Madame, mère du Régent/01

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Madame, mère du Régent
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 766-803).
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MADAME [1]
MÈRE DU RÉGENT

SA FAMILLE. — L’ALLEMAGNE APRÈS LA GUERRE DE TRENTE ANS. — ENFANCE ET PREMIÈRE JEUNESSE

Madame, Duchesse d’Orléans et mère du Régent, passait sa vie à écrire des lettres : à ceux de ses parens qu’elle connaissait et à beaucoup d’autres qu’elle n’avait jamais vus ; à ses amis, ses familiers, ses gens d’affaires et, suivant son expression, « tout ce qui se présentait. » Dans sa jeunesse, elle s’était partagée entre son encrier et les plaisirs, ou les corvées, de la cour de France. Avec les années, la correspondance lui dévora ses heures l’une après l’autre, et elle en vint à écrire jusqu’à dix ou douze lettres par jour, ayant chacune jusqu’à vingt ou trente pages d’un immense papier à la mode du temps. Il en partait pour l’étranger par tous les courriers et toutes les occasions sûres. Pour les courtes distances, comme de Versailles ou de Saint-Cloud à Paris, il en partait du matin au soir, portées par deux ou trois jeunes pages dont c’était l’unique occupation. Ces innombrables paquets allaient apprendre à la France et à l’Europe, avec force détails et répétitions, de quoi Son Altesse royale avait ri ou pleuré ce jour-là. Quelquefois, on y lisait aussi comment allaient les affaires du roi de France dans l’opinion de sa belle-sœur.

C’est par milliers que ses larges feuillets, couverts de son écriture décidée, se retrouvent aujourd’hui dans les archives publiques ou privées des différens pays. Nous n’en connaissons en France que des miettes ; mais les Allemands sont mieux pourvus. Plusieurs des grandes correspondances de Madame, celles qui ne chôment jamais et où elle dit « tout ce qui lui passe par la tête, » se trouvaient naturellement dans son pays d’origine, où elle avait sa famille et ses amitiés d’enfance. Il ne pouvait être question de les imprimer en entier ; les redites continuelles et le flot des bavardages auraient rebuté le lecteur. D’un autre côté, rien de ce qui touche la mère du Régent n’est indifférent à ses compatriotes, parce qu’elle leur fait honneur, étant une figure originale, et aussi, — ils ne s’en cachent point, — à cause de l’âpreté de ses jugemens sur la France et les Français. Ses éditeurs allemands lui ont donc fait la part belle. Ils ont tiré des lettres mises à leur disposition par des propriétaires généreux tout ce qui renseignait sur la vie de leur princesse, sur ses entours, ses joies et ses peines, ses idées, ses passions, ses haines vigoureuses et fidèles. À l’heure présente, malgré leurs larges coupures[2], malgré ce qui dort encore dans des cartons ignorés ou inaccessibles, il n’y a peut-être pas un autre personnage historique sur lequel il reste aussi peu à apprendre que sur Madame[3].

L’heure est donc venue de retracer la carrière de l’Allemande la plus allemande, et la plus rebelle aux influences étrangères, qui ait jamais existé. L’un de ses éditeurs, le grand historien Léopold Ranke, écrivait à ce propos dans sa préface : « L’incompatibilité d’alors, entre la nature des Allemands et celle des Français, ne s’est exprimée nulle part d’une façon aussi caractéristique que dans ses lettres[4]. » J’ai bien peur que le mot « d’alors, » qui met les choses au passé, ne soit de trop, plus encore du côté des Allemands que du nôtre. Madame nous aidera peut-être à y voir clair, et à démêler si l’incompatibilité relevée par Ranke était accidentelle et passagère, ou s’il faut en prendre son parti. Entre peuples, il est toujours utile de savoir jusqu’à quel point on est insupportable l’un à l’autre.

Nous raconterons aujourd’hui la jeunesse de Madame jusqu’à son mariage. On entreverra chemin faisant les dangers auxquels toute rupture violente de la tradition expose une civilisation. La Réforme avait détruit dans une grande partie de l’Allemagne l’autorité de l’Église romaine, dont la forte hiérarchie était l’ossature de cette vaste région sans unité politique. Cette grosse révolution entraîna un bouleversement général des idées et des relations politiques, auquel ne survécurent ni l’autorité de l’empereur, ni le principe mystique du Saint-Empire. Survint la guerre de Trente Ans, qui fit table rase de tout sur d’immenses étendues de territoire, et la rupture fut complète avec le passé : un monde nouveau était à créer. L’embarras qui en résulta est visible dans la famille de Madame, On y rencontre des gens qui ne savent plus où ils en sont avec la religion et la morale, ni quels sont leurs droits et les limites de leurs droits. En les voyant si désorientés, si éloignés d’avoir repris leur assiette, on se rend compte de ce qu’il en coûta d’efforts à l’Allemagne en général pour se ressaisir, après qu’un si grand nombre de ses enfans eurent brisé avec la tradition sur laquelle le pays avait vécu pendant le moyen âge.


I

Elisabeth-Charlotte, « comtesse palatine du Rhin, duchesse de Bavière[5] » et, plus tard, duchesse d’Orléans, était fille et petite-fille de deux électeurs palatins. Son grand-père, Frédéric V, était ce prince malencontreux, roi éphémère de Bohême, qui détermina l’explosion de la guerre de Trente Ans par sa politique d’étourneau, et mourut en exil (1632), pauvre et délaissé. Son père, Charles-Louis, avait recouvré le Bas-Palatinat à la paix de Westphalie et avait trouvé Heidelberg, sa capitale, à demi ruiné. Les campagnes étaient retombées en friche, la plupart des villages avaient disparu et la population était presque anéantie ; on comptait sur les doigts les paysans échappés aux massacres, aux pestes et aux famines effroyables qui les avaient réduits à manger les charognes d’animaux, faute de charognes, les pendus des nombreux gibets, faute de pendus, les cadavres déterrés dans les cimetières, et enfin, lorsque tout manquait, l’enfant expiré dans leurs bras ou le voisin assommé par surprise. Le cannibalisme était entré dans les mœurs avec une facilité déconcertante. L’historien allemand Ludwig Hausser[6], auquel nous empruntons ces détails, parle avec horreur du monstrueux sang-froid, et du tour de main, avec lesquels on mettait les gens de sa famille en sauce et ses propres enfans dans le saloir. Il y eut dans le Palatinat, vers 1638, des rôtisseries exclusivement alimentées de chair humaine, et de chair fraîche.

Dans les campagnes, les rares survivans de ces temps d’épouvante étaient revenus à la sauvagerie ; ils habitaient des huttes, et étaient dangereux pour le passant. Quand Charles-Louis, au mois d’octobre 1649, revit ce coin de terre qui avait été le jardin de l’Allemagne, quelques villes avaient seules conservé des débris de l’ancienne civilisation. Telles étaient, il y a moins de trois cents ans, les conséquences d’une guerre prolongée entre nations chrétiennes, et le Palatinat n’était pas la seule terre germanique qui en fût là ; l’Allemagne entière avait tant souffert qu’elle achève seulement de s’en remettre. De la fin de, la guerre de Trente ans date pour elle ce recommencement forcé de presque tout qui faisait dire à Michelet en 1842 : « L’Allemagne et la France sont séparées par le temps, en ce que l’Allemagne est bien plus jeune que la France, et que les siècles de l’une ne répondent pas aux siècles de l’autre[7]. » Madame devait s’en apercevoir lors de son mariage, et en souffrir le reste de sa vie.

Non seulement il y avait eu destruction, mais la mémoire des choses disparues s’effaçait déjà. Charles-Louis avait quitté sa patrie tout enfant et y revenait en étranger. Aucune des personnes qu’il interrogea ne put lui dire, quelque incroyable que cela paraisse, comment le pays était administré et gouverné du temps de son père. « On en avait complètement perdu le souvenir, » affirme Hausser ; on n’avait plus « aucune idée de ce qui avait été auparavant. » Plus tard, une fois l’ordre rétabli, ces ténèbres s’éclaircirent, grâce à d’anciens documens découverts çà et là ; mais, sans ces trouvailles, Charles-Louis ne serait jamais parvenu à connaître les revenus et les dépenses de ses États trente ans plus tôt. Il aurait toujours été dans la situation d’un colonisateur qui a tout à créer sur un sol neuf, sans précédens ni points de repère.

Il avait jugé que le plus pressé était d’avoir des sujets. Au nombre des expédiens qu’il employa pour en attirer du dehors figurait l’établissement de la liberté religieuse dans ses États. Charles-Louis était un esprit très libre, en dépit de son éducation calviniste. Sa jeunesse errante et difficile de prétendant besogneux l’avait dressé à considérer toutes les questions, même les spirituelles, au point de vue utilitaire, et il n’admettait pas, pour le moment, que l’unité de foi fût nécessaire au bon gouvernement d’un peuple. Il pensa différemment dès que ses intérêts ne furent plus les mêmes, et nous le verrons pratiquer une autre politique, en compagnie d’autres princes allemands protestans pour qui la religion était aussi une marchandise d’échange ; mais, en attendant de travailler à la réunion des Églises protestantes avec Rome, Charles-Louis ouvrit largement ses frontières à toutes les confessions. Il entreprit de faire vivre en bonne harmonie, au lendemain de la guerre de Trente ans, des réformés, des luthériens, des catholiques, et des schismatiques de dénominations diverses, à qui leurs maîtres naturels avaient rendu l’existence intolérable. Le succès récompensa ce bon exemple ; sans être toujours parfaite, la paix fut suffisante pour que le Palatinat se repeuplât rapidement. C’était le principal.

Le l’établissement des finances était aussi une affaire urgente. Charles-Louis eut le mérite, très grand chez un prince sans le sol, de comprendre que le meilleur moyen de s’enrichir était de demander le moins d’argent possible à un peuple aussi parfaitement ruiné. Il mit des impôts très légers et s’arrangea pour se passer de revenus. L’Électeur palatin vendit son gibier, fit raccommoder ses vieux souliers, comme Corneille, veilla au beurre et à la chandelle, et paya trois florins la dédicace d’un poète. Il était tellement à court d’argent, qu’en 1652, ayant à faire un voyage indispensable, il fut obligé de demander à quelques-unes de ses villes de lui avancer 50 florins sur leurs impôts. Charles-Louis ne laissait pas de tenir son rang avec honneur dans les occasions importantes ; pour rencontrer l’Empereur, ou pour se rendre au Reichstag, il avait sa cour et son train. Rentré chez lui, il se hâtait de congédier les bouches inutiles et de revenir à la bienfaisante parcimonie qui permettait aux vieux habitans de réparer leurs maisons, aux nouveaux venus de s’en bâtir de neuves. Sa persévérance et son dévouement portèrent leurs fruits ; il releva le Palatinat en moins de dix ans.

Il avait pourtant fait la dépense de se marier, et avec une princesse qui ne goûtait ni la vie simple, ni l’économie. Ce fut une sotte affaire pour tous les deux. Charlotte de Hesse-Cassel, qui devint Électrice palatine le 12 février 1650, était une belle amazone aimant le monde et les plaisirs. Elle avait la tête près du bonnet, battait ses gens et faisait des scènes à son mari. Charles-Louis, de son côté, était jaloux et autoritaire ; il n’approuvait ni le cheval ni la chasse pour les femmes ; ni la coquetterie, même innocente ; et il entendait être obéi, quitte à rendre scène pour scène. L’une de ses sœurs, la chère tante Sophie des lettres de Madame, vit les nouveaux mariés peu de temps après les noces, et fut frappée de la singulière lune de miel de ces deux originaux.

