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Mademoiselle Moucheron

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Mademoiselle Moucheron
Opérette en un acte
A. Allouard, éditeur.

OPÉRETTE EN UN ACTE
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, le 10 mai 1881.
PERSONNAGES
LUCIEN BAVOLET MM. Jolly.
BELPHEGOR Belliard.
ANATOLE Deberg.
Un Père Mercier.
MADAME BOULINARD Mmes Desclauzas.
BERTHE Mily-Meyer.
GABRIELLE Norette.
LOULOU Panseron.
GERTRUDE Davenay.
JENNY Rouvroy.
LISBETH Ducouret.
ROSA Ismérie.
Élèves et sous-maîtresses.


La scène est aux environs de Genève, dans l’Institution Boulinard.




S’adresser pour la mise en scène à M. Paul Callais, régisseur général au théâtre de la Renaissance, pour la partition à MM. Choudens, père et fils, éditeurs de musique, 265, rue Saint-Honoré.

La cour de récréation dans l'institution Boulinard. Au fond, un mur peu élevé percé d’une petite porte. Près de la porte, une cloche fixée par deux crampons de fer et munie d’une chaîne à hauteur de main. Sur les côtés à droite, au premier plan, un pavillon avec cette inscription : « Cabinet de la Directrice. Défense d'entrer. » Sur ce pavillon, une treille praticable qui grimpe jusqu’à une fenêtre située au premier étage. A gauche, également au premier plan, un autre pavillon moins élevé sur lequel on lit : « Parloir pour MM. les Parents. » Le deuxième plan est libre et la cour est censée se continuer de chaque côté.

Scène PREMIÈRE

MADAME BOULINARD, Un Père.

(Au lever du rideau, madame Boulinard est en train de reconduire un père ridicule flanqué de deux grandes jeunes filles qui pleurent.)

Voyons, mesdemoiselles, assez pleuré !… allez retrouver vos compagnes… (Elle les fait entrer à gauche. Au père qui sanglote.) Et vous, monsieur, remettez-vous… Ne craignez rien pour vos deux charmantes demoiselles… car elles sont charmantes, ces enfants… (Au public.) Heuh !… (Continuant.) La pension Boulinard est la première maison de Genève… Éducation de famille, histoire, géographie, beaux-arts, commerce et piano à discrétion. (Nouveaux sanglots du père.) Les jeunes filles placées sous mon égide auront toujours en moi une amie, une sœur, un modèle…

LE PÈRE, ému.

Ah ! Madame !… (il se précipite pour l’embrasser.)

MADAME BOULINARD, se reculant.

Monsieur, veuillez agréer. (Grandes salutations. Sortie du père. Au public, quand elle est seule.) Ses filles ! Deux potets ! Enfin ! elles paient bien… Voyons, où en suis-je ?… Dieu ! quelle journée fatigante… D’abord ma fête… Toutes mes élèves vont venir me la souhaiter… Il faudra embrasser… C’est assommant !… Seulement ça rapporte… Elles font un cadeau… Ensuite, ma nièce Gabrielle, dont le contrat se signe aujourd’hui !… Et puis le dîner !… Je serai épuisée ce soir… Prenons mes précautions… OÙ est mon homœopathie ?… (Elle tire une petite fiole de sa poche et la porte à ses lèvres, faisant claquer sa langue.) C’est excellent !… (Au public, en confidence.) Pour tout le monde, c’est de l’homœopathie, mais pour moi, c’est du noyau… du noyau sec !… c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour les crampes d’estomac… Feu mon mari, le capitaine Boulinard, l’aimait beaucoup… et je m’y suis habituée, pour lui faire plaisir. (Bruit de serrure au fond. Elle remet vivement la fiole dans sa poche.) Qui est-ce qui tripote donc la serrure ? (La petite porte du fond s’ouvre doucement et Belphégor paraît.)


Scène II

MADAME BOULINARD, BELPHÉGOR.

(Belphégor est en costume d'invalide de fantaisie. Il tient à la main un gros bouquet qu’il dissimule derrière son dos.)

MADAME BOULINARD.

Belphégor !… vous ici !

BELPHÉGOR.

Moi-même ! (Voulant l’embrasser.) Permettez-moi.

MADAME BOULINARD.

Jamais !… imprudent !… qu’est-ce que vous venez faire ?

BELPHÉGOR.

Vous le demandez !… Elle le demande ! (Montrant son bouquet.) N’est-ce pas aujourd’hui le 15 mai, votre fête, Mathilde !…

MADAME BOULINARD.

Ma fête !… Il y a pensé !… Ah ! mon ami !…

BELPHÉGOR.

Alors, vous permettez ?…

MADAME BOULINARD.

Je permets… mais faites-vite… si l’on nous voyait ! (Elle lui ouvre les bras. Il s’y précipite et l’embrassa tendrement.)

BELPHÉGOR.

Encore !… ma poule !…

MADAME BOULINARD.

Non… non… Belphégor, permettez-moi de vous faire un reproche… Vous venez bien souvent depuis quelque temps.

BELPHÉGOR.

Il y aurait un moyen de tout arranger, acceptez ma main, Mathilde, et devenez madame Belphégor.

MADAME BOULINARD.

Le puis-je, mon ami !… Si je me remariais, je perdrais la plus grande partie de ma clientèle… Attendons encore quelque temps… Et puis, vous l’avouerai-je !… Ce qui me plaît dans notre amour, c’est le danger incessant de nos tête-à-tête… C’est le fruit défendu… Le jour où ce danger disparaîtrait, je serais incapable de vous porter comme mari le quart de l'affection que je vous porte comme fruit défendu. Aussi, brisons-là et ne venez pas si souvent… dans la journée !… ou je vous retire votre passe-partout.

BELPHÉGOR.

Mais ma présence ici n’est-elle pas expliquée, ma colombe ?… En ma qualité d’ancien piston dans le régiment de feu votre mari, je suis musicien et je viens soi-disant pour accorder le piano.

MADAME BOULINARD.

Oui, mais vous cassez toujours une corde en vous en allant.

BELPHÉGOR.

C’est par amour, mon ange… Et puis, qui songerait à se défier d’un invalide ?…

MADAME BOULINARD, tendrement.

Un invalide !… vous, Belphégor !…

BELPHÉGOR, avec élan.

Mathilde…

MADAME BOULINARD.

Oui, ce déguisement dont j’ai eu l’idée est un trait de génie… Mais vous n’êtes pas encore ce que vous deviez être…

BELPHÉGOR.

Comment !… Cette perruque me rend méconnaissable… Et quant à ma jambe… regardez… (Il boite avec exagération.)

MADAME BOULINARD.

Oui, ce n’est pas mal… Mais si on vous interrogeait…

BELPHÉGOR.

Eh bien ! je répondrais :

I

Autrefois, j'étais plus ingambe !
J’ai visité le Canada,
L’Amérique et le Kamtschatka :
Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe !
Puis je parcourus l’Archipel,
La côte de Coromandel :
Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe.
J’ai vu Pékin,
J’ai vu Nankin,
J'ai vu Paris près de Pantin ;
Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe.

MADAME BOULINARD.

Mais là où ? mais là où ?

BELPHÉGOR.

Ah ! là où ? ah ! là où ?
Ma foi, je n’en sais rien du tout !

II

Autrefois j’étais plus ingambe.
J’ai pratiqué plus d’un métier ;
Je me fis d’abord papetier :
Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe !
Bientôt après, ingénieur,
Je finis par être danseur,
Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe !
Après cela.
Changeant d’état,
Je m’engageai comme soldat.

MADAME BOULINARD.

