Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 4/ch. 2

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animaux de basse-cour, et notamment les porcs.

Dislocation des sabots, onglons, ergots, et leurs emplois. — On parvient de plusieurs manières à séparer des os des pieds la substance cornée qui la recouvre chez les chevaux, bœufs, moutons, etc. L’une des plus simples consiste à mettre ces parties dans l’eau, et les y laisser jusqu’à ce que la substance molle, pulpeuse, qui est interposée entre l’os interne et l’ongle, soit distendue et presque délayée ; en cet état, il suffit d’insérer une lame de couteau dans cet intervalle amolli en partie, pour opérer la séparation.

Section III. — Conservation, préparation et emploi de la chair, du sang et des os.

Chair musculaire ; sa préparation, ses usages. — Des essais réitérés sur la chair des chevaux les plus maigres et qui avaient succombé à un état maladif bien marqué, nous donnent la conviction que l’on ne court aucun risque, et que l’on recueillera, au contraire, des avantages certains en animalisant la nourriture des animaux de basse-cour avec cette viande cuite et légèrement salée ; à cet effet, on la coupe en tranches, on la place dans l’eau, et l’on maintient celle-ci à l’ébullition pendant trois ou quatre heures dans une chaudière recouverte, dont la vapeur ne s’échappe qu’avec peine, le couvercle étant chargé d’un poids et posé sur un bourrelet de vieux linge.

Il n’y a aucun danger d’explosion dans ce mode de coction, connu sous le nom de cuisson à l’étouffée (1).

La viande est alors facile à diviser, à l’aide d’un couteau, d’un hachoir (fig. 53), ou mieux encore de râteaux à dents aiguës et à courts manches (fig. 54 et fig. 55). Mélangée avec trois ou quatre fois son volume de pommes-de-terre cuites (2) ou de recoupes, auxquelles on peut ajouter l’eau employée pour la coction, elle constitue une excellente nourriture pour les chiens, les porcs et les oiseaux de basse-cour ; simplement émiettée et mêlée avec deux ou trois fois son volume de grain, les poules la mangent avidement : ce régime paraît les exciter à pondre ; du moins trois essais, à des distances éloignées, ont donné ce résultat.

Cuisson des squelettes incomplètement décharnés. — Nous avons indiqué les moyens de dépecer les animaux et d’extraire la plus grande partie de la chair adhérente aux ossements ; cette dernière opération est assez longue et difficile à pratiquer dans les cavités irrégulières, les intervalles et les anfractuosités des os de la colonne vertébrale, du cou et des côtes ; elle deviendrait même impossible, en raison des frais de main-d’œuvre, pour l’exploitation d’un certain nombre d’animaux disponibles à la fois dans les établissements d’équarrissage. Nous avons constaté en grand, dans notre fabrique, l’efficacité du procédé suivant, applicable dans cette circonstance.

On construit une chambre voûtée (fig. 56) en briques très cuites, réunies par des joints minces en mortier de chaux et ciment ; un encadrement et une porte ou obturateur en fonte, la ferment hermétiquement, à l’aide de boulons à clavettes. Après qu’on y a entassé le plus grand nombre possible de carcasses charnues, on ouvre le robinet d’un tuyau en communication avec une chaudière, afin d’y introduire un jet de vapeur en quantité suffisante pour produire une pression constante de deux ou trois pieds d’eau ; en moins de trois heures la coction est terminée, et l’on peut diriger, à l’aide de robinets, la vapeur dans une seconde chambre disposée comme celle-ci.

Les chairs adhérentes aux ossements s’en détachent alors avec la plus grande facilité, surtout avant que le refroidissement soit complètement effectué ; l’eau condensée sur ces débris d’animaux entraîne les parties dissoutes par l’élévation de la température, notamment de la gélatine avec la graisse rendue fluide. Cette dernière substance est facile à séparer, puisqu’elle acquiert de la consistance en refroidissant, et qu’elle surnage. On peut l’épurer ensuite par une fusion suffisamment prolongée. Quant au liquide gélatineux, il est très convenable, soit pour animaliser les alimens des animaux domestiques

(1) Le degré de cuisson utile pour rendre la viande suffisamment friable, s'obtient très facilement, à l'aide de la vapeur, sous une pression de deux atmosphères. L'appareil digesteur, pour l'extraction de la gélatine des os, serait également propre à cet usage.

(2) Les pommes-de-terre cuites sont plus nourrissantes que crues, parce que les enveloppes de la fécule sont alors rompues. et notamment des porcs, soit pour être mélangé avec de la terre sèche, et former ainsi un engrais actif.

De quelque manière que l’on ait fait cuire et divisé la viande, on pourra la rendre susceptible d’une longue conservation en la faisant ensuite dessécher le plus possible au four, ou sur des plaques en fonte ou en tôle chauffées avec précaution, et, dans ce cas, en la remuant de temps à autre.

Cette opération utile, soit pour expédier au loin, soit pour conserver une provision disponible dans les moments opportuns, permet de porter plus loin la division ; il suffit, en effet, alors, de broyer cette matière devenue friable, sous le pilon, ou dans un moulin à meules verticales, ou même à l’aide d’une balte en bois, comme on écrase le plâtre (1).

Préparation et usage du sang. — Cette substance, dont on ne tire généralement aucun parti, relativement à la plupart des animaux tués dans les campagnes,et même dans les boucheries isolées et quelques abattoirs publics, est cependant une de celles qui peuvent être le plus facilement applicables aux besoins de toutes les localités. Le sang des animaux qui périssent de mort violente, et probablement même de ceux qui meurent de maladie, peut entrer dans la confection des aliments salubres et substantiels, tout aussi bien que celui du cochon, auquel cet emploi est exclusivement réservé dans notre pays.

On prépare en Suède pour les gens peu fortunés, un pain très nutritif avec le sang des animaux de boucherie et la pâte ordinaire de farine de blé ; il n’y aurait pas plus d’inconvénients à destiner au même usage le sang de la plupart des autres animaux ; mais, dans tous les cas, pourquoi ne consacrerait-on pas à la nourriture des animaux de basse-cour un pain de cette sorte ? Il suffit, pour le préparer, d’apprêter la pâte comme à l’ordinaire, en employant, au lieu d’eau, un mélange liquide de moitié eau, moitié sang. Cette sorte de pain, coupé en tranches et desséché au four, constitue une très bonne matière d’approvisionnement, et permet de tirer parti d’une grande quantité de sang dont on pourrait disposer à la fois.

Il est toujours préférable de se servir, pour cette préparation, de sang frais ; mais, y employât-on même du sang un peu fermenté, il n’en résulterait pas plus d’accidents que de la clarification du sucre opérée avec au sang corrompu, car les gaz de la putréfaction se dégagent par la température de la cuisson du pain, comme dans l’évaporation des sirops.

L’un de ces procédés, décrit dans un brevet de MM. Payen et Bourier, fut d’abord appliqué à la fabrication des produits ammoniacaux ; il consiste, à faire coaguler le sang par une température de 100°, soit directement à feu nu, soit à la vapeur ; on extrait par une forte pression la partie liquide, puis on fait dessécher à l’air libre, ou dans un séchoir à l’air chaud (fig. 57), le coagulum divisé.

L’autre procédé mis en usage pour préparer selon la méthode de M. Gay-Lussac la substance albumineuse sèche, dissoluble, propre aux clarifications, consiste à séparer d’abord la fibrine du sang, puis à répandre le liquide à diverses reprises sur des piles aérées de bûches menues, en bois dur, disposées entre les montants d’un bâtiment de graduation (fig. 58),ou encore dans toutes les capacités d’un séchoir à courant d’air chauffé au-dessous de 50°.

Un 3e procédé consiste à mettre dans une chaudière (fig. 59) en fonte ou en tôle une quantité de sang suffisante pour occuper une hauteur de six à huit pouces ; chauffer jusqu’à l’ébullition, en agitant sans cesse avec une spatule en fer, une petite pelle de fer, ou tout autre outil analogue.

Le sang ainsi traité se sépare en deux parties, l’une liquide dans laquelle l’autre se coagule en gros

(1) Une partie des tendons intercalés dans la chair, ainsi que les cartilages, résistent à ces moyens de pulvérisation. Il est facile de les séparer à l’aide d’un crible : on peut les réserver pour être vendus aux fabricants de bleu de Prusse ou de produits ammoniacaux. On parvient à les diviser pour les utiliser comme engrais en les faisant dessécher de nouveau dans le four jusqu’au point où légèrement torréfiés ils deviennent friables. coagule en gros flocons (1) : ceux-ci perdent peu à peu la plus grande partie de l’eau qui les mouille, et se divisent de plus en plus par l’agitation continuelle qu’on leur fait éprouver. Lorsque le sang est ainsi réduit en une matière pulvérulente humide, on peut achever sa dessiccation en modérant le feu et remuant toujours, ou retirer cette substance et la faire dessécher complètement en l’agitant sans cesse sur la sole du four après la cuisson du pain. Il convient alors d’augmenter la division en l’écrasant le plus possible à l’aide d’une batte, ou mieux sous la roue d’un manège.

Nous avons aussi indiqué, tome Ier, page 93,un autre procédé fort simple pour dessécher au four le sang mêlé avec de la terre.

On met le sang sec en barils, caisses ou sacs, que l’on conserve dans un lieu à l’abri de l’humidité : on en fait usage pour l’engrais des terres ou pour nourrir les animaux, de la même manière que de la viande hachée et desséchée, dont nous avons parlé plus haut.

Issues, vidanges et déchets des boyaux. — Nous ne conseillons pas de faire dessécher ces matières animales, parce que cela offrirait d’assez grandes difficultés, relativement aux vidanges des intestins, qu’une partie des produits gazeux de la fermentation, déjà commencée dans les déjections, serait perdue et infecterait jusqu’à une grande distance les endroits où l’on voudrait opérer cette dessiccation. Quant aux déchets de boyaux, foie, poumons, cœur et cervelle, ils peuvent, sans inconvénients, être desséchés de la même manière que la viande (Voy. les procédés décrits plus haut), et donner une substance presque d’égale valeur pour les mêmes emplois, ou être employés comme nous l’indiquons t. Ier, p. 94, pour l’engrais des terres.

Préparation et emplois des os. — Toutes les parties creuses, de même que les portions spongieuses des os récemment tirés des animaux contiennent une matière grasse que l’on peut en extraire en lui ouvrant un passage et la faisant liquéfier sous l’eau par la chaleur : un billot fait avec le moyeu d’une roue hors de service, une hache (fig. 60), bien trempée, une scie à main, et une chaudière ou marmite, sont les seuls ustensiles indispensables pour cette opération.

On coupe en tranche de 2 à 6 lignes d’épaisseur toutes les parties celluleuses des os gras ; ce sont notamment les bouts arrondis qui se rencontrent dans les articulations ou jointures ; le corps de l’os est concassé d’un coup de tête de la hache et laisse la moelle à nu ; les côtes sont seulement fendues en deux, ainsi que la partie inférieure des mâchoires, ce qui ouvre un passage suffisant à la graisse logée dans une large cavité. Non seulement les os entiers que l’on a extraits des animaux, mais encore ceux qui ont accompagné la viande alimentaire dans le pot-au-feu, ou rôtis, etc., sont utilisés de la sorte. Il est seulement indispensable qu’on évite d’attendre trop longtemps avant d’en tirer parti ; car la graisse se fixerait dans le tissu osseux, dès que celui-ci, par une dessiccation spontanée, ne serait plus imprégné de l’eau qui s’oppose à l’infiltration de cette substance grasse.

On doit traiter à part, et avec plus de précaution, les os qui, en raison de leurs formes, leurs dimensions, et lorsqu’ils n’ont pas été endommagés, peuvent être vendus aux tabletiers ; ils se nomment os de travail. Ce sont 1° les os plats des épaules de bœufs et de vaches (fig. 61) (ceux-ci ne doivent être divisés que dans leur bout arrondi et sur les bords également spongieux, en sorte que la plus grande partie de la table soit conservée intacte) ; 2° les os cylindriques des gros membres de bœufs et de vaches ; (fig. 62) ; on en sépare, à l’aide d’une scie, les bouts, de manière à ouvrir la cavité cylindrique qui renferme la moelle, en ménageant tout le reste du corps de l’os : les bouts spongieux séparés sont tranchés en trois ou quatre fragments pour ouvrir les cellules ; 3° les parties compactes et les plus larges des côtes (fig. 63) de ces mêmes animaux : on coupe à la hache, en

(1) Cette coagulation, déterminée par la chaleur, rend plus lente et plus régulière la décomposition du sang dans la terre ; en sorte qu’il fournit un engrais préférable à celui que donne le sang liquide. cinq ou six fragments, les bouts spongieux, tout le reste est réservé ; 4° enfin, les os de la partie inférieure des membres (jambes) des bœufs, vaches, moutons, chevaux (fig. 64), sont encore traités chacun à part, et d’abord préparés à la scie, comme les os cylindriques ci-dessus indiqués.

Tous les os ainsi préparés se traitent ensuite de la même manière que nous allons décrire ; mais les os des jambes, lorsqu’ils sont débouillis séparément, donnent des produits gras différents et plus estimés ; ce sont les huiles dites de pieds de bœufs, de pieds de moutons et de pieds de chevaux : les deux premières s’emploient avec avantage pour la friture et le graissage des pièces de mécanique en fer, fonte ou cuivre ; la dernière est fort recherchée comme huile, pour alimenter la combustion dans les lampes des émailleurs, souffleurs de verres et fabricants de perles fausses.

On verse dans une chaudière (fig. 65), ordinairement en fonte, de l’eau jusqu’à la moitié de sa capacité ; on la fait chauffer jusque près de l’ébullition, et l’on y ajoute des os coupés, jusqu’à ce que ceux-ci ne soient plus recouverts d’eau que d’un quart environ de la hauteur totale, à laquelle ce liquide arrive : on continue à chauffer jusqu’à l’ébullition, en remuant dans la chaudière de temps à autre avec une forte pelle en fer trouée comme une écumoire ; on laisse alors en repos. La graisse continue à se dégager des cavités qui la renferment, et vient surnager à la superficie. Après environ une demi-heure on couvre le feu, on apaise l’ébullition par une addition d’eau froide, et l’on écume toute la matière grasse fluide, venue à la superficie, avec une cuiller peu profonde, mais large (fig. 66) (comme une petite poêle). On détermine encore un mouvement d’ébullition, on agite les os, afin que le changement de position permette à la graisse, engagée dans leurs interstices, de monter à la surface et d’être enlevée de même à la cuiller. Toute la graisse est passée au tamis au fur et à mesure qu’on l’enlève, et recueillie dans un baquet.

On puise ensuite tous les os avec une pelle (fig. 67) trouée pour les jeter hors de la chaudière.

On ajoute dans celle-ci une quantité d’eau correspondante à celle du liquide enlevé par l’évaporation et l’imbibition des os ; on ranime le feu et l’on recommence une deuxième opération semblable.

La graisse de tous les os hachés et concassés est seulement refondue et mise immédiatement en barils, pour être livrés aux fabricants de savon ; on peut l’employer en cet état pour assouplir les cuirs des chaussures et des harnais ; chauffée avec précaution jusqu’à ce que, par une ébullition lente, toute l’eau interposée soit évaporée, on en obtient une graisse brune très convenable pour lubréfier les essieux de roues de charrettes, de charrues, des vis, axes et tourillons, des pressoirs, etc.

Une troisième sorte d’os est mise à part sans en extraire de matière grasse. Elle comprend : 1° les os de têtes de bœufs (fig. 68),dits canards ; 2° les parties osseuses, légères, qui remplissent l’intérieur des cornes, dites cornillons (fig. 69) ; 3° celles du même genre qui sont insérés dans les onglons des bœufs, vaches (fig. 70) ; 4° les os plats et minces des épaules de moutons (fig. 71).

Tous ces os, ainsi que ceux des jambes de moutons (trop minces pour servir à la tabletterie, mais dont on a scié les bouts, afin d’en faire sortir la graisse), se vendent avec avantage aux fabricants de gélatine ou de colle d’os, qui les traitent, soit par l’acide hydrochlorique, soit par l’eau ou la vapeur, à la température et sous la pression correspondant à deux ou trois atmosphères. Nous avons vu comment sont traitées séparément les deux sortes d’os, d’où résultent les os de travail et les os hachés, les uns et les autres privés de graisse. Les derniers se vendent aux fabricants de charbon animal et de produits ammoniacaux ; les fermiers peuvent les utiliser directement pour l’engrais des terres en les réduisant en poudre grossière dans un moulin à cylindres cannelés.

Exposés pendant deux heures à la vapeur chauffée sous trois atmosphères de pression, ils deviennent très-faciles à diviser sous le marteau ou dans un moulin à meules verticales en fonte.

Broiement des os. — L’expérience a démontré qu’il est nécessaire de diviser les os pour en extraire convenablement la graisse et la gélatine : nous avons dit plus haut comment elle doit être obtenue, nous supposons donc ici que les os en sont privés.

Le moyen le plus simple et le moins dispendieux de premier établissement pour broyer les os en menus fragments consiste à les frapper à l’aide d’une masse sur un billot encadre ; voici la description des ustensiles relatifs à ce procédé :

(fig. 72.) Plan et élévation du billot en bois dans lequel est encastrée une plaque de fonte taillée en pointes de diamant.

(fig. 73.) Plan et élévation du cadre en bois qui entoure la plaque en fonte pour retenir les os lorsqu’on les frappe avec la masse.

(fig. 74.) Masse en bois dur, garnie en dessous d’une plaque de fer taillée en pointes de diamant aciérées, ou d’un grand nombre de clous à forte tête pointue.

On s’est encore servi de machines à pilons ; ceux-ci étaient terminés par une plaque en fer taillée en pointes de diamant, comme la masse que nous venons de décrire, et le fond du mortier présentait des barres en fer placées de champ, entre lesquelles les menus fragments d’os se dégageaient sous la percussion.

La machine préférée en Angleterre consiste en deux cylindres à cannelures dentées (fig. 75).

On termine le broyage en faisant repasser les os ainsi concassés entre deux autres paires de cylindres cannelés, en tout semblables, mais plus rapprochés et à dentures plus fines. Une machine à vapeur est ordinairement appliquée à faire mouvoir ces trois paires de cylindres, qui exigent une grande force mécanique. (Voyez pour l’emploi des os broyés, liv. Ierer, pag. 94.)

Section IV. — Préparation et emploi de quelques autres produits des animaux.

Nous allons entrer dans quelques détails sur l’emploi que l’on pourrait faire de quelques autres produits qu’on retire des animaux morts et des préparations qu’on pourrait leur faire subir pour augmenter encore leur utilité ou les profits qu’on peut en tirer.

Crins, poils, laines, plumes. — Toutes ces substances peuvent être conservées par les mêmes moyens ; on les fait dessécher au four, après s’être assuré préalablement que la température n’y est plus assez élevée pour opérer sur elles quelque altération ; il suffit ensuite de les emballer dans des caisses, des barils ou tout autre vase bien clos et le plus sec possible ; on aura plus de chances encore d’une bonne conservation, en les mettant en contact avec le gaz du soufre en combustion avant de les tirer du feu : pour cela, on fait, en écartant ces matières, une place nette au milieu de la sole, on y pose deux briques, et l’on place dessus un pot à fleur ou tout autre vase en terre ou en fonte, percé de quelques trous au fond, dans lequel on a mis un morceau allumé (la moitié, par exemple) d’une mèche soufrée. Dès que le soufre cesse de brûler, on se hâte d’emballer les substances qui ont été exposées à son action. Si l’on voulait prolonger pendant plusieurs années la conservation de ces objets, il serait bien de renouveler, avant les chaleurs de l’été, la dessiccation et le soufrage que nous venons d’indiquer.

L’emploi des plumes est généralement connu, même dans les campagnes ; mais il est assez rare que l’on y emploie les procédés susceptibles de prévenir leur prompte détérioration. Nous donnerons plus loin la préparation des plumes à écrire, et nous ajouterons seulement ici que les plumes défectueuses et toutes celles qui ne peuvent servir ni pour les lits ni pour écrire seront aisément utilisées comme un excellent engrais, en les mettant dans des sillons creusés près des plantes et les recouvrant de terre. Les crins longs, tels que ceux de la queue des chevaux dits à tous crins, doivent être mis à part comme ayant beaucoup plus de valeur que les crins courts ; ces derniers ne servent qu’à filer des cordes, à rembourrer des coussins, meubles de siège, selles de chevaux, etc., tandis que les premiers s’emploient dans la confection des étoffes de luxe dont le prix est assez élevé : la fabrication des étoffes de crin acquiert beaucoup d’extension, et déjà la matière première lui manque en France. Si les habitants des campagnes préféraient faire usage des crins plutôt que de les vendre, il leur serait très facile de les filer, soit par eux-mêmes ou par des gens du métier, en cordes d’une grande solidité, très durables lors même qu’elles sont exposées aux intempéries des saisons ; sous ce rapport, les cordes de crin sont très convenables pour étendre le linge, auquel, d’ailleurs, elles ne communiquent pas de traces brunes, comme cela arrive avec les cordes de chanvre altérées par l’humidité. S’ils voulaient préparer le crin pour rembourrer quelques meubles, ils l’exposeraient à la vapeur de l’eau bouillante en tresses, qui, après le refroidissement, conservent les formes ondulées, utiles pour le rendre élastique.

Les soies de cochon, que l’on extrait, en quelques endroits, après l’échaudage de ces animaux, peuvent être assimilées aux crins courts et vendus comme tels aux bourreliers et fabricants de meubles ou aux apprêteurs de crins.

La bourre, ou poils de diverses peaux, enlevée à l’aide d’une macération dans l’eau de chaux, sert à la sellerie grossière et à fabriquer les feutres pour doublage des vaisseaux ; mais cette matière de peu de valeur ne peut guère être obtenue que chez les tanneurs : il en est de même des déchets des peaux tondues. Au reste, beaucoup de peaux de petits animaux, n’ayant de prix qu’en raison de leurs poils, et les autres pouvant être vendues sans en être débarrassées, il convient, en général, aux gens des campagnes que toutes les peaux qu’ils pourront se procurer en dépouillant les animaux morts soient conservées avec leurs poils, comme nous le verrons plus loin.

Fers, clous. — Les bœufs, chevaux, ânes, mulets sont souvent munis de fers plus ou moins usés lorsqu’ils meurent ou sont abattus. Les vieux fers qui ne peuvent être forgés seuls sont encore très utiles aux forgerons ; on les chauffe fortement trois ou quatre à la fois, on les soude en les corroyant ensemble au marteau, et les fers neufs, ainsi que les autres ouvrages de forge qui en résultent, sont fibreux, d’excellente qualité, et aucunement sujets à casser. Ce fer corroyé est très propre au service de la grosserie (ferremens de charronnage), en raison de sa grande ténacité. Les clous arrachés des pieds de ces animaux s’emploient utilement, sous le nom de rapointés, pour hérisser les pièces de bois qui doivent être recouvertes de plâtre ou de mortier ; on s’en sert dans plusieurs provinces, et surtout en Auvergne, pour ferrer les sabots et rendre cette chaussure plus durable ; ils peuvent servir à fixer les loques, au moyen desquelles on palisse les arbres à fruit le long des murailles et à quelques autres usages des clous à tête.

Cornes, sabots, ergots, onglons, etc. — Tous ces produits des animaux sont formés d’une même substance : aussi ont-ils plusieurs usages communs ; leur couleur et leurs dimensions les font seules différer d’utilité dans quelques emplois. Le premier soin à prendre après les avoir rassemblés est donc de les assortir suivant ces caractères physiques. Ainsi, on mettra ensemble tous ceux de ces objets qui offriront à peu près la même nuance et la même grandeur ; ceux qui, étant à la fois le moins colorés et les plus grands, n’ayant d’ailleurs aucune sorte de défectuosité, auront la plus grande valeur ; réciproquement, les plus petits et les plus colorés, comme ceux qui offriront des déchirures, des trous, des entailles ou des formes trop irrégulières, ne pourront se vendre qu’à un prix moindre ; toutefois, parmi les plus grands, on mettra à part ceux qui seront sans défaut, et on réunira en un seul lot tous les défectueux ; les cornes et les sabots peu colorés, mais difformes, seront aussi mis de côté ; enfin, on réunira tous les petits ergots et les rognures ou fragments de très petites dimensions.

Tous les sabots, cornes, onglons entiers se vendent aux aplatisseurs, qui les préparent pour la fabrication des peignes et autres objets en corne ; ceux qui sont défectueux ne sont propres qu’à la préparation de la poudre et râpure de corne blonde ou brune ; enfin, les déchets, menus fragments et petits ergots s’emploient par les fabricants de prussiate de potasse : il est probable qu’on trouvera moyen de les employer dans la tabletterie, et qu’alors il sera utile de les assortir suivant leur nuance.

La préparation de la poudre et de la râpure de corne est si simple et si facile, que les habitants des campagnes ne peuvent manquer de s’y livrer avec fruit : il suffit, en effet, de saisir l’objet qu’on veut diviser ainsi, entre les mâchoires d’un étau, sous le valet d’un établi, ou même entre deux morceaux de bois serrés par une corde, puis d’user la corne ainsi maintenue, à l’aide d’une forte râpe ; la râpure ou corne divisée est recueillie, et lorsque l’on en a amassé une certaine quantité, on peut la vendre aux tabletiers : il conviendrait de la tamiser préalablement, afin de donner plus de valeur à la poudre plus fine, et de tirer ainsi un parti plus avantageux de la totalité. On doit éviter avec soin de répandre de l’huile ou des matières grasses sur cette poudre, et même d’y mêler tout autre corps étranger, qui, pouvant s’opposer à son agglomération, la rendrait impropre à la fabrication d’objets en corne fondue.

Quant aux fragmens de cornes, de sabots et d’ongles, trop peu volumineux pour être employés entiers ou réduits en râpures, on parviendra facilement à tirer parti de ces débris en les nettoyant à l’eau froide, les divisant grossièrement à l’aide d’un hachoir, couperet ou couteau, les mêlant avec un quart de leur volume de râpure de cornes, passant le tout dans de l’eau bouillante ou de la lessive faible pendant une ou deux heures, puis les maintenant comprimés pendant une heure dans un cercle de fer entre deux disques chauds en même métal. On atteindra la température convenable en faisant chauffer presque au rouge naissant ces disques, qui doivent avoir de six à neuf lignes d’épaisseur ; puis les plongeant pendant une seconde dans l’eau froide au moment de s’en servir.

Le cercle ou moule, dont nous venons d’indiquer l’usage, sera tout trouvé en employant ces demi boîtes de roues enfoncées dans le gros bout des moyeux ; elles seront même très propres à cet usage. Après un long service, la forme conique de leurs parois facilitera la sortie de la galette qu’on y aura moulée.

Les deux disques en fer seront découpés dans des rognures de tôle ou forgés avec quelques morceaux de ferraille.

On pourrait obtenir une pression suffisante à l’aide de coins en bois serrés dans l’intervalle de deux pièces de bois ; mais on se procurera sans peine une presse plus commode et peu dispendieuse, soit en faisant usage d’un étau de serrurier dans les moments où il est libre, soit en taraudant avec la filière d’un fort boulon le haut (renforcé en cet endroit) d’une bande de roue contournée en forme d’étrier ; on serrerait le boulon avec une clef ordinaire ; quelques fragments de fer ou de foule posés sur le disque supérieur recevraient la pression directe et la transmettraient à la matière renfermée dans le moule.

Les galettes ainsi préparées seront facilement réduites en râpure et vendues avec avantage aux tabletiers et fabricants de boutons, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Ce dernier travail pourrait occuper des enfants et même des aveugles. La même presse, dont nous venons d’indiquer la construction simple servirait à l’aplatissage ci-après décrit des grands morceaux de cornes propres à la confection des peignes.

Aplatissage des cornes et ergots. — On prend toutes les cornes et ergots susceptibles de donner des morceaux d’une étendue de deux à trois pouces au moins, en tous sens ; on supprime d’un trait de scie le bout plein des cornes ; on les fend, de même que les ergots, à l’aide d’une scie à main ou d’un ciseau mince à tranchant, dans leur courbure interne ; on les plonge dans l’eau, qu’on fait chauffer à l’ébullition pendant environ une demi-heure ; elles sont alors assez amollies pour être ouvertes et développées à l’aide de tenailles ou de coins en bois ; on les soumet, ainsi étendues, à l’action de la presse entre des plaques en fer un peu plus grandes que ces cornes, développées et chauffées comme nous l’avons dit. On peut mettre en presse à la fois cinq ou six cornes, en ayant le soin d’interposer entre chacune d’elles une plaque en fer ; on conçoit que, pour cette opération, la virole ne saurait être employée, puisque l’étendue des morceaux comprimés doit varier librement, afin qu’ils s’aplatissent sans obstacle.

Les cornes aplaties se placent avec avantage chez les fabricans de peignes et les tabletiers ; elles trouvent un débouché très facile à différens prix, suivant leur nuance et leurs dimensions.

Peaux. — Cette partie est l’une de celles qui ont le plus de valeur dans les animaux morts : en effet, depuis les peaux de taupes et de rats, que les tanneurs apprêtent pour certaines fourrures, celles de lapins, de lièvres, dont les chapeliers extraient le poil, jusqu’aux plus grands cuirs, aux toisons les plus estimées et aux fourrures les plus précieuses, toutes les peaux peuvent se vendre avantageusement. Lorsque les établissemens manufacturiers dans lesquels on travaille les peaux sont peu éloignés, on peut les y porter toutes fraîches ; les plus grandes s’y vendent au poids.

La conservation, et, par suite, le transport des peaux à des distances assez considérables sont faciles ; il suffit généralement d’en éliminer le plus possible les substances charnues ou grasses adhérentes, puis de les étendre à l’air jusqu’à ce que leur dessiccation soit complète ; cependant, lorsqu’il s’agit de les garder longtemps, et surtout afin de pouvoir en accumuler une quantité de quelque valeur jusqu’au moment de les expédier, il est utile de les imprégner d’une substance antiseptique ; à cet effet, on peut suivre l’un des procédés économiques suivans :

1° Les peaux destinées aux tanneurs se conservent assez longtemps, et même se transportent humides (dites à l’état vert), en les imprégnant d’un lait de chaux léger fait en délayant environ une demi-livre de chaux éteinte en pâte dans deux seaux d’eau.

2° Lorsque les peaux sont desséchées, on les suspend dans un cabinet clos ; on place dans une des encoignures un tesson de vase en terre contenant quelques copeaux saupoudrés de soufre ; on les allume, puis on ferme la porte le plus hermétiquement possible ; l’acide sulfureux, qui s’introduit (à l’aide d’un peu de vapeur d’eau) dans les poils et le tissu de la peau, les défend assez longtemps de toute altération spontanée, comme des attaques des insectes : ce moyen sera d’autant plus efficace, que l’on pourra enfermer les peaux dans des vases mieux clos, immédiatement après cette fumigation. Il serait utile, dans certains cas, de renouveler cette opération peu coûteuse.

3° Lorsque les peaux seront à demi sèches, on les plongera dans un vase contenant une solution de sel marin ou d’alun en quantité suffisante pour qu’elles y soient complètement plongées.

La solution de sel marin et d’alun se fait en délayant dans l’eau froide du sel de cuisine ou de l’alun en poudre, que l’on y ajoute successivement par poignées, en agitant de temps à autre, jusqu’à ce que la solution soit complète. Il faut employer environ un douzième du poids des peaux en sel, ou moitié de cette quantité en alun : un vase en grès, un seau, un baquet, etc., sont propres à cette opération. Lorsque les peaux ont été trempées ainsi pendant trente-six à quarante-huit heures, on les étend à l’air sec ou dans un lieu chauffé par un poêle pour les faire dessécher, et on les renferme dans des caisses ou des tonneaux, et on les garde dans un endroit sec jusqu’au moment de les expédier. Si l’on devait trop tarder, il conviendrait de les exposer à la vapeur de la combustion du soufre, comme nous l’avons indiqué ci-dessus. Les peaux de bœufs, bouvillons, vaches, génisses, chevaux, mulets, ânes, veaux, se vendent aux tanneurs et hongroyeurs ; celles de chèvres, chevreaux, de moutons (tondus), d’agneaux, cerfs, biches, etc., sont achetées plus particulièrement par les mégissiers. Les maroquiniers achètent en général les plus belles parmi celles de chèvres et de moutons.

Les peaux de moutons, desquelles on n’a pas extrait la laine par la tonte, se vendent aux négociants laveurs de laine ; celles des lapins, des lièvres sont livrées aux chapeliers sans autre préparation que d’avoir été desséchées, étendues à l’air, le poil en dedans, et avec le soin d’éviter que le sang et tout autre liquide animal se répandent sur les poils.

La plupart des autres peaux se vendent aux fourreurs.

Débourrage des peaux. — Les peaux à poils ras (celles des chevaux, bœufs, ânes, mulets, etc.), qui ne s’emploient généralement que débarrassées de leurs poils, peuvent être débourrées facilement par les gens de campagne ; il leur suffira, en effet, de plonger ces peaux dans de la lessive qui a servi au lessivage du linge, et de les y laisser macérer jusqu’à ce que le poil s’arrache très facilement. Si l’on a l’occasion de changer le liquide une fois ou deux pendant la macération, celle-ci sera plus promptement terminée et les poils seront plus propres ; ceux de bœufs, ainsi traités, seront mieux disposés à servir pour rembourrer les selles, comme pour fabriquer des couvertures grossières et le feutre des doublages de navires.

À défaut d’eau de lessive, on peut se servir d’un lait de chaux contenant environ trois kilogrammes de chaux pour cent kilogrammes d’eau.

Dès que la macération sera amenée au point convenable, on rincera les peaux en les changeant plusieurs fois d’eau ou les exposant à un courant d’eau vive ; puis on raclera sur une table ou un large tréteau toute la superficie extérieure avec un racloir à pâte ou tout autre outil analogue.

Les peaux débourrées seront étendues à l’air, desséchées et expédiées ou conservées par les moyens que nous avons indiqués précédemment. Avant de les faire dessécher, il serait bien, afin de les rendre plus souples, de les mettre tremper, pendant deux ou trois jours, dans de l’eau blanche faite avec une poignée de recoupes délayées dans un demi seau d’eau.

À défaut d’autre usage, le débourrage des peaux forme un excellent engrais.

Apprêt et assainissement des plumes de lit. — Nous avons vu que les plumes destinées à remplir des enveloppes (lits de plumes, traversins, oreillers, etc.) peuvent être rendues faciles à conserver en les faisant sécher et soufrer au four ; on atteindra plus sûrement encore le même but en les soumettant à l’action de la vapeur sous la pression de deux atmosphères et à la température correspondante, puis les faisant sécher et soufrer à l’étuve.

Ce procédé s’applique avec beaucoup d’avantage à l’assainissement des plumes de lits, qu’un long usage a fait pelotonner et un peu putréfier ; elles reprennent à peu près leur volume primitif et sont assainies : dans tous les cas, il est convenable de battre les plumes avec des baguettes lisses pour en éliminer la poussière.

Graisse. — Lorsque la matière grasse a été extraite par la dissection, comme nous l’avons dit plus haut, on la taillade en petits fragments gros comme des amandes environ ; on en remplit une chaudière ou marmite, sous laquelle on allume du feu : à mesure que la graisse fond, elle s’écoule des cellules ouvertes du tissu adipeux ; la température, en s’élevant, dilate et fait crever celles que le couteau n’avait pas tranchées. À l’aide d’une écumoire, on enlève successivement les lambeaux de tissu cellulaire, en exprimant à chaque fois la graisse qu’ils recèlent encore par une pression opérée avec un corps arrondi, le fond d’une cuiller, par exemple.

Si l’on pouvait réunir de grandes quantités de matière grasse pour les fondre ainsi, il serait utile d’avoir une presse, afin d’extraire moins imparfaitement ce qui reste engagé dans ces fragments écumés ; dans tous les cas, ces derniers sont encore utilisés pour annualiser la nourriture des chiens.

Lorsque la graisse est ainsi épurée et fluide, on la décante à l’aide d’une cuiller, on la passe à travers un tamis dans un baril ou dans un pot de grès ; ce dernier doit être échauffé graduellement avec les premières cuillerées qu’on y introduit, afin d’éviter qu’il ne se casse par un changement brusque de température.

Un procédé pour fondre le suif, qui est encore préférable sous le rapport de la quantité et de la qualité du suif qu’il donne, a été indiqué par M. D’Arcet ; il consiste à mettre dans la chaudière, outre la substance grasse, de l’eau et de l’acide sulfurique dans les proportions suivantes :

Suif. . . . . . . . . . . . .1500 grammes.

Eau. . . . . . . . . . . . .750

Acide sulfurique. . .24

On fait bouillir le tout ensemble, on laisse déposer lorsque toutes les cellules sont assez attaquées ; on décante l’eau à la partie inférieure ou le suif qui surnage, on passe celui-ci au tamis.

Si l’on voulait éviter les émanations très incommodes dégagées pendant cette opération, il faudrait recouvrir la chaudière d’un chapiteau, adapter au bec de celui-ci un serpentin, et opérer ainsi à vase clos la fonte du suif ; on soutirerait le liquide aqueux par la vidange (ou robinet) inférieure ; on enlèverait ensuite le chapiteau pour terminer l’opération, comme nous l’avons dit ci-dessus.

Boyaux. — Les intestins grêles ou boyaux longs et droits, ainsi que les cæcums ou boyaux courts, naturellement fermés d’un bout, les uns et les autres provenant des bœufs, vaches, moutons, chevaux, servent à la fabrication des boyaux insufflés que l’on exporte en Espagne, de la baudruche que les batteurs d’or emploient, des cordes harmoniques, des cordes à mécaniques, des cordes à raquettes et à fouets, des cordes dites d’arçon, etc. On ne peut se livrer à ces industries que dans les localités où se rencontrent un assez grand nombre d’animaux abattus pour alimenter constamment le travail de plusieurs ouvriers ; mais partout on peut s’occuper utilement de préparer les boyaux, de manière seulement à ce qu’ils puissent être transportés jusqu’aux établissemens qui doivent les utiliser.

Dès qu’un animal est mort et qu’on a enlevé sa peau, comme nous l’avons indiqué, on doit se hâter de vider les boyaux désignés ci-dessus et de les plonger dans l’eau fraîche, afin de les bien rincer ; on enlève ensuite la graisse restée adhérente, en les raclant légèrement avec un couteau, afin d’éviter de les couper. Pour faciliter cette opération relativement aux grands boyaux, on attache un bout de 4 à 5 pieds à un bâton fixé horizontalement à 6 pieds de hauteur au-dessus du sol, et lorsque ce bout est dégraissé on le fait descendre en le remplaçant par la portion suivante du même intestin, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute la longueur ait subi cette sorte de nettoyage. On rince encore les boyaux, on les passe entre les doigts en les comprimant, afin de faire sortir le plus d’eau possible ; on les étend sur des cordes pour les faire sécher. Lorsque leur dessiccation est à demi opérée, on les expose, dans une chambre close, au gaz du soufre en combustion, comme nous l’avons indiqué plus haut ; on les étend de nouveau pour achever de les faire sécher, on les plie tandis qu’ils sont encore souples ; on les expose une seconde fois à la vapeur du soufre, et, après cette opération, on les emballe dans des caisses pour les expédier.

Les pis de vache coupés au rez de la tétine, et préparés de la même manière, peuvent se vendre aux personnes qui s’occupent de fabriquer des biberons pour l’allaitement artificiel.

Les intestins et leurs débris, ainsi que la chair musculaire et toutes les issues, excepté la vidange, peuvent encore être utilisés, durant tout le cours de l’été, par le développement de ces larves désignées sous le nom de vers blancs ou asticots dans les localités où les pêcheurs à la ligne, qui s’en servent pour amorcer le poisson blanc et garnir leurs hameçons, en font une consommation assez grande, ou lorsqu’on peut les envoyer aux personnes qui s’occupent d’élever et de nourrir des faisans on des poissons ; ces vers peuvent être employés à la nourriture des poules et autres oiseaux de basse-cour, en ayant le soin de leur donner alternativement des alimens végétaux ; ils favorisent singulièrement le développement des dindons, petits-poulets, et de tous les jeunes oiseaux élevés dans les basses-cours, et remplacent, avec des avantages marqués, les œufs de fourmi pour cet usage, de même que pour élever les perdreaux, les petites cailles, les rossignols, les fauvettes. Voici comment on favorise la production de ces vers à Montfaucon près Paris. On forme sur la terre une couche de détritus des boyaux, d’autres issues et de viande, ayant de 5 à 6 pouces d’épaisseur : on la recouvre de paille posée légèrement et en petite quantité seulement, dans le but de défendre de l’ardeur du soleil la superficie des matières animales. Bientôt les mouches, attirées par l’odeur, s’abattent sur la paille, qu’elles traversent pour aller déposer leurs œufs à la surface des débris des animaux. Quelques jours après, on trouve à la place des matières étalées une masse mouvante d’asticots mêlés d’un résidu semblable au terreau ; on sépare à la main quelques lambeaux de matières animales ; on emplit à la pelle des sacs de ces vers, qui s’expédient ainsi et se vendent à la mesure.

Les pêcheurs à la ligne en font une grande consommation dans certaines localités, et les paient souvent assez cher. Un des emplois les plus utiles que l’on puisse faire des asticots consiste à les donner aux poissons des étangs ; ceux-ci se développent et s’engraissent très-promptement avec cette nourriture. On peut obtenir ainsi 2 et 3 fois plus de poissons dans le même étang, et 8 à 10 fois plus de produits ; car le défaut seul de nourriture diminue le nombre de poissons, lorsque parmi eux il ne s’en trouve pas de voraces, et qu’ils sont à l’abri des différens animaux ichthyophages.

Conversion des tendons et rognures de peaux en colle forte. — La fabrication de la colle forte est une de celles qui peuvent très facilement être mises à la portée des gens de campagne, et dont les produits sont consommés dans presque toutes les localités. On fait tremper dans un lait de chaux (formé d’un kil. de chaux vive éteinte en bouillie et délayée dans 50 kil. d’eau environ) les matières premières ci-dessus désignées, aussitôt qu’on les a extraites de l’animal, ou même desséchées, suivant les procédés décrits ; on renouvelle le lait de chaux tous les huit jours pendant un mois, et ensuite une fois par mois en hiver et deux fois en été. En préparant le lait de chaux plus faible de moitié, c’est-à-dire dans la proportion d’un de chaux pour 100 d’eau, on peut prolonger leur conservation de cette manière jusqu’au moment de la saison favorable, et même pendant plus d’une année, si l’on veut attendre qu’on en ait amassé une quantité un peu considérable pour se livrer à leur traitement ; toutefois, dans le deuxième mois, ces matières sont prêtes à être mises en œuvre.

Lorsqu’on veut commencer la fabrication, on vide les vases (baquets, tonneaux, fosses glaisées ou cimentées, etc.) de toute l’eau de chaux qu’ils contiennent, après l’avoir agitée pour mettre la chaux en suspension ; on enlève les matières animales dans des mannes en osier, et on les lave le plus exactement possible, soit en les agitant dans plusieurs eaux claires, soit, et mieux encore, en les exposant à un courant d’eau vive, et les retournant de temps à autre pendant 24 ou 36 heures. On les étend ensuite à l’air sur le pavé ou sur un pré ras, en couches aussi minces que possible, et on les retourne une fois ou deux en 12 heures, pendant 2 ou 3 jours. Alors on procède à la cuisson, en emplissant comble une chaudière (fig. 76) avec ces substances, y ajoutant de l’eau jusque près des bords supérieurs et faisant chauffer à petit feu d’abord, puis soutenant ensuite à la température de l’ébullition ; les matières s’affaissent peu-à-peu, et finissent par entrer en totalité dans la chaudière ; on les soulève de temps à autre, pour éviter qu’elles ne s’attachent au fond (un faux fond en tôle, soutenu sur des pieds d’un à 2 pouces et percé de trous comme une écumoire, est fort utile pour éviter cet inconvénient). Dès que presque tous les lambeaux ont changé de forme et sont en partie dissous dans le liquide, on éteint le feu, on met un balai de bouleau devant le tuyau du robinet, puis on soutire au clair dans une chaudière maintenue chaude par des corps non conducteurs qui l’enveloppent (des chiffons de laine, de la cendre ou de la poussière de charbon) ; un second dépôt s’opère dans ce vase, et lorsque le liquide n’est plus trop chaud pour qu’on y tienne le doigt plongé, on tire encore au clair ; on passe au tamis, en emplissant avec ce liquide gélatineux des caisses (fig. 77) de 3 à 4 pouces de haut, disposées dans un endroit frais et dallé ou carrelé en pente, afin qu’on y opère facilement des lavages.

Au bout de 10 à 18 heures, suivant la température de l’air extérieur, la colle est prise en gelée consistante ; on l’extrait des caisses en passant une lame de couteau mince et mouillée autour de ses parois latérales et un fil de cuivre tendu, entre deux montans verticaux, au fond, puis retournant la caisse sur une table mouillée. Il reste sur celle-ci un pain rectangulaire de gelée ; on le divise en plaques de 4 à 8 lignes d’épaisseur, au moyen d’un fil de cuivre tendu sur une monture (fig. 78) de scie et guidée par les entailles de règles graduées en divisions égales. Ces plaques sont posées sur des filets (fig. 79) ou des canevas en toile tendus dans un châssis en bois, et on place ces châssis, à mesure qu’ils sont chargés de colle, horisontalement au-dessus les uns des autres, également espacés de 3 pouces (fig. 80), et disposés en étages dans un bâtiment aéré ou séchoir. Les plaques sont retournées de temps à autre ; elles se dessèchent peu-à-peu et forment la colle forte, dont les usages sont bien connus des menuisiers, ébénistes, apprêteurs d’étoffes, chapeliers, fabricants de papiers, peintres, etc. On continue d’épuiser les marcs restés non dissous en remplissant la chaudière d’eau bouillante, fournie par une chaudière fig. 76 que la cheminée de la fabrique entretient constamment chaude, jusqu’à la hauteur qu’ils occupent, portant toute la masse à l’ébullition, qu’on soutient pendant 3 heures environ : au bout de ce temps, on soutire le liquide ; celui-ci peut quelquefois être traité comme la première solution et donner de la colle forte de 2me qualité. Pour s’en assurer, on en prend dans la chaudière une très petite quantité (plein une demi-coquille d’œuf ou une cuiller à bouche) ; on l’expose pendant ¼ d’heure à l’air, et si au bout de ce temps le liquide est pris en gelée consistante, on soutire et on traite, comme la première fois, la solution contenue dans la chaudière. On achève alors le lavage du marc en versant par-dessus de l’eau bouillante aux ¾ de la hauteur de la chaudière, portant à l’ébullition pendant environ 2 heures, et soutirant tout le liquide qui peut s’écouler par le robinet. On enlève alors le résidu solide de la chaudière, et on le soumet, soit à l’action d’une forte presse, soit dans des sacs en grosse toile, sous un plateau de bois chargé de pavés ou autre corps pesant. Tout le liquide soutiré et celui obtenu par expression sont employés à dissoudre une nouvelle quantité de substances animales préparées, en recommençant une opération, comme nous l’avons dit ci-dessus. Tous les ustensiles doivent être soigneusement lavés chaque fois que l’on s’en est servi.

Les marcs dont on a extrait ainsi le plus possible de gélatine sont ensuite divisés avec de la terre et répandus pour servir d’engrais ; on peut obtenir de la gelée ou de la gélatine alimentaire par l’opération que nous venons de décrire, faite avec le plus grand soin, en employant des matières premières fraîches, extraites des moutons, bœufs, vaches, veaux, chèvres, agneaux, lapins, etc. (celles qui proviennent des chevaux recèlent une matière huileuse, et développent un goût désagréable).

Relativement à cette dernière préparation, il convient de laver les substances aérées avec 2 ou 3 fois leur poids d’eau bouillante, avant de les faire dissoudre dans la chaudière.

Il est très-facile de préparer en petit la colle forte, la gelée et la gélatine par le procédé ci-dessus décrit : on substitue, dans ce cas, à la chaudière un chaudron ou une grande marmite ; l’opération reste d’ailleurs entièrement la même.

Section V. — Valeur et produits des animaux morts.

Afin de fixer les idées sur les avantages que les habitans des campagnes peuvent réaliser en utilisant les animaux morts, nous présenterons comme exemple le tableau de la valeur acquise au cadavre d’un cheval de volume moyen par les plus simples préparations, en mettant en regard la valeur des mêmes parties extraites d’un cheval d’un volume moyen et d’un cheval de taille un peu plus forte et en bon état, comme il s’en trouve dans les campagnes un grand nombre qui périssent par accident.

Tableau des produits obtenus des matières fraîches par les plus simples opérations.

Peau fraîche ou passé dans un lait de chaux léger . . .

Crins courts et longs (1) . . . . . . . . Sang cuit et pul- vérent calculé, soit en raison de la quantité de nourri- ture qu’il remplace pour les chiens ou les poules, soit comme engrais . . Fers et clous. . . . Sabots supposés réduits en râpure . Viscères et issues employés à faire naitre des asticots pour l’engrais des volailles (2), ces vers comptes pour leur équivalent en nour riture des poules. . Vidange des boyaux comme fumure. . . . . . . . . Tendons trempés dans un lait de chaux et desséchés. Graisse fondue. . Chair musculaire et divisée pour servir de nourri- ture aux poules, aux chiens, etc. ou comme engrais approprié aux cultures lucratives. Os bien déchar nés pour le noir animal . . . . . . . . . Valeur totale des produits . . . . . . . . Poids en kil. kil. gr. 34 0 10 90 0 450 1 500 80 20 0 0 500 4 150 100 0 46 0 CHEVAL de volume moyen. CHEVAL de bon état.

  Prix du kil.

fr. c. 0 40 10 0 70 0 22 1 20 0 20 0 05 0 60 1 20 0 33 0 05 Valeur en fr. fr. c. 13 60 0 10 2 70 0 22 1 80 1 60 10 0 30 4 98 55 0 2 30 Poids en kil. kil. gr. 37 0 0 230 10 0 1 800 1 860 90 22 0 0 525 31 5 130 0 48 05 Prix du kil. fr. c. 0 50 1 40 0 30 0 50 1 20 0 20 0 05 0 60 1 20 0 35 0 05 Valeur en fr. fr. c. 18 30 0 30 3 30 0 90 2 23 1 80 1 10 03 57 80 43 50 2 42

 63 60

114 16


a. payen

 Peau. . . . . . . . . . . . . .

Sang . . . . . . . . . . . . . Crins courts et longs . . . . . . . Fers et clous. . . . . . . . . . . Sabots. . . . . . . . . . . . . Viscères et issues, boyaux, foie, cervelle, etc . Tendons . . . . . . . Graisse. . . . . . . . Chair musculaire (viande) Os décharanés complètement après cuisson . Poids totaux des cadavres ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CHEVAL de volume moyen. CHEVAL en bon état.

kil. gr.

34 0 18 500 0 100 0 450 1 500 38 0 20 4 150 164 0 46 0 kil. gr. 37 0 20 810 0 220 1 800 1 860 39 0 2 100 31 500 203 0 48 500

  306 700

385 790

Les frais de préparation de ces matières premières se réduisent à la valeur d’une faible quantité de combustible, qui, d’ailleurs, dans les temps froids, est encore utilisée pour le chauffage ; du reste, ils se composent seulement de main-d’œuvre, et il y a dans les campagnes une si grande quantité de temps perdu ou laissé aux dangers de l’oisiveté pour les enfants et les jeunes gens, durant les soirées d’hiver et les intervalles où les champs réclament peu de soins, que des occasions de travail utile sont plutôt des bienfaits que des charges onéreuses. C’est donc environ une valeur de 60 francs, au moins, que pourraient trouver les gens des campagnes dans le dépècement d’un cheval ; et combien de fois n’ont-ils pas ignoré qu’en prenant si peu de peine ils auraient pu en

(1) Leur valeur est très-variable en raison de la proportion de crins longs, qui seuls ont du prix pour la confection des étoffes.

(2) On peut sans peine, cependant, mettre à part les intestins grêles et les faire sécher pour la fabrication des cordes à mécaniques, rouets, etc., et en tirer ainsi plus de profit. tirer des produits équivalents à une centaine de francs ! Un bœuf, une vache, dont le poids s’élève souvent jusqu’à 400 kil., leur donneraient plus de profit encore, et nous pourrions démontrer que le dépècement de la plupart des animaux moins volumineux offrirait aussi des résultats fort utiles. A. Payen.

CHAP.3e APPRÊT DES PLUMES À ÉCRIRE 77 CHAPITRE III. — apprêT des pLumes à éCrire.