La princesse Sophie était intimement liée avec son frère et se proposait d’habiter chez lui. Ses Mémoires racontent gaiement son arrivée chez « M. l’Électeur et Mme l’Électrice. » Un gouverneur de ville frontière avait envoyé au-devant d’elle un antique carrosse « d’une figure qu’on ne saurait imaginer sans l’avoir vue[8], » et dans lequel il n’y avait plus de quoi s’asseoir. « Il était attelé de deux chevaux rétifs, » qui « ne voulurent jamais avancer, » de sorte que la princesse fit la route à pied dans la boue. On s’arrêta pour le dîner « dans une maison sans fenêtres, » et l’on rencontra enfin Charles-Louis et sa femme. Ce fut la fin de l’amusement. À la première occasion, Charlotte prit sa belle-sœur à part pour se plaindre d’avoir été mariée malgré elle à « un vieil jaloux. » Charles-Louis attendait son tour pour se plaindre « de l’humeur de Madame sa femme, » et cela ne les empêchait ni l’un ni l’autre d’être gênans à force de s’embrasser en public : « Malgré les défauts qu’il lui trouva, écrit la princesse Sophie, je vis bien qu’il en était idolâtre, et j’étais souvent honteuse de voir qu’il la baisait devant tout le monde. C’était des embrassades continuelles : je l’ai vue souvent à genoux devant lui et lui devant elle. » Soudain éclatait une scène furieuse, déchaînée le plus souvent par la jalousie de Charles-Louis, et la journée finissait sans qu’aucun des adversaires eût déposé les armes. Puis on se raccommodait. Puis on recommençait.

Un fils, le prince Charles, vint au monde (le 31 mars 1651) parmi ces tempêtes. C’était un enfant doux et maladif. Il fut très malheureux entre ces deux enragés, et en resta déprimé toute sa vie. La princesse qui devait être Madame naquit l’année suivante, le 27 mai 1652. Elisabeth-Charlotte, — Liselotte par abréviation, — était d’une autre trempe que son frère. Turbulente et réjouie, elle faisait le désespoir de sa gouvernante par son indiscipline, et il lui était impossible d’avoir du chagrin longtemps ; elle fondait en larmes, et l’instant d’après éclatait de rire. Avec les parens que le sort lui avait donnés, c’était une heureuse humeur. Les orages glissèrent sur elle sans l’atteindre, et Heidelberg lui laissa plus tard, lorsqu’il fallut le quitter pour la France, le souvenir d’un Paradis terrestre où elle avait eu sa bonne part de ces bonheurs d’enfant qui sont si vifs et qui restent si chers : « Mon Dieu, écrivait-elle de Saint-Cloud en 1717[9], que de fois j’ai mangé des cerises dans la montagne, à cinq heures du matin et avec un gros chiffon de pain ! J’étais alors plus gaie qu’aujourd’hui. »

Manger des cerises sur l’arbre, dans l’air frais du matin, est à peine de la gourmandise ; c’est un plaisir poétique. Mais Madame ne nous cache pas que Liselotte était sur sa bouche, Elle se relevait la nuit en cachette pour se bourrer de friandises volées à l’office. À la vérité, ce n’était pas de ces « choses délicates » et malsaines à la mode de France, « comme le chocolat, le café et le thé ; » c’était « une bonne salade de choux avec du lard[10]. » Une salade de choux allemands, et c’est tout dire, car, répétait Madame avec complaisance, le chou français n’est pas comparable. Le chou allemand a de la saveur, un montant particulier et délicieux ; le chou français est aqueux et fade.

Liselotte, comme presque toutes les petites filles, aurait voulu être un garçon. Madame se le rappelait avec une pointe d’orgueil, de même qu’elle était encore fière, à près de soixante-dix ans, de s’être débarrassée à force de sottises de sa première gouvernante, qui était vieille et ennuyeuse. Un jour que son élève avait failli la tuer en la faisant tomber sur le nez, Mlle de Quaadt avait demandé à s’en aller : « Elle déclara qu’elle ne voulait plus être auprès de moi[11]. »

La grande joie de Liselotte, joie de tous les jours et de toutes les minutes, et qu’elle ne devait jamais connaître à la cour de Louis XIV, était de vivre en liberté, trottant de-ci de-là, et causant avec chacun, noble, bourgeois ou manant. Elle avait acquis à ce manège une parfaite connaissance, dont elle aimait plus tard à faire parade, des choses et des gens de son lieu de naissance. Quelques mois avant sa mort, elle employa plusieurs pages de l’une de ses lettres à prouver qu’elle savait encore par cœur la ville de Heidelberg, ses rues, ses maisons, ses enseignes, ses curiosités ; où habitait le bourreau ; quelle route avait suivie le fameux fantôme qui avait des yeux de feu et que son père, en bon esprit fort, avait fait arrêter. Il se découvrit ainsi que le fantôme était un étudiant français, nommé Beauregard, et qu’il avait eu pour complices d’autres étudians français, dont un futur abbé, le frère de Dangeau.

Ces souvenirs étaient le trésor de Madame, où elle se complaisait à puiser en écrivant. Le chapelet de ses anecdotes sur l’ancienne Liselotte divertissait les siens ; il semblerait puéril au lecteur ordinaire, et l’on peut d’ailleurs en faire tenir tout l’essentiel en quatre lignes : il y avait à Heidelberg, aux approches de 1660, une petite princesse qui jouissait avec une joyeuse insouciance de sa belle santé et des plaisirs de son âge, cependant que ses parens travaillaient à l’envi à détruire leur foyer.

C’était la mère qui avait commencé. Le père décida de la ruine finale par l’une de ces idées extraordinaires qui peignent le désarroi où se trouvaient en Allemagne, vers le milieu du XVIIe siècle, les institutions, les esprits et les mœurs. L’initiative prise dans cette circonstance par Charles-Louis pesa lourdement sur l’avenir des deux enfans nés d’une union malheureuse. Le fils lui dut des soucis qui l’achevèrent, et mourut jeune. La fille devint à charge à son père parce qu’elle était gênante, et ce fut l’une des raisons pour lesquelles il la contraignit à un mariage lointain qui la désespérait. Le récit singulier qu’on va lire est la clef de toute l’histoire de Madame.


II

« L’électeur, rapporte la princesse Sophie, s’était enfin lassé de la méchante humeur de Madame sa femme, qu’il avait mitonnée sept années de suite sans en avoir pu venir à bout. » Il convient d’ajouter que, tout en la « mitonnant, » il ne lui avait jamais ménagé les observations, ni les éclats d’une jalousie dont lui-même reconnaissait l’injustice quand il était de sang-froid. L’Électrice n’étant pas femme à demeurer en reste, les scènes étaient passées en habitude, et Charlotte, la première, avait perdu le goût des raccommodemens. Son mari les aimait ; il lui en voulut. L’opiniâtreté de sa femme à le tenir à distance eut pour première conséquence un petit roman très banal en soi, mais que les caractères des personnages firent tourner au tragi-comique.

Charles-Louis et Charlotte n’étaient pas seuls, la nuit, dans leur chambre. L’Électrice y faisait coucher l’une de ses filles d’honneur. L’étiquette le voulait apparemment, et l’on ne badinait pas avec elle à Heidelberg, non plus, d’ailleurs, qu’à Hanovre, ni à Cassel, ni dans aucun des petits trous où d’obscurs principicules jouaient à tenir une cour avec leurs « domestiques. » La malheureuse que ses fonctions condamnaient à tout voir et tout entendre des nuits de ses maîtres était, en 1657, une jolie blonde nommée Louise de Degenfeld, appartenant à une vieille famille de la noblesse. Elle plut à l’Électeur par sa douceur, qui le reposait des violences de Charlotte. Il lui offrit son cœur et une situation dans une lettre galante et positive ; on possède leur correspondance[12]. Louise ne demandait pas mieux ; mais c’était une personne pieuse, bourrée de principes et de scrupules. Elle posa cette condition baroque que le marché recevrait l’approbation des « théologiens… Sa conscience et son honneur, » disait-elle, ne pouvaient pas être rassurés à moins. Charles-Louis eut beau lui laisser entendre qu’il était résolu, pour des raisons politiques, à ne pas divorcer, et que, par conséquent, elle se butait à l’impossible, rien n’y fit ; Mlle de Degenfeld persistait avec un doux entêtement à exiger tout d’abord « la permission des théologiens. »

Il tenta de la séduire par le détail de la situation offerte, et il en dressa un mémoire où se retrouve son humeur méticuleuse, associée à son perpétuel souci d’épargner les deniers de son peuple. Mlle de Degenfeld dut se tenir pour avertie que l’Électeur Charles-Louis n’augmenterait jamais un impôt pour les beaux yeux d’une maîtresse. Il s’engageait à lui abandonner la jouissance de deux domaines situés proche Heidelberg, et, patiemment, consciencieusement, il énumérait ce qu’ils avaient rapporté, en argent ou en nature, dans une année moyenne. Schwetzingen, dont il est souvent question dans la correspondance de Madame, avait donné 1 083 écus d’Allemagne, 69 muids d’orge et 126 d’avoine ; Wersaw avait donné 284 écus, 36 muids d’orge et 134 d’avoine. Sans compter les autres espèces de grain ; ni « la paille, le bois et d’autres petites choses ; » ni les 800 écus que l’Électeur ajouterait pour l’argent de poche ; ni « les 4 foudres de vin, les 10 pièces de venaison, les 10 cochons et les 10 chevreuils » qu’il enverrait chacun an pour le ménage ; ni ce que rapporteraient certainement en plus les améliorations effectuées dans les métairies.

Sur lesdits revenus, il serait entendu que Mlle de Degenfeld paierait, habillerait et nourrirait « une demoiselle, une femme de chambre, une fille de chambre, une blanchisseuse, un économe, un page, deux laquais. » L’Électeur s’engageait pour sa part à payer, habiller et nourrir les deux gardes et tous les cochers, piqueurs et valets de pied. Il donnait un carrosse et six chevaux, mais leur entretien serait à la charge de Mlle de Degenfeld. Le tout « pour commencer, » et en attendant que la padrona (c’est l’Électrice) eût quitté la place. Sitôt qu’elle serait retournée dans sa famille, chose que Charles-Louis se flattait d’obtenir sous peu, la situation de Mlle de Degenfeld serait « améliorée. » Il déclarait en terminant qu’il admettait les observations et les amendemens ; mais les deux amans n’eurent pas le loisir de discuter son mémoire.

Il arriva qu’une nuit, Charlotte s’éveilla. Elle aperçut son mari parlant de très près à sa fille d’honneur, et s’élança sur eux. Un bruit « épouvantable » fit accourir les dames d’honneur, qui trouvèrent Charles-Louis aux prises avec sa femme : « L’Électeur, écrit la princesse Sophie, avait de la peine à sauver sa maîtresse de ses griffes : elle n’en attrapa que le petit doigt, qu’elle mordit de rage[13]. » Louise confirme la violence de la scène dans une lettre à l’un de ses frères, où elle se montre étonnée, froissée même, de la promptitude de l’Électrice « à soupçonner le mal… Si l’Électeur, ajoute-t-elle, ne m’avait protégée, elle m’aurait tuée[14]. » Et pourquoi ? Les apparences étaient contre eux ; mais que signifient les apparences ?

À ce scandale en succédèrent d’autres, qui accrurent la frayeur et l’affliction de la jeune fille. Son amant commença par l’envoyer à la campagne, en lieu sûr ; après quoi, en vertu de ses prérogatives de prince régnant et en violation des lois civiles ou religieuses, il entreprit de lui créer une sorte de statut personnel qui lui permît de faire figure dans le monde. Ce fut plus difficile que Charles-Louis ne s’y était attendu ; il se heurtait à des résistances imprévues. La façon dont il en triompha dénote chez lui une conception de la puissance souveraine auprès de laquelle l’idée que s’en faisait son grand voisin le roi de France est timide et étriquée.