(Parlé.) Ah !

BELPHÉGOR.

Ce n’est pas là que j’ai perdu ma jambe !

MADAME BOULINARD.

Mais là où ? mais là où ?

BELPHÉGOR.

Ah ! là où ? ah ? là où ?
Ma foi, je n’en sais rien du tout !

MADAME BOULINARD.

Il est charmant… Eh bien, puisque vous avez pensé à ma fête, je vous autorise à rester ici jusqu’à ce soir.

BELPHÉGOR.

Jusqu’à ce soir !… ai-je bien entendu ?

MADAME BOULINARD.

Oui, vous dînerez avec nous… Je marie aujourd’hui ma nièce Gabrielle…

BELPHÉGOR.

Ah ! bah !… avec qui ?…

MADAME BOULINARD.

Avec un employé du télégraphe, Lucien Bavolet… Un jeune imbécile qui n’est jamais sorti de son bureau… On m’a même prévenu qu’il avait un petit défaut dont nous nous apercevrons dès qu’il arrivera… Ma nièce ne l’a jamais vu… moi, non plus… Mais je connais son oncle.

BELPHÉGOR.

C’est un mariage d’inclination.

MADAME BOULINARD.

Tout à fait !… Je l’attends par le bateau d’une heure… je vous présenterai et vous lui parlerez de vos campagnes… (On entend une cloche dans la coulisse.) Mais silence !… J’entends mes élèves… allez vite accorder votre piano et ne sortez que quand je vous appellerai…

BELPHÉGOR.

J’y vais… (Tendrement.) Adieu, Mathilde !

MADAME BOULINARD.

Adieu ! mon invalide !

BELPHÉGOR.

invalide !… Oh !…

REPRISE ENSEMBLE

Ah ! là où ? Ah ! là où ? Etc.

(Il entre à droite.)

MADAME BOULINARD, seule.

Et maintenant, prenons une tenue de circonstance. (Elle se redresse avec majesté.)


Scène III

MADAME BOULINARD, LOULOU, GERTRUDE, FERNANDE, ROSA, JENNY, LISBETH, puis BERTHE.
MARCHE DES ÉLÈVES

Deux à deux en silence
Que chacune s’avance :
Attention au mouvement !
Défilez à gauche en avant !
Le buste droit, baissons la tête !
Allons ! Souhaitons-lui sa fête !

MADAME BOULINARD, parlant.

Voilà la pension Boulinard !… comme c’est tenu !… comme on voit que je suis la veuve d’un capitaine… (Loulou s’approche d’elle avec un bouquet.)

I
LOULOU.

Madame, acceptez cette rose.
Frais emblème de votre teint
Et comme vous à peine éclose
Aux premiers rayons du matin.

II
GERTRUDE.

Prenez aussi cette pervenche
Dont la corolle de saphir
Comme votre taille se penche
Au souffle léger du zéphir.

CHŒUR

Puisque c’est la fête
De madame Boulinard
Qu’on crie à tue-tête
Et de toute part :
Vive la saint Boulinard !

III
JENNY.

Ceci est une violette
Exhalant sa suave odeur.
Mais se cachant et peu coquette ;
Acceptez-la, c’est votre sœur.

IV
LISBETH.

Doux symbole de l’innocence,
Ignorant même le danger,
Prenez avec toute assurance
Ce bouquet de fleurs d’oranger.

REPRISE

Puisque, etc.

(Sur cette reprise, les élèves défilent autour d’elle, l’encombrant de bouquets.)

MADAME BOULINARD, disparaissant sous les fleurs.

Merci, mesdemoiselles ; merci… Je suis touchée… Vos petits cadeaux entretiennent mon amitié… (Appelant une sous-maîtresse.) Mademoiselle Félicité !… Aidez-moi à me débarrasser… (A une autre.) Et vous, miss, prenez les cadeaux et ayez-en bien soin… (Les sous-maîtresses sortent, emportant les bouquets et les cadeaux.) Maintenant, voyons les notes… (Elle tire de son corsage un petit cahier. Après avoir lu.) J’ai la satisfaction de voir qu’elles sont, en général, assez bonnes… Ah ! sauf pourtant pour mademoiselle Berthe… Cette gamine est la plus petite de la pension et c’est la plus incorrigible !…

LOULOU.

Oh ! oui !…

MADAME BOULINARD.

On ne pourra jamais rien en faire !… (A part.) Ah ! si elle n’était pas d’un si bon rapport (Haut.) Où est-elle ?… Ah ! en pénitence, sans doute… Je vais la chercher… (Elle sort par la droite. — Ritournelle.)

TOUTES.
Ah ! la voici !… (Berthe paraît à gauche, essoufflée, les vêtements déchirés et tachés d’encre. Elle a le bonnet d’âne. Deux écriteaux, sur la poitrine et dans le dos. Sur l’un on lit : « La honte de la maison Boulinard. » Sur l’autre : « Le scandale de la maison Boulinard. »)
BERTHE.

Ah ! que c’est assommant !
Ah ! que c’est énervant !
La pension ! quelle galère !
Je ne puis plus, non j’ai beau faire.
Vivre longtemps comme cela :
Mes enfants j’en ai jusque-là !

I

A cinq ou six ans à peine.
Vite on vous met en prison
En disant : un enfant gêne
Tous les jours à la maison.
Alors, adieu confitures,
Guignols et chevaux de bois,
C’est le temps des écritures
Qui vous noircissent les doigts.
Et puis quelle nourriture !
Du bœuf, des œufs, des pruneaux,
Le tout arrosé d’eau pure…
J’oubliais les haricots !

REPRISE

Ah ! que c’est assommant, etc.

II

On vous bourre la cervelle
Sans repos, à tout moment.
Avec une ribambelle
De choses sans agrément !
Verbe, sujet et régime,
Participes, subjonctifs ;
Je demande qu’on supprime
Tous ces mots rébarbatifs !
Plus tard, quand il faudra plaire
Au mari de notre goût,
Ce n’est pas par la grammaire
Que nous en viendrons à bout !
Ah ! que c’est embêtant, etc.

MADAME BOULINARD, revenant.

Ah ! vous voilà !… Mademoiselle, nous allons causer.

BERTHE.

Comme ça se trouve !… J’avais justement quelque chose à Vous demander… madame, qu’est-ce que c’est donc qu’enlever une femme ?

MADAME BOULINARD, scandalisée.

Oh !

BERTHE.

Vous savez bien, Françoise, l’ancienne bonne ? Le jardinier disait tout à l’heure qu’elle s’était fait enlever par Pierre le porteur d’eau.

MADAME BOULINARD.

Mademoiselle Berthe !

BERTHE.

Faut-il qu’il soit fort, ce Pierre, pour enlever une femme de cette taille-là.

LOULOU.

T’es bête !… Tu ne sais donc rien… quand on aime un jeune homme et qu’on est contrariée dans son inclination, on emporte ses bijoux, on se procure la clé de la petite porte du parc et on prend la poudre d’escampette avec son amoureux… après ça, les parents sont bien forcés de vous marier… c’est ce qu’on appelle se faire enlever.

BERTHE.

Ah ! que ça doit être gentil !

MADAME BOULINARD, avec éclat.

Mademoiselle ! vous me conjuguerez cinq fois le verbe : « Je suis devant mes compagnes et devant ma maîtresse de pension d’une inconvenance et d’un cynisme qui les forcent à rougir ! »

BERTHE, feignant de ne pas comprendre et très vite.

Le verbe : Je suis devant mes compagnes d’un charme et d’une tenue…

MADAME BOULINARD.