L’apprêt des plumes à écrire est un art simple, dont les matières premières sont partout sous la main de l’homme des champs ; nous avons pensé qu’il serait facile de l’exercer sans beaucoup d’avances et avec avantage dans les campagnes.

seCTion ire. — Des plumes à écrire. On se sert, pour écrire et pour dessiner, des plumes de plusieurs oiseaux. Celles qu’on prépare ordinairement pour cet objet sont les plumes d’oie, de cygne, d’outarde, de dindon et de corbeau. Les premières sont celles dont on fait le plus communé- ment usage pour l’écriture ; elles sont recueillies au printemps par les gens de la campagne ou par les conducteurs de troupeaux d’oies, qui les vendent aux apprêteurs. Pour l’écriture, on ne recueille que les plumes des ailes chez les oies. Ces plumes sont de deux sortes : 1° celles qui tombent naturellement lors de la mue de ces oiseaux, au mois de mai ou juin ; 2° celles qu’on arrache sur ces animaux après qu’ils sont privés de la vie. Les premières sont générale- ment meilleures et préférables aux autres. Les naturalistes ont observé que les ailes des oiseaux sont en partie formées par un certain nom- bre de grandes plumes ou pennes, qu’ils ont nom- mées rémiges. Ces rémiges ont été divisées par eux en primaires, qui sont au nombre de 10 à chaque aile, et adhérentes au métacarpe de l’oiseau ; en secon- daires, qui garnissent l’avant-bras ou cubitus, et dont le nombre n’est pas fixe ; en scapulaires, ou plumes moins fortes attachées à l’épaule ou humérus ; et enfin en bâtardes, qui garnissent l’os qui représente le pouce. Parmi ces plumes, les primaires sont a peu près les seules qu’on apprête pour l’écriture, et parmi celles-ci il n’y a que 5 plumes qui convi- ennent à cet usage : 1° celle qu’on nomme bout- d’aile, qui est la plus ronde, la plus courte et la moins bonne ; 2° les 2 qui suivent le bout-d’aile, et qui sont les meilleures ; 3° enfin les 2 qui viennent ensuite, et sont d’une qualité inférieure à ces dernières. En examinant une plume, on observe qu’elle est composée d’un tube ou tuyau creux et arrondi qui en constitue la partie inférieure ; d’une tige, prolonge- ment du tuyau, mais qui est presque quadrangu- laire et est remplie d’une substance blanche, légère et spongieuse. Celle tige est légèrement arquée, con- vexe sur sa face supérieure, et marquée inférieure- ment d’une cannelure profonde. Elle est garnie de 2 barbes composées elles-mêmes de barbules entrelacées les unes dans les autres. Les barbes d’une plume ne sont pas égales, l’une est plus courte que l’autre, et les barbules de la plus petite en sont plus fermes et plus solidement entrelacées l’une à l’autre. Les tiges des plumes ont une double courbure légère et naturelle ; les plumes extraites de l’aile droite, en supposant qu’on les tient dans la posi- tion que prend la main en écrivant, sont infléchies à gauche, et celles de l’aile gauche infléchies à droite. Ces dernières sont préférables pour écrire, parce qu’elles prennent naturellement une position plus commode dans la main qui les dirige. Il est facile, de suite, de reconnaître ces dernières plumes à la taille, puisque, lorsqu’on leur fait subir cette opération, l’entaille que le canit y pratique n’est pas placée à droite, mais à gauche de la ligne médiane de la plume. Une bonne plume à écrire doit être de grosseur moyenne, plutôt vieille que nouvellement apprêtée. Elle n’est ni trop dure ni trop faible ; elle a une forme régulière et arrondie pour ne pas tourner elle-même entre les doigts, elle est nette, pure, claire, transpar- ente ou à peu près, élastique et sans aucune tache blanche, qui l’empêcherait de se fendre avec régu- larité. En l’appuyant sur le papier, elle doit porter d’aplomb sur le point où on a dû pratiquer le bec. Elle doit se fendre nettement et en ligne droite, sans être aigre et cassante, et ne pas s’émousser facile- ment par l’usage. seCTion ii. — Apprêt des plumes. Le tuyau de la plume est composé d’une sub- stance de nature cornée ou albumineuse, suscep- tible d’attirer l’humidité de l’atmosphère, de se ramollir d’abord dans l’eau chaude ou quand on l’approche des corps élevés à un certain degré de température, puis de prendre après le refroidisse- ment, et par suite de l’effet de la chaleur, une dureté et une fermeté plus grandes qu’auparavant. Ce tuyau est recouvert naturellement par une membrane mince, imprégnée d’une matière douce et grasse, et, à l’intérieur, il renferme une substance fine, légère et celluleuse, qui se dessèche après que la plume a été arrachée, et qui porte le nom d’âme de la plume. Le but de l’apprêt des plumes est : 1° de les débar- rasser complètement de la matière graisseuse qui les enduit, et qui empêcherait l’encre de s’y attacher et de couler ; 2° de rendre par la chaleur la substance du tuyau compacte, polie, élastique, plus pro- pre à résister à l’usage, et plus facile à fendre avec netteté ; 3° de donner au tuyau une forme arrondie et bien parallèle à un axe qui passerait par le cen- tre de la plume ; 4° enfin, de lui enlever ses pro- priétés hygrométriques, pour qu’elle ne s’amollisse pas dans l’encre, et soit d’un service plus prolongé. On désigne sous le nom de plumes hollandées, celles qui ont été ainsi préparées, parce que les Hollandais ont été les premiers à découvrir le mode véritable de cette préparation. Le procédé hollandais le plus simple, celui qui est le plus généralement en usage, et qui, avec quelques modifications devenues nécessaires, paraît donner encore de bons résultats, consiste à passer à plu- sieurs reprises les plumes dans du sable chaud ou des cendres chaudes, pour amener la matière grasse

78 ARTS AGRICOLES : APPRÊT DES PLUMES À ÉCRIRE LIV. IV. du tuyau à l’état de fusion, et donner plus de fermeté à celui-ci, et à le frotter ensuite avec une étoffe ou à le gratter avec le dos d’un couteau, pour enlever cette matière grasse fondue et lui donner le poli. Quelquefois, on passe vivement et à plusieurs reprises les plumes au-dessus de charbons ardents, mais non flambants, et on les frotte avec un morceau d’étoffe de laine pour les débarrasser de la mem- brane grasse, les polir et les arrondir. Ces méthodes sont difficiles à pratiquer avec certitude, parce que, dans les 2 cas, on ignore la température qu’on applique à la plume, et que la chaleur, n’étant pas régularisée, est tantôt trop élevée et tantôt trop faible. Dans le second il faut beaucoup d’adresse et d’habileté pour ne pas brûler les plumes, et pour les chauffer bien également. On a régularisé le procédé hollandais en étab- lissant le bain de sable sur un poêle ou une étuve, et en le maintenant constamment par des dispo- sitions convenables à une température de 50°R. On plonge alors la plume, de toute la longueur du tuyau, dans ce bain de sable, et on l’y laisse pen- dant un certain temps, au bout duquel on la retire pour la frotter de suite et fortement avec le chiffon de laine. D’autres apprêteurs font usage d’une méthode plus compliquée, mais qui paraît donner aussi de bons résultats. Pour hollander les plumes, on en plonge le tuyau dans une chaudière d’eau presque bouil- lante(fig.81A)contenantendissolutionunepetite quantité de potasse, d’alun ou de sel commun. Dès que les plumes sont amollies, on les retire du bain et on les gratte à leur surface avec le dos d’une lame de couteau. Ces opérations sont répétées jusqu’à ce que le tuyau soit devenu transparent, et qu’on ait enlevé toute la matière grasse qui l’enduisait. C’est alors qu’on les plonge une dernière fois pour les amollir, puis les arrondir entre le pouce et l’index, et qu’on leur donne de la fermeté au moyen d’une immer- sion dans du sable chaud, de l’argile ou de la cendre chaude. Ces corps lui enlèvent les dernières portions de graisse et les rendent plus dures et plus brillantes. Un mélange de sable et d’argile est ce qui convient le mieux ; la cendre n’est pas aussi bonne. L’apprêt se fait d’une manière convenable et sûre en opérant M. sChoLz, de Vienne, a proposé de préparer les plumes à la vapeur, et de leur donner ainsi toutes les qualités des meilleurs plumes de Hambourg. Voici sa manière d’opérer. Dans une chaudière ( fig. 82) munie d’un double fond en toile métallique, il place, le tuyau en bas, des plumes de toutes les qualités. Il verse ensuite de l’eau dans la chaudière jusqu’à ce que le liquide vienne presque affleurer la pointe des plumes. Il ferme la chaudière au moyen d’un couver- cle qui clôt hermé- tiquement, la pose sur le feu, et laisse ainsi les plumes exposées pendant 24 heures à la vapeur de l’eau bouillante. Au bout de ce temps il les retire, et le lendemain il en ouvre légèrement l’extrémité, en retire la moelle, les frotte avec l’étoffe de laine, et les met sécher dans un lieu modérément chaud. Le jour suivant elles sont transparentes comme du verre, et dures comme de la corne ou des os, sans être aigres ou cassantes. Nous décrirons encore un procédé qui est usité en Allemagne, et paraît donner des produits aussi estimés que les plumes de Hambourg ou les meil- leures plumes anglaises. On fait tremper à froid lesplumespendantl0à12heuresdansunelessive formée d’une partie en poids de bonne potasse et 10 parties d’eau pure, et seulement après avoir filtré la dissolution. La matière grasse qui enduit le tuyau est convertie en un savon soluble. Ainsi préparées, on les plonge pendant 5 minutes dans l’eau pure, de l’eau de pluie de préférence, chauffée jusqu’au point d’ébullition, puis on les en retire pour les rincer à l’eau froide, et les faire sécher au milieu d’une atmos- phère sèche et légère- ment chaude. Il ne s’agit plus maintenant que de les raffermir et de les polir. Pour cela, onprendunechaudière(fig.83),ouunecaissede 15, soient encore éloignées de 3 à 4 pouces du fond. On prévient encore mieux le contact des plumes sur ce fond en ajustant, quelques pouces au-dessus, un châssis a claire-voie, un treillis, ou mieux une toile métallique, sur lesquels les plumes reposent. On ferme alors la chaudière avec un couvercle au milieu duquel est un trou dans lequel glisse un ther- momètre disposé de manière que sa boule soit au milieudelachaudière,etquelamajeurepartiede son échelle s’élève en dehors au-dessus du couver- cle. Tout étant disposé, on porte la chaudière sur un fourneau contenant quelques charbons allumés, et on chauffe l’air qu’elle contient, et qui baigne les plumes, jusqu’à la température de 60° R. Fig. 81. de la manière suivante : On chauffe le mélange de sable et d’ar- gile sur une plaque de tôle, ou mieux, dans un vase de fonte Fig. 82.

Fig. 83.
 (fig.81B),jusqu’aupointoùl’eaud’unebouilloire, enfoncée au milieu du bain, commence à bouillir. On enlève cette bouilloire, et on pique dans le sable chaud les plumes qui peuvent y rester plongées pendant un quart d’heure environ. On les enlève ensuite et on les frotte vivement avec une flanelle.

CHAP.4e INCUBATION ARTIFICIELLE 79 Lorsque, les plumes sont assez amollies pour fléchir lorsqu’on les frotte un peu vivement avec le dos d’un couteau, on prend chacune d’elles en particulier de la main gauche, et on l’appuie sur le genou garni d’un linge de laine, ou sur une table couverte en drap, puis on la presse avec le dos d’un couteau qu’on appuie à l’origine ou extrémité supérieure du tuyau, en faisant glisser la plume en arrière sous la lame qui la presse, et en lui rendant en même temps la forme ronde qu’elle avait aupar- avant. On opère encore plus facilement en la faisant passer vivement, et à plusieurs reprises, dans un morceau de drap ou de flanelle, pour enlever l’épi- derme et la polir. Quand on désire des plumes très fermes, on peut les soumettre 2 fois de suite à cette opération, mais il faut avoir l’attention de ne commencer la 2e que quand les plumes ont entièrement perdu la température élevée que leur avait donnée la 1re. On a essayé beaucoup d’autres procédés pour la préparation des plumes à écrire. C’est ainsi qu’on s’est servi des acides nitrique et sulfurique ; mais ces acides, quoique très affaiblis, altèrent beaucoup la substance de la plume, la rendent aigre et sujette à se fendre irrégulièrement, etc. seCTion iii. — Coloration, assortiment, empaquetage. On a commencé depuis quelques années à donner au tuyau des plumes à écrire des couleurs diverses. Les couleurs les plus communes sont le jaune, le bleu et le vert. Pour donner aux plumes une couleur jaune, on les plonge dans un extrait aqueux de safran jusqu’à ce qu’elles aient atteint la nuance désirée. Pour les teindre en bleu, on fait une dissolution d’une partie d’indigo broyé très fin dans 4 parties d’acide sulfuri- que concentrée, puis on étend d’eau la dissolution, on ajoute un peu d’alun en poudre, et c’est dans ce liquide qu’on plonge les plumes, et qu’on les y laisse séjourner jusqu’à ce qu’elles aient acquis la teinte convenable. On teint les plumes en vert en mettant pendant quelque temps celles qui sont déjà teintes en bleu dans la dissolution jaune ci-dessus, etc. On parvient, dit-on, à donner aux plumes cette couleur jaunâtre qui les fait rechercher, et qui est un indice d’ancienneté, en les faisant tremper pendant quelque temps dans un bain d’acide hydrochlori- que très étendu. En général, ces opérations de teinture ne se font qu’après que les plumes ont reçu l’apprêt, c’est-à- dire ont été dégraissées et polies. Une fois apprêtées, les plumes sont assorties suiv- ant leur poids ou leur grosseur, ou bien leurs qual- ités, ou suivant qu’elles proviennent de l’aile gauche ou de l’aile droite. Quand elles ont été assorties, on les assemble en paquets de 25, dont 4 font le cent. Ces paquets, qui sont maintenus par une ficelle roulée plusieurs fois autour des plumes à la naissance du tuyau, sont assez difficiles à former d’une manière régulière. Ils doivent être carrés, c’est-à-dire com- posés de 5 rangs, chacun de 5 plumes. Quelques fabricants mettent ordinairement les plus belles à l’extérieur, et les médiocres dans l’intérieur du paquet. Pour suppléer à l’habileté des ouvriers, on a inventé une petite machine en Allemagne que nous ne connaissons pas encore, et qui empaquête 20 à 24 mille plumes par jour avec beaucoup de régu- larité. Les qualités des plumes à écrire se distinguent par la couleur des ficelles qui servent à lier les paquets, et par la couleur du papier qui réunit les paquets de cent. F. M.

CHAPITRE IV. — inCuBaTion arTiFiCieLLe.

L’incubation artificielle est l’art de faire éclore et d’élever en toute saison toutes sortes d’oiseaux de basse-cour ou d’agrément, et particulièrement des poulets, par le moyen d’une chaleur artificielle et sans le secours de mères couveuses. Cet art, pour être pratiqué, exige la connaissance des appareils au moyen desquels on supplée à la chaleur de la poule, et celle des méthodes les plus certaines pour élever les poulets nés dans ces appareils. seCTion ire. — Des appareils pour faire couver les œufs. Ces appareils sont des couvoirs, des fours ou des étuves de diverses espèces. D’après le témoignage des écrivains de l’antiq- uité et des temps modernes, les Egyptiens, depuis un temps immémorial, ont exercé et conservé la pratique de l’art de faire éclore et d’élever les pou- letsdansdesfoursenbriquesappelésmamals,dont nous ne donnerons pas la description, parce que c’est un procédé imparfait, et qui n’est pas applica- ble dans notre pays. Dans le siècle dernier, réaumur essaya, ce qu’on avait déjà tenté aussi avant lui, de faire éclore des poulets d’une manière économique au moyen de fours ou tonneaux chauffés par la chaleur qui se dégage de la fermentation du fumier. Ce savant a tait, à ce sujet, des expériences nombreuses qui sont restées comme le témoignage de sa sagacité et de sa patience, mais qui n’ont fourni aucun procédé réellement applicable. Nous passerons donc à la description d’appareils plus modernes. § ier. — Couveuse artificielle. Parmi les appareils simples dont on pourrait faire choix aujourd’hui pour faire éclore des poulets, un des plus commodes est une petite couveuse artificielle. Cette couveuse, dont on voit la coupe par le milieu danslafig.84estcomposéede2vasescylindriques en fer-blanc, l’un A, de 27 cent. (10 po.) de diamè- tre, sur 33 centim. (1 pi.) de hauteur, et l’autre B

80 ARTS AGRICOLES : CALÉFACTEUR-COUVOIR DE M. LEMARE LIV. IV. plus petit, mais dans un rapport tel, qu’en le plaçant dans le grand il reste entre eux, en tous sens, un tube recourbé qui sert à faciliter l’introduction de l’eau dans le réservoir à la partie supérieure duquel il est soudé. Fig. 85. La partie supérieure E est un double corps rem- pli avec de la ouate dans toute sa circonférence. Le centre contient le panier aux œufs F ; autour de ce panier règne un espace vide qui permet à la chaleur du réservoir de se répandre sur les œufs. Le tout est terminé par un couvercle ouaté G. À cet appareil on ajoute un thermomètre de Réaumur, une lampe à cric et un paquet de mèches. Le régulateur du feu, qui est fondé sur le principe de la dilatation de l’eau, et dont on voit une coupe sur une plus grande échelle dans la fig. se compose d’un flotteur I, cylindre creux plus léger que l’eau, qui se meut dans le grand tube, et d’un registre L attache au flotteur par une chaînette, qui passe par un tube d’un petit diamètre soudé d’un bout sur le robinet, et de l’autre qui traverse le flotteur auquel il sert de guide. La descente de ce registre est bornée par une coulisse inférieure, et sa montée par une autre coulisse semblable. Pour se servir du caléfacteur-couvoir, on remplit d’eau chaude le réservoir en cuivre par le tube D. On couvre l’appareil et on introduit un thermomè- tre par les trous P pratiqués à la partie latérale et supérieure. Quelques heures après on visite le ther- momètre sans découvrir le couvoir. Si celui-ci est encore à une température trop élevée, par exemple 40°, on l’abandonne encore quelque temps, et ce n’est que lorsque le thermomètre ne marque plus que 35 à 36° Réaumur, qu’on met les œufs. Ces œufs et le panier causeront beaucoup de refroidisse- ment ; dès lors on visite souvent le thermomètre, et ce n’est que lorsqu’il est descendu à 29 ou 30° qu’on allume la lampe. On verse doucement un verre d’eau dans le tube D,jusqu’àcequ’ilsoitrempliàunpouceprès;alors son registre L est monté à son arrêt supérieur, et ne laisse au passage de l’air que le plus petit espace ; et c’est, au contraire, le plus grand qu’il doit livrer, puisque le thermomètre ne marque que 30°. On soutire donc par le robinet un petit filet d’eau qu’on laisse couler jusqu’à ce que le registre soit presque entièrement descendu à son arrêt inférieur, c’est-à- dire qu’il laisse libre toute l’ouverture. La combus- tion de la lampe H devenant plus active, la chaleur Fig. 84. vide de 27 millim. (1 po.), qui doit contenir l’eau chaude destinée à élever la température des œufs placés dans le petit vase. Six petits tuyaux C de 2 à 3 millim. (1 lig.) de diamètre, percés à la partie inférieure de l’appareil, et s’ouvrant au dehors, amènent l’air néces- saire à l’incubation dans le vase intérieur B. On place au fond de ce dernier un lit de coton, puis les œufs au nombre de 20 ou 25, enfin un autre lit de coton pour les préserver du refroidisse- ment, et on ferme l’appar- eil au moyen d’un couvercle D percé d’un grand nom-

 bre de trous très fins. Quand on fait usage de l’in- strument, il faut qu’il perde, par le contact de l’air extérieur, précisément autant de chaleur qu’il en reçoit par l’influence d’une petite lampe E placée au-dessous, et c’est à quoi on arrive par une étude de quelques jours, au moyen d’un thermomètre F plongé dans l’eau, et qu’on peut faire glisser au dehors dans le bouchon de liège qu’il traverse, et d’un autre thermomètre G dont la boule est placée au milieu des œufs, et dont on peut facilement lire les indications sans ôter le couvercle et découvrir les œufs. On remplit l’intervalle des deux vases avec de l’eau chauffée à 36°R. (45 cent.), au moyeu de l’orifice H fermé par un bouchon, et on allume la lampe. Si la température s’élève on fait descendre la lampe le long du pied I sur lequel elle peut glisser ; si elle s’abaisse, on la rapproche, et l’on arrive bientôt à déterminer la distance qui convient à l’appareil et à la lampe. Les lampes à huile étant sujettes à charbonner leur mèche, et à donner une combus- tion imparfaite, et par conséquent une chaleur iné- gale, il vaut mieux faire usage d’une lampe à alcool et à mèche d’amiante. On obtient ainsi une flamme égale à peu de frais, et qui ne brûle pas 2 onces d’al- cool en 24 heures.

§ ii. — Caléfacteur-couvoir de M. Lemare. Un autre appareil plus commode que le précédent, est le couvoir dont on voit la vue per- spective,etlacoupeparlemilieudanslafig.85.Il se compose de deux parties qui s’emboîtent l’une sur l’autre. La partie inférieure est formée, 1° d’un cercle ou cylindre extérieur en bois A dont le fond est en carton ; 2° du réservoir en cuivre ou en zinc B destiné à contenir l’eau qui doit entretenir la chaleur convenable : de ce réservoir partent 2 tubes ; l’un C terminé par un robinet, et sur lequel est soudé un tube vertical D qui s’élargit à la partie supérieure et par lequel on introduit l’eau ; l’autre est un petit

CHAP.4e ÉTUVE BONNEMAIN 81 s’accroîtra, l’eau augmentera de volume, le regis- tre montera et diminuera proportionnellement à cette dilatation le passage de l’air, et arrivera à son plus haut degré d’ascension ou en approchera. Le thermomètre aussi aura monté de 1 ou 2° ; mais le passage de l’air étant rétréci, la combustion se ralentira, l’eau moins dilatée laissera tomber le flot- teur et avec lui le registre, et l’effet contraire se pro- duira, et ainsi de suite. La lampe s’introduit sous le réservoir par une petite ouverture O qu’on tient fermée avec une porte. À la partie supérieure du réservoir B, est soudéuntubecourtJ,quipasseparuntroupra- tiqué au fond du panier, et qui est destiné à soute- nir un petit godet dans lequel on met un peu d’eau. La mèche de la lampe doit être mouchée une fois le matin et une fois avant qu’on se couche. Il suffi aussi d’y mettre de l’huile deux fois par jour. On visite également le tube régulateur de temps à autre, pour voir s’il ne s’est pas évaporé un peu d’eau, et vérifier si le point le plus élevé et le plus bas de la dil- atation de l’eau correspondent bien à la plus petite et à la plus grande ouverture du registre. Au reste, dit M. Lemare, ces couvoirs ont réussi, quoiqu’ils ne fussent pas munis de régulateurs du feu, et la chaleur s’y conserve très bien. § iii. — Étuve Bonnemain. Les couvoirs déjà décrits ne sont guère pro- pres qu’à une incubation pratiquée sur une petite échelle ; quand on veut faire de cet art l’objet d’une spéculation étendue, il faut avoir recours à des étuves plus vastes, et établies sur un plan dif- férent. Celle qui a donné les résultats les plus avan- tageux est l’étuve de Bonnemain, qui s’est occupé, en France, avec succès, de l’incubation artificielle. Cette étuve est construite sur le principe de la cir- culation de l’eau, principe fondé sur cette observa- tion qu’on est à même de répéter chaque jour, que dans une chaudière remplie d’eau, et sous laquelle onallumedufeu,lespremièresportionsduliquide qui sont échauffées deviennent plus légères et mon- tent à la surface, tandis que les portions qui sont restées froides à la surface vont au fond prendre la place de celles qui s’élèvent. Ce phénomène se renouvelle tant qu’il y a inégalité dans la tempéra- ture des différentes couches d’eau. Ainsi, si à la chaudièreferméeA(fig.86),onadapteuntuyau la partie supérieure de cette chaudière, puis dans le tube B, où, dépouillées en partie de leur chaleur par l’air environnant, elles s’écouleront par le tuyau D, et rentreront en C dans la chaudière. Cette cir- culation continuera tout le temps qu’il y aura du feu sous la chaudière, et si l’on suppose que les tubes rampent dans l’intérieur d’une chambre ou d’une étuve, l’air intérieur s’échauffera par son contact avec les parois des tubes chauds, et on pourra ainsi élever d’autant plus la température qu’on augmen- tera davantage l’étendue ou la surface des tuyaux. Un appareil de cette nature, employé à chauffer unespacequelconque,senommeuncalorifèreàeau chaude. On conçoit qu’on pourrait, par des moyens à peu près analogues, faire circuler dans les tubes de l’air chaud ou de la vapeur d’eau bouillante, comme M. BarLow l’a fait en Angleterre pour un établissement d’incubation artificielle. L’étuve de Bonnemain se compose d’une cham- bre carrée ou oblongue, dont les parois sont en bri- ques, et qui est chauffée par des séries de tuyaux Fig. 87. faisant partie d’un calorifère à eau chaude. Sur la chaudièreA(fig.87)dececalorifère,estimplanté un tuyau vertical DG réuni avec un tuyau horizon- tal EF, auquel sont soudés des ajutages à rides B, qui s’adaptent à un égal nombre de tubes a a intro- duits dans la paroi de l’étuve. Ces tubes traversent celle-ci sous une pente insensible, et vont sortir par le côté opposé, où, après s’être deux fois recourbés, ilsrentrent,8à9po.au-dessous,dansl’étuvequ’ils traversent de nouveau pour ressortir et rentrer encore. Enfin, après avoir fait dans l’étuve 2 ou 3 circulations semblables, ils se réunissent de nouveau au dehors dans un seul tube transversal H, auquel est adapté un tuyau R qui descend latéralement dans la chaudière jusque près de son fond : ce tuyau, dans sa partie plongée dans la chaudière, est entouré par une enveloppe pleine d’air qui empêche que l’eau descendante ne soit échauffée avant d’atteindre le fond. Il serait sans doute plus convenable de ne faire rentier ce tuyau que près du fond de la chaudière. Un tube ouvert K, élevé au-dessus du point le plus haut du tuyau DG, sert au dégagement de l’air con-

Fig. 86.

B, qui s’élève à une cer- taine hauteur, et rede- scende ensuite en faisant diverses sinuosités D, jusque près du fond de la chaudière dans laquelle il rentre en C, qu’on rem- plisse d’eau tout l’appar- eil, et qu’on allume du feu sous la chaudière, les 1res portions d’eau imprégnées de calorique et devenues plus légères, monteront à 82 ARTS AGRICOLES : INCUBATION ARTIFICIELLE LIV. IV. tenu dans l’eau ; un autre tube L adapté à l’une des parties inférieures, mais qui monte au niveau des tubes de circulation les plus élevés, est surmonté d’un entonnoir par lequel on remplit I appareil, et sert en même temps de tube de sûreté. On conçoit facilement comment l’eau échauffée dans le calo- rifère s’élève dans le tuyau D, circule dans tous les tubes, et est ramenée à la chaudière par le tuyau R, quand elle a été dépouillée par l’air de la majeure partie de sa chaleur. Ce mouvement, une fois com- mencé, doit se prolonger tant que l’eau continue à s’échauffer dans le calorifère, et être d’autant plus actif, que l’eau est à une température plus inégale dans le calorifère et dans les tubes. Le calorifère A proprement dit, dont on voit 2 sections verticales dans les figures 88, 89, et les plans au niveau de la grille et à la partie supérieure dans ascendants EE, redescendent dans les tuyaux GG, et passent, à l’aide des ouvertures II, dans le gros tuyau H d’où ils se rendent dans la cheminée. Ainsi, dans le chemin que suivent les produits gazeux de la combustion, on voit qu’ils communiquent à l’eau une grande partie de leur chaleur et sortent de la cheminée à une température peu élevée. Lorsqu’on veut faire éclore des poulets dans cet appareil, on allume le feu dans le calorifère, et dès qu’on a obtenu dans l’étuve le degré de tempéra- ture de l’incubation, qu’on mesure au moyen des thermomètres placés à l’intérieur, on range les œufs les uns près des autres sur des tablettes à rebords MM, ( fig. 87), qui sont fixées au-dessous de chaque jeu de tubes ; et pour entretenir l’air dans l’état de moiteur nécessaire, on pose à l’intérieur quelques assiettes NN remplies d’eau. Pour conserver la température de l’étuve au degré déterminé sans nécessiter une surveillance continuelle, M. Bonnemain adapte à son appareil un régulateur du feu qui maintient la température à demi-degré de Réaumur près, et qui est fondé sur ces deux principes de physique : 1° la chaleur dilate les métaux ; 2° les métaux soumis à une même température n’éprouvent pas tous une même dil- atation. Voici comment ces principes ont servi à établir le régulateur. Une tige en fer X (fig.92), taraudée à son Fig. 89. Fig. 88.

Fig. 90.

Fig. 91. La dilatation du plomb étant plus grande à température égale que celle du fer, aussitôt que la température s’est élevée au degré voulu, l’allongement du tube met en contact la rondelle Z avec le talon A du lev- iercourbéABD;alors le plus léger accroissement de chaleur allonge de nouveau le tube, et la rondelle soulevant le talon du levier, fait abaisser d’une quantité plus con- sidérable son extrémité D. Ce mouvement abaisse à son tour l’extrémité du balancier E qui le transmet agrandi à la tringle de fer V. Celle-ci est attachée à la moitié inférieure R d’un registre à bascule SS, contenu dans une boîte, formant saillie à l’extérieur, et est mobile autour d’un axe U qui diminué en se fermant l’accès de l’air vers le loyer et ralentit la combustion. La température s’abaissant alors dans le calorifère, le tube X se contracte et dégage le talon du levier. Le contre poids G, fixé au balancier E, en fait relever l’extrémité en soulevant le bout D du levier autant qu’il en faut pour faire porter les figures 90 et 91, est ainsi construit : A fourneau, B grille, C cendrier, D porte du cendrier, E E tuyaux par lesquels la fumée monte en sortant de l’orifice F du foyer ; G G autres tuyaux par lesquels redescend la fumée pour remonter ensuite en passant par les ouvertures I, et s’échapper par le gros tuyau H ; L enveloppe extérieure du calorifère; toute la capac- ité P comprise entre cette enveloppe et les parois extérieures des tuyaux est remplie d’eau ; M bouche dont l’ouverture correspondante sert à allumer le feu et à nettoyer la grille ; N couvercle du fourneau. Quand on veut mettre le calorifère en activité, on enlève le couvercle, on remplit le foyer à moitié ou aux 2⁄3 de charbon de bois, on replace le couver- cle, puis on ôte le bouchon M, et bon introduit par cet orifice quelques charbons embrasés. Lorsque le feu commenceà s’allumer, on replace le bouchon, et on ouvre la porte D du cendrier jusqu’à ce que le tirage se soit établi ; puis on ferme toutes les issues. Les produits de la combustion qui se dégagent du foyer s’introduisent par l’orifice F dans les 2 tuyaux extrémité inférieure, s’en- gage dans une embase de cuivre Y renfermée dans une boîte ou tube des plomb terminé par une rondelle de cuivre Z. Ce tube est plonge dans l’eau du calorifère à côté du tuyau G ( fig. 88, 89). Fig. 92.

CHAP.4e COUVOIR SOREL 83 le talon de ce levier sur la rondelle Z du tube ; le registre à bascule S, entraîné dans ce mouvement, s’ouvre et offre une plus grande section de passage à l’air qui active de nouveau la combustion : ainsi la température est régularisée dans le calorifère, et par conséquent les tubes qui circulent dans l’étuve y portent constamment la même quantité de chaleur dans un temps donné. Mais cette condition ne suffit pas encore pour entretenir dans l’étuve une température constante, puisque la température atmosphérique varie beau- coup. Pour balancer cette influence, l’inventeur a terminé la tige en fer X qui maintient le régulateur par une tête de boulon H ( fig. 93) : une aiguille adaptée à celle-ci permet de faire tourner la tige et Fig. 93. par conséquent la vis Y qui est à l’autre bout, qui abaisse ou élève le tube de plomb. Dans le premier cas, le talon s’abaissant, fait ouvrir le registre à bas- cule, et il faut une température plus élevée pour le fermer en dilatant le tube ; on obtient donc ainsi une température régulièrement plus haute. Si, au contraire, on élève le tube en tournant l’aiguille dans un autre sens, le registre offre une ouver- ture moindre et se ferme à une température moins haute ; on obtient donc dans ce cas une tempéra- ture constamment plus basse. Il est facile de déter- miner ainsi à l’avance le degré de température que l’on veut donner à l’eau du calorifère et des tubes ; et pour faciliter le moyen on trace des divisions sur un cadran placé sous l’aiguille, et on inscrit les mots chaleurfaibleetchaleurforte,quiindiquentlesensdans lequel on doit tourner pour obtenir l’un ou l’autre effet. Le calorifère à eau chaude de Bonnemain a été appliqué en Angleterre avec succès au chauffage des serres, et a reçu dans sa forme des modifications qui en ont simplifié et facilité l’usage. Revenu en France avec le nom de thermosyphon, M. massey, inspect- eur des jardins de la couronne, l’a fait construire au potager du roi à Versailles pour le chauffage des bâches et serres de cet établissement. Sous cette nouvelle forme il ne sera pas moins utile à ceux qui se livreront en grand à l’incubation artificielle. Lethermosyphon(fig.94)estformédedeux Fig. 94. calottes hémisphériques en cuivre, ou plutôt c’est une espèce de cloche à double paroi, dont l’inter- valle B forme la chaudière proprement dite et que l’on remplit d’eau par le tuyau C, qu’on bouche ensuite avec un tampon. Celle chaudière est placée Fig. 95. sur un fourneau D en briques, de manière que c’est sa concavité E qui forme la voûte du fourneau ; elle est soutenue par trois ou quatre pieds étroits F afin que la fumée puisse circuler tout autour. La paroi extérieure de la chaudière est percée, près de sa par- tie supérieure, d’un trou pour recevoir le bout du tuyau de circulation en cuivre ou en zinc, placé bien horizontalement, et qui, après avoir fait un double coude, revient parallèlement à lui-même, se plie deux fois à angle droit, et rentre en H au point le plus bas de la chaudière. Le fourneau D se compose de deux portes I, l’une pour le foyer Q, l’autre pour le cendrier R, qui sont séparées par une grille P. Les chefs du potager du roi ont apporté à cet appareil un perfectionnement notable : c’est une plaque en tôle S placée verticalement et qui divise le foyer en deux parties inégales. Cette plaque ne touche pas à la chaudière, et a l’avantage que la flamme, en frappant contre la partie la plus élevée de la paroi intérieure de cette chaudière, échauffe davantage l’eau dans cette partie et détermine une circulation plusfacile.Lachaudièreétantenplace,onl’entoure d’une maçonnerie M en brique, mortier ou plâtre, en laissant tout autour entre cette chaudière et la bâtisse quelques pouces de distance pour la circu- lation de la fumée qui s’échappe enfin par la chem- inée O. Une petite soupape soudée à l’extrémité des tuyaux à l’endroit où ils font le coude, permet de remplir les tuyaux, de voir l’eau et de mesurer sa température si on le juge convenable. La figure 95 représente un autre thermosyphon, plus simple encore, imaginé par MM. massey et grisox ; les mêmes lettres désignent les mêmes objets que dans la figure précédente. On peut adapleràcesthermosyphonslesrégulateursdes appareils précédents, et faire circuler la fumée dans des conduits particuliers où elle se dépouille encore de la plus grande partie de son calorique au profit de l’étuve. § iv. — Couvoir Sorel. On doit à M. soreL un appareil de ce genre qui paraît réunir tous les avantages et qui se distingue surtout par la manière fort ingénieuse et très précise 84 ARTS AGRICOLES : INCUBATION ARTIFICIELLE LIV. IV. employée pour régler la température. Ce couvoir est représenté en coupe par le milieu delafig.96.Ilsecomposed’unechaudièreen cuivre, en forme de cylindre A, percée à son milieu, pour livrer passage à la cheminée B qui s’élève Fig. 96. au-dessus d’elle, et par laquelle s’échappent, non pas par la partie supérieure qui est fermée, mais par des trous percés sur la circonférence, les produits ou gaz de la combustion qui se dégagent d’une lampe ou d’un petit feu de charbon placé dans le foyer C. La chaudière s’évase tant à sa partie inférieure qu’à sa partie supérieure, pour former à chacune d’elles des disques creux dans lesquels l’eau chaude se répand. Ces deux disques communiquent aussi entre eux par un certain nombre de colonnes ou tubes verticaux et creux, placés de distance en dis- tance autour de l’appareil. Ces colonnes descendent jusque sur le plancher du foyer C qui est lui-même à double fond et dans lequel l’eau peut aussi se répan- dre. La face supérieure de la chaudière qui forme le couvercle peut s’enlever à volonté tant pour rem- plir le vase d’eau que pour ajuster le flotteur. Ce flotteur E est un vase renversé, placé dans la partie moyenne de la chaudière, et surmonté d’un cylin- dre qui embrasse la cheminée le long de laquelle il peut monter et descendre librement ; il s’élève ainsi jusque près de son extrémité. Voici maintenant la manière de se servir de l’ap- pareil, et le jeu du flotteur. On enlève le couvercle de la chaudière et on y verse de l’eau chaude. Cette eau se répand dans les colonnes et le double fond du foyer. Quand la chaudière est remplie et que le plateau inférieur de son disque supérieur est couvert d’eau, on ajuste le flotteur. Pour cela on le plonge dans la chaudière ; cependant, comme un vase renversé ne peut se rem- plir de liquide par suite de l’air qui résiste, on ouvre un bouchon fermant un petit tube e qui surmonte le flotteur, et on laisse écouler l’air, lequel s’échappe ainsi à mesure que le flotteur descend. Mais, avant que tout cet air soit échappé, on referme le bou- chon, et le flotteur se maintient en équilibre dans le liquide au moyen du petit volume d’air qui s’y trouve emprisonné. C’est cet air qui sert à régler la température. En effet, quand l’eau de la chaudière acquiert, par l’intensité de la combustion dans le foyer, une chaleur plus considérable que celle qu’onavouludéterminer,l’airplacésousleflot- teur y participe très promptement, se dilate, et par l’augmentation de son volume, refoule l’eau et rend le flotteur plus léger. Celui-ci monte aussitôt dans le liquide, et en s’élevant bouche les trous qui sur- montent le tuyau de la cheminée et intercepte ainsi le courant d’air ; la combustion étant alors moins active, la température de l’eau baisse et reprend celle qui a été fixée. Le contraire aurait lieu si la température s’abaissait, le flotteur descendrait et permettrait, au moyen d’un plus grand accès d’air, d’avoir une combustion plus vive. Ce moyen, aussi simple qu’ingénieux, se règle avec une extrême précision et pour toutes les températures qu’on désire ; c’est la quantité d’air qu’on laisse sous le flotteur qui détermine son degré de sensibilité. Seulement, quand on est arrivé par quelques essais faciles à faire fonctionner le flotteur à peu près à la température requise, on achève de déterminer le point précis au moyen de quelques anneaux légers de métal dont on charge sa partie supérieure, ou qu’on lui enlève suivant le besoin. Lorsqu’on est parvenu à ce point, la chaleur dans le couvoir se maintient à 31° ou à 32° à volonté, pen- dant 24 et 36 heures, sans varier de 1⁄2 ou même de 1⁄4 degré pendant tout cet intervalle. Avant de placer dans le couvoir les œufs, qui se posent, comme on le voit dans la figure, sur le fond de la chaudière et sur une tablette en bois garnies de ouatte de coton, on le fait marcher pendant quelque temps, et lorsqu’il est arrivé à une marche constante, on enfourne les œufs et on referme les portes ou coulisses dont l’ap- pareil est muni. Ce que ce couvoir présente encore d’intéressant, c’est qu’il est à circulation d’eau chaude ; en effet, l’eau chaude, en s’élevant à l’extrémité supérieure de la partie cylindrique de la chaudière, se déverse sur le disque qui la couronne. Là elle perd une petite quantité de son calorique, et pressée d’ailleurs par celle qui monte incessamment, elle ne trouve d’au- tre issue que quelques-unes des colonnes creuses par lesquelles elle descend jusque dans le double fond du plancher du foyer sans communiquer dans son passage avec le disque inférieur de la chaudière, ainsi qu’on le voit dans la partie droite de la fig- ure par la direction des flèches. Mais bientôt, appelée par le vide qui se fait dans la chaudière, elle remonte par la colonne opposée et rentre par le disque inférieur, qui en cet endroit lui présente une ouverture. On voit par là qu’il y a une réparti- tion très égale de température dans toutes les par- ties de l’appareil, comme on peut s’en convaincre au moyen des thermomètres, qu’on place en divers endroits. Pour entretenir la moiteur nécessaire à la santé et au développement des poulets dans les œufs, la chaudière est entourée d’une double enveloppe en cuivre, dans l’intervalle de laquelle on verse un peu d’eau qui, par son évaporation lente, donne à l’air la quantité de vapeur nécessaire à la température.

CHAP.4e RÈGLES PRATIQUES SUR L’INCUBATION DES ŒUFS 85 La partie supérieure de la chaudière peut égale- ment pendant l’incubation recevoir des œufs placés sur du coton, mais dès que les poulets sont éclos, on enlève la ouatte et on la recouvre d’une toile cirée pour en former une cage D, où l’on tient ces jeunes animaux pendant un jour ou deux avant de leur donner à manger. Sous le plancher du foyer est une poussinière gar- nie d’une peau de mouton P sous laquelle les pou- lets sont logés chaudement jusqu’à ce qu’on puisse les laisser vivre en plein air. Tout l’appareil, qui est carré, octogone ou mieux de forme ronde, est entouré d’une enveloppe en bois ou en carton, dans laquelle il y a un certain nombre de portes à coulisses pour placer, retirer et retourner les œufs, enlever les poulets, enfin pour tous les travaux du couvoir. Un certain nombre de trous très fins, pratiqués à diverses hauteurs, ser- vent à fournir l’air nécessaire à la combustion, ainsi qu’à la ventilation intérieure. Enfin des ouvertures un peu grandes, garnies d’un verre mastiqué, per- mettent de voir dans l’intérieur de l’appareil sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir chaque fois les portes à coulisses. § v. — De quelques autres méthodes d’incubation. On a essayé encore quelques autres méthodes pour faire éclore des poulets. Ainsi ou a cherché à profiter de la chaleur perdue des fours de boulang- ers, de pâtissiers, des fours banals des villes et vil- lages, etc., et on pourrait employer avec avantage celle qui se dissipe en pure perte chaque jour dans les fours, les fourneaux, les machines à vapeur, et dans une foule d’établissements industriels, où l’on entretient continuellement du feu, et qui pourraient fournir une température égale, constante et très économique. On a également fait des essais dans de simples chambres chauffées par un poêle et garnies de trin- gles, où l’on suspend les paniers d’œufs plus ou moins près du foyer de chaleur, suivant le besoin. Ces chambres toutefois exigent des attentions conti- nuelles pour être gouvernées convenablement. Enfin M. d’arCeT a proposé de profiter de la chaleur des eaux thermales pour faire éclore arti- ficiellement des poulets et des pigeons. Cette idée ingénieuse a déjà été mise par lui avantageuse- ment en pratique à Vichy en 1825 et en 1827 à Chaudes-Aigues. seCTion ii. — Règles pratiques sur l’incubation des œufs et l’éducation des poulets. § ier. — De l’établissement des appareils ; choix des œufs. L’appareil destiné à l’incubation des poulets sera placé dans un endroit calme, retiré à l’abri des vents, des changements subits de température, et surtout du bruit et des ébranléments fréquents, qui sont contraires au développement parfait des embryons. Quand on fera éclore des poulets pour les livrer régulièrement à la consommation, il sera convena- ble de ne garnir les appareils le premier jour que du nombre d’œufs nécessaires pour subvenir au débit journalier, et d’en ajouter chacun des jours suivants une quantité égale pendant les 20 premiers jours, puis ensuite de remplacer par des œufs les poulets éclos, afin d’obtenir journellement un même nom- bre de poulets, et d’avoir un travail régulier pen- dant toute l’année. On doit faire choix des œufs les plus frais et rejeter tous ceux qui sont âgés de plus de 15 à 20 jours. Les œufs vieillissent plus tôt en été qu’en hiver. On doit préférer les plus gros parce qu’ils donnent les poulets les plus forts et les plus vigoureux. On rejet- tera ceux qui ont deux jaunes, ainsi que ceux qui en sont privés ou qui présenteront d’autres accidents semblables. Tout œuf qui, vu par transparence à la lumière, a dans son intérieur un vide très grand, qu’on peut rendre sensible par le balottement, est déjà ancien et n’est plus propre à être couvé. Il n’y a aucun signe appréciable pour s’assurer si des œufs ont été fécondés ou non ; la chaleur de l’incubation, qui donne aux matières transparentes et claires contenues à l’intérieur des œufs féconds, un aspect louche et opaque après un certain temps, peut les faire reconnaître. Un œuf non fécondé reste clair après plusieurs jours d’incubation, et quelquefois même tout le temps qu’elle dure, sans manifester des symptômes appréciables de putréfaction. Les expériences entreprises par M. girou de Buzareingues, sur la reproduction des animaux domestiques, ont prouvé : 1° que dans une même basse-cour et avec une même race de volaille, les plus fortes femelles procréent un plus grand nombre relatif de femelles que les plus petites ; 2° qu’il n’y a pas de rapport certain entre le sexe du poulet et la forme de l’œuf ; 3° que l’éclosion des œufs les plus petits est plus hâtive que celle des œufs les plus gros. § ii. — Manière de diriger l’incubation. Les œufs ayant été choisis, on inscrit le quan- tième du mois sur le petit bout, et on les range dans le couvoir ou l’étuve, avec les précautions indiquées. Les œufs étant placés, on ferme les ouvertures et les issues pendant un certain temps pour faire remon- ter la température, que l’introduction des œufs et l’ouverture de l’appareil ont dû faire baisser, et, au bout de ce temps, on consulte les thermomètres pour la régler et la maintenir ensuite au point con- venable. Une fois les œufs introduits, il y a quatre cir- constances auxquelles il faut avoir égard pour bien diriger l’incubation : la température des appareils, l’évaporation d’une portion des parties liquides de l’œuf, la respiration des poulets et leur développe- ment normal. La température, d’après tous les essais de réaumur, doit être, autant que possible, de 32° R. (40 cent.) du thermomètre. Suivant ce savant, il y a plus à craindre pour les poulets d’une chaleur trop

86 ARTS AGRICOLES : INCUBATION ARTIFICIELLE LIV. IV. forte que d’une chaleur trop faible ; cependant une chaleur momentanée de 33°R. (47 cent.) et même 40 R. (50 cent.), ne paraît pas leur être funeste, surtout s’ils sont encore éloignés du terme de leur naissance ; ces hautes températures sont plus redoutables aux poulets qui sont près de naître. Une chaleur supérieure à 32° qui règne dans l’étuve ou le couvoir pendant tout le temps de l’incubation, fait éclore les poulets un et quelquefois plus de deux jours avant le vingt-unième. Une température trop faible paraît généralement moins dangereuse pour les poulets à tous les âges, même quand elle se prolonge un certain temps. Enfin, ajoute-t-il, une température qui pendant toute la durée de l’incubation a été de 31°R. (38° 50 cent.), ou un peu moins, fait éclore les poulets quelquefois un jour plus tard que sous la poule. Ces résultats, que Réaumur devait à l’observa- tion dans des essais d’incubation faits dans ses fours, ne sont pas entièrement d’accord avec ceux annon- cés par quelques personnes qui se sont occupées depuis lui de l’art de faire éclore artificiellement les poulets. Suivant les uns, la chaleur doit être entre 28° et 32°R., descendre rarement à 28°, monter encore plus rarement à 32°, et en moyenne, rester autant que possible à 30°. M. Lorz, qui s’est beau- coup occupé en Allemagne d’incubation artificielle, assure que, d’après sa pratique, sur plusieurs sortes d’œufs d’oiseaux, la chaleur doit être progressive : modérée d’abord, et commençant le premier jour par 4°R., elle doit s’élever successivement de jour en jour jusqu’au milieu de l’incubation, où il faut la porter a 24° (30° cent.), et depuis cette époque jusqu’à la fin, à 30° ou 31°, sans s’élever jusqu’à 32° R. D’un autre côté, ChapTaL a cité un homme fort ingénieux de Montpellier, qui, en se livrant à cette industrie, avait, dit-il, remarqué qu’à mesure que le poulet se développait dans l’œuf, et que la circulation du sang s’établissait, la chaleur naturelle de l’animal augmentait. En conséquence de cette observation, il éloignait insensiblement chaque jour du poêle ou calorifère qui chauffait son étuve, les paniers suspendus à des tringles qui contenaient ses œufs. Ce qu’il y a de certain aujourd’hui, au milieu de ces opinions contradictoires, c’est que l’incuba- tion peut avoir lieu et réussir depuis 24°R. (30° cent.) jusqu’à 36° R. (45° cent.), mais que la température la plus convenable, celle qui donne les poulets en plus grand nombre, les plus sains et les mieux con- formés, est celle de 31° a 32°R. pendant toute la durée de l’incubation. Les physiologistes ont en effet remarqué qu’une température qui n’est pas conven- able, ou qui offre des alternatives fréquentes, dével- oppait trop rapidement, ou arrêtait dans sa marche le développement du système sanguin-respiratoire, et que dans le premier cas le poulet s’atrophiait, ou périssait asphyxié dans le second, ou enfin présentait des disproportions bizarres dans les diverses parties de son corps. La pratique au reste peut enseigner promptement le meilleur mode d’opérer. Les œufs, abstraction faite de leur coquille, perdent par l’incubation, suivant Réaumur, du 5° au 6e de leur poids par l’évaporation ou transpiration insensible qui s’opère à travers la coquille d’une partie des fluides aqueux qu’ils contiennent. M. geoFFroy-sT.-hiLaire, en pesant des œufs entiers au commencement et à la fin de l’incubation, a trouvé, à peu de chose près, que cette perte de poids s’élevait au 6e ; et M. dumas, dans des expériences très précises, dit que ses œufs ont subi une diminution à peu près égale au 7e de leur poids. Ainsi, en ayant égard à ces résultats et à ceux obtenus par prouT sur des œufs non-couvés, un œuf perd par l’incubation huit fois autant de son poids qu’il en perd pendant le même temps dans les circonstances ordinaires. Si cette évaporation nécessaire à l’évolution et à la respiration du poulet ne peut se faire à cause de l’humidité de l’atmosphère où les œufs sont plongés, ou si elle se fait trop rapidement par suite de la sécheresse de l’air qui les environne, on a remarqué, quand cet état avait duré longtemps, qu’il se produisait alors des altérations très variées dans le développement des poulets ; que l’incubation échouait, ou que ces animaux naissaient mal conformés et non-viables. Il faut donc, autant que possible, entretenir dans les appareils une atmosphère imprégnée d’une quantité de vapeur moyenne et conforme à sa température en se servant de vases remplis d’eau qu’on place dans les couvoirs et surtout dans les étuves. D’après les observations de plusieurs savants modernes, au bout de 15 à 20 heures d’incuba- tion et jusqu’à la fin de cette opération, le poulet respire, et dès la 30e heure il possède les principaux organes qu’il doit conserver à l’état adulte. Cette respiration a lieu au moyen de l’air qui se tamise au travers de la coquille et qui arrive au contact des membranes vasculaires de l’animal. En entra- vant, en suspendant ou en viciant cette respiration, on arrête le développement du poulet, ou bien les diverses parties de son corps se développent d’une manière inégale. On conçoit ainsi qu’il est néces- saire d’environner les œufs d’une atmosphère pure et fréquemment renouvelée si on veut avoir des mulets bien conformés, ou si on ne veut pas les voir périr dans l’œuf. Tous les jours les ovipares dans l’incubation retournent régulièrement leurs œufs, ramènent ceux du centre à la circonférence, et réciproquement. On doit imiter cette pratique et retourner chaque jour les œufs d’un demi ou d’un quart de tour, les changer de place, c’est-à-dire mettre dans les endroits les plus chauds ceux qui étaient dans les places les plus froides des appareils, et réciproque- ment. Par cette manœuvre la respiration du pou- let, qui s’exécute par toute la surface de la coquille, a lieu d’une façon plus parfaite, et la nutrition s’opérant d’une manière régulière dans toutes les parties de l’embryon, on a des poulets plus vig- oureux et mieux conformés. La plupart des appareils que nous avons décrits ayant des régulateurs du feu, une ou plusieurs vis- ites dans les 24 heures sont suffisantes, surtout dans

CHAP.4e RÈGLES PRATIQUES SUR L’ÉDUCATION DES POULETS 87 les premiers temps de l’incubation. Mais il faut plus d’attention quand il survient des variations brusques de température dans l’atmosphère, ou quand on a été obligé par une cause quelconque de changer ou de modifier l’allure des couvoirs, ou enfin les jours qui précèdent la naissance des poulets et ceux où ils éclosent. § iii. — Naissance des poulets. Le terme moyen auquel les poulets éclosent est le 21e jour de l’incubation ; ce terme, au reste, suiv- ant les observations des naturalistes, peut varier beaucoup, par des causes, la plupart inconnues, comme on le verra par le tableau suivant des termes extrêmes et moyens de l’incubation des oiseaux domestiques. Quelques faits mieux observés auraient peut- de l’endroit où elle a commencé à être brisée, et en frappant dessus à petits coups avec un corps dur. Dès que cela est fait, les efforts du poulet suffisent pour séparer l’une de l’autre les deux parties de la coquille. Quelquefois l’introduction de l’air dans la coquille a séché les portions du blanc de l’œuf qui humectait les plumes appliquées contre la mem- brane, et le poulet se trouve fixé à sa place ; pour le tirer ne cette position, on peut briser la coquille en morceaux ; mais il vaut mieux, pour ne pas le faire souffrir, mouiller avec le bout du doigt ou avec un linge fin, légèrement humecté, tous les endroits où le duvet est collé ; le poulet se dégage alors lui- même. § iv. — Premiers soins à donner aux poulets. Les poulets qui viennent de naître dans les fours, les couvoirs ou les étuves, s’y ressuient peu à peu, et au bout d’une heure ou deux cherchent à faire usage de leurs jambes. Pour qu’il ne leur arrive aucun mal, on les dépose presque aussitôt dans une boîte ou un panier de forme indifférente, qu’on replace dans le four, l’étuve, ou la mère artificielle, où on peut les laisser ainsi 24 ou 30 heures sans songer à eux et sans qu’ils soient pressés par la nécessité de manger. On leur en fait naître l’envie en jetant devant eux quelques miettes de pain, soit seules, soit mêlées à des jaunes d’œufs durs et des grains de mil- let; plusieurs essaient sur-le-champ de faire usage de leur bec, et au bout de 24 heures on les verra tous becqueter les miettes et les grains qu’on aura mis a leur portée. Si on a soin de placer dans leur boîte un petit vase rempli d’eau tiède, on en verra qui iront y plonger le bec et avaler, en élevant la tête, la goutte d’eau qu’ils y auront puisée. Dès qu’ils auront mon- tré du goût pour manger et pour boire, on sortira la boîte de l’étuve et on en relèvera le couvercle ; la lumière leur donnera de la gaîté, de l’agilité et de l’appétit, surtout si le soleil brille sur l’horizon et qu’on les expose à ses rayons. Lorsque l’air n’est pas extrêmement doux et que le soleil ne luit pas, après les avoir laissés jouir du grand air pendant un quart d’heure, on les fera rentrer dans l’étuve, pour les en retirer au bout de 2 à 3 heures , et leur faire faire un 2e repas. On leur en fera faire 5 à 6 pareils par jour ; plus on les multipliera, mieux ils se porteront. Après qu’ils ont mangé et respiré un air plus pur, la cha leur leur est nécessaire. Le traitement du 2e jour et des suivants doit être semblable à celui du 1er, et on le continuera plus ou moins, suivant la saison. En hiver, on pourrait les tenir au four pendant un mois ou 6 semaines, mais il vaut mieux, au bout de 3 à 4 jours, cesser de les y faire rentrer, afin de les élever avec moins de sujétion. § v. — Des chapons conducteurs des poussinières et mères artificielles. Les poulets éclos dans les fours ou les couvoirs OISEAUX DOMESTIQUES. TERME le plus faible. TERME le plus ordinaire. TERME le plus fort.

Dindes couvant des œufs de . . . . . . . . . . . .

Poules couvant des œufs de . . . . . . . . . . . . Poules. Canes. Dindes. Canes. Poules.

Canes . . . . . . . . . . . . . . . . . Oies . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pigeons ................

17 24 24 26 19 28 27 16 24 27 26 30 21 30 30 18 28 30 30 34 24 32 33 20

être rendu aisément compte de ces anomalies ; ainsi M. dumas a eu l’occasion de se convaincre plu- sieurs fois et d’une manière positive, que les œufs qui ne sont pas récemment pondus se développent plus tard que les autres, et de rappeler que l’incuba- tion ne commence réellement que du moment où le jaune a acquis la température de 30° à 32° R.

Le poulet a besoin d’un rude travail avant que de naître. D’abord il pratique, en frappant sur sa coquille au moyen d’une petite proéminence cornée dont le bout de son bec est armé, une fêlure sim- ple et courte, ce qu’on appelle bêcher. Cette fêlure sous ses coups s’étend, se multiplie, s’agrandit ; quelquefois l’écaille tombe et laisse à découvert la membrane qui tapisse l’intérieur de la coquille ; en même temps on entend de petits piaulements qui témoignent de l’impatience de ces animaux pour sortir de leur prison. Enlin, cette coquille étant frac- turée, l’animal déchire ses enveloppes membraneu- ses et sort de l’œuf tout mouillé et se soutenant à peine sur ses jambes. Au bout de quelques heures il se sèche, se tient droit sur ses pattes, et est revêtu d’un duvet fin et léger. Les poulets naissent ordinairement par leur pro- pre force ; mais quand ils restent dans leur coquille 24 heures ou plus après qu’elle a commencé à paraître béchée, c’est un signe qu’ils ont besoin de secours étranger pour les en dégager. Le poulet peut être trop faible pour achever l’ouvrage qui lui reste à faire, et on lui rend alors un grand service en cassant la coquille dans toute la circonférence

88 ARTS AGRICOLES : INCUBATION ARTIFICIELLE LIV. IV. sont privés de leur mère et doivent cependant, une fois qu’on les a habitués à vivre à l’air libre, être garantis du froid et de l’humidité, surtout pendant la nuit. Ce qu’il y a de mieux à faire dans une ferme quand on n’a qu’un petit nombre de poulets, et ainsi que cela se pratique quelquefois dans les cam- pagnes, c’est de confier ceux nouvellement nés à un chapon, qui s’affectionne à eux autant que l’aurait pu faire la poule qui leur aurait fait voir le jour. Le chapon conducteur ne le cède en rien en talents et en assiduité à la poule la plus attachée à ses pou-lets et la plus attentive à les soigner. Un seul chapon peut suffire à élever autant de poulets qu’en élèv- eraient 3 ou 4 poules, et en conduit bien 40 à 50. D’ailleurs il reçoit tous ceux dont on veut bien le charger, et il lui est indifférent quel âge ils aient, surtout quand par des leçons on lui a donné une éducation convenable. Lorsqu’on n’a pas de chapon conducteur, il faut préparer aux poulets un nouveau logement où ils puissent jouir d’un air chaud et salubre. Ce loge- ment ou poussinière est une cage ou mieux une boîte proportionnée au nombre des poulets qu’on veut y faire vivre, ainsi qu’à leur âge. Cette boîte est à peu près trois fois aussi longue que large, et est munie d’un couvercle à charnière. Une des longues faces de la boîte est grillée du haut en bas, dans toute sa longueur, en fil de fer ou en barreaux de bois, comme les cages d’oiseaux. La poussinière qui n’est destinée qu’à loger 50 poulets nouvellement nés, sera assez spacieuse, si elle a 3 pieds de long, 1 pied de large et autant de hauteur. Pour réchauffer les poulets et leur tenir lieu des ailes de la poule, la poussinière est garnie d’une mère artificielle. Cette mère est une sorte de pupi- tre ( fig. 97) dont le bout le plus bas est encore assez élevé au-dessus du plan sur lequel la mère est posée, recevoir quarante ou cinquante jeunes poulets à la fois. Ceux de la poussinière ne sont pas longtemps à connaître à quoi la mère peut leur être utile ; ils savent se rendre dessous toutes les fois qu’ils son- gent à prendre du repos et à se mettre chaudement. Les poulets seraient encore plus chaudement sous la mère artificielle si une de ses extrémités était fermée ; elles peuvent l’être l’une et l’autre par un rideau de flanelle qui oppose peu de résistance à ceux qui veulent entrer et sortir; mais, dit réaumur, il faut bien se garder d’en fermer l’une des deux avec un corps arrêté fixement, attendu que les poulets ayant l’habitude de s’entasser les uns sur les autres, les plus forts montent sur les plus faibles, et les écrasent si ceux-ci ne trouvent pas à s’échapper par l’ouverture la plus basse de la mère. On voit au reste que l’inclinaison du châssis favorise le classement des poulets, les plus petits s’avançant plus avant que les plus gros. Malgré la fourrure et l’entassement des poulets, il est rare, surtout dans la saison froide, qu’il règne en tout temps dans la capacité de la mère une chaleur suffisante. Pour pouvoir y entretenir une température qui doit être environ de 15 à 18 degrés, réaumur conseille dans ce cas de placer en dessous un boîte contenant une chaufferette, remplie de braise couverte de cendre. Il vaut mieux introduire dans cette boîte un vase de grès, de fer ou d’étain, rempli d’eau bouillante, qu’on renouvelle 3 fois par jour dans les temps les plus froids. En été et dans une partie du printemps et de l’automne, l’eau chaude renouvelée le soir suffira pendant toute la journée. Un thermomètre placé dans la mère sert à déterminer la température qui règne dans son intérieur. Dans le système d’incubation de Bonnemain, on chauffe la poussinière en introduisant dans son intérieur, au-dessus des châssis qui portent la peau de mouton, les tubes qui ont circulé dans l’étuve, et au moment où ils vont se rendre de nouveau dans lecalorifère,(fig.98);cequisuffitpouryentretenir une chaleur douce et constante. La mère doit être placée à une des extrémités de la poussinière, mais elle n’en sera pas assez proche pour la toucher, et on aura soin de laisser entre elle et le bout un dégagement capable de contenir quelques poulets. La poussinière sera garnie de juchoirs placés à diverses hauteurs, de petites tremies pour contenir les grains et la nourriture des poulets, et d’un vase rempli d’eau, mais à ouverture étroite, afin que ces jeunes animaux ne puissent se mouiller les pieds ou quelques parties de leur plumage. Dans les essais d’incubation artificielle faits en Angleterre, on lui a donné un double fond mobile comme aux cages d’oiseaux, pour favoriser le nétoiement quotidien, et chaque jour on répandait sur ce fond une couche de terre sableuse, pulvérulente et séchée au four. Fig. 97. pour qu’un pelit pou- let puisse passer dessous sans trop fléchir les jam- bes. Toute sa surface intérieure est lapissée de peau de mouton ou d’agneau, bien fournie de laine douce. La petite

Fig. 98.
charpente de cette mère est un châssis fait en toit ; ce châssis laisse à la peau fourrée qui est tendue à sa surface inférieure, une flexibilité qu’elle n’aurait pas si ce toit était fait d’un ais, et il est posé de chaque côté sur une planche mise de champ, plus haute à sa partie antérieure, ou plutôt il est porté sur 4 pieds, dont les postérieurs sont très courts. Une hauteur de 2 pouces leur suffit si la mère est destinée à des pou- lets nouvellement nés. Les 2 pieds antérieurs ont alors assez de 4 pouces ; on leur en donne davan- tage et on augmente proportionnellement celle des pieds postérieurs, à mesure que les poulets devien- nent plus grands, ou si la mère est destinée à des poulets plus âgés.