L’affaire fut engagée par une lettre ouverte[15]où Charles-Louis annonçait au monde que « son épouse légitime, Sa Dilection l’Électrice, s’étant montrée depuis leur mariage… singulièrement fâcheuse, indocile, entêtée, chagrine et revêche, » et s’étant rendue coupable à son égard de malitiosa desertione, il avait pris une seconde épouse, la baronne Louise de Degenfeld, « en vertu de la juridiction qui lui appartenait, comme prince régnant, dans les matières ecclésiastiques et politiques, » et il était résolu à passer le reste de ses jours avec elle, « conjugalement et chrétiennement. » Il disait aussi qu’il avait ses raisons de ne pas divorcer avec l’Électrice, et déclarait que sa conscience était tranquille. — « Donné à Heidelberg, le 6 mars 1657. »

Cette communication fut mal accueillie à Heidelberg, et le pasteur de Louise la prévint qu’il lui refuserait la communion. Elle en fut atterrée, et Charles-Louis extrêmement irrité. Il avait mis le Palatinat au régime des « Églises d’État, » régime engendré en Allemagne par la Réforme, et dont l’essentiel consistait à reconnaître dans le prince régnant de chaque pays « l’autorité supérieure, établie par Dieu[16] » sur les pasteurs et pour le spirituel, de même que sur les fonctionnaires et pour le temporel. Les princes régnans goûtaient infiniment ce système, qui leur livrait leurs sujets âme comprise. Quand Luther et Mélanchton, au siècle précédent, les avaient conviés à « régler, » entre autres affaires, « toutes les questions de foi[17], » les chefs de la Réforme n’avaient évidemment pas mesuré le danger. Les princes n’étaient que trop disposés à se mêler de théologie, et ils trouvèrent si commode, à l’user, si avantageux à leur prospérité terrestre, de réunir en leur personne les deux pouvoirs, le temporel et le spirituel, qu’ils s’empressèrent de transformer une mesure révolutionnaire en institution. Au milieu du XVIIe siècle, une « Eglise d’État, » entendue comme on vient de le voir, était devenue la chose du monde la plus naturelle et la plus ordinaire.

Celle du Palatinat comprenait des calvinistes et des luthériens. Le joug spirituel de l’Électeur s’appesantissait sur les uns et sur les autres, et ce joug n’était pas léger. Charles-Louis avait ses idées en religion, des façons à lui d’interpréter les textes, et il aimait à être écouté : il n’oubliait jamais qu’il était « l’autorité supérieure, » chargée de veiller à la bonne interprétation de la parole de Dieu dans ses États. Il prenait si au sérieux cette branche de ses fonctions de souverain, qu’il s’imposait d’aller le dimanche au sermon pour surveiller ses prédicateurs et les reprendre au besoin. Le discours avait-il été trop long, ou trop « galimatias, » suivant son expression, l’Électeur faisait comparaître l’orateur après le service, et le tançait vertement. Il s’était rendu si redoutable, qu’un pasteur perdit la tête en le voyant entrer et s’embrouilla dans la liturgie.

On se représente la fureur du maître lorsqu’un de ces vermisseaux osa lui signifier un blâme en mettant au ban de l’Eglise luthérienne[18]la « seconde femme » que « Son Altesse sérénissime » s’était donnée en vertu de son autorité souveraine. Il manda le téméraire, et s’efforça de redresser ses idées sur la polygamie : « Je lui ai cité Moïse et les Prophètes, écrivait-il à Louise ;… mais je vois bien qu’on lui a fait peur. » Ce pasteur n’était décidément qu’un « pauvre homme, » comme tous les pasteurs, du reste, et tous les curés, et tous les calotins de toutes les religions : « O Ciel ! s’écriait Charles-Louis avec découragement, où est en Allemagne la bonne foi[19] ? »

Sur ces entrefaites, un livre « tombé du ciel, » et qui avait l’air c écrit pour eux[20], » vint lui remettre en mémoire la conduite tenue au XVIe siècle, dans un cas analogue, par le landgrave Philippe de Hesse. Philippe n’était pas l’homme des demi-mesures et des chemins détournés. Marié, lui aussi, et père de nombreux enfans, il avait conçu le projet hardi d’épouser ses amours dans les formes, et d’être bigame à la face du ciel et de la terre ; arrangement auquel Luther et Mélanchton eurent la triste faiblesse de ne pas refuser leur assentiment, et qui fut exécuté, le 4 mars 1540, devant une assistance de choix, où figurait Mélanchton. Charles-Louis se proposa d’imiter un si bel exemple, mais il n’avait pas l’envergure de son modèle et ne réussit qu’à le parodier ; deux pièces curieuses en font foi.

La première est une « attestation »[21]du « pauvre homme » de pasteur que Son Altesse Électorale et la très noble demoiselle Louise de Degenfeld avaient échangé devant lui, à la vérité par surprise, des sermens constituant « le lien du mariage. » Le certificat se terminait par une humble prière à ceux qui le liraient de ne pas être « trop prompts » à en condamner l’auteur, car Dieu voyait que son cœur était pur. — « Fait à Frankenthal, le 6 janvier 1658. »

L’autre pièce est un acte notarié, passé à Heidelberg, le 25 octobre 1658, devant de nombreux témoins, mais en l’absence de Mlle de Degenfeld, et contenant une série de déclarations de Son Altesse l’Électeur : sur le caractère insupportable et les torts graves de Son Altesse l’Électrice ; sur les raisons, politiques et autres, qui empêchaient Charles-Louis de divorcer ; sur les enseignemens à tirer, en pareille affaire, de l’Écriture sainte et des usages des Églises chrétiennes primitives ; sur les raisons de conscience qui l’avaient poussé à « s’adjoindre » Mlle de Degenfeld et sur les engagemens écrits qui les liaient l’un à l’autre en qualité de « mari et femme. » À la fin de l’acte, le notaire avait eu soin de se mettre à couvert en spécifiant qu’il avait instrumenté sur l’ordre de Son Altesse Électorale[22].

Après cette cérémonie, qui dissipait les dernières équivoques, un appartement fut préparé au château pour la seconde femme du maître. Charles-Louis pressait les travaux : « J’ai déjà fait déloger X (l’Électrice) d’en haut, écrivait-il à Louise, et je lui ai donné la vieille chambre à coucher du bas[23]. » Dans la lettre suivante : « Je serais venu aujourd’hui trouver mon ange, si je n’étais forcé de rester ici pour veiller à ce que tout soit prêt ; dès que j’ai le dos tourné, ils lanternent. Ils m’assurent pourtant que tout sera terminé après-demain… Mon maître d’hôtel pense qu’il vaut mieux que mon trésor ait son cuisinier et sa cuisine à part ; cela ne coûtera pas beaucoup plus cher, ce sera mieux apprêté, et ce sera moins dangereux. » Louise était devenue mère entre le certificat du pasteur et l’acte notarié. L’Électeur Palatin eut ses deux femmes et leurs enfans sous le même toit, et laissa jaser. On ne s’en priva point : — « Je voudrais, disait-il, que les Heidelbergeoises s’occupassent davantage de leur cuisine, et moins de ce qui se passe à la cour. » Mais il était impossible de faire taire les gens.

La vertu d’un petit prince allemand d’il y a plus de deux cents ans n’a aujourd’hui d’importance pour personne. Elle n’en avait déjà que fort peu, de son temps, en dehors de sa petite ville ; mais là, pour ceux qui vivaient avec lui ou dans l’ombre de son château, la bigamie de Charles-Louis avait compliqué bien des choses. On remarque, par exemple, dans sa correspondance, qu’il ne jugeait plus les gens que d’après leur attitude vis-à-vis de Louise ; quiconque prenait le parti de Charlotte, fût-ce un de ses propres enfans, s’attirait le ressentiment de l’amoureux Électeur. Or, c’étaient tous les allans et venans, dans ce château où l’on vivait côte à côte, c’était toute la cour et Liselotte elle-même, qui avaient continuellement à se prononcer, à propos de mille riens, entre la femme légitime et la favorite. Les airs d’homme de bien chers à Charles-Louis ajoutaient au déplaisant de la situation. Il y avait alors en Allemagne beaucoup d’intérieurs princiers infiniment plus dissolus que le sien : c’était le seul, à cette date, où l’on se moquât avec cette ampleur des lois et de la religion. Le roi de France était distancé et pour le spirituel et pour le temporel ; Louis XIV ne s’est jamais érigé en pontife, il faut lui rendre cette justice, et, s’il lui est arrivé trop souvent de se mettre au-dessus des lois, il gardait pourtant une certaine mesure ; il a attendu que la Reine fût morte pour épouser Mme de Maintenon.

La petite Liselotte, tout insouciante qu’elle fût, était condamnée à souffrir d’un milieu aussi insolite. Par bonheur pour elle, la princesse Sophie eut pitié de sa nièce et la tira de cet intérieur irrégulier. Elle n’eut pas affaire à une ingrate. Ce service, immense à la vérité, lui valut d’être pour toujours la grande affection de Madame, sa confidente et sa conseillère de loin comme de près. La sœur de Charles-Louis avait été merveilleusement préparée à ce rôle par son expérience précoce de princesse pauvre, à la recherche d’un établissement.


III

Sophie, comtesse palatine du Rhin, née à la Haye en 1630, était le douzième des treize enfans que Frédéric V, électeur palatin et roi de Bohême, avait eus d’Elisabeth Stuart, fille de Jacques Ier, roi d’Angleterre. Ses parens s’étaient fixés aux Pays-Bas après leurs malheurs, et y avaient vécu d’expédiens. La princesse Sophie n’avait pas connu son père, mais elle avait vu sa mère à la peine, tourmentée par ses créanciers et vendant un bijou pour avoir à dîner. Au milieu de sa misère, la reine déchue tenait une cour où affluaient les Anglais de passage, et à laquelle sa passion pour les animaux donnait une physionomie à part : « La vue de ses guenons et de ses chiens lui était plus agréable que la nôtre, » écrit sa fille[24]. Dans ces conditions, les enfans essaimaient à l’envi dès que leur âge le permettait, et chacun se tirait d’affaire comme il pouvait.

L’aîné des garçons était Charles-Louis[25]. Son l’établissement dans le Palatinat avait été d’un heureux augure pour les siens ; il promettait des jours meilleurs. La reine Elisabeth y compta, et fut vite détrompée. On possède les lettres « piteuses » où la mère implore des secours, et les réponses glaciales où le fils « marchande et gagne du temps[26]. » Si Charles-Louis a fini par servir à la reine Elisabeth une pension de 6 000 thalers, c’est, à coup sûr, qu’il n’a pas pu faire autrement : « Il avait deux femmes à entretenir, » allègue Hausser, l’historien du Palatinat, en manière d’excuse.

Parmi les autres enfans, le prince Rupert vécut en héros de roman d’aventures, devint pirate, acquit une grande réputation d’homme de mer et mourut amiral anglais. Maurice fut aussi pirate et disparut dans un naufrage ; à moins qu’il n’ait été pris par d’autres pirates et vendu à Alger comme esclave, car il existe deux traditions. Edouard passa en France, se convertit au catholicisme et occupa la position peu considérée de mari de la célèbre Anne de Gonzague, dite la Palatine. Philippe s’enfuit de la maison après avoir tué le favori de sa mère, commença une existence agitée et vagabonde et trouva la mort, très jeune encore, au service de la France. La princesse Elisabeth, l’amie de Descartes, qui était fort belle et qui « savait toutes les langues et toutes les sciences[27], » se mit dans le couvent luthérien de Herford, en Westphalie, sous promesse de succéder un jour à l’abbesse. La princesse Louise-Hollandine s’enfuit de la maison maternelle, comme son frère Philippe, se fit catholique, s’en vint en France où sa conversion lui valut une pension d’Anne d’Autriche et l’abbaye de Maubuisson, près Pontoise, et mena joyeuse vie : « L’abbesse de Maubuisson…, écrivait Madame, avait eu tant de bâtards, qu’elle jurait par ce ventre qui a porté quatorze enfans[28]. »

La princesse Sophie tranchait sur cette famille d’aventuriers et de casse-cou par son goût pour la paix et les existences régulières. De sa personne, elle avait grand air, et beaucoup de charme : « J’avais, écrivait-elle dans sa vieillesse, les cheveux d’un brun clair, naturellement bouclés, l’air gai et dégagé, la taille bien faite, mais pas fort grande, le port d’une princesse[29]. » Pleine d’esprit et leste à saisir les ridicules, c’était en même temps la personne du monde la plus raisonnable. Comprenant à merveille qu’elle était difficile à marier, elle avait borné ses désirs à trouver un mari d’un rang passable, qui ne battît point sa femme, comme certain veuf, frère du roi de Suède, qu’on lui avait proposé, et qui fût moins ivrogne qu’un prince de Holstein qui se disait amoureux d’elle : « Pour faire le galant, (il) but un si grand verre de vin à ma santé, qu’il rendit tout, et l’avala une seconde fois pour marquer la passion qu’il avait pour moi[30]. » Un troisième prince, George-Guillaume, duc de Hanovre, l’avait demandée en mariage, un peu malgré lui, et elle l’avait accepté. Il la repassa, sans la consulter, à l’un de ses frères, et elle accepta encore, avec une indifférence méprisante, jointe à la ferme volonté de bien vivre avec son mari, quel qu’il fût. Ce fiancé d’occasion laissa couler le temps sans paraître à Heidelberg, de sorte que la princesse Sophie était toujours fille quand les affaires Degenfeld vinrent lui donner une impatience extrême de quitter le pays. Non pas qu’elle fût choquée d’avoir un frère bigame ; elle ne se scandalisait pas pour si peu ; mais le château n’était plus habitable pour une personne aussi amie de son repos.