Dix fois !

BERTHE.

C’est injuste, na !…

MADAME BOULINARD.

Vingt, si vous répliquez !

BERTHE, entre ses dents.

Comme c’est malin ! la force prime toujours le droit !

MADAME BOULINARD, cessant de s’occuper d’elle.

Maintenant, mesdemoiselles, avant de vous laisser prendre votre récréation, il me reste à vous faire une communication qui, j’espère, vous fera plaisir.

BERTHE.

Ah ! ah ! (Madame Boulinard la regarde sévèrement. Elle s’éloigne.)}}

MADAME BOULINARD.

Qu’est-ce que vous faites là ?… Au piquet ! au piquet ! (Elle l’envoie à droite contre le mur, le dos tourné au public. — A part.) Oh ! cette petite !… (Revenant à ses élèves.) Mesdemoiselles, voulant que mon établissement ne laisse rien à désirer sous le rapport du confortable et que votre corps soit développé à l’instar de votre intelligence, je viens d’écrire à un maître de gymnatique. Les leçons commenceront aujourd’hui même… j’ai averti vos parents que le prix du pensionnat était légèrement augmenté de cinq cents francs par mois… (Se reprenant.) Par an !

BERTHE, accourant en dansant.

Ah ! quelle chance ! Des leçons de gymnastique !… Le trapèze ! j’adore ça !…

MADAME BOULINARD.

Ah ! vous aimez ça ?… Eh bien ! je vous en exclus !

BERTHE, se campant.

Oh ! tu n’oserais pas !…

MADAME BOULINARD.

Elle me tutoie !… (Furieuse.) Mademoiselle !…

BERTHE.

Je veux en prendre… J’ai le droit de me développer comme les autres.

MADAME BOULINARD, la toisant.

Vous voulez vous développer, vous !

BERTHE.

Tiens ! vous l’êtes bien, vous !

MADAME BOULINARD.

Assez ! au piquet ! au piquet !

BERTHE, à part, lui montrant le poing.

Oh ! cette femme ! je l’exècre !

MADAME BOULINARD, de même.

Cette petite, je la déteste… (A Berthe, en s’en allant.) Moucheron !… Affreux moucheron ! (Elle sort.)


Scène IV

Les Mêmes, moins MADAME BOULINARD.
BERTHE, vivement.

Qu’est-ce qu’elle a dit ?

LOULOU.

Pardine ! Elle t’a appelée moucheron. (On rit.)

BERTHE.

Vous voyez, mesdemoiselles, elle m’insulte encore, cette femme !…

GERTRUDE.

Eh bien, qu’est-ce que tu veux que nous y fassions.

BERTHE.

Comment, ce que je veux ? Ah ! si on avait un peu d’esprit de corps ici !

LISBETH.

Mais on en a, ma chère.

JENNY.
Certainement qu’on en a !
BERTHE.

Eh bien ! si on en a, madame Boulinard paiera cher l’expression injurieuse qu’elle vient d’employer.

LOULOU.

Comment ! Tu veux te venger ?

BERTHE.

Et je compte bien que vous m’y aiderez.

GERTRUDE.

Mais ça ne nous regarde pas…

LISBETH.

Elle ne nous a rien fait, à nous.

ROSA.

Rien du tout.

JENNY.

C’est une affaire entre vous deux !

BERTHE.

Comment !… Elle ne vous a rien fait ?… Ah ! ça ! Vous n’avez donc pas le moindre sentiment de votre dignité ? Une femme qui vous mène à la baguette, qui vous traite comme on ne traite pas des jeunes filles… qui ne vous nourrit pas…

ROSA, elle est très maigre.

Ça n’est pas vrai… on n’est pas mal nourri.

BERTHE.

Je te crois !…. Il n’y a qu’à te regarder… Et puis jamais de sorties, toujours des punitions… Et encore, si la maison était tenue, si on nous y donnait de bons exemples…

JENNY, avec dignité.

Oh ! Heureusement de ce côté-là, il n’y a rien à dire, sans ça ma famille ne me laisserait pas deux minutes dans cette pension…

BERTHE.

Je t’en prie, laisse-nous rire avec ta famille ! (Aux autres.) Son père est concierge. (On rit.)

JENNY.

Mademoiselle, vous êtes une mauvaise langue !

BERTHE.

Du tout, je sais ce que je dis… Toute jeune que je suis, j’observe.

LOULOU.

Et qu’as-tu observé ?

TOUTES, se pressant autour d’elle.

Oui ! oui !

BERTHE.

Bien des choses… D’abord, il y a cette homœopathie que prend madame Boulinard.

ROSA.
Puisqu’elle est malade, cette femme.
BERTHE.

Malade ! avec une figure comme ça !… Naïve enfant !… Et cet invalide qui est toujours ici…

GERTRUDE.

Puis que c’est l’accordeur.

BERTHE.

L’accordeur ?… Tu crois ça, toi ?…

GERTRUDE.

Mais dame !…

BERTHE.

Re-naïve enfant !… Sont-elles bêtes !… Enfin ! n’ayez pas peur ! j’éclaircirai tout ça !… Ah ! madame Boulinard s’attaque à moi ! Eh bien, soit ! c’est la guerre !… Ah ! mais ! ah ! mais ! j’en ai assez ! à bas la pension !

TOUTES.

Oui, oui ! à bas la pension !…

BERTHE.
I

Il était plusieurs jeunes filles
Qui, dans une institution,
Douces, mignonnes et gentilles,
Gémissaient sous l’oppression !
Un jour leur maîtresse, un cerbère,
Perdant tout à coup la raison,
Osa nommer dans sa colère
La plus petite : Moucheron !

Oui, mais :

Le moucheron se vengera
Et rira bien qui le dernier rira !

ENSEMBLE.

Le moucheron, etc.

BERTHE.
II

La petite n’était pas bête.
Comme signe particulier,
Tout ce qu’elle avait dans la tête
Elle ne l’avait pas au pied !
Alors voulant tirer vengeance
De l’injuste et sanglant affront
Elle ramassa cette offense
Disant : soit ! Je suis moucheron !

Oui, mais :

Le moucheron se vengera
Et rira bien qui le dernier rira

TOUTES.
Bravo ! Bravo !…
BERTHE.

A la bonne heure, mesdemoiselles !… Je vous reconnais !… C’est bien… continuez votre récréation… Moi, je vais songer à la vengeance. Allez, mesdemoiselles, allez.

TOUTES.

Vive moucheron ! (Elles sortent toutes, à l’exception de Berthe, sur un reprise du motif.)


Scène V

BERTHE, puis GABRIELLE.
BERTHE, seule, dramatiquement.

Oh ! oui, je me vengerai, ou j’y perdrai mon nom !… Mais qu’est-ce que je pourrai bien faire ?

GABRIELLE, entrant, elle est très triste. A elle-même.

Me voici habillée pour le contrat… que faire ?… Quel parti prendre ?

BERTHE, l’apercevant, à part.

Gabrielle ! La nièce de mon ennemie… Tiens ! comme elle a l’air triste !… Le jour de la signature de son contrat !… Est-ce qu’on la marierait de force ?… Cette madame Boulinard en est bien capable !… Questionnons-la…(s’approchant.) Hum ! hum !

GABRIELLE.

Ah ! Berthe !

BERTHE, feignant l’étonnement.

Tiens ! Gabrielle. (L’examinant.) Ah ! mon Dieu ! Qu’as-tu donc ?

GABRIELLE.

Moi… rien.

BERTHE.

Mais si, tu as les yeux tout rouges. Tu viens de pleurer.

