Macbeth (trad. Hugo)
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William Shakespeare | |||
(traduction et notes par François-Victor Hugo) | |||
Macbeth | |||
Textes établis par François-Victor Hugo | |||
Œuvres complètes de Shakespeare | |||
Tome III : Les Tyrans | |||
Paris, Pagnerre, 1866 | |||
p. 71-173 | |||
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MACBETH
MALCOLM, DONALBAIN, | ses fils. |
MACBETH, BANQUO, | généraux de l’armée du roi. |
MACDUFF, LENOX, ROSSE, MENTETH, ANGUS, CATHNESS, | nobles d’Écosse. |
Quand nous réunirons-nous de nouveau toutes les trois, — en coup de tonnerre, en éclair, ou en pluie ?
— Quand le hourvari aura cessé, — quand la bataille sera perdue et gagnée.
— Ce sera avant le coucher du soleil.
— En quel lieu ?
Sur la bruyère.
— Pour y rencontrer Macbeth.
J’y vais, Graymalkin.
— Paddock (2) appelle… Tout à l’heure ! … — Le beau est affreux, et l’affreux est beau. — Planons à travers le brouillard et l’air impur.
— Quel est cet homme sanglant ? Il peut, — à en juger par l’état où il est, nous donner — les plus récentes nouvelles de la révolte.
C’est le sergent — qui a combattu en bon et hardi soldat — pour me sauver de la captivité. Salut, brave ami ! — Dis au roi ce que tu sais de la mêlée, — telle que tu l’as quittée.
Elle restait douteuse. — On eût dit deux nageurs épuisés qui se cramponnent l’un à l’autre — et étouffent leur savoir-faire… L’implacable Macdonwald, — (bien digne d’être un rebelle, tant — les vilenies multipliées de la nature — pullulent en lui,) avait reçu des îles de l’ouest — un renfort de Kernes et de Gallowglasses (4) ; — et la fortune, souriant à sa révolte damnée, — semblait se prostituer au rebelle. Mais tout cela a été trop faible. — Car le brave Macbeth, (il mérite bien ce nom), — dédaignant la fortune et brandissant son épée — toute fumante de ses sanglantes exécutions, — en vrai mignon de la valeur, s’est taillé un passage — jusqu’à ce misérable ; — et il ne lui a serré la main et ne lui a dit adieu — qu’après l’avoir pourfendu du nombril à la mâchoire — et avoir fixé sa tête sur nos créneaux.
— Ô vaillant cousin ! digne gentilhomme !
— De même que, souvent, au point d’où partent les rayons du soleil, — surgissent des tempêtes grosses de naufrages et d’effrayants tonnerres, — ainsi de ce qui semblait être une source de joie — jaillissent les alarmes. Écoutez, roi d’Écosse, écoutez : — À peine la justice, armée de la valeur, avait-elle — forcé les Kernes bondissants à se fier à leurs talons, — qu’épiant l’occasion, le lord de Norwége, — avec des armes fraîchement fourbies et de nouveaux renforts, — a commencé un autre assaut.
Cela n’a-t-il pas effrayé — nos capitaines, Macbeth et Banquo ?
Oui, — comme le moineau effraie l’aigle, ou le lièvre le lion. — Pour dire vrai, je dois déclarer qu’ils étaient — comme deux canons chargés à double mitraille, — tant ils frappaient sur l’ennemi à coups redoublés ! — Voulaient-ils se baigner dans des blessures fumantes — ou immortaliser un second Golgotha ? — je ne puis le dire. — Mais je suis épuisé : mes plaies crient au secours !
— Tes paroles te vont aussi bien que tes blessures : — elles sentent également l’honneur. Allez, qu’on lui donne des chirurgiens.
— Qui vient ici ?
C’est le digne thane de Rosse.
— Quel empressement dans ses regards ! Il a l’air — d’un homme qui a d’étranges choses à dire.
— Dieu sauve le roi !
D’où viens-tu, digne thane ?
De Fife, grand roi, — où les bannières norwégiennes narguent le ciel — et éventent notre peuple frissonnant. — Le roi de Norwége lui-même, avec ses masses terribles, — assisté par le plus déloyal des traîtres, — le thane de Cawdor, engageait une lutte fatale, — quand lui, le fiancé de Bellone, cuirassé à l’épreuve, — a affronté le rebelle, dans une joute corps à corps, — pointe contre pointe, bras contre bras, — et a dompté sa valeur sauvage. Pour conclure, — la victoire nous est échue.
Ô bonheur !
Si bien que maintenant — Swéno, roi de Norwége, demande à entrer en composition ; — nous n’avons pas daigné lui laisser enterrer ses hommes, — qu’il n’eût déboursé, à Saint-Colmes-Inch (5), — dix mille dollars pour notre usage général.
— On ne verra plus ce thane de Cawdor trahir — notre plus cher intérêt : allez, qu’on prononce sa mort — et que du titre qu’il portait on salue Macbeth.
— Je veillerai à ce que ce soit fait.
— Ce qu’il a perdu, le noble Macbeth l’a gagné.
— Où as-tu été, sœur ?
— Tuer le cochon.
— Et toi, sœur ?
— La femme d’un matelot avait dans son tablier des châtaignes — qu’elle mâchait, mâchait, mâchait… Donne-m’en, lui dis-je. — Décampe, sorcière ! crie la carogne nourrie de rebut. — Son mari est parti pour Alep, comme patron du Tigre, — mais je vais m’embarquer à sa poursuite dans un crible, — et, sous la forme d’un rat sans queue, — j’agirai, j’agirai, j’agirai.
— Je te donnerai un vent.
— Tu es bien bonne.
— Et, moi un autre.
— Et moi-même j’ai tous les autres ; — je sais les ports mêmes où ils soufflent, — et tous les points marqués — sur la carte des marins. — Je le rendrai sec comme du foin : — le sommeil, ni jour ni nuit, — ne se pendra à l’auvent de sa paupière. — Il vivra comme un excommunié. — Neuf fois neuf accablantes semaines — le rendront malingre, hâve, languissant : — et, si sa barque ne peut se perdre, — elle sera du moins battue des tempêtes. — Regardez ce que j’ai là.
Montre-moi, montre-moi.
— C’est le pouce d’un pilote — qui a fait naufrage en revenant dans son pays.
— Le tambour ! le tambour ! — Macbeth arrive !
— Les sœurs fatidiques, la main dans la main, — messagères de terre et de mer, — ainsi vont en rond, en rond. — Trois tours pour toi, et trois pour moi, — et trois de plus, pour faire neuf. — Paix !… Le charme est dans le cercle.
— Je n’ai jamais vu un jour si sombre et si beau.
— À quelle distance sommes-nous de Fores ? Quelles sont ces créatures — si flétries et si farouches dans leur accoutrement, — qui ne ressemblent pas aux habitants de la terre, — et pourtant sont sur la terre ? Vivez-vous ? Êtes-vous quelque chose — qu’un homme puisse questionner ? On dirait que vous me comprenez, — à voir chacune de vous placer son doigt noueux — sur ses lèvres de parchemin… Vous devez être femmes, — et pourtant vos barbes m’empêchent de croire — que vous l’êtes.
Parlez, si vous pouvez… Qui êtes-vous ?
— Salut, Macbeth ! salut à toi, thane de Glamis (7) !
— Salut, Macbeth ! salut à toi, thane de Cawdor (8) !
— Salut, Macbeth qui plus tard seras roi !
— Mon bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et semblez-vous craindre — des choses qui sonnent si bien ?
Au nom de la vérité, — êtes-vous fantastiques, ou êtes-vous vraiment — ce qu’extérieurement vous paraissez ? Vous saluez — mon noble compagnon de ses titres présents et de la haute prédiction — d’une noble fortune et d’un avenir royal, — si bien qu’il en semble ravi. À moi vous ne parlez pas. — Si vous pouvez voir dans les germes du temps, — et dire quelle graine grandira et quelle ne grandira pas, — parlez-moi donc, à moi qui ne mendie et ne redoute — ni vos faveurs ni votre haine.
Salut !
Salut !
Salut !
— Moindre que Macbeth, et plus grand !
— Pas si heureux, pourtant bien plus heureux !
— Tu engendreras des rois, — sans être roi toi-même ; — donc, salut, Macbeth et Banquo !
— Banquo et Macbeth, salut !
— Demeurez, oracles imparfaits, dites-m’en davantage. — Par la mort de Sinel, je le sais, je suis thane de Glamis, — mais comment de Cawdor ? Le thane de Cawdor vit, — gentilhomme prospère ; et, quant à être roi, — cela n’est pas plus dans la perspective de ma croyance — que d’être thane de Cawdor. Dites de qui — vous tenez cette étrange renseignement, ou pourquoi — sur cette bruyère désolée vous barrez notre chemin — de ces prophétiques saluts. Parlez, je vous l’ordonne.
— La terre a, comme l’eau, des bulles d’air, — et celles-ci en sont : où se sont-elles évanouies ?
— Dans l’air : et ce qui semblait avoir un corps s’est fondu — comme un souffle dans le vent… Que ne sont-elles restées !
— Les êtres dont nous parlons étaient-ils ici vraiment, — ou avons-nous mangé de cette racine insensée — qui fait la raison prisonnière ?
— Vos enfants seront rois !
Vous serez roi !
— Et thane de Cawdor aussi ! Ne l’ont-elles pas dit ?
— En propres termes, avec le même accent… Qui va là ?
— Le roi a reçu avec bonheur, Macbeth, — la nouvelle de ton succès : et, à la lecture — de tes aventures personnelles dans le combat contre les révoltés, — son admiration et son enthousiasme hésitent — à s’exprimer autant qu’à se taire. Interdit par tes exploits, — dans le cours de la même journée, — il te trouve au plus épais des rangs norwégiens, — impassible devant tous ces spectres étranges — que tu fais toi-même. Avec la rapidité de la parole, — les courriers succédaient aux courriers, et chacun d’eux — rapportait tes prouesses dans cette grandiose défense de son royaume, — et les versait à ses pieds.
Nous sommes envoyés — pour te transmettre les remercîments de notre royal maître : — chargés seulement de t’introduire en sa présence, et non de te récompenser.
— Et, comme arrhes d’un plus grand honneur, — il m’a dit de t’appeler, de sa part, thane de Cawdor. — Salut donc, digne thane, sous ce titre nouveau, — car il est à toi !
Quoi donc ! le diable peut-il dire vrai ?
— Le thane de Cawdor vit. Pourquoi me revêtez-vous — de manteaux empruntés ?
Celui qui était thane de Cawdor vit encore ; — mais un lourd jugement pèse sur sa vie, — qu’il a mérité de perdre. Était-il ouvertement ligué — avec ceux de Norwége, ou a-t-il appuyé le rebelle — par des secours et des subsides cachés, ou bien a-t-il travaillé — par une double complicité au naufrage de son pays ? je ne sais pas : — mais le crime de haute trahison prouvé et avoué — a causé sa chute.
Glamis, et thane de Cawdor ! — Le plus grand est encore à venir !
Merci pour votre peine.
— N’espérez-vous pas que vos enfants seront rois, — puisque celles qui m’ont donné le titre de Cawdor — ne leur ont pas promis moins qu’un trône ?
Une conviction aussi absolue — pourrait bien élever votre ardeur jusqu’à la couronne, — au-dessus du titre de Cawdor. Mais c’est étrange. — Souvent, pour nous attirer à notre perte, — les instruments des ténèbres nous disent des vérités ; — ils nous séduisent par d’innocentes bagatelles, pour nous pousser en traître — aux conséquences les plus profondes.
— Cousins, un mot, je vous prie.
Deux vérités ont été dites, — heureux prologues à ce drame gros — d’un dénoûment impérial.
Merci, messieurs.
— Cette sollicitation surnaturelle — ne peut être mauvaise, ne peut être bonne… Si elle est mauvaise, — pourquoi m’a-t-elle donné un gage de succès, — en commençant par une vérité ? Je suis thane de Cawdor. — Si elle est bonne, pourquoi cédé-je à une suggestion — dont l’épouvantable image fait que mes cheveux se dressent — et que mon cœur si ferme se heurte à mes côtes, — malgré les lois de la nature ? L’inquiétude présente — est moindre que l’horreur imaginaire. — Ma pensée, où le meurtre n’est encore que fantastique, — ébranle à ce point ma faible nature d’homme, que ses fonctions — sont paralysées par une conjecture : et rien n’est pour moi — que ce qui n’est pas.
Voyez comme notre compagnon est absorbé.
— Si la chance veut me faire roi, eh bien, la chance peut me couronner — sans que je m’en mêle.
Les honneurs nouveaux se posent sur lui — comme des vêtements encore étrangers : il n’adhéreront à leur moule — que par l’usage.
Advienne que pourra. — Le temps et l’occasion passent à travers la plus orageuse journée.
— Digne Macbeth, nous attendons votre bon plaisir.
— Excusez-moi : mon sombre cerveau était travaillé — par des choses oubliées. — Bons seigneurs, vos services — sont consignés sur un registre dont je tourne chaque jour — la feuille pour les lire. Allons vers le roi.
— Pensez à ce qui est arrivé ; et, dans quelque temps, — après un intérim de réflexions, nous nous parlerons — l’un à l’autre à cœur ouvert.
Très-volontiers.
— Jusque-là, assez !… Allons, amis !
— A-t-on exécuté Cawdor ? Est-ce que — ceux de la commission ne sont pas encore de retour ?
Mon suzerain, — ils ne sont pas encore revenus, mais j’ai parlé — à quelqu’un qui l’a vu mourir. D’après son rapport, — Cawdor a très-franchement avoué sa trahison, — imploré le pardon de votre altesse et montré — un profond repentir ; rien dans sa vie — ne l’honore plus que la façon dont il l’a quittée : il est mort — en homme qui s’était étudié à mourir, — jetant son bien le plus précieux — comme un futile colifichet.
Il n’y a pas d’art — pour découvrir sur le visage les dispositions de l’âme : — c’était un gentilhomme sur qui j’avais fondé — une confiance absolue… Oh ! mon noble cousin !
— Le péché de mon ingratitude me — pesait déjà. Tu es si loin en avant — que la reconnaissance volant à tire d’ailes est lente — à te rattraper. Que n’as-tu mérité moins ? — Une juste proportion de remercîments et de récompenses — m’eût été possible. Tout ce qui me reste à dire, — c’est qu’il t’est dû plus que je ne puis te payer.
— L’obéissance et la loyauté que je vous dois — se paient elles-mêmes en agissant. Le rôle de votre altesse — est de recevoir nos devoirs ; et nos devoirs — sont, pour votre trône et pour l’État, des enfants, des serviteurs — qui ne font que le juste en faisant tout — consciencieusement pour votre bonheur et votre gloire.
Sois le bienvenu ici ! — Je viens de te planter, et je travaillerai — à te faire parvenir à la plus haute croissance.
Noble Banquo, — toi qui n’as pas moins mérité, et dont les services — doivent être également reconnus, laisse-moi t’embrasser — et te tenir sur mon cœur.
Si j’y jette racine, — la récolte est pour vous.
Ma joie exubérante, — débordant dans sa plénitude, cherche à se déguiser — en larmes de tristesse. Mes fils, mes parents, vous, thanes, — et vous, les plus près d’eux en dignité, sachez — que nous voulons léguer notre empire à — notre aîné, Malcolm, que nous nommons désormais — prince de Cumberland. Ces honneurs, — à lui conférés, ne doivent pas être isolés, — mais les signes nobiliaires brilleront, comme des étoiles, — sur tous ceux qui les méritent. Partons pour Inverness, — et attachez-nous plus étroitement à vous.
— Le loisir, que je n’emploie pas pour vous, est fatigue. — Je serai moi-même votre courrier, et je rendrai joyeuse — ma femme à l’annonce de votre approche. — Sur ce, je prends humblement congé de vous.
Mon digne Cawdor !
— Le prince de Cumberland ! Voilà une marche — que je dois franchir sous peine de faire une chute, — car elle est en travers de mon chemin. Étoiles, cachez vos feux ! — Que la lumière ne voie pas mes sombres et profonds désirs ! — Que l’œil se ferme sur le geste ! Et pourtant — puissé-je voir accomplie la chose dont l’œil s’effraie !
