichiens l’ont vaincu parce qu’il n’avait pas su être uni ; il se plaît maintenant à faire parade de son union comme d’une force. Pour cela, toutes les occasions lui seront bonnes. Au premier jour de mon arrivée à Pise, du haut du balcon de mon auberge, je me rappelle avoir vu débarquer dans cette paisible cité un bataillon de la garde mobile de Palerme, mieux habillé, mieux armé par parenthèse, et beaucoup plus aristocratiquement composé, si l’on veut bien me passer l’expression, je ne dis pas que notre garde nationale de 1848 mais que celle de 1830. Toute la ville était sur pied pour recevoir, bouquets en main, avec accompagnement de fanfares militaires, la petite troupe qui venait prendre garnison chez elle. Le lendemain, c’était le tour de ces hôtes nouveaux, quelques-uns peut-être amis de Garibaldi, de payer leur bienvenue. Ils le firent en accompagnant dévotement par toute la ville, enseignes déployées, musique en tête et tambours battant aux champs, une célèbre Madone du Rosaire qui devait, selon l’usage, aller rendre visite à je ne sais quelle autre Madone de la ville. Comme de coutume, à toutes les maisons de toutes les rues, des banderoles de soie pendaient aux fenêtres, et les fleurs pleuvaient des balcons. Comme de coutume aussi, les femmes suivaient la procession enveloppées de leurs longs voiles ; et les cierges étincelaient aux mains des confréries de toute sorte. Avant de rentrer chez elle, la Madone ne manqua pas d’aller, suivant l’usage, bénir du haut du plus vieux pont de la ville le fleuve chéri des Pisans. La fête était finie, mais la population était encore répandue le long des quais, les soldats mêlés aux citoyens, les prêtres coiffés de leur grand chapeau causant familièrement avec les volontaires qui portaient naguère la chemise rouge, lorsqu’au. milieu de cette foule savourant la douceur d’une belle nuit d’automne vint tout à’ coup à passer dans une petite calèche Victor-Emmanuel, revenant d’une de ses chasses favorites aux Cascines. Aussitôt des feux de Bengale s’allument comme par enchantement sur son passage, la musique repart de plus belle, et mille voix stridentes le saluent à la fois de leurs cris enthousiastes. La Madone, les fleurs, la musique et les cris, c’était bien l’Italie telle que je l’avais connue ; il n’y avait de nouveau que Victor-Emmanuel et l’unanimité des sentimens auxquels son nom servait de ralliement.