Cette mère peut occuper toute la largeur de la poussinière. Sa longueur est arbitraire ; il suffit d’en avoir une de quinze pouces, si elle n’est destinée qu’à

CHAP.4e CONSIDÉRATIONS ECONOMIQUES SUR L’INCUBATION ARTIFICIELLE 89 Pendant la nuit, et dans tous les jours où le temps est rude, les poussinières doivent être mises à cou- vert dans une chambre bien close qu’on chauffera même en hiver, ou, ce qui est plus simple, elle sera rapprochée des fours ou des foyers où l’on entre- tient une chaleur constante. Mais lorsque les jours ne cii.’.p. 5» CONSIDÉRA.TiO :NSECONO.MlQU sont ni froids ni pluvieux, on ne doit pas hésiter à mettre les poussinières au grand air, en faisant choix des endroits à l’abri du vent et exposés aux rayons solaires. Nous n’avons parlé que des poussinières pour les petits poulets ; de beaucoup plus grandes, mais sur le même modèle, sont né- cessaires pour ceux d’un âge plus avancé. On pourrait construire des poussinières à compartiments qu’on enlèverait à mesure que les poulets deviendraient plus forts. Dans tous les cas, quand ces boites ont de grandes dimensions, il faut les monter sur des rou- lettes pour les faire facilement changer de place. Si on exploitait un peu en grand l’incubation artificielle, il serait à propos de faire con- struire, aussi économiquement que possible, une grande poussinière qui consislerait en un bâtiment rond ou octogone, ayant au cen- tre un poêle pour le chauffer, et un assez grand nombre de compartimens où les pou- lets seraient réunis par âge, chose importan- te si on ne veut pas exposer les plus jeunes élèves à être écrasés ou affamés par les plus gros. Des portes à coulisses pratiquées sur le devant permettraient aux poulets de venir s’ébattre pendant la chaleur du jour dans de petits jardins correspondans à chaiiue compartiment. Pour les oies et les canards. on établirait de petits bassins dans ces jar- dins, qu’on pourrait d’ailleurs orner et om- brager de plantes ligneuses qui n’ont rien à redouter de ces jeunes animaux. § VI. — Nourriture des poulets. Les poulets nés par des moyens artificiels ne se nourrissent pas autrement que ceux éclos sous la poule. On est assez dans l’usage de leur offrir pour première nourriture du jaune d’œuf durci et mis en miettes ; cette nourriture est clière. Souvent ou mi*le le jaune d’œuf avec du pain émietté ; mais ou jieut s’en tenir à ne leur donner que de la mie de pain seule. Ils sont en état, dès les premiers jours, de di- gérer des graines, et on peut mêler du millet a la mie de pain qu’on leur donne. Outre le millet, qu’ils aiment beaucoup, on peut leur donner de la navette, du chenevis, du fro- ment, du seigle, de l’avoine, du sarrazin, du mais mondés ou concassés grossièrement , du caillé égoullé avec soin et coupé en pe- tits morceaux, des pommes-de-terre cuites à l’eau ou à la vapeur, réduites en farine gros- sière ; et qu’on laisse légèrement sécher à l’air, etc., etc. On |)eut encore leur faire des pâtées avec de l’orge crevée dans laquelle on fait entrer de la mie de pain et du lait ; leur distribuer des pâtées faites avec les restes du pot-au- feu ou la desserte de la table, des matières grasses, des os concassés ou broyés fme- ES SUR L’INCUBATION ARTII’ICIELLE. 89 ment, comme Chaptal l’a vu pratiquer avec succès à Montpellier, des viandes ou ma- tières animales communes, soit rôties ou bouillies, soit crues, hachées et niêléesavec du grain, des criblures, des vannures, etc. Les vers de terre, les asticots sont aussi fort du ijoût des poulets, et ou fera bien de leur en donner quand on pourra s’en pro- curer en grande quantité et à bas prix (/^o^. t. IIL p. 74). On peut aussi leur distribuer des plantes potagères crues et du mouron ; mais il faut leur donner cette nourriture avec discrétion, et ne pas en faire leur prin- cipal aliment. Les soins à donner aux autres oiseaux de basse-cour qu.’on ferait naître par des moyens artificiels sont à peu près les mêmes que ceux mis en usage pour les poulets. Il fau- drait seulement varier la nourriture suivant les espèces, et apporter quelques motlifica- tions au régime d’après les mœurs ou les ha- bitudes propres à chacune d’elles. VU.— Considérations économiques sur l’incuba- tion artificielle. L’incubation artificielle est avantageuse à pratiquer dans tous les lieux où il est né- cessaire de faire éclore de jeunes poulets dans les saisons où les poules ne couvent pas, ou bien dans lescirconstances locales où il s’agit de produire régulièrement un grand nombre de poulets au milieu d’un petit es- pace. Dans les grandes villes, près des cen- tres de grande consommation et des lieux où la volaille peut se débiter à un prix élevé et où les produits des couvaisons naturelles ne suffiraient pas aux besoins, on réalisera sans doute des profits en faisant éclore ainsi ces jeunes animaux. En outre, une consom- mation beaucoup plus étendue de la chair des oiseaux de basse-cour par le peuple des villes et des campagnes pourrait encore ren- dre cette industrie plus lucrative. Mais il faut se rappeler que partout elle doit tou- jours être exercée d’après les principes de la plus stricte économie, et qu’elle ne pour- rait être entreprise d’une manière profita- ble dans les endroits où le combustible et les salaires sont à des prix élevés, et surtout dans les lieux où on ne pourrait se procurer à très-bas prix tous les matériaux néces- saires à la nourriture et à l’engraissement de ces oiseaux. Au reste, l’art de faire éclore les poulets n’offre pas de difficulté ; ce qui est dilficile, c’est de les préserver des épidé- mies qui fra|)pent tous les rasserablemens d’animaux de même espèce, et de pouvoir les élever à un prix inférieur à celui des pou- lets élevés dans les campagnes. L’expérience, le temps et les lieux peuvent seuls décider des avantages qu’on peut retirer de celte in- dustrie. F> M. CHAPITRE V. — LAVAGE DES LAINES. On donne le nom de laine à des poils d’une nature particulière qui recouvrent la peau des moutons. Ces poils, appelés brins, se rapprochent ordinairement les uns des autres, près T. III. — 12. de leur extrémité supérieure, pour former des groupes réguliers ou des touffes auxquels on a donné le nom de mèches. C’est l’ensemble des brins ou des mèches qui con- stitue la toison de l’animal. Tous les brins de la laine, telle qu’on la recue- ille par la tonte sur le dos des moutons, sont revê- tus d’un enduit gras naturel auquel on a donné le nom de suint. Cet enduit masquant la blancheur de la laine, ainsi que son eclat, et formant, dans les opérations de la teinture, un obstacle à l’applica- tion des mordants et des matières colorantes, il est nécessaire de l’en débarrasser pour approprier cette substance filamenteuse à nos besoins ; ce sont les manipulations que l’on fait subir à la laine pour la débarrasser de son suint, qu’on désigné sous le nom de lavage des laines. Les lavages que reçoit la laine ayant d’être cardée ou peignée, puis filée et tissée, sont de 2 sortes. Les 1ers lui sont donnés par les éleveurs ou propriétaires de troupeaux, ou par les laveurs de laine, et les 2e plus connus sous le nom de dégraissage, par les fabri- cants, avant de la mettre en œuvre. Cette dernière manipulation, n’étant pas du ressort de l’agricul- ture, ne doit pas nous occuper ici ; quant à l’au- tre, nous entrerons à son égard dans tous les détails nécessaires pour la faire bien comprendre aux cul- tivateurs. Depuis un petit nombre d’années il s’est formé, dans diverses localités de la France où le commerce des laines a quelque activité des établissements con- nus sous le nom de lavoirs de laines, qui achètent pour leur propre compte la laine aux éleveurs, l’assortis- sent, la trient, la lavent et la revendent aux fabri- cants. D’autres établissements, sous le nom de lavoirs àfaçon,sesontaussiélevésdanslebutderecevoiren dépôt la laine récoltée par les cultivateurs, de l’as- sortir, de la trier selon ses qualités et de la laver, puis de la vendre aux manufacturiers. au profit des entreposants, moyennant une légère indemnité. Ces derniers établissements ont rencontré dans leur marche des difficultés qui les ont empêchés de s’étendre, malgré les avantages qu’ils semblaient promettre. En France, ses laines communes et fines indigènes sont, la plupart du temps, lavées avec ou sans triage avant la vente ; il n’en est pas de même des laines des races perfectionnées qui sont toutes vendues en suint. Cependant, en livrant ses toisons en cet état, le propriétaire ignore la qualité de sa laine, la proportion des diverses sortes qu’elle con- tient, ainsi que son rendement au lavage. Il manque ainsi des connaissances nécessaires pour classer son troupeau, pour déterminer quels sont les animaux qui donnent des profits et ceux dont l’entretien offre de la perte. Il n’a plus de guide pour se diriger dans la voie des améliorations, ou pour suivre les changements que réclament les goûts ou les besoins du public. Quand la laine est triée et lavée, les propriétaires, au contraire, connaissent avec exactitude son ren- dement au lavage, soit, en 1re, 2e ou 3e qualités, ainsi que le mérite absolu de leurs récoltes. À l’aide des indications qu’ils obtiennent ainsi, ils peuvent classer les bêtes qui composent leurs troupeaux, n’admettre à reproduction que celles dont la finesse leur est bien connue, ou dont les toisons jouissent des qualités qu’on recherche dans le commerce. D’ailleurs, les laines superflues perdant en général jusqu’à 75 p. % au lavage, les frais de transport, qui en définitive retombent toujours à la charge du pro- ducteur, sont beaucoup moindres pour les laines lavées préalablement. Enfin, connaissant mieux sa laine, le nourrisseur sait ce qu’il vend, et ne peut plus être dupe du marchand, qu’une longue hab- itude et des achats journaliers rendent fort expert dans la connaissance de ces produits. En Allemagne les laines sont toujours soumises à un lavages à dos, et en Espagne à un triage con- sciencieux et à un bon lavage en toison, qui ont con- tribué à faire rechercher les produits de ces pays par les peuples étrangers. Le parti le plus sage, pour les propriétaires de troupeaux, serait donc d’avoir recours aux lavoirs à façon, quand ces élablissements lui offriront les sécurités désirables, ou bien de procéder eux- mêmes au lavage de la laine qu’ils récoltent dans leurs domaines. Le lavage des laines sur le dos des animaux n’of- fre pas de difficulté, et est souvent suffisant, sur- tout pour les laines communes, pour procurer à l’éleveur les avantages dont nous venons de par- ler ; mais quand on veut laver les laines en toison pour fixer d’une manière plus précise leur vérita- blevaleurcommerciale,dèslorsilfautlessoume- ttre aux opérations d’assortiment, de triage et de lavage, qui exigent qu’on joigne à beaucoup de pratique une longue expérience, puisque la con- naissance des laines ne s’acquiert qu’en se livrant avec sagacité et pendant longtemps à ce travail. Cependant, comme un éleveur, à moins qu’il ne soit propriétaire d’immenses troupeaux, comme en Espagne, n’aurait ainsi par an qu’une quantité trop petite de laine pour apprendre et faire avantageuse- ment le classement et le lavage lui-même, nous pen- sons qu’il serait peut-être plus utile pour tous les propriétaires de troupeaux d’une commune, d’un canton ou d’un arrondissement, de former à frais communs un lavoir banal, d’après les principes des fruitières suisses (Voy. t. III, p. 57), où l’on s’occupe- rait du classement, du triage et du lavage de leurs laines, pour leur propre compte, et où les march- ands et fabricants, comme dans un dépôt central, trouveraient réunies des laines de toute finesse et de qualités diverses. C’est afin de mettre les éleveurs

CHAP.5e QUALITÉS ET DÉFAUTS DE LA LAINE 91 et les propriétaires à même d’assortir, de trier et de laver à frais communs leurs laines, et de former de pareils lavoirs, ou seulement pour leur apprendre quels sont le but et les détails de ces opérations, que nous allons entrer dans les développements néces- saires pour éclaircir ce sujet. Pour exercer avantageusement cette branche intéressante de l’industrie agricole il faut appren- dre : 1° à connaître les qualités et les défauts de la laine ; 2° à l’assortir et à la trier ; 3° les divers procédés de lavage. seCTion ire. — Qualités et défauts de la laine. Nous ferons ici connaître les qualités qu’on doit surtout rechercher dans les laines fines ou de 1er choix, parce que ces sortes de laines devant les réunir presque toutes au plus haut degré, il sera facile, d’après ce que nous en dirons, de juger de la nature des laines plus communes ; ensuite, nous procéderons, d’après les mêmes principes, à l’énumération des défauts ; seulement nous rappel- lerons auparavant que les laines françaises peuvent être divisées en laines indigènes, laines de mérinos métis, laines de mérinos purs, et laines longues des moutons anglais, importés en France, ou de leurs métis. § ier. — Qualités de la laine. Nous pensons qu’il est superflu d’entrer dans des détails techniques sur la structure du brin de la laine, sur son mode de croissance et autres objets dont la connaissance est de peu d’utilité dans la pra- tique ; ce que nous croyons devoir rappeler ici, c’est que les laines indigènes, métis ou mérinos pures, ont des caractères propres et spéciaux qui ne permet- tent pas à un œil exercé de les confondre. Ceci posé, voici les qualités qu’on doit surtout rechercher dans les laines de 1er choix, d’après les agronomes français et allemands les plus habiles dans cette matière : 1° La finesse. C’est la qualité principale de la laine, et celle qui lui donne généralement la plus haute valeur vénale. La finesse est le plus sou- vent un indice des autres qualités précieuses qu’on recherche dans ce produit ; elle se mesure par la grandeur du diamètre de chaque brin ; une laine est d’autant plus fine que ce diamètre est plus petit. Les laines fines de mérinos sont ordinairement ondées ou ondulées, c’est-à-dire forment sur leur longueur un certain nombre de courbures ou ondulations ; en général, plus ces ondulations sont petites, basses, étroites et multipliées, plus la laine a de finesse. 2° L’égalité du brin. On entend par ces mots que le brin est uniforme et d’un diamètre parfaite- ment égal à l’extrémité, au milieu ou à sa racine. C’est une qualité précieuse pour la fabrication des beaux tissus, qui ne se rencontre guère que chez les troupeaux perfectionnés et accompagne presque toujours la grande finesse. 3° Le parallélisme des brins. On désigne ainsi la structure identique, la netteté et l’uniformité dans la croissance et la longueur des brins. Ces brins, rapprochés par groupes de 10 à 15, uniformé- ment ondés, se suivant parallèlement dans toutes leurs ondulations depuis leur racine jusqu’à leur extrémité, doivent se réunir en groupes pour former près de celle-ci une mèche bien distincte et dans laquelle on n’aperçoit pas des poils ou brins courant ou se dirigeant au hasard. Une toison bien nourrie, c’est-à-dire celle ou les brins se pressent et se tassent ainsi parallèlement, offre un des caractères d’une laine très perfectionnée. 4° L’élasticité. Toutes les laines sont élastiques, mais non pas de la même manière. Une laine dont le brin est grossier, dur et raide, reprend presque instantanément son volume primitif quand on la presse en masse d’une manière quelconque ; une laine fine, au contraire, ne reprend le sien qu’avec une certaine lenteur. En tirant un brin de laine entre les doigts, jusqu’à le rompre, on remarque dans les laines fines que les bouts rompus se retirent sur eux- mêmes en reformant leurs ondulations primitives, tandis que les bouts d’une laine commune traitée de la même manière, restent à peu près droits et ne reprennent plus leur forme première. En masse, la laine fine comprimée peut être réduite proportion- nellement à un plus petit volume que la laine com- mune. L’élasticité est une qualité précieuse pour la fabrication, et qu’il faut apprendre soigneusement à apprécier. 5° La longueur. C’est un caractère qu’on peut prendre en considération. Généralement la finesse et les autres qualités précieuses de la laine ne se sont guère rencontrées jusqu’ici que dans des laines qui ne sont ni courtes ni longues, c’est-à-dire dont le brin étendu a de 2 et demi à 4 pouces de longueur. Les fabricants d’étoffes foulées préfèrent les laines fines et courtes ; l’éleveur, au contraire, devrait s’ef- forcer d’obtenir des laines fines et longues. Le brin moelleux et transparent d’une laine fine s’allonge ordinairement, par suite de ses ondulations, des deux tiers environ de la longueur de la mèche. 6° Le moelleux est une qualité qui donne aux étof- fes un toucher soyeux, plus recherché quelquefois que la finesse. Une laine est d’autant plus douce et moelleuse que le brin en est plus fin, plus rond, plus égal, et les ondulations plus petites. C’est par le toucher qu’on juge de cette qualité. On appelle revêche une laine qui manque de moelleux et de douceur. 7° La souplesse. Une laine élastique et moelleuse cède au plus léger effort de pression, et une laine souple, tirée suivant le sens de sa longueur, s’al- longe jusqu’à un certain degré avant de se rompre. Il arrive parfois que les laines d’une moindre finesse sont plus souples que des laines très fines.Cette pro- priété repose sans doute sur la structure organique du brin. 8° La légèreté est une qualité qui, dans la laine des animaux bien portants, doit, selon les règles, accompagner la finesse, la douceur, le moelleux et la blancheur du suint. Elle est très recherchée des fab-

92 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. ricants, puisqu’avec un même poids de laine saine on fabrique une plus grande surface d’étoffe, et que le produit est plus léger et mieux corsé. L’éleveur doit toutefois veiller à ce que les toisons de ses ani- maux ne deviennent pas trop légères, et s’efforcer de suppléer à la légèreté spécifique du brin par la densité et le tassé de la toison. Il ne faut pas confon- dre cette qualité avec la légèreté des laines mortes ou d’animaux malades. 9° Le lustre, l’éclat ou le brillant. Presque toutes les laines possèdent cette propriété, mais elle se ren- contre à un degré éminent dans la laine des méri- nos. Ce sont les laines de ce genre les plus fines, les plus moelleuses, celles où les brins courent bien parallèlement, qui la possèdent au plus haut degré et chez lesquelles elle se conserve en grande par- tie après toutes les manipulations en fabrique. Une laine matte désigne un animal malade. 10°Lenerfoulaforce.C’estlarésistanceplusou moins forte que le brin oppose à la rupture quand on y suspend un poids, ou bien lorsqu’on le prend entre le pouce et l’index de chaque main et qu’on écarte celles-ci assez vivement l’une de l’autre. Il est vrai que, plus une laine est grosse, plus elle oppose de résistance ; mais la laine fine proportionnel- lement à son diamètre en oppose davantage, et à grosseur égale, un fil de laine fine filée est plus fort qu’un fil de laine commune. À finesse égale, on doit donner la préférence à la laine qui a le plus de nerf. 11°Lafacultédefeutrer.C’estunepropriétéqui dépend de la structure des brins de la laine. Les laines qui possèdent au plus haut degré cette qualité donnent aussi à la filature les fils les plus beaux, les plus égaux, à grosseur égale les plus fins et les plus solides, et après la foule les draps les mieux corsés. Cette qualité ne se rencontre guère dans toute sa perfection que dans les toisons où les mèches sont courtes et tassées ; elle s’allie très bien à une grande douceur et à beaucoup de moelleux. 12° La pureté ou la netteté. On doit donner la préférence aux toisons pures et propres, et où le sable, la poussière, les impuretés de toute nature n’ont pas absorbé le suint et enlevé à la laine sa douceur et sa souplesse. On entend aussi quelque- fois par ces mots, que dans une toison les mèches sont composées de brins bien égaux, entre eux et non pas de poils les uns fins et les autres de nature grossière, comme on le voit parfois chez les métis des premières générations. 13° La mollesse. C’est une propriété distincte de la souplesse, de la douceur et du moelleux, et qu’on apprécie au moyen du toucher. On la recherche dans les laines feutrantes pour les draps les plus fins, et c’est une qualité nécessaire dans les laines de pei- gne pour la fabrication des cachemires, des méri- nos, bombasins, etc. § ii. — Défauts de la laine. 1°Lainefeutrée.Onnommeainsilestoisonsoù les brins, au lieu de croître parallèlement, s’en- chevêtrent et s’enlacent les uns dans les autres, de manière à former une sorte de feutre qu’on ne peut ouvrir sans rompre la laine. C’est un grave défaut qui rend cette substance impropre à la fabrication des étoffes. Les mérinos purs présentent rarement cette imperfection; on la trouve parfois chez les métis et fréquemment chez les moutons communs. 2° Laine fourchue. C’est le résultat d’une maladie chez l’animal, ou du passage subit d’une nourrit- ure pauvre, prolongée pendant longtemps à une nourriture abondante, salubre et de bonne qualité, ou réciproquement. La laine, arrêtée dans sa crois- sance, meurt à son extrémité, mais elle reste unie près de sa racine avec la nouvelle laine qui pousse et forme ainsi un brin double dont les deux filaments se séparent au moindre effort. 3° Laine morte. C’est le résultat de la vieillesse chez les moutons, ou d’une maladie de l’animal, pendant laquelle la laine cesse de croître et meurt. Dans ce derniercas,lorsquelasantéserétablit,l’ancienne laine est chassée par la nouvelle et se détache avec facilité. Ni l’une ni l’autre de ces deux laines n’ont de prix pour le fabricant ; l’une a perdu ses qualités et prend mal la teinture, l’autre est ordinairement trop courte lors de la tonte, et se perd au lavage, etc. 4° Laine inégale. Cette laine est à son extrémité plus grosse, moins ondulée et moins élastique que dans le reste du brin, et souvent est morte dans cette partie de sa longeur. Un mauvais régime chez les moutons en est souvent la cause. On la rencontre aussisouventchezlesmétisdes4premièresgénéra- tions. 5° Laine vrillée. La laine vrillée, tordue ou cor- donnée, est celle dans laquelle les brins, tournant sur eux-mêmes, s’enlacent les uns dans les autres pour former de petits cordons ou écheveaux, dont la réunion forme des sortes de mèches spirales, ter- minées par on nœud ou boulon ; ce défaut rend cette laine peu propre à la carde. C’est aux épaules qu’il faut surtout la chercher dans une toison. 6° Poils raides ou Percanino des Espagnols. Ces poils, qu’on rencontre quelquefois même dans les plus belles toisons, sont courts, pointus, luisants, lisses, d’un blanc brillant et plus gros près de leur racine. Ils ne jouissent d’aucune des propriétés de la laine et s’en séparent en grande partie au lavage, au battage, etc. Ils n’ont d’autre désavantage que de diminuer la quantité de la bonne laine sur le dos de l’animal, et d’augmenter inutilement le poids des toisons. 7° Les jarres ou poils de chien. Les jarres sont des poils longs qui s’élèvent au-dessus de la toison et qu’on remarque surtout aux aines, aux cuisses, à la queue et aux plis du cou ; ils sont dépourvus de dou- ceur et ne prennent qu’imparfaitement la teinture, c’est un des plus grands défauts des toisons quand on les rencontre en grande quantité, et une laine jarreuse ne peut servir qu’à des ouvrages grossiers. 8° Laine bourrue. On donne ce nom à des brins qu’on rencontre surtout chez les métis des 1ers degrés, et qui, par suite de leur plus fort diamètre et de leurs ondulationsirrégulières,manquentdemoelleux.Ils s’élèvent en quantité plus ou moins grande au-des- sus des mèches et nuisent beaucoup, en fabrique, à

CHAP.5e CLASSEMENT ET TRIAGE DES LAINES 93 l’égalité, à la douceur et à l’uniformité des produits manufacturés. 9° Laine plate. Cette laine, en fabrique, se prête mal au filage et nuit à la bonté, au feutrage et à la solidité des étoffes ; elle manque d’ailleurs en partie de douceur, d’éclat et de moelleux ; il suffit pour la reconnaître, quand le toucher est exercé, de rouler quelques brins entre les doigts. 10° Laine maigre. C’est la suite de la mauvaise nourriture des moutons. Cette laine, au premier coup d’œil, paraît être fine, mais elle manque des qualités recherchées dans les fabriques ; elle est faible, sèche, tendre, matte, terne, et a perdu sa douceur et son élasticité. 11° Laine brouillée. On donne ce nom aux toisons dans lesquelles les brins se croisent et s’entrelacent, et, par suite de l’inégalité de leurs ondulations, ne croissent pas dans une direction parallèle. Cette laine a peu de valeur, parce qu’elle est difficile à travailler, qu’elle ne peut donner des produits de 1re qualité et prend mal les couleurs claires. 12° Laine sèche et cassante. La sécheresse et la facil- ité à se rompre dénotent généralement une laine grossière et d’une forme irrégulière ; elle ne fournit que des étoffes raides sans élasticité et dépourvues de moelleux. 13°Lainefaibleettendre.Onlarecueillesurdes animaux malades, faibles, jeunes ou morts, ou bien c’est une laine de bonne nature qui, après la tonte, a été abandonnée dans un lieu humide et a perdu ses qualités ; elle n’a presque aucune valeur. 14° Laine colorée. Ce n’est pas, à proprement parler, un défaut, mais un accident qui enlève aux laines fines une partie de leur valeur, surtout pour celles destinées aux étoffes les plus belles et teintes en couleurs délicates et claires. On a remarqué que la laine de couleur était généralement plus grosse, plus dure et moins souple que celle qui est blanche. seCTion ii. — Classement et triage des laines. Deux opérations sont nécessaires pour assortir et classer les laines suivant les qualités ou les propriétés qui les font rechercher dans les arts et les manu- factures. La 1re est le classement des moutons, ou bien le classement de leurs toisons, après qu’on les en a dépouillés, opération qu’on nomme quelque- foisdéchiffrageoudétrichagedestoisons.La2emeest le triage ou séparation des diverses portions de ces mêmes toisons, suivant les qualités commerciales de chacune de ces parties. Avant d’entrer dans des détails sur le classement et le triage des laines, nous allons donner un aperçu sommaire des noms sous lesquels on distingue les différentes espèces sur le marché de Paris. On partage d’abord les laines en plusieurs espèces, savoir : laines de toison, ou laines enlevées au moyen de la tonte sur des moutons vivants ; laines de moutons gras, ou celles qui ont été enlevées en toutes saisons sur les moutons, avant de les livrer à la boucherie ; laines de peaux, ou dépouille de la peau des moutons qui ont été abattus, et qui diffèrent des suivantes en ce qu’elles sont recueillies en suint ; laines d’abat, pelures, pelades, ou laines enlevées sur les peaux des moutons livrés au boucher, au moyen de la chaux : elles n’ont plus ce moelleux et ce nerf que conservent les laines vivantes ; laines mortes, morines, celles abattues sur la peau d’animaux morts d’acci- dent ou attaqués de maladies. Les laines sont en suint, surges ou en gras, quand elles n’ont pas été passées au lavage ; lavées à dos ou sur pied, quand elles ont subi cette opération sur le dos des moutons ; et lavées, blanches, ou en blanc, quand les toisons ou les laines triées ont été soumises au lavage. Les pelures assorties par qualités par les laveurs, et épurées par le lavage, sont connues sous le nom d’écouailles. En général les laines, quelle que soit leur orig- ine ou leur nature, sont assorties par qualités. Ces qualités portent, soit des noms, soit des numéros, dont l’ordre est déterminé suivant la finesse du brin ; ainsi, parmi les laines indigènes on distingue la prime, c’est-à-dire la laine la plus belle et la plus fine, qu’on récolte sur la toison de nos moutons indigènes ; viennent ensuite les 1er, 2e, 3e, 4e qual- ités qui décroissent ainsi successivement jusqu’aux laines les plus communes. Dans les laines fines on fait encore un plus grand nombre de qualités. Ainsi, ondésignesouslenomd’extra-primeoud’extra-fine la laine superfine des races améliorées de mou- tons français ou étrangers ; telles sont les laines du troupeau de Naz (Ain), ou des troupeaux qui en sont issus ; celles des moutons de la Saxe, de la Bohème, de la Silésie ou de la Moravie importés en France, ou croisés avec nos métis ou nos mérinos de pur sang. Après cette laine vient la prime, qui est encore une laine de choix, récoltée sur quelques parties du corps des mérinos fins, ou sur nos métis, puis une série de qualités désignées sous le nom de 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, etc., qu’on abat sur des mérinos moins fins, sur des métis dont la toison n’a pas encore atteint un haut degré d’amélioration, etc. § ier. — Classement des moutons ou des toisons. Pour être à même de classer des moutons ou leurs toisons, il faut d’abord connaître les princi- pales espèces de laines que produit le sol français. Nous n’avons pas la prétention de classer toutes leslainesfrançaises,travailimmenseettrèsdif- ficile, mais nous pensons que comme 1re division elles peuvent être rangées sous les quatre catégories suivantes. 1° Les laines indigènes. Ces laines comptent un très grand nombre de variétés que nous chercherons toutefois à réduire aux trois suivantes. Les laines grossières provenant de moutons indigènes abâtardis, malheureusement très répan- dus encore sur notre sol. Les toisons de ces animaux sont généralement composées d’une laine grossière, inégale, sans ondulations, raide, jarreuse, la plupart du temps brouillée, et qui n’est guère propre qu’à la grosse draperie, aux tapis et moquettes, à la grosse couverture, aux lisières des draps fins et communs,

94 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. à la grosse bonneterie et passementerie, enfin aux matelas bons et ordinaires. Les laines communes, moyennes et bonnes sont aussi très nombreuses en France, et connues sous le nom de beauceronnes, picardes, sologne, médoc, béar- naises, bayonnaises, etc. ; elles servent à la fabrica- tion des draps pour l’habillement des troupes, des londrins pour les échelles du Levant, l’Asie et les Amériques, ainsi que pour les couvertures ordi- naires et mi-fines, les molletons, les grosses flanelles, les serges, les cadis, les tricots, la bonneterie et la passementerie, etc. Ces laines sont généralement, ainsi que les précédentes, lavées sans triage et con- servées en toisons. Leslainesmi-fines,finesetsuperfluesourefinsindigènes, récoltées les 1ers dans les départements de l’Hérault, de l’Aveyron, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, etc., et les autres dans le Gard, les Bouches-du- Rhône, le Var, le Vaucluse, et dans les anciennes provinces du Poitou, du Berry, de la Champagne et la Sologne, etc. Ces laines, suivant leur degré de finesse, peuvent souvent être classées avec celles des métis de mérinos et brebis communes des 1re, 2e 3e ou 4e générations, elles servent à la fabrica- tion desdraps mi-fins et autres tissus, et ne sont pas généralement livrées au commerce en suint, mais lavées. 2°Leslainesdesmétisoulainesindigènesperfectionnées, qui diffèrent beaucoup entre elles suivant le degré de perfectionnement où le métis est arrivé, c’est-à- dire depuis le 1er croisement ou une amélioration sensible se manifeste déjà, jusqu’au 30e, où les ani- maux si l’on a observé avec rigueur les principes rai- sonnés de la propagation avec des béliers superfins sont parvenus à la fixité du type et à la constance du sang, et donnent des produits au moins aussi beaux que ceux des mérinos superfins. Nos métis, avec les races espagnoles, fournissent déjà aux 2e et 3e croisements des laines comparables aux plus belles ségoviennes, sorianes et estramadures ; aux 3e ou 4e, des laines aussi belles que les léonaises, et aux 4e, 5e et 6e, des produits presque aussi perfectionnés que les mérinos purs. 3° Les laines de mérinos de pur sang, qui sont celles qui réunissent les qualités les plus précieuses pour la fabrication des draps superfins et des étoffes les plus belles. Ces laines, ainsi que les précédentes, sont maintenant répandues avec assez d’abondance sur le sol de la France, mais toutefois avec les dif- férences qu’apportent la race, la variété, la famille et le régime. 4° Les laines longues et lisses des moutons anglais des races de Leicester, Dishley, Lincoln, Teeswater, Romney-Marsli, importées récemment en France, ou celles de leurs métis, entre autres ceux obtenus depuis peu à Alfort par M. yvarT avec des brebis artésiennes et mérinos, et qui servent surtout à la fabrication des étoffes rases. Les quatre catégories précédentes ser- ont généralement suffisantes, pour classer des troupeaux, à l’éleveur ou propriétaire qui possède diverses races de moutons et qui vend sa laine en suint ; mais quelque soit le degré d’amélioration d’un troupeau, il y a toujours des différences sensi- bles entre les toisons des animaux qui le composent, et si on veut séparer ces divers degrés de finesse, il faut procéder à une classification plus précise et plus détaillée. Dans les trois classes de laines indigènes on pourra aisément former des lots de tous les animaux qui se rapprochent le plus par la finesse de leurs toi- sons. Dans la catégorie des métis on peut subdiv- iser encore ces animaux suivant le point de perfec- tion où ils sont arrivés, ou bien suivant la quantité de laine prime qu’ils peuvent donner. Ainsi à la 4e génération un métis adulte issu de béliers superfins donneenmoyenne,danslesétablissementsbien dirigés, 25 p. % de prime, 50 p. % de 1re qualité, et 25 de 2e et 3e. Après 16 à 20 générations, et tou- jours avec des béliers superfins, un métis donnera 20 p. % d’extra-prime, 50 de prime, 20 de 1re et 10 de 2e qualité. Quand on ne veut pas multiplier les divisions, on peut simplement classer ces moutons en métis fins, 2e, 3e, 4e croisements, et en métis surf- ins, 4e, 5e, 6e croisements. Quant aux mérinos proprement dits, on peut les classer : 1° en moutons de race super-fine, tels que ceux du troupeau de Naz, ou des troupeaux de Beaulieu (Marne), de Pouy (Yonne), de Pon- tru(Aisne),etc.,quiensontissus,oulesmoutons descendus des races de la Saxe, dites électorales, importées en France tels que le troupeau de Villotte (Côte d’Or), etc. ; 2° en mérinos purs ou moutons des plus beaux troupeaux de la France, mais qui n’ont pas encore atteint le degré de perfection des précédents, tels que ceux de M. de poLignaC dans le Calvados, le troupeau de Rambouillet, etc. ; 3° en mérinos ordinaires issus directement de races espagnoles et fournissant des laines semblables à celles de ce pays. Parmi ceux-ci on pourrait dis- tinguer les animaux qui descendent des races léo- naises, ségoviennes ou sorianes. qui sont les 3 types qui fournissent les laines les plus fines et qu’on a le plus fréquemment importées en France pour la propagation. La première surtout, qui est la plus perfectionnée, présente encore plusieurs variétés parmi lesquelles celles appelées Infantado, Guada- loupe, Paular, Negretti, Escurial, etc., sont les plus nobles et les plus belles, mais firent des différences appréciables dans les caractères physiologiques, ainsi que dans la nature des toisons. Dans les bergeries les mieux tenues de la Saxe et de la Bohème, après que les animaux ont été classés suivant une des catégories précédentes, ou leurs subdivisions, on les sépare encore en brebis, mou- lons, béliers et agneaux, qu’on lave et qu’on tond séparément. Non seulement la brebis l’emporte sur le mouton et celui-ci sur le bélier pour la finesse de la laine, mais on peut établir comme un fait con- stant que les plus vigoureux ou les plus jeunes le cèdent sous ce rapport aux plus faibles et aux plus âgés. Les manufacturiers. indépendamment de la finesse, classent ordinairement les toisons suivant

CHAP.5e CLASSEMENT ET TRIAGE DES LAINES 95 l’emploi que l’on fait de la laine dans les arts. Dans ce système on peut comprendre dans une 1re divi- sion toutes celles dont la laine est fine, courte (2 à 4 po.) et ondée, qu’on nomme aussi laine de carde, et qui, par la facilité avec laquelle elle se feutre est éminemment propre à la fabrication des étoffes drapées ; telles sont celles de la plupart des mérinos ou de leurs métis et d’un grand nombre de moutons indigènes. — Dans la 2e division on range les laines de peigne, laines lisses, laines longues et brillantes, qui sont celles qu’on destine à la fabrication des étoffes rases, telles que burats, étamines, bouracans, camelots, popelines, bombasins, étoffes pour gilets, flanelles, passementerie, etc. Ces laines sont généralement à mèches longues (5 à 22 po.), d’un aspect soyeux, brillantes, sans ondulations, susceptibles d’acquérir et de conserver par le peignage et la chaleur un parallélisme parfait entre les brins et ne se prêtant qu’avec difficulté au feutrage. Telles sont les laines fournies par nos moutons de la Picardie, de l’Ar- tois, de la Flandre, du pays de Caux, de la Cham- pagne, de la Bourgogne, du Soissonnais, et par les moutons anglais récemment introduits, ou celles des moutons d’Oostfrise. Dans ces laines la finesse du brin a moins d’importance que la longueur. — On peut former une 3e division pour les laines qui réunissent la longueur à un certain degré de finesse, et qui sont destinées à la fabrication de ces tissus moelleux et solides connus sous le nom de méri- nos. On distinguera encore dans cette division les laines propres à la fabrication des châles, au broché, etc., et à la bonneterie d’Estame, ou objets de bon- neterie qui sont le produit de laines longues et lisses préparées à la filature par le peignage. — Enfin on peut établir une 4e division pour des laines propres à là chapellerie et qui, comme celles de Brême ou bien celles récoltées sur les moutons provenus du croisement de nos races indigènes avec des béli- ers égyptiens ou abyssins, se feutrent avec autant d’énergie que les laines ondées, lesquelles donnent un feutre ras, tandis que celles-là ont l’avantage de laisser ressortir l’extrémité des brins pour former le poil du feutre. Ces laines seraient aussi très pro- pres à la passementerie, à la confection des lisières des beaux draps noirs de Sedan, et à remplacer ce qu’on appelle le poil de chèvre d’angora dont on fabrique des étoffes légères, etc. Après que les moutons auront été rangés suiv- ant les catégories ou divisions que nous ayons fait connaître précédemment, on procédera à la tonte ; mais on peut très bien attendre après cette opéra- tion pour classer les toisons. Quoi qu’il en soit, si l’éleveur n’entreprend pas lui-même le lavage de ses laines en toison, il les exposera pendant quelques jours à l’air sur une prairie bien propre et par un beau temps, ou dans des endroits suffisamment aères, pour les faire sécher ; ensuite il les mettra en paquets, puis en balles pour les expédier ou les livrer aux marchands, bénéficieurs, laveurs de laines, ou fabricants. Pour mettre la laine en paquets on étend la toison sur une table, la face qui tenait au corps de l’animal en dessous, et on replie tous les bords sur le milieu de l’autre face. On fait du tout un paquet qu’on arrête en alongeant quelques parties de laine que l’on noue ensemble, ou qu’on lie avec des ficelles, de la paille ou de l’écorce de tilleul. Les toisons dis- posées de cette manière sont livrées, ou emballées, ou bien mises en tas jusqu’au temps de les vendre. Dans les lavoirs à façon, chez les marchands de laine qui s’occupent principalement de rassor- timent et du lavage des laines fines, où l’on reçoit des laines de troupeaux divers qui diffèrent par leurs caractères et leurs propriétés, et où l’on fait enfin un très grand nombre le qualités diverses pour répondre à tous les besoins des arts et à toutes les demandes du commerce, on doit procéder à l’as- sortiment et au triage avec plus de soin que les pro- priétaires. Les qualités les plus importantes pour les laines de premier choix, celles qui doivent servir de base à l’assortiment, sont la finesse, l’égalité du brin, le moelleux, l’élasticité, le nerf et la qualité feutrante. Généralement la finesse est la qualité qu’on recherche le plus dans la laine ; mais l’égalité du brin a une telle importance pour les étoffes feutrées, qu’à égalité de finesse, et même à finesse un peu inférieure, ou donne la préférence à la laine dont le brin est égal dans toute sa longueur. Après ces qual- ités, c’est pour les uns le moelleux et pour d’autres le nerf ou la qualité feutrante qui donnent le plus de valeur à la laine, suivant l’emploi auquel on la destine. Pour se guider dans l’assortiment des toisons, outre les caractères de la bonne et la mauvaise laine que nous avons fait connaître, on peut avoir recours à quelques autres signes extérieurs, parmi lesquels nous citerons les suivants. La structure de la toison. Cette structure est ordi- nairement caractéristique dans les bêtes fines, et avec l’examen du brin elle fournit les notions les plus exactes sur les qualités de la laine. Suivant les éleveurs allemands, une belle toison est celle qui présente une grande homogénéité, et qui est uni- forme depuis le chignon jusqu’au bout de la queue, celle où les brins sont fins, moelleux, finement ondulés, uniformément et régulièrement dévelop- pés, courant bien parallèlement entre eux, puis se réunissant vers leur extrémité au nombre de 2000 à 3000 pour former une mèche distincte, courte, ronde, obtuse au sommet et égale sur toute l’éten- due de la toison. Les ondulations du brin. La laine est d’autant plus finement ondulée qu’elle est elle-même plus fine, et le nombre de ces ondulations peut même ser- vir à déterminer le degré de sa finesse. Nous trou- vons dans les auteurs allemands la table suivante des ondulations contenues dans une longueur d’un pouce pour des laines de la Saxe de diverses qual- ités : Super-électa . . . . . .30 - 36 - 40 ondulations. Électa 1er choix — 2e choix Prime 1er choix 28 à 34 — 25 à 27 — 22 à 24 —

96 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. — 2e choix Seconde. . . . . . Troisième. . . . . Quatrième. . . . 19 à 21 16 à 18 12 à 15 10 à 12 — — — une toison les diverses qualités qu’elle peut renfer- mer. Un triage rigoureux donne cependant de la valeur aux laines ; le défaut de triage ou un triage négligé est au contraire une cause de discrédit. Pour procéder régulièrement au triage, on com- mence par jeter sur le plancher d’une pièce pro- pre et bien éclairée toutes les toisons assorties d’une même division ; on les délie, si elles sont en paquets, puis on les déroule et les étend sur une table. Toutes les loquettes ou mèches et portions détachées sont mises à part. Si les toisons sont trop serrées ou tassées, on les ouvre avec un instrument deferappeléfourchette,àpointescourtes,écartéeset recourbées, en évitant toutefois de briser la laine. Cela fait, on épluche ou nettoie la toison, c’est-à- dire qu’on enlève toutes les portions où la laine a subi quelque altération grave, ainsi que les crottins ou bien les corps étrangers d’un certain volume qui s’y rencontrent quelquefois. Tous ces rebuts, qui contiennent de la laine, sont recueillis pour être lavés à part ou avec les dessous de claies ou ordures qui passent à travers les claies au battage. Après cela on sépare encore de la toison toutes les por- tions colorées, puis celles souillées par l’urine ou les excréments et qui sont connues sous le nom de jaunes. Enfin, ce travail terminé, on déchire la toison pour séparer les diverses qualités qu’elle présente, et qui sont jetées, chacune à part, dans des boîtes, des cases ou bien des compartiments formés par des claies, en ayant le plus grand soin de ne pas mêler les qualités. Voici maintenant les principes qui peuvent servir de guide dans le triage des toisons de toute nature. Dans les toisons très communes on ne distingue guère que trois qualités, la mère-laine, sur le cou et le dos ; la seconde laine sur les côtés du corps et sur les cuisses, et la tierce, sur la gorge, le ventre, la queue et les jambes. Ce triage ne suffit pas, dès qu’il s’agit de mou- tons à laine fine, et depuis longtemps les Espagnols en avaient adopté un autre d’autant plus commode que leurs troupeaux étant fort nombreux et tous les animaux qui composent chacun d’eux étant à peu de chose près uniformes sous le rapport des toisons, la laine enlevée sur telle ou telle partie se trouve par cela seul classée commercialement. Les Espagnols appellent : 1° Rajinos ou 1re classe, la laine qui se trouve sur le dos, l’épaule, les flancs et les côtés du cou ; 2° Finos ou 2e classe, la laine du chignon et de l’arête supérieure du cou, celle qui se trouve au bas des hanches et de la partie du genou de devant au commencement de l’épaule, et celle du ventre et de la gorge ; 3° Terceros ou 3e classe, la laine du jarret de der- rière à la hanche, du genou de devant jusqu’au pied et de la partie inférieure de la gorge ; 4“ Cayda ou 4e sorte, la laine des extrémités ou les portions prises des fesses aux extrémités de derrière, entre les cuisses, etc. À l’imitation des Espagnols, les Saxons ont classé les diverses qualités de leurs belles toisons en quatre — Il y a toutefois des laines d’une grande finesse qui restent lisses et ne forment pas d’ondulations. Le tassé de la toison. Les mérinos allemands ont la laine moins tassée que les mérinos français ; cepend- ant le tassé est un caractère qui indique générale- ment que l’animal est d’une race fine et qu’il était dans une bonne condition au moment où il a été dépouillé. Une toison peu fournie et peu tassée indiquequ’unelaineestcommune,ouquel’animal sur lequel on l’a enlevée était malade ou succombait sous les coups de la vieillesse. La couleur de la laine. La laine grasse varie dans sa couleur suivant celle du suint, qui est tantôt blanc, tantôt jaune paille, tantôt jaune foncé et même brun et rouge ; néanmoins les éleveurs allemands don- nent la préférence aux laines fines dont le suint est de couleur claire et de nature huileuse, parce que non seulement elle se blanchit mieux, mais, suivant eux encore, parce qu’elle prend mieux les couleurs, surtout les plus claires, et qu’elle a plus d’éclat. Bien entendu qu’il ne s’agit ici que des laines fraîchement tondues, puisque, après un certain temps, le suint prend par l’exposition à l’air une couleur jaunâtre ou brune, plus ou moins foncée. Quant aux laines lavées, la blancheur et l’éclat sont avec la finesse les propriétés les plus recherchées. Dans le classement on ne doit assortir que des toisons où se trouve de la laine d’une égale finesse, et la laine fine ne peut guère être associée qu’avec la laine fine. On réussira d’autant mieux dans le classement qu’on assortira des laines d’animaux d’une même variét é, d’une même race, d’une même famille ou d’un même troupeau. On conçoit que l’on ne devrait pas classer ensemble des laines courtes et longues, des laines ondées et des laines lisses, des laines moelleuses et souples avec celles qui sont sèches et cassantes, une laine plate avec une laine ronde ; qu’il faut, autant que possible, que les laines qu’on assortit se rapprochent sous le rapport de la nuance, de la couleur, etc., etc. Cependant on fait parfois, pour les besoins des arts, des mélanges où l’on cherche, en réunissant des toisons de qual- ités diverses, à obtenir une laine de qualité moy- enne, plus propre et mieux adaptée à la fabrication des tissus qu’on désire obtenir. § ii. — Triage des laines. Excepté dans les races de mérinos très perfec- tionnées, telles que les races de la Saxe, dites élec- torales, celle de Naz, etc., où la majeure partie de la toison est d’une finesse presque égale, même celles des pattes, une toison, la plupart du temps, renferme diverses qualités de laines qu’il s’agit de séparer. C’est le travail nécessaire pour cette sépa- ration auquel on a donné le nom de triage. Cette opération est assez délicate et exige infiniment d’ap- titude et d’exercice pour juger et mettre à part dans

CHAP.5e CLASSEMENT ET TRIAGE DES LAINES 97 classes principales, savoir : 1° L’électa, qu’on trouve sur le dos, les flancs, les hanches, l’épaule de devant et les côtés du cou ; 2° La prime, qu’on recueillesur les cuisses de devant, le ventre, l’arête supérieure du cou, la lête et la gorge ; 3° La seconde, celle qu’on rencontre aux cuisses de derrière et aux jambes de devant, du geuou à l’épaule, à la partie inférieure de la gorge, le chi- gnon et la queue ; 4° La troisième, celle qu’on trouve sur les jambes de derrière, entre les cuisses, au scrotum et aux par- ties de la génération. Les établissements de lavage en Allemagne for- mentunbienplusgrandnombredequalités,etla plupart du temps subdivisent les précédentes en 1er et 2e choix ; ainsi dans le 1er, ils ont de la laine super-électa et électa ; dans le 2e de la prime de 1er et 2e choix, et ainsi de suite. On a reproché depuis quelque temps en France aux laveurs et négociants en laine, le nombre de qualités diverses qui ont été introduites dans le com- merce et qui tendent à apporter de la confusion ou à favoriser la fraude, et on a pensé qu’à l’imitation des Espagnols, trois qualités, indépendamment des rebuts ou caydas, seraient suffisantes pour tous les besoins des arts. Nous laissons aux gens de l’art à décider cette question, et nous préférons donner quelques détails sur la répartition des diverses qual- ités sur le corps des moutons perfectionnés. Thaers, dans ses Annales de Mœgliu, nous a fait connaître les résultats d’observations très pré- cises qu’il a faites sur des races de mérinos pour dis- tinguer les diverses qualités de laine que présente la toison des moutons de cette race. « La partie du corps, dit-il, où la laine croît le plus régulièrement, està2oncesdel’échinea( fig.99)endescendant, ou à 2 pouces de l’omoplate, dans la direction du garrot à l’ombilic. Dans la plupart des individus et dans les races pures sans exception, la laine est dans Fig. 99. cet endroit à la fois la meilleure et la plus fine de toute la toison. À environ 3 pouces plus en arrière, on trouve sur le dos b la qualité moyenne de la laine. Sur la croupe c et dans les parties voisines, la finesse est un peu plus marquée, mais la laine est plus courte, moins tassée et moins nette. En général, elle paraît en ces endroits avoir moins de nerf et une teinte matte et blafarde. Vers la naissance de la queue d en descendant, la laine se montre un peu plus longue, elle est plus frisée et s’échappe en pointe. La finesse est encore moindre. À environ un pouce au-dessous de la naissance de la queue e commence une ligne qui forme la limite naturelle entre la laine de la toi- son supérieure et la laine toujours décroissante de lacuisse.Aujarretfsetrouveenmajeurepartiela laine la plus commune de toute la toison. À l’épaule g, de même que près du genou, la laine gagne en finesse et est très frisée. Celle du ventre h est rare- ment bonne, elle est trop mince et sujette à se tor- dre ; malgré sa finesse, qui égale celle des meilleures qualités, elle est de peu de valeur. La laine du garrot i se fait remarquer par sa disposition à se cordon- ner ; moins elle est tassée, plus elle est disposée à se tordre, et quand elle est dure, ses extrémités sont presque toujours défectueuses. Des deux côtés du cou k la laine est d’une belle venue, elle cède peu à celle des meilleures parties ; elle est en général plus longue que ces dernières. Dans les toisons un peu drues elle a un lustre qui lui est propre. La qualité de la laine des parties supérieures de l’arête du cou l va toujours en décroissant. Dans plusieurs indivi- dus, la laine de la nuque m décroît sensiblement en proportion de celle des autres parties du cou. Elle égale ordinairement celle de la partie supérieure de l’arête du cou ; toutefois, dans les toisons très ser- rées, elle se rapproche davantage de la laine des partieslatéralesdecelui-ci.»Cesdifférencesentre la qualité de la laine sur différentes parties du corps, ainsi que les limites où elles sont circonscrites, sont variables avec les races, les familles et même d’indi- vidu à individu, et il est des troupeaux, tels que ceux dits de race électorale et le troupeau de Naz, etc., où la laine est presque uniformément belle sur toutes les parties du corps. Nous avons fait connaître plus haut les divisions par qualités qui sont adoptées en France pour les laines indigènes et les laines fines, nous ajouterons seulement ici que les pelures en général sont part- agées en 4 classes : commune, haut fin, bas fin, et métis ou mérinos, suivant leur finesse, et que les laines fines de ce genre lavées, c’est-à-dire les écouailles, sont classées par qualités d’après la méthode employée pour les laines de toison. Il en est de même des jaunes, des crottins, des pailleux, etc., qui, triés et lavés, se divisent en 2 ou 3 qualités. § ii. — Des moyens pour mesurer la finesse des laines. D’après les détails dans lesquels nous venons d’entrer, on conçoit sans peine que le classement et le triage des laines se font généralement d’après

98 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. l’ensemble de leurs qualités ou suivant les besoins, mais que la plupart du temps c’est la finesse du brin qui sert à fixer le mérite respectif et la valeur des laines. Quelque exercé que soit l’œil ou la main du propriétaire ou du marchand de laine, il est diffi- cile de juger de la finesse de ces filaments, surtout aujourd’hui que les laines ont acquis une grande ténuité, sans faire usage d’un instrument qui gros- sisse le brin et serve en même temps à en mesurer le diamètre. Un assez grand nombre d’instruments de ce genre ont été inventés et désignés sous les noms de mensurateurs des laines, de micromètres et d’éri- omètres ; les plus connus sont ceux de Dollond, de Lerebours, de Voigtländer, de Schirmer, etc. Tous exigent beaucoup d’habitude pour être employés convenablement, et il est très difficile dans leur usage d’éviter de graves erreurs. Un autre instru- ment de ce genre, dû à M. kœhLer, et dans lequel on mesure par un procédé mécanique l’épaisseur de 100 brins à la fois, n’est pas susceptible de don- ner une grande exactitude. Enfin l’ériomètre de Skiadan, qui mesure la finesse de la laine en cent millièmes parties d’un pouce, paraît donner avec promptitude des appréciations exactes ; mais son mécanisme est compliqué, et il a en outre le défaut, ainsi que les autres instruments de ce genre men- tionnés précédemment, d’être d’un prix élevé et peu à la portée des cultivateurs. Nous avons pensé qu’avec un microscope composé, disposé d’une certaine façon, on parviendrait à mesurer la finesse des laines avec un degré d’exactitude bien suffisant pour tous les essais d’améliorations auxquels un propriétaire voudrait se livrer, ou pour juger de la valeur respective des diverses espèces de laines, et M. CharLes ChevaLier (1), jeune opticien très instruit, à qui nous avons demandé quelques renseignements à cet égard, nous a indiqué plusieurs moyens de se servir de cet instrument qui remplissent parfaitement le but proposé. Le premier nécessite l’emploi d’un microscope ement l’écartement du pas, et dont l’extrémité de la tige P est terminée en pointe très déliée. I tête de la vis ou cadran divisé en parties égales, par exemple en 100 parties. P pointe très déliée de la vis, placée au foyer de l’oculaire E, auquel on applique l’œil. L’objet L placé devant l’objectif C D, dans le cas actuel, est un brin de laine dont on ne voit que la coupe transversale ; G est l’image de cet objet grossi et tel qu’il est vu dans l’oculaire On voit que tout ici est disposé comme dans un microscope composé ordinaire, à l’exception de la vis H placée sur le côté du tube de l’oculaire et pénétrant dans son intérieur. Maintenant, rien n’est plus facile que de mesurer un brin de laine soumis au microscope ; en effet, si l’on met en contact la pointe P de la vis H avec le bord de l’image G produite par l’objectif C D dans l’intérieur de l’oculaire double E, F, puis qu’on tourne la vis de manière à ce que son extrémité pointue P traverse entièrement cette image en ten- ant compte du nombre de tours et de fractions de tours qu’on aura fait faire à la vis pour lui faire par- courir le diamètre de l’image, comme on connaît avec exactitude l’écartement du filet de cette vis ou la hauteur de son pas, il est évident qu’il sera très facile de déterminer la grosseur de l’objet ; car si le pas de la vis est de 1/4 de millimètre et sa tête divisée en 100 parties, il est clair qu’à chaque révo- lution entière on comptera 1/4 de millimètre, et à chaque division du cadran 1/400 de millimètre, ce qui donne un moyen très facile et très exact de con- naître le diamètre ou la finesse des laines. Ainsi une laine, pour laquelle il aura fallu tourner la vis de 8 divisions, aura pour épaisseur 8/100 de 1/4 de mil- limètre ou 2/100 de millimètre, c’est la finesse des mérinos ordinaires ; et une autre où il aura fallu la tourner de 1/5 de tour aura pour diamètre 20/400 ou 5/100 de millimètre, épaisseur d’une laine ordi- naire. Un autre procédé, encore plus commode, con- siste à placer seulement dans l’oculaire E, F, sur le diaphragme R, un verre divisé en parties égales. Ces divisions devront correspondre au grossissement du microscope, c’est-à-dire que si, par exemple, cet instrument grossit 100 fois en diamètre, chaque division, pour représenter 1/10 de millimètre placé devant l’objectif, devra avoir sur le verre placé dans l’oculaire un écartement d’un centimètre ; mais, comme ce large espace peut être facilement part- agé en dix parties, il en résultera des subdivisions représentant chacune des centièmes de millimètre. Maintenant, si à la place de la division en dixièmes de millimètre que nous supposons placée en L sous la lentille, on met un fil de laine, il sera facile de jugerdesondiamètreenlecomparantauxespaces tracés sur le verre du diaphragme de l’oculaire, de manière à avoir des mesures exactes à 1/50 et même à 1/100 de millimètre près. On conçoit qu’il serait possible, par ce moyen, d’avoir des mesures encore beaucoup plus petites en augmentant le grossissement de l’instrument, et en employant des divisions encore plus fines. Fig. 100. horizontal et d’une cham- bre claire : il est très exact ; mais, comme il est com- pliqué et qu’il demande du soin et quelques calculs, il ne nous a pas paru d’un usage assez simple pour être décrit ici. Quant à un autre moyen qui peut être mis en usage même avec les microscopes les plus com- muns, nous allons en don- ner la description. A B C D(fig.100)estlecorpsou tube d’un microscope com- posé, garni de ses verres ; C D la lentille ou l’objectif, et E, F les verres composant l’oculaire double du micro- scope. H est une vis très fine dont on connaît exact-

(1) Ingénieur opticien au Palais-Royal, no 163. 