Sa patience fut récompensée. Elle raconte dans ses Mémoires l’arrivée de son futur époux, et ajoute ce mot qui la peint : « J’étais bien aise de le trouver aimable parce que j’étais résolue de l’aimer[31]. » Les noces eurent lieu le 18 octobre 1658. Le marié s’appelait Ernest-Auguste, duc sans territoire de Brunswick-Lunebourg. Il était bel homme, et ce n’était pas un mauvais parti : il était coadjuteur du cardinal de Wartemberg, évêque d’Osnabrück, et destiné à lui succéder sur son siège épiscopal. Quelques éclaircissemens sont ici nécessaires.

Il importe de distinguer, dans l’Allemagne de la Réforme, entre les foules obscures qui cherchaient à satisfaire des besoins de conscience, et le groupe éternel des ambitieux ou des avides, qui ne voient jamais dans une révolution, religieuse ou autre, qu’une occasion de se pousser, ou de s’enrichir, aux dépens des vaincus. Parmi les centaines de princes épars dans ce vaste pays, il y en eut assurément qui se firent protestans par conviction. Il y en eut d’autres, non moins assurément, qui ne se seraient jamais convertis sans les tentations que leur offraient les biens d’Eglise pour engraisser leur budget et établir leurs cadets : « L’Eglise d’Allemagne, écrit Janssen, historien catholique, était alors la plus riche de la chrétienté. On a calculé qu’elle possédait presque le tiers de la propriété foncière[32]. » Le même Janssen reconnaît que le clergé germanique s’était fait haïr et mépriser par ses vices. À la faveur du chaos général, les mains s’allongèrent vers les biens d’Église, et l’on vit naître des compromis étranges entre les nouveaux possesseurs et la papauté.

On vit des princes protestans s’emparer d’un évêché, s’en attribuer les revenus, en habiter les palais, en porter le titre, et vivre, après comme devant, en protestans et en laïques. Rome alors, cédant à la force, leur abandonnait ce qu’ils avaient pris, à la condition de ne pas empiéter sur les fonctions spirituelles de l’évêque auquel ils s’étaient substitués : « En permettant à un prince protestant[33]de gérer la souveraineté et le temporel d’un évêché, de nom nier même aux dignités inférieures qui étaient à la nomination de l’évêque, l’Eglise ne pouvait en aucune façon lui permettre de s’ingérer dans le spirituel, et non seulement cet évêque protestant ne pouvait remplir les fonctions épiscopales : prédications, ordinations, confirmations…, mais il n’avait aucun titre, aucun droit à contrôler la manière dont les curés, par exemple, prêchaient et remplissaient les autres devoirs de leur charge… Quant à ce qu’on appelle l’administration spirituelle, le ministère pastoral, ils étaient remplis par des vicaires généraux, catholiques et prêtres, à la nomination du chapitre, » et auxquels le pseudo-évêque abandonnait un peu, le moins possible, de ses revenus.

Ernest-Auguste devait à une clause du traité de Westphalie l’assurance de figurer un jour parmi ces prélats pour rire. Au cours des négociations difficiles qui précédèrent le traité, la maison de Brunswick « avait renoncé pour faciliter la paix à la coadjutorerie de Brème et de trois autres églises[34]. » On lui donna en compensation la coadjutorerie d’Osnabrück ; mais, les princes de cette maison « étant tous hérétiques[35], » tandis que la population, et même le chapitre de la cathédrale, étaient moitié catholiques et moitié protestans, on imagina, pour contenter tout le monde, un « expédient » que Rome qualifia de « pernicieux, » et qu’il est aussi permis de nommer burlesque. Il fut arrêté qu’Osnabrück aurait alternativement « un évêque catholique et un hérétique, » ce dernier pris exclusivement dans la maison de Brunswick ; disposition qui a subsisté jusqu’au XIXe siècle : c’est en 1803 que le dernier des évêques protestans, un duc d’York, oncle de la reine Victoria, mit fin à cette situation bizarre en cédant Osnabrück au Hanovre.

En attendant la mort du cardinal de Wartemberg, Ernest-Auguste habitait avec son frère le duc George-Guillaume, souverain du Hanovre. Ce fut chez lui qu’il mena sa jeune femme. Une correspondance très active[36]s’engagea aussitôt entre cette dernière et Charles-Louis, et il y fut question de Liselotte dès les premières lettres, car, de plus en plus, les choses allaient de travers à Heidelberg. L’Électrice Charlotte se refusait absolument à retourner dans sa famille. Exaspérée et douloureuse, elle s’obstinait à rester là, rêvant d’une réconciliation impossible, et étroitement surveillée par son mari, qui la croyait capable de tout, et non sans raison, dans ses accès de colère. Par une dérision cruelle, la malheureuse continuait à jouer son rôle officiel d’épouse légitime et de souveraine. Elle présidait avec Charles-Louis aux réceptions du château, où ils se donnaient en spectacle au public, n’étant capables ni l’un ni l’autre de se contenir. On prétendit qu’un jour, à un festin en l’honneur d’un hôte princier, l’Électeur avait riposté à une parole mordante par un soufflet vigoureux, qui lit jaillir le sang du nez de l’Électrice[37] ; et, si ce n’est peut-être qu’une légende, peut-être aussi est-ce l’un de ces cas où la légende est plus vraie que l’histoire.

Liselotte prenait le parti de sa mère et faisait grise mine à l’intruse. Le père en voulait à sa fille, et son cœur se détachait d’elle. Longtemps après la mort de Charles-Louis, Madame laissa échapper un jour cet aveu mélancolique : « Je crois certainement que Monsieur mon père m’aimait ; mais je l’aimais plus qu’il ne m’aimait[38]. » C’était la vérité. Les sentimens hostiles témoignés par la petite Liselotte à Mlle de Degenfeld lui avaient aliéné son père, et pour toujours, ainsi qu’on le verra dans la suite. Non que Charles-Louis fût possédé pour sa maîtresse de l’une de ces violentes passions, comparables aux forces de la nature, qui, si elles ne justifient pas tout, expliquent du moins tout. Charles-Louis n’avait pas l’étoffe d’un grand amoureux. C’était pire. Il aimait Louise de Degenfeld comme un homme extrêmement sensuel, et déjà sur le retour, aime une jeune créature qui lui est entièrement asservie. Charlotte, accoutumée à le voir économiser sur tout, lui faisait remarquer que les enfans coûtaient cher à élever, et qu’il serait à souhaiter de ne pas en avoir trop. Louise en eut quatorze à la file, sans une plainte ni une objection, mourut en couches du quatorzième et fut aussitôt remplacée par une « robuste Suissesse, » malgré les soixante ans bien sonnés et les maux peu ragoûtans de « Sa Grâce Électorale. »

Il n’y a rien de poétique dans tout cela ; mais, à défaut d’une passion exaltée pour sa maîtresse, Charles-Louis entretenait les idées orgueilleuses que l’on sait sur son pouvoir temporel et spirituel. Convaincu que sa volonté devait faire loi, en morale comme en religion ou en matière d’impôt, il accusait sa fille de « n’agir envers lui comme elle devait[39]. » Il s’en prenait à la nouvelle gouvernante, Mlle d’Uffeln[40], qui avait bravement refusé son « approbation[41] » à la polygamie officielle, et il allait faire un éclat, c’est-à-dire une sottise, en la chassant, quand la duchesse Sophie[42]le décida à lui confier sa « chère Liselotte, de laquelle, écrivait-elle, j’aurai autant de soin comme si elle était à moi[43]. » L’affaire arrangée, elle en pressa l’exécution : « À Hanovre, le 15 de mai 1659. —… S’il vous plaisait à cette heure de préparer (le voyage) de Liselotte, nos carrosses l’attendront à Münden, le jour qu’il vous plaira de faire qu’elle y arrive, et d’ordonner les chariots pour le bagage qu’il faudra pour cela. » Nous savons par une lettre de Charles-Louis à Mlle de Degenfeld que le départ eut lieu le 9 juin : « Je suis parti aujourd’hui à 4 heures, et Liselotte une heure avant moi. Son chagrin a été vite passé. Après avoir abondamment pleuré avec X (sa mère, l’Électrice Charlotte), dès qu’elle a eu le dos tourné, elle a réclamé ses citrons. »

Après une visite à Cassel, dans sa famille maternelle, l’enfant prit avec Mlle d’Uffeln la route de Hanovre, et sa tante la trouva un jour chez elle en rentrant : — « 20 de juillet 1659. J’ai été reçue ici par la chère Liselotte d’une mine si sérieuse, comme si c’eût été une personne de vingt ans, et je la trouve si éloignée de celle de sa mère, que je n’y trouve rien à corriger que les pleurs que peu de chose exige d’elle, et on ne s’en doit étonner, puisqu’elle en a vu la mode à Cassel dont vous aurez sans doute déjà eu relation. Je viens d’écrire à Charlotte un compliment sur son heureuse arrivée ; je ne sais si la réponse sera d’absinthe ou de miel ; j’ajoute qu’elle la pourra voir ici, si elle va à Cassel… Pour une bonne gouvernante, c’est ce qui est bien rare partout ; si je trouve une meilleure que celle qu’il y a déjà, je vous le manderai ; en attendant,… M. de Madra est installé pour précepteur. »

Il ne semble pas que l’Électrice Charlotte ait usé de la permission de venir voir sa fille à Hanovre. Personne ne l’y encouragea. Elle lui avait écrit une première fois à Cassel, dans les termes les plus tendres, « pour lui montrer que sa pauvre maman pensait toujours à elle[44]. » Liselotte avait répondu, et sa mère l’en avait remerciée, le 4 juillet, par une lettre où se rencontrait cette phrase : « Que Dieu te conserve et te fasse devenir grande et pieuse, afin que tu me sois un jour une consolation, en place du mal qui m’est fait maintenant en t’arrachant à moi. » J’ignore si ces lignes imprudentes passèrent jamais sous les yeux de l’enfant ; en tout cas, elle ne répondit plus. — L’Électrice Charlotte à Mme de Harling : — « (Heidelberg, 15 janvier 1663.) Je ne comprends pas que nous autres, pauvres malheureux, nous soyons ainsi oubliés de vous tous ; j’en veux surtout à Liselotte, qui a laissé deux lettres de moi sans réponse, et qui fait comme si j’étais morte ; Dieu la punira…. » — À la même, du 3 mars : « Ecrivez-moi un mot pour me dire si Liselotte est morte ou vivante. Je ne sais absolument rien d’elle, et elle a beau être ingrate envers moi, mon cœur de mère ne peut pas se détourner entièrement d’elle, »

Ce fut de cette façon dure et sèche que l’Électrice Charlotte fut bannie pour toujours de la vie de sa fille. Elles se revirent ; mais Madame, même mariée et protégée par la distance, témoigna toujours par son attitude qu’elle avait appris à considérer sa mère comme un épouvantail.


IV

Les quatre années passées chez la duchesse Sophie furent pour Liselotte quatre années d’un bonheur sans mélange. Elle avait trouvé à Hanovre un accueil affectueux, joint à un train de vie facile, sinon raffiné, et à une éducation qui lui faisait répéter plus tard qu’elle devait tout ce qu’elle avait de bon à sa tante de Hanovre et à Mlle d’Uffeln. À dire le vrai, cette éducation n’était pas sans défaut ; mais tout valait mieux que l’école de pharisaïsme du château paternel.