GABRIELLE.

Mais non… quelle idée !

BERTHE, avec force.

Tu viens de pleurer !… Pauvre enfant !… Je sais pourquoi.

GABRIELLE.

Tu sais…

BERTHE.

Oui… Tu n’aimes pas ton futur, M. Lucien Bavolet.

GABRIELLE.

Mais…

BERTHE.

Ne mens pas !… Tu en aimes un autre.

GABRIELLE.
Hein !… Comment sais-tu ?
BERTHE.

Ah ! tu vois bien…

GABRIELLE.

Berthe ! ne parlons pas de ces choses-là… Tu es encore trop jeune.

BERTHE.

Trop jeune ! Ah ! mais je connais la vie, ma chère !… J’ai lu des romans… Eh bien, voyons… l’autre… il s’appelle ?…

GABRIELLE, bas.

Anatole.

BERTHE.

Anatole !… Quel joli nom !… As-tu de la chance d’aimer quelqu’un qui s’appelle Anatole ! Où vous êtes-vous rencontrés ?

GABRIELLE.

Une seule fois… au théâtre.

BERTHE.

Alors, depuis, il t’a écrit.

GABRIELLE, baissant les yeux.

Oui.

BERTHE.

Et tu lui as répondu ?

GABRIELLE, même jeu.

Oui.

BERTHE.

C’est une imprudence !… Verba volant, scripta manent, mon enfant !

GABRIELLE.

Hein ?

BERTHE.

C’est du latin… Ça veut dire que les écrits restent, (A part). Oh ! la jeunesse !… (Haut.) Où sont-elles, ces lettres ?

GABRIELLE, tirant une lettre de sa poche.

Voilà la dernière qu’il m’a écrite… Elle est d’aujourd’hui.

BERTHE, la lui prenant.

Voyons ça… (Lisant.) « Mademoiselle : Au feu ! au feu !… » C’est un pompier !… « Vos regards ont embrasé mon âme. » (Avec approbation.) Ah ! (Reprenant.) « Laissez-les tomber sur votre esclave ou je meurs !… » Que c’est joli ! (Continuant.) « J’ai besoin de votre rayonnement ! » Non ce n’est pas un pompier, c’est un poète. (Continuant.) « Je me trouverai tantôt, à deux heures, derrière le petit mur de votre pension. J’imiterai trois fois le son de la crécelle. Si vous frappez trois fois dans vos mains, c’est que vous serez là… j’escaladerai, et vous verrez paraître devant vous — Anatole. » Mais c’est un rendez-vous !

GABRIELLE.
Oui… ça m’en a l’air… Tu penses bien que je ne m’y trouverai pas.
BERTHE.

Mais au contraire, ma chère… Il faut t’y trouver, la politesse l’exige.

GABRIELLE.

Mais… (On entend la crécelle dans le fond.) Ah ! le voilà ! Berthe, allons-nous en… Je ne veux pas le recevoir.

BERTHE.

Comment ! tu ne veux pas !… Eh bien, j’ai une idée. (A part.) Je tiens ma vengeance. (Haut.) Je le recevrai, moi.

GABRIELLE.

Toi…

BERTHE.

Oui, moi !… allons, laisse-nous…

GABRIELLE.

Fais ce que tu voudras… je me sauve. (Elle sort en courant.)


Scène VI

BERTHE, puis ANATOLE, puis BAVOLET.
BERTHE.

Et maintenant, à nous deux, M. Anatole !… Ah ! Madame Boulinard, le mariage avec Bavolet n’est pas encore fait… (Frappant dans ses mains.) Une ! deux ! trois !… (A ce moment, on entend au fond la voix de madame Boulinard.) « Mademoiselle Berthe !… » Eh bien ! où est-elle encore ? Mademoiselle Berthe !… La voix de madame Boulinard !… (Criant.) Voilà, madame, voilà !…

MADAME BOULINARD.

Voulez-vous venir ici !…

BERTHE.

Et ce jeune homme qui va escalader… Ah ! tant pis… (Elle se sauve.) Voilà !… Voilà ! Quelle scie que cette femme !…

ANATOLE, paraissant sur la crête du mur.

Mademoiselle, au feu ! au feu !… Vos regards ont embrasé mon… (s’arrêtant.) Tiens ! il n’y a personne. J’ai pourtant entendu le signal. Au fond, je ne suis pas très rassuré… Car enfin, s’introduire par escalade dans une pension de jeunes filles, c’est grave… Enfin, risquons-nous. (Il se prépare à sauter dans la cour).

BAVOLET, entrant.

Personne… Je n’ai trouvé personne !… C’est moi, Lucien Bavolet, le fortuné conjoint… Et personne pour m’annoncer… Par ici peut-être… (Il se dirige du côté d’Anatole.)

ANATOLE, l’apercevant.
Quelqu’un !… un autre jeune homme ! Filons ! (Il disparaît derrière le mur.)
BAVOLET, descendant en scène.

C’est dans ces lieux que respire ma douce fiancée Gabrielle !… Comme elle va être heureuse, madame Boulinard, quand je lui aurai dit : « Madame, c’est moi, Lucien Bavolet, le fortuné conjoint… » Seulement, je suis inquiet, très inquiet… à cause de mon petit défaut… Oh ! parbleu ! dans ce moment-ci, on ne peut pas s’en apercevoir… seulement, tout à l’heure, quand il y aura du monde, ça sautera aux yeux comme le nez au milieu de mon visage… (Avec mystère.) Je bégaie… seulement, chose singulière, je ne ne bégaie pas comme tout le monde, je ne bégaie qu’en société… Ainsi, en ce moment, je suis seul, je ne bégaie pas, mais qu’il vienne quelqu’un, n’importe qui, aussitôt je bafouille, je patauge… Dès ma plus tendre enfance, je me destinais à la politique, je voulais être avocat, mais mon oncle m’a dit : « Ne fais pas ça. Dans ce métier là il n’y a que des bavards. Entre plutôt dans les télégraphes… on ne s’y sert que de très peu de mots. » Il y avait une place vacante à Lausanne et… (Il s’est assis sur une des chaises du jardin. Aussitôt une sonnerie prolongée se fait entendre.) Tiens ! on sonne… Eh bien ? on n’ouvre pas… (Criant.) Attendez ! j’y vais… (La sonnerie continue toujours.) Ah ! que je suis bête !… c’est moi qui sonne. Depuis quelques jours notre appareil s’est détraqué et j’ai profité de ce que je viens à Genève pour le porter à réparer. (Il l’a tiré de sa poche et l’examine.) Il a des rats…


Scène VII

BAVOLET, BERTHE.
BERTHE, revenant vivement.

Madame Boulinard m’a vue… me voilà tranquille… Voyons si M. Anatole est encore là… (Elle frappe dans ses mains. Apercevant Bavolet qui se retourne au bruit.) Ah ! le voilà. (Allant droit à lui.) Monsieur !…

BAVOLET, effrayé.

Ahl sa-sa-pristi !… (Il remet son appareil dans sa poche.) Made-de-moiselle ! (A part.) Là !… voilà que ça me prend.

BERTHE, mystérieusement.

Chut !… C’est vous qui venez pour Gabrielle ?

BAVOLET.

C’est moi qui viens pour Ga… ga…

BERTHE, achevant.

Brielle ! (A part.) Pauvre garçon ! Il est ému. (Haut.) Ça suffit… maintenant, parlons peu.

BAVOLET.

Parlons peu, je le veux bien.

BERTHE.
Et parlons bien… M. Anatole.
BAVOLET, à part.