CHAP.5e DU SUINT DES LAINES 99 seCTion iii. — Lavage des laines. Nous avons dit que le but du lavage des laines étaitdelesdébarrasserd’uneespècedegraissequi les enduit, à laquelle on a donné le nom de suint, et qui les empêche de recevoir les couleurs qu’on veut leur appliquer. Il importe, avant de décrire les procédés de lavage, de connaître la nature et les propriétés de cette graisse, afin de mieux apprécier les procédés employés pour en débarrasser la laine. § ier. — Du suint. Le suint est une substance grasse, onctueuse et odorante, dont la source ne paraît pas encore avoir été déterminée d’une manière précise par les physiologistes. Cette substance a été analysée par vauqueLin qui l’a trouvée composée : 1° d’un savon à base de potasse qui en constitue la plus grande partie ; 2° d’une petite quantité de carbonate de potasse ; 3° d’une quantité notable d’acétate de potasse ; 4° de chaux dans un état de combinaison inconnu ; 5° d’une trace de chlorure de potassium (muriate de potasse) ; 6° enfin, d’une matière odorante d’origine animale. Toutes ces matières, selon ce chimiste, sont essentielles à la nature du suint, et ne s’y trouvent pas par accident, puisqu’il les a constamment ren- contrées dans un grand nombre de laines d’Es- pagne et de France ; mais il y a aussi trouvé d’autres matières insolubles, telles que du sous-carbonate de chaux, du sable, de l’argile, des ordures de toute espèce qui y sont évidemment accidentelles. Le suint étant, comme on vient de le voir, un véritable savon à base de potasse, il semble qu’il n’y a rien de mieux à faire pour dessuinter les laines que de les laver dans l’eau courante ; mais, ajoute vauqueLin, il y a dans les laines une matière grasse qui n’est pas en combinaison avec l’alcali, et qui, restant attachée à la laine, lui conserve quelque chose de poisseux, malgré les lavages à l’eau les mieux soignés. Cette matière grasse, qui peut en grande par- tie être enlevée par des lotions savonneuses ou alcalines, n’a pas été examinée par ce chimiste ; mais M. ChevreuL, dans un travail subséquent, est parvenu, en soumettant, dans un digesteur dis- tillatoire, de la laine d’agneau mérinos dessuintée à l’eau pure, à l’action de l’alcool et de l’éther, à en débarrasser complètement cette laine. Il a ainsi séparé 17 p. % en poids de la laine dessuintée d’une matière grasse qui, elle-même, a été réduite en 2 autres substances grasses dont l’une ressemble, à la température ordinaire, à la cire par sa consistance, et l’autre est filante comme de la térébenthine. D’après ces travaux, le but du lavage à froid paraît donc être de débarrasser la laine de son suint et de l’excès de la matière grasse qui la rend pois- seuse et moins propre aux usages auxquels on la destine. Les agronomes allemands, qui ont fait une étude toute particulière de l’éducation des moutons et de la laine, ont depuis longtemps distingué le suint de la matière grasse qui nous occupe. « Le suint, dit M. B. péTri, se compose de 2 substances bien distinctes, le suint proprement dit (die schweiss), et la matièregrasse(diefette).Le1erestunesécrétiondela peau de l’animal dont on peut, dans la plupart des cas, débarrasser la laine par un lavage à froid ; la 2e, au contraire, est une excrétion du brin lui-même, et ne peut être enlevée que par l’eau chaude mêlée à du savon, à de l’urine putréfiée ou de l’eau de suint. Le 1er est une substance inorganique attachée à la laine, l’autre en est une partie organique. La mat- ière grasse se montre sous plusieurs couleurs, telles que le blanc, le jaune paille, le jaune foncé, parfois le brun et le rouge. Toutes ces nuances disparaîs- sent en grande partie par le lavage, et la laine paraît uniformément blanche après cette opéraition. On la rencontre encore sous plusieurs états ; tantôt elle est molle, gluante, poisseuse ; tantôt elle ressem- ble à du beurre et à de l’huile, tantôt enfin elle a un aspect qui la rapproche de l’un ou de l’autre de ces 2 états. À l’état poisseux, elle a le désavan- tage de ne pas pouvoir être enlevée par le lavage à l’eau froide, qu’elle rend très difficile en retenant avec force les impuretés. Il est même rare qu’avec une graisse poisseuse on trouve dans la laine une grande finesse, de la douceur, de la légèreté et du moelleux. Avec la consistance d’une huile, au con- traire, la matière grasse a l’avantage de ne pas rete- nir les impuretés au lavage, d’être en grande partie enlevée par l’eau froide, et d’annoncer et d’accom- pagner souvent dans la laine la finesse, la douceur, le moelleux et l’élasticité. » « La matière grasse, sur un même animal, est surtout abondante dans les endroits où croît la plus belle laine, tels que les côtés, le cou et le dos, tandis que dans les autres parties du corps, comme l’in- térieur des cuisses, les pieds, le jarret et la nuque, où l’on ne récolte qu’une laine de moindre valeur, elle est peu abondante. Cette graisse paraît être pro- pre à la race des mérinos, car la laine des moutons communs en est exempte. Sa quantité paraît aug- menter ou diminuer suivant l’état de santé de l’an- imal. La laine des métis ne l’acquiert que par suite du croisement des brebis indigènes avec les méri- nos. Quant à sa couleur, elle paraît être : suivant les apparences, le résultat du régime qu’on fait suivre à ces animaux, puisque en Espagne, chez les mou- tons transhumans ou voyageurs, de race léonaise, elle est généralement blanche, ce qui n’a pas lieu chez les moutons sédentaires ou estantes de la même famille. » — On remarque aussi que les moutons de la Crau et de la Camargue, qui voyagent tous les ans des plaines d’Arles aux montagnes du Dau- phiné, présentent également un suint blanc. § ii. — Opérations qui précèdent le lavage. Les laines ayant été triées avec soin, il ne reste qu’à les éplucher et à les battre avant de procéder au lavage. Pour éplucher les laines, on jette sur le plancher d’un atelier bien propre, une des qualités qui ont

100 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. été formées au triage, puis on en prend une certaine quantité ou poignée, qu’on pose sur une claie en bois élevée sur deux tréteaux ; on l’étend, on l’ouvre et éparpille au moyen de la fourchette de fer, puis on enlève à la main les mèches vrillées ou feutrées, les pailles, le crottin et toutes les grosses impuretés. Cela fait, on procède au battage, qui a pour but de faire sortir la poussière et de séparer toutes les petites ordures que la main n’a pas détachées. Ce battage s’opère sur la claie au moyen de 2 baguettes lisses de bois, dont on frappe alternativement la laine avec les 2 mains, en ayant soin, pour dégager les baguettes de la laine, non pas de les relever per- pendiculairement, ce qui enlèverait en même temps des flocons de celle-ci et les projetterait au loin, mais de retirer les bras en arrière pour dégager du tas de laine la baguette avant de la relever. On pourrait se servir pour ce battage des machines appelées loups dont on fait usage dans les fabriques de draperies ; la laine en serait mieux ouverte et plus pure. Quelque soit le mode de lavage qu’on adopte pour les laines, il faut, autant que possible, faire choix d’une eau pure, claire et courante. Une eau dormante qui est propre peut aussi très bien servir à cet usage. Les eaux qui cuisent bien les légumes, qui dis- solvent facilement le savon, doivent obtenir la préférence. On doit éviter l’emploi des eaux dures, crues, calcaires, séléniteuses, non seulement parce que les sels calcaires qu’elles contiennent décompo- sent le suint, qui est un savon animal, mais parce que les nouveaux sels insolubles qui résultent de cette décomposition se précipitent et se fixent sur la laine, l’incrustent, altèrent son éclat, la rendent, quoique fine et douce, rude au toucher ou cassante, et nuisent sensiblement à ses bonnes qualités. On remédie en partie à la dureté et à la crudité des eaux en les exposant pendant 8 ou 10 jours à l’avance au soleil et à l’air, en y jettant de l’urine humaine putréfiée ou bien des cendres de bois. Dans les eaux séléniteuses, c’est-à-dire qui con- tiennent du plâtre ou gypse en dissolution, une très petite quantité de carbonate de soude suffit pour faire disparaître leur dureté. De même, en ajoutant un peu d’ammoniaque à celles qui sont crayeuses, on parvient à les rendre douces. § iii. — Des divers modes de lavage des laines. Il y a deux modes distincts de lavages, celui qui se fait à l’eau froide et celui qu’on exécute à l’eau chaude. 1° Lavages à froid. Le lavage à froid peut se faire sur le dos des mou- tons, c’est ce qu’on nomme lavage à dos ou sur pied, ou bien avoir lieu après que leurs toisons ont été enlevées, classées, triées, épluchées et battues. Ce lavage, ainsi que nous l’avons dit en parlant du suint, est souvent suffisant pour les laines communes qu’il purifie complètement quand il est exécuté avec soin ; mais, pour les laines fines de mérinos, il n’en- lève la plupart du temps que le suint proprement dit, et laisse, au moins en très grande partie, la mat- ière grasse dont il faut ensuite se débarrasser en fabrique par l’opération que nous avons nommée dégraissage. A. Lavage à dos. Nous ne discuterons pas ici les avantages ou les inconvénients du lavage à dos, dont nous traitons autre part dans cet ouvrage, nous voulons faire con- naître seulement les méthodes qui devraient être employées quand on adopte ce mode de lavage. Pour opérer le lavage à dos, on fait entrer chaque mouton, dit dauBenTon, dans une eau courante jusqu’à ce qu’il en ait au moins à mi-corps ; le berger est aussi dans l’eau jusqu’aux genoux ; il passe la main sur la laine et la presse à différentes fois pour la bien nettoyer. Dans les cantons où l’on n’a pas Fig. 101. d’eau courante, ou quand on ne posséde qu’un petit nombre de bêtes, on peut les laver dans des baquets ou auges dans lesquelles ils plongent, ou en versant l’eau avec un pot sur la laine des moutons en même temps qu’on la presse avec la main. Dans tous les lieux où l’on a dans le voisinage soit une mare, un étang ou une rivière, on doit préférer d’y plonger presqu’en entier les animaux, en les y frottant et nettoyant avec soin. Quand on est à portée d’une chute ou d’un moulin à eau, on peut placer successivement les moutons sous la vanne de décharge ; la rapidité du courant suffit seule pour nettoyer leurs toisons. Pour exécuter en Écosse le lavage à dos ( fig. 101), on fait choix d’un ruisseau assez profond pour qu’un homme ait de l’eau environ jusqu’à moitié des cuisses. Trois laveurs au moins et cinq au plus sont placés à peu de distance les uns des autres dans l’eau, le 1er à la partie inférieure du courant ou aval, et le dernier à la partie supérieure ou amont. Ainsi disposés, on passe un mouton au 1er laveur qui de la main gauche le saisit par la cuisse gauche, le retourne aussitôt, la main droite le ten-

CHAP.5e LAVAGE À FROID DES LAINES 101 ant par la nuque. Alors ce laveur agite à plusieurs reprises l’animal dans l’eau, en le tournant, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et en lui imprimant en même temps et successivement un mouvement doux en avant et en arrière. Pendant ce mouvement composé, la laine battue par l’eau s’ouvre, se net- toie et se rabat, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Après un certain temps ce laveur passe l’animal au 2e laveur qui est au-dessus de lui et celui-ci, après avoir répété la même opération, le transmet au 3e, et ainsi de suite jusqu’au dernier qui, a près avoir examiné la peau et l’état de propreté de la laine, s’il les juge suffisamment nets, plonge le mouton dans l’eau jusque par-dessus la tête, le retourne et l’aide à gagner le rivage. Afin de prévenir les graves indispositions qui résultent pour les laveurs de l’immersion prolongée des jambes dans l’eau froide, ainsi que la négligence qu’on apporte souvent dans l’opération du lavage, M. young a proposé de former, au moyen d’un petit barrage, soit dans une eau courante, soit dans un étang, un bassin dans lequel les moutons pour- raient, par des plans inclinés ou surfaces en pente, descendre par une extrémité et remonter par l’au- tre ; au milieu, la profondeur serait assez grande pour qu’ils fussent obligés de nager. Le fond de ce bassin serait pavé, et 6 à 7 pieds seraient une lar- geur suffisante. À l’endroit où les moutons com- menceraient à perdre pied, on placerait plusieurs tonneaux ouverts à peu près comme les tonneaux de blanchisseuses, dans lesquels les laveurs, placés à sec, pourraient saisir, au passage, les moutons de la main gauche, puis de la droite, ouvrir et presser la toison mèche par mèche sans la brouiller, et enlever ainsi et exprimer la plus grande partie des impuretés et des ordures qui abandonneraient la laine avec le suint. Les lavages dont nous avons parlé ci-dessus ont besoind’êtrerépétésplusieursfoissil’onveutquela laine soit bien nette et de bon débit. Ils enlèvent à la laine environ 20 à 30 p. % de son poids, et la plupart du temps ils sont suffisants pour les mou- tons communs ; mais les mérinos ont des toisons si tassées, qu’il est nécessaire de procéder pour eux au lavage d’une manière différente. À cet égard le mode employé en Saxe et en Silésie nous semble le plus convenable. endroit peu profond dans un fleuve ou un ruisseau dont le fond est garni de sable ou de cailloux, et où le courant a une certaine force. La profondeur doit être assez considérable pour que l’animal ne puisse toucher le fond et se blesser. Un barrage en planches soutenues par des pieux ou toute autre dis- position est nécessaire pour qu’il n’arrive pas d’ac- cident aux moutons. Tout étant disposé et le temps favorable, la veille du soir où doit avoir lieu le lav- age, on fait plonger 2 ou 3 fois, selon le besoin, tous les mérinos dans l’eau jusqu’à ce que leur toison soit bien imbibée, opération qu’en nomme trempage, puis on les reconduit à la bergerie aussi rapidement que possible, afin d’un côté qu’ils n’aient pas le temps de sécher, et de l’autre pour que la laine et l’hu- midité qu’elle contient reprennent promptement la température du corps, circonstance qu’on favorise en fermant dans l’étable toutes les issues qui pour- raient donner lieu à des courants d’air et au refroi- dissement des moutons. Le jour suivant, on transporte également avec rapidité le troupeau au bord du ruisseau pour procéder au lavage en l’exposant le moins longtemps possible à l’air, pour que les toisons ne sèchent pas, car, dans ce dernier cas, les impuretés qui sont retenues par la matière grasse de la laine ne se détachent plus au lavage à froid, et ont même beaucoup de peine à être enlevées par le dégrais- sage en fabrique. La température, l’état de l’atmosphère, la race des animaux, servent à déterminer le nombre de fois qu’il faut faire passer les moutons dans le bain, à quelques moments d’intervalle, pour les nettoyer complètement. Les mérinos superfins sont plus diffi- ciles à laver que les métis ou les moutons communs. Trois à quatre fois suffisent souvent pour certains troupeaux, tandis que d’autres ont besoin d’être soumis six à neuf fois à cette opération. Dans tous lescas,onparviendrapluspromptementaubutsi plusieurs laveurs se passent de main en main les moutons dans le bain, ouvrent, nettoient et lavent convenablement la toison, aident les animaux à sor- tir du bain, et les empêchent de fléchir sous le poids de l’eau qui surcharge leur toison, de tomber et de se salir. On a cherché à améliorer cette méthode, et on y est parvenu de la manière suivante : Pour opérer le lavage saxon, on fait choix d’un Dans un bassin ou lavoir de forme oblongue, Fig. 102.

102 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. placé près d’un cours d’eau, construit en planches ouenmaçonnerie(fig.102),oùl’onpeutfacilement admettre et vider l’eau, et de plus qui est d’une gran- deur proportionnée au nombre des moutons qu’on veut laver, on pratique à chacune des extrémités une vanne disposée de telle manière que le bassin ne contienne que 2 à 3 pi. d’eau. Aux deux bouts, la profondeur doit aller en diminuant insensiblement pour que les moutons puissent descendre et remon- ter facilement. Suivant M. peTri, dans un bassin de ce genre de 12 pi. de large, 60 de long, avec un nombre suffisant de travailleurs et une abondance convenable d’eau, on peut laver par jour de 900 à 1000 moutons. Le trempage a lieu comme précédemment en faisant traverser le bassin à la nage par les mou- tons, sans laisser écouler d’eau, mais en renouvelant seulement celle qu’ils enlèvent avec leur toison. Pendant ce passage une partie du suint se dissout et forme, avec l’eau du bain tiédie par le soleil, une sorte de dissolution savonneuse qui contribue au nettoyage de la laine dans les immersions sui- vantes. Cette première opération sert, comme on voit, à humecter et à pénétrer la laine, ainsi que les malpropretés qu’elle contient. Dès que le dernier mouton sort du bain, on reprend le premier qui avait passé, puis dans le même ordre tous ceux qui l’ont suivi, et on leur fait traverser le bassin une 2e fois. L’eau du bain a dans ce moment acquis toute sa propriété dissolvante et détache la plus grande partie des impuretés des toi- sons. À cette 2e opération succède une 3e immersion après laquelle, malgré les malpropretés qui flot- tent dans le bain, la laine est assez blanche et nette. Quand elle est terminée, les moutons sont recon- duits promptement à la bergerie, où on les main- tient chaudement sur une litière de paille fraîche et épaisse. Après le bain on ouvre la vanne d’aval ou de chasse, on vide le bassin qu’on remplit ensuite d’eau nouvelle et pure, qui se renouvelle sans cesse par la vanne d’amont qu’on laisse entr’ouverte à cet effet. Le lendemain matin dès l’aube du jour on procède au lavage. Des laveurs disposés sur 2 rangs et avec de l’eau jusqu’à la ceinture, se passent les moutons de main en main en sens inverse du cou- rant, chacun pressant la laine et en exprimant le liquide trouble qu’elle contient, et ainsi de suite jusqu’au dernier placé près de la vanne où l’eau affluante est la plus propre et la plus pure. Si les localités permettent de déverser l’eau dans le bassin par un certain nombre de filets tombant de quelque hauteur, on place au-dessous de ces petites chutes les moutons au moment de les faire sortir du bassin, pour achever de donner à leur toison une blancheur et une pureté parfaites, sans qu’il soit besoin, comme dans le procédé précédemment décrit, de faire pas- ser les animaux un grand nombre de fois dans le bain de lavage. Le trempage paraît être aux auteurs allemands une opération si nécessaire pour un bon lavage, qu’ils conseillent, faute de bassins ou lavoirs, de l’exécuter dans des fosses creusées en terre, garnies deplanchesetrempliesd’eau,dansdescuves,des auges, ou tout autre grand vase quelconque ; quant au lavage définitif, il faut, autant que possible, le donner à l’eau courante ou au moins dans une eau dormante très propre. Le lavage saxon enlève une plus ou moins grande quantité de suint et de matière grasse, selon qu’il est plus ou moins bien fait. Les laines superfines de la Saxe, traitées ainsi, ont un rendement de 38 p. %, parce que les toisons sont ordinairement très pro- pres et légères. Elles subissent encore un déchet de 30 p. % lors du triage et dégraissage à chaud. En France, où les laines fines se vendent la plu- part du temps en suint, on fait peu d’usage du lav- age à dos ; en outre, la toison des mérinos français étant plus tassée que celle des mérinos saxons, la laine se lave plus difficilement, les moutons sont plus longtemps à sécher, ce qui est préjudiciable à leur santé. B. Lavage à froid des laines en toison. Pour procéder à ce lavage à froid, on jette la laine dans des cuves d’eau à la température de l’atmos- phère, et on l’y laisse tremper environ 24 heures. Elle pourrait, si elle était très malpropre et impure, y rester 3 ou 4 jours sans que le brin éprouve d’al- tération. Lorsque l’eau a bien pénétré partout, on procède au lavage, qui se fait avec rapidité, en enle- vant la laine, la déposant dans des paniers ou cor- beilles, qu’on plonge à plusieurs reprises dans une eau courante, en ayant l’attention de soulever de temps à autre la laine avec un bâton lisse, mais sans la tourner. Quand elle est ainsi suffisamment lavée, on la dépose sur des claies ou des tables faites en lattes minces, croisées et polies où elle s’égoutte. De là elle est transportée sur un gazon bien propre, sur un plancher en bois ou des toiles placées au grand air où elle achève de se sécher ; on peut aussi se ser- vir pour cet objet de claies ou de filets élevés au-des- sus du sol, ce qui facilite encore l’évaporation de l’eau. Quand le local ne permet pas de laver la laine dans l’eau courante, on peut y procéder dans des cuvesde4à5pi.delongueur,2ou4delargeuret2 de profondeur. Si l’on peut disposer d’un filet d’eau qui renouvelle sans cesse le liquide de ces cuves, la laine en sortira plus pure et plus blanche. Dans une semblable cuve un homme peut laver un quintal de laine par jour. Dans le lavage à froid des laines, celles-ci perdent à peu près autant que dans les bons lavages à dos, c’est-à-dire qu’il faut encore les dépouiller de 15, 20 ou 25 p. % de leur poids pour les mettre en état de recevoir la teinture. 2° Lavages à chaud. Les lavages à froid ne sont guère pour les laines fines qu’une sorte de dépuration déjà fort utile pour faire apprécier les qualités de la laine, la débarrasser

CHAP.5e LAVAGE À CHAUD DES LAINES 103 de ses impuretés et de son suint, mais qui n’ont pas le même but que le lavage à chaud, destiné en général à les purger de toutes les impuretés qu’elles contiennent, et à dépouiller le brin de l’excès de matière grasse qui l’enduit. Le lavage à chaud peut aussi se faire de plusieurs manières ; nous citerons seulement celles usités dans les pays où la produc- tion des laines fines a le plus d’activité. A. Lavage à dos et à chaud. « Le lavage à dos et à froid, dit la Société d’ag- riculture de l’Irlande, ne paraît pas suffisant pour purifier les laines quand les brins et les mèches sont agglutinés par une grande quantité de fiente, ou quand le suint est fort abondant. Il vaut mieux, dans ce cas, avoir un grand cuvier, rempli d’eau à la température du sang humain (32°R.), dans lequel on plonge l’un après l’autre les moutons jusqu’à ce que la laine en soit bien ouverte. On les lave ensuite dans l’eau de rivière comme à l’ordinaire. Ce procédé ne serait pas d’une exécution difficile ni dispendieuse ; à chaleur du corps des moutons suffirait pour conserver la température du bain, et dans tous les cas quelques chaudronnées d’eau bouillante pourraient rendre à celui-ci la chaleur qu’il aurait perdue. » Le célèbre BakeweLL, dans son ouvrage sur la laine, est aussi d’avis que tous les mérinos et leurs métis devraient être lavés de cette manière. « Il est impossible de nettoyer convenablement, dit-il, la toison de ces animaux par une simple immersion dans l’eau des rivières, par suite du tassé de leur toi- son. Le travail, et les frais que nécessiterait ce lav- age dans des cuviers avec de l’eau chaude aiguisée d’un peu de lessive de potasse ou de soude, se trou- veraient complètement compensés par l’excellent engrais que fourniraient les eaux de lavage. » « En Suède, dit le baron sChuTz, on fait souvent usage de grands cuviers qu’on remplit d’une partie de lessive de cendres de bois tirée à clair, de 2 par- ties d’eau tiède et d’une petite quantité d’urine. Les moutons sont d’abord plongés dans ce bain ; quand ils en sortent, on les fait entrer dans un second, à la même température, mais où l’on n’a mêléa l’eau qu’une bien moindre quantité de lessive ; enfin ils sont retournés sur le dos et rincés dans un 3e cuvier contenant de l’eau claire et chaude, et le lavage se termine toujours, après que le mouton est sorti de ce dernier bain et est sur ses jambes, en versant sur lui une quantité suffisante d’eau pure, et en exprim- ant en même temps avec les mains toutes les parties de sa toison. » B. Lavages des laines à chaud. Il y a plusieurs modes de lavages des laines à chaud : nous nous contenterons d’indiquer les suiv- ants, en rappelant qu’il y a généralement 3 opéra- tions distinctes dans ce mode de lavage, savoir : l’échaudage, qui consiste à plonger la laine dans un bain quelconque ; le lavage, qui se fait dans une eau pure ou courante, et le séchage. 1° Lavage espagnol. L’Espagne, qui a régénéré nos troupeaux, nous avait aussi enseigné une manière particulière de laver les laines et de les amener au degré d’épura- tion qu’elles doivent avoir avant de subir les opéra- tions ultérieures en fabrique. Le plus considérable et le mieux organisé des établissements formés en Espagne pour nettoyer les laines, était celui d’Alfaro, à peu de distance de Ségovie, dont M. poyFéré de Cère, qui l’avait vis- ité avant sa destruction, nous a laissé une descrip- tion exacte. Ce lavoir se composait d’un bassin elliptique ali- menté d’eau par des réservoirs et suivi d’un canal revêtu de madriers. Les berges du bassin et du canal étaient revêtues en maçonnerie. On descend- ait dans le lavoir par 3 marches, et à l’extrémité du canal se trouvait une bonde pour vider à volonté les eaux, un bourrelet de 16 pouces de hauteur pour retenir les eaux dans le canal, et une cage en bois couverte d’un filet a mailles très serrées pour arrêter les laines qui pouvaient être entraînées par le cou- rant par-dessus le bourrelet. Près du bassin était une chaudière montée sur un fourneau et destinée à fournir de l’eau chaude à des cuves où l’on met- tait les laines en immersion. Des grillages en lattes servaient à recevoir et à faire égoutter les laines à la sortie des cuves, et un massif en talus avait la même destination quand elles sortaient du lavage ; voici les opérations qu’on faisait dans ce lavoir, telles que les décrit M. poiFéré de Cère dans son mémoire. « L’eau étant donnée au lavoir et les laines ayant été triées, on remplit les cuves d’eau chaude jusqu’aux 2⁄3 de leur hauteur ; cette eau est tempérée par de l’eau froide versée à volonté. Un homme pour en faire l’essai y plonge une jambe et y fait ajouter de l’eau chaude ou de l’eau froide jusqu’à ce que le degré de chaleur soit tel qu’il puisse le supporter sans être brûlé ; il donne alors le signal de mettre la laine en immersion : la durée de cette immersion se règle sur l’intervalle qu’il faut pour vider la 2e et la 3e cuve avant de revenir à la 1re, et chaque fois on renouvelle entièrement l’eau du bain, ce qui est un des traits principaux du lav- age espagnol. Un ouvrier descend dans une cuve, retire une certaine quantité de laine, et en remplit des paniers d’osier déposés sur le bord du grillage à égoutter. Des enfants, se tenant à des cordelles, montent sur la laine contenue dans les paniers, et la pressent de leurs pieds pour en exprimer l’eau du suint dont elle est imbibée, la versent alors sur le grillage où 3 enfants la ramassent, la divisent et la déposent sur le bord du lavoir. Un ouvrier, c’est l’homme important pour le lavage, placé sur une des marches du lavoir, prend la laine poignée à poignée, la divise encore et la laisse tomber dans le bassin. Deux hommes placés dans ce bassin et appuyant leurs mains sur une traverse solidement fixée dans les parois intérieures, agitent alternative-

104 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. Fig. 103.

ment la jambe droite et gauche pour refouler l’eau et diviser les flocons de la laine. Il y a 11 à 12 pouces d’eau dans le lavoir. Quatre ouvriers placés dans le canal et s’appuyant de leurs mains sur les bords, répètent le mouvement des 2 hommes précédents. Quatre autres ouvriers aussi placés dans le canal ramassent la laine à mesure qu’elle est entraînée par le courant ; ils en forment des paquets ou peces sans la tordre ni la corder, en expriment l’eau et la jettentsurleplancherdesbordsdulavoir,oùun enfant la reprend et la jette sur l’égouttoir ou massif en pente. Deux autres enfants la relèvent et la font successivement passer à un ouvrier qui la ramasse pour la déposer en tas sur le sommet de l’égouttoir, où elle reste pendant 24 heures. Après cela on la porte sur une prairie voisine, qui a été ratissée et même balayée avec soin, et sur laquelle on l’étend en petites parties jusqu’à ce qu’elle soit bien sèche, ce qui exige ordinairement 3 à 4 jours. La laine qui échappe aux 4 derniers ouvriers est entraînée dans la cage en bois où 3 hommes la remuent avec les pieds à mesure qu’ils la rassemblent, et en forment de petits tas qu’ils expriment avec les mains et qu’ils jettent sur le plancher où 2 enfants la reçoivent dans de petits paniers, l’expriment et la portent sur le grand tas au sommet de l’égouttoir. »

Quand la laine ne rend plus d’eau, les ouvriers, avons-nous dit, la portent sur le pré, où ils la lais- sent en petits monceaux. Le lenmatin on la remue en prenant une portion de laine qu’on secoue à la main. On la laisse ainsi une ou 2 heures, ensuite on l’étend sur le pré, et on la retourne 3 fois dans le jour jusqu’à ce qu’elle soit sèche. Tandis que la laine est étendue ou qu’on la retourne, les apartado- res ou trieurs en retirent la laine défectueuse et celle dont la qualité ne répond pas à sa classe. On voit que, dans le mode de lavage espagnol, la laine est simplement soumise à l’action de l’eau chaude sans addition d’aucune matière alcaline ou savonneuse. On estime que la température du bain, qui est beaucoup trop élevée, est d’environ 60°R., et que la laine des mérinos du pays ainsi traitée, et qui est alors dite en surge, perd 50 p. % de son poids et conserve encore 15, 20 et 25 p. % de mat- ière grasse qu’il lui faut enlever par le lavage en fab- rique. 2° Lavage français. En adoptant en France le lavage espagnol, nous l’avons amélioré sous le rapport de la santé des ouvriers, perfectionné sous celui de la pureté et qualité des produits, et simplifié relativement aux manipulations et à la mise de fonds. En effet, il suffit aujourd’hui, pour entreprendre le lavage des laines fines, d’avoir un magasin pour les laines en suint, unhangard(fig.103)pavéoudallé,placéaubord d’une eau courante, légèrement en pente vers l’eau, et sous lequel est placée une chaudière montée sur son fourneau et munie d’un robinet, quelques cuvi- ers, et des paniers ou corbeilles. Des baguettes de bois lisses ou des petites fourches, des brouettes, des toiles à sécher et une chambre ou magasin à empiler, emballer et conserver la laine jusqu’à la vente, sont encore nécessaires. Pour opérer le lavage tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, on commence par remplir la chaudière d’eau pure. Cette eau est portée à la température de 30° à 40° R. ; lorsqu’elle y est par- venue on en fait écouler une partie dans une cuve placée au-dessous, et on y plonge de la laine qu’on laisse ainsi tremper pendant 18 à 20 heures sans la remuer. Une partie du suint de cette laine se dissout, et cette première eau qui est, à proprement parler, une dissolution de savon à base de potasse, devient le principal agent du dessuintage. Cette dissolution est versée dans des cuves, et on y ajoute autant d’eau chaude qu’il en faut (un quart environ) pour porter le bain à une certaine température que la main par l’exercice apprend facilement à mesurer. On estime que cette température ne doit pas dépasser 45°R. pour les laines primes, 40° pour la 1re qualité, 30° pour la 2e, 25° pour la 3e, etc., et que pour les laines communes elle doit à peine être tiède, parce que ces dernières contiennent moins de suint et sont- plus faciles à épurer. Le bain étant à la température fixée, on y plonge la laine à dessuinter par petites portions, et on l’y soulève continuellement à l’aide d’une petite fourche ou de baguettes lisses, afin d’en ouvrir les mèches et de les pénétrer de liquide. Si on la retournait, elle se cordonnerait. Au bout d’un demi-quart d’heure, ou un quart d’heure au plus, la laine est suffisamment déssuintée ; on l’enlève alors avec la petite fourche ou les baguettes, par flocons d’un sixième de livre chacun, pour la déposer dans

CHAP.5e DU SUINT DES LAINES 105 des mannes, paniers ou corbeilles d’osier qu’on tient suspendus un instant au-dessus des cuves, afin de perdre le moins possible d’eau saturée de suint ; là elle s’égoutte pendant quelques moments, puis elle est transportée dans les corbeilles au lavoir placé sur les bords d’une eau courante. Depuis quelque temps les laveurs font usage de mannes en cuivre perforées de trous, ce qui prévient la perte assez notable de laine qui s’échappait quelquefois par les ouvertures des paniers d’osier. Les avis paraissent partagés sur le moment où il faut plonger la laine dessuintée dans les eaux de lav- age. Les uns assurent que plus la laine est encore chaude quand on la lave à l’eau courante, plus elle s’épure. Des laveurs et filateurs m’ont assuré au contraire qu’ils laissaient constamment refroidir la laine avant de la laver, parce que, disent-ils, elle devient plus blanche, et que n’ayant pas été saisie par la différence de température, elle a plus de dou- ceur et se file plus aisément. Ce qu’il y a de certain, et ce qui paraît avoir été constaté par M. ChevreuL, c’est que les laines qui ne sont lavées qu’après avoir été refroidies complètement prennent mieux la teinture et ne blanchissent pas par le frottement et l’usure lorsqu’elles sont confectionnées en draps et en habits. Quoiqu’il en soit, les paniers remplis de laine sont passés aux laveurs placés soit sur le bord de l’eau, soit dans un bateau, soit dans un tonneau défoncé d’un bout et enterré dans le massif du quai ou au milieu même du courant ; ceux-ci prennent les paniers, les plongent dans l’eau jusque près des bords, les tiennent ainsi suspendus au moyen de cordes accrochées au bateau ou au tonneau, puis, à l’aide de la fourche ou des baguettes lisses, ils promènent vivement la laine, la soulèvent et l’ou- vrent le plus possible, mais sans jamais la retourner, la rouiller ou en déterminer le feutrage. Lorsque la laine est suffisamment épurée, ce que l’on juge par sa teinte uniforme dans tous les brins, par sa blancheur, par l’eau qui en découle lorsqu’on la soulève et qui ne doit pas être colorée, ou parce que cette laine surnage à la surface sous forme de nuage, on l’enlève par poignée au moyen des baguettes, et on la jette dans des paniers ou sur des claies où elle s’égoutte, ou bien on la dépose sur des brouettes qui servent à la transporter au lieu où doit se faire le séchage. Ce séchage s’opère ordinairement à l’air libre. Pour cela on étend la laine sur un gazon bien propre et bien fourni, ou bien sur un lit de cailloux de riv- ière de moyenne grosseur lavés avec soin, ou enfin sur des claies. Dans un grand nombre de lavoirs des environs de Paris, les laines fines sont séchées sur des toiles étendues sur le gazon ou sur des filets suspendus par les extrémités. Cette dernière méth- ode donne la faculté de rassembler et rentrer très promptement la laine s’il survient une pluie ou un orage. La plupart des agronomes conseillent d’éten- dre la laine mouillée à l’ombre, parce que, disent-ils, le soleil gâte et durcit le brin en le desséchant trop promptement ; cependant des laveurs des environs de Paris, qui font sécher les laines les plus belles au soleil, ne paraissent pas en avoir éprouvé d’incon- vénient, et sont peu disposés à renoncer à une méth- ode qui accélère le travail et le rend plus complet. Pendant que la laine est sur les cailloux ou sur le gazon, on la retourne souvent avec des fourches de bois et on la rentre le soir pliée dans de grandes toiles. Si une journée d’exposition sur le séchoir ne suffit pas, on l’étend de nouveau le lendemain ; ainsi de suite tous les jours jusqu’à parfaite dessiccation. Quand les laines ont été enlevées des cuves, on recommence une 2e opération, en ajoutant de l’eau de suint pour remplacer celle qui a été entraînée par la laine, et de l’eau chaude pour faire remonter au degré voulu la température du bain ; seulement quand l’eau devient trop bourbeuse, on la soutire et on la remplace par de nouvelle eau de suint. Pour sécher promptement la laine, surtout dans la saison avancée, et en même temps la rendre plus blanche en exprimant la plus grande quantité pos- sible d’eau de lavage qui entraîne toujours avec elle quelque saleté, on peut la tordre dans des toiles, la fouler dans les paniers, ou la mettre dans des caisses percées de trous, et la soumettre ainsi à l’action d’une petite presse. Les instruments de ce genre que nous avons fait connaître dans les figures 45, 46, 47, 50 et 52 du tome III, et dont la forme est très sim- ple, pourraient être employés à cet usage. Après que la laine est bien sèche, on peut encore l’éplucher à la main pour en retirer les pailles ou autres saletés qui n’ont pas été enlevées par le lav- age et qui altèrent encore sa pureté. Alors on la transporte dans le magasin, où elle est empilée dans de grandes cases en planches jusqu’à ce qu’elle soit emballée et expédiée. Par le lavage français, la laine fine de mérinos, dépouillée de son suint et d’une grande partie de sa matière grasse, perd 66 à 75 p. % de son poids, et conserve encore 4, 5, 6, 7 p. % et au-delà de matière grasse, suivant la nature de la laine et le soin apporté dans les manip- ulations, ou les habitudes du laveur. Un bon laveur n’est pas une chose commune, et un ouvrier qui est habile dans cet art doit livrer des laines propres et bien purgées, blanches, non cordées, nouées ou cassées, et d’une nuance uni- forme. Depuis bien longtemps on fait usage dans le midi de la France, et surtout dans le Languedoc, d’un excellent mode d’échaudage pour les laines, sans avoir recours à d’autre moyen de dessuintage que le suint lui-même, parce qu’on a reconnu que tous les autres agents durcissaient le brin et altéraient sa qualité. Pour cela on emploie une grande chaudière rem- plie d’eau qu’on fait chauffer de 40 ou 60° R. suiv- ant que la laine est plus ou moins difficile à net- toyer. Au-dessus de 60° la laine serait altérée. On se sert de 2 filets à mailles serrées comme ceux employés par les teinturiers en laine. Lorsque l’eau se trouve au degré de chaleur convenable à la laine qu’on veut dégraisser, on jette dans la chaudière un des filets chargé de 30 kilog. de laine en suint.

106 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. On commence ordinairement la 1re jetée avec les basses qualités, soit patins, ou cuisses, pour garnir le bain de suint. Le bain ainsi garni, on commence une 1re mise de laine fine, et on juge s’il est au degré nécessaire par le prompt dépouillement du suint. Lorsque la laine est dans la chaudière on la remue avec un bâton, et après 5 ou 6 minutes de séjour on relève le filet avec un tour placé sur la chaudière et semblable à celui des teinturiers. Pendant que cette 1re mise égoutte, on jette le 2e filet, dans lequel on met autant de laine que dans le 1er ; et durant l’in- tervalle que cette laine reste dans la chaudière, on porte la 1re mise aux laveurs. Dans le Midi, les paniers de lavage sont ronds, en fer ou en chêne ; d’autres sont en carré long entourés d’un filet à mailles serrées. Le fond de ceux-ci est en planches de chêne pour que la laine ne puisse s’échapper. Pour bien épurer une laine, 3 laveurs ayant cha- cun un panier devant eux se placent au milieu d’un courant d’eau. La distance entre eux est de 3 pieds, et ils sont, séparés l’un de l’autre par un plateau sur lequel ils se passent la laine successivement. Cha- cun tient une fourche bien polie à 3 cornes recour- bées, dont le manche à 4 pieds de long. Le 1er laveur prend une ou 2 livres de laine à la fois, la met dans son panier, la retourne et la remue avec sa four- che, faisant en sorte de ne pas la cordonner, et lor- squ’il l’a remuée un certain temps, il la remet au 2e qui la lave, la remue à son tour, puis la passe au 3e qui la lave encore jusqu’à ce qu’elle soit bien épurée et que l’eau en découle claire ; alors il la jette sur le gravier. Chaque laveur donne à peu près à la laine 3 à 4 tours à droite et autant à gauche. Dans le midi on lave aussi à la jambe dans la belle sai- son ; les laveurs sont dans les paniers et font faire avec la jambe 3 ou 4 tours à gauche, puis autant à droite, à la laine qu’ils se passent de l’un à l’autre. Le 3e laveur achève le lavage en mettant la laine lavée par lavée dans un grand panier ovale qui peut en contenir 60 environ et que 2 hommes portent à l’étendage. Le séchage ne diffère pas de la méthode espagnole que nous avons décrite ci-dessus. Quand la laine est sèche, on la met en piles, puis en balles. On voit que dans le lavage français c’est le bain d’eau de suint qui est l’agent le plus actif de cette épuration, et un laveur attentif doit veiller avec soin à la conservation de ce liquide, pour former le bain soit quand on manque de laines en suint, soit Fig. 104.

pour dégraisser celles manquées au 1er lavage, don- ner un supplément de suint aux agnelins, aux laines mal nourries ou lavées par la pluie, pour laver les pelures à la chaux, auxquelles il rend de la douceur et du moelleux, soit enfin pour achever le dégrais- sage chez le fabricant avant la mise en teinture, ou pour le foulage des draps et autres étoffes de laine. Au reste, l’opération de l’échaudage exige qu’on la fasse avec intelligence, et le laveur se rappellera que les laines offrent plus ou moins de résistance à l’action du bain, suivant qu’elles sont plus ou moins chargées de suint, que cette matière a plus ou moins de consistance, que la laine est restée un temps plus ou moins long en balles, et a fait un plus long voy- age ; il observera aussi que le bain de suint varie suivant son activité et sa force ; qu’il y a un degré de température variable pour chaque espèce de laine, etc.; tous détails dans lesquels nous ne pouvons entrer ici, mais que la pratique enseignera aisément.

3° Lavage Russe ou Davallon. En 1828, M. davaLLon a introduit en France un lavoir qu’il avait déjà établi à Odessa, et qui paraît offrir de notables avantages. Ce lavoir ( fig. 104) est composé : 1° de 2 rés- ervoirs supérieurs A, ayant 1 toise cube chacun, placés en tête d’un canal lavoir. L’un de ces réser- voirs contient de l’eau propre, et l’autre de l’eau de suint, dont il est alimenté par une pompe D qui la puise dans une citerne B au moyen d’un tuyau d’as- piration descendant à peu près jusqu’au milieu de sa profondeur. Tous deux versent les liquides qu’ils contiennent dans le canal par les robinets E. — 2° UncanallavoirF,R,longde36pieds,de41⁄2à5de profondeur, et d’une largeur de 22 pouces, construit en bois, solidement établi sur des charpentes, et for- tement arcbouté par des liens. Ce canal est divisé en 6 parties. La division F ou d’amont reçoit des réser- voirs A l’eau propre et celle de suint qui s’y mélan- gent. Une vanne qu’on peut élever ou abaisser à volonté sert à introduire dans le reste du canal ces eaux mélangées qui coulent par la partie supérieure de cette vanne. Ce canal est divisé en 4 cases G, H,

CHAP.5e DU SUINT DES LAINES 107 I, J formées par des enclayonnages en osier assez serrés pour que la laine ne passe pas facilement à travers. Ces cases ont la forme de trémies ; chacune d’elles est de la largeur du canal et de la longueur de 6 pieds. Après la case J ou en aval du canal, dans la division K, est placée une 2e vanne par-dessus laquelle se déverse le trop plein des eaux qui s’écou- lent dans une rigole qui fait le tour du lavoir et les conduit en C dans la citerne B. Les vannes sont placées pour que l’eau ne trouve pas d’issue dans le fond du canal, parce que son écoulement, au moins en forte quantité, par-dessous les vannes ou sur les côtés, relèverait les boues du fond, et troublerait la propreté du bain. — 3° Deux ou trois chaudières ième case I. L’ouvrier qui est posté à cette deuxième trémie, au fur et à mesure que la laine y est jetée, l’agite vivement à l’aide de son pilon, jusqu’à ce que la première trémie ait été entièrement vidée dans la sienne. Aussitôt que l’ouvrier de la trémie J a fait passer la laine qu’elle contenait dans celle I, il lui en est fourni de nouvelle sortant du bain, et qu’il tra- vaille comme ci-dessus. L’ouvrier de la trémie I, dès que toute la laine du no 1 lui est fournie, prend son bâton et la fait passer dans la trémie H ; l’ouvrier de la trémie H fait la même opération, et transporte la laine dans la trémie G. L’ouvrier placé près de celle-ci, armé d’une fourche, en retire la laine au fur et à mesure qu’elle lui est jetée par l’ouvrier no 3 ; il la place sur un plancher troué : l’eau qui s’en égoutte rentre dans le canal. Un ouvrier relève cette laine et la met dans une presse pour éliminer la plus grande partie de l’eau qu’elle retient, et qui s’écoule dans le canal. Cette presse se compose d’une caisse U percée d’une multitude de trous, et sur laquelle, quand on l’a rempli de laine, on place un pilon qu’on abaisse au moyen d’un levier, et dont on aug- mente l’effet par un treuil Y qui sert à en exprimer fortement tout le liquide. Dans ce nouveau mode de lavage on opère d’une manière continue ; un des ouvriers qui s’arrêterait un seul instant entraînerait la suspension de travail de tous les autres. Il faut 4 laveurs,unhommeaubaindelalaine,un6eouvrier à la presse, enfin un ouvrier pour les chaudières ; en tout7hommesquipeuventpréparer1500kil.de laine par journée de travail. Si on agit sur de la laine grossière, on en prépare une plus grande quantité, par la raison qu’on l’agite moins longtemps avec le pilon. L’eau circule dans toute la longueur du canal, et traverse ainsi les cases trouées, sans que l’action du pilon, qui dans chaque case la relève à plus d’un pied, la rende trouble dans le bassin ; au contraire, les matières dont la laine est chargée se précipitant au fond pour ne piusse relever. Les matières légères qui surnagent sont entraînées hors du lavoir. Les laines frappées perpendiculairement par le pilon ne sont ni nouées, ni cordées, cassées ou feutrées ; les filaments ou les mèches ont conservé leur position naturelle, et elles ressemblent à des laines lavées à dos. Il ne se perd aucune portion de laine. Le savon à base de potasse et les sels qui recouvrent la laine se dissolvent et forment l’eau de suint, tandis que la matière grasse insoluble se rassemble à la sur- face et est expulsée hors du lavoir. L’eau de suint, recueillie et enlevée par la pompe au milieu du rés- ervoir, ne porte dans le réservoir supérieur qu’une eau savonneuse, douce, claire et pure, et très pro- pre à nettoyer la laine. Le lavage peut s’opérer à divers degrés de dessuintage, soit en retirant la laine dans la 1re, la 2e ou la 3e case. On obtient une uni- formité de nuance de la laine. Cette opération est facile et tout individu peut y concourir. Il y a écon- omie de main-d’œuvre et de combustible. Ce lavoir peut être placé dans toute position. Il n’exige qu’un emplacement d’environ 50 pieds de longueur et 20 de largeur. Un mètre à 1 mètre et demi cube d’eau suffit pour laver 1500 kil. de laine. Enfin, les mat- Fig. 105. L placées sur les bords du canal et en aval à droite contenant au moins cha- cune six hectolitres. C’est dans ces chaudières, aux- quelles on adapte un dou- ble fond troué, que se fait le bain des laines. La

chaleur doit y être portée de 28° à 35°, soit par le chauffage direct, soit par la vapeur d’une autre chaudière M alimentée d’eau par un réservoir X. Il faut aussi savoir qu’il existe, de côté et d’autre du canal, ainsi qu’on le voit dans la coupe transversale (fig.105)ducanal,unplanchereerecouvertd’une couche de bitume légèrement en pente, auquel on monteparlesescaliersT(fig.104),quiserttoutà la fois au service du lavoir, et pour ramener dans le réservoir les eaux de suint que le lavage fait jaillir. C’est aussi sur ce plancher prolongé à droite que sont placées les chaudières L et la presse dont nous parlerons plus bas.

On procède à l’opération du lavage de la manière suivante : Les laines sont plongées dix ou douze minutes dans le bain chaud ; pendant ce temps on les retourne avec une fourche, de manière que celles qui se trouvent dans le fond du bain reviennent à la partie supérieure. Un ouvrier prend alors la laine avec une fourche, la place dans une caisse carrée N, trouée sur toutes ses faces et au fond ; un châssis placé sur la chaudière L sert à soutenir cette caisse ; l’ouvrier, après y avoir mis une certaine quantité de laine, place dessus une planche de même largeur que la caisse, il la presse, et l’eau qui en sort rentre dans le bain. Cette pression opérée, il jette la laine dans la trémie ou case J qui se trouve en face des chaudières où se fait le bain. Un ouvrier placé du côté opposé, armé d’un pilon P de forme pyramidale, d’un pied carré à sa base, creux, et par conséquent très léger, enfonce ce pilon dans la caisse et au centre, le relève rapide- ment, et continue avec célérité ce mouvement alter- natif qui agite l’eau et par conséquent la laine qui se trouve dans la case ; il suffit de continuer ce mou- vement pendant quelques minutes, mais plus ou moins suivant la finesse de la laine. Il place ensuite le pilon à sa gauche, s’arme du bâton lisse O ou d’une fourche Z qui est à sa droite, retire avec ce bâton la laine de la case J pour la jeter dans la deux-

108 ARTS AGRICOLES : LAVAGE DES LAINES LIV. IV. ières qui se précipitent dans le fond du lavoir peu- vent être employées utilement comme engrais. seCTion iv. — Conservation des laines. La laine doit être conservée dans un magasin à l’abri du soleil et de la chaleur qui diminue son poids, des dangers du feu, de l’humidité, et de la poussière. Elle se conserve mieux en suint et sim- plement lavée que dégraissée. On ne doit l’emma- gasiner que lorsqu’elle est bien sèche, l’humidité la gâterait très promptement, et seulement après qu’elle a perdu la chaleur que lui a communiquée le soleil, et qui l’altérerait dans les piles. Le plus redoutable ennemi qu’on ait à craindre quand on conserve longtemps les laines en magasin, est l’insecte connu sous le nom de teigne des draps (Tinea sarcitella, Fab.), qui est un petit papillon d’un gris argenté avec un point blanc de chaque côté du thorax. C’est sous forme de larve ou chenille que la teigne fait ses ravages en dévorant la laine et en se formant un fourreau de soie ayant le plus souvent la forme d’un fuseau. Ses excrements ont la couleur de la laine qu’elle a rongée. Ces insectes voltigent depuis le commencement d’avril jusqu’en octobre, et déposent sur la laine de petits œufs qui éclosent en octobre, novembre ou décembre, suivant la température. Les chenilles restent engourdies pendant l’hiver, mais au prin- temps elles grossissent et mettent une grande activ- ité à dévorer la laine et à former leurs fourreaux qui ont 4 à 5 lignes de longueur. Lorsqu’elles ont pris tout leur accroissement, elles quittent la laine, se retirent dans les coins du magasin, se suspendent au plancher pour se transformer en chrysalide. Au bout de 3 semaines environ, elles percent leur envel- oppe et sortent sous la figure d’un papillon. Il est difficile de se garantir entièrement des dom- mages causés par les teignes ; mais on peut les éviter en partie. Faites enduire en blanc, dit dauBenTon, les murs et plafonner le plancher du magasin, afin de mieux apercevoir les papillons qui s’y reposent. Placez les laines sur des claies soutenues à 1 pied du carrelage, puis, avec un bâton terminé à son extrémité par un bouton rembourré, frappez sur les laines pour en faire sortir les teignes qui s’envolent et vont se poser sur les murs ou le plafond où il est facile de les tuer, en appliquant sur elles l’extrémité du bâton rembourré. Un enfant suffit pendant les 3 mois de la ponte pour soigner un magasin. On a aussi conseillé de placer dans les magasins de laines en suint quelques mauvaises toisons de laine lavées sur lesquelles les teignes feront leur ponte de préférence. On brûle ensuite ces toisons avant que les chenilles subissent leur métamor- phose. L’odeur du camphre et de l’essence de térében- thine ou de quelques autres substances d’une odeur très pénétrante, paraissent éloigner ces insectes, mais ne préservent pas entièrement de leurs ravages. Les vapeurs sulfureuses très concentrées les font périr ; mais ce procédé n’est pas praticable dans un grand magasin, et, d’ailleurs, il fait contracter aux laines une odeur fort désagréable. On pourrait, comme les drapiers, conserver les laines dans des sacs d’une toile à tissu très serré, ou dans des caisses calfeutrées avec soin, etc. ; ces moyens sont dispendieux et n’of- frent pas une entière sécurité, et il vaut mieux bat- tre les laines dans les magasins et tuer les papillons. En Allemagne on emploie avec succès des fumiga- tions ammoniacales que les teignes paraissent red- outer beaucoup, et quand la laine est empaquetée on couvre les sacs d’une certaine quantité de tiges d’absinthe ou de mélilot en fleur. seCTion v. — Vente et emballage des laines. La manière dont les laines sont livrées au com- merce varie suivant les pays. Par exemple, les laines communes et lavées de la Beauce, de la Picardie, de la Sologne, et les pelures, sont vendues en las et sans emballage ; au contraire, les laines fines indigènes, celles des métis, des mérinos, les écouailles, sont emballées dans des sacs de toile pour les préserver de tout accident et les expédier au loin. Pour emballer la laine en toison, on prend un sac formé de grosse toile à emballage, et on le sus- pend entre deux poteaux, en maintenant la partie supérieure ouverte avec un cerceau. Un homme descend dans ce sac, et on lui passe les toisons empaquetées séparément, qu’il place également et uniformément dans toutes les parties du sac, en les foulant d’une manière uniforme à la circonférence avec un de ses pieds, tandis que son autre jambe reste fixe au milieu du sac, afin de ne laisser ni de vides ni de poches où l’eau, pendant le transport, pourrait pénétrer et séjourner. Le sac, à l’extérieur, doit avoir, après l’emballage, une forme aussi ronde que possible ; mais il ne faut cependant pas fouler trop la laine, parce qu’on éprouverait ensuite trop de difficultés, surtout au bout de quelques mois, pour la diviser, l’assortir et la trier, et qu’en outre dans certaines races, telles que celles Infantado et Negretti, la matière grasse se durcit et colle ensem- ble les brins des toisons En général, les laines en toison ou simplement lavées, et qui ne sont pas destinées à être trans- portées au loin, sont peu foulées à l’emballage ; on doit au contraire presser davantage et donner plus de fermeté aux ballots de laine dégraissée qui doivent éprouver un transport lointain. L’emballage des laines lavées se fait de la même maniéré que celui des toisons, en les transportant dans le sac par poignées ou brassées, qu’on foule à mesure qu’elles sont introduites. En Espagne, la laine étant séchée est étendue sur une claie ou espèce de grillage de bois bien uni, par petites portions, pour que les trieurs la repassent. Lorsque ce repassage est terminé, on la porte à la balance, et on la pose ensuite sur l’estrive. On donne ce nom à 4 grosses cordes où sont suspendues les toiles des balles. Un homme entre dans la balle et un autre lui passe la laine qu’il foule bien avec les pieds.

CHAP.6e CONSERVATION DES LAINES 109 Les sacs ou balles se font avec de la toile de Picar- die. En Allemagne, surtout pour les laines super- fines transportées à l’étranger, on fait le sac double pour mieux les garantir, ou bien le sac est en coutil et enveloppé d’une autre toile commune. Le poids des balles varie avec les pays. Les laines communes de la Beauce, de la Picardie, etc., sont en balles cordées de 100 à 150 kilog. ; les laines fines indigènes du Roussillon, du Berry et de la Provence, en balles et ballots de 50 à 100 kil. ; les laines mérinos, en balles rondes et longues de 100 à 120 kilogrammes, etc. Quand les balles sont remplies, on en coud l’ou- verture, on les pèse, on marque dessus la qualité ou la classe, le poids brut et le tare, et on pratique sur un des côtés une petite ouverture qui sert à prendre des échantillons et à juger de la qualité renfermée dans chaque balle. F. M.