L’accord des Italiens entre eux et la confiance qui les anime, voilà ce qui m’a partout le plus frappé pendant mon dernier séjour en Italie. Là, point de haines, pas même d’ombrage de classe à classe. Entre la noblesse, la bourgeoisie et le peuple, pas d’anciens malentendus, et partant point de susceptibilités. Les noms de la grande noblesse italienne se rattachent presque tous à quelques illustres souvenirs ; la multitude les aime, les salue et s’en pare comme d’autant d’erremens glorieux pour la patrie commune. La bourgeoisie, n’ayant pas exercé le pouvoir depuis la chute des vieilles républiques du moyen âge, n’est en butte à aucune fâcheuse rancune. Elle a le bonheur de n’avoir pas eu un gouvernement particulier à son usage ; son avènement aux affaires date du jour de l’affranchissement général. Le peuple italien est presque tout entier agricole et livré aux travaux de la campagne ou de quelques petites industries, qui s’exercent au sein de la famille. Point de grandes capitales, pas de ces immenses villes manufacturières où se pressent, comme chez nous, des foules d’ouvriers, natures vives, généreuses, mais surexcitées, mobiles et facilement exploitées par les intrigans de tous les temps. Sans doute il y a des partis de l’autre côté des Alpes. Au sein de ce vaste mouvement de l’indépendance italienne, on remarque des tendances très opposées et des opinions fort divergentes. Il s’en faut de beaucoup cependant qu’elles soient aussi profondes que chez nous. Les contrastes y sont beaucoup moins heurtés, et les rapprochemens bien autrement faciles. On n’y connaît pas les ressentimens implacables, on n’y est pas retranché dans des barrières infranchissables. À entendre un certain monde, on pourrait croire que le génie de la démagogie est déchaîné par toute la péninsule. Si par esprit démagogique il faut entendre une certaine jalousie basse et envieuse des supériorités sociales qui proviennent du talent, de la naissance ou des richesses acquises, nous sommes travaillés de ce mal beaucoup plus que les Italiens. Les partisans de Garibaldi, voire ceux de Mazzini, ne sont ni des socialistes, ni des égalitaires outrés. En 1848, mais surtout pendant les dernières années qui ont précédé la prise d’armes de 1859, le parti révolutionnaire italien, très différent en cela du parti révolutionnaire français, est allé chercher les hommes du parti modéré, et dans ses rangs de préférence les hommes les plus considérables par leur noblesse et par leur situation sociale. À l’heure présente, il est curieux, il est même touchant d’entendre des hommes d’opinions avancées rendre de bon cœur une si franche et si complète justice à d’autres hommes dont ils sont séparés par de vifs dissentimens politiques. Combien de fois à Florence n’ai-je pas surpris d’anciens réfugiés, assez mal réconciliés avec le gouvernement du roi Victor-Emmanuel, se félicitant néanmoins de voir reparaître dans la vie publique les noms les plus anciens de leur cité natale, les Strozzi, les Riccardi, les Ridolfi ; me vantant les mérites de M. Peruzzi, du baron Ricasoli ; s’inclinant avec respect devant la belle figure du marquis Gino Capponi, l’un des plus nobles caractères, l’un des plus fermes esprits qu’il m’ait été donné de rencontrer, dont la cécité, cause de son éloignement des affaires, est, au dire des Italiens qui s’y connaissent le mieux, une véritable calamité publique !

Malheureusement pour les Italiens, ce bon accord dont je les félicite, si nécessaire pour obtenir les deux objets de leur fervent désir, Rome et la Vénétie, a reçu déjà une première atteinte, passagère, il faut l’espérer, et que l’habileté généreuse du cabinet italien et le bon sens des populations devront tendre à faire disparaître le plus tôt possible. Malheureusement aussi ce bon accord, alors même qu’il serait bientôt rétabli, ne suffira pas pour chasser les Autrichiens de leurs forteresses, ni peut-être pour persuader au gouvernement français de céder à l’Italie la possession de la ville éternelle. Il paraît entendu que les Italiens ont, quant à présent, renoncé à la guerre contre l’Autriche. C’est une campagne ajournée. Bornons-nous donc à souhaiter, lorsque les Italiens voudront l’entamer, qu’ils agissent seuls, sans secours étrangers, comme le voulait M. de Cavour, qu’ils choisissent bien leur temps, et que Dieu leur vienne en aide ! La question romaine est au contraire plus que jamais à l’ordre du jour. Là, il y a lutte ouverte avec le pape et dissidence avérée avec l’empereur des Français. Cela est grave et mérite grande considération.