La cour de Hanovre n’était pas une école de vertu, et encore moins de belles manières. On y pratiquait assidûment, et avec un débraillé sans vergogne, le culte de la bonne nature. Le duc régnant, George-Guillaume, et tous ses frères[45], aimaient la table et les femmes, et n’avaient garde de s’en priver. Leurs maîtresses ne se comptaient plus. Ernest-Auguste avait interrompu la série en l’honneur de la lune de miel, et sa jeune femme se hâtait d’en profiter, sachant bien que cela ne durerait pas : « J’ai, disait-elle, le miracle de ce siècle, d’aimer mon mari[46]. » Deux mois après son mariage, elle traçait à Charles-Louis le tableau le plus étrange de ses journées, et elle ajoutait : « Je ne lis plus de beaux livres… et les beaux préceptes de Sénèque et d’Epictète sont combattus par ceux de la nature[47]. » Sénèque et Epictète avaient cédé la place à Rabelais. Un jour que son frère lui avait parlé de ses tracas, la duchesse Sophie lui répondit : « Je suis très marrie de voir que vous prenez les choses tant à cœur… On ne vit qu’une fois, pourquoi donc se chagriner tant, quand l’on peut manger, dormir et boire, dormir, boire et manger[48] ? » Elle pratiquait ce qu’elle prêchait. Le jour où elle s’aperçut que son mari désirait la tromper, elle lui facilita gentiment les choses et ne lui en voulut point. On lit dans ses Mémoires : « Le saint nœud du mariage n’avait pas changé l’humeur galante de M. le duc ; il s’ennuya de posséder toujours une même chose…[49]. » Suivent leurs petits arrangemens.

L’amour est de tous les temps. Il n’en est pas de même de la gloutonnerie, et nous avons peine aujourd’hui à nous expliquer la place d’honneur qu’elle occupait au XVIIe siècle dans les plaisirs des hautes classes. Quand la duchesse Sophie écrivait à son frère : « C’est un des plus grands plaisirs que j’ai à présent, de bien manger[50], » elle ne faisait pas allusion à une chère délicate, mais à une chère copieuse. On se crevait de mangeaille au château de Hanovre comme au palais du Louvre, ni plus ni moins ; il n’y avait de différent que la cuisine, et c’est une chose dont l’on ne peut pas plus disputer que des couleurs. Eléonore d’Olbreuse[51]racontait que « son cœur se soulevait » devant les énormes plats de saucisses aux choux rouges, ou de purée d’oignons au gingembre, qui régalaient la duchesse Sophie. Madame en a dit autant des ragoûts servis à la table de Louis XIV. Proportion gardée, le nombre des plats était aussi extravagant ici que là, les dépenses de « la bouche » aussi excessives. On possède le budget de Jean-Frédéric, successeur de George-Guillaume, pour l’année 1678-1679. L’ensemble des dépenses se monte à 285 927 thalers. En voici quelques chapitres[52] :


Habillemens de Son A. Sérénissime 1 010 thalers.
Cadeaux de noces et de baptême 54 —
Aux quêtes (à l’église) 16 —
Chancellerie et cour supérieure (de justice) 625 —
Opéra 3 972 —
Armée 26 475 —
Cuisine 49 365 —

Dans ce dernier chiffre ne sont compris ni la bière et le vin, ni l’entretien du matériel, ni les indemnités aux serviteurs que l’on préférait ne pas nourrir, ni les gages du personnel des cuisines, ni ceux des chasseurs et jardiniers qui approvisionnaient le château de gibier et de légumes. Ces retranchemens faits, « la bouche » absorbait encore un sixième du budget total du Hanovre sous Jean-Frédéric.

La duchesse Sophie, qui avait vu Charles-Louis à l’œuvre, comptant les fagots et pesant le sucre, accusait ses beaux-frères de tolérer le coulage. Elle prétendait que George-Guillaume payait son « quisigner » plus cher « qu’un ministre d’Etat, » et qu’il n’en était pas moins honteusement volé. Elle n’aimait pas qu’on se laissât voler ; elle disait : « On est bien sot de donner dix écus pour un veau quand on le peut avoir pour un[53]. » Pas plus sot que d’acheter dix veaux quand un seul suffirait ; mais l’idée aurait paru du dernier « bourgeois. » Un repas n’était princier qu’à la condition d’être digne de Gargantua.

La cour de Hanovre n’était déjà que trop « bourgeoise » à son gré. La duchesse en avait prévenu son frère en lui demandant sa fille : « Pour être coquette et familière, elle ne l’apprendra point ici, mais pour apprendre la conversation civile avec toute sorte de gens, je n’en réponds pas, si ce n’est que Dieu nous donne un de ces jours une cour à nous, car, pour dire la vérité, il y a peu de grandeur en celle-ci, et il se passe bien des mois qu’on ne voit (que) les domestiques[54]. » La même plainte revient à plusieurs reprises sous sa plume : « L’on vit en bourgeois et… on ne voit quasi personne[55]. » Ailleurs : « Je fais une vie fort solitaire, car je ne vois que mes domestiques[56]. » C’était entendu ; ce n’était pas chez elle qu’il fallait venir pour savoir son monde.

Encore moins pour polir son langage et former son esprit à la délicatesse ; mais, ici, l’entourage n’était plus seul en faute. Le premier coupable était la duchesse Sophie, cette femme supérieure à plusieurs égards, que Leibniz n’appellera pas autrement que « notre grande Électrice, » et dont Madame écrira avec enthousiasme : « Ma tante n’est pas seulement le lustre de sa cour, mais de toutes les cours. Où trouverait-on quelqu’un ayant autant d’intelligence et de vertus[57] ? » Son intelligence et ses vertus ne l’empêchaient malheureusement pas d’être d’une grossièreté qui confond chez une « grande princesse. » Elle adorait les mots sales, les histoires de chaise percée et les obscénités, comme Madame, du reste, sa digne élève pour les goûts orduriers. C’était dans le sang. Charles-Louis trouva un joui plaisant de charger sa fille, — elle n’avait pas seize ans, — de transmettre à la duchesse Sophie une question obscène. L’enfant fit la commission, reçut la réponse, et sa tante trouva aussi l’idée plaisante[58].

Toutes les bienséances étaient également méprisées à la cour de Hanovre. À peine arrivée, la nouvelle duchesse avait profité de l’exemple que lui donnait son mari pour faire son courrier à l’église, pendant le service. Ils ne croyaient à rien ni l’un ni l’autre ; mais la présence au culte était une question d’étiquette, et l’on s’arrangeait pour s’ennuyer le moins possible. Dans les bons jours, on écrivait ses lettres ; dans les mauvais, on avait recours à des occupations moins tranquilles. Le 21 juillet 1660, la duchesse Sophie dut renoncer à finir sa correspondance à cause du tapage : « Nous sommes à l’église, où monsieur mon mari fait tant de bruit à lire une comédie, que je ne saurais (en) dire davantage… » Il serait curieux de savoir ce que pensaient les fidèles, parmi lesquels étaient gens de grande piété, de ces Altesses libertines qui venaient à l’église soi-disant pour les édifier.

Liselotte avait justement grand besoin de prendre des leçons de tenue. Elle ne gardait pas assez son « quant-à-moi[59]. » Sa tante en convenait, quoique très portée à l’admirer en tout : « Liselotte a autant d’esprit qu’une personne de vingt ans en pourrait avoir, et se peut gouverner si joliment que c’est une merveille ; mais il lui en faut faire souvenir à tout moment, autrement, gare le fouet ; car enfin, elle est jeune. » La duchesse Sophie préconisait pour elle les voyages : « Ma chère Liselotte… verrait un peu le monde et comme il faut vivre en princesse. » Toutefois un premier essai, une visite à La Haye chez la grand’mère aux singes et aux chiens, avait abouti à une déception : « Il n’y a personne ici qui ait (le) sens commun pour la conversation ; on ne doit pas choisir ce climat pour aiguiser son esprit, mais bien pour ajuster un peu le corps, à quoi on s’entend plus qu’en Allemagne, et pour apprendre la propreté des meubles et du ménage. »

Un second voyage, dont le but final était de revoir Heidelberg, « ce Parnasse où le savoir et la raison fleurissent, » avait aussi laissé des souvenirs mélangés à la duchesse. Elle s’était retrouvée chez son frère entre l’Électrice Charlotte et Mlle de Degenfeld, et n’y avait pas pris plus de plaisir qu’autrefois : « Je donnais la visite à l’une, rapportent ses Mémoires, et (M. l’Électeur) voulait que je devais aussi voir l’autre, ce qui me fit de la peine. J’avais peur que si je la voyais, qu’on jugerait que j’approuvais… » Elle finit par céder, se flattant d’en être quitte avec une visite, mais elle avait compté sans la ténacité de Charles-Louis : « Je me défendis pourtant ensuite d’un commerce plus grand, parce que l’Électrice en pourrait faire du bruit, et que M. le duc[60]y pourrait peut-être trouver à redire. »

D’autres voyages furent empêchés par les circonstances. Tant et si bien que la princesse Liselotte, née rude et bruyante, n’eut jamais l’occasion de se dégrossir avant de venir en France. Cent ans plus tard, Rousseau aurait salué en elle la femme de la nature, et l’aurait louée de ne pas avoir été corrompue par la civilisation. En attendant Rousseau, c’était plutôt une gêne.

Elle recevait une instruction à la mode du temps, c’est-à-dire sommaire. Il y a deux ou trois siècles, il semble que l’ignorance, d’usage pour les femmes on général, fût de règle pour les princesses. La maison Palatine n’avait jamais digéré la science de la belle Elisabeth, l’amie de Descartes. On y avait remarqué des inconvéniens pour une fille de sa qualité : « Ce grand savoir la rendait un peu distraite, et nous donnait souvent sujet de rire[61]. » Il est plus important pour une princesse de ne pas manquer ses révérences que d’avoir une opinion sur le Discours de la Méthode. Charles-Louis fut consulté sur les leçons de sa fille : « Pour l’étude, je pense que vous n’en voudrez point faire une savante[62] ; » et l’on tomba d’accord de n’y point attacher trop d’importance.

À sept ans, Liselotte avait « appris à lire et écrire l’allemand, ses prières et catéchisme (chose très nécessaire). » Son rang l’obligeait à savoir le français. Elle le parla toute sa vie avec un accent qui se conservait dans son orthographe : Louisse, un jéssuitte, appropation ; mais ses lettres françaises sont d’un tour aisé et naturel, et elle fait beaucoup moins de fautes, en définitive, que la Grande Mademoiselle, ou telle duchesse de la cour de France. Elle prit aussi des leçons d’italien, d’autres leçons, on ne saurait dire de quoi, avec « un poète qui écrivait une très belle main en allemand, » et elle avait un précepteur. Le tout sans suite, à travers mille dérangemens, et, tout de même, avec un succès incontestable, dont l’honneur revient à sa tante. Nous avons dit le mal sur la duchesse Sophie éducatrice : il est juste de ne pas taire le bien. Elle avait infiniment d’esprit, et cela sert toujours ; beaucoup de lecture pour son temps, et de goût pour les belles choses : « J’ai souvent ouï dire à défunt papa, lui écrivait Madame (21 juillet 1697), que personne ne possédait mieux Michel de Montaigne que Votre Dilection. » Elle forma sa nièce à aimer la bonne littérature. Madame lui dut de comprendre de prime abord nos grands écrivains, lorsqu’elle débarqua à Saint-Germain l’air un peu paysan, et de savoir bientôt tous leurs chefs-d’œuvre par cœur. Une éducation qui donne de pareils résultats n’est pas manquée.