CHAPITRE VI. — ConservaTion des viandes.

La chair des animaux que l’homme fait naître, élève et abat ensuite pour en faire sa nourriture, ne peut guère être conservée au-delà de peu de jours, à la température moyenne de nos climats, sans éprouver un commencement de décomposition qui la rend insalubre et la fait rebuter comme aliment. Cependant, comme il est fréquemment impossible de se procurer chaque jour dans les campagnes de la viande fraîche, et qu’il importe toutefois, pour entre- tenir la santé et la vigueur nécessaires aux travaux des champs, de faire usage habituellement d’une nourriture animale, on a dû depuis longtemps s’oc- cuper des moyens de s’opposer à la décomposition des substances animales, et de les conserver, sinon dans leur fraîcheur primitive, au moins dans un état où elles pussent fournir encore un aliment agréable, sain et restaurant à toutes les époques de l’année. Aussi a-t-on fait usage, depuis les temps anciens, de divers procédés de conservation qui remplis- sent plus ou moins bien le but proposé. Néanmoins, comme la plupart de ces moyens sont généralement connus, et qu’il n’entre pas dans le cadre de cet ouvrage de donner ceux qui ne sont propres qu’à conserver les viandes pendant un petit nombre de jours et pour l’usage habituel des ménages, nous les passerons sous silence ; mais nous nous attacherons à décrire en détail ceux d’entre eux qui, pouvant faire l’objet d’une grande industrie, se rattachent très bien à l’agriculture, et qui sont en même temps les plus propres à conserver des viandes pendant un temps prolongé et sous toutes les latitudes du globe, soit pour la nourriture des agriculteurs, soit pour celle des armées en campagne, soit enfin pour ali- menter les marins dans leurs voyages lointains. Ces moyens se réduisent à peu près à la salaison des vian- des et à leur boucanage, qui sont les plus ancienne- ment connus, et qui donnent les résultats les plus constants et les plus sûrs. Nous ajouterons quelques autres procédés plus récents, mais qui, n’ayant pas pour la plupart été exploités avec l’étendue conven- able, n’ont pas encore reçu la sanction du temps. seCTion ire. — De la salaison des viandes. La salaison des viandes a pour but de les imprégner d’une certaine quantité de sel qui absorbe successivement les parties liquides à mesure qu’elles se séparent des chairs, pénètre celles-ci, s’y incor- pore, et les garantit par ses propriétés antiseptiques de toute altération ultérieure. Les viandes qu’on sale le plus communément pour les approvisionnements sont celles du porc et du bœuf ; néanmoins, celles de tous les animaux sont susceptibles de recevoir la même préparation et de se conserver par le même moyen. La salai- son de la chair de porc n’offre pas de difficultés ; celle de la viande de bœuf réclamant plus de soin, d’attention et de pratique, c’est particulièrement la préparation de cette dernière que nous allons décrire, en nous attachant de préférence à celle des viandes destinées aux approvisionnements de la marine, comme exigeant dans leur salaison la réunion de toutes les conditions qui assurent une bonne et longue conservation. Dans cette descrip- tion nous ferons surtout connaître les procédés usi- tés en Irlande et en Angleterre, pays où l’on prépare le mieux les salaisons. § ier. — Salaison des viandes en Irlande. Nous emprunterons la plupart des détails que nous allons donner sur le travail de la salaison des viandes en Irlande, au traité qu’a publié, en danois, M. C. marTFeLT, et qui a été traduit en français par M. Bruuneergaard. L’abattage des bœufs destinés aux salaisons en Irlande, commence au 1er septembre et dure jusqu’au 1er janvier ; mais le plus grand nombre est tué depuis le milieu d’octobre jusqu’au 15 novem- bre, parce que, pendant cette époque, l’animal est en meilleur état, et qu’il commence ensuite à dépérir à mesure que l’herbe devient rare. Le bœuf doit, dans les derniers six mois, avoir été engraissé sur un bon pâturage, être âgé de plus de 5 ans et n’en avoir pas plus de 7. On tue aussi des vaches grasses pour la salaison, et leur viande est vendue aux consom- mateurs qui recherchent le bon marché. Quand le bétail vient de loin et qu’il est échauffé, ou dans un état de fatigue et d’abattement, on le place dans un endroit très propre et bien aéré pour qu’il puisse, avant ; d’être tué, reprendre toute sa vigueur. On le laisse ainsi 3 jours pendant lesquels on ne lui donne que de l’eau. L’animal doit être tué et dépouillé proprement. Après qu’il a été abattu on le laisse refroidir pen- dant un jour. Pour les viandes destinées aux appro- visionnements de la marine et celles qui doivent composer la cargaison des navires du commerce, on retranche les parties saignantes du cou, et on dépèce ensuite l’animal en morceaux proportion-

110 ARTS AGRICOLES : CONSERVATION DES VIANDES LIV. IV. nés à la ration journalière des matelots. En général, aucun morceau ne doit avoir moins de 4 livres ni plus de 12. Les morceaux de poitrine, pour les car- gaisons, sont aussi grands qu’on peut les saler. On fait des incisions aux plus grosses pièces pour que le sel y pénètre mieux. Il faut prendre garde que les os longs dont le canal central est rempli de moelle n’entrent dans les barils avant d’en avoir extrait ce corps graisseux. À cet effet, on vide soigneusement avec un instrument de bois les os qui en contiennent avant de passer la pièce au saleur. Les barils pour la marine royale anglaise doivent contenir 56 morceaux de 4 livres chacun, et par conséquent 224 livres de bœuf salé. Le couperet dont le boucher irlandais se sert est d’une seule pièce. Son tranchant est d’environ 2 pieds et sa hauteur de plus d’un pied ; le manche a environ la même longueur. Cet instrument est si lourd qu’il sépare presque par son propre poids le morceau de viande sur lequel il tombe. On peut juger de l’activité de ce boucher quand on apprend qu’il dépèce ordinairement, en 8 heures de travail, 30 bœufs du poids de 450 livres chacun. À mesure que la viande est dépecée, elle est rem- ise à ceux qui la salent, en observant qu’aucune viande saignante ne passe du boucher au saleur. L’endroit où l’on sale est ordinairement un hangar placé dans une cour ou un local disposé à cet effet dans une maison ; dans tous les cas on a reconnu qu’une libre circulation d’air était nécessaire pour ce travail. Le saloir est disposé en carré long pour que les ouvriers puissent commodément faire pas- ser la viande de l’un à l’autre ; ses côtés ont environ 1 pied de hauteur. La viande y est jetée de gauche à droite jusqu’à ce qu’on la mette dans les barils placés dans la partie la plus élevée du saloir. On se sert en Irlande de 2 sortes de sels, savoir : 1° le sel anglais provenant des mines de sel gemme de Liverpool ou des marais salants de Limington. Ce sel, qui est blanc et léger, pénètre facilement la viande par le frottement, et hâte la formation de la saumure ; 2° le sel portugais, ou de Lisbonne, qui est pur, blanc, transparent, d’un grain fin, lourd, se conservant tres sec par un temps humide, et plus fort que le précédent. En général, il faut que le sel qu’on emploie soit pur, parce que s’il est gris et sale, il ôte à la viande sa belle couleur ; qu’il soit exempt de parties terreuses ou bien d’hydrochlorates de chaux et de magnésie, sels délisquescents, c’est-à-dire qui attirent l’humid- ité de l’atmosphère, se résolvent en liqueur, font corrompre la viande, et ont dans tous les cas l’in- convénient de lui donner une saveur amère et désa- gréable. Il n’est pas nécessaire que ce sel soit très fort ; au contraire, les sels de force moyenne sont les meilleurs. Si le sel est trop gros, il faut le broyer. La proportion de sel que les meilleurs saleurs obser- vent est de 22 parties en poids sur 100 de viande. De ces 22 parties, 12 sont de sel anglais et 10 de sel de Lisbonne. Pour frotter la viande on se sert en totalité d’un mélange de 12 de sel anglais et de 8 de sel de Lisbonne ; ce qui reste de ce dernier sur les 22 parties est répandu sur les pièces en les déposant dans les barils, parce qu’on n’emploie, pour cette dernière opération, que du sel de Lisbonne pur. Au reste, la quantité des sels consommés dans la salaison et les proportions dans lesquelles on les mélange, dépendent de leur force, de leur pureté et de leurs qualités, ainsi que de la destination des viandes salées. Le nombre des ouvriers dans un atelier de salai- sons se fixe naturellement d’après la quantité de viande à saler. Ils travaillent 8 heures par jour, et, dans cet espace de temps, 4 ouvriers irlandais salent 30 bœufs du poids de 450 livres chaque, ou 40 vaches, ou bien 100 cochons. Le métier d’ouvrier saleur s’apprend facilement avec un peu d’exercice. Pour mieux faire pénétrer le sel dans la viande, on se sert, à Dublin et autres lieux, de forts gants de peau ; à Belfast et Cork, d’une sorte de manique ferrée composée de 2 ou 3 morceaux carrés de cuir de semelle, de la largeur de la main et dépassant un peu l’extrémité des doigts. Ces morceaux de cuir sont posés l’un sur l’autre et garnis extérieurement avec des têtes de clous assez longs pour être rivés de l’autre côté et posés fort près les uns des autres. Une lanière de cuir fixée derrière, en forme de poignée, et dans laquelle l’ouvrier passe la main, sert à tenir solidement cet instrument qu’on appelle gant. Pour procéder à la salaison, on commence par saup- oudrer de sel les morceaux de viande ; ce sel pénè- tre dans la viande à force de frotter, et la salure par- faitement. Pour cela, les ouvriers, placés à côté les uns des autres devant le saloir, se passent succes- sivement les morceaux de viande qu’ils frottent avec le sel au moyen du gant dont nous venons de par- ler. Le premier ouvrier est celui qui frotte le plus la viande ; tous cependant la frottent plus ou moins. On est obligé de frotter plus longtemps et plus fort la viande de bœuf que celle de porc. Quand la pièce de viande est parvenue au dernier ouvrier, qui est ordinairement le plus habile, il la retourne en tous sens et examine bien l’ouvrage des autres ; s’il y trouve quelque défaut ou une veine qui n’ait pas été ouverte, il l’ouvre et y fait entrer du sel en frot- tant : dans tous les cas, il frotte la pièce à son tour. De ses mains, et sans observer aucun ordre pour la grosseur des morceaux, la viande passe dans les ton- neaux de salaison, où on l’entasse autant que pos- sible, mais sans y ajouter d’autre sel. On la laisse ainsi à découvert dans un endroit propre et aéré au moins pendant 8 à 10 jours pour que la saumure la pénètre parfaitement. Les barils ou tonneaux dont on fait usage pour embariller les viandes salées doivent être faits avec soin en chêne sec, et cerclés en noisetier ou châtaignier, comme les tonneaux pour contenir les vins. Il faut veiller à ce qu’ils n’aient ni fentes ni ouvertures par lesquelles l’air ou les liquides pour- raient s’échapper, et qui auraient pour inconvéni- ent, non seulement de faire couler la saumure, mais encore de laisser pénétrer l’air et de faire éprouver à la viande un commencement de décomposition. Avant de s’en servir, surtout quand ils sont neufs,

CHAP.6e DE LA SALAISON DES VIANDES 111 ils doivent être lavés avec beaucoup de soin et frot- tés à l’intérieur avec du sel et du salpêtre. On peut consulter d’ailleurs, sur la construction et la prépa- ration des tonneaux, ce que nous avons dit à la page 28 du présent tome. Lorsque la viande est restée dans les barils le temps nécessaire pour que le sel la pénètre et se résolve en saumure, on la retire pour l’embariller de nouveau. La viande, ainsi macérée, a moins de volume et de poids que quand on l’y a placée ; on compte qu’un tonneau de viande a perdu ainsi 14 livres de son poids. Quand on a versé dans un baquet toute la sau- mure qui était dans les tonneaux, on gar nit ceux-ci d’un lit du meilleur sel de l’épaisseur d’un doigt ; puis on y place la viande le plus régulièrement pos- sible, en répandant de ce sel entre chaque couche ainsi qu’entre les pièces. On observe un ordre régulier dans l’embaril- lage : les morceaux de qualité inférieure occupent le fond, les médiocres viennent ensuite, les meilleurs se placent en haut et les flancs couvrent le tout. En un mot, l’embarillage a lieu dans l’ordre suivant : le chignon, la croupe, le collier, le jarret de derrière, le filet d’aloyau, l’aloyau, le bas de l’épaule, l’épaule, les côtes, la poitrine, le flanchet, les flancs. Quand la viande est placée dans cet ordre, et en laissant le moins possible d’interstice, on la com- prime avec un poids de 50 livres jusqu’au moment où l’on ferme le tonneau. À cette époque, on la presse fortement de nouveau pendant quelques minutes, pression qui est fort essentielle, et on clôt immédiatement après. On fait ensuite un trou à l’un des fonds, et, au moyen d’un tube de verre passé dans un bouchon, on souffle pour s’assurer que le tonneau ne fuit pas ; s’il ne s’en dégage pas d’air, il est jugé en bon état et propre à bien tenir la saumure. On ferme alors le trou avec un bouchon de liège bien sain et passé au feu. Si, au contraire, le tonneau laisse échapper l’air, on cherche la fente et on la bouche avec du jonc, de l’étoupe goudronnée, etc. On ouvre alors la bonde, qu’on a jusque là tenue soigneusement fer- mée, et on remplit le tonneau de saumure. On peut se servir de celle qui provient des premières prépa- rations, à moins qu’elle ne soit gâtée, cas auquel on enfaitdenouvelle.Onversedansletonneauautant de saumure qu’il peut en contenir ; mais moins il en entre, plus la salaison a été bien faite, plus la viande est bien imprégnée de sel, pressée convenablement, et de bonne conservation. En Irlande, on ne fait pas cuire la saumure, mais dans quelques autres pays on lui fait subir cette opération avant de la verser dans les tonneaux. Pour cela, on recueille toute celle qui provient de l’embarillage provisoire, et on la met dans un grand chaudron de cuivre. Comme elle contient une quan- tité assez notable de sang et de sérum, l’ébullition fait monter en écume ces substances à la surface, où on les enlève avec une cuillère de fer. On ajoute un peu d’eau pure, et on continue à faire bouillir et à écumer ainsi, jusqu’à ce que la saumure soit bien pure et transparente. On la laisse alors refroidir pour s’en servir comme nous avons dit ci-dessus, et en y ajoutant un peu de sel si elle n’était pas assez forte. On juge de sa force en y jetant un œuf frais ou un morceau de viande salée, qui doivent surnager si elle a le degré de densité convenable. Si l’on est obligé d’augmenter la dose du sel, il faut le faire avec précaution, parce qu’une saumure trop salée a pour inconvénient de durcir la viande. Après avoir introduit la saumure dans le ton- neau, on le retourne à plusieurs reprises sur ses deux fonds, pour faire pénétrer le liquide ; on y verse encore de la saumure s’il peut en recevoir davantage, puis on le bondonne. On laisse les ton- neaux en cet état pendant 15 jours ; après ce temps, on les examine de nouveau : l’on y verse de la sau- mure s’ils en ont besoin ; enfin on souffle dedans une dernière fois pour s’assurer que l’air n’a aucune issue, cas dans lequel on y remédie avec soin ; puis on les expédie. Pour la salaison du cochon, on donne la préférence, en Irlande, aux porcs qui ont été nourris avec des vesces, des pois, des haricots, de l’avoine, etc., parce que le lard et la chair en sont plus fermes et d’une conservation plus facile. On tue ordinairement les porcs depuis le mois de décembre jusqu’en avril. Leur dépècement ne diffère guère de celui du bœuf que par la grosseur des morceaux, qui, propor- tion gardée, ne sont que de moitié. On place 112 morceaux dans un baril pour la marine royale. Le nombre des morceaux, pour les cargaisons des navires de commerce, n’est pas fixe. Les sels sont les mêmes que pour le bœuf, et le mélange s’en fait dans la même proportion. La manière de saler ne diffère qu’en ce qu’on frotte un peu moins le lard. § ii. — Salaison des viandes en Angleterre. Le travail des ateliers de salaison pour la marine, en Angleterre, diffère en quelques points de celui qui se fait en Irlande, et M. FouLLioy a donné sur le premier des détails intéressants que nous repro- duirons en partie. En Angleterre, de même qu’en Irlande, les salai- sons ne s’apprêtent qu’en hiver, entre les mois de novembre et de mars, et lorsque le temps est froid. Lesbœufssontchoisisgrands,épais,grasetexempts de maladie. On donne la préférence à ceux qui ont vécu en liberté dans les pâturages. La chair en est plus ferme, la graisse mieux répartie, et d’ailleurs ces animaux sont plus sains et mieux portants que ceux nourris à l’étable et qui sont privés d’air et d’exercice. Lorsqu’un bœuf a été abattu, que les vaisseaux jugulaires ont été ouverts et qu’on a favorisé l’écoulement complet du sang, le muffle est écorché et la tête emportée. On ne souffle pas l’animal, mais on a soin de lier l’œsophage, afin de préve- nir l’écoulement des matières qui souilleraient la viande. La bête étant tournée sur le dos, le ventre est ouvert et vidé avec précaution et les membres sont convenablement dégagés. L’animal est ensuite

112 ARTS AGRICOLES : CONSERVATION DES VIANDES LIV. IV. suspendu, et les bouchers achèvent ainsi commodé- ment de l’écorcher au moyen de crochets. Ils div- isent la poitrine ou sternum, détachent tous les organes contenus dans cette cavité, fendent ensuite la colonne vertébrale par derrière, et séparent le bœuf en 2 moitiés qu’on laisse suspendues pendant un jour pour en faire écouler l’eau et les mucosités. On extrait alors les os longs des membres, et les chairs sont ensuite livrées aux hommes chargés de les saler. Tout est disposé dans un vaste atelier, pour que les diverses parties de l’opération se succèdent sans interruption et avec rapidité. La comptabilité se règle en même temps avec autant de facilité que d’exactitude dans un établissement de ce genre, où Fig. 106. peu d’hommes apprêtent jusqu’à 24 bœufs par jour. Voici quelle est la division du travail. Les moitiés de bœuf sont présentées aux balances aa(fig.106);lemaîtredelaboucherieIdéclareà haute voix leur poids, qui est enregistré à l’instant par l’agent du fournisseur 2 et par celui du com- missaire 3 ; elles sont ensuite portées en B B, où des bouchers 4, 4 détachent l’épaule et pratiquent, depuis l’os de la hanche jusqu’en bas, trois sections qui partagent le demi-bœuf en 4 bandes longitudi- nales. Celles-ci, poussées au point C C, y sont subdi- visées par les bouchers 5 5 en morceaux de 8 livres qu’on jette, au fur et à mesure, dans des paniers d d destinés à en recevoir chacun une dizaine seule- ment. Les hommes 6, 6 dont l’office est de trans- porter ces paniers, doivent, chaque fois qu’ils s’en saisissent, crier la quantité de morceaux qu’ils enlèvent. Lorsqu’on finit de débiter un demi-bœuf, si le nombre des pièces qu’il a produites s’éloigne de 42, qui est celui que doit contenir chaque baril ou tierçon, la différence est annoncée à l’agent du com- missaire, qui l’inscrit et le répète à haute voix. Les paniers sont portés à des hommes 7, 7, 7 qui salent la viande et bordent une table portative E F placée devant les caisses carrées G. Ils ont les mains garnies de gants de grosse flanelle, et, prenant à poignée le sel commun, ils en frottent fortement les pièces de bœuf une à une et sur toutes les faces. Chaque homme peut frotter une pièce par minute, ce qui produit, dans une journée de 8 heures de travail, 480 pièces ou 3 840 livres, qui équivalent à environ 15 demi-bœufs. Les caisses carrées G G qui environnent l’atelier sont assez vastes pour contenir 8 bœufs. Leur fond, placé au-dessus d’un réservoir, est percé d’un grand nombre de trous, excepté toutefois à l’endroit H H, où se tient l’ouvrier 8 exclusivement chargé de l’ar- rimage. Cet homme dispose artistement les pièces de bœuf autour de lui de façon à s’en former un rempart demi-circulaire. Quand il se retire il laisse, au point qu’il occupait, une espèce de puits où la saumure s’épanche et où elle est prise 1 ou 2 fois par semaine pour être versée sur la viande. Le bœuf, ainsi arrangé, reste en repos pendant 7 jours ; les soins se bornent à l’arroser une ou deux fois de la saumure qui s’est amassée dans le puits. Au bout de la semaine on le transporte dans la caisse adja- cente, en plaçant au fond les couches superficielles, et réciproquement. Une seconde période de 7 jours suffit alors pour le rendre propre à être mis dans les barils où se complète le système qui doit assurer sa conservation. De la même manière qu’en Irlande, on se sert en Angleterre de 2 qualités de sels, qui sont blanches et en cristaux, et provenant toutes deux des marais salants. L’un est celui qu’on nomme sel commun, qui sert particulièrement à frotter la viande, et contient une petite quantité de matière terreuse et le dou- ble de sulfate de chaux et de manésie de l’autre sel. Celui-ci, qui est nommé bay-salt ou sel de baie, parce qu’on le recueille dans la baie de Vigo en Galice, est beaucoup plus pur, en gros cristaux, et très sec ; ce qui le rend propre à être interposé entre les couches de salaisons. Ce sel persiste à l’état cristallin pen- dant plusieurs années, et on le considère comme l’agentconservateurleplusefficace.Aulieudele pulvériser on le brise en petits fragments, et on y ajoute une certaine portion de salpêtre ou sel de nitre dans la proportion de 10 onces pour 42 pièces ou 336 livres de bœuf que doit contenir chaque baril. Au bout de la seconde période de 7 jours, la viande est propre à être mise dans les barils ; à cette époque, on a consommé en général une livre de sel commun par pièce de bœuf, dont on présume que 2/3 restent adhérents à la viande, ou combinés avec elle, tandis que l’autre tiers s’est écoulé en saumure. C’est alors qu’on brise en petits fragments le bay- salt, et qu’on y ajoute la proportion voulue de nitre. On forme, pendant l’embarillage, 3 couches de ce sel, d’environ 8 lignes d’epaisseur l’une au fond du baril, l’autre au milieu, et la 3e sous le couver- cle. Quand on a ainsi couvert le fond d’un tierçon ou baril cerclé alternativement en fer ou en feuil- lards, d’une couche ou mélange de sel et de nitre, deux hommes y placent successivement les pièces de bœuf, de manière à ne laisser entre elles aucun intervalle ; dès qu’ils ont déposé ainsi 2 couches, ils les condensent en les frappant avec une masse qui pèse 25 livres, pour ne laisser aucun espace vide. Les ouvriers continuent leur travail jusqu’à ce qu’ils

CHAP.6e DE LA SALAISON DES VIANDES 113 atteignent le milieu de la barrique ; là une nou- velle couche de sel et de nitre est étendue et forme une barrière capable d’empêcher l’altération d’une moitié de la salaison de se propager à l’autre moitié. On achève de combler le baril en se servant toujo- urs de la masse. Quand on est arrivé à la place que le couvercle occupera, on verse sur la viande une forte saumure, et on étale enfin la 3e couche de sel et de nitre, et le baril est fermé, puis emmagasiné dans un lieu frais. Le porc, dont la chair résiste mieux que celle du bœuf à l’action du sel marin, s’apprête suivant le même procédé que le bœuf ; seulement on divise l’animal en pièces de 6 livres, qui entrent au nom- bre de 53 dans les tierçons. § iii. — Résumé des principes sur la salaison des viandes. L’art de préparer les salaisons n’a pas encore acquis en France le degré de perfection où il est arrivé dans les pays dont nous venons de faire con- naître les procédés. Il serait cependant très facile de leur donner toutes les qualités qui distinguent celles-ci, en observant les préceptes suivants : 1°On choisit, pour les salaisons, des bœufs encaissés dans de bons pâturages et dans l’âge où la viande a acquis toute sa saveur, sa fermeté et sa densité, et ceux dans lesquels la graisse est le mieux répartie dans les chairs. La France offre partout des bestiaux qui remplissent parfaitement ces condi- tions. Les animaux tenus constamment à l’étable, et nourris soit avec des aliments verts, soit même avec des aliments secs, ont une chair moins con- sistante, et chez eux la graisse est presque entière- ment accumulée sous la peau. Quelque grasse que soit la vache, sa chair ne supporte pas bien l’action du sel, et ne fournit pas de viandes salées de longue durée et de bonne qualité. 2° Il faut abattre l’animal de manière à le faire souffrir le moins possible, le saigner comme les po rcs, ne pas le souffler, et le dépecer le plus propre- ment qu’on pourra. On enlèvera les os, qui, selon la remarque de parmenTier, ont l’inconvénient de ne pas prendre le sel, de contenir de la moelle, sub- stance graisseuse qui passe facilement à l’état de putréfaction et entraîne l’altération de toutes les salaisons environnantes. En outre, ce sont les chairs qui touchent immédiatement les os qui se gâtent le plus facilement. Ces os, d’ailleurs, s’opposent à ce que les morceaux soient placés régulièrement dans les barils, et laissent des intervalles qu’on ne peut plus combler, même en tassant la viande ; ce qui est une cause d’altération. 3° On choisira un sel pur, léger, fin, pour frot- ter la viande, la pénétrer en peu de moments, et saturer toutes les parties liquides qui s’en écoulent pour former la saumure ; puis on fera usage d’un sel plus fort, plus dense et plus sec, et se dissolvant len- tement, pour embariller la viande. Les sels marins de Martigues (Bouches-du-Rhône), de Saint-Gilles (Vendée), ceux qu’on recueille dans le Golfe de Gascogne, et auxquels les salaisons du département des Basse-Pyrénées doivent, dit-on, leur réputation, et beaucoup d’autres, sont très propres à cet objet. La quantité des deux sels employés sera de 22 p. % en poids de la viande, dont 12 de sel léger et 10 de sel fort. 4° On ajoutera au sel 2 à 3 p. % de nitre ou salpêtre sec et épuré dont la moitié sera mélangée au sel destiné à frotter la viande. Cette portion a pour but de conserver à celle-ci une belle couleur rouge qui éloigne toute idée de corruption. L’autre portion entrera dans le sel de l’embarillage et ser- vira à maintenir la viande dans un état prolongé de fraîcheur. 5° L’embarillage sera fait avec un soin extrême en comprimant fortement les viandes, en les cou- vrant de la quantité nécessaire de sel et en rem- plissant bien exactement les barils d’une saumure pure et bien saturée, de manière à ne pas être obligé de les ouvrir pour remplir les vides qui se seraient formés au bout de quelques mois. Ces barils seront propres, construits avec exactitude, et ne présen- teront ni fentes, ni ouvertures, par où l’air pourrait s’introduire. On les fermera avec précaution, et on les enduira si cela paraît nécessaire, d’une couche de goudron ou de plâtre. En général, la supériorité des salaisons est moins due à la qualité des viandes qu’au sel qu’on emploie, et surtout à l’excellence des moyens mis en usage pour les préparer. Celles qu’on prépare suivant les méthodes décrites ci-dessus doivent se conserver pendant cinq années consécutives, même quand elles sont transportées dans les climats les plus chauds du globe. Le sel et le salpêtre ne sont pas les seuls corps qu’on fasse entrer dans la salaison des viandes ; on se sert encore, surtout pour celles qui sont des- tinées aux usages domestiques, de sucre, de baies de genièvre, de feuilles de laurier, etc., dont on déter- mine la dose suivant le goût et les habitudes des consommateurs. Les méthodes pour la salaison des viandes dont nous venons de présenter les détails, peuvent ser- vir de même à conserver la chair de mouton, d’ag- neau, de chèvre et de veau ; celle des oiseaux de basse-cour, surtout des oies et des canards. Nous ferons seulement observer que quand ces vian- des sont destinées à l’économie domestique, et par conséquent à être consommées au bout de peu de mois et transportées à de petites distances, il est inu- tile d’employer des doses aussi fortes des ingrédients conservateurs. La plupart du temps, 8 à 10 p. % de sel sont suffisants pour une bonne conservation de ménage. Des procédés à peu près analogues sont usités pour saler les poissons, tels que la morue, le hareng, la sardine, l’anchois, le saumon etc. Nous nous con- tenterons de rapporter ici celui que les Hollandais emploient pour la salaison des harengs, dont ils font un commerce si considérable. Aussitôt que les harengs sont hors de la mer, le caqueur hollandais leur coupe la gorge, en tire les

114 ARTS AGRICOLES : CONSERVATION DES VIANDES LIV. IV. entrailles, laisse la laite ou les œufs, les lave en eau douce et leur donne la sauce. Pour cela il les met dans une cuve pleine d’une forte saumure d’eau douce et de sel marin, où ils demeurent douze à quinze heures. Au sortir de la sauce on les fait égout- ter, puis on les range par lits dans les caques ou barils dont le fond est couvert d’une couche de sel. Lor- sque la caque est pleine, on recouvre d’une couche de sel, et on ferme exactement les barils, pour qu’ils conservent la saumure et ne prennent pas l’évent ; sans quoi les harengs ne se conserveraient pas. Dès qu’on a débarqué, on procède à la denxième salai- son, qui s’opère comme il suit : on défonce les barils, on en retire les harengs, qui sont jetés dans une cuve où ils sont lavés et nettoyés dans leur propre sau- mure : après quoi on les encaque dans de nouveaux barils, les têtes à la circonférence et les queues au centre, en les comprimant fortement avec le secours d’une machine, de façon qu’un baril en prend un tiers en sus de ce qu’il contenait primitivement. Nous nous sommes étendus suffisamment dans un chapitre précédent sur l’emploi qu’on peut faire des débris des animaux morts. L’industrie qui nous occupe ayant à sa disposition, quand elle est exploitée en grand, une grande quantité de ces débris, on doit chercher à en tirer le meilleur parti possible en suivant les règles que nous avons pre- scrites à cet égard. Nous ajouterons seulement ici qu’il est quelques parties des animaux, telles que le cœur et le foie, qu’on ne comprend pas ordinaire- ment dans les approvisionnements de l’armée ou de la marine, qui pourraient de même être salées et vendues aux pauvres gens ; que le fiel peut être recueilli pour être envoyé aux dégraisseurs, ou pour entrer dans la fabrication de quelques compositions employées par les peintres à l’aquarelle ou en min- iature, ou les enlumineurs ; que la vessie est souvent vendue avec profit pour préparer ces poches dans lesquelles on conserve le tabac à fumer ; qu’enfin les os calcinés à blanc et pulvérisés, entrant aujourd’hui dans la composition de poteries façon anglaise, peu- vent être vendus avec quelque avantage aux fabri- ques où l’on prépare ces sortes de vases, etc. seCTion ii. — Du boucanage des viandes. On donne le nom de boucanage à l’art de fumer la viande, c’est-à-dire de la rendre propre à être con- servée en l’exposant pendant un certain temps à l’influence de la fumée du bois en combustion. Nous n’entrerons pas ici dans des détails scienti- fiques sur les principes très variés qui entrent dans lacompositiondelafuméedeboisencombustionou de la suie, ni sur la nature de ceux de ces principes auxquels ces corps doivent la faculté de conserver les substances animales. Nous dirons seulement que cette faculté est due probablement à l’acide pyrol- igneux, à l’acide carbonique, ainsi qu’à quelques substances empyreumatiques, entre autres à une huile récemment découverte et qu’on a nommée créosote, qui se forment pendant la combustion, et qui, en se déposant sur les corps exposés au courant de la fumée, pénètrent leur substance, et par leurs propriétés antiseptiques, leur odeur et leur goût, les mettent en état de résister à la décomposition et à l’abri de l’attaque des insectes. La viande fumée de Hambourg jouit d’une haute réputation, et nulle part on ne la fume aussi bien. C’est le procédé usité dans cette ville et ses environs que nous allons d’abord décrire, en prenant pour guide M. C. marTFeLT qui l’a observé avec soin, et comme étant à la fois le plus convenable et le plus économique. C’est ordinairement parmi les bœufs les plus gras du Jutland et du Holsteiu, parmi ceux qui sont vieux sans être d’un âge trop avancé, qu’on choisit les animaux dont la chair doit être fumée. Ce choix contribue beaucoup au succès du boucanage. On tue les bœufs et en fume la viande dans les derni- ers mois de l’année. La salaison a lieu dans la cave même de la maison. On se sert de sel de bonne qualité, mais qui n’est pas trop fort, car la viande qui a été fumée, recevant ainsi un second préser- vatif contre la putréfaction, n’a pas besoin d’un sel trop énergique qui lui enlève toujours une grande partie de sa saveur. Pour conserver autant que pos- sible une belle couleur rouge à la viande salée, on la saupoudre après cette opération avec une certaine quantité de nitre ; ensuite on la laisse huit ou dix jours dans cet état. Les foyers où l’on produit la fumée sont placés dans les caves où se fait la salaison ; mais la chambre où l’on rassemble cette fumée est au 4e étage ; ces foyers sont au nombre de deux, parce qu’un seul ne serait pas suffisant pour fournir la fumée nécessaire Quand la chambre est complètement remplie de viandes. Les deux tuyaux, ou conduits de chem- inée, se rendent dans cette chambre chacun d’un côté opposé, et débouchent l’un vis-à-vis de l’autre. Au-dessus de celle-ci, il existe une autre chambre faite en planches, laquelle reçoit la fumée par une ouverture pratiquée au plafond de la précédente. Dans la 1re chambre, la fumée est plus que tiède, sans être très chaude ; dans la 2e, elle n’est que tiède et presque froide. Les morceaux de viande salée sont suspendus à une distance de six pouces les uns des autres, rapprochés le plus possible de l’ori- fice des conduits, le côté vif ou saignant de la chair tourné vers cet orifice. À l’aide de bouchons ou de registres, on peut à volonté augmenter ou diminuer le volume de la fumée introduite dans la chambre. On pratique 2 trous au mur, un vis-à-vis de chaque orifice de cheminée, et l’autre au plafond. C’est par ces trous que passe le superflu de la fumée. Cettedispositiontientlafuméeencirculation,etla viande en reçoit de nouvelle à chaque instant, sans que la même, chargée d’humidité ou dénaturée par un trop long séjour, touche pour ainsi dire la viande plus d’une fois. Le plancher supérieur n’est élevé au-dessus de l’inférieur que de 5 pieds 1⁄2, et la gran- deur du local est calculée sur la quantité de viande qu’on veut y boucaner. On entretient la fumée nuit et jour au même degré de chaleur, et l’on calcule le temps que la

CHAP.6e DU BOUCANAGE DES VIANDES 115 viande doit y rester exposée, d’après la grosseur et l’épaisseur des morceaux, en sorte que quelques- uns ont besoin de 5 à 6 semaines, d’autres seule- ment de 4. Les variations de température apportent aussi quelque différence dans la durée de l’opéra- tion ; par exemple, pendant les gelées, la fumée pénètre mieux que dans les temps humides. On fume quelquefois aussi en été, mais ce ne sont que de petites pièces, parce que la fumée les pénétre plus facilement, et quelles n’ont pas besoin d’être suspendues aussi longtemps ; mais alors il faut bien prendre garde que la viande ne devienne aigrelette et ne se gate. Les boudins, les langues, les andouilles et autres petites pièces sont suspendus dans la chambre supérieure, sur des bâtons, par des ficelles qu’on peut enlever en même temps que les morceaux. On les laisse ainsi plus ou moins de temps exposés à la fumée, suivant leurs diverses grosseurs ; ceux d’en- viron 4 à 5 pouces de diamètre ont besoin d’y rester 8 à 10 semaines. La fumée arrive dans cette cham- bre par le trou pratiqué au plafond de la chambre inférieure dont nous avons parlé ; elle s’échappe par 2 ou 3 ouvertures pratiquées dans le toit. Fig. 107. On ne brûle, dans cette opération, que du bois ou des copeaux de chêne ; ce bois doit être très sec et n’avoir jamais contracté de goût de moisi ni d’humidité, parce que la qualité de la fumée à beau- coup d’influence sur l’odeur et le goût de la viande, et que le moindre de ses défauts se communiquerait aux pièces fumées. On ne fait pas usage du hêtre, parce que, assure-t-on, il donne trop de chaleur ; quant aux autres bois, ils ne sont pas en usage à Hambourg. En Espagne et en Italie, on brûle, pour produire la fumée, le tronc, les branches et feuilles des oran- gers et citronniers, ainsi qu’un grand nombre de plantes sèches odorantes, telles que la sauge, le thym, la marjolaine, le romarin, renfermant des huiles essentielles, qui, vaporisées par la chaleur, se déposent sur la viande et lui communiquent une odeur et une saveur agréables. En Allemagne, on ajoute aussi, dans le même but, au chêne, au hêtre sec et au bouleau, qu’on emploie pour produire la fumée, des branches ou des baies de genevrier en petite quantité, des feuilles de laurier, de romarin, etc. Si on voulait se livrer, dans nos établissements Fig. 108.

116 ARTS AGRICOLES : CONSERVATION DES VIANDES LIV. IV. ruraux, à l’industrie du boucanage des viandes sur une échelle étendue, on pourrait construire des chambres différentes des chambres hambourgeoises et mieux appropriées à la célérité des travaux et à la bonnepréparationdesproduits.Lesfig.107et108 (page 115) représentent la coupe d’une construc- tion de ce genre dans 2 sens perpendiculaires l’un à l’autre, et par le centre ; nous allons faire connaître la manière dont on doit disposer et construire ces appareils. Dans un cellier ou dans une cave A de 10 pieds de longueur, 7 de hauteur et 6 de largeur, construite en pierre, ou mieux en briques, et voûtée, est placée, à l’un des angles, une cheminée à man- teau B, dans la quelle on allume le feu qui doit pro- duire la fumée nécessaire au boucanage. On entre danscettecaveparuneporteplacéeaubasdel’es- calier C, qui est en face de la cheminée. Au-dessus de cette cave, et à fleur de terre, s’élève une 2e voûte P de 2 pieds de hauteur, ouverte à ses 2 extrémités, et sous laquelle sont placés 4 tuyaux D D circulaires et en fonte, ou bieu autant de conduits quadrangu- lairesenbriquescimentéesetrevêtues,àl’intérieur, d’un enduit de plâtre, ou simplement réunies par un mortier de terre grasse. Ces tuyaux sont disposés commeonlevoitdanslafig.109,etontchacun10 pieds de longueur. À chacune des extrémités où les tuyaux de fonte se réunissent, ils sont fermés par des Fig. 109. tampons à vis qu’on enlève à volonté pour pouvoir nettoyer l’intérieur et les débarrasser de la suit qui les obstrue. Si les tuyaux sont en briques, en plâ- tre ou en ciment, on ménage à ces extrémités des portes qu’on peut ouvrir à volonté pour procéder au nettoyage. D’après cette disposition, on voit que la fumée qui s’est formée dans la cheminée R s’élève sous le manteau qui perce la voûte de la cave, puis entreenE(fig.109)danslestuyauxD,lespar- court dans le sens des flèches, et que parvenue à l’extrémité, elle s’élève verticalement dans le tuyau G, qui perce à son tour la 2e voûte, et pénètre enfin dans la chambre placée au-dessus, après avoir passé à travers un tambour H revêtu d’un canevas de toile qui règne dans toute la largeur de la chambre, et est de toute la hauteur du 1er étage. Là, elle se sépare des parties grossières qu’elle aurait pu entraîner dans son cours Cette fumée a donc parcouru envi- ron un espace de 50 pieds avant d’être admise dans la chambre, et n’arrive dans celle-ci que beaucoup refroidie et à l’état tiède, comme l’exige la bonne préparation des viandes. Cette chambre I I est con- struite en planches bien jointes et à recouvrement, ou, ce qui vaut mieux, en briques cimentées avec de l’argile ; elle est voûtée dans ce dernier cas, et con- solidée par des liens en fer et des cercles boulonnés placés à l’extérieur. On peut lui donner pour dimensions 10 pieds de hauteur sous clé, autant de longueur, et 6 pieds de largeur. Dans l’intérieur d’une pareille chambre, on peut fumer 4 à 5 000 kilog. de viande en une seule fois. Celle chambre est divisée dans sa hauteur en 3 étages inégaux, par 2 planchers ou dia- phragmes L et M. Le 1er étage, ou l’inférieur, peut avoir 4 pieds de hauteur, le 2e ou celui du milieu, 3 1⁄2 pieds, et le supérieur 2 1⁄2. Les diaphragmes sont des planchers mobiles reposant sur des tring- les fixées dans les parois de la chambre, et ils sont composés,commeonlevoitdanslafig.110,d’une série de planches bien jointes et réunie, à rainure et languette. Ils peuvent être enlevés à volonté pour faciliter le chargement de la chambre, puis rétab- lis à mesure que les pièces à boucaner sont suspen- dues à leur place. Ces planchers ne s’étendent pas surtoutelalongueurdelachambre(fig.108).Le premier L n’a guère que 8 pieds de longueur, et laisse par conséquent à l’opposé du tambour H, par oùs’introduitlafumée,uneouverturede2pieds sur toute la largeur de la chambre. Le 2e plancher à la même longueur que le 1er ; mais l’ouverture qu’il laisse dans la chambre est placée à l’extrémité opposée de celle du premier, disposition faite pour faciliter la circulation de la fumée. En effet, celle-ci, en s’échappant des mailles du canevas H, se répand dans l’étage inférieur qu’elle parcourt en entier en touchant et enveloppant toutes les pièces de viande qu’il renferme ; parvenu au bout de la chambre, elle s’élève par l’ouverture que laisse le plancher L, par- court la longueur du 2e étage, monte par l’ouverture du 2e plancher M, se répand de même dans le 3e étage, et s’échappe enfin par la cheminée N placée sur la voûle de la chambre, à l’opposé de l’ouver- ture du 2e plancher. Cette cheminée, qui peut être double, est munie d’une trappe O, qu’on ouvre ou qu’on ferme au degré voulu, au moyen d’une corde munie d’un anneau qu’on accroche à des clous fichés dans le mur, soit pour favoriser le tirage, soit pourfaireséjournerpluslongtempslafuméesurles viandes. Le 1er étage est destiné à recevoir les plus grosses pièces, telles que les jambons, les gros gigots, les pièces de bœuf de forte dimension, etc. ; on peut en placer 2 rangs au moyen de tringles en bois, glis- sant à volonté de part et d’autre sur des liteaux qui régnent à diverses hauteurs sur les parois les plus longues de la chambre. Les pièces sont suspendues à ces tringles par des ficelles ou par de forts cro- chets en fil de fer étamé. Le 2 étages a également 2 rangs qui sont composés de petits gigots, de jam- bonneaux, d’oies, de langues et de petites pièces de bœuf. Quand au 3e étage, il est composé de 3 rangs chargés, en commençant par le rang le plus bas et en montant jusqu’au plus élevé, de gros saucissons, d’andouilles, de boudins, de cervelas, de saucisses, etc. On voit que la grosseur des pièces diminue régulièrement à mesure qu’on s’élève dans la cham- Fig. 119.

CHAP.6e DU BOUCANAGE DES VIANDES 117 bre, ou plutôt à mesure que la fumée se refroidit et contient une moindre quantité de principes actifs. Le chargement de cette chambre est très facile. En effet, on entre par la porte placée sur la petite face opposée au tambour H, on monte sur le plancher L, on démonte le plancher M et on fait glisser toutes les tringles derrière soi. On commence alors à sus- pendre les petites pièces dans l’étage supérieur, en commençant sous la cheminée N, en reculant suc- cessivement, et replaçant les planches à mesure qu’on recule. Ceci terminé, on descend et on démonte le plancher L, puis on charge simultané- ment le 2e et le ler étages, en replaçant peu à peu ce dernier plancher, et reculant jusqu’à la porte qu’on ferme enfin et qu’on enduit de terre grasse sur les fissures quand tout est bien rempli. Le décharge- ment de la chambre se fait par une manœuvre con- traire et en enlevant, dans un ordre inverse, toutes les viandes fumées contenues dans la chambre. La porte dont nous avons parlé est une ouverture qui règne sur toute la hauteur de cette chambre, mais qui est fermée par plusieurs trappes à coulisse s’ou- vrant à différentes hauteurs. Il est utile de ménager, dans les parois de la chambre, et à chaque étage, des ouvertures qu’on ferme ensuite avec des châssis à vitres mobiles, bien joints, soit pour voir ce qui se passe dans l’intérieur, soit pour l’aérer au besoin. Une pareille ouverture sera aussi pratiquée près du tambour en canevas H, pour pouvoir, de temps à autre, le battre avec une baguette, et empêcher que la suie déposée n’obstrue ses mailles et ne fasse refluer la fumée. Une soupape P, placée sur le tuyau vertical G, sert à régler la quantité de fumée dont on a besoin, et des thermomètres suspendus à l’in- térieur devant les fenêtres servent à déterminer la température aux différentes hauteurs de la cham- bre. Si la cheminée placée dans le cellier n’était pas assez grande, on pourrait en construire une de toute la largeur de cette pièce, on en établir 2 avec une double série de tuyaux conducteurs de la fumée, comme dans les chambres hambourgeoises. Dans les fermes et dans les ménages, quand on n’a qu’une petite quantité de lard ou de viande à fumer, on peut, ainsi que cela se pratique presque partout, les suspendre dans la cheminée ; alors il est avantageux d’envelopper les pièces à fumer dans de la toile, ou bien de les rouler préalablement dans de la farine ou du son, pour empêcher les portions les plus grossières de la fumée de se déposer sur les viandes, et ne permettre qu’aux plus subtiles, de les pénétrer. Donnons encore ici quelques notions utiles pour fumer les viandes. On préférera pour les jambons qui doivent être fumés, ceux des porcs engraissés avec des glands, des pois, des fèves, des haricots, du maïs et autres grains. La chair des cochons nourris avec des rési- dus de distilleries, de brasseries ou des herbages, est moins propre à être boucanée. Il faut, avant d’ex- poser les pièces dans la chambre ou la cheminée, les frotter fortement avec un mélange de 8 parties de sel à gros grains et sec et une de nitre, bien pul- vérisées et mêlées avec soin. On les entasse ensuite dans un tonneau, où on les laisse 8 à 10 jours, au bout desquels ou les en retire pour les faire plonger autant de temps dans une saumure, à laquelle on ajoute quelques feuilles de laurier. Ainsi préparés, on les retire et on les fait sécher en les exposant deux jours à l’air, puis on les soumet au boucanage, qui est terminé au bout de quelques jours si on agit dans une chambre. On peut de la même manière préparer et fumer les morceaux de lard, les gigots de mouton, et même de la viande de veau. En Angleterre on fait souvent usage du procédé ci-après. On met les pièces de cochon, les gigots de mouton, le bœuf ou les langues tremper pendant toute une nuit dans une dissolution de sel dans l’eau pour en extraire le sang et les parties soluble. On les en retire ensuite pour les faire égoutter et les frotter chaque jour pendant une semaine, avec un mélange fait dans la proportion de 10 parties de sel et 1 de salpêtre. Au bout de ce temps, ils ont donné une quantité de saumure suffisante pour couvrir la moitié de ce qui est salé. On ajoute à cette saumure, en supposant qu’on opère sur 24 jambons, 1⁄4 de livre de sel ammoniac, réduit en poudre très fine, et une livre de belle moscouade. On incorpore avec la saumure et, après quelques minutes de battage, on verse celle-ci sur les jambons qu’on retourne 7 à 8 fois, à 2 jours de distance. Après cette époque on les enlève, on les lave et on les pend dans un endroit sec pendant une semaine. Alors on les transporte dans la chambre à fumer ou dans la cheminée, où on fait un feu de bois de chêne que l’on recouvre aux 3⁄4 de sciure et de feuilles de genièvre mêlées ensemble et humectées d’eau. On laisse les pièces exposées à l’action de la fumée de 1 à 8 jours, au bout des- quels on les retire et on les soumet à l’action d’une température modérée et à un courant d’air. Lor- squ’elles sont desséchées, on les emballe dans des caisses, en mettant une couche de sel au fond, puis une couche de jambons et une couche de sel de 3 pouces d’épaisseur, et ainsi de suite jusqu’à ce que les caisses soient remplies. C’est par ces procédés tout à fait analogues qu’on peut fumer les oiseaux de basse-cour, surtout les oies Après les avoir vidées et nettoyées soigneusement, on les sale, soit en coupant la carcasse en 2 portions, soit en la conservant entière, en ayant soin, dans ce dernier cas, de la frotter de sel aussi bien à l’in- térieur qu’à l’extérieur. On plonge ensuite les oies, ainsi préparées, dans la saumure pendant le temps convenable, puis on les fait égoutter et sécher, et on les suspend dans la chambre, enveloppées d’une toile. Elles sont entièrement fumées en 6 ou 8 jours, au bout desquels on les expose pendant quelques jours à l’air libre, puis on les frotte avec du soin, et on les conserve dans un lieu sec et frais. Les mêmes moyens réussissent fort bieu pour fumer les boudins, les andouilles et les saucisses, etc. ; seulement, en les enveloppant d’un linge, on leur donne un goût plus fin et une plus belle apparence. Les poissons, après avoir été salés, peuvent

118 ARTS AGRICOLES : CONSERVATION DES VIANDES LIV. IV. également être fumés. Les saumons et les anguilles doivent être coupés par tronçons, ce qui n’est pas nécessaire pour les autres poissons. Le temps du boucanage dépend de la grosseur ; il varie depuis 3 ou 4 jours jusqu’à 3 ou 4 semaines. On sait que les harengs fumés, dits harengs-saures, ne sont autre chose que ces poissons passés à la saumure, puis exposés dans des cheminées pendant 24 heures à la fumée d’un feu de menu bois. Un boucanage lent et prolongé, une combustion peu active avec un dégagement modéré de fumée, sont préférables à une fumée abondante et un fum- age rapide, parce que, dans le 1er cas, les princi- pes empyreumatiques ont le temps de pénétrer la viande avant qu’elle soit sèche. On peut empêcher la suie de s’attacher à la viande en enveloppant les pièces avec des torchons, ou en les roulant et les enduisant dans du son, qu’on enlève après l’opéra- tion. seCTion iii. — Autres moyens de conserver les viandes. Lorsqu’on prépare le charbon de bois en vases clos, c’est-à-dire en soumettant du bois renfermé dans des vases de métal, à l’action du feu, et en recueillant les produits de la distillation, ainsi que nous l’indiquons plus loin, on obtient un produit liquide qu’on a nommé acide pyroligneux et qui est en grande partie composé d’acide acétique, d’hu- iles empyreumatiques et de goudron. Cet acide, surtout par la créosote qu’il contient, possède à un haut degré des propriétés antiseptiques, et est par conséquent éminemment propre à conserver les substances animales. De la viande plongée pendant quelque temps dans l’acide pyroligneux et séchée à l’air libre, ne manifeste plus de tendance à se pour- rir ; elle perd en partie, au bout de quelques jours, l’odeur des huiles empyreumatiques et ressemble à de la chair boucanée ; seulement elle se dessèche davantage, gonfle moins à la cuisson et est moins tendre. M.sanson a proposé d’apprêter en peu de moments la viande qu’on veut conserver, en la plongeant dans une saumure faite avec de la suie brillante, qu’on peut recueillir près du foyer. Les essais qui ont eu lieu à Munich, en 1824, ont con- staté, en effet, qu’un jambon de 8 livres dont la préparation avait duré seulement 8 heures, ouvert au bout de 1 1⁄2 mois, avait été trouvé parfaitement conservé. La saumure se fait en délayant une par- tie de fumée dans 6 parties d’eau froide. Quelques minutes seulement, d’après ce procédé, suffisent pour préparer les petites pièces, telles que langues, saucisses, etc. Il paraît aussi qu’on a par là l’avan- tage sur la fumigation ordinaire de mieux conserver le poids, le volume et le suc des viandes, et de pou- voir faire cette sorte de préparation dans toutes les saisons de l’année ; mais on ne peut nier que par ce moyen de conservation la viande n’acquière une amertume et une âcreté auxquelles il est difficile de s’accoutumer, et qui, même d’après les découvertes de la chimie moderne, pourraient bien avoir une influence dangereuse sur la santé, si on consommait en grande quantité les viandes ainsi préparées. On peut avantageusement employer la dessic- cation à la conservation des viandes, et des essais de cette nature, pour rendre la viande des ani- maux propre à servir aux approvisionnements de la marine et de l’armée, avaient été tentés depuis longtemps ; mais un des procédés les plus simples en ce genre est celui proposé par M. FriChou, et qui consiste à soumettre les viandes à la dessiccation au moyen d’un courant d’air, élevé à une tempéra- ture de 20° à 25°, qui leur enlève l’eau qu’elles con- tiennent. La partie principale de l’appareil que M. FriChou a proposé pour dessécher les viandes, est un conduit horizontal ayant intérieurement 1 m 20 de hauteur, 0m80delargeet10à12mèt.delong.Auplafond, on place une suite de tringles de fer glissant dans des coulisses et portant des crochets pour suspendre les viandes. Celles-ci entrent par une extrémité et sortent par l’autre, en traversant l’appareil dans toute sa longueur, de sorte que l’opération est continue ; les ouvertures sont hermétiquement fermées par des portes. À la partie antérieure on fait arriver un courant d’air au moyen d’un ventilateur ordinaire ou de toute autre machine soufflante ; cet air s’échappe du côté opposé par un tuyau vertical. On porte sa température au degré convenable en le forçant de traverser des tuyaux chauffés par un fourneau extérieur, et on peut augmenter sa puissance siccative, avant d’élever sa température, en le faisant passer dans un espace peu élevé sur du chlorure de calcium (muriate de chaux). Le conduit est construit en briques ou en bois ; les tuyaux à air sont en fonte. Un appareil de ce genre desséchera dans 24 heures, et à peu de frais, un quintal de viande. Les viandes ainsi desséchées doivent être soumises à une pression considérable pour leur faire occuper un plus petit volume ; ensuite on les emballe dans des caisses qu’on peut recouvrir à l’intérieur d’un enduit de charbon. Préparées de cette manière, les viandes de bœuf paraissent bien se conserver ; elles sont compactes, même un peu sonores ; la couleur est noirâtre à la surface et rouge à l’intérieur ; en cet état elles fournissent un aliment très substantiel dont la saveur rappelle celle des saucissons crus. Cuites dans l’eau, elles reprennent seulement une partie de leur volume, et ne diffèrent du bouilli ordinaire qu’en ce qu’elles sont un peu filamenteuses et que la saveur n’en est pas aussi agréable que celle de la viande fraîche. Le bouillon, assure l’inventeur, diffère peu de celui de la viande ordinaire de bœuf, et a presque toute son odeur et sa saveur. Depuis longtemps la Société d’encouragement de Paris avait proposé un prix pour la découverte d’un moyen de conservation des viandes qui tout en desséchant ces substances convenablement, leur permît de reprendre par la coction dans l’eau une souplesse et une saveur analogues à celles du bouilli de ménage, de donner un bouillon sain et agréable,

CHAP.6e AUTRES MOYENS DE CONSERVER LES VIANDES 119 et d’offrir sous toutes les latitudes une nourriture substantielle aux marins. Un grand nombre de concurrents se sont présentés, mais aucun d’eux n’a rempli les conditions du problème, surtout celles relatives au renflement et à la saveur agréable de la chair. Un des concurrents, M. deCheneaux, professeur de chimie à Sorèze, a eu l’idée de faire sécher les pieds de veau, qui se sont parfaitement conservés, et qui, employés sur mer dans les pays les plus chauds du globe, ont donné d’aussi bons résultats que des pieds de veau frais. Ce qui prouve que la conservation des substances gélatineuses offre beaucoup moins de difficulté que celle de la viande ou chair musculaire. M. murLoye a aussi adressé des viandes qui se sont assez bien conservées dans les hautes latitudes, et qui fourni par la cuisson un bouillon limpide de couleur brune, d’un goût assez agréable, mais différant sensiblement de celui du bœuf frais ; la viande bouillie était sèche et dure, se détachant en longs filaments presque sans saveur. Son procédé consiste à saisir la viande par de l’eau bouillante, dans laquelle on la plonge ; puis, après l’avoir laissée se ressuyer, à la plonger dans du vinaigre affaibli bouillant ; et ensuite à la laisser sécher à l’air sans autre précaution. Il paraît que par ce moyen on conserve surtout parfaitement les parties grasses des viandes, qui restent blanches et sans altération. Une des plus grandes difficultés qu’ont rencontrées jusqu’ici ceux qui ont préparé des viandes pour les marins, a été de préserver ces substances desséchées de la moisissure et de la piqûre des insectes. M. derosne à cette occasion s’est livré à quelques essais qui lui ont permis de remédier facilement à cet inconvénient en renfermant les viandes sèches dans un milieu qui ne permettrait pas aux larves des insectes de vivre, et qui absorberait lui-même l’humidité qui pourrait se trouver dans le peu d’air existant lors de la fermeture des boîtes de métal ou de bois bien sec et verni à l’intérieur, dans lesquelles on renfermerait ces viandes, ou même celle qui pourrait encore être renfermée dans ces viandes incomplètement desséchées. Le corps ou milieu dont il a fait choix et qu’on avait déjà maintes fois appliqué à cet usage, est le charbon très divisé, soit pur, soit combiné avec des substances terreuses, tel qu’on le trouve dans le noir animal ordinaire, dans les noirs schisteux de Menat et dans les noirs terreux faits artificiellement. Les expériences ont été faites avec du noir schisteux de Menat, qui, par ses propriétés absorbantes, paraît plus propre à cet objet que le noir animal ou le charbon végétal réduits en poudre. Des viandes ont été complètement séchées sans l’emploi de la chaleur, en les mettant simplement en contact avec du noir de Menat très sec et réduit en poudre impalpable. On s’est borné à renouveler les couches charbonneuses au fur et à mesure que dans les 1ers jours elles se trouvaient saturées d’humidité. Par ce procédé simple on a amené facilement à l’état complètement sec des viandes qui contenaient à l’état naturel 62 à 63 p. % d’humidité, et on les a rendues aussi sonores que du bois. Conservées dans cette même poudre de charbon, ces viandes au bout de 18 mois n’offraient pas la moindre trace de moisissure ou de piqûre de vers, et elles ont fourni par décoction dans l’eau un bouillon d’une saveur agréable, mais participant de la saveur du bouillon fait avec le petit salé ou la viande rôtie. Il est constant, d’après les efforts qui ont été faits jusqu’ici, que l’on peut parvenir à conserver les viandes sans le secours de la salaison et du boucanage, en les faisant dessécher par divers moyens, mais qu’il est très difficile de conserver à la chair desséchée une proportion d’eau telle et tellement répartie que l’on puisse en obtenir des mets aussi agréables et aussi tendres qu’avant la dessiccation. Toutefois, notre savant collaborateur, M. payen, a pensé qu’il était possible de procurer, avec de la viande sèche, aux gens des campagnes, aux soldats et aux marins, du bouillon de viande avec la saveur toute spéciale qui le rend si agréable au goût, ainsi qu’avec toutes ses autres propriétés utiles. Voici les expériences sur lesquelles sont fondées ces prévisions, et qui pourraient mettre sur la voie pour la découverte d’un procédé usuel et pratique. Si l’on soumet la chair musculaire d’un animal récemment abattu à une élévation brusque de température, au moyen d’un corps qui, comme l’eau, a une grande capacité pour la chaleur, on fait gonfler et rompre un très grand nombre de cellules qui contiennent les sucs de la viande : celle-ci peut alors laisser écouler, sous l’influence d’une forte pression, plus des 8/10 du liquide qu’elle renferme. Si l’on fait alors dessécher ces sucs par un courant d’air chauffé de 50 à 60 degrés, puis qu’on renferme le produit dans des flacons bien secs, on les conservera pendant plusieurs années sans craindre les variations atmosphériques. Comme la température, pendant la préparation de ces sucs, n’aura pas été élevée au point de développer ni d’enlever le principe aromatique, celui-ci se produira lorsqu’on dissoudra et fera chauffer à 100 degrés la substance sèche conservée. Un à 2 centièmes suffiront pour donner à l’eau la saveur et les qualités du bouillon. Le résidu de chair musculaire pressé sera desséché avec la plus grande facilité dans une étuve à courant d’air chaud, et donnera de son côté, employé en quantité suffisante, un bouillon fort agréable ; mais la viande cuite ainsi aura conservé trop de cohésion et perdu trop de sucs sapides pour être aussi tendre et d’un goût aussi agréable que le bouilli ordinaire. Il ne nous reste plus qu’à parler du procédé de M.apperT, appliqué à la conservation des substances animales, et dont plusieurs années d’expériences et d’essais ont suffisamment constaté l’efficacité. Tout le monde connaît ce procédé, qui consiste : 1° à renfermer dans des bouteilles ou bocaux, et dans des boîtes de fer-blanc ou de fer battu, les substances que l’on veut conserver; 2° à boucher ou souder ces différents vases avec la plus grande précision, opération d’où dépend surtout le succès ; 3° à soumettre ces substances,

120 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. ainsi renfermées, à l’action de l’eau bouillante d’un bain-marie, pendant plus ou moins de temps, selon leur nature ; 4° à retirer les bouteilles ou boîes du bain-marie au temps prescrit pour chacune des substances. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails sur la nature des bouteilles et des bocaux, sur les bouchons, le bouchage, le ficelage, le lut et la confection des boîtes ; ni sur la construction du bain-marie et la manière de l’appliquer aux bouteilles ou boîtes qui renferment les diverses substances alimentaires ; nous renvoyons, pour avoir des renseignements étendus sur cette matière, à l’ouvrage que M. apperT a publié lui-même sous ce litre : Le livre de tous les ménages, ou l’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales, en regrettant seulement que ce procédé ingénieux, pratiqué un peu en grand, ne soit pas d’une exécution plus facile et d’une application plus économique. F. M.