Je ne suis pas opposé à ce que l’armée italienne du roi Victor-Emmanuel entre à Rome, non pas que je reconnaisse à ce roi privilégié, après tant d’autres capitales qu’il a déjà conquises, le droit de s’emparer pour son bon plaisir de cette capitale de toutes les capitales de l’Italie ; mais je suis convaincu que les Romains souhaitent les Piémontais de tout leur cœur, et déjà les auraient appelés, si nous n’étions pas là pour l’empêcher. Pour moi, étant donné l’origine et la nature de notre gouvernement, cela change tout. Notre gouvernement ne relève pas apparemment du droit divin ; il tient beaucoup à n’être même pas confondu avec d’autres gouvernemens d’un caractère mixte et qui cherchent l’expression de la volonté nationale dans l’adhésion de certains corps constitués. — Non ! notre principe est celui du suffrage universel, pur, simple et direct. De quel droit alors sommes-nous à Rome ? Avons-nous quelques doutes ? S’il en est ainsi, que ne consultons-nous les Romains sur le gouvernement de Pie IX, nous qui allons tout exprès au Mexique afin d’avoir sur place, comme l’a dit M. Billault, l’avis des Mexicains sur Juarez ! Mais, dit-on, il y a de plus ici l’intérêt religieux ; l’intérêt religieux exige que le pape soit matériellement souverain chez lui, afin qu’il y soit spirituellement indépendant. — Souverain chez lui ? De bonne foi, l’est-il au moment où nous parlons ? Il faut, pour le supposer, n’avoir pas mis le pied à Rome. Quatre ou cinq fois par an régulièrement, et maintenant un peu plus souvent, il y a dans la cité pontificale des essais de manifestation publique. Pour peu qu’on leur suppose quelque gravité, voici ce qui se passe : l’armée française prend les armes, occupe le Corso et toutes les places de la ville. Elle commence par en chasser la foule, puis, doucement, poliment, de quel air, il faut le voir, les troupes de sa sainteté, sa gendarmerie, sa police et ses zouaves. Soldats, officiers, généraux pontificaux sont engagés à vouloir bien rentrer dans leurs casernes, et de fait ils y rentrent : pas d’exception ; le ministre des armes se présenterait qu’on lui barrerait le passage. Il y a consigne de ne laisser passer que le pape, agenouillé alors devant Dieu pour le conjurer d’épargner la vie de son peuple, les cardinaux, qui se gardent bien de sortir de chez eux, et les ambassadeurs, pressés d’y rentrer afin d’écrire à leur gouvernement.

Même chose aux places frontières. Les troupes pontificales y tiennent garnison tant qu’il n’y a pas apparence de dangers. Sont-elles menacées, on les fait déguerpir malgré les réclamations de Mgr de Mérode, et des bataillons français les remplacent. Commander a une armée qui monte la garde sur les places publiques et à la porte des autorités, qui facilite les arrestations, qui accompagne les convois de prisonniers d’état, mais qui ne peut ni maintenir l’ordre dans la capitale, ni défendre l’état contre les ennemis du dehors,… voilà de quelle façon le pape est souverain chez lui ! Politiquement, la haute main y est laissée à dix mille missionnaires en pantalon garance, qui, malgré la discipline, dont ils ne s’écartent jamais, servent de propagateurs involontaires, mais singulièrement efficaces, aux idées les plus propres à miner le gouvernement qu’ils sont censés protéger.

— N’importe, répond-on, l’autorité spirituelle du pape reste entière devant ces dix mille soldats français. En Espagne, en Autriche, dans tous les pays catholiques, personne ne songe à s’inquiéter de l’influence que la présence des soldats français à Rome peut exercer sur la direction des affaires ecclésiastiques de la chrétienté. Le saint-père, entouré de troupes étrangères, n’en gouverne pas moins impartialement toutes les églises dont il est le pasteur, et Mgr de Mérode, son conseiller dévoué, tout contrarié qu’il soit dans ses fonctions de ministre de la guerre, n’en donne pas moins à son auguste souverain des avis librement dictés par sa conscience de prêtre. Qui en doute ? — Mais prenez garde, cela même est contre vous ! Pie IX, le saint pontife tel que le monde catholique le vénère, Mgr de Mérode, sincère et courageux tel que j’ai l’honneur de le connaître, pourquoi donc seraient-ils plus intimidés par les soldats piémontais ?

