Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Mais la haineuse ingratitude

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 269-270).


IX[1]

Mais la haineuse ingratitude
À taire les bienfaits seule met son étude.
La reconnaissance aux doux yeux,
Au souris caressant, à la longue mémoire,
Parle, et des dieux chérie, est l’amour et la gloire
Des mortels semblables aux dieux.

Quel fugitif, d’un pied colère.
Va renverser l’autel qui lui fut tutélaire ?
Quel nageur sauvé du trépas
Brûle son bienfaiteur, le roseau du rivage ?
Quel rossignol ne chante, à couvert de l’orage,
L’ormeau qui lui tendit les bras ?

Ainsi pour ces molles prairies
Que Versaille, au retour des Pléiades fleuries[2],
Étendit sous mes pas errants ;
Pour ces zéphyrs, l’ombre fraîche et secrète,
Dont il a du lion, sur ma douce retraite,
Tempéré les feux dévorants ;

Ma muse en poétique offrande
Lui tressa l’amarante, immortelle guirlande
D’où vient donc, etc…[3]

  1. Édition de G. de Chénier.

  2. Le manuscrit porte :
    Que V… au retour des Pléiades fleuries.

    L’auteur a écrit en marge de cette strophe :

    Des Pl. Aratus v. 263. — Ce qui veut dire : des Pléiades, voyez Aratus, v. 263. Puis il cite ainsi les vers du poète grec :

    αἱ μὲν ὁμῶς ὀλίγαι καὶ ἀφεγγέες, ἀλλ’ ὀνομασταὶ

    ἦρι (leur lever) καὶ ἑσπέριαι, ζεὺς δ’ αἴτιος, εἱλίσσονται.
    ὅ σφισι καὶ θέρεος καὶ χείματος ἀρχομένοιο.
    σημαίνειν ἐκέλευσεν ἐπερχομένου τ’ ἀρότοιο.
    Et V. le scoliaste Théon, quoique interpolé.
    Eratosth. Calart. V. πλειάς μεγίοτην
    δ’ ἔχουσι δόξαν ἐν τοῖς ἀνθρώποις ἐπισημαίνουσαι
    καθ’ ὥραν (de saison en saison).
  3. Le manuscrit offre cette variante :

    Ma lyre, naïve interprète,
    Ainsi chanta V. (Versaille) et ma belle retraite
    D’où vient donc… etc…

    Le poète avait passé un trait vertical sur ces trois vers, et les avait refaits ensuite plus bas tels qu’ils sont. (G de Chénier.)