— C’est vrai, digne Banquo, il est aussi vaillant que tu le dis. — Je me nourris des éloges qu’il reçoit ; — c’est un banquet pour moi. Suivons-le, lui — dont le zèle nous a devancé pour nous préparer la bienvenue. — C’est un parent sans égal. —
« Elles sont venues à ma rencontre au jour du succès, et j’ai appris par la plus complète révélation qu’elles ont en elles une connaissance plus qu’humaine. Quand je brûlais du désir de les questionner plus à fond, elles sont devenues l’air même, dans lequel elles se sont évanouies. J’étais encore ravi par la surprise quand sont arrivés des messagers du roi qui m’ont proclamé thane de Cawdor, titre dont venaient de me saluer les sœurs fatidiques, en m’ajournant aux temps à venir par ces mots : Salut à toi, qui seras roi ! J’ai trouvé bon de te confier cela, compagne chérie de ma grandeur, afin que tu ne perdes pas ta part légitime de joie, dans l’ignorance de la grandeur qui t’est promise. Garde cela dans ton cœur, et adieu ! »
— Tu es Glamis et Cawdor, et tu seras — ce qu’on t’a promis… Mais je me défie de ta nature : — elle est trop pleine du lait de la tendresse humaine — pour que tu saisisses le plus court chemin. Tu veux bien être grand ; — tu as de l’ambition, mais pourvu — qu’elle soit sans malaise. Ce que tu veux hautement, — tu le veux saintement : tu ne voudrais pas tricher, — et tu voudrais bien mal gagner. Ton but, noble Glamis, — te crie : « Fais cela pour m’atteindre. » — Et cela, tu as plutôt peur de le faire — que désir de ne pas le faire. Accours ici, — que je verse mes esprits dans ton oreille, — et que ma langue valeureuse chasse — tout ce qui t’écarte du cercle d’or — dont le destin et une puissance surnaturelle semblent — avoir couronné.
Quelles nouvelles apportez-vous ?
— Le roi arrive ici ce soir.
Tu es fou de dire cela. — Est-ce que ton maître n’est pas avec lui ? Si cela était, — il m’aurait avertie de faire des préparatifs.
— La chose est certaine, ne vous en déplaise ; notre thane approche ; — il s’est fait devancer par un de mes camarades, — qui, presque mort d’essoufflement, a eu à peine la force — d’accomplir son message.
Qu’on prenne soin de lui : — il apporte une grande nouvelle.
Le corbeau lui-même s’est enroué — à croasser l’entrée fatale de Duncan — sous mes créneaux. Venez, venez, esprits — qui assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ici, — et, du crâne au talon, remplissez-moi toute — de la plus atroce cruauté. Épaississez mon sang, — fermez en moi tout accès, tout passage au remords ; — qu’aucun retour compatissant de la nature — n’ébranle ma volonté farouche et ne s’interpose — entre elle et l’exécution ! Venez à mes mamelles de femme, — et changez mon lait en fiel, vous, ministres du meurtre, — quel que soit le lieu où, invisibles substances, — vous aidiez à la violation de la nature. Viens, nuit épaisse, — et enveloppe-toi de la plus sombre fumée de l’enfer : — que mon couteau aigu ne voie pas la blessure qu’il va faire ; — et que le ciel ne puisse pas poindre à travers le linceul des ténèbres, — et me crier : Arrête ! arrête !
Grand Glamis ! Digne Cawdor ! — plus grand que tout cela par le salut futur ! Ta lettre m’a transportée au delà — de ce présent ignorant, et je ne sens plus — dans l’instant que l’avenir.
Mon cher amour, — Duncan arrive ici ce soir.
Et quand repart-il ?
— Demain… C’est son intention.
Oh ! jamais — le soleil ne verra ce demain ! — Votre visage, mon thane, est comme un livre où les hommes — peuvent lire d’étranges choses… Pour tromper le monde, — paraissez comme le monde : ayez la cordialité dans le regard, — dans le geste, dans la voix ; ayez l’air de la fleur innocente, — mais soyez le serpent qu’elle couvre. Il faut pourvoir — à celui qui va venir ; et c’est moi que vous chargerez — de dépêcher la grande affaire de cette nuit, — qui, pour toutes les nuits et tous les jours avenir, — nous assurera une autocratie souveraine et l’empire absolu.
— Nous en reparlerons.
Ayez seulement le front serein : — il faut toujours craindre de changer de visage. — Pour le reste, laissez-moi faire.
— La situation de ce château est charmante : l’air — se recommande légèrement et doucement — à nos sens délicats.
Cet hôte de l’été, — le martinet familier des temples prouve, — par sa chère résidence, que l’haleine du ciel — a ici des caresses embaumées ; pas de saillie, de frise, d’arc-boutant, — de coin favorable, où cet oiseau — n’ait suspendu son lit et son berceau fécond. — J’ai observé qu’où cet oiseau habite et multiplie, l’air — est très-pur.
Voyez ! voyez ! notre hôtesse honorée ! — L’amour qui nous poursuit a beau nous déranger parfois : — il a toujours nos remerciements, comme amour. C’est vous dire — qu’il vous faut demander à Dieu de nous bénir pour vos peines, — et nous remercier de vous déranger.
Tous nos services, — fussent-ils en tout point doublés et quadruplés, — seraient une pauvre et solitaire offrande, opposés — à cette masse profonde d’honneurs dont — votre majesté accable notre maison. Vos bienfaits passés, — et les dignités récentes que vous y avez ajoutées, — font de nous des ermites voués à prier pour vous.
Où est le thane de Cawdor ? — Nous courions après lui, dans l’intention — d’être son maréchal des logis, mais il est bon cavalier, — et son grand amour, aussi excitant que l’éperon, l’a amené — avant nous chez lui. Belle et noble hôtesse, — nous sommes votre hôte cette nuit.
Vos serviteurs — tiennent leur existence même et tout ce qui est à eux pour un dépôt — dont ils doivent compte à votre altesse, — afin de lui rendre toujours ce qui lui est dû.
Donnez-moi votre main ; — conduisez-moi à mon hôte : nous l’aimons grandement, — et nous lui continuerons nos faveurs. — Hôtesse, avec votre permission !
— Si, une fois fait, c’était fini, il serait bon — que ce fût vite fait. Si l’assassinat — pouvait entraver les conséquences, et par son accomplissement — assurer le succès, si ce coup — pouvait être tout et la fin de tout, ici-bas, — rien qu’ici-bas, sur le sable mouvant de ce monde, — je me jetterais tête baissée dans la vie à venir. Mais ces actes-là — trouvent toujours ici-bas leur sentence. Les leçons sanglantes — que nous enseignons reviennent, une fois apprises, — châtier le précepteur. La justice à la main impartiale — présente le calice empoisonné par nous — à nos propres lèvres… Il est ici sous une double sauvegarde : — d’abord, je suis son parent et son sujet, — deux raisons puissantes contre l’action ; ensuite, je suis son hôte : — à ce titre, je devrais fermer la porte au meurtrier, — et non porter moi-même le couteau. Et puis, ce Duncan — a usé si doucement de son pouvoir, il a été — si pur dans ses hautes fonctions, que ses vertus — emboucheraient la trompette des anges pour dénoncer — le crime damné qui l’aurait fait disparaître ; — et la pitié, pareille à un nouveau-né tout nu, — chevauchant sur l’ouragan, ou à un chérubin céleste — qui monte les coursiers invisibles de l’air, — soufflerait l’horrible action dans les yeux de tous, — jusqu’à noyer le vent dans un déluge de larmes… Je n’ai, — pour presser les flancs de ma volonté, que l’éperon — d’une ambition qui prend trop d’élan — et se laisse désarçonner… Eh bien ! quoi de nouveau ?
— Il a presque soupé : pourquoi avez-vous quitté la salle ?
— M’a-t-il demandé ?
Ne le savez-vous pas ?
— Nous n’irons pas plus loin dans cette affaire. — Il vient de m’honorer ; et j’ai acheté — de toutes les classes du peuple une réputation dorée — qu’il convient de porter maintenant dans l’éclat de sa fraîcheur, — et non de jeter sitôt de côté.
Était-elle donc ivre, l’espérance — dans laquelle vous vous drapiez ? s’est-elle endormie depuis ? — et ne fait-elle que se réveiller pour verdir et pâlir ainsi — devant ce qu’elle contemplait si volontiers ? Désormais — je ferai le même cas de ton amour. As-tu peur — d’être dans tes actes et dans ta résolution le même — que dans ton désir ? Voudrais-tu avoir — ce que tu estimes être l’ornement de la vie, — et vivre couard dans ta propre estime, — laissant un je n’ose pas suivre un je voudrais, — comme le pauvre chat de l’adage (11) ?
Paix ! je te prie. — J’ose tout ce qui sied à un homme ; — qui ose au delà n’en est plus un.
Quelle est donc la bête — qui vous a poussé à me révéler cette affaire ? — Quand vous l’avez osé, vous étiez un homme ; — maintenant, soyez plus que vous n’étiez, vous — n’en serez que plus homme. Ni l’occasion, ni le lieu — ne s’offraient alors, et vous vouliez pourtant les créer tous deux. — Ils se sont créés d’eux-mêmes, et voilà que leur concours — vous anéantit. J’ai allaité, et je sais — combien j’aime tendrement le petit qui me tette : — eh bien, au moment où il souriait à ma face, — j’aurais arraché le bout de mon sein de ses gencives sans os, — et je lui aurais fait jaillir la cervelle, si je l’avais juré comme vous — avez juré ceci !
Si nous allions échouer ?
Nous, échouer ? — Chevillez seulement votre courage au point résistant, — et nous n’échouerons pas. Lorsque Duncan sera endormi, — (et le rude voyage d’aujourd’hui va l’inviter bien vite — à un somme profond), j’aurai raison — de ses deux chambellans avec du vin et de l’ale, — à ce point que la mémoire, gardienne de leur cervelle, — ne sera que fumée, et le récipient de leur raison — qu’un alambic. Quand le sommeil du porc — tiendra gisant, comme une mort, leur être submergé, — que ne pourrons-nous, vous et moi, exécuter — sur Duncan sans défense ? Que ne pourrons-nous imputer — à ses officiers, placés là, comme des éponges, pour absorber le crime — de ce grand meurtre ?
Ne mets au monde que des enfants mâles ! — car ta nature intrépide ne doit former — que des hommes… Ne sera-t-il pas admis par tous, — quand nous aurons marqué de sang ses deux — chambellans endormis et employé leurs propres poignards, — que ce sont eux qui ont fait la chose ?
Qui osera admettre le contraire, — quand nous ferons rugir notre douleur et nos lamentations — sur sa mort ?
Me voilà résolu : je vais tendre — tous les ressorts de mon être vers cet acte terrible. — Allons, et jouons notre monde par la plus sereine apparence. — Un visage faux doit cacher ce que sait un cœur faux.
Où en est la nuit, enfant ?
— La lune est couchée ; je n’ai pas entendu l’horloge.
— Et elle se couche à minuit.
Je conclus qu’il est plus tard, monsieur.
— Tiens ; prends mon épée… Le ciel fait de l’économie, — il a éteint toutes ses chandelles… Emporte ça aussi. — La sommation de la fatigue pèse sur moi comme du plomb, — et pourtant je ne voudrais pas dormir. Puissances miséricordieuses, — réprimez en moi les pensées maudites auxquelles notre nature — donne accès dans le repos !… Donne-moi mon épée.
— Qui va là ?
Un ami.
— Quoi ! monsieur, pas encore au lit ? Le roi est couché. — Il a été d’une bonne humeur rare, et il — a fait de grandes largesses à vos gens. Il présente ce diamant à votre femme, — comme à la plus aimable hôtesse ; et il s’est retiré — dans un contentement inexprimable.
Prise à l’improviste, — notre hospitalité a été assujettie à l’insuffisance ; — sans cela, elle se fût, exercée largement.
Tout est bien… — J’ai rêvé, la nuit dernière, des trois sœurs fatales : — pour vous elles se sont montrées assez véridiques.
Je n’y pense plus. — Cependant, quand nous aurons une heure à notre service, — nous échangerons quelques mots sur cette affaire, — si vous y consentez.
À votre convenance.
— Si vous adhérez à mes vues, le moment venu… vous y gagnerez de l’honneur.
Pourvu que je ne le perde pas — en cherchant à l’augmenter, et que je garde toujours — ma conscience libre et ma loyauté nette, — je me laisse conseiller.
Bonne nuit, en attendant.
— Merci, monsieur. Même souhait pour vous.
— Va dire à ta maîtresse que, quand ma boisson sera prête, — elle frappe sur la cloche. Va te mettre au lit.
— Est-ce un poignard que je vois là devant moi, — la poignée vers ma main ? Viens, que je te saisisse ! — Je ne te tiens pas, et pourtant je te vois toujours. — N’es-tu pas, vision fatale, sensible — au toucher, comme à la vue ? ou n’es-tu — qu’un poignard imaginaire, fausse création — émanée d’un cerveau en feu ? — Je te vois pourtant, aussi palpable en apparence — que celui que je tire en ce moment. — Tu m’indiques le chemin que j’allais prendre, — et tu es bien l’instrument que j’allais employer. — Ou mes yeux sont les jouets de mes autres sens, — ou seuls ils les valent tous. Je te vois toujours, — et, sur ta lame et sur ton manche, des gouttes de sang — qui n’y étaient pas tout à l’heure… Mais non, rien de pareil ! — C’est cette sanglante affaire qui prend forme — ainsi à ma vue… Maintenant, sur la moitié de ce monde, — la nature semble morte, et les mauvais rêves abusent — le sommeil sous ses rideaux ; maintenant la sorcellerie offre — ses sacrifices à la pâle Hécate ; et le meurtre hâve, — éveillé en sursaut par le loup, sa sentinelle, — dont le hurlement est son cri d’alerte, s’avance ainsi d’un pas furtif, — avec les allures du ravisseur Tarquin, et marche — à son projet, comme un spectre… Toi, terre solide et ferme, — n’entends point mes pas, quelque chemin qu’ils prennent, de peur que — tes pierres mêmes ne jasent de mon approche, — et ne retirent à ce moment la muette horreur — qui lui va si bien !… Tandis que je menace, l’autre vit. — Les mots jettent un souffle trop froid sur le feu de l’action.
— J’y vais, et c’est fait ; la cloche m’invite. — Ne l’entends pas, Duncan, car c’est le glas — qui t’appelle au ciel ou en enfer.
— Ce qui les a rendus ivres m’a rendue hardie. — Ce qui les a éteints m’a enflammée. Écoutez ! Paix ! — C’est le hibou qui a crié, — fatal carillonneur qui donne le plus sinistre bonsoir… Il est à l’œuvre ; — les portes sont ouvertes, et les grooms gorgés — narguent leur office par des ronflements. — J’ai drogué leur potion du soir (12), — si bien que la mort et la nature disputent entre elles — s’ils vivent ou s’ils meurent.
Qui est là ? … Holà !
— Hélas ! j’ai peur qu’ils ne se soient éveillés — et que ce ne soit pas fait : la tentative, sans le succès, — nous perd. Écoutons. J’avais disposé leurs poignards : — il a dû forcément les trouver… S’il n’avait pas ressemblé — dans son sommeil à mon père, j’aurais fait la chose… Mon mari !
— J’ai fait l’action… N’as-tu pas entendu un bruit ?
— J’ai entendu le hibou huer et le grillon crier. — N’avez-vous pas parlé ?
Quand ?
À l’instant même.
— Quand je descendais ?
Oui.
Écoute ! — Qui couche dans la seconde chambre ?
Donalbain.
— Voilà un triste spectacle.
— Niaise idée, de dire : triste spectacle !
— Il y en a un qui a ri dans son sommeil et un qui a crié : Au meurtre ! — Si bien qu’ils se sont éveillés l’un l’autre. Je me suis arrêté en les écoutant ; — mais ils ont dit leurs prières, et se sont remis — à dormir.
Ils sont tous deux logés ensemble.
— L’un a crié : Dieu nous bénisse ! et l’autre : Amen ! — comme s’ils m’avaient vu avec ces mains de bourreau. — Écoutant leur frayeur, je n’ai pu dire : Amen ! — quand ils ont dit : Dieu nous bénisse !
Ne vous préoccupez pas tant de cela.
— Mais pourquoi n’ai-je pas pu prononcer Amen ? — J’avais le plus grand besoin de bénédiction, et le mot Amen — s’est arrêté dans ma gorge !
On ne doit pas penser à ces actions-là — de cette façon ; ce serait à nous rendre fous.
— Il m’a semblé entendre une voix crier : « Ne dors plus ! — Macbeth a tué le sommeil ! » Le sommeil innocent, — le sommeil qui démêle l’écheveau embrouillé du souci, — le sommeil, mort de la vie de chaque jour, bain du labeur douloureux, — baume des âmes blessées, second service de la grande nature, — aliment suprême du banquet de la vie !
Que voulez-vous dire ?
— Et cette voix criait toujours par toute la maison : Ne dors plus ! — Glamis a tué le sommeil ; et aussi Cawdor — ne dormira plus, Macbeth ne dormira plus !
— Qui donc criait ainsi ? Ah ! digne thane, — vous ébranlez votre noble énergie par ces réflexions — d’un cerveau malade. Allez chercher de l’eau, — et lavez votre main de cette tache accusatrice. — Pourquoi n’avez-vous pas laissé à leur place ces poignards ? — Il faut qu’ils restent là-haut : allez les reporter ; et barbouillez — de sang les chambellans endormis.
Je n’irai plus ; — j’ai peur de penser à ce que j’ai fait. — Regarder cela encore ! je n’ose pas !
Faible de volonté ! — Donne-moi les poignards. Les dormants et les morts — ne sont que des images ; c’est l’œil de l’enfance — qui s’effraie d’un diable peint. S’il saigne, — je dorerai de son sang la figure de ses gens, — car il faut qu’ils semblent coupables.
De quel côté frappe-t-on ? — Dans quel état suis-je donc, que le moindre bruit m’épouvante ?