Cependant on ne se trouble pas pour si peu, et l’on reprend : cette souveraineté telle quelle, plus nominative que réelle, vaut après tout mieux que rien. Elle permet au souverain pontife de négocier sur un pied d’égalité avec les princes de la terre ; elle lui donne la possibilité de les engager envers lui par des traités synallagmatiques revêtus d’une force obligatoire, traités où sont réglées certaines questions en partie temporelles, en partie spirituelles : ce sont les concordats. Des voix amies et pleines d’autorité m’ont parfaitement expliqué comment a surgi la nécessité des concordats, comment ils avaient leur raison d’être, comment, entre des puissances considérables qui se touchent par leurs extrémités, la seule manière de n’avoir pas la guerre, c’est de faire la paix suivant de certaines conditions librement débattues. À cela, comme théorie explicative du passé, point d’objection ; c’est bien ainsi que les choses se règlent en effet. Pour s’entendre, il faut que chacune des parties veuille bien y mettre et, s’il est permis de s’exprimer ainsi, y laisser en même temps un peu du sien. Le prince abandonne quelque chose de son pouvoir temporel, qu’il délègue au pontife ; le pontife se dessaisit d’une portion de sa puissance spirituelle, qu’il cède au prince. Je ne critique pas, je raconte. Qu’on examine tous les concordats, celui que l’empereur des Français a signé avec Pie VII, celui que l’empereur d’Autriche a consenti avec Pie IX : au fond, c’est toujours même chose. Entre les contractans, échange de prérogatives dont la dose varie suivant le degré de force relative ou de complaisance réciproque des contractans. Le malheur veut que parfois la mesure de la force ou de la complaisance vienne à changer après coup : de là des concordats tantôt à moitié mutilés, comme celui de Fontainebleau par les articles organiques de l’an X, ou tout à fait laissés de côté, comme celui de Vienne de 1857 ; de là aussi des tiraillemens incommodes et trop souvent de fâcheuses récriminations : ce sont les accidens du ménage, et l’on y peut pourvoir. Négligeons-les donc et passons. Les concordats ont malheureusement, aux yeux de la logique et de la raison, un vice radical qui apparaîtra de plus en plus à mesure que se formeront les idées et les mœurs de la société moderne. Dans le marché (je ne prends pas le mot en mauvaise part) dont nous parlions tout à l’heure, il se trouve que les contractans engagent d’autres intérêts que les leurs ; ils y compromettent les droits de personnes tierces qui ne leur ont point donné mission de contracter pour elles. Il y a entre eux quelque chose d’oublié qui pouvait s’omettre autrefois, mais qui de nos jours se rappelle de soi-même quand on n’en a pas suffisamment tenu compte. Ce quelque chose, c’est la liberté, la liberté de tous ceux qui ne sont pas de la religion du pontife, qui ne partagent pas la foi du prince, ou même, s’il faut tout dire, de ceux-là aussi qui n’en professent aucune. À Dieu ne plaise que je me révolte ici contre les concordats, et que j’y veuille dénoncer, une insupportable oppression des consciences ! Je raisonne, et la logique me gouverne seule en cet instant. Je voulais uniquement établir que, dans le présent et pour l’avenir surtout, la voie des concordats deviendra chaque jour moins facile et moins bonne pour régler les rapports nouveaux entre l’église et l’état moderne. Je souhaitais surtout expliquer comment l’argument des concordats me touche médiocrement, quand on l’apporte dans la discussion, afin d’expliquer la nécessité de la présence de nos troupes à Rome.