Anatole ? Pourquoi m’appelle-t-elle Anatole ?

BERTHE.

Quelles sont vos intentions ?

BAVOLET.

Comment, mes in-ten-ten…

BERTHE.

Est-ce que vous ne voudriez pas épouser Gabrielle ?

BAVOLET.

Ne pas épouser Ga-ga…

BERTHE, achevant.

Brielle ! (A part.) Est-il ému, le pauvre garçon ! (Haut.) Vous ne voulez pas ?…

BAVOLET.

Si ! si ! si ! si !

BERTHE.

A la bonne heure, je vois que vous venez pour le bon motif.

BAVOLET.

Tout ce qu’il y a de plus bon-bon.

BERTHE.

Alors, je vais tout vous dire !

BAVOLET, intrigué.

Dites-moi tout-tout…

BERTHE, avec mystère, lui prenant la main.

Eh bien, ici… tout conspire contre vous.

BAVOLET, sursautant.

Est-il po-po ?…

BERTHE.

Ce n’est pas vous qui épouserez Gabrielle.

BAVOLET.

Je n’épouserai pas Ga-ga ?…

BERTHE, achevant.

Brielle !… Non. Madame Boulinard lui en destine un autre qu’on attend pour signer le contrat aujourd’hui.

BAVOLET.

Mais c’est moi-moi, qui… qui…

BERTHE.

Non, ce n’est pas vous-vous… qui… qui… Je le sais bien, peut-être, puisque je fais partie de la pension…

BAVOLET.

C’est vrai !… Elle doit le sa-savoir… C’est indi-digne.

BERTHE.

Mais je suis là pour tout arranger… Vous allez enlever Gabrielle.

BAVOLET.
Comment, enlever Ga-ga !…
BERTHE.

Brielle ! Oui…

BAVOLET.

Mais pé-permettez !…

BERTHE.

C’est l’habitude de la pension, à preuve Françoise…

BAVOLET.

Françoise ?…

BERTHE.

Elle s’est fait enlever par Pierre… ça se fait toujours comme ça.

BAVOLET.

Pas à Lau-lau…

BERTHE.

Lolo ?…

BAVOLET, à part.

Pas à Lausanne, toujours !

BERTHE.

Aimez-vous Gabrielle… ou ne l’aimez-vous pas ?

BAVOLET.

Si j’aime Ga-ga !…

BERTHE.

Brielle !

BAVOLET.

Oui !… (A part.) Heureusement qu’elle m’aide un peu, sans ça…

BERTHE.

Alors c’est convenu !…

BAVOLET.

Mais… mais… (Bruit de vaisselle dans la coulisse.)

BERTHE.

Ah ! mon Dieu ! C’est madame Boulinard ! nous sommes perdus…

BAVOLET.

Pas du tout !… je vais lui dire qui je suis et…

BERTHE.

Gardez-vous en bien !… Vous ne savez pas comme elle est violente et emportée… cachez-vous, je réponds de tout. (Elle se met devant lui.)


Scène VIII

Les Mêmes, MADAME BOULINARD, puis les élèves.

(On entend un nouveau bruit de vaisselle cassée et une paire de soufflets. Puis madame Boulinard paraît furieuse.)

MADAME BOULINARD.

Eh ! parbleu ! S’il ne reste pas assez de bouillon pour les petites, on remet de l’eau ! c’est élémentaire !… sont-elles bêtes, ces cuisinières !… un rien les embarrasse !

BERTHE, bas à Bavolet.

Elle est furieuse !… attention… (Elle se met à sautiller de droite à gauche, cachant Bavolet derrière elle et fredonne un air de ronde.)

MADAME BOULINARD, l’apercevant.

Qu’est-ce que vous faites là, vous ?… qu’est-ce que vous avez à danser ?…

BERTHE, continuant son manège.

Tiens ! si on ne peut plus s’amuser en récréation…

MADAME BOULINARD.

Allons ! hors d’ici, Moucheron ! (Elle la fait tourner et démasque Bavolet.) Hein ? qu’est-ce que c’est que ça ?

BAVOLET, bégayant.

Ma-ma-da-da…

MADAME BOULINARD.

Un jeune homme !… un jeune homme, ici !… Et ces demoiselles qui vont venir !… (Courant au fond.) Mesdemoiselles ! ne venez pas, il y a un jeune homme ! (Revenant à Bavolet qu’elle saisit par le collet.) Qui êtes-vous ?

BAVOLET.

Ma-ma…da-da…

MADAME BOULINARD, le secouant.

Dada !… qui êtes-vous ?

BERTHE, passant derrière elle, bas.

Madame ! C’est le maître de gymnastique !

MADAME BOULINARD, se calmant, à part.

Le maître de gymnastique ! C’est vrai… Je l’avais oublié… J’ai tant d’affaires… (Retournant au fond.) Mesdemoiselles ! vous pouvez venir, au contraire !… venez. (Aux élèves qui arrivent, leur désignant Bavolet.) Je vous présente monsieur, qui vient pour vous…

BAVOLET, à part.

Hein ?…

MADAME BOULINARD, bas aux élèves.

C’est le maître de gymnastique.

TOUTES.

Ah ! Bravo ! Bravo !

BAVOLET.

Mes-mesdemoiselles, croi-croyez que je suis fla-fla…

MADAME BOULINARD.

Fla-fla !… (Aux élèves.) Il est flaté… (A Bavolet.) Vous bégayez ?

BAVOLET, voulant répondre.

Ma-ma…

MADAME BOULINARD, avec bonté.

Ça ne fait rien… Je ne vous ai pas pris comme professeur d’éloquence… (Changeant de ton.) Avez-vous les ceintures ?

BAVOLET, sans comprendre.

Les cein… cein ?…

MADAME BOULINARD.

Je dis : Avez-vous les ceintures ? (Apercevant Berthe qui essaie de se glisser auprès de Bavolet.) Qu’est-ce que vous faites là, vous ?… dans le coin !… (Elle la renvoie à gauche. Revenant à Bavolet.) Eh bien, les avez-vous ?

BAVOLET, ahuri.

Je… je… ne sais… sais pas…

MADAME BOULINARD.

Comment, vous ne savez pas ?… C’est pourtant votre affaire… Enfin, c’est bon, on passera… (A part.) Quel drôle de professeur de gymnastique !… (Haut.) Venez ici. (Elle l’attire à elle et lui prend un bras, puis l’autre qu’elle soulève et laisse retomber.) L’autre.

BAVOLET, à part.

C’est comme à la révision !… (Il se retourne et lui présente l’autre bras.)

MADAME BOULINARD, avec une moue, à part.

Peuh !… (Elle se baisse et lui palpe les mollets).

BAVOLET, avec un petit cri.

Ah ! vous me cha… cha… touillez !… (Madame Boulinard se dresse en continuant à le palper. On entend une sonnerie.)

MADAME BOULINARD.

On sonne… une visite… (Criant à la cantonnade.) Je n’y suis pour personne…

BAVOLET.

Non ! non !… c’est mon appa… pa…

MADAME BOULINARD.

Papa !… Il n’est pas question de papa… (Elle se recule d’un pas et se met à l’examiner. Après un silence.) C’est curieux, vous êtes maigre ?…

BAVOLET.

Moi, je suis entre la… la…

MADAME BOULINARD, sans comprendre,

Entre la… la… Ah ! lardé…

BAVOLET.

Oui !…

MADAME BOULINARD.

Vous ne devez pas être bien fort… (Elle lui donne un grand coup sur l’épaule. Il ploie et manque de tomber.) Vous voyez, vous n’êtes pas fort !…

BAVOLET.