— Quelles sont ces mains-là ? Ah ! elles m’arrachent les yeux ! — Tout l’océan du grand Neptune suffira-t-il à laver — ce sang de ma main ? Non, c’est plutôt ma main — qui donnerait son incarnat aux vagues innombrables, — en faisant de l’eau verte un flot rouge.
— Mes mains ont la couleur des vôtres ; mais j’aurais honte — d’avoir le cœur aussi blême.
J’entends frapper — à l’entrée du sud. Retirons-nous dans notre chambre. — Un peu d’eau va nous laver de cette action. — Comme c’est donc aisé ! Votre résolution — vous a laissé en route.
Écoutez ! on frappe encore. — Mettez votre robe de nuit, de peur qu’un accident ne nous appelle — et ne montre que nous avons veillé. Ne vous perdez pas — si misérablement dans vos pensées.
— Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître !
— Éveille Duncan avec ton tapage ! Je voudrais que tu le pusses. —
Voilà qui s’appelle frapper ! Un homme qui serait portier de l’enfer serait habitué à tourner la clef !
Frappe, frappe, frappe !… Qui est là, au nom de Belzébuth ?… C’est un fermier qui s’est pendu à force d’attendre une bonne récolte… Il fallait venir à l’heure ; mettez-vous force mouchoirs autour de vous ; car vous allez suer ici pour la peine.
Frappe, frappe : qui est là, au nom de l’autre diable ? Ma foi, ce doit être un casuiste qui pouvait jurer indifféremment par un des plateaux contre l’autre, et qui, après avoir commis suffisamment de trahisons pour l’amour de Dieu, n’a pas pu cependant équivoquer avec le ciel. Oh ! entrez, maître casuiste.
Frappe, frappe, frappe : qui est là ? Ma foi, c’est un tailleur anglais venu ici pour avoir volé sur un haut de chausses français. Entrez, tailleur, vous pourrez chauffer ici votre carreau.
Frappe, frappe. Jamais en repos ! Qui êtes-vous ?… Décidément, cette place est trop froide pour un enfer. Je ne veux plus faire le portier du diable. Je serais censé devoir ouvrir aux gens de toutes professions qui s’en vont par un chemin fleuri de primevères au feu de joie éternel.
Tout à l’heure, tout à l’heure. N’oubliez pas le portier, je vous prie.
— Il était donc bien tard, l’ami, quand tu t’es mis au lit, — que tu restes couché si tard ? —
Ma foi, monsieur, nous avons fait des libations jusqu’au second chant du coq ; et le boire, monsieur, est le grand provocateur de trois choses.
Quelles sont les trois choses que le boire provoque spécialement ?
Dame, monsieur, le nez rouge, le sommeil et l’urine. Quant à la paillardise, monsieur, il la provoque et la réprime ; il provoque le désir et empêche l’exécution. On peut donc dire que le boire excessif est le casuiste de la paillardise : il la crée et la détruit ; il l’excite et la dissipe ; il la stimule et la décourage ; il la met en train et pas en train ; pour conclusion, il la mène à un sommeil équivoque et l’abandonne, en lui donnant le démenti.
Je crois que le boire t’a donné un démenti la nuit dernière.
Oui, monsieur, un démenti par la gorge, mais je le lui ai bien rendu ; car, étant, je crois, plus fort que lui, bien qu’il m’ait tenu quelque temps les jambes, j’ai trouvé moyen de m’en débarrasser.
— Ton maître est-il levé ? — Nos coups de marteau l’ont éveillé. Le voici.
— Bonjour, noble seigneur.
Bonjour à tous deux.
— Le roi est-il levé, digne thane ?
Pas encore.
— Il m’a ordonné de venir le voir de bon matin ; — j’ai presque laissé échapper l’heure.
Je vais vous mener à lui.
— C’est un dérangement plein de charme pour vous, je le sais ; — mais pourtant c’en est un.
— Le plaisir d’un travail en guérit la peine. — Voici la porte.
Je prendrai la liberté d’entrer ; — car c’est une prescription de mon service.
Le roi s’en va-t-il — d’ici aujourd’hui ?
Oui… il l’a ainsi décidé.
— La nuit a été tumultueuse. Là où nous couchions. — les cheminées ont été renversées par le vent ; on a, dit-on, — entendu des lamentations dans l’air, d’étranges cris de mort — et des voix prophétisant avec un accent terrible — d’affreux embrasements et des événements confus — qui couvent une époque de calamités. L’oiseau obscur — a glapi toute la nuit. On dit même que la terre — avait la fièvre et a tremblé.
Ç’a été une rude nuit.
— Ma jeune mémoire ne m’en rappelle pas — une pareille.
— Ô horreur ! horreur ! horreur ! Il n’est ni langue ni cœur — qui puisse te concevoir ou te nommer !
Qu’y-a-t-il ?
— Le chaos vient de faire son chef-d’œuvre. — Le meurtre le plus sacrilége a ouvert par effraction — le temple sacré du Seigneur et en a volé — la vie qui l’animait.
Que dites-vous ? la vie ?
— Voulez-vous parler de sa majesté ?
— Entrez dans la chambre et aveuglez-vous — devant une nouvelle Gorgone… Ne me dites pas de parler ; — voyez, et alors parlez vous-mêmes.
Éveillez-vous ! Éveillez-vous ! — Sonnez la cloche d’alarme… Au meurtre ! trahison ! — Banquo ! Donalbain ! Malcolm ! éveillez-vous ! — Secouez sur le duvet ce sommeil, contrefaçon de la mort, — et regardez la mort elle-même… Debout, debout, et voyez — l’image du jugement dernier… Malcolm ! Banquo ! — levez-vous comme de vos tombeaux et avancez comme des spectres — pour être à l’avenant de cette horreur !… Sonnez la cloche.
Que se passe-t-il ? — Pourquoi cette fanfare sinistre convoque-t-elle — les dormeurs de la maison ? parlez ! parlez !
Ô gentille dame ! — vous n’êtes pas faite pour entendre ce que je puis dire… — Ce récit, fait à l’oreille d’une femme, — la blesserait mortellement…
Ô Banquo ! Banquo ! — notre royal maître assassiné !
Quel malheur ! hélas ! — dans notre maison !
Malheur trop cruel, n’importe où. — Cher Duffe, démens-toi, par grâce, — et dis que cela n’est pas.
— Que ne suis-je mort une heure avant cet événement ! — j’aurais eu une vie bénie. Dès cet instant, — il n’y a plus rien de sérieux dans ce monde mortel : — tout n’est que hochet. La gloire et la grâce sont mortes ; — le vin de la vie est tiré, et la lie seule — reste à cette cave pompeuse.
— Quel malheur y a-t-il ?
Vous existez, et vous ne le savez pas ! — la fontaine primitive et suprême de votre sang — est tarie, tarie dans sa source.
— Votre royal père est assassiné.
Oh ! par qui ?
— Par les gens de sa chambre, suivant toute apparence. — Leurs mains et leurs visages étaient tout empourprés de sang, — ainsi que leurs poignards que nous avons trouvés, non essuyés, — sur leur oreiller. — Ils avaient l’œil fixe, et étaient effarés. À les voir, — on ne leur eût confié la vie de personne.
— Oh ! pourtant je me repens du mouvement de fureur — qui me les a fait tuer !
Pourquoi les avez-vous tués ?
— Qui peut être sage et éperdu, calme et furieux, — loyal et neutre à la fois ? Personne. — La précipitation de mon dévouement violent — a devancé la raison plus lente. Ici gisait Duncan ; — sa peau argentine était lamée de son sang vermeil, — et ses blessures béantes semblaient une brèche à la nature faite — pour l’entrée dévastatrice de la ruine. Là étaient les meurtriers, — teints des couleurs de leur métier, leurs poignards — ayant une gaîne monstrueuse de caillots. Quel est donc l’être qui, — ayant un cœur pour aimer et du courage au cœur, — eût pu s’empêcher de prouver alors son amour ?
À l’aide ! Emmenez-moi d’ici.
— Prenez soin de madame.
Pourquoi gardons-nous le silence, — nous qui avons tout droit de revendiquer cette cause comme la nôtre ?
— Pourquoi parlerions-nous ici — où la fatalité, cachée dans un trou de vrille, — peut se ruer sur nous et nous accabler ? Fuyons ; nos larmes — ne sont pas encore brassées.
Et notre désespoir — n’est pas en mesure d’agir.
Prenez soin de madame.
— Puis, quand nous aurons couvert nos frêles nudités, — ainsi exposés à un froid dangereux, réunissons-nous, — et questionnons ce sanglant exploit — pour le mieux connaître. Les craintes et les doutes nous agitent. — Moi, je me mets dans la main immense de Dieu, et de là — je combats les prétentions encore ignorées — d’une criminelle trahison.
Et moi aussi.
Et nous tous.
— Revêtons vite un appareil viril, — et réunissons-nous dans la grande salle.
C’est convenu.
— Que voulez-vous faire ? Ne nous associons pas avec eux : — faire montre d’une douleur non sentie est un rôle — aisé pour l’homme faux. J’irai en Angleterre.
— Moi, en Irlande. En séparant nos fortunes, — nous serons plus en sûreté. Où nous sommes, — il y a des poignards dans les sourires : le plus près de notre sang — est le plus près de le verser.
La flèche meurtrière qui a été lancée — n’a pas encore atteint le but : et le parti le plus sûr pour nous — est de nous mettre hors de portée. Ainsi, à cheval ! — ne soyons pas scrupuleux sur les adieux, — mais esquivons-nous. Le vol qui consiste à se dérober — est permis quand il n’y a plus de merci à attendre.
— J’ai la mémoire nette de soixante-dix années ; — dans l’espace de ce temps, j’ai vu — des heures terribles et des choses étranges ; mais cette nuit sinistre — rend puéril tout ce que j’ai vu.
Ah ! bon père, — tu vois, les cieux, troublés par l’acte de l’homme, — en menacent le sanglant théâtre. D’après l’horloge, il est jour, — et pourtant une nuit noire étouffe le flambeau voyageur. — Est-ce le triomphe de la nuit ou la honte du jour — qui fait que les ténèbres ensevelissent la terre, — quand la lumière vivante devrait la baiser au front ?
Cela est contre nature, — comme l’action qui a été commise. Mardi dernier, — un faucon, planant dans toute la fierté de son essor, — a été saisi au vol et tué par un hibou chasseur de souris.
— Et, chose étrange et certaine, les chevaux de Duncan, — si beaux, si agiles, ces mignons de leur race, — sont redevenus sauvages, ont brisé leurs stalles et se sont échappés, — résistant à toute obéissance comme s’ils allaient — faire la guerre à l’homme.
On dit qu’ils se sont mangés.
— Oui, au grand étonnement de mes yeux, — je l’ai vu. Voici le bon Macduff.
— Comment va le monde à présent, monsieur ?
Quoi ! ne le voyez-vous pas ?
— Sait-on qui a commis cette action plus que sanglante ?
— Ceux que Macbeth a tués.
Hélas ! — À quel avantage pouvaient-ils prétendre ?
Ils ont été subornés ; — Malcolm et Donalbain, les deux fils du roi, — se sont dérobés et enfuis : ce qui jette sur eux — les soupçons.
Encore une chose contre nature ! — Ô ambition désordonnée, qui dévores ainsi — la suprême ressource de ta propre existence !… Alors il est probable — que la souveraineté va échoir à Macbeth.
— Il est déjà proclamé et parti pour Scone (14) — où il doit être couronné.
Où est le corps de Duncan ?
— Il a été transporté à Colmeskill (15), — au sanctuaire où sont gardés les os — de ses prédécesseurs.
Allez-vous à Scone ?
— Non, cousin, je vais à Fife.
C’est bien, j’irai à Scone.
— Soit ! Puissiez-vous y voir les choses se bien passer !… Adieu ! — J’ai peur que nos manteaux neufs ne soient moins commodes que nos vieux.
— Adieu, mon père.
— Que la bénédiction de Dieu soit avec vous et avec tous ceux — qui veulent changer le mal en bien et les ennemis en amis !
— Roi ! Cawdor ! Glamis ! tu possèdes maintenant tout — ce que t’avaient promis les femmes fatidiques ; et j’ai peur — que tu n’aies joué dans ce but un jeu bien sinistre. Cependant elles ont dit — que ta postérité n’hériterait pas de tout cela, — et que, moi, je serais la racine et le père — d’une foule de rois. Si la vérité est sortie de leur bouche, — ainsi que leurs prophéties sur toi, Macbeth, en sont la preuve éclatante, — pourquoi, véridiques à ton égard, — ne pourraient-elles pas aussi bien être des oracles pour moi — et autoriser mon espoir ? Mais, chut ! taisons-nous.
— Voici notre principal convive.
S’il avait été oublié, — c’eût été dans cette grande fête un vide — qui eût tout déparé.
— Nous donnons ce soir un souper solennel, seigneur ; — et j’y sollicite votre présence.
Que votre altesse — me commande. Mon obéissance — est pour toujours attachée à elle par des liens — indissolubles.
— Montez-vous à cheval cette après-midi ?
Oui, mon bon seigneur.
— Sans cela nous vous aurions demandé vos avis, — qui ont toujours été graves et heureux, — en tenant conseil aujourd’hui ; mais nous les prendrons demain. — Irez-vous loin ?
— Assez loin, monseigneur, pour remplir le temps — d’ici au souper. Si mon cheval ne marche pas très-bien, — il faudra que j’emprunte à la nuit — une ou deux de ses heures sombres.
Ne manquez pas à notre fête.
— Monseigneur, je n’y manquerai pas.
— Nous apprenons que nos sanguinaires cousins sont réfugiés, — l’un en Angleterre, l’autre en Irlande ; pour ne pas avouer — leur cruel parricide, ils en imposent à ceux qui les écoutent — par des inventions étranges. Mais nous en parlerons demain, — ainsi que des affaires d’État qui réclament également — notre réunion. Vite à cheval, vous, et adieu — jusqu’à votre retour, ce soir ! Fléance va-t-il avec vous ?
— Oui, mon bon seigneur : le temps nous presse.
— Je vous souhaite des chevaux vifs et sûrs ; — et je vous recommande à leurs croupes. — Bon voyage !
— Que chacun soit maître de son temps — jusqu’à sept heures du soir ; pour que la société — n’en soit que mieux venue près de nous, nous resterons seul — jusqu’au souper. Jusque-là, que Dieu soit avec vous !
— Drôle, un mot ! Ces hommes attendent-ils nos ordres ?
— Ils sont là, monseigneur, à la porte du palais.
— Amène-les devant nous.
Être ceci n’est rien ; — il faut l’être sûrement. Nos craintes se fixent — profondément sur Banquo : dans sa royale nature — règne tout ce qui est redoutable. Il est homme à oser beaucoup ; — et à la trempe intrépide de son âme — il joint une sagesse qui guide sa valeur — à une action sûre. Il est le seul — dont je redoute l’existence, et mon génie — est dominé par le sien, comme, dit-on, — Marc-Antoine l’était par César. Il a apostrophé les sœurs, — quand elles m’ont décerné le nom de roi, — et il les a sommées de lui parler. Alors, d’une voix prophétique, — elles l’ont salué père d’une lignée de rois ! — Elles m’ont placé sur la tête une couronne infructueuse — et mis au poing un sceptre stérile, — que doit m’arracher une main étrangère, — puisque nul fils ne doit me succéder. S’il en est ainsi, — c’est pour les enfants de Banquo que j’ai souillé mon âme, — pour eux que j’ai assassiné le gracieux Duncan, — pour eux que j’ai versé le remords dans la coupe de mon repos, — pour eux seuls ! Mon éternel joyau, — je l’ai donné à l’ennemi commun du genre humain — pour les faire rois ! pour faire rois les rejetons de Banquo ! — Ah ! viens plutôt dans la lice, fatalité, — et jette-moi un défi à outrance ! … Qui est là ?…
— Maintenant retourne à la porte et restes-y jusqu’à ce que nous appelions.
— N’est-ce pas hier que nous nous sommes parlé ?
— C’était hier, s’il plaît à votre altesse.
Eh bien, maintenant — avez-vous réfléchi à mes paroles ? Sachez — que c’est lui qui jusqu’ici vous a relégués — dans une si humble fortune, tandis que vous en accusiez — notre innocente personne. Je vous l’ai démontré — dans notre dernier entretien. Je vous ai prouvé — comment vous avez été dupés, contrecarrés, quels étaient les instruments, — qui les employait, et mille autres choses qui feraient — dire à une moitié d’âme, à un entendement fêlé : — « Voilà ce qu’a fait Banquo. »
Vous nous l’avez fait connaître.
— Oui ; et j’en suis venu ainsi à ce qui est maintenant — l’objet de notre seconde entrevue. Croyez-vous — la patience à ce point dominante dans votre nature — que vous puissiez laisser passer cela ? Êtes-vous évangéliques — au point de prier pour ce brave homme et sa postérité, — lui dont la lourde main vous a courbés vers la tombe — et à jamais appauvris ?
Nous sommes hommes, mon suzerain.