Lorsqu’au sujet de la question romaine je descends au fond de mon âme et m’examine de près, je me sens, à vrai dire, plus touché peut-être de l’intérêt de l’église catholique à sortir de la fausse position où elle se compromet que du droit d’ailleurs évident des Romains à se gouverner eux-mêmes. À mes yeux, il importe au temps où nous vivons, temps égoïste, positif et de doctrines assez relâchées, qu’il n’y ait pas une seule autorité morale dans ce bas monde qui ne vienne secourir notre défectueuse et faible humanité dans la lutte incessante qu’il lui faut livrer contre l’erreur, contre l’iniquité et contre l’oppression, en faveur de la vérité, de la justice et de la liberté. Et quelle autorité morale plus grande sur la terre que celle, de cette vieille église catholique perdue dans la nuit des siècles, dont les préceptes sont si beaux et la doctrine si puissante ? Ceux-là la conseillent bien mal qui lui persuadent de s’accrocher avec désespoir aux lambeaux de son pouvoir temporel défaillant, Combien elle serait mieux avisée, si, comme elle l’a déjà fait tant de fois, s’avançant résolument vers l’avenir, sans rompre toutefois avec ses traditions et son passé, elle acceptait pour règle le droit commun, au lieu de revendiquer le privilège, et si elle se confiait, pour assurer son empire sur les intelligences, aux maximes de la liberté moderne ! Qu’y a-t-il donc dans ces généreuses maximes qui blesse ses croyances, qu’elle ne puisse, accepter, et dont elle ne doive au contraire tirer un magnifique parti ? Ne se vante-t-elle pas d’être l’église universelle par excellence, l’église de tous les temps, de tous les pays, et qui s’accommode de toutes les formes de gouvernement ? Pourquoi donc lier sa cause à celle des pouvoirs qui tombent et des régimes qui se discréditent ? Que ne se tourne-t-elle vers les horizons nouveaux ? Que ne s’inspire-t-elle de l’esprit des générations qu’on sent venir ? Pourquoi, lorsque le choix lui en est laissé, ne se rallie-t-elle pas, dans ses épreuves présentes, à ces idées qui, bien entendues ; ne lui furent jamais hostiles, qu’elle a elle-même professées dans ses meilleurs jours, qui sont éternellement jeunes, éternellement vivantes, plutôt que de risquer son prestige en s’identifiant à des formes indifférentes par elles-mêmes, passagères de leur nature, déjà vermoulues et près de périr ?

Mais peut-être ai-je le tort d’oublier, bien contre mon gré, que l’église catholique est à cette heure plus vivement attaquée qu’elle n’est sagement défendue, et que tous les torts ne sont pas de son côté. C’est pourquoi, me retournant du côté des Italiens et du gouvernement piémontais, je les supplierai, eux aussi, au nom de ces mêmes idées qu’ils ont inscrites sur leur drapeau, et dont ils se portent les champions, de ne pas les compromettre par une hâte intempestive et par des violences inconsidérées. Que les hommes d’état piémontais, successeurs de M. de Cavour, se rappellent donc et qu’ils pratiquent son véritable programme, si nettement tracé dans les derniers discours que nous avons cités. M. de Cavour l’a dit hautement : il ne se proposait d’aller à Rome que d’accord avec la France, non pas seulement avec la France officielle, mais avec la France libérale et catholique, non pas seulement avec l’adhésion des catholiques français, mais du consentement des catholiques du monde entier. Chose nouvelle peut-être pour lui, d’ordinaire si ardent, il voulait que la reconnaissance du droit précédât cette fois la prise de possession. J’ai entendu dire à Turin, à d’anciens collègues de M. de Cavour qui le connaissaient fort bien, qu’il n’était peut-être pas aussi pressé qu’il en avait l’air d’aller à Rome. Sans doute il souhaitait en faire la capitale nominale de l’Italie, sans doute il sentait mieux que personne combien la présence des Français, en encourageant la résistance du saint-père, rendait difficile la constitution définitive du royaume italien ; mais ce qu’il désirait surtout en insistant pour l’évacuation de nos troupes, c’était d’être mis sans intermédiaires en rapport direct avec le pape, non pas pour le contraindre, mais pour transiger avec lui, car de faire de Rome le siège constant, la demeure effective et continuelle du roi et du parlement, il en était assez peu tenté. Mettre dès à présent et pour toujours le gouvernement à Rome, au milieu de cette population romaine si effervescente, si passionnée, si mobile, si inexpérimentée, nécessairement assez peu attachée encore à la dynastie et aux institutions nouvelles, cela lui faisait l’effet de transporter ce gouvernement sur la place publique et de l’établir à deux pas de l’émeute. L’esprit fécond de M. de Cavour entrevoyait mille combinaisons possibles et les méditait toutes. Une seule idée y était parfaitement arrêtée, dont ses successeurs ne se sont peut-être pas assez pénétrés : celle de ne risquer que l’indispensable, de n’agir en cette occurrence que par les voies de la persuasion et d’une influence toute morale. Ce n’est pas lui, je crois, qui aurait tout haut, à tout bout de champ, à chaque occasion, au nom de ses embarras intérieurs, sommé incessamment l’empereur des Français de lui abandonner sa capitale. D’abord il n’est prudent à aucun gouvernement de parler tant et si haut de ses embarras En politique et de cabinet à cabinet, le moyen d’obtenir l’objet qu’on désire n’est pas précisément de dire qu’on ne saurait s’en passer.