Il n’est pas donné à tout le mon… mon… de d’être un né… ner…

MADAME BOULINARD.

Un né… ner ?

BAVOLET.

Un né… n’hercule.

MADAME BOULINARD.

Cela serait à désirer, jeune homme… surtout pour ce que vous aurez à faire ici…

BAVOLET, à part.

Comment, ce que j’aurai à faire…

MADAME BOULINARD, aux élèves.

N’est-ce pas, mesdemoiselles !

TOUTES.

Certainement !…

MADAME BOULINARD.

Enfin, si vous avez l’expérience pour vous.

BAVOLET, à part.

Ahl ça !… qu’est-ce qu’elle dit ?… (Haut.) Pa… pardon.

MADAME BOULINARD.

L’arène est prête… Elle vous attend…

BAVOLET, vivement.

La reine ! (il porte la main à son chapeau et s’apprête à sortir.)

MADAME BOULINARD, le retenant.

Non ! restez ici… je vais installer ces demoiselles et, dans cinq minutes, elles seront à vous…

BAVOLET.

A moi !

MADAME BOULINARD.

Il y a assez longtemps qu’elles vous attendent… (Aux élèves.) Allons, mesdemoiselles, venez vous préparer… Et surtout, du biceps !… (Levant le bras comme si elle manœuvrait une haltère.) Une ! deux !… Une ! deux ! Dans les rangs !

TOUTES, l’imitant.

Une ! deux !… Une ! deux ! (Elles sortent.)

BERTHE, qui s’est approchée de Bavolet, bas.

Je reviens !…

MADAME BOULINARD, l’apercevant.

Qu’est-ce que vous faites là, vous ?… Dans les rangs ! (Elle la pousse devant elle et sort en reprenant :) Une ! deux !…


Scène IX

BAVOLET seul, la regardant s’éloigner.

Quelle drôle de pension !… Avec tout ça, je n’ai pas pu m’expliquer… Maudit bégaiement ! ! ! Et dire que quand je suis tout seul… (Se mettant à réciter avec volubilité comme un enfant l’école.)

Le chêne un jour dit au roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la nature…

La cigale ayant chanté
Tout l’été… »

J’irais comme ça des heures entières… Et une fois qu’il y a du monde, patatras !… Oh ! ça me gêne !… ça me gêne !… Sans compter qu’on a ici une manière de parler et d’agir qui me trouble… Voyons, récapitulons : nous avons l’enlèvement, le conseil de révision, la reine…


Scène X

BAVOLET, BERTHE, puis GABRIELLE.
BERTHE, revenant avec précaution.

Monsieur ! monsieur !…

BAVOLET, à part.

Bon ! la petite qui revient… (Haut.) Quoi, enco… core ? (a part.) Ça me reprend !…

BERTHE.

Chut !… plus bas !… (S’approchant de lui.) J’ai mis le temps à profit… tout est prêt…

BAVOLET.

Co… co… comment ?

BERTHE.

J’ai décidé Gabrielle, elle consent à se laisser envoler…

BAVOLET.

Mais…

BERTHE.

Pas d’hésitation !… Je vous l’ai dit : il le faut !… (Allant au fond.) Allons, viens, Gabrielle…

GABRIELLE, arrivant, soigneusement enveloppée d’une mantille qui lui cache le visage et tenant à la main un petit sac, bas à Berthe.

Oh ! je n’ose pas lever les yeux !

BERTHE.

Eh bien !… baisse-les… c’est plus convenable quand on se fait enlever, (A Bavolet.) Ne la regardez pas… ça lui ferait peur.

BAVOLET.

Je vou… voudrais pou… pourtant bien voir… (Regardant Gabrielle qui détourne ta tête.) Tiens ! elle est emma… ma… emmama… (A part.) Non ! je ne pourrai jamais dire emmaillottée !

BERTHE.

Certainement !… Est-ce que vous croyez qu’on se fait en lever à visage découvert ? (A part.) Il ne sait rien, ce garçon-là !… (Bas à Gabrielle.) Allons, dis-lui quelque chose… Vous restez là tous les deux… Oh ! si c’était moi ! Allons ! Allons !… mais ne vous regardez pas… (Elle les met l’un près de l’autre, mais dos à dos.)

GABRIELLE, les yeux toujours baissés.

Monsieur, je sais que ce que je fais est mal… et si Berthe ne m’avait pas dit à quel point vous insistiez…

BAVOLET.

Moi !… j’in… j’in…

BERTHE.

Mais oui ! mais oui !… vous insistez !…

BAVOLET.

Bien ! Bien !…

GABRIELLE.

Avant de quitter cet abri pour toujours, laissez-moi vous dire que je me confie à votre honneur de gentilhomme, monsieur Anatole.

BAVOLET, à part.

Anatole !… Elle aussi. (Haut.) Mais pa… pardon, je demande à pla… pla… cer un mot… mot.

BERTHE.

Non ! non !… nous n’avons pas le temps. J’ai chipé le trousseau de madame Boulinard, vous allez filer, par cette petite porte…

BAVOLET, à part.

Décidément, elle tient à me faire enlever ma future.

TRIO
BERTHE, qui a ouvert la porte.

Allez !
Partez !
Courez !
Vite, fuyez
Et décampez
Sans plus d’attente,
Ou bien craignez
La tante !

ENSEMBLE

Allons !
Partons, etc.

BERTHE.

Et maintenant dépêchez-vous,
La petite porte est ouverte
Sans plus tarder embrassons-nous.
Adieu, Gabrielle !

GABRIELLE.

Adieu, Gabrielle !Adieu, Berthe !

BERTHE.

Adieu, monsieur, aimez-la bien !

BAVOLET, à part.

Allons décidément, je rêve,
Voilà que c’est moi qu’on enlève
Ma foi ! je n’y comprends plus rien !

BERTHE, les prenant tous deux par la main, avec émotion.
ROMANCE

Quand vous serez sur la rive étrangère,
Amis, songez à celle qui resta !
Quand vous serez tout au bout de la terre,
N’oubliez pas celle qui vous aima !…

BAVOLET et GABRIELLE.

Ah ! Ah !

BERTHE.

Ne pleurez pas !

GABRIELLE et BAVOLET.

Ah ! Ah !

BERTHE.

Ne pleurez pas !

ENSEMBLE, gaîment.

Ne pleurons pas !

BERTHE.

Prenez sans perdre de temps
La clef des champs.

REPRISE

Allez ! etc.

(Bavolet et Gabrielle s’apprêtent à sortir.)


Scène XI

Les Mêmes, MADAME BOULINARD.
MADAME BOULINARD, paraissant à la porte.

Un instant !…

GABRIELLE, avec un cri.

Ah ! ma tante ! (Elle se sauve.)

BERTHE, à part.

Madame Boulinard ! trop tôt.

MADAME BOULINARD.
Une tentative d’enlèvement dans la maison Boulinard !… Et sur la personne de ma nièce.
BERTHE, timidement.

Mais, madame.

MADAME BOULINARD.

Taisez-vous, vous !… votre jeune âge est votre seule excuse… mais Gabrielle !… se laisser enlever par un gymnasiarque !

BAVOLET, protestant.

Gy… gy… gy… gy… Mais…

MADAME BOULINARD.

Silence, acrobate !

BAVOLET.

Oh !

BERTHE, bas à madame Boulinard.

Madame !… ce n’est pas le maître de gymnastique… je vous avais conté une craque… C’est monsieur Anatole, un jeune homme très bien.

MADAME BOULINARD.

Comment !

BERTHE.