— Oui, vous passez pour hommes dans le catalogue ; — de même que les limiers, les lévriers, les métis, les épagneuls, les mâtins, — les barbets, les caniches, les chiens-loups, sont désignés tous — sous le nom de chiens ; mais un classement supérieur — distingue le chien agile, le lent, le subtil, — le chien de garde, le chien de chasse, chacun — selon les qualités que la bienfaisante nature — lui a départies et qui lui font donner — un titre particulier dans la liste — où tous sont communément inscrits. Il en est de même des hommes. — Eh bien, si vous avez une place à part dans le classement, — en dehors des rangs infimes de l’humanité, dites le ; — et alors je confierai à vos consciences un projet — dont l’exécution fera disparaître votre ennemi — et vous attachera notre cœur et notre affection, — sa vie nous faisant à nous-même une santé languissante — que rétablirait sa mort.
Je suis un homme, mon suzerain, — que les coups avilissants et les rebuffades du monde — ont tellement exaspéré, que je ferais n’importe — quoi pour braver le monde.
Et moi, un homme — tellement accablé de désastres, tellement surmené par la fortune, — que je jouerais ma vie sur un hasard — pour l’améliorer ou la perdre.
Vous savez — tous deux que Banquo était votre ennemi.
C’est vrai, monseigneur.
— Il est aussi le mien, et avec une si sanglante hostilité — que chaque minute de son existence est un coup — qui menace ma vie. Je pourrais — le balayer de ma vue de vive force, — et mettre la chose sur le compte de ma volonté ; mais je ne dois pas le faire, — par égard pour plusieurs de mes amis qui sont aussi les siens, — et dont je puis garder l’affection pour peu que je pleure la chute — de celui que j’aurai moi-même renversé. Voilà pourquoi — je réclame affectueusement votre assistance, — voulant masquer l’affaire aux regards de tous, — pour maintes raisons puissantes.
Nous exécuterons, — monseigneur, ce que vous nous commanderez.
Dussent nos vies…
— Votre ardeur rayonne en vous. Dans une heure, au plus, — je vous désignerai le lieu où vous vous posterez, — je vous ferai connaître le meilleur moment pour l’embuscade, — l’instant suprême. Il faut que ce soit fait ce soir, — à une certaine distance du palais, avec cette idée constante — que j’ai besoin de rester pur. Et — (pour qu’il n’y ait ni accroc ni pièce à l’ouvrage) — Fléance, son fils, qui l’accompagne, — et dont l’absence m’est aussi essentielle — que celle du père, devra embrasser, comme lui, la destinée — de cette heure sombre. Consultez ensemble vos résolutions ; — je reviens à vous dans un instant.
Nous sommes résolus, monseigneur.
— Je vous rejoins immédiatement ; restez dans le palais. — L’affaire est conclue… Banquo, si ton âme envolée — doit trouver le ciel, elle le trouvera ce soir.
— Banquo a-t-il quitté la cour ?
— Oui, madame, mais il revient ce soir.
— Va prévenir le roi que j’attends son bon plaisir — pour lui dire quelques mots.
J’y vais, madame.
— On a dépensé tout pour ne rien avoir, — quand on a obtenu son désir sans satisfaction. — Mieux vaut être celui qu’on détruit — que de vivre par sa destruction dans une joie pleine de doutes.
— Qu’avez-vous, monseigneur ? Pourquoi restez-vous seul, — faisant vos compagnes des plus tristes rêveries, — et nourrissant des pensées qui auraient bien dû mourir — avec ceux auxquels elles pensent ? Les choses sans remède — ne valent plus la réflexion : ce qui est fait est fait.
— Nous avons entamé, mais non tué, le serpent. — Il rejoindra ses tronçons et redeviendra lui-même, et notre haine misérable — sera comme auparavant exposée à ses morsures. — Mais — puissions-nous voir craquer la machine des choses et s’abîmer les deux mondes, — plutôt que de manger toujours dans la crainte et de dormir — dans l’affliction de ces rêves terribles — qui nous agitent chaque nuit ! Mieux vaudrait être avec le mort — que nous avons envoyé reposer pour gagner notre repos, — que d’être soumis par la torture de l’esprit — à une infatigable angoisse. Duncan est dans son tombeau : — après la fièvre convulsive de cette vie, il dort bien ; — la trahison a tout épuisé contre lui ; l’acier, le poison, — la perfidie domestique, l’invasion étrangère, rien — ne peut le toucher désormais.
Allons ! — Mon doux seigneur, déridez ce front renfrogné, — soyez serein et enjoué ce soir au milieu de vos convives.
— Je le serai, mon amour ; et vous, soyez de même, je vous prie. — Que vos attentions se concentrent sur Banquo ; — conférez-lui la prééminence par vos regards et par vos paroles. — Temps d’inquiétude, où il nous faut laver nos honneurs au torrent des flatteries, — et faire de notre face le masque de notre cœur, — pour le déguiser !
Ne pensez plus à cela.
— Oh ! pleine de scorpions est mon âme, chère femme ! — Tu sais que Banquo et son Fléance vivent.
— Mais l’image de l’humanité n’est pas éternelle en eux.
— Oui, il y a là une consolation : ils sont attaquables. — Sois donc joyeuse. Avant que la chauve-souris ait fait à tire d’ailes — son tour de cloître, avant qu’à l’appel de la noire Hécate, — l’escarbot aux ailes d’écaille ait de ses bourdonnements sourds — sonné le carillon somnolent du soir, il sera fait — une action d’un formidable éclat.
Quelle action ?
— Ah ! chère poule, sois innocente de la confidence — jusqu’à ce que tu applaudisses à l’exécution… Viens, noir fauconnier de la nuit, — bande les yeux sensibles du jour compatissant, — et, de ta main sanglante et invisible, — arrache et mets en pièces le fil de cette grande existence — qui me fait pâlir !… La lumière s’obscurcit, et le corbeau — vole vers son bois favori ; — les bonnes créatures du jour commencent à s’assoupir et à dormir, — tandis que les noirs agents de la nuit se dressent vers leur proie. — Tu t’étonnes de mes paroles ; mais sois tranquille : — les choses que le mal a commencées se consolident par le mal. — Sur ce, viens avec moi, je t’en prie.
— Mais qui t’a dit de te joindre à nous ?
Macbeth.
— Nous n’avons pas à nous méfier de lui, puisqu’il nous indique — notre tâche, et tout ce que nous avons à faire, — avec une précision parfaite.
Reste donc avec nous. — Le couchant est encore rayé de quelques lueurs du jour. — C’est l’heure où le voyageur attardé presse les éperons — pour gagner à temps l’auberge ; et voici qu’approche — le personnage que nous guettons.
Écoutez ! j’entends les chevaux.
Éclairez-nous là ! hé !
Alors c’est lui : tous — les autres invités qu’on attendait — sont déjà au palais.
Ses chevaux s’en retournent.
— À près d’un mille d’ici ; mais il a l’habitude, — comme tout le monde, d’aller d’ici à la porte du palais — en se promenant.
Une lumière ! une lumière !
C’est lui.
— Tenons ferme.
Il y aura de la pluie ce soir.
Qu’elle tombe !
— Oh ! trahison ! Fuis, bon Fléance, fuis, fuis, fuis ; — tu peux me venger. Ô misérable !
— Qui a éteint la lumière ?
N’était-ce pas le plus sûr ?
— Il n’y en a qu’un de tombé ; le fils s’est échappé.
— Nous avons manqué la plus belle moitié de notre affaire.
— Allons toujours dire ce qu’il y a de fait.
— Vous connaissez vos rangs respectifs, prenez vos places ; pour premier mot — et pour dernier, cordiale bienvenue à tous !
Merci à votre majesté !
— Quant à nous, nous nous mêlerons à la société, — comme l’hôte le plus humble. — Notre hôtesse gardera sa place d’honneur ; mais, en temps opportun, — nous irons lui demander la bienvenue.
— Exprimez pour moi, sire, à tous nos amis — ce que dit mon cœur : ils sont les bienvenus.
— Vois, ils te répondent par un remercîment du cœur… — Les deux côtés sont au complet. Je vais m’asseoir ici, au milieu. — Faisons des largesses de gaieté ; tout à l’heure, nous boirons une rasade — à la ronde…
Il y a du sang sur ton visage.
— C’est celui de Banquo alors.
— Il est mieux sur toi que dans ses veines. — Est-il expédié ?
— Monseigneur, il a la gorge coupée ; j’ai fait cela pour lui.
— Tu es le meilleur des coupe-gorges. Il est bien bon pourtant — celui qui en a fait autant pour Fléance. Si c’est toi, — tu n’as pas ton pareil.
Très-royal seigneur, — Fléance s’est échappé.
— Voilà mon accès qui revient : sans cela, j’aurais été à merveille, — entier comme un marbre, solide comme un roc, — dégagé et libre comme l’air ambiant. — Mais à présent me voilà claquemuré, encagé, confiné, enchaîné — dans des inquiétudes et des craintes insolentes. Mais Banquo est-il en sûreté ?
— Oui, mon bon seigneur, en sûreté dans un fossé qu’il occupe, — avec vingt balafres dans la tête, — dont la moindre serait la mort d’une créature.
Merci pour cela. — Voilà le vieux serpent écrasé ; le reptile qui s’est sauvé — est de nature à donner du venin un jour, — mais il n’a pas de dents encore. Va-t’en ; demain, — une fois rendu à nous-même, nous t’écouterons.
Mon royal maître, — vous n’encouragez pas vos convives : c’est leur faire payer la fête — que de ne pas leur rappeler souvent, tandis qu’elle est en train, — qu’elle est donnée de tout cœur. Pour ne faire que manger, mieux vaut rester chez soi ; — hors de là, la courtoisie est la meilleure sauce des mets ; — sans elle, la réunion serait fade.
Douce sermonneuse !… — Allons, qu’une bonne digestion seconde l’appétit, — et que la santé suive.
Plaît-il à votre altesse de s’asseoir ?
— La gloire de notre pays aurait eu ici son faîte, — si la gracieuse personne de notre Banquo eût été présente. — Puissé-je avoir à l’accuser d’une incivilité — plutôt qu’à le plaindre d’un malheur !
Son absence, sire, — jette le blâme sur sa promesse. Plaît-il à votre altesse — de nous honorer de sa royale compagnie ?
— La table est au complet.
Voici une place réservée pour vous, sire.
— Où ?
Ici, mon bon seigneur… Qu’est-ce donc qui émeut votre altesse ?
— Qui de vous a fait cela ?
Quoi, mon bon seigneur ?
— Tu ne peux pas dire que je l’aie fait ? Ne secoue pas — contre moi tes boucles sanglantes.
Messieurs, levez-vous ; son altesse n’est pas bien.
— Non, dignes amis, asseyez-vous. Mon seigneur est souvent ainsi, — et cela depuis sa jeunesse. De grâce, restez assis. — C’est un accès momentané : rien que le temps d’y songer, — il sera remis. Si vous faites trop attention à lui, — vous l’offenserez, et vous augmenterez son mal ; — mangez et ne le regardez pas… Êtes-vous un homme ?
— Oui, et un homme hardi à oser regarder en face — ce qui épouvanterait le démon.
La bonne niaiserie ! — c’est encore une image créée par votre frayeur, — comme ce poignard aérien qui, disiez-vous, — vous guidait vers Duncan ! Oh ! ces effarements et ces tressaillements, — singeries de la terreur, conviendraient bien — à un conte de bonne femme débité au coin d’un feu d’hiver — sous l’autorité d’une grand’mère. C’est la honte même ! — Pourquoi faites-vous toutes ces mines-là ? Après tout, — vous ne regardez qu’un tabouret.
— Je t’en prie, vois ! examine ! regarde ! là… Eh bien ! que dis-tu ? — Bah ! qu’est-ce que cela me fait ? Puisque tu peux secouer la tête, parle… — Ah ! si les cimetières et les tombeaux doivent nous renvoyer — ainsi ceux que nous enterrons, pour monument — nous leur donnerons la panse des milans !
— Quoi ! la folie n’a rien laissé de l’homme ?
— Aussi vrai que je suis ici, je l’ai vu.
Fi ! quelle honte !
— Ce n’est pas d’aujourd’hui que le sang a été versé ; dans les temps anciens, — avant que la loi humaine eût purifié la société adoucie, — oui, et depuis lors, il a été commis des meurtres — trop terribles pour l’oreille. Il fut un temps — où, quand la cervelle avait jailli, l’homme mourait, — et tout était fini. Mais aujourd’hui on ressuscite, — avec vingt blessures mortelles dans le crâne, — et on nous chasse de nos siéges. Voilà qui est plus étrange — que le meurtre lui-même.
Mon digne seigneur, — vos nobles amis ont besoin de vous.
J’oubliais… — Ne vous étonnez pas, mes très-dignes amis ; — j’ai une étrange infirmité qui n’est rien — pour ceux qui me connaissent. Allons, amitié et santé à tous ! — Maintenant je vais m’asseoir. Donnez-moi du vin ; remplissez jusqu’au bord !
— Je bois à la joie de toute la table, — et à notre cher ami Banquo qui nous manque. — Que n’est-il ici ! À lui et à tous notre soif ! — Buvons tous à tous !
Nous vous rendons hommage en vous faisant raison.
— Arrière ! ôte-toi de ma vue ! que la terre te cache ! — Tes os sont sans moelle ; ton sang est glacé ; — tu n’as pas de regard dans ces yeux — qui éblouissent.
Ne voyez là, nobles pairs, — qu’un fait habituel. Ce n’est pas autre chose. — Seulement cela gâte le plaisir du moment.
Tout ce qu’ose un homme, je l’ose. — Approche sous la figure de l’ours velu de Russie, — du rhinocéros armé ou du tigre d’Hyrcanie, — prends toute autre forme que celle-ci, et mes nerfs impassibles — ne trembleront pas. Ou bien redeviens vivant, — et provoque-moi au désert avec ton épée ; — si alors je m’enferme en tremblant, déclare-moi — le marmot d’une fille. Hors d’ici, ombre horrible !
— Moqueuse illusion, hors d’ici !… Oui ! c’est cela… Dès qu’il s’en va, — je redeviens homme… De grâce, restez assis.
— Vous avez fait fuir la gaieté et rompu notre bonne réunion — par ce désordre surprenant.
De telles choses peuvent-elles arriver — et fondre sur nous, comme un nuage d’été, — sans nous causer un étonnement particulier ? Vous me faites méconnaître — mon propre caractère, — quand je songe que, devant de pareils spectacles, — vous pouvez conserver le rubis naturel de vos joues, — alors que les miennes sont blanches de frayeur.
Quels spectacles, monseigneur ?
— Je vous en prie, ne lui parlez pas ; il va de pire en pire ; — toute question l’exaspère. Bonsoir en même temps à tous. — N’attendez pas votre tour de partir, — mais partez tous à la fois.
Bonsoir ; et puisse une meilleure santé — être accordée à sa majesté !
Affectueux bonsoir à tous !
— Il y aura du sang versé ; on dit que le sang veut du sang. — On a vu les pierres remuer et les arbres parler. — Des augures, des révélations intelligibles ont, — par la voix des pies, des corbeaux et des corneilles, dénoncé — l’homme de sang le mieux caché… Où en est la nuit ?
— À l’heure encore indécise de sa lutte avec le matin.
— Que dis-tu de Macduff qui refuse de se rendre en personne — à notre solennelle invitation ?
Lui avez-vous envoyé quelqu’un, sire ?
— Non, j’en suis prévenu indirectement ; mais j’enverrai. — Il n’y a pas un d’eux chez qui — je ne tienne un homme à mes gages. J’irai demain, — de bonne heure, trouver les sœurs fatidiques. — Il faut qu’elles parlent encore ; car je suis maintenant décidé — à savoir le pire, fut-ce par les pires moyens : devant mes intérêts — tout doit céder. J’ai marché — si loin dans le sang que, si je ne traverse pas le gué, — j’aurai autant de peine à retourner qu’à avancer. — J’ai dans la tête d’étranges choses qui réclament ma main, — et veulent être exécutées avant d’être méditées.
— Vous avez besoin du cordial de toute créature, le sommeil.
— Viens, nous allons dormir. Mon étrange oubli de moi-même — est une timidité novice qui veut être aguerrie par l’épreuve. — Nous sommes encore jeunes dans l’action.
— Eh bien, qu’avez-vous, Hécate ? Vous paraissez irritée.
— N’ai-je pas raison de l’être, mégères, quand vous êtes — si insolentes et si effrontées ? Comment avez-vous osé — commercer et trafiquer avec Macbeth — d’oracles et d’affaires de mort, — sans que moi, la maîtresse de vos enchantements, — l’agent mystérieux de tout maléfice, — j’aie été appelée à intervenir — ou à montrer la gloire de notre art ? — Et, qui pis est, vous avez fait tout cela — pour un fils entêté, — rancuneux, colère, qui, comme les autres, — vous aime pour lui-même, non pour vous. — Mais réparez votre faute maintenant : partez — et venez au trou de l’Achéron — me rejoindre demain matin : il doit — s’y rendre pour connaître sa destinée. — Préparez vos vases, vos sortiléges, — vos enchantements, tout enfin. — Moi, je vais dans l’air ; j’emploierai cette nuit — à une œuvre terrible et fatale. — Une grande affaire doit être achevée avant midi. — À la pointe de la lune — pend une goutte de vapeur profonde ; — je l’attraperai avant qu’elle tombe à terre. — Cette goutte, distillée par des procédés magiques, — fera surgir des apparitions fantastiques — qui, par la force de leurs illusions, — l’entraîneront à sa ruine. — Il insultera le destin, narguera la mort, et mettra — ses espérances au-dessus de la sagesse, de la religion et de la crainte. — Et, vous le savez toutes, la sécurité — est la plus grande ennemie des mortels.