Cependant, à descendre au fond des choses, puisqu’ils arguent de leurs embarras, est-ce que les politiques italiens n’ont déjà pas compris qu’à propos de cette question romaine le gouvernement français a aussi ses difficultés, quoiqu’il les étale moins ? Ce n’est pas pour son plaisir qu’il s’éternise à Rome et qu’il garde sur les bras une aussi grosse affaire. Si demain il pouvait la résoudre sans mécontenter en France, quelque résolution qu’il adopte, des partis considérables avec lesquels il a intérêt à ne se point brouiller d’une manière irréparable, voici longtemps qu’en Italie on saurait à quoi s’en tenir sur le fond des desseins qui couvent aux Tuileries. En France, les Italiens ont pour eux presque tout le parti libéral et tout le parti révolutionnaire, contre eux une petite portion du parti libéral, et, à bien peu d’exceptions près, tout le clergé, un clergé dont ils ne doivent pas juger par le leur, un clergé infiniment plus ultra-montain de doctrine, — infiniment moins mêlé et par conséquent moins pénétrable aux sentimens de la population, un clergé qui se trompe, j’en conviens, qui s’alarme peut-être outre mesure, je le veux bien, mais enfin qui s’alarme sincèrement, vivement, au plus profond et au plus vif de sa conscience, de ce qui se passe en Italie, qui s’émeut des tribulations du saint-père, qui tremble pour sa personne, et encore plus, s’il est possible, pour cette autorité spirituelle dont il relève, et qui est son ancre de foi et de salut. C’est ce clergé, et les catholiques timorés ralliés derrière lui, qu’il importe aux hommes d’état italiens de rassurer complètement, car le jour où ils les auront rassurés, ils auront persuadé et déterminé l’empereur lui-même.

L’empereur, dans cette question romaine, est, nous le répétons, poussé vers les Italiens par les passions révolutionnaires, qui lui demandent le sacrifice du pape, et retenu par les préjugés du clergé, qui menace de rompre, si on l’abandonne. Que les Italiens s’occupent donc un peu moins de plaire à leurs auxiliaires (c’est la règle dans les affaires de ce monde), et qu’ils songent un peu plus à ramener leurs adversaires. N’était-ce pas là l’intention évidente, la préoccupation visible, la tendance déjà fortement accusée de l’habile homme d’état qu’ils se proposent d’imiter ? Ils devraient le prendre pour modèle, lorsque, rompant avec ses habitudes antérieures, il portait par avance, il y a un an, cette question devant les chambres, non pour la brusquer, comme il avait fait de tant d’autres, mais pour la mettre au contraire à l’ordre du jour des intelligences, pour inviter amis et ennemis, patriotes italiens et cabinets étrangers, à la résoudre pacifiquement, de concert avec lui, par la voie féconde des transactions amiables et des généreux compromis. Un parlement où siègent des hommes comme le baron Ricasoli, MM. Rattazzi, Minghetti, Farini et tant d’autres, ne peut que profiter à se mettre, du haut de la tribune piémontaise, en communication directe avec le grand public européen et à l’instruire de ses véritables intentions. « Après tout, c’est l’opinion publique qui décide en dernier ressort, » a dit une voix qu’ils ont mille raisons d’écouter. Qu’ils s’adressent de plus en plus à cette opinion publique ; qu’ils la persuadent, et leur cause sera gagnée. Prévenons-les toutefois que les discours seuls n’y suffiraient pas. Il y faut les actes. Qu’ils annoncent la liberté pour l’église et la fassent entrevoir autrement que par des paroles. L’église libre dans l’état libre est, je le sais bien, un programme, pour l’avenir, non pas un engagement formel immédiatement applicable au présent. Cependant il est bon d’éviter les contrastes trop choquans entre ce que l’on offre pour demain et ce que l’on fait aujourd’hui. La loi Conforti n’est pas, il faut l’avouer, d’un très heureux augure ; franchement aussi il y a trop d’évêques arrêtés ou exilés en Italie. « Le premier venu, disait volontiers M. de Cavour, gouvernerait avec l’état de siège. » On a de même facilement raison des gens, et surtout de pauvres prêtres, quand on les emprisonne. Je préférerais donc que le gouvernement italien commençât à faire dès aujourd’hui son apprentissage en essayant de vivre avec le clergé, même quand celui-ci se mettrait dans son tort, et s’efforçât de le contenir sans le violenter, car, je l’en préviens de bonne foi, et avec lui tous les gouvernemens (le nombre en sera grand, je l’espère) qui voudront adopter la devise « de l’église libre, » l’ère nouvelle qu’il s’agit d’inaugurer n’amènera pas positivement des jours tranquilles, filés d’or et de soie, pour ceux qui présideront alors à la direction, des affaires publiques. Qu’on le sache bien et qu’on s’y prépare, la liberté, comme toujours, n’entrera pas à petit bruit dans son nouveau domaine. Elle y fera brusquement irruption en victorieuse, exigeante, avec son cortège ordinaire de troubles et de tempêtes. Il faut donc s’affermir le cœur et se ceindre les reins : il y aura des luttes à soutenir et des combats à livrer ; mais lutter pour faire triompher le bon sens, combattre pour donner la victoire à la vérité, n’est-ce pas la mission des bons gouvernemens et la destinée des peuples intelligens ? Ce qu’il s’agit d’acquérir vaut l’effort et paiera d’ailleurs et au-delà le prix dont il aura été acheté.