Oui… Ils s’aimaient, ces enfants… alors…

MADAME BOULINARD.

Ah ! ils s’aimaient ! ah ! ils s’aimaient ! (Allant à Bavolet.) Eh bien ! nous allons rire, Anatole.

BAVOLET, à part.

Anatole !… Encore !… (Haut.) Mais ma… ma…

MADAME BOULINARD.

Tais-tois… Tais-toi, ou je te casse !… (Le prenant par le collet.) Et entre là !… Tu t’expliqueras devant les tribunaux… Je vais aller chercher le commissaire.

BAVOLET, effrayé.

Le co… co…

MADAME BOULINARD.

Entre là !… (Elle le pousse à gauche et l’y enferme.)


Scène XII

MADAME BOULINARD, BERTHE.
BERTHE, à part.

Quel dommage !… ça allait si bien…

MADAME BOULINARD, revenant vers elle.

Maintenant, à nous deux, mademoiselle… Je devrais vous chasser de mon institution.

BERTHE.

Pas de danger ! papa paie trop bien.

MADAME BOULINARD.
Justement !… aussi vais-je me contenter d’une correction classique conforme à votre âge… (Elle retrousse ses manches.)
BERTHE.

Ah ! mais non ! je ne veux pas ! (Elle ramasse ses jupes dans ses mains et se met en défense.)

MADAME BOULINARD.

Nous allons bien voir.

BERTHE, se sauvant.

Non ! non !… madame !… Ecoutez !… je vais vous dire !… (Après une poursuite assez courte, elle est prise par madame Boulinard qui lève la main. Poussant un cri.) Ah !

MADAME BOULINARD.

Quoi ?

BERTHE.

Je me suis fait mal !… Ah ! (Elle se pâme.)

MADAME BOULINARD, la retenant.

Mon Dieu ! où ça, Berthe ? où ça ?

BERTHE.

Je ne sais pas !… Ah ! ah !… Je me suis cassé quelque chose…

MADAME BOULINARD, effrayée.

Mais qu’est-ce qui lui arrive ?… Si elle allait me passer dans la main… ma meilleure élève !… que faire ?… (Frappée d’une idée.) Ah ! mon homœopathie ! attends, Berthe, attends. (Elle la fait passer alternativement d’un bras sur l’autre pour fouiller dans sa poche. En tirant sa bouteille.) Tiens, bois, mon enfant, bois ! (Elle lui porte la bouteille aux lèvres.)

BERTHE, se redressant à moitié, à part.

Ah ! mais !… C’est des liqueurs fortes ! (Se laissant retomber, d’une voix faible.) Encore !

MADAME BOULINARD.

Encore… oui ! oui !… Bois…

BERTHE, s’emparant de la bouteille et s’échappant de ses bras. Avec triomphe.

Ahl voilà donc ce que c’est que votre homœopathie !…Je le dirai à tout le monde.

MADAME BOULINARD.

Elle m’a jouée !… veux-tu me rendre ça ?

BERTHE.

Jamais de la vie !… (Madame Boulinard court après elle. Au moment où elle va la saisir, Berthe lui échappe par un crochet, court au pavillon de droite, grimpe après le treillage et arrive à la fenêtre du premier étage.) Ah ! vous voyez bien que j’ai des dispositions pour la gymnastique. (Elle disparaît en lui tirant la langue.)

MADAME BOULINARD.
Attends, va ! (Elle essaie d’ouvrir la porte du pavillon.) Fermée !… (Elle fait un mouvement pour escalader le treillage. Se ravisant.) Non ! j’aime mieux faire le tour. (Elle sort.)

Scène XIII

BELPHÉGOR, puis BERTHE.
BELPHÉGOR, sortant du pavillon.

Il me semblait qu’on essayait d’ouvrir cette porte. (Regardant autour de lui.) Non… personne… Ah ! je ne suis pas fâché de prendre un peu l’air… Et puis, cette coiffure. (La retirant.) Ça vous chauffe le crâne. (Il s’essuie le front.) Ouf !

BERTHE, reparaissant à la porte du pavillon avec un panier de bouteilles qu’elle brandit.

Quelle trouvaille !… J’ai déniché toute la pharmacie !… Eh bien ! elle en consomme de cette homœopathie !… oui, mais en attendant, elle est allée chercher le commissaire, et ce pauvre Anatole… Oh ! si je pouvais trouver quelque chose !… (Apercevant Belphégor.) Ah ! L’invalide !

BELPHÉGOR.

Quelqu’un !… (Il remet virement sa perruque.)

BERTHE.

Qu’est-ce qu’il fait ?… Oh ! Il s’agit de tirer ça au clair… J’ai des munitions, je saurai bien le faire parler…

BELPHÉGOR.

Allons !… rentrons !… J’espère que Mathilde ne va pas tarder à venir me chercher. (Il se dirige vers le pavillon, Berthe se trouve nez à nez avec lui.) Une élève !… d’où sort-elle ?

BERTHE.

Ah ! c’est vous, l’accordeur ?

BELPHÉGOR.

Oui, mademoiselle, c’est moi… mais je vous demande pardon, j’ai là dedans un fa dièse… (il veut rentrer dans le pavillon.)

BERTHE, lui barrant le passage.

Et vous allez bien, aujourd’hui, mon petit accordeur ?…

BELPHÉGOR.

Mais oui, merci… Sauf la jambe gauche qui me fait toujours un peu souffrir… vous savez, les vieilles blessures, aux changements de temps. (Il se met à boiter de la jambe droite.)

BERTHE.

Mais non !… vous vous trompez !…

BELPHÉGOR.

Comment !

BERTHE.

Vous dites la jambe gauche… et vous boitez de la droite.

BELPHÉGOR, à part.

Sapristi !… (Haut.) Justement… aux changements de temps.

BERTHE.
Vous changez de jambe ?…
BELPHÉGOR.

Oui… de temps en temps je… (A part.) Allons bon ! qu’est-ce qu’elle me fait dire ?

BERTHE, à part.

Toi, mon bonhomme, je te tiens !… (Haut, lui montrant les bouteilles.) Dites donc… C’est ça qui est bon.

BELPHÉGOR.

Du schnick !

BERTHE, étonnée.

Du schnick !… ça s’appelle du schnick. Eh bien ! en voulez-vous, du schnick ?

BELPHÉGOR.

Si j’en veux !… mille millions !…

BERTHE.

Eh bien ! mille millions !… Avalez-moi ça… (Elle lui tend un verre.)

BELPHÉGOR, s’allumant.

A votre santé, nom d’un tonnerre !…

BERTHE, l’imitant.

A ma santé, nom d’un… (s’arrêtant, à part.) Ah ! non !… Il va trop loin ! (Haut.) Pourtant, ça doit vous paraître un peu doux.

BELPHÉGOR, s’oubliant.

Non ! non !… j’adore le doux…

BERTHE.

Allons donc ! vous ! un vieux soldat !…

BELPHÉGOR, à part.

C’est vrai… (Vivement.) Le doux et le raide. J’adore aussi le raide.

BERTHE.

A la bonne heure !…Car vous êtes un vieux soldat, n’est-ce pas ?…

BELPHÉGOR.

Ah ! mille bombardes… Cré nom d’un nom !… C’est-à-dire que je suis tout couvert de cicatrices !… Voulez-vous voir ?…

BERTHE.

Non ! non ! Ah ! que c’est beau d’être soldat… moi j’aurais voulu être général !

BELPHÉGOR.

Général !

BERTHE.

Ou caporal, ça m’est égal, je me sens la vocation.

BELPHÉGOR.