CHAPITRE VII. — éduCaTion des vers à soie.

seCTion ire. — Histoire naturelle du ver à soie. § ier. — Description du papillon, de la chenille et de la chrysalide du ver à soie. Le papillon que produit le ver à soie appartient à une famille très nombreuse, désignée, par les ento- mologistes, sous les noms de Bombycite ou Bonib- yciens. Il fait partie du genre Bombyx proprement dit, et il a été distingué sous le nom de Bombyx mori, Bombyx à soie. L’insecte parfait ou le papillon dont lafig.111A.représentelemâleetlafig.112Bla femelle, est reconnaissable aux caractères suivants : antennes pectinées, moins dans les femelles que dans les mâles, d’un brun plus ou moins clair ; ailes blanches avec quelques ligues transversales brunes, les supérieures débordées par les inférieures dans le repos, et recourbées en faucille, surtout dans le mâle. Fig. 111 A, 112 B et 133. Lachenille(fig.113)quel’onnommevulgaire- ment ver à soie, est pourvue de poils et d’une couleur noirâtre en sortant de l’œuf ; mais elle devient successivement lisse et de plus en plus blanchâtre à mesure qu’elle subit les changements de peau et qu’elle se rapproche du moment où elle devra filer sa coque pour se métamorphoser. C’est dans cet état qu’elle est représentée de profil dans notre figure. La chrysalide n’offre rien de remarquable, elle retrace les formes des principales parties extérieures du papillon. D’abord d’un jaune pâle, elle se colore de plus en plus en jaune brunâtre lorsqu’arrive l’époque de la sortie ou de l’éclosion du papillon. Au reste, les caractères extérieurs du Bombyx mori à ses divers états de chenille, de chrysalide et d’in- secte parfait, sont trop généralement connus pour qu’il soit nécessaire d’insister sur leur, description. Peut-être trouvera-t-on plus convenable que nous nous étendions davantage sur les particularités que présente son organisation intérieure. C’est, au reste, un point qui a été négligé par les nombreux auteurs qui ont écrit sur l’éducation des vers à soie. § ii. — Anatomie du ver à soie. L’anatomie du Bombyx à soie, tant à son état delarvequ’àceluid’insecteparfait,estassezbien connue, grâce aux travaux de quelques naturalistes anciens, parmi lesquels on doit surtout distinguer maLpighi, à cause de l’exactitude et de la délicatesse de ses dissections. Nous tâcherons de faire connaî- tre cette structure, en lui empruntant les principaux détails que nous allons donner. Occupons-nous d’abord de l’organisation intérieure de la chenille, nous passerons ensuite à l’étude de quelques organes spécialement propres au papillon.

Quand on ouvre

une chenille de Bombyx mori, et ces dissections doivent toujours être faites dans l’eau, de telle sorte que ce liquide recouvre entièrement l’objet dont on pour- suit l’étude ; quand on ouvre disons- nous,unechenillede Bombyx mori, on voit que sa peau, composée de plusieurs couches, est tapissée intérieure- ment de divers mus- cles qui, les uns droits, les autres obliques en sens inverses, sont destinés à imprimer aux anneaux du corps les mouvements variés qu’ils exécutent. Des petits muscles spéciaux se fixent aux pattes proprement dites, et à ces autres pattes en cou- ronne pourvues de petits crochets, à l’aide desquels la chenille s’accroche et se tient fixée sur les feuilles dont elle se nourrit, ou sur tout autre corps étranger. Fig. 114. Fig. 115.

CHAP.7e HISTOIRE NATURELLE DES VERS À SOIE 121 Soncanalintestinal(fig.114)estuntubedroitqui débute par un œsophage court a ; vient ensuite le ventricule chylifique b, dont les parois sont garnies antérieurementdefibresmusculairestransversales très nombreuses, parmi lesquelles on en remarqué deux longitudinales cc, qui semblent brider les autres. Il reçoit de nombreuses trachées dont quelques-unes sont indiquées en d ; postérieure- mentilserétrécitene,etlàcommencel’intestinf, qui est court. Un nouvel étranglement existe en g et indique l’origine du cœcum h. L’intestin reçoit, à l’endroit où se termine le ven- tricule, l’insertion ii de petits vaisseaux variqueux repliés un grand nombre de fois sur eux-mêmes, et que les anatomistes modernes ont désignés sous le nom de vaisseaux biliaires. Ils semblent se prolonger sur l’intestin, car les petits canaux qui forment à sa surface de nombreuses circonvolutions, sont, à ce qu’il paraît, la continuation de ces vaisseaux bili- aires. Toutefois maLpighi n’a pu s’assurer positive- ment de cette continuation. Un des organes dont la structure doit piquer davantage la curiosité est sans contredit celui qui produit la soie. La chenille du Bombyx mori est pourvue d’une filière qui s’aperçoit en arrière de la bouche ; c’est par son extrémité que sort, sous forme de très petite gouttelette, le liquide soyeux qui aussitôt se solidifie et forme le fil de soie dont est formé le cocon. À cette filière aboutissent deux organes intérieurs(fig.115),qui,réunisenunseulàl’ex- trémité de la filière, se montrent bientôt isolément. Ce sont des tubes ou canaux rétrécis en avant aa et en arrière b, renllés dans leur milieu c, repliés sur eux-mêmes, et dont les parois sécrètent la liqueur soyeuse. Ces organes sécréteurs sont d’autant plus développés que la chenille est plus âgee, et ils ont atteint leur complète turgescence au moment ou elle commence à construire son cocon. La respiration du ver à soie a lieu à l’aide de trachées élastiques, toujours béantes, qui ont la plus grande analogie de structure avec celles qu’on remarque dans la plupart des chenilles. Elles prennent leur originedechaquecôtéducorps(fig.113aa)aux stigmates qui manquent au 2e et au 3e anneau. Ces ouvertures ont une composition particulière qu’on reconnaît en grossissant l’une d’elles au microscope Fig. 116. (fig.116).Uncerclecornéaaenconstitueletour, et l’orifice proprement dit est réduit à une fente lon- gitudinale B, très étroite, bordée de petites lanières membraneuses c ; le but de cette structure est facile à saisir. L’air entrant dans le corps par ces ouvertures, il était nécessaire qu’aucune substance étrangère ne pûtypénétrerenmêmetemps;lesespècesdecilsc que l’on remarque ont pour fonction de s’opposer à cette introduction. Le tronc des vaisseaux trachéens (fig.117),quipartàl’intérieurdechaquestigmate, est très court a a ; bientôt il donne naissance à un vaisseau longitudinal bbbbb qui s’abouche à un vaisseau semblable, fourni par le tronc de la trachée contiguë. Mais, indépendam- ment de ces deux espèces de tiges arborescentes qui régnent de chaque côté dans toute la longueur du corps, et qui com- muniquent entre elles en avant et en arrière, chaque petit tronc qui part directement du stig- mate fournit immédiate- ment des ramuscules, dont les uns c c c vont se distribuer aux muscles, les autres d d aux viscères, et un assez grand nombre e e au vaisseau dorsal ou cœur. La circulation est nulle, comme cela a lieu, au reste, chez tous les insectes ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de système artériel, et encore moins de système veineuxcomplet,parconséquentaucunetrace d’artère ou de veine. maLpighi croit bien avoir aperçu quelques vaisseaux, mais il ne les a pas vus partir du cœur. Ce cœur, ou plutôt ce vaisseau dor- sal, qui s’étend de la tête à l’anus et qui occupe la ligne moyenne du corps, est placé immédiatement sous la peau ; ses mouvements de systole et de dyas- tole s’aperçoivent très bien à travers les téguments ; ils ont lieu d’arrière en avant, et les contractions se faisant successivement sur certains points de sa lon- gueur, il en résulte une série d’étranglements qui circonscrivent autant de loges distinctes ; maLpighi pense que celles-ci sont en même nombre que les anneauxducorps,oudumoinsquechaquepaire de stigmates. On a représenté ici deux de ces sortes de loges formées par les étranglements du cœur (fig.117ff). Le vaisseau dorsal est entouré, ainsi que les autres viscères, d’un tissu membraneux, formé par de nombreux globules, et qui n’est autre chose que le tissu graisseux, très abondant chez toutes les larves ; il sert à la nutrition des organes qui devront se dével- opper durant les métamorphoses de l’animal. Le système nerveux n’offre rien de bien particu- lier ; il se compose, comme dans tous les animaux articulés, d’une série de ganglions appliqués immédi- atement contre la paroi du ventre, au-dessous du systèmedigestif.maLpighiacompté10decesgan- glions ; et en y comprenant, comme il le fait, le gan- glion cérébral ou sud-œsophagien, et deux bulles qui se voient en arrière des yeux, le nombre total serait de 13. Quant au papillon, il mérite surtout d’être étudié Fig. 117.

122 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. Fig. 118. sous le rapport de la génération, les organes repro- ducteurs n’existant avec tout leur développement et ne pouvant fonctionner que dans ce dernier état qu’on nomme l’état parfait. LesorganesgénérateursduBombyxmorimâle(f ig.118) secomposentextérieurementdediversespiècescop- ulatrices a a b c d, au milieu desquelles se voit l’anus e, etpostérieurementlepénisf.Àl’intérieur,ilexiste deux testicules gg, où sortes de petites poches ayant chacun un canal déférent h h, se joignant entre eux et se réunissant dans leur trajet à deux vésicules sémi- essentielles. Les 2 ovaires se composent chacun de tubes alongés a a, fixés à leur sommet par une sorte de lanière quadrifide b b. À leur base, ces tubes se réunissent d’abord entre eux, puis à ceux du côté opposé, pour former un canal commun c c qui abou- tit à l’ouverture anale. Ce canal commun est l’ovi- ducte, dont l’étude, trè simple en elle-même, se com- plique un peu par la présence de certains organes qui s’insèrent sur son trajet. Le premier de ces organes est formé par la réunion de trois vésicules d d d dont l’une se prolonge en des espèces de tubes ramifiés. Les vésicules aboutissent à un canal com- mun e qui s’ouvre dans l’oviducte c près de son orig- ine. Cet organe paraît destiné à verser dans ce con- duit un liquide particulier. Le second appareil est d’une plus grande importance : il se compose d’une grosse vésicule f pourvue de deux canaux étroits : l’ungseterminedansl’oviducte;lesecondhabou- titàl’ouverturevulvairefquenousavonsdéjàfait connaître en parlant de la structure des parties extérieuresdelafemelle(fig.119C).Cettepoche renferme un corps semi-concret et transparent. Enfin, on remarque deux vésicules k k placées trans- versalement sur l’oviducte, grosses, terminées par des digitations et s’ouvrant dans ce conduit par un canal l très court. Ces deux vésicules, qui commu- niquent entre elles, sont remplies d’un liquide qui s’écoule dans l’oviducte lorsqu’on les comprime. L’usage de ces derniers organes, ainsi que celui des vésicules d d d, dont nous avons déjà parlé, paraît être de fournir quelque liquide propre à lubréfier les œufs ou à se mélanger avec la liqueur séminale ; mais la vésicule f, située entre celles-ci, a un rôle bienplusimportantàremplir:ellereçoitimmédi- atement la liqueur fécondante du mâle, qui, dans l’acte de la copulation, introduit son pénis par l’ou- verture i, que nous avons indiquée et qui correspond àlafentedelafig.119;puisensuitel’organemâle pénètredanslavésiculefparlecanalh;plustard, c’est-à-dire lors de la ponte, cette liqueur, convena- blement élaborée, s’écoule par le canal g et féconde les œufs à mesure qu’ils passent dans l’oviducte c, devant l’orifice de ce canal. J’ai retrouvé un fait analogue dans un grand nombre d’insectes, et c’est à cause de ces fonctions que j’ai nommé cette poche vésicule copulatrice. Nous renvoyons sur ce point à nos différents travaux. Nous pourrions nous étendre davantage sur l’or- ganisation des Bombyx, en compulsant quelques écrits postérieurs à ceux de maLpighi, tels que le mémoire de BiBiena publié en 1767, quelques obser- vations sur le système nerveux, par sir everard home ; mais nous n’ajouterions pas des faits très importants à ceux que nous venons de faire con- naître. § iii. — Espèces diverse de ver à soie. Outre l’espèce dont il vient d’être question, le genre Bombyx en renferme plusieurs autres qui filent également des coques ; mais ces coques sont imparfaites et d’une soie trop grossière pour qu’on

Fig. 119.

nales i i et au canal éjac- ulateur commun k assez long. Un bord grêle et se renflant insensible- ment, aboutit à la base du pénis. Les organes généra- teurs femelles présen- tent extérieurement (fig.119) une compo- sition assez remarqua- ble. Du dernier anneau du corps A, on fait sor- tirparlapressionune

masse membraneuse dans laquelle on aperçoit inférieurement un corps en demi-lune semi-corné B, au milieu duquel est la fente de la vulve C ; plus loin on remarque l’anus D, entouré de tubercu- les charnus ee, FF; intérieurement (fig.120), on observe la structure très remarquable des parties

Fig. 120.

CHAP.7e HISTOIRE NATURELLE DES VERS À SOIE 123 ait pu jusqu’ici en tirer parti ; cependant il faut en excepter deux espèces qui, au Bengale et dans les contrées voisines, fournissent une soie très recher- chée, dont on fait un très grand usage, et qui mérite, à cause de cela, que nous en parlions, parce qu’il serait peut-être avantageux et possible de les trans- porter en Europe et de les y acclimater. Ces deux espèces sont les Bombyx mylitta et cynthia. Le Bombyx mylitte (Bombyx mylitta de FaBriCius, ou la Phalena paphia de Cramer (1), est un papillon ( fig. 121) d’une grande taille qui égale celle de notre Bombyx grand-paon. Il est jaune ou quelquefois d’un jaune fauve ; une bande d’un gris bleuâtre se remarque sur le dos du Fig. 121. corselet, et s’étend le long du bord antérieur des ailes supérieures ; celles-ci, dont le bord externe est très échancré dans les mâles, présente deux raies transversales roussâtres, et une raie blanchâtre vers le bord postérieur ; leur milieu est occupé par une tache en forme d’œil oval, dont le centre est coupé par une ligne roussâtre ; les ailes postérieures sont arrondies et presque semblables, pour les couleurs, aux antérieures. La chenille ( fig. 122 a) a quelque rapport avec celle de notre Bombyx grand-paon ; son corps est vert avec de petits tubercules poilus : une raie jaune, qui commence au 3e anneau et se continue jusqu’au dernier, se remarque de chaque côté de son corps ; la tête et les pattes sont rouges. Cette chenille vitsur Fig. 122. le Rhamnus jujuba (Byer des Indous), dont elle mange les feuilles. Elle se nourrit aussi du Terminaha alata glabra roxB. ou posseem des Indous. Arrivée au terme de sa croissance, elle se file une coque b à fils très ser- rés, d’une couleur brunâtre, d’une forme alongée et obtus aux deux bouts ; au bout supérieur, les fils se continuent et s’accollent entre eux pour former une véritable tige ou pédicule, très consistant, élastique, et qui est fixé à un rameau de la plante au moyen d’un véritable anneau qui l’embrasse exactement. On retire de cette coque une soie brunâtre qui, dévidée, a l’apparence de filasse qu’on nomme dans le pays tusseh-silk ; on en fait des étoffes qu’on nomme tusseh doothies. L’histoire de cette espèce curieuse a été donnée en 1804 par wiLLiam roxBurg, dans les Mémoires de la Société Linnéenne de Londres (2). Et tout récemment nous avons obtenu de nou- veaux renseignements par M. Lamarre piquoT, qui a rapporté et donné au Muséum d’Histoire naturelle de Paris des cocons renfermant des chry- salides encore vivantes. Les papillons ont éclos vers le mois d’avril, mais sur le petit nombre qui est né il ne se trouvait que des femelles. D’après les rensei- gnements qu’a obtenus roxBurg, il paraît que cette espèce ne peut être conservée dans l’état de cap- tivité comme notre ver à soie. Toutes les tentatives qu’ont faites jusqu’ici les Indous pour obtenir l’ac- couplement et la ponte des papillons femelles ont été infructueuses. Ils vont chercher dans les bois les chenilles au moment où elles viennent d’éclore, et les transportent près de leur demeure, en les plaçant sur les plantes dont elles se nourrissent et qu’ils font croître dans le voisinage de leurs habitations. La seconde espèce de Bombyx ( fig. 123) origi- Fig. 123. naire du Bengale, et dont la soie est employée dans ce pays, a été désignée sous le nom de Bombyx cinthia par FaBriCius. Elle est aussi figurée dans Cramer (3) et dans drury (4) ; mais peut-être ces deux fig- ures appartiennent-elles à des espèces différentes. Les ailes antérieures, un peu en faucille, présen- tent une tache ocellée noire, près de l’extrémité. Leur couleur est gris-brun avec une tache en crois- sant vers le milieu ; une raie blanche anguleuse se remarque vers la base. La chenille (fig.124), décrite et figurée par

  (1) Pap. exotiques, pl. 146, fig. A, pl. 147, fig. A B, pl. 148, fig. A. (2) Tome VII, p. 33, et pl. 2.

(3) Pap. exotiques, pl. 29, fig. A. (4) Insectes exotiques, tom. II, tab. 6, fig.

124 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. Fig. 124. roxBurg (1), vit sur le Ricinus palmachristi, que l’on nomme communément dans le pays arrindy ; on l’élève en domesticité. On fait des vêtements avec sa soie. Ils sont d’une solidité telle qu’ils durent au-delà de la vie moyenne, et qu’il est très ordinaire de les voir passer de mère en fille. Le cocon ( fig. 125) est blanc ou jaunâtre ; pointu aux deux bouts, il a 2 pouces de long. Les fils de ce cocon sont tellement délicats, qu’on ne peut les dévider ; on se contente de les filer à la main comme Fig. 125. du coton ou du chanvre. Il paraît qu’on connaît en Chine ces deux espèces, ou au moins des variétés, et qu’on tire de leur soie un parti avantageux. V. audouin. seCTion ii. — De la nourriture du ver à soie. § ier. — Considérations générales et physio- logiques. Le ver à soie, comme chacun sait, fait sa nourriture de la feuille du mûrier ; à sa naissance et dans son premier âge il demande une nourriture légère et de facile digestion : son économie intérieure est dirigée vers l’accroissement de ses organes, et fort peu sans doute vers le but de sa carrière, la formation de la soie. Donnons-lui donc d’abord de jeunes feuilles à peine écloses, et surtout des feuilles de sauvageons. Celles-ci sont le produit brut de la nature et les plus analogues au jeune sujet ; une feuille bien développée serait d’ailleurs trop dure et trop nourrissante. Il faut que la nourriture et l’estomac suivent une marche simultanée ; l’agriculteur doit chercher à imiter, à seconder la nature, et jamais à la forcer Je conseillerai au propriétaire de mûriers d’en avoir toujours à l’état de sauvageon un nombre suffisant pour la consommation de sa chambrée, au moins jusqu’à la 3e mue. Ces mûriers seront plantés à des abris et à l’exposition la plus chaude, afin que la précocité de leur végétation puisse permettre de faire la chambrée avant l’époque des fortes chaleurs. (1) Transact. de la Soc. Linn. de Londres, tom. VII, tab. 3 Je dis à dessein à l’époque des fortes chaleurs, parce que ce sont elles, et non la haute température, que craignent les vers à soie ; ceci s’expliquera lorsque nous traiterons de leur éducation. Les personnes qui n’ont point encore de mûriers sauvageons dans l’exposition indiquée, et auxquelles il tarderait de mettre ce précepte en pratique, planteront, en attendant, des mûriers nains contre des murs bien crépis et à la plus chaude exposition, ces arbres doivent avoir un tronc très court, un pied au plus, car la précocité est en raison inverse de la hauteur de la tige. Il ne faut pas s’attendre que le mûrier, ramené par force à de si petites proportions, puisse vivre longtemps ; aussi n’est-ce pas comme moyen d’exploitation, mais comme mesure expectative que je conseille de le tenir si bas, et seulement pour attendre le moment où l’arbre en plein vent, qui doit durer des siècles, aura acquis l’accroissement nécessaire pour être sans inconvénients privé de ses feuilles. § ii. — Des feuilles qu’on a proposées pour rem- placer celles du mûrier. On a fait, dit-on, beaucoup d’expériences pour résoudre ce grand problème ; c’est surtout dans le Nord qu’on l’a tenté, mais, presque toutes ces expériences ont complètement échoué, ou au moins n’ont qu’imparfaitement réussi. Les vers à soie mis sur les feuiIles de rosier sauvage, de ronce, d’érable, de maïs, etc., meurent plutôt que d’en manger ; ils peuvent vivre à la vérité de la feuille de scorsonère et même filer des cocons ; mais, dans une éducation faite toute entière avec cette feuille, il meurt une bien plus grande quantité de vers, et les cocons produits sont moitié plus petits et moitié moins pesants. Je ne nie pas ni accorde que le ver à soie ne puisse prendre une autre nourriture que celle de la feuille de mûrier ; si d’autres l’assurent, je me tais : mais de ce que l’insecte peut exister, en tirera-t-on la conséquence qu’il filera de la soie, et de la soie de bonne qualité ? je ne puis l’admettre. Ces insectes et son arbre ont été découverts en même temps et dans le même pays, et l’un sur l’autre ; la nature les a donc créés l’un pour l’autre, comme la cochenille et le nopal. Si l’on manquait de feuilles avec l’espoir de s’en procurer plus tard, le mieux et le seul parti serait de faire jeûner la chambrée ; si l’on n’avait pas l’espérance de s’en procurer, comme il arrive souvent après une grêle ou une forte gelée blanche, il n’y a rien à tenter, on jette les vers à soie. § iii. — De la cueillette de la feuille. Il faut cueillir la feuille après que le soleil ou la chaleur a dissipé l’humidité de la nuit, du brouillard ou de la pluie, et cesser avant que la fraîcheur du soir ou la pluie commence nt. La feuille mouillée est très préjudiciable aux vers à soie, elle leur occasione un dévoiement qui les affaiblit et les retarde s’il dure peu, les fait périr s’il se prolonge.

CHAP.7e NOURRITURE DES VERS À SOIE 125 Dans l’intérêt même de l’arbre, on évite de la ramasser (c’est l’expression vulgaire) quand il est mouillé, car alors son écorce attendrie cède facilement au frottement et à la pression des échelles, des pieds et même des mains des ramasseurs ; il en résulte des déchirures par où l’eau pénètre, comme elle le fait aussi, quoique plus insensiblement, par les petites plaies qu’occasione l’arrachement des feuilles. J’ai vu une plantation tout entière périr peu à-peu, pour avoir été ramassée plusieurs années consécutives pendant un temps de pluie. La cueillette se fait au moyen de longues échelles que l’on applique contre le mûrier. Le ramasseur s’attache un sac à sa ceinture, se tient d’une main aux branches et de l’autre cueille la feuille : pour cela il empoigne une branche sans la serrer, puis fait couler la main de bas en haut, toujours dans le sens de la branche, et arrache les feuilles sans effort. Quelqueséducateursontprétenduqu’ilfallait cueillir les feuilles l’une après l’autre, ou même les couper avec des ciseaux et les laisser choir tout naturellement dans des draps étendus par terre. Je conviens que cette méthode est fort supérieures à celle que j’indique, et je la conseille même fortement à tous ceux qui font une chambrée sur la table de leur cabinet ; mais, je le demande, quel est le village dont la population tout entière suffirait à une chambrée qui consomme par jour 30 ou 40 quintaux de feuilles ! Laissons donc de côté ces idées théoriques, et faisons ramasser notre feuille selon l’ancien usage. Le ramasseur ne doit mettre les pieds sur l’arbre que lorsque les échelles ne peuvent plus y atteindre ; les plus longues n’ont guère plus de 25 pieds, au-delà elles seraient trop difficiles à manier. Lorsqu’il a rempli le sac pendu à sa ceinture, il le vide dans un drap ; ce drap doit toujours être étendu à l’ombre : si cela ne se peut et que l’ardeur du soleil soit un peu forte, il faut recouvrir avec un autre drap la feuille ramassée, car elle est très sensible au hâle. Par la même raison, dès que le drap est plein, on doit le transporter au magasin, où nous allons le suivre pour traiter de la conservation de la feuille. § iv. — De la conservation de la feuille an magasin. Le magasin est un appartement au rez-de- chaussée, ordinairement au-dessous de la magnanerie ; il doit être pavé, voûté et bien aéré, principalement du côté du nord si la localité le permet, et être assez vaste pour contenir une quantité de feuilles suffisante pour deux jours au moins. Avant d’y introduire la feuille on a soin de balayer parfaitement le pavé, et de l’arroser ensuite afin de produire de la fraîcheur. Cela fait, la feuille est répandue sur le pavé en l’agitant le plus possible. Plus elle doit rester en magasin, moins on doit l’amonceler ; un pied d’épaisseur est assez, si on veut la conserver plus d’un jour. Ces précautions prises, on ferme les ouvertures qui pourraient laisser pénétrer les rayons du soleil ou les animaux. Quoique la feuille la plus nouvellement ramassée soit la meilleure, il est prudent d’en avoir toujours en magasin pour un jour d’avance, et même plus, si le temps est à l’orage ou à la pluie. Elle demande alors la plus grande surveillance : on doit la changer de place, la remuer, l’agiter avec des fourches au moins quatre fois par jour en commençant de très grand matin et finissant à 10 ou 11 heures du soir ; plus elle est déjà restée de temps au magasin, plus il faut répéter cette opération et la faire avec soin. Toutes ces précautions sont prises pour éviter la fermentation. Si on s’aperçoit que la feuille jaunit et s’échauffe, elle commence à s’altérer ; dans cet état elle n’est point encore délétère, et à défaut d’autre, on peut s’en servir immédiatement ; mais si elle est sensiblement chaude, si elle perd de sa belle couleur verte, elle n’est plus bonne qu’à faire du fumier. La feuille la plus forte, la plus dure, la plus foncée encouleuretquenousnommonslanguedebœuf,est la meilleure pour la conservation et le transport. On est souvent forcé de cueillir et transporter la feuille malgré la pluie ; alors on a soin, en l’emballant, de la presser autant qu’on peut. Arrivé au magasin, on laisse les ballots dans cet état pendant une ou 2 heures pour provoquer un commencement de fermentation qui absorbera l’eau de la pluie ; aussitôt que l’on reconnaît que la chaleur est produite, on défait les ballots, on agite la feuille comme nous avons dit plus haut, on l’étend sur une grande surface, on établit un courant d’air, et dès que la feuille est refroidie on la donne aux vers : elle ne se conserverait pas. Ce moyen est d’une exécution très délicate ; la réussite dépend d’ailleurs de beaucoup de circonstances, telles que la qualité, l’espèce de la feuille, le temps qu’elle est restée en route, etc. Je ne voudrais donc pas qu’on y eut trop de confiance, et je le considère seulement comme une tentative pour sauver la chambrée. Le hâle qui dessèche et la fermentation qui putréfie sont les seules altérations à craindre pour la feuille ramassée, et avec les soins que j’indique on peut la conserver plusieurs jours ; mais, je le répète encore, il vaut mieux que les vers soient privés de nourriture que de les forcer à en prendre d’avariée. Ce cas arrive souvent, et, l’année dernière, j’ai vu plusieurs chambrées jeûner pendant 36 heures et donner ensuite un assez bon produit. § v. — Distribution économique de la feuille. La distribution doit se faire à des heures réglées ; on ne doit donner chaque fois que la nourriture que le vers peut consommer ; l’expérience est une règle plus sûre que toute autre. En effet, comment peut-on déterminer qu’il faut telle ou telle quantité de feuille à tel ou tel âge par once de graine ? Ne sait-on pas qu’à chaque mue il périt beaucoup de vers ; que dans une magnanerie la mortalité est plus grande que dans l’ autre, que le tonnerre, les rats, les souris et beaucoup d’accidents, diminuent d’une manière très irrégulière le nombre de nos précieux

126 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. insectes ? Déterminer la quantité de feuille qu’il leur faut devient donc impossible. Tout ce qu’il est important de savoir pour l’économie, c’est que la feuille soit entièrement consommée, et que, le repas fini, le ver témoigne par sa tranquillité qu’il n’a plus besoin de rien. Néanmoins, malgré l’impossi- bilité de fixer d’une manière rigoureuse la quan- tité de feuille que mange le ver, il faut savoir à peu près quel poids de graine on peut faire éclore, pour concorder avec la quantité de feuilles dont on peut disposer. La base la plus généralement adoptée est celle qui assigne à chaque once de graine 15 quin- taux de feuille. Je dois observer que jusqu’à la 4e mue le ver mange de la feuille plus ou moins dével- oppée ; alors on l’estime au poids qu’elle aurait si elle était faite. Quatre jours après la 4e mue, le ver n’a encore mangé que la moitié de sa feuille. § vi. —Des diverses qualités de feuilles. Cette comparaison trouvera sa place naturelle à l’article de la culture du mûrier ; il suffit de dire ici un mot pour guider le magnanier qui, n’en ayant pas une assez grande quantité, est obligé de s’en procurer d’étrangère à son exploitation. J’ai déjà dit que la plus nouvellement cueillie était la meilleure ; on aura donc égard à la distance à parcourir, et on se souviendra que celle qui a le plus de corps, la couleur la plus foncée, supporte mieux le transport. Celle qui est plus légère, plus souple, plus luisante, est la plus soyeuse ; on lui doit donc la préférence si elle est voisine de la magnanerie et qu’elle soit promptement consommée. Presque tous les agro- nomes s’accordent à placer au 1er rang la feuille sau- vage ; je dois cependant faire observer que le prix de la feuille étant ordinairement établi d’après son poids, il y a une grande perte à acheter celle-ci, car le sauvageon donne une plus grande quantité de fruits que le mûrier greffé : il y a quelquefois une perte de 15 à 20 p. % ; de plus le sauvageon ne fournit pas des jets longs et droits, mais au contraire courts et tordus ; en un mot il buissonne, d’où il résulte que la cueillette en devient plus pénible, plus longue et par cela même plus coûteuse. Toutes choses égales, je donne la préférence à la feuille qui provient d’un endroit sec et élevé. Une autre considération qui doit guider l’ache- teur, c’est la manière dont l’arbre est cultivé. — S’il est en plein vent, à haute tige, sa sève est plus élaborée, sa feuille plus nourrie et plus soyeuse. — Le nain donne une feuille plus précoce, mais moins parfaite ; elle convient dans les premiers âges. Le multicaule, la prairie de mûriers, ne fournissent que des jets en quelque sorte herbacés ; la feuille en est donc plus chargée d’eau de végétation, c’est la plus éloignée de la nature, la moins bonne. Février 1834. oCT. de ChapeLain Propriétaire correspondant dans la Lozère. seCTion III. — De la magnanerie en général. Dans les départements méridionaux de la France, où les vers à soie sont généralement appelés magnans, on désigne, selon les cantons, les bâtiments destinés à leur éducation, sous les dénominations de magnanerie, magnanière, magnassière ou magnanderie. Le nom du principal ouvrier chargé du soin de ces insectes varie aussi selon les provinces : là c’est le magnanier, ici le magnadier, ailleurs le magnodier ou le magnassier. Jusqu’à présent peu de propriétaires ont fait con- struire des bâtiments dans l’intention seule d’en faire des magnaneries, et cela à cause des grands frais que nécessiteraient des constructions unique- ment destinées à l’éducation des vers à-soie. Le plus souvent on profite de tout ce dont on peut disposer en bâtiments, et on les accommode le mieux qu’il est possible pour recevoir ces insectes pendant le temps qu’ils doivent les occuper, ce qui est d’une assez courte durée, car ce n’est qu’à commencer du quatrième âge que les vers ont besoin d’un grand emplacement ; jusque là il est presque toujours fac- ile de leur trouver assez, d’espace pour les loger à l’aise ; effectivement, au moment ou ils terminent leur 3e âge, les vers n’occupent guère que la 6e partie de l’espace qui leur sera nécessaire à la fin du 5e. Aussi dans les villes, comme dans les cam- pagnes, la plus grande partie de ceux qui font de petites éducations se contentent, pendant la saison des vers à soie, de se resserrer dans la plus petite portion de leur logement pour consacrer tout le reste à ces insectes ; il n’est pas même rare de voir, dans les campagnes, les paysans déménager de la seule chambre qu’ils aient, pour y loger les vers de 2 ou 3 onces de graine, et, pendant ce temps là, aller coucher dans leur grenier ou même au bivouac, quand ils ne peuvent disposer, dans leur maison, de cette espèce de réduit. § ier. — Situation, exposition. Lorsqu’on voudra faire construire des bâtiments uniquement consacrés à l’éducation des vers à soie, il faudra avoir soin de choisir un emplacement convenable, comme une colline ou un coteau, où l’air soit habituellement sec, agité, plutôt frais que chaud, et où les brouillards ne soient pas fréquents. On conseille d’éviter le voisinage des grandes routes sur lesquelles passent de grosses voitures, parce que- celles-ci produisent, dit-on, des commotions qui et étonnent les vers à soie et les troublent lorsqu’ils mangent et lorsqu’ils travaillent. Nous avons d’as- sez forts motifs pour croire que ces influences ne sont pas aussi nuisibles aux vers qu’on le dit. Il sera bon que la principale exposition du bâtiment soit au levant ou au couchant ; celle du nord est trop froide, celle du midi est trop chaude, et il faut tou- jours éviter avec soin les températures extrêmes, et surtout une exposition qui pourrait être sujette à des changements brusques, car rien n’est aussi con- traire à la santé des vers. Il est encore avantageux

CHAP.7e DE LA MAGNANERIE EN GÉNÉRAL 127 que la principale entrée de l’atelier ne commu- nique pas immédiatement avec l’ air extérieur, mais qu’elle soit précédée d’un petit vestibule ou d’une petiteantichambre.Lafig.126représenteunbâti- ment propre à une magnanerie et vu par le côté. Fig. 126. Pendant le 1er âge, où les vers d’une once de graine n’ont besoin, au plus, que de 10 pieds carrés d’espace, il est plus avantageux de les laisser dans l’étuvedontilvaêtreparléci-après,etoùilsser- ont nés, parce qu’on maintient plus facilement et plus économiquement la chaleur convenable dans cette petite chambre que dans une beaucoup plus grande. Dans le 2e âge et surtout dans le 3e, les vers exi- gent tous les jours d’être plus espacés, ce qui ne per- met plus de les laisser dans l’étuve où ils seraient trop à l’étroit. Ainsi, à la fin du 3e il ne faut pas moins de 46 pieds carrés aux mêmes vers qui, au moment de leur 1re mue, pouvaient tenir sur un peu moins du quart de cet espace. Au commence- ment du second âge donc, on devra les établir dans un local intermédiaire entre l’étuve et le grand atelier, comme une pièce de 10 pieds sur 12 ( fig. 127 b), dans laquelle sont 2 poêles, l’un en i, commun avec l’étuve, et l’autre en h, commun avec le grand atel- ier ; des tablettes m y seront disposées de la manière qu’il a été dit ; mais comme l’espace est plus étroit, il ne pourra y avoir qu’un seul corps de tablettes placé au milieu de la chambre et ayant sur un côté 8 pieds de longueur sur 5 de largeur de l’autre côté. Ce corps à six étages, comme dans le grand atelier, offrira une surface de 240 pieds carrés, et pourra par conséquent suffire, à peu de chose près, jusqu’à la fin du 3e âge, aux vers de 6 onces de graine. Si on en a davantage, le surplus sera laissé dans l’étuve. Plus tard, lorsque les vers auront été transportés dans le grand atelier, cette seconde chambre pourra encore contenir à elle seule les vers d’une once de graine. Par une 1re porte d elle communique à l’étuve, et par une 2e e avec le grand atelier. D’après ce qui vient d’être dit, il faut donc, pour loger convenablement les vers de 6 onces de graine, unbâtimentcomposéde3chambres(fig.127), ayant ensemble 42 pieds de longueur sur 16 de lar- geur et 12 de hauteur, sans y comprendre l’épais- seur des murs ; ce bâtiment doit être percé de 4 croiséesggggsurchacunedesesfaceslespluslarges, dont l’une exposée au levant et l’autre au couchant, si cela est possible. Deux autres croisées gg pour- ront être pratiquées dans le grand atelier du côté du nord, et l’entrée sera faite de préférence au midi. C’est aussi de ce côté que seront placées, en avant du grand atelier, la petite chambre destinée à for- mer une étuve dans laquelle on fera éclore les œufs de vers à soie, et la chambre b intermédiaire en ire l’un et l’autre. Cette étuve ( fig. 127 a), pour laquelle il ne reste dans cette distribution que 6 pieds de largeur sur 10 de longueur, sera suffisante pour faire éclore 10 à 20 onces et même beaucoup plus de graine, et elle pourra contenir aisément tous ceux de 6 onces pendant le 1er âge, puisqu’à la fin de cette époque de leur vie les vers de chaque once de graine n’oc- cupent au plus que 10 pieds carrés, et que dans remplacement de l’étuve, tel que nous venons de la fixer, il sera facile, en établissant de petites tablettes tout autour et dans toutes les parties qui ne sont ni

§ ii. — Construction, dispositions intérieures, étuve, grand atelier.

La grandeur d’un bâtiment destiné aux vers à soie doit être proportionnée à la quantité qu’on se propose d’en élever, et c’est sur la place que les insectes occupent dans le dernier âge qu’il faut cal- culer. Ainsi, à cette époque de leur vie, il faut, aux vers d’une once de graine, 220 à 250 pieds carrés, selon que l’éducation est moins ou plus favorable. Cela posé, et en supposant des tablettes de 5 pieds de largeur, on voit qu’il en faudra 50 pieds en lon- gueur pour chaque once de graine. En espaçant cestablettesà2piedssurlahauteur,c’està-direen formant 6 étages, y compris le plancher, placés sur 4 rangs parallèles, et en laissant ce qu’il faut d’espace, ou 2 pieds tout autour, pour circuler facilement, unechambre(fig.127ccc)de16piedsdelargeuret de 30 de longueur sur 12 de hauteur, pourra suffire Fig. 127. à l’éducation de 6 onces de graine, puisqu’elle con- tiendra 6 fois 240 pieds carrés de tablettes. Mais, pour les raisons que nous avons dites plus haut, cette chambre, que nous appellerons le grand atelier, ne doit être occupée par les vers que pendant les 2 derniers âges ; il est inutile, avant ce temps, de les loger dans un local aussi vaste. 128 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. portes, ni fenêtres, ni le poêle, d’en placer 150 à 160 pieds carrés, ce qui, à la rigueur, pourrait contenir les vers produits par 15 onces de graine. Les tab- lettes de l’étuve, à cause de l’espace resserré, ne dev- ront avoir que 15 à 18 pouces de largeur ; mais on pourra les tenir plus rapprochées sur la hauteur en plaçant les étages à 15 pouces seulement les uns des autres. On dira plus loin quel degré de chaleur il faudra donner à l’étuve pour y faire éclore la graine. Cette chaleur sera entretenue par un poêle placé en i, commun avec la chambre intermédiaire, et réglée par un thermomètre dont il sera aussi parlé ci-après. Il suffira d’indiquer ici que l’étuve, telle que nous l’avonsfaitfigurer,asaported’entréeenf,donnant sur un vestibule extérieur non compris dans le plan, une 2e porte d, par laquelle on communique avec la chambre b, et enfin une fenêtre g. L’étuve et la chambre moyenne auront d’ail- leurs, l’une et l’autre, des soupiraux ou ventilateurs, ainsi qu’il va être expliqué. C’est principalement pour le grand atelier que les ventilateurs sont néces- saires, parce que, quoique éclairé et suffisamment aéré par 8 croisées, il peut arriver souvent, à cause des mauvais temps produits par le froid, le vent ou le brouillard, qu’on ne puisse ouvrir les croisées, et cependant il est nécessaire, pour que les gaz insalu- bres ne s’accumulent pas dans l’atelier, d’y entre- tenir constamment la libre circulation de l’air, ce qu’on fait par le moven de soupiraux qui sont des ouvertures d’un pied carré de largeur, lesquels s’ouvrent et se ferment à volonté au moyen d’une coulisse. Ces soupiraux doivent être pratiqués de distance en distance dans l’épaisseur des murs, les uns près du plancher supérieur, les autres un peu au dessusdel’inférieur(fig.126.aaaa);etpourque les 1ers puissent donner du jour, ce qui a quelque avantage, au lieu de les fermer avec un panneau plein, on les fait d’un petit châssis garni de verre ; les autres soupiraux seront pratiqués au niveau du pavé, au-dessous des fenêtres ; enfin, on peut aussi en ouvrir dans le pavé même pour faire arriver l’air de la pièce qui se trouverait immédiatement au-dessous. On réglera le nombre des soupiraux de manière à les mettre en rapport avec l’étendue de l’atelier, et on ménagera leur place de sorte que l’air auquel ils donneront entrée ne frappe pas directe- ment sur les claies ou tablettes sur lesquelles les vers seront placés. Nous avons vu un peu plus haut qu’un bâtiment de 42 pieds de longueur, sur 16 de largeur et 12 de hauteur, serait nécessaire pour élever à l’aise les vers de 6 onces de graine. Sans doute qu’en serrant un peu plus les tablettes, on pourrait loger ceux produits par 7 onces de graine ; mais nous ne croy- ons pas qu’il soit possible d’en mettre davantage, sanscompromettrelasantédecesinsectes,etpar conséquent sans courir le risque que l’éducation n’ait pas le succès désirable. Nous devons ajouter, pour ceux qui voudront faire élever exprès un bâti- ment de l’étendue qui vient d’être dite, qu’il leur sera plus avantageux, au lieu de le construire à un seul étage, de le faire faire à deux, parce que les frais de fondation et de couverture seront les mêmes dans les deux cas, et qu’en augmentant leur dépense d’un tiers au plus peut-être, ils auront un bâtiment qui leur offrira le double en étendue, et dans lequel ils pourront par conséquent élever les vers de 12 onces de graine au lieu de 6, et chaque once de graine pouvant produire 100 à 120 livres de cocons, il s’en- suivra que dans le bâtiment à deux étages ils pour- ront récolter 12 à 1 400 livres de cocons, tandis que celui à un seul étage ne pourrait leur en produire que 6 à 700. Dans le cas où l’on ferait construire exprès une magnanerie à deux étages. Il serait inutile que le sec- ondfûtpartagécommenousl’avonsindiquépour le premier ; ce second étage devra ne former qu’un vaste atelier dans lequel on pourra établir, parallèle- ment les unes aux autres, 6 rangées de claies à peu près de la même manière qu’il a été dit plus haut. Nous ne pouvons trop engager les personnes qui voudront se livrer à l’éducation des vers à soie, à pro- fiter de toutes les constructions déjà faites qui pourront se trouver à leur disposition, en les appropriant seule- ment à la circonstance, parce que les frais qu’il leur faudrait faire pour élever des bâtiments neufs pour- raient souvent les entraîner dans des dépenses qui absorberaient une grande partie de leurs bénéfices subséquents. Avec une très légère dépense on peut fermer, par des cloisons mobiles, des hangars qui seront favorablement exposés, et les rendre propres à servir de grand atelier ; les granges, qui sont ordi- nairement vides à l’époque où se font les éducations de vers à soie, pourraient aussi être appropriées de manière à y loger ces insectes pendant le 4e et le 5e âge ; enfin nous ne voyons pas pourquoi des ber- geriesneseraientpasaussiconvertiesdelamême manière pour former de grands ateliers ; et pour leur donner ce nouvel emploi, il ne faudrait guère faire parquer les moutons qu’une 20e de jours. § iii. — Instruments et ustensiles nécessaires dans une magnanerie. 1° Poêles. La chose la plus nécessaire dans une magnan- erie, est un ou plusieurs poêles par le moyen des- quels on puisse élever la température de l’étuve, de la chambre ou de l’atelier, toutes les fois qu’elle est trop froide, ce qui arrive le plus souvent à l’époque de l’année où se font les éducations de vers à soie, et surtout dans les premiers jours. Un poêle d’un petit volume peut servir à chauffer l’étuve ; mais dans une chambre plus grande, et surtout dans le grand atelier, il faudra dans l’une un poêle, et dans l’autre deux poêles d’une grande dimension. Leur placeestindiquéedanslegrandatelier(fig.127ccc) l’une en k et l’autre en i, sans compter une cheminée dont nous avons marqué la place en h. Ces poêles doivent être en brique ou en terre cuite ; la tôle ou la fonte ne valent rien, parce que ces matières ont l’in- convénient de s’échauffer trop promptement et de

CHAP.7e DE LA MAGNANERIE EN GÉNÉRAL 129 se refroidir de même, et en outre, quand elles sont échauffées un peu fort, elles produisent une odeur désagréable qui peut être nuisible aux personnes et aux vers. Nous donnons ici la figure d’un poêle tel que dandoLo le conseille, fait en briques ou en terrecuite(fig.128);ilchauffebeaucoupmieuxla pièce ou l’atelier dans lequel il est établi, parce qu’il est de faire connaître la plus basse température qui s’est fait sentir. Chacun de ces instruments doit être disposé horizontalement. Le premier ( fig.129), qui est à mercure, contient un petit brin d’acier c ou curseur, qui est poussé par leliquide,tantquecelui-ciestdilatéparlachaleur, et qui reste fixe, au point où le mercure s’est avancé au moment où la température a été la plus élevée ; mais celle-ci venant à baisser, le mercure rétro- grade en se condensant, et laisse l’indicateur d’acier au maximum ou il était parvenu ; il est donc facile, 5 ou 6 heures après que l’action de la chaleur est passée, de connaître à quel degré le plus élevé elle est parvenue, en regardant le point auquel corre- spond le bout du petit indicateur tourné vers le mer- cure. Après en avoir fait l’observation, il suffit de relever perpendiculairement l’instrument pendant un instant en lui imprimant une légère secousse ; le curseur retombe à la surface du mercure, et on replace le thermomètre dans sa position horizontale pour les observations subséquentes. Le thermomètre minima, ( fig. 130), est à l’esprit- de-vin, et le petit curseur d est en émail. C’est un cylindre de 2 lignes, ou à peu près, de longueur, ter- Fig. 130. miné à chaque extrémité par une petite tête comme celle d’une épingle. Ce petit corps plonge toujours dans l’esprit-de-vin, mais lorsqu’on dispose l’instru- ment pour l’observation, il faut que sa tête supérieure soit au niveau de la liqueur, le tube étant placé per- pendiculairement ; alors le thermomètre à minima est établi horizontalement ; et si, par suite du refroi- dissement de l’atmosphère, l’esprit-de-vin rétro- grade vers la boule de l’instrument, le petit curseur suit son mouvement, et il demeure au point le plus bas où aura descendu la liqueur, qui d’ailleurs peut monter de nouveau sans porter son influence sur le petit indicateur que sa pesanteur spécifique, plus considérable que celle de l’esprit-de-vin, retient au point fixe où la condensation de cette liqueur l’avait entraîné, et où on le trouvera plusieurs heures après qu’une chaleur plus considérable s’étant répan- duedansl’atmosphère,auradilatél’alcooletl’aura forcé de remonter vers la partie supérieure du tube. Ainsiledegréleplusbasauquellatempératuresera descendue, se trouvera indiqué tout juste vis-à-vis la place qu’occupe la tête supérieure du curseur. L’observation étant faite, on détache le thermomè- tre minima, on le renverse doucement en le plaçant un instant verticalement, sa boule tournée en haut, et le petit indicateur vient aussitôt occuper sa place d’attente à l’extrémité de l’esprit-de-vin. Dans l’us- age ordinaire de ces 2 instruments, on dispose le matin le thermomètre maxima pour savoir à quel Fig. 128. est construit de manière à recevoir l’air extérieur qui n’entre dans ces chambres qu’après avoir été échauffé dans le poêle même. L’air raréfié, qui entre chaud, chasse l’air intérieur, et opère ainsi une sorte de ventilation. On peut, si l’on veut, boucher les trous qui ser- vent de passage à l’air

raréfié lorsqu’il y a du feu dans le poêle ; ces mêmes trous peuvent servir pour introduire l’air froid, lor- sque le feu du poêle est éteint.

2° Thermomètres. Après les poêles, l’instrument le plus indispen- sable dans une magnanerie est un bon thermomè- tre, ou pour mieux dire, il en faut plusieurs, qu’on doit avoir soin de placer dans les différentes parties de l’atelier, afin de s’assurer si le degré de chaleur est partout le même. La 1re place du thermomètre est aussi dans l’étuve, où sans lui il serait impossi- ble de régler d’une manière exacte les divers degrés de chaleur qui ont été reconnus les plus favora- bles à l’éclosion. Les thermomètres à mercure sont préférables à ceux préparés à l’esprit de vin. Tous les auteurs qui ont écrit sur les soins à donner aux vers à soie ont établi les degrés de chaleur qui con- venaient à ces insectes d’après l’échelle de Réau- mur, en sorte qu’on ne se sert dans les magnaneries que du thermomètre de ce physicien. Une autre espèce de thermomètre qui est encore d’un usage assez moderne, est celle qu’on a nom- mée thermométrographe, destinée à indiquer le degré de chaleur le plus haut ou le plus bas auquel s’est élevée ou est tombée la température dans un espace de temps donné ; mais cet instrument étant un peu compliqué, sans être d’ailleurs d’une application rigoureuse, on le remplace aujourd’hui avec avan- tage par deux thermomètres simples, l’un appelé thermomètremaxima(fig.129),destinéàindiquerle plus grand degré de chaleur, et l’autre désigné sous lenomdethermomètreminima(fig.130),dontl’usage Fig. 129.

130 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. plus grand degré de chaleur il s’élèvera dans le cou- rant de la journée. Le thermomètre minima doit, au contraire, être préparé tous les soirs pour connaî- tre le minimum de la température dans le moment le plus froid de la nuit ou de la matinée. L’indica- tion positive de ce moment, de même que l’heure précise où la chaleur a été la plus forte, ne peuvent d’ailleurs être constatées par les 2 instruments, si on n’a pas soin d’y porter de temps en temps les yeux, pour observer l’instant précis où le liquide remonte dans l’un et descend dans l’autre ; mais ils peuvent être tous les deux très utiles aux éducateurs de vers à soie, pour s’assurer de l’exactitude du magnanier qu’ils emploient ; ils leur indiquent d’une manière rigoureuse les minima et les maxima de la tempéra- ture de l’atelier pendant leur abscence. 3° Hygromètres. Une des choses les plus nuisibles dans une cham- brée de vers à soie étant l’humidité, il est néces- saire de connaître, aussi exactement que possible, dans quel état, sous ce rapport, se trouve l’air de la chambrée ou de l’atelier. L’air atmosphérique est en général sec lorsque les vents soufflent du nord et de l’est, et humide lorsqu’ils viennent du midi ou du couchant ; mais, pour le connaître d’une manière plus positive, on se sert des hygromètres, dont nous avonsdonnéladescriptionT.1er,p.6,7,fig.10,11. L’expérience a prouvé qu’on n’a rien à crain- dre pour les vers à soie tant que l’hygromètre de Saussure ne dépasse pas 65° ; mais toutes les fois qu’il en marque 70° et au-delà, il faut faire dans la cheminée de l’atelier du feu avec des bois légers bien secs ; la flamme qui s’en élève met en mouvement les colonnes d’air environ- nantes et leur imprime une douce agitation qui sèche l’atelier. En même temps qu’on fait des feux de flamme pour dissiper l’humidité, on peut ouvrir plusieurs ventilateurs pour chasser l’air pesant et le remplacer par celui du dehors qui ne peut jamais être aussi humide. Quand un atelier a beaucoup d’étendue, il serait avan- tageux d’y placer 2 hygromètres à une certaine distance l’un de l’autre, afin de mieux connaî- tre les degrés d’humidité des diverses parties de la chambre. L’hygromètre peut encore servir à annoncer divers phénomènes atmosphériques et à se garantir de leur influence. 4° Armoire incubatoire, couveuse artificielle, boîtes pour mettre les œufs à éclore, etc. Les œufs de vers à soie laissés à la nature éclo- raient spontanément lorsque la température de l’atmosphère s’élèverait à 12° ou à peu près ; mais alors leur éclosion se prolongerait pendant plusieurs semaines, et il ne serait pas possible d’entreprendre des éducations régulières. Pour obvier à cet incon- vénient, on a cherché à hâter l’éclosion des vers en appliquant à leurs œufs une chaleur artificielle, et la 1re dont on fit usage fut celle du fumier ; mais la difficulté de ménager convenablement la chaleur par le fumier entassé, et surtout d’écarter l’influence des exhalaisons qui s’en élèvent, fit bientôt renoncer à ce moyen ; on trouva beaucoup plus commode d’employer, pour couver la graine, la chaleur du corps humain. Cette méthode, imaginée d’abord en Italie, se répandit dans les autres parties de l’Eu- rope méridionale où les vers à soie furent portés, et elle fut pendant longtemps la seule en usage ; ce n’est que depuis assez peu de temps qu’on lui a sub- stitué de nouveaux moyens, et encore aujourd’hui, dans les campagnes, les personnes qui n’élèvent pas une grande quantité de vers à soie font éclore la graine par l’influence de la chaleur humaine. Ce sont ordinairement les femmes qui sont chargées de l’éclosion ; elles distribuent la graine dans de petits nouets de toile contenant chacun une once de graine, qu’elles placent autour de leur ceinture pendant le jour et sous le chevet de leur lit pendant la nuit. Ces nouets sont ouverts une fois par jour, dans les commencements, pour aérer la graine et la remuer ; dans les derniers jours on les visite et on les remue deux fois dans les 24 heures, pour s’as- surer du moment où les vers commencent à paraî- tre. L’usage de ce moyen pour hâter l’éclosion des œufs diminue tous les jours, et les personnes qui se livrent à des éducations de plusieurs onces de graine les font éclore dans l’étuve dont nous avons parlé plushaut,ouseserventd’unearmoireparticulière inventée depuis quelque temps, dite armoire incuba- toire ou couveuse artificielle ( fig. 131), dans laquelle on place les œufs ; ils y reçoivent la chaleur convena- Fig. 131.

ble, entretenue par une lampe à l’esprit-de-vin, et qui est réglée et graduée au moyen d’un thermomè- tre dont la partie inférieure plonge dans l’armoire, tandis que l’extrémité supérieure est saillante par le haut de l’armoire, afin de pouvoir juger du degré de chaleur que l’on active ou diminue à volonté, en augmentant ou diminuant le foyer du calorique. Cette armoire s’ouvre en un des côtés et elle est divisée intérieurement en plusieurs étages de tab- lettes. Dans plusieurs cantons et particulièrement aux environs d’Anduze, dans les Cévennes, on se sert d’une autre boîte dont la chaleur est entretenue par un bain-marie.