Venez, venez…
— Écoutez, on m’appelle : vous voyez, mon petit esprit — m’attend, assis dans un nuage de brume.
— Allons, hâtons-nous. Elle sera bientôt de retour.
— Mes dernières paroles ont frappé votre pensée — qui peut maintenant conclure. Je répète seulement — que les choses ont été étrangement arrangées. Macbeth — s’est apitoyé sur le gracieux Duncan ?… Pardieu, il était mort !… — Quand au vaillant Banquo, il s’est promené trop tard ?… — Vous pouvez dire, si cela vous plaît, que c’est Fléance qui l’a tué, — car Fléance s’est sauvé… On ne doit pas se promener trop tard. — Comment se refuser à voir tout ce qu’il y a eu de monstrueux — de la part de Malcolm et de Donalbain — à tuer leur auguste père ? Exécrable action ! — Combien elle a affligé Macbeth ! N’a-t-il pas immédiatement, — dans une rage pieuse, mis en pièces les deux coupables, — qui étaient esclaves de l’ivresse et captifs du sommeil ? — N’est-ce pas là une noble action ?… Oui, et fort prudente aussi, — car cela aurait pu irriter un cœur vif — d’entendre ces hommes nier le fait… Bref, je dis — qu’il a bien arrangé les choses ; et je pense — que, s’il tenait sous clef les fils de Duncan, — (ce qui n’arrivera pas, s’il plaît à Dieu), ils verraient — ce que c’est que de tuer un père ; et Fléance aussi ! — Mais, silence ! car, pour avoir parlé trop haut et manqué — de paraître à la fête du tyran, j’apprends — que Macduff est en disgrâce. Pouvez-vous me dire, monsieur, — où il s’est réfugié ?
Le fils de Duncan, — dont ce tyran usurpe les droits héréditaires, — vit à la cour d’Angleterre, où il est reçu — par le très-pieux Édouard avec tant de grâce — que la malveillance de la fortune ne lui fait — rien perdre des honneurs qui lui sont dus. Macduff aussi — s’est rendu là ; il va prier le saint roi de lancer — à son aide Northumberland et le belliqueux Siward, — afin que, grâce à leur secours et à la sanction — du Très-Haut, nous puissions de nouveau — mettre le couvert sur notre table, dormir toutes nos nuits, — délivrer nos fêtes et nos banquets des couteaux sanglants, — rendre un légitime hommage et recevoir de purs honneurs, — toutes satisfactions auxquelles nous ne pouvons qu’aspirer aujourd’hui. Cette nouvelle — a tellement exaspéré le roi, qu’il fait — des préparatifs de guerre.
Avait-il fait mander Macduff ?
— Oui, et, Macduff ayant répondu résolûment : « Non, monsieur ! » — le messager lui a tourné le dos d’un air nébuleux, — en grondant, comme s’il voulait dire : « Vous déplorerez le moment — où vous m’embarrassez de cette réponse. »
Voilà qui doit bien — engager Macduff à être prudent et à garder la distance — que la sagesse lui indique. Puisse, avant son arrivée, quelque saint ange — voler à la cour d’Angleterre et y révéler — son message, en sorte que la paix bénie — soit rendue au plus vite à notre patrie accablée — sous une main maudite !
Mes prières l’accompagneront !
Trois fois le chat tacheté a miaulé.
Trois fois ; et une fois le hérisson a grogné.
La harpie crie : il est temps ! il est temps !
Tournons en rond autour du chaudron,
Et jetons-y les entrailles empoisonnées.
Crapaud qui, sous la froide pierre,
Endormi trente-un jours et trente-une nuits,
As mitonné dans ton venin,
Bous le premier dans le pot enchanté.
Double, double, peine et trouble !
Feu, brûle, et, chaudron, bouillonne !
Filet de couleuvre de marais,
Dans le chaudron bous et cuis.
Œil de salamandre, orteil de grenouille,
Poil de chauve-souris et langue de chien,
Langue fourchue de vipère, dard de reptile aveugle,
Patte de lézard, aile de hibou,
Pour faire un charme puissant en trouble,
Bouillez et écumez comme une soupe d’enfer.
Double, double, peine et trouble !
Feu, brûle, et, chaudron, bouillonne !
Écaille de dragon, dent de loup,
Momie de sorcière, estomac et gueule
De requin dévorant des mers,
Racine de ciguë arrachée dans l’ombre,
Foie de juif blasphémateur,
Fiel de bouc, branches d’if
Cassées dans une éclipse de lune,
Nez de Turc et lèvre de Tartare,
Doigt d’un marmot étranglé en naissant
Et mis bas par une drôlesse dans un fossé,
Faites une bouillie épaisse et visqueuse ;
Ajoutons les boyaux de tigre,
Comme ingrédient, dans notre chaudron.
Double, double, peine et trouble !
Feu, brûle, et, chaudron, bouillonne !
Refroidissons le tout avec du sang de babouin,
Et le charme sera solide et bon.
— Oh ! c’est bien ! j’approuve votre besogne ; — et chacune aura part au profit. — Maintenant, tout autour du chaudron, — entonnez une ronde comme les elfes et les fées, — pour enchanter ce que vous y avez mis.
— Au picotement de mes pouces, — je sens qu’un maudit vient par ici. — Ouvrez, serrures, à quiconque frappe !
— Eh bien ! mystérieuses et noires larves de minuit, — que faites-vous ?
Une œuvre sans nom.
— Je vous en conjure, au nom de la chose que vous professez, — quels que soient vos moyens de savoir, répondez-moi ! — Dussiez-vous déchaîner les vents et les lancer — à l’assaut des églises, dussent les vagues écumantes — détruire et engloutir toutes les marines, — dussent les blés en épis être couchés, et les arbres abattus, — dussent les châteaux s’écrouler sur ceux qui les gardent, — dussent les palais et les pyramides renverser — leurs têtes sur leurs fondements, dussent du trésor — de la nature tomber pêle-mêle tous les germes, — jusqu’à ce que la destruction même soit écœurée, répondez — à ce que je vous demande.
Parle.
Questionne.
Nous répondrons.
— Dis, aimes-tu mieux tout savoir de notre bouche — ou de celle de nos maîtres ?
Appelez-les ! faites-les-moi voir.
— Versons le sang d’une truie qui a mangé — ses neuf pourceaux ; prenons de la graisse — qui a suinté du gibet d’un meurtrier, et jetons-la — dans la flamme.
Viens d’en bas ou d’en haut, — et montre-toi adroitement dans ton œuvre.
— Dis-moi, puissance inconnue…
Il connaît ta pensée ; — écoute ses paroles, mais ne dis rien.
— Macbeth ! Macbeth ! Macbeth ! défie-toi de Macduff ! — défie-toi du thane de Fife !… Renvoyez-moi. C’est assez.
— Qui que tu sois, merci de ton bon avis. — Tu as fait vibrer la corde de mon inquiétude. Mais un mot encore.
— Il ne se laisse pas commander… En voici un autre — plus puissant que le premier.
Macbeth ! Macbeth ! Macbeth !
— Je t’écouterais de trois oreilles, si je les avais.
— Sois sanguinaire, hardi — et résolu : ris-toi — du pouvoir de l’homme, car nul être né d’une femme — ne pourra nuire à Macbeth.
— Alors vis, Macduff. Qu’ai-je besoin de te craindre ? — Mais, n’importe ! Je veux avoir une garantie double — et engager le destin. Tu ne vivras pas ! — Ainsi, je pourrai dire à la peur au cœur blême qu’elle ment, — et dormir en dépit de la foudre.
Quel est celui — qui surgit, pareil au fils d’un roi — et qui porte sur son front enfantin le cercle — fermé de la souveraineté ?
Écoute, mais ne lui parle pas.
— Sois d’humeur léonine, sois fier ; et ne t’inquiète pas — de ceux qui ragent, s’agitent ou conspirent ; — jamais Macbeth ne sera vaincu, avant que — la grande forêt de Birnam marche contre lui — jusqu’à la haute colline de Dunsinane.
Cela ne sera jamais. — Qui peut faire la presse sur une forêt et sommer un arbre — de détacher sa racine fixée en terre ? Douces prédictions ! Ô bonheur ! — Révolte, ne lève pas la tête avant que la forêt de — Birnam se lève, et notre Macbeth vivra dans les grandeurs — tout le bail de la nature, pour ne rendre qu’à l’heure coutumière de la mort le dernier soupir… Cependant mon cœur — palpite pour savoir encore une chose : dites-moi, autant — que votre art peut le deviner, si la lignée de Banquo régnera — jamais dans ce royaume.
Ne cherche pas à en savoir davantage.
— Je veux être satisfait. Si vous me le refusez, — qu’une éternelle malédiction tombe sur vous ! Dites-moi tout. — Pourquoi ce chaudron s’enfonce-t-il, et quel est ce bruit ?
— Montrez-vous !
— Montrez-vous !
— Montrez-vous !
— Montrez-vous à ses yeux et affligez son cœur. — Venez, puis disparaissez, ombres légères.
— Tu ressembles trop à l’esprit de Banquo ! À bas ! — ta couronne brûle mes prunelles… Tes cheveux, à toi, — autre front cerclé d’or, sont comme ceux du premier… — Le troisième ressemble au précédent… Sales stryges, — pourquoi me montrez-vous cela ?… Un quatrième ?… Écartez-vous, mes yeux ! — Quoi ! cette ligne se prolongera-t-elle jusqu’aux craquements de la fin du monde ? — Un autre encore !… Un septième !… Je n’en veux plus voir. — Et pourtant le huitième apparaît, tenant un miroir — qui m’en montré une foule d’autres, et j’en vois — qui portent un double globe et un triple sceptre ! — Horrible vision ! À présent, je le vois, c’est la vérité ; — car voici Banquo, tout barbouillé de sang, qui sourit — et me montre ses enfants dans ces rois… Quoi ! en serait-il ainsi ?
— Oui, seigneur, tout cela est exact… — Mais pourquoi Macbeth reste-t-il ainsi stupéfait ? — Allons, mes sœurs, relevons ses esprits, — en lui montrant le meilleur de nos divertissements. — Je vais charmer l’air pour en tirer des sons, — tandis que vous exécuterez votre antique ronde. — Puisse alors ce grand roi reconnaître — que nous avons dignement fêté sa venue !
— Où sont-elles ? parties !… Que cette heure funeste — reste à jamais maudite dans le calendrier !… — Entrez, vous qui êtes là, dehors.
Quel est le désir de votre grâce ?
— Avez-vous vu les sœurs fatidiques ?
Non, monseigneur.
— N’ont-elles pas passé près de vous ?
Non, vraiment, monseigneur.
— Infecté soit l’air sur lequel elles chevauchent ! — Et damnés soient tous ceux qui les croient !… J’ai entendu — un galop de cheval. Qui donc est arrivé ?
— Ce sont deux ou trois cavaliers, monseigneur, qui vous apportent — la nouvelle que Macduff s’est enfui en Angleterre.
Enfui en Angleterre ?
Oui, mon bon seigneur.
— Ô temps ! tu préviens mes exploits redoutés. — L’intention fugace n’est jamais atteinte, — à moins que l’action ne marche avec elle. À l’avenir, — le premier mouvement de mon cœur sera — le premier mouvement de ma main. Aujourd’hui même, — pour couronner ma pensée par un acte, que la résolution prise soit exécutée : — je veux surprendre le château de Macduff, — m’emparer de Fife, passer au fil de l’épée — sa femme, ses petits enfants et tous les êtres infortunés — qui le continuent dans sa race. Pas de niaise forfanterie ! — J’accomplirai cette action avant que l’idée refroidisse. — Mais plus de visions !… Où sont ces messieurs ? — Allons, conduisez-moi où ils sont.
— Qu’avait-il fait qui l’obligeât à fuir le pays ?
— Vous devez avoir de la patience, madame.
Il n’en a pas eu, lui ! — Sa fuite a été une folie. À défaut de nos actes, — nos peurs font de nous des traîtres.
Vous ne savez pas — s’il y a eu de sa part sagesse ou peur.
— Sagesse ! laisser sa femme, laisser ses enfants, — ses gens et ses titres dans un lieu — d’où il s’enfuit lui-même ! Il ne nous aime pas : — il n’a pas même l’instinct de la nature : le pauvre roitelet, — le plus petit des oiseaux, défendra — ses petits dans son nid contre le hibou. — Il n’y a que de la peur, et pas d’affection, — non, pas plus que de sagesse, dans cette fuite — précipitée ainsi contre toute raison.
Ma chère petite cousine, — je vous en prie, régentez-vous vous-même. Car, pour votre mari, — il est noble, sage, judicieux ; il connaît à fond — les crises de notre époque. Je n’ose en dire davantage, — mais ce sont des temps cruels que ceux où nous sommes traîtres — sans le savoir, où nous écoutons les rumeurs — de la crainte, sans savoir ce que nous craignons, — flottant sur une mer farouche et violente — qui nous agite en tout sens !… Je prends congé de vous : — avant peu, je reviendrai. — Quand une situation est au pire, il faut qu’elle cesse — ou qu’elle se relève… Mon joli cousin, — le ciel vous bénisse !
Il a un père, et pourtant il n’a pas de père.
— Je serais fou de rester plus longtemps ; — je causerais ma disgrâce et vous compromettrais. — Je prends immédiatement congé de vous.
Garnement, votre père est mort. — Qu’allez-vous faire ? Comment vivrez-vous ?
— Comme les oiseaux, mère.
Quoi ! de vers et de mouches ?
— Je veux dire, de ce que je trouverai ; comme eux.
— Pauvre oiseau ! tu ne craindrais jamais le filet, ni la glu, — ni les piéges, ni le trébuchet !
— Pourquoi les craindrais-je, mère ? Ils ne sont pas faits pour les pauvres oiseaux. — Vous avez beau dire, mon père n’est pas mort.
— Si, il est mort. Comment remplaceras-tu un père ?
— Et vous, comment remplacerez-vous un mari ?
— Ah ! je puis m’en acheter vingt au marché.
— Alors vous ne les achèterez que pour les revendre.
— Tu parles avec tout ton esprit, et, ma foi, — avec assez d’esprit pour ton âge.
Est-ce que mon père était un traître, mère ?
Oui, c’en était un.
Qu’est-ce que c’est qu’un traître ?
Eh bien, c’est quelqu’un qui fait un faux serment.
Et ce sont des traîtres tous ceux qui font ça ?
Quiconque le fait est un traître et mérite d’être pendu.
Et tous ceux qui font un faux serment méritent-ils d’être pendus ?
Tous.
Qui est-ce qui doit les pendre ?
Eh bien, les honnêtes gens.
Alors les faiseurs de faux serments sont des imbéciles ; car ils sont assez nombreux pour battre les honnêtes gens et les pendre.
Que Dieu te vienne en aide, pauvre singe ! Mais qui te tiendra lieu de père ?
Si mon père était mort, vous le pleureriez ; si vous ne le pleuriez pas, ce serait signe que j’en aurais bien vite un nouveau.
Pauvre babillard ! comme tu jases !
— Le ciel vous bénisse, belle dame ! Je ne vous suis pas connu, — bien que je sache parfaitement le rang que vous tenez. — Je soupçonne que quelque danger vous menace. — Si vous voulez suivre l’avis d’un homme qui parle net, — qu’on ne vous trouve pas ici ; fuyez avec vos petits. — Je suis bien brutal, je le sens, de vous effrayer ainsi. — Bien pire serait pour vous l’horrible cruauté — qui menace de si près votre personne. Dieu vous préserve ! — Je n’ose rester plus longtemps.
Où dois-je fuir ? — Je n’ai pas fait de mal. Mais je me rappelle à présent — que je suis dans ce monde terrestre où faire le mal — passe souvent pour louable, et faire le bien, parfois, — pour une dangereuse folie. Pourquoi donc, hélas ! — me couvrir de cette féminine excuse — que je n’ai pas fait de mal ?… Quels sont ces visages ?
— Où est votre mari ?
Pas dans un lieu assez maudit, j’espère, — pour qu’un homme tel que toi puisse le trouver.
C’est un traître.
— Tu mens, scélérat aux oreilles velues !
Comment ! mauvais œuf ! — menu fretin de trahison !
Il m’a tué, mère ! — Sauvez-vous, je vous en prie !
— Allons chercher quelque ombre désolée, et là — pleurons toutes les larmes de nos tristes cœurs.