Deux années se passèrent dans une grande douceur. Vers la fin de 1661, Ernest-Auguste échangea sa situation précaire de cadet sans apanage contre le bon fromage de Hollande que lui avait ménagé le traité de Westphalie : « M. le Duc reçut la nouvelle que l’évêque d’Osnabrück était… allé en l’autre monde,… et fit préparer toute chose pour faire son entrée solennelle dans son évêché. On trouva que je serais (un) hors-d’œuvre à cette cérémonie ecclésiastique[63]. » Le nouvel évêque et « son esvesquine » s’informèrent avec empressement de ce que rapportait Osnabrück : « Je crois, écrivait la duchesse à son frère, que nous ne serons pas trop mal accommodés, encore que le revenu ordinaire de l’évêque ne soit que 18 ou 20 000 écus par an, car le défunt a eu plus de 40 000 écus par-dessus cela, et je crois qu’on en viendra à un arrangement, pour n’être pas obligé de tondre sur tout, comme le défunt a fait. »

Les ouailles d’Ernest-Auguste firent de bonne grâce la part du feu, et ce fut dans les dispositions les plus riantes que la duchesse Sophie vint prendre possession de la maison de plaisance des évêques d’Osnabrück : « À Iburg, ce 29 de sept. 1662. — Il y a trois jours que je me suis rendue ici de Celle et que je me trouve dans une très jolie maison qui m’a fort charmée à mon arrivée ; tout ce qui peut donner dans la vue y paraît magnifique : vaisselle, meubles, livrées, gardes, hallebardiers… MM. les bourgmestres d’Osnabrück m’ont complimentée, et m’ont fait présent d’une aiguière et bassin d’argent, avec un grand pot et deux tasses d’argent pour mes enfans. Cela ne vaut pas la peine d’en parler auprès des 70 mille rixdalers que tout l’évêché a donnés à Monsieur leur évêque à son entrée… Tout va ici d’un autre air qu’à Hanovre, Dieu merci… »

La joie naïve qui déborde dans cette lettre aide à comprendre un travail souterrain entrepris vers la même époque par Charles-Louis. Il avait entamé une campagne dont l’objet n’était rien moins que de défaire l’œuvre de la Réforme et d’amener l’Eglise protestante à se réunir à l’Eglise catholique. Il n’est pas aisé d’expliquer pourquoi il avait formé ce dessein, qui risquait de lui aliéner les trois quarts de ses sujets. Ce n’était certes point par des raisons de conscience, puisqu’il ne croyait à aucun dogme ; ni par tendresse pour le clergé catholique, qu’il mettait dans le même sac que tous les autres ; l’un de ses propos favoris était que « le monde n’irait jamais bien tant qu’on ne l’aurait pas purgé de trois vermines : la prêtraille, les médecins et les avocats[64]. » Il est très improbable que ce fût pour des motifs d’ordre politique ; les princes protestans trouvaient trop bien leur compte au régime des Eglises d’Etat. Restaient les raisons d’argent, les ressources inépuisables de l’Eglise romaine pour caser les bâtards de grandes maisons ailleurs que dans les camps. Sans prétendre rien affirmer, c’est la seule explication plausible de l’intérêt témoigné par Charles-Louis à la réunion des deux Eglises : il espérait travailler en même temps pour les enfans de Louise de Degenfeld.

Les premières lettres où il soit fait mention de ce projet sont de la duchesse Sophie[65] : « 19 juin 1661… J’ai fait accroire à notre évêque que vous avez lu son livre de sermons qu’il m’a donné, et que vous avez fort admiré sa modération ; il me demande toujours si vous ne poursuivez point le dessein d’unir les deux religions… » Un autre prince avait eu la même inspiration, ou fait le même calcul, et presque au même moment que l’Électeur Palatin : « (Hanovre, 31 octobre 1661)… Il faut que vous sachiez… que le landgrave de Cassel a écrit une grande lettre de chancellerie au duc George-Guillaume, très pieuse, sur ce qu’il veut unir les deux religions, et demande son avis de chrétien. Il l’envoya d’abord à ses conseillers ; je ne sais ce qu’ils auront terminé là-dessus. » Des années de silence suivirent cette communication.

En 1667, on devine que l’affaire n’avance pas en voyant Charles-Louis placer sous une étiquette protestante une fondation imitée de l’Eglise catholique, et qu’il aurait été plus simple de ne pas déguiser. Par parenthèse, il s’agissait cette fois très positivement, et ouvertement, d’avantager les filles de Louise de Degenfeld. Près de Heidelberg se trouvaient les ruines d’un couvent de demoiselles nobles, fondé au moyen âge par un Hohenstaufen. Charles-Louis s’en fit le restaurateur, dans le dessein d’assurer des retraites honorables à ses filles naturelles, mais sa façon de procéder se ressentit du gâchis général des idées. Il peupla le nouveau couvent de calvinistes, et lui donna une règle empruntée à un ordre catholique et comprenant, entre autres, « un vœu de célibat[66]. » C’était un assortiment absurde. Il y avait disconvenance entre la règle et le personnel. Le vœu de célibat parut inadmissible à des protestantes ; il fallut le supprimer. Il en fut de même de la défense de laisser entrer des hommes. Puis ce fut autre chose, et, finalement, le couvent disparut à une époque de troubles et de catastrophes.

Nous retrouverons sur notre chemin le projet de réunion des deux Églises. Pour l’instant, des événemens d’un autre genre nous appellent au château de Heidelberg. La situation y avait changé de face alors qu’on n’y comptait presque plus. Au printemps de 1663, l’Électrice Charlotte, à bout de courage, s’était décidée à retourner dans son pays, et Charles-Louis en avait profité pour faire revenir Liselotte. Il y avait déjà deux ans qu’il souhaitait de la reprendre. La cour de Hanovre ne lui disait décidément rien qui vaille pour « la gravité » et le décorum, et sa sœur, lorsqu’il lui en parlait, reconnaissait humblement son impuissance à rivaliser avec la cour de Heidelberg, modèle d’ordre et de régularité en comparaison de ce qu’elle avait sous les yeux. Un jour qu’elle lui disait les regrets que lui laisserait sa nièce, la duchesse Sophie ajouta : « Je ne pourrai m’empêcher d’y être bien sensible, quoique je confesse que je crois qu’elle pourra être bien mieux nourrie dans une cour bien réglée comme la vôtre, qu’en celle-ci, où l’on vit en bourgeois et où on ne voit quasi personne… Elle paraît de très bon naturel et apprend tout ce qu’on veut. Je crois que vous ne trouverez rien à redire à elle que ses grimaces, dont je ne crois pas qu’elle se pourra corriger avant qu’elle ait le jugement de voir dans son miroir que cela est mal[67]. » Ce n’est pas la première fois qu’il est question des « grimaces » de Liselotte.

Trois mois après : « (26 février 1662)… Je confesse que les raisons que vous alléguez pour retirer la princesse Électorale d’ici sont tout à fait selon la raison, car l’infante du Palatinat pourra toujours apprendre mieux à tenir sa gravité chez elle qu’avec moi en Westphalie, où l’on est très simple. »

Il se passa encore plus d’une année. Le retour de Liselotte était sans cesse remis, à cause de la présence de sa mère au château. On le brusqua, sitôt le départ de l’Électrice assuré. Le 5 juin 1663, Charles-Louis écrit à Mlle de Degenfeld qu’il va falloir loger sa fille. Le 14, il lui fait part de ses premières impressions : « Elle a plutôt gagné que perdu. » Mlle d’Uffeln, la gouvernante qui n’approuvait pas la bigamie, a été chassée, et sa remplaçante, Mme de Terlon, tremble devant Charles-Louis. Tout ira bien si « son ange » sait s’y prendre. Et il lui fait la leçon : « (Du même jour.) Je ne sais pas encore au juste quand l’Électrice partira… À présent que, par son départ, le danger sera moindre et la liberté plus grande, mon trésor devra veiller avec d’autant plus de soin, à mon avis, sur sa physionomie et ses gestes, et les tempérer de telle sorte, qu’il n’y paraisse ni trop de grandeur, ni trop de familiarité. Avec mon humeur, et d’après mon expérience, le premier défaut me serait moins désagréable que le dernier. »

L’Électrice Charlotte s’en alla pour ne plus revenir, et Charles-Louis crut plus que jamais que tout irait bien ; mais c’était toujours une illusion. Fut-ce la faute de Louise ? Fut-ce celle de Liselotte ? ou, tout simplement, la faute de la situation ? Une seule chose est certaine : la duchesse Sophie s’attendait à des complimens sur son élève : elle ne reçut que des plaintes.


V

La princesse Liselotte était une petite personne qui avait ses idées et ses volontés, et c’était de quoi son père ne pouvait prendre son parti. Quand il la comparait à son frère le prince Électoral, qu’il avait fait élever sous ses yeux, à sa mode, la différence était criante. Il était impossible au plus défiant de prendre ombrage du prince Charles, pauvre garçon timide et contraint, image du parfait nigaud pour tout autre que son père, qui s’admirait en lui à cause de certaines ressemblances. La duchesse Sophie écrivait à Charles-Louis, avec une pointe d’ironie, quand son neveu n’avait encore que neuf ans : « (Hanovre, ce 6 mai 1660)… Je suis ravie d’apprendre que Charles est si fort dans vos bonnes grâces et que son humeur se conforme tout à fait à la vôtre, et puisqu’il n’aime guère sa mère, j’espère que sa bonne volonté ne courra point de risque d’être corrompue. »

À dix-sept ans, Charles semblait promettre d’avoir hérité de l’avarice paternelle. De la duchesse Sophie, le 23 février 1667 : — « Je suis bien aise que vous sachiez présentement que ce ne sera pas à un fol, mais à un sage, que vous ferez jouir de vos travaux, et que le prince électoral commence à vous ressembler d’humeur… mais je suis fâchée que Liselotte n’ait pas le bonheur de vous plaire autant que lui ; elle m’a toujours paru de fort bon naturel ; j’espère qu’elle ne changera pas. » Le frère et la sœur avaient été dressés avec un soin égal à l’économie. Quand l’Électeur Palatin mit son fils au collège, il obtint un rabais sur le prix de pension, en alléguant que l’enfant était petit mangeur. En envoyant sa fille à Hanovre, il ne lui assigna que 900 florins par an d’argent de poche, malgré les obligations de son rang, afin de l’habituer à rogner sur les pourboires et à inventer des cadeaux bon marché. Apprentissage dont Madame devait toujours se souvenir à l’occasion.

Pour la tournure et les manières, le prince Charles faisait penser à Thomas Diafoirus, et c’était encore à son père qu’il devait cette aubaine. Charles-Louis était instruit pour son temps. Il aimait les livres et en achetait. On le comptait parmi les princes allemands qui prenaient à leurs gages des Français lettrés, comme, jadis, les Romains achetaient des esclaves grecs, pour se donner le luxe d’entendre des conversations intellectuelles. Il n’avait pas compris, cependant, que l’éducation propre à former un magister n’est pas ce qu’il faut à un prince, et il avait donné pour maîtres à son fils des savans en us qui en firent un bon latiniste et un théologien passable, mais un Thomas Diafoirus pour la mine. Pour comble de malheur, son gouverneur, dont le métier aurait été de lui donner un peu de panache, semblait prendre à tâche de parfaire l’œuvre des pédans. En 1667, la duchesse Sophie, sachant qu’il était question d’un mariage pour son neveu, crut devoir écrire à Charles-Louis : « (1er septembre.) Signac[68]… m’a raconté que, comme il avait l’honneur de peindre le prince Électoral, et qu’en rêvant ledit prince se raccommodait les cheveux avec la main, M. le gouverneur Watteville, pour montrer son autorité, lui frappait avec un peigne sur les doigts, que le prince rougissait sans oser rien dire ; d’autres m’ont dit aussi que, quand le prince prend quelquefois de la cire de chandelle par un mal de race, le gouverneur le frappe aussi sur les doigts et qu’il ne lui parle jamais que pour le gronder mal à propos ; que le prince a souvent dit qu’il ne sait pas quand il fait bien ou mal, parce que le gouverneur le gourmande toujours, et que c’est cela qui le rend si timide. J’ai cru être obligée de vous dire ceci, puisqu’il me semble qu’un prince qui va au Conseil et qui doit bientôt se marier, n’est plus en âge à être traité de cette sorte… On loue beaucoup le prince et on a dit à Stuttgart qu’on lui avait remarqué beaucoup d’esprit quand le gouverneur n’y était pas présent, mais quand le gouverneur y était, qu’il n’osait pas parler. » Le malheureux se sentait ridicule et avili, et il n’avait pas la force de se révolter. Il disait plus tard : « — Je porte le stigmate de l’oppression. On m’a empoisonné les années de ma jeunesse, et j’ai eu peu de joies dans cette vie. »

La princesse qu’on lui destinait s’appelait Wilhelmine-Ernestine et était fille de Frédéric III, roi de Danemark. Elle avait été choisie parce qu’on s’était imaginé qu’elle était trop molle et trop indifférente pour ne pas « vivre bien » avec Mlle de Degenfeld, et que tout roulait là-dessus à la cour de Heidelberg. Plus que jamais, l’obstiné Charles-Louis, vrai monomane de la bigamie, exigeait pour sa maîtresse un traitement de « seconde épouse, » extrêmement difficile à régler, faute de précédens, et pour lequel il entrait lui-même dans les derniers détails. Quelle est la place d’une « seconde épouse » à la table de famille ? Doit-on la mettre au-dessus des enfans légitimes, ou au-dessous ? À côté de ses belles-sœurs, quand il s’en trouve là, ou à deux places de distance[69] ? Dans un projet de couvert qui nous a été conservé, l’Électeur occupe le haut bout de la table. Il a le prince Électoral à sa droite, la princesse Électorale à sa gauche ; Mlle de Degenfeld et son fils aîné viennent après Liselotte. Les autres places sont distribuées aux dignitaires de la cour, chacun selon sa charge et son rang.