Pour placer les œufs dans l’armoire incuba-

CHAP.7e DE LA MAGNANERIE EN GÉNÉRAL 131 Fig. 132. à 3 pieds à peu près les uns des autres, fixés d’un bout dans le plancher inférieur, et de l’autre sur les solives du supérieur. Ces montants doivent être garnis de traverses ou forts tasseaux sur lesquels on établit les tablettes faites en bois blanc de 6 lignes d’épaisseur. Dans un atelier tel que celui dont nous avonsdonnélesdimensions(fig.127,ccc),onfait 5 étages de tablettes, non compris le plancher ; le tout établi solidement, surtout les supérieures, sur lesquelles il sera nécessaire d’appuyer les échelles pour porter la nourriture aux vers qui, dans le 5e âge, y seront établis ; car, pour la facilité du service, les tablettes les plus élevées, de même que celles qui reposent sur le plancher, ne doivent être employées que dans les derniers jours, lorsque tout le reste de l’atelier est déjà garni de vers. À la rigueur, on peut très bien placer les vers sur ces tablettes, telles que nousvenonsdedirequ’ondevaitlesconstruire,en les recouvrant et les garnissant auparavant de feu- illes de papier grand et fort ; mais dans plusieurs endroits, les tablettes ne sont pas pleines, elles ne forment pour ainsi dire que des espèces de supports sur lesquelles on établit des claies faites en roseaux ouenosier(fig.134),etc’estsurcesclaies,garnies égalementdepapier(fig.134A),qu’onplaceles vers à soie. Fig. 134. Dans tous les cas, les tablettes ou les claies doivent être munies, tout autour, d’un rebord en bois mince de 2 1⁄2 à 3 pouces de hauteur, afin de prévenir la chute des vers qui se trouvent sur les bords, et qui sans cela sont très sujets, dans les 2 derniers âges surtout, à tomber de leurs tablettes sur le plancher. Le nettoiement des tablettes ou des claies est une chose nécessaire toutes les fois qu’on délite les vers ou qu’on les enlève de leur litière pour les mettre dans une nouvelle place. On appelle litière les débris des feuilles qui, depuis quelques jours, leur ont servi de nourriture. Pour bien nettoyer l’ancienne place que les vers ont occupée, on se sert d’un petit balai court, fait de manière qu’il puisse enlever les feuilles à demi pourries et les excréments qui pourraient rester attachés à la surface supérieure des claies, lor- squ’on a enlevé la masse de la litière. Dans les pays méridionaux où l’on cultive le grand millet, on fait le plus souvent ces petits balais avec les sommités de cettegraminée,quisontdiviséesendenombreux pédoncules d’une consistance assez raide. Dans les endroits où cette plante n’est pas cultivée, on pourra employer à sa place de la bruyère, des rameaux de

toire où ils doivent éclore, on a de petites boîtes (fig. 132)encartonouenboistrèsmince,dou- blées intérieurement en papier ; on les distribue dans ces boîtes selon leur grandeur respective, de manière que chaque once de graine occupe environ 10 pouces carrés d’espace, et on a soin chaque jour de les remuer avec une cuiller en forme de spatule faite en fer, en étain ou en buis ; une cuiller ordi- naire peut, dans tous les cas, servir à cet usage sans qu’elle soit faite exprès. On pourrait aussi se servir avec avantage, pour faire éclore 1ers vers à soie des divers couvoirs dont nous avons donné la descrip- tionàl’articleIncubationartificielle,T.III,p.79et suiv.

5° Tablettes de transport, tablettes et claies, cabanes, etc. Dans les ateliers pourvus de tous les usten- silespropresàuneéducationdeversàsoie,ona uneouplusieurstablettesdetransport(fig.133).Ce Fig. 133. sont de petites planches en bois léger, larges d’un pied, longues de 2, garnies de 3 côtés d’un rebord également en bois mince, haut de 12 à 15 lignes, et munies dans leur milieu d’un manche surmonté d’une poignée, afin qu’elles soient plus faciles à transporter partout où il est besoin. Toutes les fois qu’on veut s’en servir, on les garnit de papier sur lequel on met les vers qu’on a besoin de changer de place, et en faisant ensuite glisser le papier par le côté de la tablette qui n’a pas de rebord, les vers se trouvent changés avec beaucoup de facilité d’une place à une autre ; on évite par ce moyen de les blesser, comme pourraient le faire les ouvriers s’ils étaient obligés de les toucher immédiatement avec les mains. À défaut de tablettes, de simples planches peuvent servir au transport. Les tablettes sur lesquelles les vers à soie passent leur vie jusqu’au moment où ils les quittent pour filer leur soie, sont établies soit autour de la cham- bre ou de l’atelier, le centre seulement restant libre, soit au contraire, ce qui est préférable pour la meilleure circulation de l’air, en laissant tout autour 2 pieds, ou à peu près, libres pour le ser- vice de l’atelier, et en faisant occuper aux tablettes tout ce qui reste dans l’intérieur ; ces planches (fig.127,mmmm)sontalorsétabliessur2ou3 rangs, ou plus, selon la largeur de l’atelier. Dans ce dernier cas, des montants faits en bois carré de 3 pouces d’épaisseur, doivent être solidement établis 132 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. genêt ou des menus brins de bouleau. Plusieurs échelles sont nécessaires dans une mag- nanerie pour distribuer la feuille aux vers qui sont placés sur les tablettes supérieures, auxquelles on ne peut atteindre autrement. Nous conseillons sim- plement, tant pour l’intérieur des magnaneries que pour la cueillette des feuilles, des échelles simples et doubles, à échelons ronds ou plats, comme on les aura, et telles qu’on les trouve d’ailleurs partout, parce qu’elles nous ont paru faciles à approprier aux différents services dont il est question. Des paniers de différentes grandeurs sont néces- saires pour porter et distribuer la feuille du mûrier dans les différentes parties de la magnanerie, et la distribuer aux vers sur les tablettes. Ces paniers doivent être légers et, de préférence, faits en osier ; leur forme importe peu, mais en général il faut qu’ils soient pourvus d’une anse, et que celle-ci soit munie d’un crochet par lequel on puisse les suspen- dre toutes les fois que cela sera nécessaire, soit au rebord des tablettes, soit aux échelons supérieurs des échelles, quand on les emploie pour porter la nourriture aux vers placés sur les tablettes élevées. Lorsque les vers sont parvenus à cet état qu’on appelle la maturité, ils cessent de manger, ils quittent la litière, courent ça et là sur le bord des tablettes, en levant de temps en temps la partie supérieure de leur corps, comme pour chercher une place pro- pre à faire leur cocon ; ces signes annoncent qu’ils sont tout prêts à commencer ce travail. Dès qu’un certain nombre de vers indique ainsi que la fin du 5e âge est arrivée, il faut s’occuper sans retard de leur procurer les moyens de faire leurs cocons. On a imaginé, pour leur rendre ce travail plus facile, Fig. 135. deleurconstruiredescabanesouhaies(fig.135)sur lesquelles ils puissent monter. Ces cabanes se font avec de petits faisceaux composés de rameaux effilés, flexibles et secs, liés seulement par le bas et par leur gros bout. Dans le midi, on prend ordi- nairement, pour composer ces petits faisceaux, des rameaux de la bruyère arborescente, de l’alaterne ou du genêt ; mais dans les pays où ces espèces ne se trouvent pas, ou sont rares on peut employer à leur place d’autres espèces de bruyère, ou des rameaux de bouleau cueillis à la fin de l’hiver, avant le dével- oppement des feuilles. Quelle que soit l’espèce dont on forme les faisceaux, ceux-ci doivent être d’un tiers au moins plus longs que l’espace qui se trouve entre deux tablettes, afin que la partie qui forme la base de chaque poignée étant appuyée sur les tab- lettes, la portion supérieure, dont toutes les brin- dilles doivent rester libres et divergentes, puisse être plus ou moins forcée et recourbée en berceau par le plancher de la tablette qui se trouve au-dessus. On place ainsi sur chaque tablette, après l’avoir auparavant bien nettoyée, le nombre de faisceaux nécessaires, en les espaçant à 3 ou 4 pouces les uns des autres, et en les disposant de manière à former, par le haut, des espèces d’arcades ou berceaux, et en laissant d’ailleurs assez d’espace d’un berceau à l’autre, pour que les vers qui ne montent pas tout de suite puissent encore être à l’aise dans le bas des tablettes, et continuera y recevoir leur nourriture jusqu’au moment où ils quitteront la litière. En con- struisant les cabanes, il faut avoir bien soin qu’elles ne débordent jamais les tablettes sur lesquelles elles sont appuyées, afin que les vers auxquels il arrive de tomber après y être montés, ne fassent pas des chutes de trop haut, et que, tombant sur les tab- lettes, ils puissent de nouveau remonter facilement dans la ramée, tandis que s’ils tombaient en dehors, leur chute les exposerait davantage à se blesser, et ils ne pourraient plus retrouver le chemin des cabanes. On a conseillé un petit châssis à peu près semblable à la tablette de transport dont on a déjà parlé, pour mettre les papillons mâles et femelles lorsqu’ils sont accouplés, et un chevalet sur lequel est tendu un linge pour y placer les femelles après qu’elles sont fécondées, et sur lequel elles doivent faire la ponte de leurs œufs. Ces deux ustensiles, qu’on trouve figurés dans les ouvrages de dandoLo et de M. BonaFous, ne nous ont pas paru nécessaires. Nous nous sommes toujours servis, pour placer nos papillons, d’un petit meuble à plusieurs tiroirs ayant chacun 2 pieds de longueur, 1 pied de largeur et 3 pouces de hauteur. Nous mettons dans différents tiroirs : 1° les papillons accouplés ; 2° les femelles séparées des mâles après avoir été fécondées ; 3° les mâles gardés pour les donner aux femelles qui n’ont point encore subi l’accouplement. Les tiroirs dans lesquels nous plaçons les femelles fécondées ou accouplées sont garnis, dans le fond, d’un morceau de toile ou d’étoffe de laine ou de coton suffisamment grand, sur lequel les femelles pondent leurs œufs. Le tiroir dans lequel il n’y a que des mâles n’est garni que de papier. D’après cette manière de faire, ces papillons sonttoujourstenusdansuneobscuritécomplète, excepté dans les moments fort courts où l’on ouvre les tiroirs pour effectuer les accouplements, les surveiller ou en operer la séparation, et rien ne peut détourner les femelles du travail de la ponte. L’obscurité semble être favorable au papil- lon du ver à soie, qui est un insecte nocturne. La petite chambre qui a servi d’étuve, et qui, depuis

CHAP.7e DE LA MAGNANERIE EN GÉNÉRAL 133 longtemps, n’a plus d’emploi à l’époque de la nais- sance des papillons, est un lieu convenable pour cet objet. À ces tiroirs, placés dans un meuble particu- lier, on peut, à la rigueur, substituer des boîtes car- rées, en bois mince ou même en carton, d’égale lar- geur et longueur ; 5 à 6 de ces boîtes, placées les unes sur les autres, seront suffisantes pour faire 6 à 8 onces de graine, et, pour intercepter le jour à la supérieure on la recouvrira d’une grande feuille de carton. Pour se procurer une plus grande quantité de graine, il vaudra mieux avoir un meuble, qu’on peut faire faire depuis 8 jusqu’à 12 tiroirs, et même plus. LoiseLeur-desLonChamps. § iv. — Purification de l’air des ateliers. Les causes occasionelles des maladies qui affectent le ver à soie, ont été l’objet des recherches des natu- ralistes qui en ont étudié les symptômes, la marche, ainsi que les altérations qu’elles produisent. Tous leurs travaux nous portent à conclure que, dans l’état actuel de nos connaissances, il est plus diffi- cile de guérir les maladies de cet animal que de les prévenir. Les moyens de prévenir les maladies ne consistent pas seulement dans le choix de la feuille du mûrier, dans l’ordre des repas et la quantité de nourriture appro- priée à chaque période de la vie de ces insectes, dans une température convenablement graduée, et dans l’espace progressif qu’on doit leur faire occu- per à mesure qu’ils se développent ; ils reposent plus encore dans les soins nécessaires pour les préserver des émanations produites par la fermentation de leur litière et des matières exerémentitielles. Dans le but de détruire ces funestes émana- tions, que la circulation d’un grand volume d’air, la propreté, les soins, et la surveillance ne suffis- ent pas toujours pour éloigner, les habitants des campagnes essaient vainement de faire brûler des feuilles odoriférantes, de l’encens on des baies de genièvre ; les vapeurs qui en proviennent masquent plutôt qu’elles ne détruisent les mauvaises odeurs de l’air atmosphérique ambiant, et les seules fumi- gations efficaces dans ce cas, sont celles qui peu- vent changer la nature des émanations répandues dans les ateliers, les décomposer et faire contracter à leurs principes des combinaisons nouvelles qui ne soient pas douées de principes nuisibles. Guidé par cette théorie, M. paroCeTTi fut le pre- mier en 1801 à appliquer le chlore à l’assainissement des ateliers. Depuis lors, dandoLo et ses nombreux imitateurs ont constaté par une longue expérience les effets salutaires de ce gaz dont l’usage est dev- enu vulgaire chez les cultivateurs éclairés. Ce dern- ier agronome avait aussi recommandé le procédé de M. smiTh, consistant à charger l’atmosphère de vapeurs d’acide nitreux, qui se dégagent du nitrate de potasse (salpêtre) arrosé d’acide sulfurique (huile de vitriol) ; et une pratique de plusieurs années me porte à croire que ces vapeurs, moins irritantes que celles du chlore, ont plus d’efficacité dans les ateliers peu spacieux. Cependant, quel que soit le pouvoir désinfectant du chlore et des vapeurs nitreuses, ils n’exercent pas d’action sur l’acide carbonique qui, en se dégageant en grande quantité des matières végétales et ani- males, rend l’air qui lui sert de véhicule moins pro- pre aux fonctions respiratoires. Il fallait rechercher un procédé capable d’agir simultanément sur l’hy- drogène, partie constituante des miasmes, et sur l’acide carbonique, isolés ou combinés entre eux. Dans ce but, j’ai fait choix du chlorure de chaux, dont on connaît bien aujourd’hui la propriété de désin- fecter l’air et de ralentir la putréfaction, et j’ai tenté des expériences comparatives afin de m’assurer de son efficacité pour assainir les ateliers de vers à soie. Ces expériences ont eu un succès décisif, et les résul- tats que j’ai obtenus me paraissent assez remarqua- bles pour fixer l’attention des éducateurs de vers à soie et les déterminer à employer le chlorure de chaux à l’assainissement de leurs ateliers ; la facilité avec laquelle on le prépare, le prix modique auquel il revient, contribueront sans doute à en introduire bientôt l’usage dans notre économie agricole. Pour procéder à l’assainissement d’un atelier de vers à soie, il suffit de placer au milieu de cet atelier un baquet ou une terrine contenant une partie de chlorure de chaux sur trente parties d’eau environ, ou 30 grammes (1 once) de chlorure sur 1 litre d’eau, pour chaque quantité de vers provenant d’une once de graine ; on agite la matière, et, quand elle est précipitée, on tire à clair, on renouvelle l’eau, et l’on réitère l’opération 2 ou 3 fois dans les 24 heures, suivant que le besoin d’assainir l’air est plus ou moins impérieux. On ne change le chlorure que lorsqu’il cesse de répandre de l’odeur. Mais, en recommandant ce nouveau mode de désinfection, je ne saurais trop inviter aussi les cul- tivateurs à ne pas négliger de faire pénétrer dans les ateliers un courant d’air qui chasse celui qu’ils contiennent, et de faire fréquemment des feux de flamme, de manière à lui procurer une expansion qui le détermine à céder sa place à l’air extérieur ; tant il est vrai qu’une ventilation bien dirigée me semble encore préférable aux moyens que la chimie, dans l’état actuel de nos connaissances, peut offrir aux éducateurs de vers à soie. BonaFous. seCTion iv. — Soins à donner aux vers à soie, ou éducation dans les différents âges. § ier. — Éclosion de la graine, naissance des vers. Pour avoir des éducations de vers à soie qui soient productives, la première chose à faire est de se pro- curer de bonne graine ; c’est ainsi qu’on appelle ordi- nairement les œufs de ces insectes, probablement à cause de la ressemblance qu’ils présentent avec de menues graines. Celle qu’on peut avoir de sa pro- pre récolte doit toujours être considérée comme la meilleure, parce qu’on est plus sûr de ses qualités, et que quelquefois on est trompé en l’achetant ail- leurs ; cependant, lorsqu’on en est dépourvu, il faut

134 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. s’en procurer en la faisant venir des pays les plus avantageusement connus sous le rapport des soies qu’ils fournissent au commerce. C’est une erreur de croire, ainsi que cela a lien dans plusieurs cantons où l’on se livre à l’éducation des vers à soie, qu’il faut de temps en temps changer la graine d’un canton pour celle d’un autre. Ce pré- jugé n’a pu prendre naissance que dans les can- tons ou l’on ne donne pas les soins convenables aux vers ; car il n’y a que cela qui puisse faire dégénérer la graine, qu’on peut au contraire améliorer jusqu’à un certain point par de bons soins ; ainsi, en 1824, des vers nourris de mûrier rouge nous donnèrent des cocons dont le cent ne pesait que 1 once 6 gr. La graine de ces cocons ayant été conservée, nous sommes parvenus à l’améliorer et à la régénérer de telle sorte qu’en 1827 les vers qui en étaient descen- dus firent des cocons dont le cent pesait déjà 6 onces 1 gr. 24 grains, et en 1829, cent cocons, toujours de la même race, pesèrent jusqu’à 6 onces 4 gros. La graine se conserve ordinairement attachée sur des morceaux de linge ou d’étoffe de coton ou de laine, sur lesquels elle a été pondue, jusqu’au moment où l’on veut la vendre, ou quelque temps avant de la soumettre à l’incubation pour la faire éclore. Elle se vend au poids, et le prix d’un once varie depuis 3 jusqu’à 5 fr. et même plus, selon que la récolte précédente a été plus ou moins abondante. Dans presque tous les pays où l’éducation des vers à soie est en pratique, l’once de graine ne fait que les 4/5 de celle de Paris ou du poids de marc ; l’once d’Italie est encore plus faible ; elle ne contient que 39,138 œufs, selon dandoLo, celle du midi de la France environ 40 000, et celle du poids de marc à peu près 50 000. On peut conserver la graine et reculer assez longtemps l’époque de son éclosion en la plaçant dans des caves ou des carrières, dont la température soit basse et varie peu ; des expériences nombreuses nous ont démon- tré, dans les essais d’éducation multiples auxquels nous nous sommes livrés, que dans les glacières on peut la conserver au moins tout l’été, et durant un temps que nous n’avons pu déterminer. Dans tous les cas, afin de préserver la graine de l’influence de l’humidité, il est essentiel de placer les linges sur lesquels elle est collée, dans des bocaux dont on lute bien hermétiquement l’orifice. Pour détacher plus facilement la graine des linges ou des morceaux d’étoffe sur lesquels le papillon femelle l’a fixée, on les plonge dans une suffisante quantité d’eau à la température de 10 ou 11°R et on les retire après les y avoir laissés 5 à 6 min- utes, ce qui suffit pour dissoudre la substance gom- meuse qui tient les œufs attachés aux linges. Alors, on applique ces derniers sur une table en les tenant bien tendus, et avec un couteau de bois ou d’os, ou même de fer qui soit très émoussé et qu’on passe en l’appliquant du plat entre l’étoffe et les œufs, on détache ceux-ci avec beaucoup de facilité. Au fur et à mesure qu’on en a détaché une certaine quantité, on la dépose dans un vase rempli d’eau à la même température, jusque ce qu’il n’en reste plus sur les linges ou l’étoffe. Cela fait, on agite doucement cette eau avec la main en cherchant à séparer les œufs qui pourraient être collés les uns aux autres. Dans cette opération, tous ceux qui surnagent ne valent rien, on les enlève et on les jette ; tous ceux qui vont au fond sont féconds. Quand on juge que ces derniers sont suffisamment lavés et nettoyés, on décante avec précaution l’eau qui les recouvre, afin de n’en pas perdre, et tout ce qui est au fond du vase est retiré et mis sur un ou plusieurs tamis ser- rés ou sur des linges, ou seulement dans des assi- ettes que l’on incline à moitié afin d’en faire égout- ter l’eau. Dans un lieu sec, un peu aéré, la graine est assez sèche au bout d’une journée ; cependant, de peur qu’elle n’ait encore un peu d’humidité, il vaut mieux la laisser exposée à l’air pendant 2 ou 3 jours, en la remuant plusieurs fois pendant ce temps, pourvu que la température du lieu où elle est ne soit pas à plus de 9 ou 10°. Si on a une grande quantité de graine, il faut recommencer l’opération à plu- sieurs reprises, parce qu’on ne peut guère faire subir la préparation indiquée ci-dessus à plus de 8 à 10 onces à la fois. Il est toujours bon d’ailleurs qu’elle soit faite un mois environ avant de mettre à éclore, et dans un moment où l’embryon est encore dans le plus grand repos ; si on la faisait, au contraire, trop près de l’éclosion, cela pourrait nuire à cette fonc- tion. Jusqu’au moment de préparer l’incubation, la graine peut être gardée dans des assiettes, dans de petites boîtes plates où les couches aient 4 à 5 lignes d’épaisseur, ou enfin enveloppée dans du papier. La graine ainsi convenablement préparée et bien sèche peut aussi être distribuée dans de petites boîtes par 2 à 4 onces, où elle ne souffre pas de pression, et être envoyée partout où elle sera demandée. Boissier de sauvages dit que la graine se détache toujours assez facilement de l’étoffe sur laquelle elle a été pondue, sans qu’il soit besoin d’employer les lavages ; mais nous croyons qu’on doit en la détachant en briser davantage ; d’ailleurs, la graine reste malpropre, et enfin les œufs clairs et inféconds ne peuvent facilement être séparés, et comme ils restent mêlés aux bons, on n’est jamais à même d’apprécier au juste la quantité de bonne graine qu’on a mise à éclore. Dans l’état de nature, la graine commence à éclore spontanément lorsque la température s’est maintenue pendant environ 15 jours entre 10 et 12° ; mais alors les vers naissent les uns après les autres pendant plusieurs semaines de suite, et il n’y a pas moyen de faire d’éducation régulière et profitable. Pour obvier à cet inconvénient, on conserve la graine à la plus basse température qu’il est possible jusqu’au moment où l’on voit que les bourgeons du mûrier, qui doivent servir à la nourriture des vers, commen- cent à se développer ; alors on dispose la graine qu’on veut faire éclore ainsi qu’il a été dit plus haut, soit pour lui faire subir l’incubation au nouet, soit pour la placer dans la couveuse artificielle, l’ar- moire incubatoire ou l’étuve proprement dite. Ce qui a été déjà dit sur l’éclosion au nouet est suff- isant ; mais nous devons ajouter quelque chose sur

CHAP.7e SOINS À DONNER AU VERS À SOIE 135 la manière d’opérer par les autres procédés, et sur les degrés de chaleur qu’il est convenable d’entret- enir dans les appareils dont il vient d’être question, ainsi que dans l’étuve où la chaleur doit être portée successivement et ensuite soutenue aux degrés con- venables. dandoLo fixe a 13 jours le temps nécessaire pour faire éclore les vers en exposant pendant ce temps la graine dans l’étuve aux degrés de chaleur ainsi qu’il suit : les deux 1ers jours la température est fixée à 14°, le 3e jourelleestportéeà15°,le4e à16°,le5e à17°, le6e à18°,le7e à19°,le8e à20°,le9e à21°,les10e, 11e et 12e à 22°, et le 13e l’éclosion des vers com- mence. Celle-ci s’annonce dans les derniers jours par le changement de couleur des œufs ; ils étaient d’abord d’un gris cendré un peu foncé, ils s’éclair- cissent et prennent peu à peu une couleur cendrée claire, de laquelle ils passent enfin au blanc sale. Il paraît d’ailleurs que l’éclosion plus rapide ou plus ralentie dépend de circonstances atmosphériques qui ne sont pas encore bien connues, car M. BonaFous, dans un mémoire sur une éducation de vers à soie faite en 1822, dit avoir fait éclore ses œufs en 10 jours, en commençant également par donner à l’étuve une chaleur de 14° et en ne l’élevant qu’à 20 et 21° les 9e et 10e jours. Un auteur antérieur aux deux précédents, Boissier de sauvages, dit que les graines éclosent en4à5joursenlesexposantà30ou32°;mais qu’alors il y en a une grande partie qui manque. Le même dit encore qu’ayant suspendu un petit paquet de graine à sa fenêtre sur un mur exposé au midi où la chaleur directe du soleil faisait monter le thermomètre à 45°, pendant qu’il descendait la nuit à 15, ce qui fait une différence de 30° de chaleur du plus au moins, cependant tous les œufs produisirent des vers, quoique fort à la longue. À la fin d’avril 1830, après avoir transporté, dans une chambre où le thermomètre a été maintenu pendant 4 jours à 14°, de la graine qui, les jours précédents, n’était qu’à 10° et même au-dessous, nous avons tout à coup, le 5e jour, élevé la tempéra- tureà26°,27°,etle4ejour,aprèsquelagraine eut été exposée à cette chaleur constante, les vers commencèrent à éclore en grande quantité ; dès le 3e jour même il en était né plusieurs. Nous avions opéré sur plus de 2 onces de graine ; l’éclosion fut très abondante pendant 4 jours, et les vers étaient très bien portants. Quoi qu’il en soit, les vers qui naissent le 1er jour sont ordinairement peu nombreux, et on néglige de les recueillir ; mais on commence le 2e à les relever, en employant les moyens que nous allons détail- ler ; on en fait 4 ou 5 levées dans le courant de la journée. La naissance des vers est toujours plus abondante depuis le lever du soleil jusqu’à 2 ou 3 heures après midi, elle se ralentit ensuite beaucoup dans le reste de la journée, et pendant la nuit elle devient tout à fait nulle. La totalité des vers met au moins 3 à 4 jours à naître ; tant que l’éclosion paraît assez nombreuse, on recueille les vers, et on ne cesse de le faire que lorsqu’ils deviennent trop rares pour que cela en mérite la peine. Au moment où l’on commence à voir sortir les petits vers de leurs œufs, on leur donne de petits rameaux garnis de jeunes feuilles de mûrier dont le développement coïncide toujours avec celui des vers quand leur éclosion n’a pas été trop hâtée. Si l’on plaçait les rameaux immédiatement sur la graine, il arriverait souvent, lorsque les vers seraient montés dessus, et lorsqu’on voudrait les relever pour en substituer de nouveaux, qu’on enlèverait en même temps des œufs non encore éclos ; pour obvier à cet inconvénient, on couvre toute la graine de chaque boîte avec un morceau de canevas, ou mieux encore d’un morceau de papier un peu fort, sur toute la surface duquel on a pratiqué avec une grosse épingle des trous nombreux formant comme un petit crible. Ce papier doit être appliqué sur la graine par le côté où l’on a fait entrer l’épingle, et on recouvre sa surface supérieure de jeunes bour- geons de mûrier détachés de leurs branches, ou même de petits rameaux garnis de leurs feuilles. Si on ne prenait cette précaution dès qu’on voit un certain nombre de jeunes vers sortir de la graine, ceux-ci, aussitôt après leur naissance, se répand- raient de tous côtés, errant à l’aventure, cherchant à satisfaire l’appétit qu’ils ont déjà. Guidés par l’in- stinct et par l’odeur des feuilles de mûrier placées sur le papier criblé qui est au-dessus d’eux, ils en traversent rapidement les trous pour aller prendre leur nourriture. Quand l’éclosion se fait bien, sou- vent en une heure tous les bourgeons de mûrier sont tellement garnis de vers, que toute verdure a dis- paru ; on n’aperçoit à sa place qu’une sorte de four- milière noirâtre où les petits insectes sont par milli- ers. Alors on enlève avec précaution les rameaux ou les bourgeons de mûrier, tout chargés qu’ils sont de vers, en les prenant, surtout si ce sont de simples bourgeons, avec de petites pinces plates et légères dites brucelles, et en ayant la précaution de ne presser que très modérément l’instrument, et on les dépose sur une petite tablette de transport garnie de papier, pour aller ensuite, lorsque la levée est terminée, les placersurlestablettes(fig.136)oùdoitcommencer Fig. 136. leur éducation. Aussitôt que cela est fait, on remet sur le papier-crible d’autres bourgeons ou d’autres rameaux de mûrier qu’on enlève encore 2 ou 3 heu-

136 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. res après lorsqu’ils sont couverts de nouveaux vers, et on continue ainsi à en faire des levées successives jusqu’à ce que l’éclosion des œufs soit entièrement achevée, ou au moins jusqu’à ce que les vers des dernières levées deviennent trop peu nombreux pour mériter d’être recueillis. § ii. — Premier âge. Le ver à soie, au moment de sa naissance, a 1 ligne 1⁄4 de longueur, et il pèse 1/110 de grain poids de marc. Tout son corps est hérissé de poils et il paraît noirâtre à la vue simple ; avec la loupe on reconnaît que sa tête est écailleuse, d’un noir plus luisant que le reste du corps, qui est composé de 10 anneaux. À cette époque, tous les vers nés d’une once de graine peuvent facilement tenir dans un espace de 2 pieds carrés ; mais, au lieu de les mettre tous ensemble en les disposant sur les tabletttes, on les divise sur plu- sieurs places de manière qu’il ne soit pas nécessaire de les remuer jusqu’au moment de la 1re mue, et de sorte qu’ils puissent alors y occuper 9 à 10 pieds car- rés. Comme tous les vers ne sont pas nés en même temps, et que si on leur donnait à tous une quantité égale de feuilles de mûrier à manger, les 1ers avance- raient davantage que les derniers, il faut chercher à les rendre égaux, au moins ceux qui sont nés le même jour. On y parvient en éloignant les époques des repas pour les 1ers éclos, tandis qu’on les rap- proche pour les derniers, de manière qu’à la fin de la journée ils aient tous reçu autant de nourriture les uns que les autres. Quant aux vers qui sont nés à 1 ou 2 jours de distance, comme il n’est pas possible de les rendre égaux à ceux éclos le 1er jour, on les place sur des tablettes différentes que l’on distingue par des numéros, parce que, pendant toute l’édu- cation, ces derniers vers seront toujours en retard des 1er d’un nombre de jours égal au temps pendant lequel leur naissance a été différée. Pendant tout le 1er âge on donne chaque jour aux vers 4 repas, qu’on leur distribue à des intervalles égaux. Si on a fait coïncider le commencement de l’incuba- tion avec le développement des feuilles de mûrier, celles-ci pourront être données aux vers telles qu’on les aura cueillies sur les arbres ; elles se trouver- ont proportionnées à la grosseur des vers ; mais si l’éclosion a été retardée, et que les feuilles soient devenues un peu grandes, on les coupera en petits morceaux, ce que l’on fait facilement en en prenant de petites poignées et en se servant de ciseaux ou d’un couteau : par ce moyen on multiplie le nombre des bords par lesquels les petits vers se mettent le plus ordinairement à les manger ; cependant nous avons vu souvent les plus petits vers attaquer les feu- illes par leur milieu même. dandoLo et m. BonaFous se sont donné la peine de peser ce que les vers d’une once de graine con- somment de feuilles pendant les différents âges de leur existence ; ils ont trouvé que, pendant le 1er cette quantité montait à 7 livres en tout, et d’après cela ces auteurs prescrivent le poids de ces feuilles pour chaque journée et chaque repas ; mais il nous a paru que c’était compliquer les embarras de l’éd- ucation que de s’astreindre à avoir toujours la bal- ance à la main pour distribuer chaque repas. La consommation ne peut d’ailleurs être invariable, elle est soumise à la bonne santé des insectes. La durée du 1er âge n’est que de 5 jours, d’après dandoLo et m. BonaFous, et cela à une tempéra- ture constante de 19°. Nous nous croyons forcés de dire que jamais, dans aucune des nombreuses éducations que nous avons faites, nous n’avons pu obtenir de semblables résultats ; ce n’a été qu’à une chaleur de 21° à 22° que nous avons vu le 1er âge se terminer en 5 jours ; autrement il s’est toujours étendu à 6, 7, 8 jours, et même beaucoup au-delà, lorsque la température n’a été que de 18°, 17°, 16°, et au-dessous. Quoiqu’il en soit, il est hors de doute qu’il y a économie de temps et de feuilles à tenir les vers dans une température un peu élevée et con- stamment la même, sans compter que l’on perd moins de vers que lorsqu’on fait traîner l’éducation en ne donnant pas assez de chaleur. La 1re mue s’annonce par l’éclaircissement de la couleur des vers ; au moment où ils s’endorment, ils deviennent luisants et comme bouffis. Quand on voit les vers engourdis, on diminue la quantité de feuilles ; on n’en donne qu’à peu près ce qu’il en faut pour ceux qui restent éveillés et mangent encore ; lorsqu’on les voit tous endormis, on peut pendant un jour entier ne leur rien donner du tout jusqu’à ce qu’ils aient fait leur lre mue, c’est-à-dire qu’ils aient quitté leur lre peau pour en revêtir une nouvelle. Cette mue, ainsi que les 3 autres qu’ils doivent encore subir, est une époque critique pour les vers, et il y en a toujours plusieurs qui suc- combent. Quelque soin que l’on prenne pour traiter tous les vers egalement bien, il y en a aussi toujo- urs quelques-uns dont la mue est précoce, et d’au- tres pour lesquels elle est tardive, de manière que le temps de la mue n’est jamais moindre d’un jour 1⁄2 à 2 jours et même 2 jours 1⁄2. Les différentes mues ne sont pas d’ailleurs égales entre elles ; la 1re est plus courte que la 2e ; celle-ci que la 3e ; enfin, celle qui dure le plus longtemps est la 4e, et c’est aussi, en général, celle dans laquelle il périt le plus de vers. § iii. —Deuxième âge. Aussitôt après la 1re mue, commence le 2e âge, les vers pèsent alors 1/8 à 1/9 de grain ; ils ont 3 lignes 1/2 à 4 lignes de longueur ; tout leur corps paraît chargé d’une sorte de poussière ; il est tacheté régulièrement de mouchetures d’un brun foncé ou d’un brun roussâtre, placées sur un fond blanchâtre ou grisâtre. Dès qu’on s’aperçoit que les vers revê- tus de leur nouvelle peau ont repris toute leur vivac- ité, on doit sans retard les enlever de la litière qui s’est formée sous eux par les débris des feuilles qui ont servi à leur nourriture. Pour rendre ce déplace- ment plus facile, on étend, sur les petites chenilles, de jeunes rameaux de mûrier garnis de leurs bour- geons et de leurs feuilles, et 2 à 3 heures après, lor- sque l’on voit que les vers sont montés de leur litière

CHAP.7e SOINS À DONNER AU VERS À SOIE 137 sur ces rameaux et qu’ils en sont tous chargés, on les transporte sur d’autres parties de tablettes où on les distribue de manière à ce qu’ils soient disposés sur un espace d’environ 20 pieds carrés, ce qui est l’étendue dont ils auront besoin jusqu’à la fin de leur 2e âge. Comme il y a toujours des retardataires qui n’ont point accompli leur mue en même temps que les autres, au lieu de jeter la litière hors de l’atelier, on laisse passer 4 à 5 heures, et lorsqu’au bout de ce temps on voit un nombre assez considérable de vers ayant enfin achevé leur lre mue, on les recouvre de nouveaux rameaux comme la lre fois, afin de recue- illir ces vers en retard. Le moyen de faire regagner à ces derniers le temps perdu par eux, c’est de leur donnerlelendemainetlejoursuivantunrepasde plus qu’à ceux qui ont l’avance, et ce moyen doit être employé par la suite pour tous les retardataires des différentes mues. Quant à ceux qui peuvent encore être restés sur la litière, comme ils ne sont ordinairement qu’en petit nombre, et que leur long retard annonce peu d’énergie vitale, on les jette ordinairement hors de l’atelier avec la vieille litière. Quatre repas en 24 heures continueront à être donnés aux vers pen- dant tout le 2e âge qui, à la température de 18 à 18° 1⁄2, ne dure que 4 jours selon dandoLo et M. BonaFous, et pendant lequel les vers d’une once de graine mangent 21 livres de feuilles mondées ; mais, de même que nous avons déjà dit que nous avions vu le 1er âge durer plus que ces auteurs ne l’indiquent, de même aussi nous avons observé que le 2e âge se prolongeait toujours plus de 4 jours, et nous répétons ici cette observation pour la dernière fois, afin de n’y plus revenir pour les âges suivants, mais en leur appliquant la même remarque. Sup- posant donc la durée du 2e âge invariable, les vers devront s’endormir le 4e jour ; à la fin du suivant ils seront réveillés, auront fait leur 2e mue, et on les relèvera alors de leur litière de la manière prescrite. § iv. — Troisième âge. Mesurés et pesés aussitôt après leur change- ment de peau, les vers en commençant leur 3e âge ont 7 lignes de longueur et pèsent chacun 1 grain. Leur couleur est à peu près la même que dans le 2e âge, mais plus claire ; quelques-uns sont mou- chetés de brun foncé sur les anneaux inférieurs de leur corps ; le 4e à compter de la tête est marqué de 2 lignes figurées comme des croissants étroits. Le 3eâge,d’aprèslesauteursdéjàcités,dure7jours, et pendant ce temps les vers consomment 70 livres de feuilles. La chaleur de la chambre peut être un peu diminuée, il suffit qu’elle soit de 18° d’abord, et ensuite de 17 seulement. Dans les deux âges précédents les vers ont pu rester d’une mue à l’autre sur leur litière, sans en être changés ; mais, comme la durée du 3e âge est plus longue, et que les vers étant plus gros font une plus grande consommation de feuilles et rendent par suite des excréments plus considérables, il faut, au milieu de cet âge, avoir soin de les déliter par les moyens déjà indiqués, et la vieille litière étant jetée hors de l’atelier, on appro- prie la place que les vers ont occupée, c’est-à-dire environ 32 pieds carrés, afin qu’elle puisse servir de nouveau ; ce qui doit se faire d’ailleurs à chaque fois qu’on enlève une ancienne litière. Le 6e jour du 3e âge les vers s’endorment, occupant alors 46 pieds carrés, et ils s’éveillent le 7e jour ayant fait leur 3e mue. § v. — Quatrième âge. Déjà les vers ont changé 3 fois de peau en prenant toujours à chaque fois un accroissement plus considérable. Cette fois ils ont 1 po. de lon- gueur(fig.137),etlepoidsdechacund’euxest Fig. 137. de 4 grains. Leur couleur générale est blanchâtre, mais chaque anneau de leur corps est tiqueté d’une multitude de petits points grisâtres ; les 3 anneaux supérieurs sont toujours plus clairs que les suivants, et les 2 traits en croissant que porte le 4e, sont dev- enus plus larges, roussâtres, avec une ligne blanche dans le milieu. Pendant le 4e âge, dont la durée est de 7 jours comme le précédent, les vers prov- enant d’une once de graine auront besoin d’oc- cuper depuis 60 jusqu’à 110 pieds carrés, et c’est alors, afin de pouvoir facilement leur donner tout l’espace qui va leur devenir nécessaire dans cet âge et surtout durant le suivant, qu’il laut les trans- porter sans délai dans le grand atelier. Pendant cet âge la consommation des feuilles augmente tous les jours d’une manière sensible. Cette consommation, d’après les auteurs cités plus haut, est fixée à 240 livres, qui sont encore distribuées en 4 repas chaque jour, en faisant attention qu’on va toujours en aug- mentant la quantité de chaque repas jusqu’au 4e jour, qui est celui où les vers mangent le plus ; car ensuite leur appétit diminue jusqu’au moment ou ils vont faire leur 4e mue ; alors, de même que la veille de toutes les autres mues, le besoin de manger s’éteint totalement, et, l’on peut pendant 24 heu- res leur supprimer la plus grande partie de la nour- riture ordinaire. Quant à l’accroissement d’appétit que les vers éprouvent jusqu’au milieu de leur 4e âge, une augmentation semblable a lieu dans tous lesautresâges;onlanommepetitefrèzedansles4 1ers âges, et grande frèze dans le 5e. La température de l’atelier pendant le 4e âge n’a pas besoin d’être au-dessus de 16 à 17° ; les vers ayant plus de force n’ont pas besoin d’autant de chaleur que dans les âges précédents où ils étaient plus faibles, et quand il arrive que l’air extérieur est naturellement aussi chaud que l’intérieur, on se dis- pense de faire du feu dans les poêles et les chem- inées de l’atelier, et on peut alors ouvrir toutes les fenêtres, surtout si l’atmosphère est calme. Au 4e jour de cette époque il faut avoir soin de déliter

138 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. les vers ainsi qu’on l’a fait dans la période précé- dente. Le 6e jour les vers s’endorment pour la dern- ière fois, afin de faire leur 4e et dernière mue ; c’est pour eux la plus critique et aussi la plus longue ; bien peu de vers n’y emploient que 24 heures, beau- coup ne l’achèvent qu’en 30 heures et même plus. § vi. — Cinquième âge. Comme nous avons toujours supposé jusqu’à présent, pour la facilité de l’explication, que toutes les mues se faisaient régulièrement et sans retard, nous dirons que le 7e jour du 4e âge étant passé, les vers ont opéré leur 4e mue et qu’ils sont entrés dans leur 5e âge. Si on les examine alors, on les trouve Fig. 138. entièrement changés et presque méconnaissables ; ils ont 20 à 22 lignes de longueur ( fig. 138), et pèsent 14 à 17 et même jusqu’à 20 grains ; leur peau est presque partout blanchâtre tirant à la couleur de chair, sans taches, mais elle paraît comme recou- verte d’une poudre très fine. Telle est la couleur la plus ordinaire des vers ; cependant on rencontre presque toujours, dans une éducation un peu nom- breuse, quelques vers qui diffèrent d’une manière très sensible de ceux qui viennent d’être décrits ; ces vers, au lieu d’être blanchâtres, sont d’un gris foncé et presque noirâtre, avec peu ou point de taches blanches. Au reste, à l’époque dont il est question, on voit dans tous les vers, d’après la couleur de leurs 8 pattes postérieures, quelle sera la couleur de la soie qu’ilsfileront;cespattessontjaunespourlasoie de cette couleur, et blanches si le fil de l’insecte est blanc. Déjà, pendant le 4e âge, ces signes de la couleur future de la soie pouvaient être entrevus, mais ils sont beaucoup plus distincts au commence- ment du 5e. Aussitôtquelesversontfaitleur4emue,onleschange de tablettes en les espaçant toujours davantage. C’est alors aussi qu’il faudra avoir ample provision de feuilles, car la consommation que les vers vont en faire pendant leur 5e âge sera énorme ; elle devra être au moins 4 fois plus considérable qu’elle n’a été pendant tous les âges précédents, puisque les quantités que nous avons annoncées précédemment ne se montent encore qu’à 300 et quelques livres, et que plus de 1400 vont leur devenir nécessaires. La place que les vers occupent sur les tablettes et la quantité de feuilles qu’ils mangent dépendent essentiellement de leur nombre, et ce nombre lui- mêmeestsoumisàl’étatdesantédesvers,qui dépend non seulement des bons soins apportés dans l’éducation, ce dont, il est vrai, on est toujours maître, mais plus encore sans doute de l’état de l’atmosphère extérieure dont il est toujours très difficile, pour ne pas dire impossible de modifier les influences à l’intérieur de l’atelier. On voit donc d’après cela au’il est difficile de prévoir la quantité de vers qu’on perdra dans le courant d’une éducation ; car, quelque heureuse qu’elle puisse être, il mourra toujours des vers par une cause ou par l’autre. dandoLo, sous le rapport de la conservation, paraît avoir obtenu des succès inconnus avant lui ; mais on serait probablement dans l’erreur si l’on croyait qu’il fût facile d’arriver toujours aux mêmes résultats que lui. La preuve en est que même en ne faisant que des éducations peu nombreuses, et dans lesquelles par conséquent, toutes chances égales d’ailleurs, il est plus facile d’obtenir des succè, cependant on va voir par le tableau que nous allons donner des résultats de 39 éducations, combien le produit en a été variable. Dans 7 éducations nous avons eu perte de 1/2 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 2/5 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/3 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/4 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/5 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/6 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/7 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/8 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . des 1/9 D’après cela, lorsqu’on procède par 10 onces de graine, par exemple, la quantité de vers à loger et à nourrir pendant le 5e âge, pourra varier de 10 à 50 et même à 100 mille, si la perte totale doit être d’l/5e, d’1/4, d’1/3 ou même de moitié, ce qui, dans les grandes éducations, est ce qui arrive le plus souvent. Il est donc très difficile de pouvoir peser la quantité de feuilles donnée à chaque repas aux vers pendant toute une éducation. Si on le fait, ce ne peut être qu’un objet de curiosité pour se rendre compte de ce que les vers ont consommé dans telle ou telle éducation, mais cela ne pourra pas servir rigoureusementpouruneéducationpostérieure, parce que, si elle était moins heureuse, les vers auraient du superflu, et dans le cas où elle serait plus prospère, les vers n’auraient pas assez de nourriture. Qu’on se borne donc, en délitant les vers au commencement du 5e âge, à les espacer convenablement surlestablettesdemanièreàcequ’ilsn’ysoientpas gênés, et qu’on leur donne de la feuille 5 fois par jour, en les en couvrant largement au moment de chaque distribution. Comme, à cette époque de leur existence, ils font beaucoup de litière, il faut les changer de place le 4e et le 7e jour, toujours en élargissant l’espace, de manière que les vers d’une once de graine pourront occuper successivement 150, 200 et 250 pieds carrés. Au fur et à mesure qu’on délite les vers, on doit procéder au nettoiement des tablettes et des claies. Chaque jour on s’aperçoit alors des progrès que font les vers ; on les voit pour ainsi dire croître àvued’œil.Le5e,le6e etle7e jourdu5e âgesontle tempsdelagrandefrèze,ouceluioùlesversmangent le plus ; ils ont alors une faim dévorante, ils font en mangeant un bruit que l’on a comparé à celui d’une forte pluie. Il est bon à cette époque de leur

CHAP.7e SOINS À DONNER AU VERS À SOIE 139 donner un 6e repas. Après cela l’appétit des vers commence à diminuer, et le 8e et le 9e jours, ils sont parvenus à leur plus grand développement ; ils sont tout à fait blancs ; leur longueur est généralement de 36 lignes, et chez quelques-uns elle est même de 40 ; leur poids le plus ordinaire est de 72 à 80 grains, et quelquefois de 100 grains et plus. Dès lors les vers mangent beaucoup moins, ils cessent aussi de croître, et même ils paraissent diminuer un peu, parce qu’ils rendent une plus grande quantité d’excréments, ils commencent, selon l’expression vulgaire, à se vider. Cela est déjà un 1er signe que les vers approchent de leur maturité, et qu’ils vont bientôt faire leurs cocons. On reconnaît que cette maturité est complète aux signes suivants : 1° les vers montent sur les feuilles sans les ronger, et ils lèvent souvent la tête comme pour indiquer qu’il leur faut autre chose ; 2° ils quittent les feuilles et courent le long des claies en cherchant à grimper ; 3° les anneaux de leur corps se raccourcissent, et la peau de leur cou paraît toute ridée ; 4° leur corps devient d’une certaine mollesse et la peau, surtout celle des anneaux inférieurs, acquiert une demi-transparence et prend une teinte légèrement jaunâtre,particulièrementdanslesversquidoivent filer de la soie jaune ; 5° si l’on regarde les vers avec attention, on voit qu’ils traînent après eux un fil de soie qui sort de leur bouche, et dont on peut tirer un assez long bout sans le rompre ; 6° enfin le ver tout entier annonce par sa couleur celle de la soie qu’il produira, et on peut connaître en l’ouvrant s’il devait devenir papillon mâle ou femelle ; ceux destinés à être mâles ne contient qu’une liqueur jaunâtre, ceux qui doivent former des femelles sont pleins d’œufs. Quand on a reconnu à ces signes que le temps où les vers doivent filer leurs cocons est très prochain, on doit s’occuper du nettoiement des claies en délitant les vers pour la dernière lois. À part deux circonstances où le ver cherche en naissant sa nourriture, et, quand il est mûr, une place commode pour y faire son cocon, il est très sédentaire sur la litière ; la faim même ne l’en éloigne pas ; nous avons vu plusieurs fois des vers abandonnés sans nourriture, y mourir après plusieurs jours de jeûne, sans avoir essayé d’en franchir les limites. Avant le sommeil qui précède les mues, quelques vers qui sont au bord des claies s’éloignent à 1 ou 2 pouces tout au plus pour s’endormir à l’écart ; mais, la mue faite, ils redescendent promptement sur la litière. § vii. — Formation des cocons. Le nettoiement des claies étant terminé, il faut s’occuper sans retard de préparer aux vers les moyens de filer leurs cocons avec facilité, ce qu’on fait en leur construisant des haies, des cabanes ou des rames, ainsi que l’on dit selon les pays ; c’est ce qui a été expliqué plus haut. Lorsque les vers commencent à monter sur les cabanes, on n’a pas besoin de conserver dans l’at- elierplusde17°dechaleur;ilconvientenoutre que l’air soit aussi sec que possible, et, si l’état de la température extérieure le permet, on peut ouvrir partout portes et fenêtres dans les heures les plus chaudes de la journée. On croit assez généralement que le tonnerre est contraire aux vers à soie, et on redoute d’après cela les orages au moment où ils montent sur les cabanes. La preuve que le tonnerre et les commotions les plus fortes imprimées à l’atmosphère même de l’atelier dans lequel ils sont, ne peut leur être nuisible, c’est que des coups de fusil ont été tirés dans une mag- nanerie au moment de la montée, sans produire aucun effet fâcheux. Nous avons vu nous-même, le 26 juillet 1824, des vers, étant alors à la fin de leur 5e âge, manger avec la plus grande avidité sans paraî- tre ressentir aucune influence d’un violent orage qui dura environ 1 heure, et pendant lequel les coups redoublés du tonnerre n’étaient pas une minute sans se faire entendre, et pendant lequel la foudre tomba 3 à 4 fois à peu de distance de la maison de campagne où nous étions. Des vers qui avaient déjà commencé leur cocon, le continuèrent aussi sans aucune interruption. Quelque temps auparavant nous avions transporté à la campagne une centaine devers,alorsdansleur3eâge;nousleurfîmesfaire un voyage de 20 lieues sur l’impériale d’une diligence sans qu’ils en éprouvassent la moindre fatigue, et, à notre retour, qui eut lieu 2 jours après l’orage, quelques-uns de nos vers qui étaient sur le point de filer furent mis par expérience dans des cornets de papier fermés par le haut, puis renfermés dans une boîte qui fut placée, comme la 1re fois, sur l’impéri- ale de la diligence, où elle fit 20 lieues, et malgré les innombrables secousses éprouvées pendant dix heures sur une route pavée, tous les cornets ayant été ouverts à la fin du 3e jour, nous trouvâmes que tous les vers avaient fait de beaux et bons cocons, dont l’un pesait lui seul 53 grains. À compter du moment où les vers commencent Fig. 139. à jeter leur bave ou bourre, c’est-à-dire les 1ers fils de leursoie(fig.139),ceuxquisontsainsetvigoureux

140 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. terminent leur cocon en 3 ou 4 jours au plus. La première journée de la montée sur les cabanes on voit rarement un grand nombre de vers occupés à ourdir leur cocon, c’est le 2e et le 3 jour qu’ils quittent la litière de toutes parts, et qu’on les voit grimper à la suite des uns des autres, cherchant une place commode pour leur ouvrage. Plusieurs se fixent tout de suite sans monter bien haut, ce sont les meilleurs, d’autres courent çà et là, parcourent plusieurs branches, quittent les places les plus com- modes, ont peine à s’arrêter, et finissent quelque- fois par retomber sur la litière. Le 4e ou le 5e jour après que les premiers vers montés aux cabanes ont déjà terminé leurs cocons et que les derniers sont encore occupés de ce travail, il ne reste plus que quelques retardataires dont on peut sans doute espérer encore quelque chose, mais sur lesquels il ne faut pas compter comme sur les 1ers ; le retard que ces vers mettent à filer leur cocon annonçant chez eux moins de vigueur, on les enlève de dessous les cabanes et on les réunit sous des cabanes particu- lières, placées dans une autre chambre où l’air soit sec et la température à 18 ou 19°. Enfin, on peut former dans le même lieu des cabanes plus basses sous lesquelles on dépose les vers faibles ou ceux qui sont tombés du haut des ramées, et on leur donne de la nourriture tant qu’il est besoin, en ayant soin de les resserrer et de rétrécir la place qu’ils occupent à mesure que leur nombre diminue sur la litière. Aux plus faibles on prête le secours de cornets de papier, ou, ce qui est encore plus facile et moins embarassant, on les met dans une grande corbeille, en les couvrant d’une couche légère de copeaux de menuisiers ou de menus rameaux de bruyère, et on en fait ainsi autant de lits qu’il est nécessaire. Aussitôt après qu’il ne reste plus de vers à nour- rir sous les cabanes, on procède au dernier nettoie- ment des claies et des tablettes, dont les vers d’une once de graine peuvent, ainsi qu’il a déjà été dit, avoir occupé pendant les derniers jours, depuis 200 jusqu’à 250 pi. carrés, selon que l’éducation a été moins ou plus prospère. § viii. — Sixième âge : récolte des cocons ; choix pour la reproduction. Chacun des âges précédents a commencé toutes les fois que la larve du ver à soie a changé de peau ; d’après cela le 6e âge ne commence réellement que lorsque le ver ayant filé son cocon, se raccourcit au fur et à mesure, et se métamorphose à la fin en chrysalide après avoir dépouillé sa peau de larve. La fig.140représenteenAlecoconterminéetenBla chrysalide hors du cocon. Ce 6e âge se passe tout entier dans le cocon, et la métamorphose n’est point visible, à moins qu’on ne fende le cocon au moment où elle va s’opérer, ce qui a ordinairement lieu le 4e ou le 5e jour après que le ver a commencé à filer. Quelques vers, dans toutes les éducations, ne font point de soie, ils restent dans la litière ou descend- ent des cabanes après y être montés, avoir erré pen- dant quelque temps sur les branches, et ils opèrent Fig. 140. BA leur métamorphose à nu sans être enveloppés d’un cocon. On ne garde jamais ces chrysalides, on les jette ordinairement hors de l’atelier. Il serait curieux de savoir, en en conservant pour avoir les papillons, si les œufs de ces derniers donneraient naissance à des vers dégénérés qui ne fileraient point, ou si, ne participant point à l’infirmité de leurs pères, ils pro- duiraient de la soie comme les autres vers. Revenons à ceux que nous avons laissés filant leurs cocons. Quatre jours après que le dernier ver est monté, on met à bas tous les petits fagots qui ont servi à faire les cabanes, et on en détache à mesure tous les cocons qu’on jette dans de grandes corbeilles, en ayant soin de mettre de côté tous ceux qui sont imparfaits, mal conformés, mous ou qui sont dou- bles, c’est-à-dire qui sont l’ouvrage de deux vers ayant filé en commun. Ces derniers se reconnais- sent facilement à leur grosseur et à leur poids beau- coup plus considérables. Si toutes les époques de l’éducation se sont passées heureusement, une once de graine pourra produire 100 et même jusqu’à 120 et 130 livres de cocons ; mais ces dernières récoltes sont fort rares ; on s’es- time heureux lorsque le produit s’élève au 1er poids qui vient d’être dit ; car il arrive assez souvent qu’on ne retire que 80 et même que 70 livres. Quant aux cocons eux-mêmes, ils sont fort beaux lorsque 250 à 260 pèsent une livre poids de marc. — Il résulte des observations faites pendant de nombreuses années dans les pays où l’on se livre depuis longtemps à l’éducation des vers à soie, qu’on a eu de bonnes récoltes lorsque les vents du nord ont régné durant l’existencedesvers,etqu’ellesontétémédiocres ou mauvaises lorsque, pendant le même temps, les vents ont soufflé souvent du sud ou du nord-ouest. Dès qu’on a séparé les cocons des rameaux qui formaient les cabanes, ou aussitôt qu’on a déramé ou décoconné, comme on dit encore selon les prov- inces, on choisit les cocons destinés à la propagation de l’espèce. Quatorze onces de cocons fournissent communément une once de graine. D’après cela on met ordinairement a part autant de livres de cocons

CHAP.7e SOINS À DONNER AU VERS À SOIE 141 qu’on veut faire d’onces de graine, et dans le choix qu’on en fa it on donne la préférence à ceux qui sont plus durs, mieux conformés ; ceux qui joignent à ces qualités d’avoir une espèce d’anneau ou de cerclerentrantquilesserredanslemilieu(fig.140 ci-dessus), sont regardés comme très bons. — Il n’y a pas de signes bien certains pour distinguer le sexe des cocons ; cependant on a cru remarquer que les plus petits, pointus aux deux bouts et serrés dans le milieu, renfermaient souvent des mâles, tandis quelesplusronds,lesplusgrospeuoupointser- rés dans le milieu et communément plus pesants, contenaient très ordinairement des femelles : il faut donc choisir parmi ceux qui réunissent ces derniers signes, au moins la moitié et même les deux tiers des cocons qu’on veut garder pour graine ; on aura tou- jours assez de mâles. Il est prouvé par l’expérience que lorsqu’on a fait choix de cocons qui étaient tous d’une couleur uniforme, on en obtenait une race de vers qui don- naient exactement des cocons de la même couleur ; mais comme beaucoup d’éducateurs de vers à soieneprennentpascesoin,onaleplussouvent, dans une seule éducation, des cocons de plusieurs couleurs et de plusieurs nuances. Ainsi dans les 2 couleurs principales, le jaune et le blanc, on dis- tingue des cocons d’un jaune très foncé et d’autres plus pâles ; il y en a qui paraissent fauves clairs ou de la couleur du nankin des Indes, et dont la nuance est aussi plus ou moins intense. Les blancs ne sont pas moins variables, depuis le blanc le plus pur dit blanc sina ou de Chine, dont quelques éducateurs se sont appliqués à conserver la race aussi pure que possible, jusqu’au blanchâtre sale et à la teinte sou- frée ont les cocons sont dits verts. Nous regardons ces derniers comme appartenant à une modifica- tion du blanc, parce que les vers qui les filent ont les pattes blanches, et parce que cette race est très dif- ficile à maintenir sans une éducation subséquente ; car,quelquesoinqu’onaitprisdeneconserverque les cocons les plus foncés, il s’en trouve toujours un grand nombre qui passe au blanchâtre. La bourre qui se trouve plus ou moins abondante sur la surface des cocons réservés pour la reproduc- tion doit être soigneusement enlevée, parce qu’elle pourrait gêner les papillons lors de leur sortie, et parce que, tel faible qu’en soit le produit il n’est pas à négliger. Cela étant fait, on place ces cocons dans des tiroirs ou dans des boîtes, et par lits de l’épais- seur de deux cocons, dans une chambre dont la température ne soit pas moindre de 15° ni plus forte que 18°, si cela est possible, et on attend la sortie des papillons. Au lieu de choisir pour ainsi dire au hasard les cocons pour graine, ne vaudrait-il pas mieux, dans le courant de l’éducation, prendre les vers qui auraient toujours fait leurs mues les premiers, qui auraient par conséquent montré plus de vigueur, et les faire filer à part ? Il ne serait pas difficile d’essayer si ce nouveau moyen ne donnerait pas des produits plus avantageux ; peut-être en obtiendrait-on une race de vers améliorés. Quant à la masse de cocons qui fait le véritable produit de l’éducation et qu’on doit conserver pour en retirer la soie, comme cette opération ne peut se faire tout de suite, il faut tuer les chrysalides dans les cocons mêmes, afin que ceux-cinesoientpaspercésparlespapillons.La simple exposition des cocons pendant 3 à 4 heures à un soleil très ardent suffit pour faire périr la chry- salide ; mais ce moyen, à cause de l’incertitude du climat, est souvent insuffisant, ce qui fait qu’on le met rarement en usage. On préfère ordinairement employerlachaleurdesfoursquel’onappliqueassez souvent sans règle bien précise. Les cocons, placés dans de grandes corbeilles, sont mis dans le four après qu’on en a retiré le pain, et on les y laisse plus ou moins longtemps suivant le degré de chaleur, ce dont les ouvriers qui en ont l’habitude peuvent seuls être juges. Comme il n’est pas rare que cette chaleur étant appliquée trop forte cause des acci- dents qui nuisent à la qualité de la soie et à son produit, on a proposé plusieurs autres méthodes : l’emploi des substances volatiles, comme le camphre ; celui des gaz non respirables et délétères, comme l’acidecarbonique,legazacidesulfureux;maisjusqu’à présent les divers essais faits en ce genre n’ont pas encore présenté des résultats assez positifs. m. FonTana a aussi proposé d’étouffer les chry- salides par la vapeur de l’eau bouillante, ou en les plongeant dans l’eau bouillante elle-même ; mais, quelques précautions qu’on prenne pour les faire sécher ensuite sur des claies bien aérées, et quelque favorable que soit la saison, le ramollissement du tissu des cocons et l’humidité qui les pénètre font promptement tomber la chrysalide en putréfac- tion, et sont d’ailleurs très nuisibles à la qualité et à la beauté des cocons, qui par suite sont souvent tachés ; de sorte que l’application d’une chaleur sèche a été en définitive reconnue le meilleur moyen pour faire périr les chrysalides. Pour obvier à l’in- convénient des fours, ce qu’on a imaginé de mieux estunétouffoirquiconsisteenuneespèced’armoire divisée en étages formées de caisses plates de cuivre ou de fer-blanc, dans lesquelles on introduit les cocons. La vapeur qui sort d’une chaudière envel- oppe chacune de ces caisses qui sont hermétique- ment fermées, et les cocons n’éprouvent aucune altération, ni dans leur couleur, ni dans leur tissu. On dit que la chaleur doit être élevée à 75° dans cet appareil ; mais nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de porter la chaleur si haut, car, dans un essai que nous avons fait en exposant dans une petive étuve, seulement à une chaleur de 50 degrés, quelques centaines de cocons, il n’a fallu qu’une heure pour en faire périr toutes les chrysalides. Une étuve dans laquelle il est toujours assez facile de graduer la chaleur à volonté, pourrait donc aussi être employée pour étouffer les chrysalides dans les cocons. En opérant plus en grand, il serait peut-être nécessaire d’en élever la chaleur à 60 degrés au lieu de 50 qui nous ont suffi pour un petit nombre de cocons. Dans une assez petite étuve, comme celle dont on a donné les dimensions plus haut, on pour- rait facilement étouffer 2 ou 3 mille livres de cocons.