Saisissons plutôt — l’épée meurtrière, et comme de braves gens, — couvrons de notre personne nos droits abattus. Chaque matin, — de nouvelles veuves hurlent, de nouveaux orphelins sanglotent, de nouvelles douleurs — frappent la face du ciel qui en retentit, — comme si, par sympathie pour l’Écosse, il répétait dans un cri — chaque syllabe de désespoir.
Je suis prêt à déplorer ce que je crois, — à croire ce que je vois et à réparer ce que je pourrai, — dès que je trouverai l’occasion amie. — Ce que vous avez dit peut par hasard être vrai. — Mais ce tyran, dont le seul nom ulcère notre langue, — était autrefois réputé honnête ; vous l’avez beaucoup aimé ; — il ne vous a pas encore effleuré. Je suis jeune, mais vous pouvez — par moi bien mériter de lui ; et ce serait sage — de sacrifier un pauvre, faible et innocent agneau — pour apaiser un Dieu irrité.
— Je ne suis pas un traître.
Mais Macbeth en est un. — Une bonne et vertueuse nature peut se démentir — sur un ordre impérial… Mais je vous demande pardon, — mon opinion ne peut changer ce que vous êtes. — Les anges sont brillants toujours, quoique le plus brillant soit tombé ; — quand tout ce qu’il y a d’infâme aurait le front de la vertu, — la vertu n’en devrait pas moins avoir l’air vertueux.
J’ai perdu mes espérances.
— Peut-être à l’endroit même où j’ai trouvé mes doutes. — Pourquoi avez-vous quitté votre femme et vos enfants, — ces objets si précieux, ces liens d’amour si forts, — avec cette brusquerie, sans même leur dire adieu ?… De grâce, — voyez dans mes défiances, non votre déshonneur, — mais ma propre sûreté… Vous pouvez être parfaitement sincère, — quoi que je puisse penser.
Saigne, saigne, pauvre patrie ! — Grande tyrannie, établis solidement ta base, — car la vertu n’ose pas te combattre ! Jouis de ton usurpation ; — ton titre est consacré ! … Adieu, seigneur ! — Je ne voudrais pas être le misérable que tu penses, — pour tout l’espace de terre qui est dans la griffe du tyran, — dût le riche Orient en être l’appoint.
Ne vous offensez pas. — Je ne parle pas ainsi par défiance absolue de vous. — Je crois que notre patrie s’affaisse sous le joug ; — elle pleure, elle saigne, et chaque jour de plus ajoute — une plaie à ses blessures. Je crois aussi — que bien des bras se lèveraient pour ma cause ; — et ici même le gracieux roi d’Angleterre m’en a offert — des meilleurs, par milliers. Mais, après tout, — quand j’aurai écrasé ou mis au bout de mon épée — la tête du tyran, ma pauvre patrie — verra régner plus de vices qu’auparavant ; — elle souffrira plus et de plus de manières que jamais, — sous celui qui lui succédera.
Quel sera donc celui-là ?
— Ce sera moi-même ! moi en qui je sens — tous les vices si bien greffés — que, quand ils s’épanouiront, le noir Macbeth — semblera pur comme neige ; et la pauvre Écosse — le tiendra pour un agneau, en comparant ses actes — à mes innombrables méfaits.
Non ! dans les légions même — de l’horrible enfer, on ne trouverait pas un démon plus damné — en perversité que Macbeth.
J’accorde qu’il est sanguinaire, — luxurieux, avare, faux, fourbe, — brusque, malicieux, imbu de tous les vices — qui ont un nom. Mais il n’y a pas de fond, non, pas de fond, — à mon libertinage : vos femmes, vos filles, — vos matrones, vos vierges, ne rempliraient pas — la citerne de mes désirs, et mes passions — franchiraient toutes les digues — opposées à ma volonté. Mieux vaut Macbeth — qu’un roi tel que moi.
L’intempérance sans bornes — est une tyrannie de la nature : elle a — fait le vide prématuré d’heureux trônes — et la chute de bien des rois. Cependant ne craignez pas — de vous attribuer ce qui est à vous. Vous pourrez — assouvir vos désirs à cœur joie — et passer pour un homme froid au milieu d’un monde aveuglé. — Nous avons assez de dames complaisantes. Il n’y a pas — en vous de vautour qui puisse dévorer — tout ce qui s’offrira à votre grandeur, — aussitôt cette inclination connue.
Outre cela, il y a — dans ma nature, composée des plus mauvais instincts, une — avarice si insatiable que, si j’étais roi, — je retrancherais tous les nobles pour avoir leurs terres ; — je voudrais les joyaux de l’un, la maison de l’autre ; — et chaque nouvel avoir ne serait pour moi qu’une sauce — qui me rendrait plus affamé. Je forgerais — d’injustes querelles avec les meilleurs, avec les plus loyaux, — et je les détruirais pour avoir leur bien.
L’avarice — creuse plus profondément, elle jette des racines plus pernicieuses — que la luxure éphémère d’un été ; elle est — l’épée qui a tué nos rois. Cependant, ne craignez rien ; — l’Écosse a de quoi combler vos désirs à foison, — rien que dans ce qui vous appartient. Tout cela est supportable, — avec des vertus pour contrepoids.
— Des vertus ! mais je n’en ai pas. Celles qui conviennent aux rois, — la justice, la sincérité, la tempérance, la stabilité, — la générosité, la persévérance, la pitié, l’humanité, — la piété, la patience, le courage, la fermeté, — je n’en ai pas même l’arrière-goût ; mais j’abonde — en penchants diversement criminels — que je satisfais par tous les moyens. Oui, si j’en avais le pouvoir, — je verserais dans l’enfer le doux lait de la concorde, — je bouleverserais la paix universelle, je détruirais — toute unité sur la terre.
Ô Écosse ! Écosse !
— Si un tel homme est fait pour gouverner, parle ; — je suis ce que j’ai dit.
Fait pour gouverner ! — non, pas même pour vivre… Ô nation misérable — sous un usurpateur au sceptre sanglant, — quand reverras-tu tes jours prospères, — puisque l’héritier le plus légitime de ton trône — reste sous l’interdit de sa propre malédiction, — et blasphème son origine !… Ton auguste père — était le plus saint des rois ; la reine qui t’a porté, — plus souvent à genoux que debout, — est morte chaque jour où elle a vécu. Adieu ! — Les vices dont tu t’accuses toi-même — m’ont banni d’Écosse… Ô mon cœur ! — ici finit ton espérance !
Macduff, cette noble émotion, — fille de l’intégrité, a effacé de mon âme — les noirs scrupules et réconcilié mes pensées — avec ta loyauté et ton honneur. Le diabolique Macbeth — a déjà cherché par maintes ruses pareilles à m’attirer — en son pouvoir, et une sage prudence me détourne — d’une précipitation trop crédule. Mais que le Dieu d’en-haut — intervienne seul entre toi et moi ! Car, dès ce moment, — je me remets à ta direction et — je rétracte mes médisances contre moi-même ; j’abjure ici — les noirceurs et les vices que je me suis imputés, — comme étrangers à ma nature. Je suis encore — inconnu à la femme ; je ne me suis jamais parjuré ; — c’est à peine si j’ai convoité ce qui m’appartenait ; — à aucune époque je n’ai violé ma foi ; je ne livrerais pas en traître — un démon à un autre ; j’aime — la vérité non moins que la vie ; mon premier mensonge, — je viens de le faire contre moi-même ; ce que je suis vraiment — est à ta disposition, à celle de mon pauvre pays. — Déjà avant ton arrivée ici, — le vieux Siward, à la tête de dix mille hommes vaillants, — tous réunis sur un même point, allait marcher sur l’Écosse ; — maintenant, nous partirons ensemble. Puisse notre fortune être aussi — bonne que notre cause est juste ! Pourquoi êtes-vous silencieux ?
— Il est bien difficile de concilier immédiatement — d’aussi agréables choses et d’aussi désagréables.
— Bien ; nous reparlerons tout à l’heure… Le roi va-t-il venir, dites-moi ?
— Oui, seigneur ; il y a là un tas de misérables êtres — qui attendent de lui la guérison ; leur maladie défie — les puissants efforts de l’art, mais il n’a qu’à les toucher, — et telle est la vertu sainte dont le ciel a doué sa main, — qu’ils se rétablissent sur-le-champ.
Je vous remercie, docteur.
— De quelle maladie veut-il parler ?
On l’appelle le mal du roi (19). — C’est une opération tout à fait miraculeuse de ce bon prince, — et que souvent, depuis mon séjour en Angleterre, — je lui ai vu faire. Comment il sollicite le ciel, — lui seul le sait au juste. Le fait est que des gens étrangement atteints, — tout enflés et couverts d’ulcères pitoyables avoir, — vrai désespoir de la chirurgie, sont guéris par lui : — il pend autour de leur cou une pièce d’or — qu’il attache avec de pieuses prières ; et l’on dit — qu’il laisse à la dynastie, qui lui succédera — le pouvoir béni de guérir. Outre cette étrange vertu, — il a le céleste don de prophétie ; — et les mille bénédictions suspendues à son trône — le proclament plein de grâce.
Voyez qui vient ici !
— Un de mes compatriotes ; mais je ne le reconnais pas encore.
— Mon cousin toujours charmant, soyez le bienvenu ici.
— Je le reconnais. Dieu de bonté, écarte bien vite — les causes qui nous font étrangers !
Amen, seigneur.
— L’Écosse est-elle encore dans le même état ?
Hélas ! pauvre patrie ! — elle a presque peur de se reconnaître ! Elle ne peut plus — être appelée notre mère, mais notre tombe. Hormis — ce qui n’a pas de conscience, on n’y voit personne sourire : — des soupirs, des gémissements, des cris à déchirer l’air — y sont entendus, mais non remarqués ; le désespoir violent — y semble un délire vulgaire ; la cloche des morts y sonne — sans qu’à peine on demande pour qui ; la vie des hommes de bien — y dure moins longtemps que la fleur de leur chapeau, — elle est finie, avant d’être flétrie.
Ô récit — trop minutieux, et cependant trop vrai !
Quel est le malheur le plus récent ?
— Le malheur vieux d’une heure siffle celui qui en parle ; — chaque minute en enfante un nouveau.
Comment va ma femme ?
— Mais, bien.
Et tous mes enfants ?
Bien aussi.
— Le tyran n’a pas attaqué leur repos ?
— Non ; ils étaient bien en repos quand je les ai quittés.
— Ne soyez pas avare de vos paroles : où en sont les choses ?
— Quand je suis parti pour porter ici les nouvelles — qui n’ont cessé de m’accabler, le bruit courait — que beaucoup de braves gens s’étaient mis en campagne ; — et j’y crois d’autant plus volontiers — que j’ai vu sur pied les forces du tyran. — Le moment de la délivrance est venu ; un regard de vous en Écosse — créerait des soldats, et déciderait nos femmes même à combattre — pour mettre fin à leurs cruelles angoisses.
Qu’elles se consolent ! — Nous partons pour l’Écosse. Sa majesté d’Angleterre — nous a prêté dix mille hommes et le brave Siward ; — pas de plus vieux ni de meilleur soldat que lui — dans la chrétienté.
Plût au ciel que je pusse répondre — à ces consolations par d’autres ! mais j’ai à dire des paroles — qui devraient être hurlées dans un désert — où aucune oreille ne les saisirait.
Qui intéressent-elles ? — la cause générale ? ou ne sont-elles qu’un apanage de douleur — dû à un seul cœur ?
Il n’est pas d’âme honnête — qui ne prenne une part à ce malheur, bien que la plus grande en — revienne à vous seul.
Si elle doit m’échoir, — ne me la retenez pas ; donnez-la-moi vite.
— Que vos oreilles n’aient pas de ma voix une horreur éternelle, — si elle leur transmet les accents les plus accablants — qu’elles aient jamais entendus.
Humph ! je devine !
— Votre château a été surpris ; votre femme et vos enfants — barbarement massacrés. Vous raconter les détails, — ce serait à la curée de ces meurtres — ajouter votre mort.
Ciel miséricordieux ?… — Allons ! mon cher, n’enfoncez point votre chapeau sur vos sourcils ! — Donnez la parole à la douleur : le chagrin qui ne parle pas — murmure au cœur gonflé l’injonction de se briser.
— Mes enfants aussi ?
Femme, enfants, serviteurs, tout — ce qu’ils ont pu trouver.
Et il a fallu que je fusse absent ! — Ma femme tuée aussi ?
J’ai dit.
Prenez courage. — Faisons de notre grande vengeance un remède — qui guérisse cette mortelle douleur.
— Il n’a pas d’enfants !… Tous mes jolis petits ? — Avez-vous dit tous ?… Oh ! infernal milan ! Tous ? — Quoi ! tous mes jolis poussins, et leur mère, — dénichés d’un seul coup !
— Raisonnez la chose comme un homme.
Oui, — mais il faut bien aussi que je la sente en homme. — Je ne puis oublier qu’il a existé des êtres — qui m’étaient si précieux… Le ciel a donc regardé cela — sans prendre leur parti ? Coupable Macduff, — ils ont tous été frappés à cause de toi ! Misérable que je suis, — ce n’est pas leur faute, c’est la mienne, — si le meurtre s’est abattu sur leurs âmes. Que le ciel les repose maintenant !
— Que ceci soit la pierre où votre épée s’aiguise ! Que la douleur — se change en colère ; n’émoussez pas votre cœur, enragez-le !
— Oh ! moi ! me borner à jouer la femme par les yeux — et le bravache par la langue !… Non ! Ciel clément, — coupe court à tout délai ; mets-moi — face à face avec ce démon de l’Écosse, — place-le à la portée de mon épée, et, s’il m’échappe, — ô ciel, pardonne-lui aussi !
Voilà de virils accents. — Allons, rendons-nous près du roi ; nos forces sont prêtes ; — il ne nous manque plus que les adieux. Macbeth — est mûr pour la secousse fatale, et les puissances d’en haut — font mouvoir leurs instruments. Acceptez tout ce qui peut vous consoler. — Elle est longue la nuit qui ne trouve jamais le jour ! —
J’ai veillé deux nuits avec vous ; mais je ne puis rien apercevoir qui confirme votre rapport. Quand s’est-elle ainsi promenée dernièrement ?
Depuis que sa majesté est entrée en campagne. Je l’ai vue se lever de son lit, jeter sur elle sa robe de nuit, ouvrir son cabinet, prendre du papier, le plier, écrire dessus, le lire, ensuite le sceller, et retourner au lit ; tout cela pourtant dans le plus profond sommeil.
Grande perturbation de la nature ! Recevoir à la fois les bienfaits du sommeil et agir comme en état de veille. Dans cette agitation léthargique, outre ses promenades et autres actes effectifs, par moment, que lui avez-vous entendu dire ?
Des choses, monsieur, que je ne veux pas répéter après elle.
Vous pouvez me les redire, à moi ; cela est de stricte convenance.
Ni à vous, ni à personne, puisque je n’ai pas de témoin pour confirmer mes paroles.
Tenez, la voici qui vient ! Justement dans la même tenue ; et, sur ma vie, profondément endormie. Observez-la ; approchez.
Comment s’est-elle procuré cette lumière ?
Ah ! elle l’avait près d’elle ; elle a de la lumière près d’elle continuellement, c’est son ordre…
Vous voyez, ses yeux sont ouverts.
Oui, mais ils sont fermés à la sensation.
Qu’est-ce qu’elle fait là ? Regardez comme elle se frotte les mains.
C’est un geste qui lui est habituel, d’avoir ainsi l’air de se laver les mains. Je l’ai vue continuer à faire cela pendant un quart d’heure.
Il y a toujours une tache.
Écoutez ! elle parle : je vais noter tout ce qui lui échappera, pour fixer plus fermement mon souvenir.
Va-t’en, tache damnée ! va-t’en, dis-je… Une ! deux ! Alors il est temps de faire la chose !… L’enfer est sombre ! … Fi ! monseigneur, fi ! un soldat avoir peur !… À quoi bon redouter qu’on le sache, quand nul ne pourra demander de comptes à notre autorité ? Pourtant qui aurait cru que le vieux homme eût en lui tant de sang ?
Remarquez-vous cela ?
Le thane de Fife avait une femme ; où est-elle à présent ? … Quoi ! ces mains-là ne seront donc jamais propres ? … Assez, monseigneur, assez ! Vous gâtez tout avec ces frémissements.
Allez ! allez ! vous en savez plus que vous ne devriez !
Elle a parlé plus qu’elle n’aurait dû, je suis sûre de cela. Le ciel sait ce qu’elle sait !
Il y a toujours l’odeur du sang… Tous les parfums d’Arabie ne rendraient pas suave cette petite main ! Oh ! oh ! oh !
Quel soupir ! Le cœur est douloureusement chargé.
Je ne voudrais pas avoir dans mon sein un cœur pareil, pour tous les honneurs rendus à sa personne.
Bien, bien, bien.
Priez Dieu que tout soit bien, monsieur.
Cette maladie échappe à mon art ; cependant j’ai connu des gens qui se sont promenés dans leur sommeil et qui sont morts saintement dans leur lit.
Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle… Je vous le répète, Banquo est enterré, il ne peut pas sortir de sa tombe.
Serait-il vrai ?
Au lit ! au lit ! on frappe à la porte. Venez, venez, venez, venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut être défait : au lit ! au lit ! au lit !
— Ira-t-elle au lit maintenant ?
Tout droit.
— D’horribles murmures ont été proférés… Des actions contre nature — produisent des troubles contre nature. Les consciences infectées — déchargent leurs secrets sur les sourds oreillers. — Elle a plus besoin du prêtre que du médecin. — Dieu, Dieu, pardonne-nous à tous !… Suivez-la. — Éloignez d’elle tout ce qui peut être nuisible, — et ayez toujours les yeux sur elle… Sur ce, bonne nuit, — elle a confondu mon âme et effaré mes regards. — Je pense, mais je n’ose parler.
Bonne nuit, bon docteur.
— Les forces anglaises approchent, conduites par Malcolm, — son oncle Siward, et le brave Macduff. — La vengeance brûle en eux : une cause si chère — entraînerait à la charge sanglante et sinistre — l’homme le plus mortifié.
Nous les rencontrerons sûrement — près de la forêt de Birnam ; c’est par cette route qu’ils arrivent.
— Qui sait si Donalbain est avec son frère ?
— Je suis certain que non, monsieur. J’ai la liste de — tous les gentilshommes ; le fils de Siward en est, — ainsi que beaucoup de jeunes imberbes qui font — aujourd’hui leurs premières preuves de virilité.
Que fait le tyran ?
— Il fortifie solidement le donjon de Dunsinane. — Quelques-uns disent qu’il est fou ; d’autres, qui le haïssent moins, — appellent cela une vaillante furie ; mais ce qui est certain, — c’est qu’il ne peut pas boucler sa cause défaillante — dans le ceinturon de la règle.
C’est maintenant qu’il sent — ses meurtres secrets se coller à ses mains. — À chaque instant des révoltes lui jettent à la face sa foi brisée. — Ceux qu’il commande obéissent seulement au commandement, — nullement à l’affection… Il sent maintenant sa grandeur — s’affaisser autour de lui, comme une robe de géant — sur un voleur nain.
Qui blâmerait — ses sens surmenés de se révolter et de bondir, — quand tout ce qui est en lui se reproche — d’y être ?
Allons ! mettons-nous en marche — pour porter notre obéissance à qui nous la devons. — Allons trouver le médecin de la société malade ; — et, réunis à lui, versons, pour purger notre pays, — toutes les gouttes de notre sang.
Versons-en du moins ce qu’il en faudra — pour arroser la fleur souveraine et noyer la zizanie. — Dirigeons notre marche sur Birnam.
— Ne me transmettez plus de rapports ! … qu’ils désertent tous ! — Jusqu’à ce que la forêt de Birnam se transporte à Dunsinane, — je ne puis être atteint par la crainte. Qu’est-ce que le marmouset Malcolm ? — N’est-il pas né d’une femme ? Les esprits, qui connaissent — toutes les conséquences mortelles, ont prononcé ainsi à mon égard : — « Ne crains rien, Macbeth ; nul homme né d’une femme — n’aura jamais de pouvoir sur toi. » Fuyez donc, thanes traîtres, — et allez vous mêler aux épicuriens anglais. — L’âme par qui je règne et le cœur que je porte — ne seront jamais accablés par le doute ni ébranlés par la peur.
— Que le diable te noircisse de sa damnation, drôle à face de crème ! — Où as-tu pris cet air d’oie ?
— Il y a dix mille…
Oisons, maraud !
soldats, seigneur.
— Va, pique-toi le visage, et farde de rouge ta peur, — marmot au foie de lis ! Quels soldats, chiffon ? — Mort de ton âme ! tes joues de linge — sont conseillères de peur. Quels soldats, face de lait caillé ?
— Les forces anglaises, sauf votre bon plaisir.
— Ôte ta face d’ici !… Seyton !… Le cœur me lève — quand je vois… Seyton ! allons !… Ce grand coup — va m’exalter pour toujours ou me désarçonner tout de suite. — J’ai assez vécu : le printemps de ma vie — est en proie à la sécheresse, aux feuilles jaunes ; — de tout ce qui doit accompagner le vieil âge, — le respect, l’amour, l’obéissance, les troupes d’amis, — je n’ai plus rien à espérer ; ce qui m’attend à la place, ce sont — des malédictions muettes, mais profondes, des hommages de bouche, murmures — que les pauvres cœurs retiendraient volontiers, s’ils l’osaient !… — Seyton !…
— Quel est votre gracieux plaisir ?
Quelles nouvelles encore ?
— Tous les rapports se confirment, monseigneur.
— Je combattrai jusqu’à ce que ma chair tombe hachée de mes os… — Donne-moi mon armure.
Il n’en est pas encore besoin.
Je veux la mettre. — Qu’on lance encore de la cavalerie ; qu’on balaie la contrée d’alentour ; — qu’on pende ceux qui parlent de peur… Donne-moi mon armure… — Comment va votre malade, docteur ?
Elle a moins une maladie, monseigneur, — qu’un trouble causé par d’accablantes visions — qui l’empêchent de reposer.
Guéris-la de cela. — Tu ne peux donc pas traiter un esprit malade, — arracher de la mémoire un chagrin enraciné, — effacer les ennuis inscrits dans le cerveau, — et, grâce à quelque doux antidote d’oubli, — débarrasser le sein gonflé des dangereuses matières — qui pèsent sur le cœur ?
En pareil cas, c’est au malade — à se traiter lui-même.
— Qu’on jette la médecine aux chiens, je ne veux rien d’elle… — Allons, mettez-moi mon armure ; donnez-moi mon bâton de commandement… — Seyton, fais faire une sortie… Docteur, les thanes me désertent… — Allons ! mon cher, dépêchons !… Si tu pouvais, docteur, examiner — l’eau de mon royaume, découvrir sa maladie, — et lui rendre, en le purgeant, sa bonne santé première, — je jetterais tes louanges à tous les échos, — pour qu’ils les répétassent… Ôtez-moi mon armure, vous dis-je… — Quelle rhubarbe, quel séné, quelle drogue purgative — pourrait donc faire évacuer d’ici ces Anglais ? … As-tu ouï parler d’eux ?
— Oui, mon bon seigneur ; les préparatifs de votre majesté — nous ont donné de leurs nouvelles.
Qu’on porte mon armure derrière moi… — Je ne craindrai pas la mort ni la ruine — avant que la forêt de Birnam vienne à Dunsinane…
— Si j’étais une bonne fois élargi de Dunsinane, — il n’est pas de profits qui m’y feraient revenir.
— Cousin, j’espère que le jour n’est pas loin — où nous serons en sûreté dans nos foyers.
Nous n’en doutons nullement.
— Quelle est cette forêt devant nous ?
La forêt de Birnam (21).
— Que chaque soldat coupe une branche d’arbre — et la porte devant lui ; par là nous jetterons l’ombre — sur notre force, et nous mettrons en erreur — les éclaireurs ennemis.
Nous allons le faire.
— Tout ce que nous apprenons, c’est que le tyran tient toujours — dans Dunsinane avec confiance, et attendra — que nous l’y assiégions.
Là est sa suprême espérance ; — car, partout où l’occasion s’en offre, — petits et grands lui font défection. — Il n’a plus à son service que des êtres contraints — dont le cœur même est ailleurs.
Que nos justes censures — attendent l’événement infaillible ; jusque-là déployons — la plus savante bravoure.
Le temps approche — où une décision nécessaire nous fera connaître — notre avoir et notre déficit. — Les conjectures de la pensée reflètent ses espérances incertaines : — mais le dénoûment infaillible, ce sont les coups qui doivent le déterminer. — À cette fin précipitons la guerre.
— Qu’on déploie nos bannières sur les murs extérieurs ; — le cri de garde est toujours : ils viennent ! Notre château est assez fort — pour narguer un siége : qu’ils restent étendus là — jusqu’à ce que la famine et la fièvre les dévorent ! — S’ils n’étaient pas renforcés par ceux qui devraient être des nôtres, — nous aurions pu hardiment aller à eux, barbe contre barbe, — et les faire battre en retraite jusque chez eux… Quel est ce bruit ?
— Ce sont des cris de femme, mon bon seigneur.
— J’ai presque perdu le goût de l’inquiétude. — Il fut un temps où mes sens se seraient glacés — au moindre cri nocturne, où mes cheveux, — à un récit lugubre, se seraient dressés et agités — comme s’ils étaient vivants. Je me suis gorgé d’horreurs. — L’épouvante, familière à mes meurtrières pensées, — ne peut plus me faire tressaillir. Pourquoi ces cris ?
— La reine est morte, monseigneur.
Elle aurait dû mourir plus tard ; — le moment serait toujours venu de dire ce mot-là !… — Demain, puis demain, puis demain — glisse à petits pas de jour en jour — jusqu’à la dernière syllabe du registre des temps : — et tous nos hiers n’ont fait qu’éclairer pour des fous — le chemin de la mort poudreuse. Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! — La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien — qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène — et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire — dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, — et qui ne signifie rien…
— Tu viens pour user de ta langue ; ton conte, vite !
Mon gracieux seigneur, — je voudrais vous rapporter ce que j’affirme avoir vu, — mais je ne sais comment faire.
Eh bien, parlez, monsieur !
— Comme je montais ma garde sur la colline, — j’ai regardé du côté de Birnam, et tout à coup il m’a semblé — que la forêt se mettait en mouvement.
Misérable menteur !
— Que j’endure votre courroux, si cela n’est pas vrai ; — vous pouvez, à trois milles d’ici, la voir qui arrive ; — je le répète, c’est un bois mouvant.
Si ton rapport est faux, — je te ferai pendre vivant au premier arbre, — jusqu’à ce que la faim te racornisse ; s’il est sincère, — je me soucie peu que tu m’en fasses autant. — Je rétracte ma résolution, et je commence — à soupçonner l’équivoque du démon — qui ment en disant vrai. « Ne crains rien jusqu’à ce que la forêt — de Birnam marche sur Dunsinane ! » Et voici que la forêt — marche vers Dunsinane… Aux armes ! aux armes, et sortons ! — Si ce qu’il affirme est réel, — nul moyen de fuir d’ici, ni d’y demeurer. — Je commence à être las du soleil, et je voudrais — que l’empire du monde fût anéanti en ce moment. — Qu’on sonne la cloche d’alarme !… Vent, souffle ! viens, destruction ! — Nous mourrons du moins, le harnais sur le dos.
— Assez près maintenant ! Jetez vos écrans de feuillage, — et montrez-vous comme vous êtes… Vous, digne oncle, — avec mon cousin, votre noble fils, — vous commanderez notre front de bataille ; le digne Macduff et nous, — nous nous chargeons du reste, — conformément à notre plan.
Adieu. — Pour peu que nous rencontrions ce soir les forces du tyran, — je veux être battu, si nous ne savons pas leur tenir tête.
— Faites parler toutes nos trompettes ; donnez-leur tout leur souffle, — à ces bruyants hérauts du sang et de la mort.
Ils m’ont lié à un poteau ; je ne puis pas fuir, — et il faut que je soutienne la lutte comme un ours… Où est celui — qui n’est pas né d’une femme ? C’est lui que — je dois craindre, ou personne.
— Quel est ton nom ?
Tu seras effrayé de l’entendre.
— Non, quand tu t’appellerais d’un nom plus brûlant — que tous ceux de l’enfer.
Mon nom est Macbeth.
— Le diable lui-même ne pourrait prononcer un titre — plus odieux à mon oreille.
Non, ni plus terrible.
— Tu mens, tyran abhorré ! Avec mon épée — je vais te prouver ton mensonge.
Tu étais né d’une femme… — Je souris aux épées, je nargue les armes — brandies par tout homme né d’une femme.
— Le bruit est de ce côté… Tyran, montre ta face ; — si tu n’es pas tué de ma main, — les ombres de ma femme et de mes enfants me hanteront toujours. — Je ne puis pas frapper les misérables Irlandais, dont les bras — sont loués pour porter des bâtons. C’est toi, Macbeth, qu’il me faut ; — sinon, je rentrerai au fourreau, sans en avoir essayé la lame, — mon épée inactive. Tu dois être par là. — Ce grand cliquetis semble annoncer un combattant — du plus grand éclat. Fais-le-moi trouver, fortune, — et je ne demande plus rien.
— Par ici, monseigneur ! Le château s’est rendu sans résistance : — les gens du tyran combattent dans les deux armées ; — les nobles thanes guerroient bravement ; — la journée semble presque se déclarer pour vous, — et il reste peu à faire.
Nous avons rencontré des ennemis — qui frappent à côté de nous.
Entrons dans le château, seigneur.
— Pourquoi jouerais-je le fou romain et me tuerais-je — de ma propre épée ? Tant que je verrai des vivants, ses entailles — feront mieux sur eux.
Tourne-toi, limier d’enfer, tourne-toi.
— De tous les hommes, je n’ai évité que toi seul ; — mais retire-toi, mon âme est déjà trop chargée — du sang des tiens.
Je n’ai pas de paroles, — ma voix est dans mon épée, scélérat ensanglanté de forfaits sans nom !
Tu perds ta peine. — Tu pourrais aussi aisément balafrer de ton épée — l’air impalpable que me faire saigner. — Que ta lame tombe sur des cimiers vulnérables : — j’ai une vie enchantée qui ne peut pas céder — à un être né d’une femme.
N’espère plus dans ce charme. — Que l’ange que tu as toujours servi — t’apprenne que Macduff a été arraché du — ventre de sa mère avant terme.
Maudite soit la langue qui me dit cela ! — car elle vient d’abattre en moi le meilleur de l’homme. — Qu’on ne croie plus désormais ces démons jongleurs — qui équivoquent avec nous par des mots à double sens, — qui tiennent leur promesse pour notre oreille, — et la violent pour notre espérance !… Je ne me battrai pas avec toi.
— Alors, rends-toi, lâche ! — Et vis pour être le spectacle et l’étonnement du siècle. — Nous mettrons ton portrait, comme celui de nos monstres rares, — sur un poteau, et nous écrirons dessous : — « Ici on peut voir le tyran. »
Je ne me rendrai pas. — Pour baiser la terre devant les pas du jeune Malcolm, — ou pour être harcelé par les malédictions de la canaille ! — Bien que la forêt de Birnam soit venue à Dunsinane, — et que tu sois mon adversaire, toi qui n’es pas né d’une femme, — je tenterai la dernière épreuve ; j’étends devant mon corps — mon belliqueux bouclier : frappe, Macduff ; — et damné soit celui qui le premier criera : « Arrête ! assez ! »
— Je voudrais que les amis qui nous manquent fussent ici sains et saufs !
— Il faut bien en perdre. Et pourtant, à voir ceux qui restent, — une si grande journée ne nous a pas coûté cher.
— Macduff nous manque, ainsi que votre noble fils.
— Votre fils, milord, a payé la dette du soldat ; — il n’a vécu que jusqu’à ce qu’il fût un homme ; — à peine sa prouesse lui a-t-elle confirmé ce titre, — au poste immuable où il a combattu, — qu’il est mort comme un homme.
Il est donc mort ?
— Oui, et emporté du champ de bataille. Votre douleur — ne doit pas se mesurer à son mérite, car alors — elle n’aurait pas de fin.
A-t-il reçu ses blessures par devant ?
— Oui, de face.
Eh bien, qu’il soit le soldat de Dieu ! — Eussé-je autant de fils que j’ai de cheveux, — je ne leur souhaiterais pas une plus belle mort. — Et voilà son glas sonné.
Il mérite plus de regrets ; — il les aura de moi.
Il n’en mérite pas plus. — On dit qu’il est bien parti, et qu’il a payé son écot. — Sur ce, que Dieu soit avec lui !… Voici venir une consolation nouvelle.
— Salut, roi ! car tu l’es.
Regarde où se dresse — la tête maudite de l’usurpateur. Notre temps est libre. — Ceux que je vois autour de toi, perles de ta couronne, — répètent mentalement mon salut ; — je leur demande de s’écrier tout haut avec moi : — Salut, roi d’Écosse !
Salut, roi d’Écosse !
— Nous ne ferons pas une large dépense de temps — avant de compter avec tous vos dévouements — et de nous acquitter envers vous. Thanes et cousins, — dès aujourd’hui soyez comtes ; les premiers que jamais l’Écosse — ait désignés par ce titre. Tout ce qui reste à faire — pour replanter à nouveau notre société : — rappeler nos amis exilés qui ont fui — à l’étranger les piéges d’une tyrannie soupçonneuse ; — dénoncer les ministres cruels — du boucher qui vient de mourir, et de son infernale reine — qui s’est, dit-on, violemment ôté la vie — de ses propres mains ; enfin, tous les actes urgents — qui nous réclament, nous les accomplirons, — avec la grâce de Dieu, dans la mesure, le temps et le lieu voulus. — Sur ce, merci à tous et à chacun. — Nous vous invitons à venir à Scone voir notre couronnement.