Les étrangers avaient beau se surveiller, Son Altesse Palatine soupçonnait des blâmes détournés dans toutes leurs paroles, et elle avait quelquefois raison. Plus d’un, parmi les princes allemands, enviait Charles-Louis et n’aurait demandé qu’à l’imiter ; mais l’Allemagne populaire, toute barbare et toute grossière que l’eût laissée la guerre de Trente ans, avait conservé dans ses malheurs le fond sérieux et honnête qui a fait sa force à travers les siècles. Elle n’était pas bégueule, et passait aux princes un nombre indéfini de maîtresses ; mais elle avait très mal pris la comédie de régularité de Charles-Louis et son odieuse pression sur le clergé. Elle regimbait contre les fantaisies de ce prétendu rénovateur des mœurs, et manifestait sa ferme volonté de renouer les fils de la tradition et de rentrer dans l’ornière de la bonne vieille morale[70].

Liselotte était à la tête de l’opposition. C’était si peu réfléchi de sa part, si inconscient, qu’elle mit trente ou quarante ans à comprendre que son père lui en avait voulu, et ne devina jamais pourquoi. Elevée avec les jeunes raugraves, — c’était le titre octroyé par l’Électeur à Mlle de Degenfeld et à ses enfans[71], — elle s’était attachée de tout son cœur à ces innocens pour qui l’avenir avait si peu de sourires, mais leur mère la trouvait toujours sur la réserve. Madame la raugrave Louise s’empressait en belle-mère, et se heurtait invariablement à Son Altesse la princesse Électorale, personne distante et hautaine. Les preuves de cette situation abondent dans les nombreuses lettres que Charles-Louis envoyait par cavalier à « son trésor, » dès qu’une circonstance quelconque les séparait : « Vous ne me dites pas si Liselotte est bien pour vous et pour les enfans… Tout ce que mon trésor chéri décide pour Liselotte est bien fait et doit être compté comme une faveur que j’ai reçue… » À propos d’une partie sur l’eau : « J’espère que Bettendorf aura fait sa commission et exécuté mon ordre, qui est que Liselotte prenne mon trésor avec elle dans le bateau[72]. » Il est clair, par le tour de la phrase, que Liselotte n’aurait pas emmené la raugrave sans un ordre formel. La duchesse Sophie, inquiète de l’avenir, cherchait partout un mari pour sa nièce et, en attendant de l’avoir trouvé, se faisait conciliante : « Pour Liselotte, je suis fâchée que vous ne soyez pas satisfait de son éducation… Liselotte est de très bon naturel, mais le jugement ne vient qu’avec l’âge, et la princesse de Danemark sera mieux pour la Signora (Mlle de Degenfeld), étant d’une humeur plus posée et nullement agissante ni causeuse, bonne tout à fait[73]. »

Cette dernière lettre est de 1670. Liselotte avait alors dix-huit ans. Elle était fort petite, « sèche comme un copeau[74], » et d’une laideur éclatante, mais point banale, ni ennuyeuse. Elle avait de très petits yeux, un gros nez de travers, de grandes joues plates et pendantes, une fraîcheur appétissante de blonde et d’Allemande, et, illuminant cet ensemble fantasque, un pétillement de vie et de gaieté qui résistait à tous les ennuis. On peut dire quelle sauvait le coup d’œil par sa bonne humeur : « Je me suis moquée toute ma vie de ma laideur, écrivait-elle à la fin de sa vie ; je n’ai fait qu’en rire. Sa Grâce monsieur notre père[75]et notre défunt frère m’ont dit souvent que j’étais laide ; j’en riais et je n’en ai jamais eu de chagrin. Mon frère m’appelait nez de blaireau ; j’en riais de tout mon cœur. » Au fond, cela ne lui était pas aussi indifférent qu’elle se plaît à le dire, puisqu’elle évitait de se voir dans une glace et qu’elle fuyait les regards : « Je me suis toujours trouvée si laide[76], même toute jeune, que je n’aimais pas à être regardée et que je n’ai jamais demandé quoi que ce soit en fait de parure, car les bijoux et la parure ne servent qu’à attirer l’attention sur vous. » On ne peut pas exiger d’une femme de se réjouir d’être laide. Liselotte en avait pris son parti ; c’était déjà beaucoup.

La conscience qu’elle n’aurait jamais aucun succès de femme avait contribué à la rendre peu féminine dans ses goûts et ses idées. Elle ne concevait pas que l’on pût avoir envie de se marier : « Quand une femme, disait-elle, se fourre dans la tête qu’il lui faut un mari, c’est un coup de folie. Être estropiée d’une main est un malheur, avoir un mari en est un autre, » quel que soit le mari, car « le meilleur ne vaut pas le diable. » La sottise des sottises est de se marier par amour : « C’est un miracle qu’un mariage d’amour réussisse ; c’est très rare… D’ordinaire, il en advient de la haine[77]. » Le XVIIe siècle était nettement, et presque unanimement, de l’avis de Liselotte sur ce chapitre. Un dicton allemand, plus énergique qu’élégant, justifiait en ces termes l’opinion générale : « — L’amour est comme la rosée ; il tombe aussi bien sur une bouse de vache que sur une feuille de rose. » Faire un mariage d’amour, c’est s’exposer à fonder une famille sur « une bouse de vache, » et quel être doué de raison voudrait encourir pareil risque ?

Elle avait justement sous les yeux un exemple des malheurs que peut causer l’amour en tombant mal. Dans le cas de Mlle de Degenfeld, la rosée était tombée sur les pierres du chemin. Liselotte voyait son père, à cinquante ans passés, aussi enflammé que jamais pour une femme qui, assurément, lui était soumise et dévouée, qui lui écrivait qu’elle l’adorait, mais qui n’avait pourtant à lui offrir qu’une froideur irritante. Mlle de Degenfeld n’était rien moins que passionnée. La duchesse Sophie parlait de sa froideur en personne renseignée, et son frère s’en est plaint dans un curieux mémoire écrit après la mort de son amie[78], et intitulé par lui : Bilan de mariage. Louise, — soit dit à son honneur, — n’était pas plus intéressée que passionnée, et elle ignorait l’intrigue. C’est à croire qu’elle devint la maîtresse de ce vieil atrabilaire pour l’honneur, parce qu’il était prince régnant, et que la longue patience de cette infortunée fut un miracle du sentiment monarchique. Quoi qu’il en soit, le miracle n’alla pas jusqu’à la rendre heureuse, et l’Électeur ne le fut lui-même que dans une certaine mesure, ou, si l’on aime mieux, d’une certaine façon.

Le maigre Charles-Louis, avec sa longue figure maussade et son regard soupçonneux, n’était pas fait pour inspirer la passion. Il était né gendarme, et ce n’est pas une humeur rassurante. Il guettait l’arrivée des employés à sa « chancellerie » et notait ceux qui étaient en retard. Il veillait à ce que chaque bouteille sortant de sa cave fût enregistrée, et à ce qu’il lui restât bien son compte. Il se tenait au courant des moindres faits et gestes de « madame la raugrave » et la rabrouait fréquemment. On se ferait une idée très fausse de leurs relations si l’on s’en fiait aux lettres imprimées où il entretient familièrement son « ange » et son « trésor » de leurs affaires de ménage, des gens qu’il a vus, de la santé des enfans et des petits cadeaux qu’il envoie à leur mère : des bonbons, un remède contre le mal de dents, deux melons, avec recommandation de ne pas en manger trop à la fois, une vieille fourrure dont il ne veut plus, mais qui pourrait peut-être « servir aux enfans. » Il faut mettre en regard de cette correspondance très bourgeoise, mais très affectueuse, les lettres pathétiques où Louise, en réponse à d’autres que nous n’avons pas, et qui n’existent sans doute plus, se déclare la plus malheureuse créature de la terre et demande pardon « à genoux » d’avoir eu envie d’une distraction innocente, ou de n’avoir pas su empêcher sa famille de venir la voir, ou de tel autre crime aussi grave.

Liselotte entendait les échos de ces cris de désespoir. Son père lui prêchait par son exemple la faillite du mariage, régulier ou irrégulier, d’arrangement ou d’amour, et elle ne demandait qu’à profiter de la leçon : « J’aurais été bien contente, écrivait-elle dans sa vieillesse, si on m’avait permis de ne pas me marier, et de mener une bonne vie de célibataire. » Elle aimait à répéter qu’on l’avait mariée contre son gré : « Si j’avais été mon maître, j’aurais fait comme vous, chère Louise, et ne me serais pas mariée. » Mais elle n’était pas son maître : « Papa me portait sur les épaules, tremblait que je ne devinsse vieille fille, et s’est débarrassé de moi le plus vite qu’il a pu. » Elle avait aussi contre elle sa tante Sophie, qui la souhaitait loin de Heidelberg et de ses complications, et, pour comble de malheur, elle n’avait aucun moyen de savoir si la Providence était pour ou contre elle dans cette grande affaire : « Il en est du mariage, écrivait-elle, comme de la mort ; le temps et l’heure en sont marqués : on n’y échappe pas. Tel notre Seigneur-Dieu la voulu, tel il faut qu’il se fasse[79]. » Plusieurs projets avaient déjà avorté ; c’était peut-être parce que Dieu avait d’autres vues, et Liselotte sentait l’impossibilité d’être tranquille.

Elle estimait que rien ne dédommage de la perte de la liberté, tandis que la liberté dédommage de tout, même d’une Mlle de Degenfeld. Sa liberté à elle lui servait surtout à faire de grandes courses à pied, car les « plaisirs » étaient rares à Heidelberg. On allait aux foires et aux représentations des troupes ambulantes. Une partie de traîneaux, en masques, fut une fois l’événement de l’hiver. Une autre année, il est question dans les lettres de Liselotte[80]d’une mascarade où elle représentait l’Aurore et son frère Mercure. Il ne lui en fallait pas davantage pour déclarer Heidelberg un Paradis terrestre. Charles-Louis l’accusait de manquer de sérieux ; il l’aurait voulue plus « princesse ; » mais elle n’était pas sa fille pour rien, et elle ne se laissait pas faire comme son frère. Elle était donc libre quand même, et heureuse quand même, sous le joug paternel et dans son milieu irrégulier, lorsqu’il arriva précisément ce qu’elle avait redouté. Il plut à « notre Seigneur-Dieu » de la marier avec un prince à qui elle n’avait pensé de sa vie et qui avait déjà femme, de sorte qu’il fallut commencer par faire mourir une jeune princesse, délices de la cour de France, pour exécuter l’arrêt d’en haut. Quand les hommes se mêlent de deviner à quoi s’occupe la Divinité, ils arrivent tout de suite à des monstruosités. Madame a pour excuse de ne s’être jamais piquée de logique ; la conséquence de son fatalisme lui avait certainement échappé.


ARVEDE BARINE.