Je m’arrête, et j’ai presque honte d’en avoir tant dit sur les affaires d’Italie et sur une question la plus considérable peut-être parmi celles qui se sont imposées de nos jours à la réflexion des hommes, Les opinions modérées auxquelles j’appartiens, et qui ont inspiré ce travail, n’ont pas chez nous obtenu assez de succès pour être présentement fort à la mode. Il convient donc à ceux qui les professent d’être modestes, et je n’ai pour mon compte aucune propension à donner des conseils à qui que ce soit. Il est impossible cependant de ne pas convenir que les idées modérées ont par elles-mêmes quelque valeur, car elles sont le fruit de l’expérience des siècles et de la sagesse des nations. C’est à elles, qu’il faut revenir quand on a vainement essayé, de toutes les autres ; ce sont elles qui apportent, quand l’heure en est sonnée, la solution des problèmes inutilement cherchée ailleurs. Puis, le dirons-nous ? quand la liberté est en jeu quelque part, nous ne saurions demeurer indifférens, et je me figure toujours que cela nous regarde un peu. Oui, je m’en accuse et j’en demande pardon à qui de droit, quelle que soit la question qui s’agite, commerciale, civile, politique ou religieuse, n’importe où elle est agitée, fût-ce en Italie, fût(ce au Mexique, fût-ce en Chine, si un progrès libéral est en voie de s’accomplir, je me sens ému, et je me surprends à espérer qu’un jour la France en profitera.


O. D’HAUSSONVILLE.

  1. Lettre de M. de Cavour à M. William de La Rive.
  2. Récits et Souvenirs, p. 270.
  3. Ibid., p. 285.
  4. Récits et Souvenirs, p. 303.
  5. Nous savons pertinemment que les auteurs du Bulletin français, poursuivis, mais acquittés à Bruxelles, si l’idée leur fût venue de s’établir à Turin pour continuer leur opposition, y auraient été difficilement soufferts.
  6. Récits et Souvenirs, p. 357.
  7. Récits et Souvenirs, p. 384.
  8. Récits et Souvenirs, p. 392.
  9. Récits et Souvenirs, p. 400.
  10. Récits et Souvenirs, p. 403.
  11. Récits et Souvenirs, p. 411.
  12. Ibid., p. 414.
  13. Œuvre parlementaire du comte de Cavour, p. 598 et suivantes.