Eh bien, vous l’êtes, je vous nomme. Commandez et vous allez voir.

BERTHE.
C’est ça !… Mais d’abord, encore un coup, hein ?…
BELPHÉGOR.

Ce n’est pas de refus.

BERTHE, allant prendre une baguette.

Et maintenant, mille bombardes, je vais commander !…

DUO.
BERTHE, brandissant la baguette avec des allures militaires.

Attention à la baguette,
Formez les rangs, marchez au pas.

(Elle fait le tour du théâtre, suivie de Belphégor, s’arrêtant.)

Fixe ! portez arme ! Arme bras !
Présentez arme, croisez… ette !…

(Belphégor exécute ses mouvements.)

Et maintenant marchons à la bataille !

BELPHÉGOR.

A la bataille !

BERTHE.

Défilons vivement
Manœuvrons prestement.

ENSEMBLE.

Et vive la mitraille !…

BERTHE.

En avant ! en avant !

BELPHÉGOR.

Tara ta ta ta, la trompette sonne !

BERTHE.

Et puis le tambour, rataplan, rataplan, plan ! plan !

BELPHÉGOR.

Et puis le tambour, rataplan, rataplan, plan ! plan !

BERTHE.

Boum ! boum ! boum ! boum ! et le canon tonne !

BELPHÉGOR.

Boum ! boum ! boum ! boum ! et le canon tonne !

BERTHE.

Paf, pif, paf ! la poudre détonne !

ENSEMBLE.

Ta ra ta ta ta, etc.

BELPHÉGOR, buvant.

Devant mes yeux tout danse.
Me voilà gris !
Et de ceci, je pense,

J’ai par trop pris
Oui, je suis gris !
Mais bah ! tant pis !
Au diable la mélancolie.
Allons !
Buvons !
Et vive, vive la folie !

ENSEMBLE.
BELPHÉGOR.

Devant mes yeux tout danse.
Me voilà gris !
Et cette fois je pense,
Je suis bien pris !
Oui, me voilà tout à fait gris !

BERTHE.

Devant ses yeux tout danse,
Le voilà gris !
Et cette fois, je pense,
Il est bien pris !
Oui, le voilà tout à fait gris !

BELPHÉGOR.

Ah ! nom d’un nom ! Ah ! sapristi !
La crâne femme voilà-t-il !

BERTHE.

Ah ! quel dommage
Que vous ayez votre âge !

BELPHÉGOR.

Comment, mon âge !

BERTHE.

Ah ! si vous n’étiez pas si vieux !

BELPHÉGOR.

Moi vieux ! C’est une calomnie.

BERTHE.

Ah ! si vous n’étiez pas boiteux !

BELPHÉGOR.

Boiteux ! mais jamais de la vie !

BERTHE.

Eh bien ! et tous ces cheveux-là ?

BELPHÉGOR.

Mes cheveux ! Tenez ! les voilà !

(Il enlève sa perruque.)

BERTHE.

Et bien ! et cette jambe-là ?

BELPHÉGOR, gigotant.

Ma jambe, tenez, la voilà !

BERTHE, jouant l’étonnement.

Comment, vous n’étiez pas un invalide !

BELPHÉGOR.

Invalide ! moi ! nul n’est plus solide. Je suis jeune et fringant, Vigoureux et pimpant,

BERTHE, à part.

J’ai réussi ! Dieu quelle chance !

ENSEMBLE.
Devant
mes
yeux tout danse, etc.
ses

(Ils te mettent à danser sur une reprise du motif.)


Scène XIV

Les Mêmes, MADAME BOULINARD, les élèves, GABRIELLE, puis BAVOLET, puis ANATOLE.
TOUTES, entrant.

Oh !

MADAME BOULINARD.

Qu’est-ce que je vois ?

BELPHÉGOR.

Mathilde ! Il faut que je l’embrasse.

MADAME BOULINARD, le repoussant.

Mais il est gris !

BERTHE.

Quand je vous disais, mesdemoiselles, que cet accordeur-là était louche…

JENNY.

J’écrirai à ma famille.

MADAME BOULINARD, à part.

De l’énergie ! Sauvons la situation ! (Haut.) Mesdemoiselles ! C’est mon futur mari !

TOUTES, se calmant.

Ah !

BELPHÉGOR, avec joie.

Maître de pension !… Mon rêve.

BERTHE, bas à madame Boulinard.

Soit, madame… vous vous êtes tirée de là, mais il y a encore autre chose… la pharmacie, là-haut, que j’ai dénichée…

MADAME BOULINARD.

Ciel !… Silence !…

BERTHE.

Je me tairai… mais à une condition, vous allez rendre la liberté à ce jeune homme et lui donner Gabrielle…

MADAME BOULINARD, à part.

Elle me tient !… Allons ! (Elle ouvre le pavillon où elle a enfermé Bavolet, l’en extrayant et le faisant passer à Gabrielle.)

GABRIELLE, levant les yeux sur lui.

Hein ?… Mais ce n’est pas lui !…

TOUS.

Comment !

BERTHE, surprise.

Ce n’est pas Anatole ?

GABRIELLE.

Mais non !…

BAVOLET, à part.

Anatole !

BERTHE.

Qu’est-ce que ça veut dire ? (On entend un bruit de crécelle. Anatole paraît sur le mur.)

ANATOLE.

Mademoiselle, au feu ! au feu ! (s’arrêtant, surpris de voir tant de monde.) Oh ! (Il veut redescendre.)

GABRIELLE.

Restez ! restez !… ma tante consent…

ANATOLE, avec joie.

Ah !

BERTHE.

C’est celui-là, Anatole ? Qu’est-ce que tu me dis ?

ANATOLE, toujours sur le mur.

La vérité, mademoiselle… seulement, j’arrive peut-être un peu tard…

BERTHE.

Mais alors… l’autre ?

MADAME BOULINARD.

C’est vrai, au fait, l’autre… (A Bavolet.) Qui êtes-vous ?

BAVOLET.

Moi, je suis Lu… lu…

TOUS.

Lu… lu !

BAVOLET.

Lu… Lucien Ba… ba…

MADAME BOULINARD.

Bavolet ! le futur que j’attendais !…

BAVOLET.

Ju… juste.

MADAME BOULINARD.

Et vous ne le dites pas tout de suite ?… Eh bien !… mon garçon, il est trop tard, vous pouvez retourner d’où vous venez,

BAVOLET.
Par exemple !
MADAME BOULINARD.

C’est votre faute, ça vous apprendra à vous faire passer pour le maître de gymnastique.

BAVOLET, éclatant.

C’est trop fort, à la fin !… Mais je ne me suis fait passer pour rien du tout, entendez-vous !… C’est vous tous, au contraire, qui depuis ce matin me faites tourner en bourrique en m’appelant Anatole, en me faisant passer la révision, en me parlant de la reine, en voulant me faire enlever ma fiancée !… mais j’en ai assez ! je retourne chez nous et je dirai à mon oncle que je ne veux plus qu’il me parle de mariage, (A part.) Tiens ! je suis guéri, je ne bégaie plus… Je pourrai peut-être trouver un autre parti.

BERTHE, bas.

Repassez donc dans trois ans…

BAVOLET.

Hein ?

BERTHE.

J’aurai quinze ans…

BAVOLET.

J’y serai…

BERTHE.

Et maintenant : Vive madame Boulinard !

TOUTES.

Vive madame Boulinard !

REPRISE EN CHŒUR.

Puisque c’est la fête
De madam’ Boulinard,
Qu’on crie à tue-tête
Et de toute part :
Vive la saint Boulinard !


FIN