  1. Tous droits de reproduction réservés pour tous pays.
    Publisched October fiftenth 1906. Privilege of copyright in the Utnited Stats reserved under the Act approvend march third 1905 by Avrède Barine.
  2. Wolfgang Menzel, l’éditeur du vol. I des lettres aux raugraves, dit dans son Introduction, p. XIII : — « On n’a pu donner ici qu’environ un tiers de l’ensemble. »
  3. Bibliographie : Memoiren der Herzogin Sophie nuchmals Kurfürstin von Hannover, éd. par le docteur Adolf Köcher (Leipzig, 1 vol., in-8o, 1879, Hirzel). — Briefwechsel der Herzogin Sophie von Hannover mit ihrem Bruder, dem Kurfürsten Karl Ludwig von der Pfalz, etc., éd. par Ed. Bodemann (Leipzig, 1 vol. in-8o, 1886, Hirzel). — Aus den Briefen (der Herzogin Elisabeth Charlotte von Orléans an die Kurfürstin Sophie von Hannover, éd., par Ed. Bodemann (Hannover, 2 vol. in-8o, 1891, Hahn’sche Buchhandlung). — Briefe der Herzogin Elisabeth Charlotte von Orléans à A. K. von Harling, etc., éd. par Ed. Bodemann (Hannover et Leipzig, 1 vol. in-8o, 1895. Hahn’sche Buchhandlung). — Briefe dzr Herzogin Elisabeth Charlotte von Orléans, vol. 6, 88, 107, 122, 132, 144 et 157 des publications de la Littera rischen Vereins in Stuttgart, éd. par W. Menzel et L. Holland, 7 vol. in-8o, 1843-1881. — Schreiben des Kurfürsten Karl Ludwig von der Pfalz, etc., 1 vol. in-8o, no 167 de la même série. — Briefe der Herzogin Elisabeth Charlotte, etc., an Étienne Polier, etc., 1 vol. in-8o, no 231 de la même série. (Nota. Les publications de la Litterarischen Vereins de Stuttgart ne sont pas dans le commerce.) Französische Geschichte, vol. VI, de Léopold Ranke. (Ce volume ne contient que des lettres de Madame), Stuttgart, 1879, Cotta. — Deutsche Geschichte im Zeitalte der Reformation, par L. Ranke (Berlin, 5 vol. in-8o, 1842-1843, Duncker et Humblot). — Geschichte der Rheinischen Pfatz, par le docteur Ludwig Haüsser, Heidelberg, 2 vol. in-8o, 1856. — Pfalzgräfin Elisabeth Charlotte, etc., brochure in-8o de J. Wille (Heidelberg, 1895). Leben und Character der Elisabeth Charlotte, etc., par Schütz (Leipzig, 1 vol. in-18, 1820, L. Voss). — Fragmens de Lettres originales de Madame, etc. à S. A. S. le duc Antoine-Ulric… et à Madame la princesse de Galles (Hambourg, 2 vol. in-18, 1188). — Archives nationales. — Archives du Vatican. — Archives de Dreux.
  4. Französische Geschichte, vol. VI, p. III.
  5. Ce sont les titres que lui donne son contrat de mariage. Archives nationales, R. 542, no 9.
  6. Geschichte der Rheinischen Pfalz.
  7. Journal de son Voyage d’Allemagne, dans Jules Michelet, par Gabriel Monod (Paris, 1 vol. 1905 ; Hachette).
  8. Les Mémoires de l’électrice Sophie sont écrits en français.
  9. Lettre du 12 septembre, à la raugrave Louise, demi-sœur de Madame.
  10. Lettre du 6 mai 1700 à l’Électrice Sophie de Hanovre.
  11. Lettre du 3 décembre 1718, à la raugrave Louise.
  12. Elle est même imprimée, sans être toutefois dans le commerce ; elle se trouve au volume 167 des (publications de la Société littéraire de Stuttgart. Voyez plus haut, p. 767.
  13. Mémoires, p. 57.
  14. Lettre de mars 1657, au baron Adolphe de Degenfeld.
  15. Schreiben das Kurfürsten Karl Ludwig, p. 14.
  16. Schreiben des Kurfürsten Karl Ludwig, p. 366.
  17. Janssen, l’Allemagne et la Réforme, III, p. 24. Cf. Ranke, Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation, vol. II, liv. IV.
  18. Louise de Degenfeld appartenait à la Confession d’Augsbourg.
  19. Lettres des 25 et 12 juillet 1657.
  20. Lettre du 31 octobre.
  21. Schreiben des Kurfürsten, etc., p. 364.
  22. Schreiben des Kurfürsten, p. 368.
  23. Cette lettre et la suivante sont de la fin de 1658. Elles ne portent pas de dates.
  24. Memoiren, etc., p. 34.
  25. En réalité, il n’était que le second ; mais son frère aîné ayant péri dans un naufrage, il avait hérité de ses droits et pris sa place.
  26. Voyez Hausser, II, 613. Il ne semble pas que cette correspondance ait jamais été publiée.
  27. Mémoires de l’Électrice Sophie, p. 38.
  28. Lettre du 20 février 1716 (Fragmens de lettres originales de Madame, etc.). Cf. Saint-Simon (éd. in-8o), XVII, p. 88 et suiv., et les notes de M. de Boislisle. Les Fragmens de lettres originales, comme toutes les publications de ce genre faites au XVIIIe siècle, ne doivent être consultés qu’avec défiance ; mais les aventures de Louise-Hollandine étaient de notoriété publique. Voyez le Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 385 ; les Mémoires d’Aubery du Maurier, éd. 1754, 1, 265 (note Boislisle). Saint-Simon, qui en fait presque une sainte, ne l’avait connue que vieille et repentie.
  29. Mémoires, p. 39.
  30. Mémoires, p. 49.
  31. Mémoires, p. 61.
  32. L’Allemagne à la fin du moyen âge, I, 575.
  33. Ce passage est tiré d’un mémoire inédit de M. l’abbé Richard, le savant auteur de Pierre d’Epinac, archevêque de Lyon des Origines de la nonciature de France, etc.
  34. Ce qui suit est emprunté à une longue dépêche du 7 mai 1678, adressée par le cardinal Alderano Cibo, secrétaire d’État du pape Innocent XI, à Francesco Buonvisi, archevêque de Thessalonique et nonce à Vienne. Archives du Vatican, tome 198, Nunziatura di Germania.
  35. Cela dépendait du moment. L’un des frères d’Ernest-Auguste s’était fait catholique.
  36. Voyez plus haut, p. 767. Cette correspondance se poursuivit sans interruption jusqu’à la mort de Charles-Louis en 1680.
  37. L’histoire du soufflet se rencontre pour la première fois dans La vie et les amours de Charles-Louis, Électeur palatin (Cologne, 1692). On la retrouve ensuite dans une adaptation allemande du livre français. Freytag l’avait acceptée dans ses Bildern aus der deutschen Vergangenheit. Le Dr. Adolf Rucher, éditeur des Mémoires de l’électrice Sophie, estime qu’elle ne mérite aucune créance. Hausser (vol. II, p. 610) la déclare « douteuse. »
  38. Lettre du 7 septembre 1710, à l’Électrice Sophie.
  39. La duchesse Sophie à Charles-Louis, lettre du 27 mars 1659.
  40. Ou d’Offeln ; on rencontre les deux orthographes. Mariée dans la suite à M. de Harling. L’une des correspondances les plus intéressantes de Madame leur est adressée. Voyez plus haut, p. 767.
  41. La duchesse Sophie à Charles-Louis, lettre du 6 mars 1659.
  42. Elle était devenue duchesse de Hanovre par son mariage.
  43. Lettre du 18 avril 1659 à Charles-Louis. L’Électeur et sa sœur s’écrivaient en français.
  44. Cette lettre et les suivantes sont tirées de l’Introduction écrite par le Dr. Ed. Bodemann pour les lettres de Madame à M. et Mme de Harling (p. VIII et IX).
  45. Ils étaient quatre en tout. Leur histoire est rendue confuse par des arrangemens de famille compliqués. Christian-Louis, duc de Hanovre de 1641 à 1648, puis de Celle jusqu’à sa mort (1665). George-Guillaume, duc de Hanovre de 1648 à 1665, puis de Celle ; mort en 1705. Jean-Frédéric, duc de Hanovre de 1665 à 1679. Ernest-Auguste, qui succéda à Jean-Frédéric et mourut. en 1698.
  46. Lettre à Charles-Louis, du 6 février 1659.
  47. Du 16 décembre 1658.
  48. Du 6 juin 1663.
  49. Page 71.
  50. Lettre du 8 juillet 1671.
  51. Eléonore d’Olbreuse, d’une famille noble du Poitou, était belle, spirituelle et vertueuse. George-Guillaume l’épousa morganatiquement en septembre 1665. Cf. The love of an uncrowned Queen, par W. H. Wilkins (Londres, 1900, 2 vol. in-8o).
  52. Die Hofhaltungen zu Hannover, etc., par le Dr. Eduard Wehse (Hambourg, 1853).
  53. Lettre du 14 mai 1670.
  54. Lettre du 18 avril 1659. Domestique se disait alors de toutes les personnes, même nobles, attachées à une grande maison.
  55. 1er décembre 1670.
  56. Lettre de la duchesse Sophie du 17 juin 1665.
  57. Lettre de Madame à la raugrave Louise, du 18 mars 1703.
  58. Lettré de la duchesse Sophie, du 21 janvier 1668.
  59. Pour ce qui suit, cf. les lettres des 24 août 1659, 28 mars 1663 (datée par erreur de 1660), 24 juillet 1660, 2 février 1660 et 23 février 1660, à l’Électeur Charles-Louis.
  60. Le duc Ernest-Auguste, son mari.
  61. Mémoires de l’Électrice Sophie, p. 38.
  62. Le texte porte « une Schurmann. » — Anne-Marie de Schurmann était une femme savante allemande. Pour cette partie, cf. les lettres à Charles-Louis des 24 août 1659, 18 avril 1660, 31 octobre 1661.
  63. Mémoires, p. 70. Lettres des 12 décembre 1661, 13 et 26 février 1662.
  64. Lettre de Madame, du 14 décembre 1719, à M. de Harling.
  65. Les lettres de Charles-Louis antérieures à 1674 n’existent plus. Il avait ordonné à sa sœur de les brûler.
  66. Cf. Hausser, Geschichte der Rheinischen Pfatz, II, 616 et suite.
  67. Du 1er décembre 1661.
  68. Il y eut au XVIe siècle un Français de ce nom, « peintre en émail, » qui séjourna à la cour de Christine de Suède et fit le portrait de cette princesse. Est-ce le même ? Je n’ai pu m’en assurer.
  69. Cf. la lettre de Charles-Louis à Mlle de Degenfeld, en date du 23 avril 1664.
  70. Le volume intitulé Schreiben der Kurfürsten, etc. contient beaucoup d’indications précieuses sur l’opinion publique allemande à l’époque qui nous occupe. Lire entre autres, à ce point de vue, toute la correspondance de Charles-Louis avec Mlle de Degenfeld et la lettre de Christophe von Hammerstein à Charles-Louis, en date du 16 novembre 1669 (p. 384).
  71. L’acte est du 31 décembre 1667.
  72. Lettres, à Mlle de Degenfeld, des 17 septembre 1665, 23 août 1668 et 24 avril 1664.
  73. Lettres du 20 juillet 1666 et du 24 septembre 1670.
  74. Du 14 juillet 1702, à la raugrave Louise, demi-sœur de Madame.
  75. La lettre, du 22 juin 1719, est adressée à la raugrave Louise.
  76. Cité par Schutz, p. 53, dans Leben und Character der Elisabeth-Charlotte.
  77. Lettres aux raugraves, des 8 mars 1715, 4 septembre 1697, 15 juillet 1719, 10 mai 1713, 16 février 1702.
  78. Schreiben des Kurfürsten, etc., p. 305.
  79. Lettres aux raugraves des 28 décembre 1719, 20 juin 1720, 15 octobre 1701. 16 avril 1699.
  80. Cf. les lettres à Mme de Harling, née d’Uffeln, son ancienne gouvernante, p. 5 et suite.