(1 ↑) Cette indication du lieu où se rencontrent les trois sorcières ne se trouve pas dans le texte primitif. Disons ici, une fois pour toutes, que l’endroit où l’action dramatique a lieu n’est jamais indiqué dans les éditions originales des pièces de Shakespeare. Dans les éditions faites du vivant de l’auteur, la division par scènes et par actes n’est pas indiquée. Ce ne fut qu’après la mort de Shakespeare qu’on s’avisa de faire au texte primitif toutes ces additions que renferment aujourd’hui les éditions modernes. Les comédiens Héminge et Condell, qui publièrent, en 1623, sept ans après la mort du poëte, la première édition in-folio du théâtre de Shakespeare, prirent sur eux de soumettre la plupart des pièces à la division classique en cinq actes. Mais cette innovation ne leur suffit pas ; ils allèrent jusqu’à modifier les paroles mêmes des personnages, et jusqu’à supprimer des passages entiers qui, sans doute, leur paraissaient trop longs. La division en actes et en scènes, imaginée par Héminge et Condell, fut adoptée aveuglément par tous les éditeurs modernes, qui ajoutèrent, en outre, de leur autorité privée, les indications des lieux où l’action se passe. — Pour donner plus de clarté à l’œuvre que nous traduisons, nous avons accepté dans notre édition la division par scènes faite par Héminge et Condell, tout en rejetant la division par actes qui, sans aucun avantage, a l’immense inconvénient de scinder arbitrairement l’action. Quant aux indications de lieux, faites par les éditeurs modernes, nous les avons acceptées lorsqu’elles étaient d’accord soit avec les paroles même des personnages, soit avec la tradition historique, soit avec la vraisemblance ; mais nous les avons mises entre parenthèses, pour montrer qu’elles ne font pas partie du texte original.
(2 ↑) Graymalkin est un chat ; Paddock, un crapaud.
(3 ↑) Cette désignation : un camp près de Fores, a été imaginée par les commentateurs, qui se sont autorisés de cette question adressée par Banquo à Macbeth dans la scène suivante : À quelle distance sommes-nous de Fores ? Fores est une petite ville située au nord de l’Écosse, au bord de l’Océan, en avant de la rivière Findhorn. L’armée de Duncan s’était établie au sud de la ville, de façon à arrêter la marche des rebelles sur les résidences royales du Nord.
(4 ↑) Ce sont les noms de peuplades irlandaises. Les kernes étaient des fantassins équipés à la légère, portant une cotte de mailles et ayant pour toute arme une hache particulière. Les gallowglasses étaient des troupes de réserve armées pesamment.
(5 ↑) L’Île de St-Colomban (en écossais, St-Colmes’inch), est située sur la côte de Fife, au-dessus du golfe d’Édimbourg.
(6 ↑) Une superstition populaire désigne la bruyère de Harmuir, sur la limite des comtés d’Elgin et de Nairn, comme le lieu où les sorcières ont apparu à Macbeth. Cette plaine est traversée par la grande route qui mène de Fores à Nairn. Il serait difficile de trouver dans toute l’Écosse un endroit plus désolé. Pas d’arbre, pas d’arbrisseau, pour reposer le regard ; çà et là quelques marécages ; rien qu’une végétation aride, des ajoncs, des genêts, des bruyères. Des dunes de sable et la ligne bleue de la mer, au delà de laquelle on aperçoit les montagnes de Ross et de Caithness, la bornent au nord ; à l’ouest, on distingue, au-dessus de quelques arbres, les ruines d’un château ; au sud, une forêt de sapins. Certes, la nature ne pouvait indiquer à Shakespeare une mise en scène plus sinistre.
(7 ↑) Glamis-castle, à cinq milles de Forfar, est un des quatre ou cinq endroits où les chroniques écossaises placent le meurtre de Duncan. Avant 1372, il y avait là un petit château, haut de deux étages, d’où l’on apercevait, d’un côté, les hauteurs de Dunsinane, de l’autre, la forêt de Birnam que Shakespeare fait marcher à la fin de son drame. C’est dans ce petit château que la tradition veut que Macbeth ait résidé quelque temps avant sa chute. Au quinzième siècle, la vieille construction a été agrandie considérablement et est devenue une colossale forteresse, dont les tours ont plus de cent pieds de hauteur, dont les murailles ont quinze pieds d’épaisseur, et qui contient plus de cent salles. On a conservé dans cette forteresse un lit où l’on prétend que Duncan a été assassiné.
(8 ↑) Le château de Cawdor est situé au nord de l’Écosse, à six milles de Nairn, sur une éminence d’où il domine une grande partie du cours de la Calder. Cet édifice, commencé par l’architecture romane, a été achevé par l’architecture gothique ; le donjon, flanqué aux quatre coins de quatre tourelles, est du quatorzième siècle. Le château de Cawdor dispute au château de Glamis la triste gloire d’avoir vu tuer Duncan. On y montre un lambeau de la cotte de mailles de ce roi, la chambre même où il a été assassiné, et un réduit où se cacha son valet pendant que le meurtre était commis. La légende raconte que le premier seigneur de Cawdor, ne sachant pas au juste quel emplacement choisir pour y jeter les fondements de son château, chargea un âne de tout l’or qu’il destinait à sa construction, et suivit la bête, avec la résolution de bâtir l’édifice à l’endroit où elle s’arrêterait. L’âne s’arrêta devant une aubépine, au milieu d’une forêt. C’est là que le château a été construit, et l’on montre encore dans une de ses salles basses un petit pilier de bois qui fut, dit-on, la tige de cette aubépine.
(9 ↑) Une chronique écossaise raconte que c’est à Fores, en effet, que Macbeth plia le genou, après sa victoire, devant le roi qu’il allait assassiner. — On voit à l’ouest de la ville, sur une hauteur qui commande la rivière, les ruines d’un château qui servit, dit-on, de résidence à Duncan et ensuite à Macbeth.
(10 ↑) Boèce, qui écrivit en latin l’histoire d’Écosse, raconte que le château de Macbeth, où Duncan fut tué, est celui qui se trouve au sud-est de la ville d’Inverness. Il y avait, effectivement, du temps de Boèce, à l’endroit qu’il indiquait, un château qui fut démantelé pendant la guerre civile de 1745, et dont le docteur Johnson visita les ruines en 1773, en compagnie du commentateur Boswell. Les deux voyageurs crurent de bonne foi visiter le château même dont Duncan trouvait la position si charmante. Ils ignoraient, sans doute, que la forteresse qui vit le meurtre de Duncan fut rasée par son fils Malcolm ; ils ignoraient, en outre, que tous les monuments bâtis du temps de Macbeth étaient en bois et non en pierre. Ce qui, par parenthèse, donne un démenti à la tradition qui veut que Duncan ait péri, soit dans le château de Cawdor, soit dans celui de Glamis.
(11 ↑) On trouve cet adage dans les Proverbes de Heywood :
The cat would eat fish and would not wet her feet.
« Le chat voudrait bien manger du poisson, mais il craint de se mouiller les pattes. »
Ce qui est une traduction du vers latin :
Catus amat pisces, sed non vult tingere plantas.
(12 ↑) Cette potion du soir était une boisson qu’on prenait avant de se coucher, et qui était faite de lait et de vin.
(13 ↑) Il n’existe aucune indication précise sur la mise en scène de ce passage capital. Au moment où Macbeth crie : Qui est là ? le texte original le représente comme pénétrant sur la scène. Enter Macbeth, entre Macbeth : voilà ce que dit le texte. Les éditeurs modernes ont substitué à ces mots : Enter Macbeth, les mots Macbeth within, qui veulent dire : Macbeth derrière le théâtre. Le texte, après avoir dit : Enter Macbeth, répète encore quelques lignes plus bas : Enter Macbeth, sans indiquer qu’il soit sorti préalablement. Ne pouvant expliquer comment Macbeth pouvait ainsi entrer deux fois de suite sans être sorti dans l’intervalle, les éditeurs modernes ont cru que la première entrée était une indication erronée, et ont supposé que Macbeth prononçait à la cantonade ces mots : Qui est là ? — Nous croyons, avec Tieck, que les éditeurs modernes, lorsqu’ils ont fait cette altération, ne se sont pas rendu compte de la manière dont était disposé le théâtre de Shakespeare.
La scène où était joué le drame que nous traduisons était partagée en deux étages : la scène proprement dite formait le premier étage, et une plateforme, supportée par des colonnes et entourée d’un balcon, formait le second étage. Il est donc infiniment probable que Shakespeare supposait l’appartement de Duncan au second étage. En se rendant dans cet appartement, Macbeth montait du premier étage au second, et, avant d’entrer dans la chambre royale, il traversait le balcon au fond du théâtre. C’est cette apparition que mentionne sans doute le texte original, lorsqu’il dit pour la première fois : Entre Macbeth. — En passant sur ce balcon, Macbeth entendait du bruit au-dessous, dans la cour, que la scène, proprement dite était censée représenter, et il s’écriait : Qui est là ? holà ! — Puis après s’être assuré que c’était une fausse alerte, il disparaissait pour entrer dans l’appartement du roi, assassinait Duncan, et descendait ensuite pour aller retrouver sa femme dans la cour. — Cette explication, donnée par Tieck, nous a paru fort plausible, et nous l’avons adoptée, d’abord, parce qu’elle nous semblait parfaitement logique, et ensuite, parce qu’elle nous permettait de rester scrupuleusement fidèle au texte original.
(14 ↑) La ville de Scone, qu’on suppose avoir été jadis la capitale du royaume des Pictes, est à deux milles de Perth. C’est dans l’église de cette ville qu’était le fameux fauteuil qui servit longtemps au couronnement des rois d’Écosse et qui fut transporté à l’abbaye de Westminster par Édouard Ier. On voit encore, incrustée dans le fauteuil, la pierre qui servait, dit-on, d’oreiller à Jacob, lorsqu’il vit en rêve l’échelle des anges.
(15 ↑) Colmes kill (en anglais St Columban’s cell, la grotte de Saint-Colomban), est dans la petite île d’Iona, sur la côte occidentale du duché d’Argyle. Le cimetière, de la cathédrale d’Iona contient quarante-huit tombes de rois écossais, irlandais et norwégiens, parmi lesquelles se trouvent, dit-on, les tombeaux de Duncan et de Macbeth.
(16 ↑) Fléance se réfugia dans le pays de Galles, et il fut si bien reçu par la fille du roi de ce pays, que celle-ci, dit la chronique d’Holinshed, consentit par courtoisie à se laisser faire un enfant par lui. Cet enfant, qui fut nommé Walter, devint plus tard le grand sénéchal du roi d’Écosse, avec le titre de lord steward (d’où est venu le nom de Stuart), et fut le père d’une nombreuse postérité. Un de ses arrière-petits-fils épousa la fille de Robert Bruce, et en eut à son tour un fils qui fut roi d’Écosse sous le nom de Robert II — C’est ainsi que l’illustre maison de Stuart dut son origine aux complaisances d’une princesse hospitalière pour un proscrit.
(17 ↑) C’est en 1778 que fut publiée pour la première fois une pièce de Middleton, la Sorcière, où fut retrouvée tout entière la chanson dont on lit ici les deux premiers mots. Dans la pièce de Middleton, comme dans Macbeth, cette chanson est chantée par des sorcières qui dansent en rond autour d’un chaudron.
Noirs esprits et esprits blancs, rouges esprits et esprits gris,
Mêlez, mêlez, mêlez, vous qui pouvez mêler.
Titty, Tiffin, épaississez la soupe ;
Firedrake, Puckey, faites-la propice ;
Liard, Robin, trémoussez-vous dedans.
En rond ! en rond ! en rond ! autour ! autour !
Que tout mal accoure dedans et tout bien s’en éloigne !
Voici le sang d’une chauve-souris.
Mets-le ! oh ! mets-le !
Voici l’écume d’un léopard.
Mets-la aussi.
Le jus d’un crapaud, l’huile d’une couleuvre.
Cela rendra plus fou notre jouvenceau.
En rond ! en rond ! en rond !
C’est dans la Sorcière de Middleton qu’on a découvert toute une autre chanson, dont les premiers mots sont dans la scène xiv de Macbeth, et qui commence par ces paroles : Venez, venez ! — Nous traduisons la scène où cette chanson se trouve, et dont Shakespeare s’est évidemment inspiré.
La lune est une vaillante. Vois avec quelle rapidité elle chevauche !
Voici une riche soirée.
Oui, toute propice, mes filles, pour faire un voyage de cinq mille milles.
Notre voyage sera plus long que cela cette nuit.
Oh ! ce sera délicieux. Avez-vous déjà entendu le hibou ?
Un instant, dans le taillis que nous avons traversé.
Alors il est grand temps de partir.
Une chauve-souris s’est pendue trois fois à mes lèvres, quand nous traversions le bois, et y a bu tout son soûl. Le vieux Puckle l’a vue.
Vous avez toujours du bonheur. La chouette elle-même vient s’abattre sur votre épaule et vous becqueter comme un pigeon. Êtes-vous équipées ? Avez-vous vos onguents ?
Tous.
Alors, préparez-vous à vous envoler. Je vous rattraperai rapidement.
Alors, hâtez-vous, Hécate : nous serons en l’air bientôt.
Je vous rejoindrai vite.
Ah ! Pierredefeu, notre suave fils !
Un peu plus suave que plusieurs d’entre vous ; il en est pour qui le fumier serait trop bon.
Combien d’oiseaux as-tu ?
Dix-neuf, et tous magnifiquement gras ; et, en outre, six lézards et trois œufs de serpent.
Cher et suave fils !… va vite chez nous avec tout cela. Veille bien sur la maison cette nuit ; car je vais en l’air.
En l’air ! Puisses-tu te casser le cou, que j’hérite de toi plus vite.
— Écoutez, écoutez, mère ! Elles sont déjà au-dessus du clocher, planant au-dessus de votre tête avec un bruit de musiciens.
Oui, vraiment ; aide-moi ! aide-moi ! Autrement je serais trop en retard.
Viens ! viens !
Hécate ! Hécate ! viens !
Je viens, je viens, je viens, je viens,
Aussi vite que je puis,
Aussi vite que je puis.
Où est Stadlin ?
Ici.
Où est Puckle ?
Ici.
Et Hoppo aussi ! et Hellwain aussi !
Il ne nous manque plus que vous ! que vous !
Venez ! complétez la troupe !
Je veux seulement m’oindre et puis je monte.
Un de nous est descendu pour chercher son dû.
Un baiser ! une gorgée de sang !
Pourquoi restes-tu si longtemps ? pourquoi ? pourquoi ?
Quand l’air est si doux et si bon !
Oh ! te voilà !
Quelle nouvelle ? quelle nouvelle ?
Tout va pour nos délices.
Viens ! sinon,
Refusée ! refusée !
Maintenant je suis équipée pour l’essor.
Écoutez ! écoutez ! Le chat chante dans sa langue
Une belle note en fausset !
Maintenant, je pars, je vole !
Malkin, mon doux esprit, et moi.
Oh ! quel plaisir friand c’est
De chevaucher dans l’air,
Quand la lune resplendit,
De chanter, de danser, de jouer, de se baiser !
Au-dessus des bois, des hauts rocs, des montagnes,
Des mers, des sources de notre maîtresse,
Des tours à pic et des tourelles,
Nous volons la nuit par troupes d’esprits !
Nous n’entendons plus le son des cloches,
Ni le hurlement des loups, ni le cri des limiers !
Non, le cri de la lame qui se brise,
Ni le rugissement du canon,
Ne peuvent atteindre notre hauteur !
(18 ↑) Sur la côte du Fifeshire, à environ trois milles de Dysart, on voit encore les tours quadrangulaires d’un château qu’on suppose avoir été celui de Macduff.
(19 ↑) Tout ce passage paraît avoir été inspiré par ce que dit Holinshed d’Édouard le Confesseur. « Il avait le don de prophétie, et aussi le don de guérir les infirmités et les maladies. Il avait coutume de soulager ceux qui étaient tourmentés par ce qu’on appelait le mal du roi, et il laissa cette vertu, comme une portion de son héritage, à ses successeurs les rois de son royaume. » Les rois de France avaient aussi, comme on sait, le don de guérir les écrouelles. Le ciel n’a pas voulu faire de jaloux.
(20 ↑) On ne sait pas au juste sur quelle montagne de la chaîne de Dunsinane, dans le comté de Perth, était le château de Macbeth. Derrière une maison de plaisance moderne, appelée Dunsinane House, est une verte colline, au sommet de laquelle sont épars les débris d’une forteresse de pierre qu’on suppose avoir été la dernière résidence du tyran. — La distance entre la chaîne de Dunsinane et les hauteurs de Birnam est de quatre lieues. Il faut donc que la sentinelle de Macbeth ait eu de bons yeux pour apercevoir de si loin les premiers mouvements de la forêt en marche.
(21 ↑) Birnam Hill est à environ un mille de Drunkeld ; c’est une montagne haute de 1,040 pieds, au sommet de laquelle on retrouve les traces d’un ancien fort appelé la Cour de Duncan. On y montre encore deux vieux arbres qui sont, assure-t-on, l’unique débris de l’immense forêt qui vainquit Macbeth.
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