142 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. L’éducateur de ver à soie qui ne tire pas lui-même la soie des cocons qu’il a produits, doit les vendre le plus tôt possible, car chaque jour qu’il les garde après avoir fait périr les chrysalides, ses cocons diminuent de poids, et cette diminution est assez rapide pour que le 3e jour seulement il y ait déjà environ l/20e en moins, le 12e jour 1/8e. Un mois après la perte est énorme, elle est de près d’un tiers ; plus tard encore elle serait de moitié, et enfin des deux tiers. § ix. — Septième âge : Naissance des papillons, accouplement et fécondation, ponte, conservation de la graine. Les papillons sortent des cocons qui ont été con- servés pour graine, 18 à 20 jours après que les vers ont commencé à filer, si le lieu dans lequel ils sont est à 16 ou 18° ; mais, si la température est plus élevée, il ne leur faut que 15 à 16 jours ; à un moindre degré de chaleur, au contraire, ils ne sub- iront cette dernière métamorphose qu’en 22 à 24 jours, et même plus. C’est le plus souvent depuis 5 à 6 heures du matin jusqu’à midi que les papil- lons viennent au jour, rarement sortent-ils dans la soirée et presque jamais pendant la nuit, quoique ces insectes appartiennent à la classe des papillons nocturnes. Dans l’intérieur du cocon même, l’in- secte parfait déchire la peau mince dans laquelle il est enveloppé, et débarrassé pour ainsi dire de ses langes, il perce un des bouts de son cocon qu’il a préalablement amolli en l’humectant d’une liqueur particulière, ordinairement jaunâtre, qu’il dégorge par la bouche, et il sort après avoir pratiqué un trou en heurtant fortement avec sa tête jusqu’à ce que le tissu cède à ses efforts réitérés. Nous avons dit qu’il fallait disposer les cocons horizontalement et par lits de deux d’épaisseur, parce que lorsque le papillon est parvenu à porter sa tête et ses pattes antérieures en dehors de son cocon, il est facilité pour en sor- tir tout à fait, en s’accrochant par ces mêmes pattes aux autres cocons qui se trouvent devant lui. Aus- sitôt après que les papillons sont entièrement sortis, ils évacuent par l’anus, avec une sorte d’éjaculation, un autre liquide à peu près semblable au premier, et qui n’en est probablement que le superflu. Dès lors, si on laisse aux mâles la liberté, ils cherchent les femelles pour s’accoupler avec elles. L’accouplement complet s’annonce par des tremble- mentsdumâleuniàlafemelle(fig.141).Alorson peut prendre avec précaution l’un des deux par les ailes, et les placer réunis dans des tiroirs ou des boîtes garnis dans leur fond de morceaux de linge ou d’étoffe. Lorsqu’on a rempli une de ces boîtes ou un de ces tiroirs de mâles et de femelles accou- plés ensemble, on en met de même dans un second, dans un 3e, et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les papillons soient successivement nés et accouplés. La copulation durerait naturellement 20 à 24 heures, et nous avons même vue se prolonger jusqu’à 2 et 3 jours entiers ; mais, comme on a observé que l’ac- couplement prolongé, loin d’être avantageux, nuit au contraire à la ponte, parce que la femelle épuisée Fig. 141. périt souvent avant d’avoir répandu tous ses œufs, on est dans l’usage d’abréger l’accouplement, et on sépare ordinairement le mâle de la femelle au bout de8à10heures;onpeutmêmeneleslaisserque6 heures ensemble, et par ce moyen un mâle pourra facilement suffire à 2 et 3 femelles dans la même journée. Nous avons fait l’expérience de plusieurs papillons qui ont fécondé successivement jusqu’à 10 et 12 femelles ; l’un d’eux même en a fécondé jusqu’à 17, et la graine, fécondée par le dix-septième accouplement, s’est trouvée être aussi bonne que celle provenant du 1er. — Quand les accouplements durent naturellement trop longtemps, on désunit, comme nous l’avons dit, les conjoints au bout de 6 à 8 heures, et, pour les séparer on les saisit, l’un de la main droite, l’autre de la gauche, par les ailes, en les tirant doucement en sens inverse. Beaucoup de cou- ples se désunissent assez facilement par ce moyen ; mais il en est quelques-uns qu’il faut laisser à eux- mêmes parce qu’ils sont trop intimement unis, et qu’on pourrait les blesser en les tiraillant trop vio- lemment. Aussitôt que les femelles sont séparées des mâles, on place les lres dans des tiroirs séparés garnis de linge ou d’étoffe, afin qu’elles y fassent la ponte de leurs œufs, et si, lorsqu’on a opéré la séparation, il reste beaucoup de cocons qui n’aient pas encore produit leurs papillons, on met les mâles en réserve pour les employer au besoin. Chaque femelle pond environ 500 œufs ( fig. 142) dontellefaitordinairementlaplusgrandepartie dans les premières 36 heures, quelquefois même en beaucoup moins de temps. Les papillons, ne prenant aucune nourriture, ne tardent pas à s’épuiser ; ils meurent pour la plu- part du 10e au 12e jour ; mais, le plus souvent, dès que les mâles ont fécondé les femelles, et dès que celles-ci ont fait leur ponte, on les jette aux poules qui les mangent avec avidité. Au moment où les œufs sortent du corps de la femelle, ils sont presque blancs ; quelques heures après ils deviennent d’un jaune pâle. Du second au 3e jour le jaune prend une teinte un peu plus foncée ; le 4e, cette couleur passe au gris roussâtre et on commence à aperce-

CHAP.7e SOINS À DONNER AU VERS À SOIE 143 § x. — Éducations multiples. Fig. 142.

voir une petite dépression dans le centre de l’œuf dont la forme générale est lenticulaire. Le 7e jour les œufs sont d’un gris roussâtre plus foncé, et on s’aperçoit, en les regardant à la loupe, qu’ils sont tous tachetés de petits points d’un gris encore plus foncé ; la dépression qui est dans leur centre est plus forte et paraît former une légère cavité ou fossette. Les jours suivants les œufs ne changent plus. Dès- lors les morceaux de linge ou d’étoffe, sur lesquels les œufs ont été pondus, peuvent être pliés et ser- rés pour être conservés jusqu’à l’année suivante et jusqu’au moment où il sera nécessaire de les détacher pour en préparer l’éclosion. La seule pré- caution qu’il y ait à prendre pour leur conservation, c’est de les enfermer dans des tiroirs ou dans une armoire où ils soient à l’abri des souris, et de les placer dans la pièce la plus froide de la maison.

On avait cru jusqu’à ces derniers temps qu’il fal- lait préserver les œufs des vers à soie de la gelée ; mais ils peuvent supporter des froids très violents sans être altérés en aucune manière. Dans l’hiver de 1829 à 1830, qui a été si rigoureux, nous avons laissé pen- dant plusieurs jours de suite des œufs exposés à un froid de 10°, et cela ne les a pas empêchés d’éclore à la fin du mois d’avril suivant, absolument de la même manière que ceux qui avaient été préservés de la gêlée. Pendant le même hiver, m. poumarède, de la Rogne, département du Tarn, a laissé encore plus longtemps des œufs sur une fenêtre au nord, le thermomètre marquant de 10 à 18° au-dessous de 0. Cependant ces œufs ont éclos au printemps suiv- ant, de même que ceux qui avaient été hivernés; seulement leur éclosion n’eut lieu qu’1 ou 2 jours plus tard. Il résulte de ces 2 observations que la graine de vers à soie n’a pas besoin d’être hivernée ; mais, pendant l’été, il est indispensable de la pré- server des grandes chaleurs ; car on nous a rapporté qu’en 1825, de la graine ayant été placée dans une mansarde exposée au midi, et où la chaleur fut pen- dant plusieurs jours de suite de 28 ou 30° et peut- être plus, une bonne partie de cette graine produisit des vers qu’on trouva morts quelque temps après, quand on fut pour examiner dans quel état elle se trouvait. Jusqu’à présent on a mal compris les éducations multiples ; dandoLo dit que les tentatives qu’il a faites à ce sujet lui ont prouvé que ce serait le vrai moyen de détruire les mûriers, et, en conséquence, la race des vers à soie. Ayant fait de nombreuses expériences, qui toutes ont été favorables à l’opin- ion contraire, nous protestons formellement con- tre ce qu’a dit cet auteur recommandable, quoique plusieurs autres, depuis, aient aussi été de son avis. Nous croyons d’ailleurs être le premier qui ayons trouvé un procédé facile de multiplier les éduca- tions et de le faire avec sûreté et avantage. L’ex- périence nous a prouvé qu’ou pouvait faire chaque année 5 récoltes différentes de cocons ; mais les 2 dernières étant plus difficiles et aussi moins produc- tives, nous nous sommes bornés, en dernier lieu, à expliquer comment les 3 premières pouvaient se faire. Obligés d’abréger beaucoup ici ce que nous avons à dire à ce sujet, nous renvoyons les per- sonnes curieuses de plus longs détails, au mémoire intitulé : Mûriers et vers à soie ; chez madame Huzard. Paris, 1832. Pour faire 3 récoltes chaque année, il faut avoir soin de se munir d’une triple provision de graine, dont la 1re n’a besoin d’aucune préparation particulière, étant destinée à éclore à l’époque ordinaire ; mais la 2e et la 3e portion doivent être mises, chacune séparé- ment, dans un bocal bien bouché et même luté avec soin, afin que l’humidité n’y puisse pénétrer ; aus- sitôt que la température de la chambre où la graine a passé l’hiver paraît devoir s’élever au-dessus de 8 à 9 degrés, on place un des bocaux dans une cave, la plus froide qu’on pourra trouver, et le second dans une glacière. La graine du 1er bocal sera destinée à faire la 2e éducation, et les œufs enfermés dans le second serviront à faire la 3e. La 1re éducation étant commencée comme à l’or- dinaire, on retire de la cave les œufs qui doivent servira faire la seconde, 10 à 12 jours après que les 1ers vers sont éclos, et on ménage l’éclosion des sec- onds de manière à ce qu’elle arrive lorsque les 1ers nés feront leur 4e mue. On comprend, sans qu’il soit besoin de le dire, qu’il est facile de placer la nou- velle graine dans l’étuve qui est restée vide depuis quelques jours. Les vers y écloront et y seront traités ainsi que leurs aînés l’ont été 24 à 25 jours aupara- vant, et ils les remplaceront dans la chambre moy- enne et enfin dans le grand atelier, lorsque celui-ci se trouvera vide après la 1re récolte, et ils y feront de même leurs cocons, dont le produit formera la 2e récolte. Quant à la 3e, elle ne présente rien de plus dif- ficile ; elle commence de même lorsque les vers de la 2e sont au 10e ou 12e jour de leur existence, en sortant d’abord de la glacière le bocal dans lequel la graine est renfermée. Comme, à cette époque de la saison, la chaleur est souvent assez vive, pour ne pas produire dans la graine une révolution trop subite, c’est de grand matin que nous faisons quit- ter la glacière à la graine, et, le plus tôt possible,

144 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. nous la plaçons dans une cave où nous la laissons 1 jour ou 2. De là nous la faisons passer dans un des endroits les plus frais de la maison, puis nous l’exposons à la température ambiante, enfin nous la mettons dans l’étuve afin de déterminer son éclo- sion d’une manière aussi simultanée que possible. Peut-être plusieurs de ces précautions sont-elles inu- tiles ? Le reste va tout seul ; les vers de cette 3e édu- cation trouveront vides les différentes places de la magnanerie au fur et à mesure que leur accroisse- ment obligera à leur donner plus d’espace. Aussi rien n’est plus facile que de faire, dans la durée de 3 mois, 3 éducations également productives, et, dans un local où l’on ne pourrait élever naturellement que 300 000 vers à soie, on pourra en avoir succes- sivement jusqu’à 900 000, ce qui, nécessairement, devra tripler les bénéfices. Les inconvénients qu’on a reprochés aux éduca- tions multiples ne sont nullement fondés ; ce n’est que parce qu’on s’y était d’abord mal pris pour les faire qu’elles pouvaient présenter beaucoup de dif- ficultés. Ainsi la méthode proposée par BerTezen, il y a un peu plus de 40 ans, et reproduite dans ces derniers temps par m. moreTTi, professeur d’écon- omie rurale à Pavie, avec une race de vers à 3 récol- tes, était dans ce cas, et nous en avons fait sentir les difficultés presque insurmontables dans les Annales de la Société d’horticulture, t. VII, p. 165 ; mais nous croyons que la nôtre en est tout à fait exempte, et nous regrettons beaucoup que des circonstances indépendantes de notre volonté nous aient empêché de multiplier nos essais sur ce sujet ; mais nous ne pouvons qu’engager les propriétaires qui se trouve- ront à même de continuer nos expériences, de le faire avec courage. Nous croyons pouvoir leur faire espérer des succès et des profits que nous n’avons fait qu’entrevoir. Au reste, nous devons dire, avant de terminer, que pour faire plusieurs éducations de vers-à-soie chaque année, il faut commencer par multiplier ses plantations de mûriers de manière à avoir des arbres différents pour chaque éducation, afin que les mûri- ers ne soient dépouillés de leurs feuilles qu’une fois par an, ainsi que cela se pratique ordinairement. Quant aux moyens de se procurer de la feuille jeune et tendre pour les vers qui éclosent au moment où les bourgeons de mûrier ont déjà une certaine longueur et où la plupart de leurs feuilles se trou- vent trop dures pour des vers qui viennent d’éclore ou qui sont dans les 3 premiers âges, cela est beau- coup moins difficile qu’on ne pourrait le croire. Pen- dant ces 3 premiers âges, les vers ne consomment que peu de feuilles : il ne leur faut, pendant tout ce temps, qu’à peu près la 16e partie de ce qui leur sera nécessaire dans les 2 derniers âges, et ce 16e de nourriture, ou environ 100 liv. de feuilles pour les vers de chaque once de graine, se trouve facile- ment dans les sommités des bourgeons développés depuis la feuillaison des arbres ; il ne s’agit que de le faire choisir par des femmes ou des enfants, en leur faisant prendre seulement les 2 feuilles supérieures pour les vers du 1er âge, ensuite les 3 dernières pour ceux du second, et enfin les 4 dernières lorsque le 3e âge est arrivé ; si ces feuilles se trouvent d’ailleurs un peu grandes, on les fait couper en morceaux plus menus. Parvenus au 4e âge, les vers peuvent manger toute espèce de feuilles. Quant à ce qui reste après en avoir retiré les sommités, et ce reste est toujo- urs le plus considérable, il est donné aux vers de la 1re éducation, qui sont alors dans le 4e et dans le 5e âge. — Le moyen de nourrir les vers de la 3e édu- cation est encore plus facile, parce qu’à l’époque où ils naîtront, les bourgeons de la 2e sève du mûrier commenceront à se développer ; on n’aura qu’à les faire cueillir, ils suffiront de reste à la nourriture de cette 3e éducation pendant tout le temps qu’elle pourra durer. — Une considération importante, à laquelle il ne faut pas manquer d’avoir égard, c’est que, comme les arbres qui auront servi en dernier lieu n’auront pas le temps suffisant pour réparer leurs pertes après la cueillette de leurs feuilles, il sera bon de les laisser reposer l’année suivante ; par conséquent, pour faire 3 éducations chaque année, il faudra avoir des mûriers en assez grande quantité pour que le quart de ces arbres, toujours le dernier dépouillé, puisse se reposer l’année suivante. Avec ces précautions, nous croyons pouvoir garantir le succès de la méthode que nous proposons. LoiseLeur-desLongChamps. seCTion v. — Maladies des vers à soie. Le ver à soie est un animal très robuste, soit par sa nature, soit par la simplicité de son organisation ; mais, réduit à l’état de domesticité, il contracte sou- vent, malgré l’énergie de sa constitution, diverses maladies, qui paraissent entièrement dues au régime hygiénique défectueux qu’on lui fait suivre, et aux erreurs que l’on commet dans la manière de le diriger. Les causes des maladies des vers à soie sont nom- breuses, mais souvent très difficiles à démêler ; néanmoins, les suivantes paraissent, être celles qui exercent le plus d’influence sur sa santé : — Lor- sque le lieu destiné à la naissance des papillons, à leur accouplement et à la ponte, est trop chaud, trop froid ou humide, et que l’endroit où l’on con- serve les œufs et où on les fait éclore est aussi trop humide, et que l’on garde ceux-ci trop entassés ; — Lorsque l’embryon prêt à devenir ver à une température modérée, est exposé tout à coup à des changements brusques de température, et que les vers, après leur naissance, sont soumis subitement à une température plus basse ou plus élevée que celle où ils sont nés ; — Quand l’air de l’atelier est humide et chaud, stagnant, insalubre ; que les vers sont entassés sur les claies et ne peuvent ni man- ger librement, ni respirer un air renouvelé ; que les claies exhalent des miasmes dangereux ; que la litière non renouvelée s’échauffe, entre en fermen- tation, dégage en abondance du gaz acide carbon- ique et des émanations très insalubres ; — Lorsque la feuille du mûrier est de mauvaise qualité, non appropriée à l’âge de l’insecte, qu’elle est rare et

CHAP.7e MALADIE DES VERS À SOIE 145 donnée en petite quantité, ou que dans une saison pluvieuse on la lui distribue non séchée et encore tout empreinte d’humidité ; — enfin, surtout, lor- sque, parvenus au 5e âge, la transpiration trachéale et cutanée, les fonctions de la digestion ou de la nutrition sont troublées par une cause fortuite ou par la négligence dans les soins journaliers, ou un écart de régime, etc. L’organisation, tant anatomique que physio- logique, du ver à soie a encore été trop peu étudiée pour qu’on puisse, avec quelque certitude, assigner les véritables causes, le siège, la marche et le trait- ement des maladies qui l’attaquent pendant sa vie. Ces affections, d’ailleurs, paraissent ne pas être les mêmes dans tous les climats, ou au moins ne pas y offrir les mêmes symptômes, et les observateurs ont mis si peu de soin dans l’étude de leur diagnostique, et leur ont même assigné des noms si arbitraires, qui varient avec le pays, qu’il est quelquefois diffi- cile de débrouiller le chaos de toutes celles qui ont été reconnues jusqu’ici. Nous allons toutefois faire connaître celles qui se présentent le plus fréquem- ment, en prenant pour guide les auteurs français et surtout les écrivains italiens qui ont étudié avec soin les affections pathologiques du ver à soie. 1° La muscardine, appelée aussi la rouge (male del segno, calcinaccio, calcino des Italiens). C’est une affec- tion très grave qui attaque le ver à tous les âges, souvent après qu’il a formé son cocon, lorsqu’il va se transformer en chrysalide, et même après cette transformation. Dans les 4 premiers âges, on ne remarque guère que quelques individus isolés qui en sont atteints, mais vers la fin du 5e la maladie attaque parfois un très grand nombre de vers et fait les plus grands ravages dans les magnaneries. On a longtemps disputé sur la nature de cette mal- adie, et on a fait à ce sujet, en Italie, de nombreuses expériences. Il paraît à peu près démontré aujo- urd’hui qu’elle n’est pas épidémique, mais contag- ieuse, et que la contagion se propage uniquement par le cadavre ; c’est-à-dire que la maladie se trans- met d’un individu à un ou plusieurs autres par le contact médiat ou immédiat du cadavre des indivi- dus morts de la muscardine. Ce qui rend indispen- sable la désinfection complète de l’atelier ou elle a régné, ainsi que celle de tous les ustensiles, avant d’entreprendre une autre éducation. Les caractères de cette maladie sont les suivants ; on voit d’abord paraître sur le corps des vers de petites taches pétéchiales, d’un rouge vineux, qui grandissent peu à peu, deviennent confluentes, jusqu’à ce que tout le corps soit d’un rouge uni- forme plus foncé que celui des taches primitives. Pendant que ces signes se manifestent, les vers per- dent leur faculté locomotrice, et s’arrêtent ; les tis- sus de leur corps, perdant leur élasticité et leur mol- lesse, deviennent résistants sous les doigts jusqu’au moment où l’animal meurt et reste endurci dans la posture où il se trouvait à cet instant. Quelques heures après la mort, le corps se revêt d’une efflo- rescence blanchâtre que BrugnaTeLLi a démontrée être un phosphate ammoniaco-magnésien, mêlé à un peu d’urate d’ammoniaque et à une petite quan- tité de matière animale. Le cadavre ne tarde pas alors à se dessécher et à devenir friable. Quelquefois les vers attaqués de la muscardine vont jusqu’à la montée et meurent avant d’avoir terminé leurs cocons, qui sont mous, mal tis- sus et de peu de valeur, et connus sous le nom de chiques, cafignons, etc. Parfois, aussi, ils parviennent à compléter leur travail, et ne périssent qu’après leur transformation en chrysalide ; mais celle-ci se solidifie et ne présente plus qu’une matière jaunâ- tre désorganisée. Au bout de quelques jours, cette matière se dessèche, et la momie se recouvre de l’efflorescence saline blanchâtre. En cet état on lui donne, en France, le nom de dragées ; et, en secouant le cocon, elle rend un son sec qui fait juger, avec certitude, que la chrysalide est calcinée. On n’a pas encore trouvé, malgré quelques annonces pompeuses, de remède efficace contre la muscardine. L’observation rigoureuse des principes généraux d’hygiène peut seule en affranchir une magnanerie. 2° Atrophie, rachitisme (atrofia, gracilita, gattina, covetta, macilenza), maladie qui consiste, aux 1ers âges, dans un développement lent du corps ; le ver attaqué reste plus court et plus petit que ses camarades. Deux causes donnent lieu à cet état pathologique : la 1re est l’altération de la semence, ou une cou- vaison ou éclosion mal dirigée : cet état est incur- able. Quant à la 2e, elle est due à un défaut de soin pendant les mues, à l’entassement des vers sur les claies, surtout dans les 1ers âges, cas dans lequel ils ne peuvent prendre une égale quantité de nourrit- ure et profiter uniformément. En séparant les vers malades, et en leur donnant une nourriture délicate et choisie, et des soins attentifs, ils ne tardent pas à rattraper le temps perdu, et, parvenus au 5e âge, ils filent un bon cocon. Faute d’attention et quand on les laisse avec les autres, ils périssent souvent affamés ou écrasés. 3° La gangrène, noir foncé (cancrena, negrone). Suivant M. le docteur i. Lomeni, la gangrène n’est que la terminaison de 3 autres maladies dont nous allons parler. Elle a pour caractère distinct de réduire le ver en un liquide noir, très fétide, que la peau amin- cie retient à peine et qu’elle laisse bientôt écouler à la moindre distension. C’est un état de sphacèle qui attaque et détruit l’humeur de la soie, et dont les caractères ne laissent pas de doute sur l’existence antérieure d’une inflammation universelle, lente ou aiguë, qui a donné naissance ou entretient les 3 maladies conduisant à la gangrène. Ces maladies sont les suivantes : A. Atrophie. Nous venons de voir qu’elle est due à une altération de la semence ou à une couvaison ou éclosion mal dirigée. Cette affec- tion, développée, offre les symptômes suivants : pet- itesse de la taille, indolence dans tous les mouve- ments, diminution et perte de l’appétit qui porte les malades à abandonner et à repousser toute nourri- ture. Ils quittent tout à coup le lit et se placent hors de la claie ou sur ses bords ; là ils vivent encore 2 ou 3 jours sans manger, puis finissent par mourir

146 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. le corps vide, mou et d’un blanc sale ; peu d’heu- res après, ils noircissent et exhalent une odeur très fétide. Cette maladie, quoiqu’elle s’offre dans les 5 1ers âges, fait ses plus grands ravages dans le 4e et au commencement du 5e. Elle n’admet aucun moyen de guérison. B. Grosserie, jaunisse (giallume, itterizia, gialdone). La jaunisse se manifeste, au contraire, par l’augmen- tation de volume du corps et la proéminence des anneaux, aux côtés desquels commencent à se montrer quelques stries parallèles, jaunâtres, pâles d’abord, mais très visibles ensuite. La tuméfaction croît souvent au point que la peau se crève spon- tanément en quelques points, ce qui, au reste, arrive au moindre attouchement, et qu’il en découle une humeur jaunâtre, la plupart du temps dense et opaque. Les vers atteints, qu’on connaît sous le nom de vâches, gras, jaunes, etc., ne cessent pas de manger, si ce n’est dans les dernières périodes du mal. La jaunisse se montre quelquefois au 2e âge, mais elle est plus commune au 5e et surtout dans les derniers jours, quand apparaissent les premiers signes de la maturité. On croit que la jaunisse a pour origine une sai- son pluvieuse, de grandes variations atmosphéri- ques, un abaissement prolongé de la température, qui troublent les fonctions vitales et la digestion. Aucun moyen n’est encore connu pour guérir la grasserie, même dans les 1ers symptômes. L’animal atteint périt la plupart du temps, et son cadavre ne tarde pas à manifester les caractères de la gangrène. Dans le département de Vaucluse, pour en garantir les vers, on les saupoudre, dit-on, avec de la chaux vive en poudre, au moyen d’un tamis de soie, puis on leur jette ensuite des feuilles arrosées de quelques gouttes de vin. C. Apoplexie, mort subite (apoplessia, suf-foca- mento). Cette maladie, qui se développe surtout vers la fin du 5e âge, est précédée de la perte de l’appétit et d’une évacuation de toutes ou presque toutes les- matières ingérées dans l’estomac. Les vers attaqués, dont on ne peut soupçonner l’état maladif, meurent tout à coup, et comme frappés de la foudre. Ils rest- ent immobiles, avec toute leur fraîcheur, dans l’at- titude qu’ils avaient sur la claie au moment où ils ont été suffoqués, ce qui a donné lieu aux noms dif- férents sous lesquels on les désigne morts-plats, morts- blancs, tripes ou tripés. La gangrène succède prompte- ment à la mort. On croit que l’apoplexie, dont on ignore l’origine, se montre plus fréquemment dans les années où la saison est très variable et la nourri- ture de mauvaise qualité. La gangrène, quelle que soit son origine, fait périr non seulement le ver, mais détériore encore le cocon de ceux qui sont parvenus à filer et à se changer en chrysalide. On reconnaît ces cocons à leur odeur, à leur légèreté et à l’état d’imperfection où ils sont ; l’animal, vaincu par le mal, cesse de filer avant d’avoir terminé son travail. Ces cocons, désignéssouslenomdechiquettesoufalloupes,four- nissent une petite quantité de soie, de couleur pâle et terne, et d’une odeur peu agréable. Les vers atteints par la gangrène ou la grasse- rie parviennent quelquefois à se transformer en papillons, mais ceux-ci sont souvent privés d’ailes et impropres à la génération. Le duvet qui recou- vre leur peau est de couleur sombre et sale, et cette peau, parfois dénudée de son duvet, est brune et terne. Telle est souvent l’apparence des phalènes qui sortent des chiquettes et des fallounes. Quelquefois la chrysalide, au lieu de se résoudre en une humeur noire qui tache le cocon, se dessèche au point qu’il n’en reste plus que l’envel- oppe adhérente à l’intérieur du cocon. C’est, sans doute, une autre espèce de gangrène qu’on pour- rait désigner sous le nom de gangrène sèche, pour la distinguer de l’autre, qui est la gangrène humide. 4° Marasme, vers-courts, harpians, harpions, passés ou passis (ricciorte). Cette maladie est propre aux derni- ers jours du 5e âge. Elle paraît être due aux mêmes causes que la gangrène, et c’est, comme dans celle-ci, un changement substantiel de l’humeur de la soie ; mais le cadavre dans celle-ci ne noircit pas et ne tombe pas en sphacèle. Le ver malade est court, ridé, engourdi, paresseux, d’une couleur brunâtre et montrant déjà les linéaments de la future chry- salide. Cette maladie a divers degrés d’intensité, et tous les vers ne meurent pas sans filer. Ceux surtout qu’on place dans des cornets de papiers filent un cocon d’une assez bonne qualité. 5° Hydropisie, luzette, luisette, clairette (idropisia, lusa- rola, scoppiarola). Une locomotion lente, peu d’ap- pétit, le corps enflé, surtout la tête, la peau très luisante et presque diaphane, ce qui a fait don- ner à ceux attaqués le nom de vers-clairs, sont les symptômes de cette maladie qui a le plus communé- ment pour cause l’exposition des vers à un excès d’humidité atmosphérique, leur alimentation avec des feuilles trop aqueuses ou humides, couvertes d’eau de pluie ou de rosée, mal séchées après le lav- age, etc. On a cherché à guérir l’hydropisie qui se développe ordinairement depuis l’avant-dernière mue jusqu’à la montée sur les rameaux, par des fumigations aromatiques de vinaigre, de styrax ou de romarin, ou en aspergeant les feuilles de mûrier avec un vin généreux ; mais ces remèdes sont peu efficaces, et le meilleur moyen, pour ne pas perdre toute la famille, est d’écarter les causes qui produ- isent l’affection ; sans cela, les insectes attaqués ne tardent pas à être frappés de la mort, qui se man- ifeste par l’épanchement d’une grande quantité de sérosité, ce qui a lieu, presque constamment, par la rupture de la peau, surtout près de la tête ou des parties voisines. 6° Diarrhée (flusso, diarrea). Les symptômes de cette maladie sont à peu près les mêmes que ceux de la précédente, mais le gonflement et la diaphanéité sont beaucoup moindres. Outre les causes de l’hy- dropisie qui occasionent la diarrhée, M. le doc- teur Lomeni croit que cette maladie a encore pour origine un embarras gastrique ou intestinal prov- enant,soitdesorganeseux-mêmesquifontmal leurs fonctions, soit de l’insalubrité des aliments : telles seraient des distributions de feuilles affectées

CHAP.7e PRÉPARATIONS DE LA SOIE 147 de la rouille. Cet embarras se transforme, en peu de jours, en un flux ventral qui amène promptement la mort. Dans tous les cas, l’observation des principes que nous avons posés dans ce chapitre, et l’attention de rejeter les feuilles qui sont tachées, mettent une magnanerie à l’abri des attaques de cette maladie. 7° Les vers à soie sont encore sujets à quelques autresaffections,tellesquelatouffe,malproduit par une chaleur excessive qui suffoque les vers, unie à l’insalubrité des litières. Quelques éduca- teurs promènent autour des claies une pelle chaude sur laquelle ils répandent du vinaigre dont la vapeur réveille les insectes. Une bonne ventilation, des aspersions d’eau fraîche sur le pavé pendant les grandes chaleurs, le changement des litières, quelques moyens préservateurs contre la chaleur directe des rayons solaires, ont presque toujours du succès dans ce cas. — Les hémorrhoïdes surviennent lorsque le ver en quittant sa tunique pendant la mue, ne peut se débarrasser, aux stigmates et à l’anus, des tuyaux d’ancienne peau qui les obstruent et causent des grosseurs ou varices qu’on peut comparer à des hémorrhoïdes. On a indiqué comme remède de donner un bain d’eau fraîche aux malades ; le ver, se trouvant alors rafraîchi, expulse abondam- ment des matières fécales qui entraînent les tuy- aux. Mais ce remède ne paraît guère applicable en grand. —Les chutes, des violences extérieures, ou une pression trop forte entre les doigts quand on les saisit, occasionent souvent chez les vers des tumeurs, dans lesquelles s’extravase et se solidifie la matière soyeuse ; c’est ce qu’on nomme perle soyeuse. Les vers qu’on touche trop souvent sont atteints de flaccidité, c’est-à-dire que leur corps est mou ; ils perdent lentement la vie lorsque la pression a été assez considérable pour meurtrir, léser ou déchirer leurs organes. On voit, d’après ce tableau des maladies les plus communes chez les vers à soie, que la plupart sont incurables, et que c’est par des soins, de l’activité, de la vigilance, et plutôt par des moyens hygiéniques que thérapeutiques, qu’on peut les prévenir et les combattre avec succès dès leur début. Ces moyens hygiéniques se composent de pratiques simples et faciles à observer, mais très propres à bannir des ateliers ces redoutables affections pathologiques qui exercent tant de ravages chez les éleveurs négligents et ignorants, et leur font éprouver des pertes con- sidérables. Nous les résumons dans les préceptes suivants : Maintenir les papillons dans un local sec, à une température de 16° à 19° centig. ; ne pas entasser les œufs, mais les étendre sur une surface suffisante, puis n’exposer ces œufs qu’à une température de 14° ou 15° qu’on elève ensuite peu à peu jusqu’à ce que l’éclosion soit accomplie. — Maintenir les vers naissants à la température de 19° environ ; les préserver du froid et des vents insalubres, froids et secs ; les distribuer sur un espace proportionné à leur nombre, et suffisant pour qu’ils puissent vivre et respirer en liberté. — Renouveler fréquemment l’air des ateliers, ou entretenir des courants qui l’agitent, l’entraînent doucement et avec lenteur ; le purifier par les moyens que nous avons indiqués p. 133, lorsqu’il a acquis des qualités délétères. — Entretenir une température égale dans l’atel- ier ; allumer de la flamme à propos, quand l’air est humide ou l’arroser pendant les grandes chaleurs ou les temps secs et orageux. Admettre autant que possiblelalumièresolaireàl’intérieur,quandelle n’élève pas trop la température. — Préserver l’in- térieur de la magnanerie des variations brusques de température, et généralement de toutes les secousses ou phénomènes atmosphériques accidentels. — Ne distribuer que des aliments sains, non humides, de bonne nature, et conformes en qualité et en quan- tité à l’âge de l’insecte, et les donner avec une par- faite régularité. — Entretenir la plus grande pro- preté et enlever avec soin et ponctualité les litières avant qu’elles entrent en fermentation. — Séparer généralement les vers malades de ceux qui sont sains, et exercer une surveillance active et contin- uelle. — Enfin, redoubler d’attention à l’époque des mues et à celle de la montée sur les rameaux. Il n’y a jamais de maladies, dit dandoLo, lorsque l’œuf a été bien fécondé, bien conservé, et qu’on a observé rigoureusement les préceptes exposés par les plus habiles éducateurs. F. M. seCTion vi. — Préparations de la soie. Nous avons déjà vu (p. 121) quels sont les organes dont le ver à soie fait usage pour transformer en un fil continu le liquide visqueux qui est contenu dans un appareil qui le sécrète en particulier. Nous sommes entrés aussi dans les détails nécessaires pour faire connaître la manière dont on amène cet insecte à former ce fil et à en faire une sorte de peloton qu’on nomme cocon. Dans cet état, ce fil précieux ne sau- rait être d’un usage bien étendu dans les arts, et il est nécessaire, au moyen de pratiques particulières, de dévider ce peloton en un fil continu, de le doubler et le tordre pour le rendre propre à la fabrication des tissus de toute espèce. Les travaux qu’on exécute pour cet objet prennent le nom général de moulinage des soies. Ces travaux sont d’une très grande impor- tance, puisque, indépendamment de la nature et de la qualité du fil en cocon, ils contribuent beaucoup par leur bonne exécution à élever la valeur de la soie, et à donner aux étoffes cette force, ce moelleux et cet éclat qui les font rechercher. Le moulinage des soies se partage en 2 opéra- tions principales : l’une appelée tirage de la soie, qui peut être exécutée facilement dans les campagnes par ceux qui élèvent des vers à soie ; l’autre, le moulinage proprement dit, qui exige généralement de grandes machines, et est plutôt du ressort des fabriques. Nous nous étendrons peu sur celle-ci, mais nous entrerons, relativement à l’autre, dans des détails plus étendus : notre intention, toute- fois, n’étant pas ici d’enseigner un art qui, comme bien d’autres, exige une étude et une longue pra- tique, mais de donner aux agriculteurs une idée

148 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. des travaux auxquels il faut se livrer pour filer et préparer la soie. § ier. — Du tirage de la soie. 1° Opérations qui précèdent le tirage. Le cocon, tel qu’on le recueille sur les rameaux, après que le ver a terminé son travail, se com- pose à l’extérieur d’une certaine quantité de fils, jetés dans diverses directions, et formant un réseau lâche, mou, transparent, auquel on a donné le nom de bourre, qu’on peut dévider, et qui, lorsqu’il est enlevé, laisse un corps ovoïde, creux, ferme et élas- tique, formé d’un fil continu, peloté régulièrement, dont la longueur varie de 227 à 357 mètres (700 à 1100 pi.). C’est cette partie du cocon, lorsqu’elle est dévidée, qui porte exclusivement le nom de soie. La 1re chose à faire quand on a recueilli les cocons ou quand on les a reçus, c’est de faire périr les chry- salides afin qu’elles ne se transforment pas en pap- illons et ne percent pas le cocon, ce qui lui enlève- rait toute sa valeur. Cette opération, à laquelle on donnelenomd’étouffage,adéjàétédécriteparnous, et nous avons donné (p. 141) les diverses méth- odes qui ont été proposées dans ce but, telles que l’emploi des gaz délétères, de l’eau bouillante, du camphre, de la chaleur des fours, des étuves, etc. Nous n’avons donc plus à nous en occuper ici : Une fois que les chrysalides ont été étouffées, on doit, aussitôt qu’on le peut, dévider les cocons ; mais cette opération étant impossible à exécuter en même temps sur un grand nombre de cocons, sur- tout quand on se livre un peu en grand à l’éduca- tion des vers à soie, il faut alors porter ceux-ci au grenierpourlesfairesécherparfaitement,afinqueles animaux morts qu’ils renferment ne se corrompent pas dans la coque et ne gâtent pas la soie. Avant deprocéder au tirage, il est essentiel de faire une opération qu’on nomme triage, et qui consiste à classer les cocons suivant leurs qualités. Ce triage est d’autant plus nécessaire qu’il sert à séparer les diverses qualités de soie suivant qu’elles sont propres à la fabrication de telle ou telle étoffe ou de telle partie des tissus, il contribue à maintenir la bonne réputation de la soie des magnaneries où il est pratiqué avec soin et bonne foi. Dans le triage, les cocons appelés doupions, c’est-à- dire ceux qui renferment deux chrysalides dans un seulcocon,ceuxqu’onnommechiquesoufalloupes, ou dont les vers sont morts avant d’avoir accompli entièrement leur travail ; les cocons tachés, percés, et en un mot, tous ceux qui diffèrent des autres par des accidents particuliers, sont d’abord mis soign- eusement de côté pour en former une soie à part, ou de la filoselle. Les fileurs soigneux séparent aussi les cocons des divers pays et localités ; car la variété des exposi- tions, l’état du sol, de la culture, de l’atmosphère, le régime, etc., ont une très grande influence sur les qualités de la soie. Par exemple, dans les pays où l’air est pur, sec et un peu raréfié, le cocon est plus grenu et a plus de densité, en même temps que le brin est plus fort. Dans les localités basses, au contraire, le cocon est plus gros, la soie en est plus grossière ; elle est à un titre moins élevé, et a une force relative moins grande. Dans cet état, on lui donne la préférence pour la trame, tandis que la première est plus propre pour la chaîne. On peut mettre ensuite à part les cocons blancs, puis classer les autres suivant leurs couleurs et qualités. Ce triage se fait le plus communément par 3 qual- ités différentes : 1° les cocons fins ou ceux dont le tissu présente une superficie à grains très fins ; 2° les demi-fins, dont le grain est plus lâche et plus gros ; 3° les cocons satinés qui n’ont pas de grain et dont la surface est mollasse et spongieuse. Chacune de ces qualités est jetée dans une manne d’osier par- ticulière. Si on ne procédé pas tout de suite au tirage des cocons, il faut les reporter au grenier sur des clay- ons, les y retourner et visiter tous les 2 ou 3 jours, afin de prévenir la fermentation, et pour empêcher qu’ils ne soient attaqués par les rats ou les insectes. Quand on veut dévider la soie des cocons, on com- menceparlesdébarrasserdelabaveoubourrequi les enveloppe, ce qui se fait de la manière la plus simple, en enlevant à la main cette bourre, jusqu’à ce qu’on parvienne à cette partie du cocon où le fil se trouve peloté régulièrement. 2° Appareil de tirage. Le tirage de la soie, avons-nous dit, consiste à développer le fil du cocon dans toute sa longueur ; or, on ne peut dérouler le peloton qu’en faisant dis- soudre une matière gommeuse qui enduit le fil et collel’uneàl’autrelesdiverszigzagsqu’ilforme. L’eau froide n’ayant pas une action suffisante pour opérer cette dissolution, il faut avoir recours à l’eau élevée à une certaine température. Cette tempéra- ture varie avec l’état des cocons, et on la détermine selon leur âge, leur dureté, leur finesse, la qualité et la destination de la soie. Les cocons, récemment récoltés, dont la gomme n’est pas encore endur- cie, ne demandent pas une eau très chaude, tandis que les vieux cocons creux, secs et serrés, exigent presque de l’eau bouillante. L’eau trop chaude nuit beaucoup à l’éclat de la soie. Le fil du cocon est si délié et offre si peu de résistance ; qu’en cet état il ne pourrait guère être employédanslesarts:onestdoncobligéd’en réunir un certain nombre qu’on tire ensemble. La gomme qui liait les circonvolutions du peloton, ramollie dans le bain d’eau chaude, sert alors à unir les différents brins qu’on file ensemble, et à donner à ce nouveau fil, lorsqu’il est sec, une consistance et une union qu’on ne peut plus altérer, même par l’eau, a moins qu’elle ne soit bouillante. — Non seulement le tirage à l’eau chaude donne aux brins de l’adhérence entre eux, mais par suite du ramol- lissement de la partie gommeuse et des divers frotte- ments combinés que la soie éprouve, celle-ci acqui- ert de la rondeur, de l’égalité et un aspect lisse et

CHAP.7e PRÉPARATIONS DE LA SOIE 149 lustré, qualités essentielles pour la beauté des tissus brillants fabriqués avec cette matière. L’opération du tirage de la soie n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire au premier abord et exige au contraire beaucoup d’adresse, d’intel- ligence et surtout une expérience qui ne s’acquiert que par une pratique constante de plusieurs années. Cependant c’est de la bonne exécution du tirage que dépend en grande partie la beauté et la bonne qualité de la soie. Pour procéder au tirage de la soie, une ouvrière, qu’onnommelatireuseoufileuse,s’asseoitdevantune bassineencuivreplateetremplied’eauchauffée par le foyer d’un fourneau sur lequel ce vase est placé. La bassine et le fourneau lui-même sont étab- lis devant une machine destinée à tirer la soie et qu’on nomme un tour. L’eau de cette bassine étant portée à la température nécessaire pour ramollir la matière de nature gommeuse qui enduit et colle le fil du ver-à-soie, la fileuse y jette une ou deux poign- ées de cocons bien débourrés et les agite fortement ou les fouette avec les pointes coupées en brosse d’un balai de bouleau ou de bruyère ; c’est ce qu’on nommefairelabattue.Lorsque,parcettebattueainsi que par la chaleur de l’eau, elle est parvenue à faire paraître les baves, c’est-à-dire à démêler et accrocher les bouts des brins de la soie de chaque cocon, elle étire à la main la 1re couche qui est formée d’un fil grossier qu’on nomme côte, et lorsque cette envel- oppe est enlevée et que la soie pure commence à venir, elle recueille entre ses doigts tous les brins, les divise en 2 portions égales composées d’autant de brins qu’il en faut pour composer le fil qu’elle veut tirer, les tord légèrement entre le pouce et l’index, les fait passer dans des filières, ainsi que nous l’ex- pliquerons plus bas, les croise un nombre déterminé de fois, puis les livre à une autre ouvrière nommée tourneuse qui les accroche à une des lames de l’asple ou dévidoir du tour qu’elle met aussitôt en mouve- mentaumoyend’unemanivellepourrassembler lefilàmesurequ’ilsedévideetenformerdesflottes ou écheveaux. 3° Atelier de Gensoul. Le mode simple décrit ci-dessus pour dévider le cocon est encore en usage dans un assez grand nombre de localités ; il offre cependant plusieurs défauts graves, et dès qu’on s’occupe de l’éducation des vers à soie sur une échelle un peu étendue, il faut donner la préférence à un appareil imaginé par m.gensouL,àl’aideduquelonappliqueautirage de la soie le chauffage à la vapeur. Voici la descrip- tion de cet appareil. La fig. 143 est une coupe longitudinale de l’ate- lier de tirage dans lequel se trouvent 14 appareils. Fig. 143.

Nousn’enavonsreprésentéqu’environlamoitié,ce qui est suffisant pour faire concevoir l’autre moitié qui se répète exactement depuis A jusqu’en B. — Lafig.144estunecoupeverticaleselonlalargeur du même bâtiment. Le tuyau A est en fonte, il est adapté sur la chaudière et traverse le mur à 2 m 60

Fig. 144. (8pi.)au-dessusdusol,commeonlevoitfig.147 sur une plus grande échelle. Un long tuyau carré en bois B B conduit la vapeur dans la longueur de l’at- elier.Lesextrémitésdecetuyausontplusélevéesde 65 cent. (2 pi.) que le milieu, afin que la vapeur qui se condense puisse retomber dans la chaudière. 14 tuyaux appelés rameaux descendent verticalement du tuyau B pour conduire la vapeur dans l’eau des bassines ou auges D, jusqu’à 9 millim. (4 lig.) du fond. Ces tuyaux sont en cuivre, ils ont 20 millim. (9 lig.) de diamètre ; ils doivent entrer de 14 mil- lim. (6 lig.) dans l’intérieur du tuyau B, afin que l’eau formée par la vapeur condensée ne puisse, en s’en retournant dans la chaudière, descendre dans les bassines. Chaque tuyau ou rameau est muni d’un robinet E ( fig. 143). On peut faire usage des rameaux fig. 145. Le 1er a la forme d’un T renversé bouché aux extrémités inférieures et percé de petits trous dans la partie horizontale. Le 2e porte à sa partie inférieure une plaque ou disque de cuivre 150 Fig. 145. ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. Fig. 146. T indique constamment la hauteur de l’eau dans la chaudière et, lorsque son niveau s’abaisse trop, onouvrelerobinetLqu’onrefermelorsqu’ona introduit l’eau. La chaudière G est hermétique- ment fermée par un bon couvercle en bois, solide- ment retenu par de fortes traverses et des boulons à écrous en fer R. Le fourneau M ne présente rien de particulier ; on voit en O la porte du foyer par laquelle on introduit le combustible et en N celle du cendrier. R est une soupape de sûreté et Y la tige d’une autre soupape placée dans l’intérieur de la chaudière, qui est constamment poussée contre le fond par un ressort à boudin. On tient cette sou- pape ouverte en mettant un poids sur sa tige afin de laisser entrer l’air au moment de la condensation quialieulorsdurefroidissementdel’appareil.Il faut, pour éviter tout accident, que l’ouvrier chargé de la conduite du feu ouvre tous les soirs cette sou- pape Y et la laisse ouverte jusqu’au lendemain lor- squ’il va allumer le feu. On voit en Q ( fig. 144) le tour à filer dont nous allons parler plus bas et la chaise N sur laquelle la tireuse est assise. Cet appareil offre les avantages suivants : d’abord on peut faire usage dans le foyer commun de houille ou charbon de terre, ce qui ne pouvait avoir lieu dans l’ancien mode de chauffage où il y avait un foyer sous chaque bassine, parce que la fumée du charbon, se répandait dans l’atelier, ternissait la soie et nuisait à sa qualité. On n’a plus qu’à entre- tenir un seul feu, et l’appareil ne consomme guère au-delà du tiers du combustible employé précédem- ment dans les ateliers montés d’après l’ancienne disposition. Les robinets placés sur les rameaux permettent de porter en peu d’instants la tempéra- ture de l’eau de la bassine au degré voulu, et de l’y maintenir avec égalité et une régularité parfaite. On remplace les bassines de cuivre par des vases en bois, et on ne risque plus ainsi, dans l’intervalle des battues, quand on dépose les cocons montants sur les bords de la bassine pour les mettre à l’abri du balai, de les brûler par l’effet de la chaleur du métal. L’eau des bassines, renouvelée sans cesse par de l’eau extrêmement pure, puisqu’elle est dis- tillée, donne à la soie plus de perfection, de pureté et d’éclat, ce qui convient surtout aux soies blanches servant à empêcher le bouillonnement de l’eau. Les bassines D ( fig.146) sont en bois de sapin de 40 millim. (18 lig.) d’épaisseur, 975 mil- lim. (8 pi.) de long et 488. millim. (18 po.) de large ; elles sont portées par des supports en bois F, et retenues par des vis. Sur le fond est fixé pareillement avec des vis un petit tasseau en bois dans lequel entre le bout du rameau afin qu’il ne puisse pas vaciller. La chaudière G (fig.144et147)estdis- posée sous un toit à l’extérieur et au milieu de la longueur du bâti- ment, elle est formée de douves en bois de chêne de 81 millim. (3 po.) d’épaisseur retenues par des cercles de fer. La cuve H, pleine d’eau, est destinée à remplacer l’eau de la chaudière à Fig. 148.

  mesure qu’elle s’évapore par l’effet de l’ébullition. Lafig.148représentelacoupehorizontaledecette chaudière prise un peu au-dessus du tuyau KK qui conduit la fumée. Ce tuyau est en serpentin, il s’élève au centre de la cuve, traverse pareillement la cuve H dans son centre, sort au-dessus en I, et porte la fumée dans le tuyau de la cheminée. La cuve H porte à son fond un petit tuyau en cuivre muni d’un robinet L qu’on ouvre lorsqu’il est nécessaire d’al- imenter la chaudière. Le tube d’épreuve en verre Fig. 147.

CHAP.7e PRÉPARATIONS DE LA SOIE 151 dont le beau lustre est souvent altéré par l’impureté des eaux ou par la chaleur qu’elles éprouvent dans une bassine exposée à feu nu, et dont il était très difficile de régler convenablement la température. La tireuse n’est plus incommodée par la chaleur du foyer et par la vapeur du charbon qui s’en dégage, et la tourneuse, qui n’est plus chargée de l’entretien du feu, peut donner tout son temps et son attention à son travail. Quand on ne fait pas usage de l’appareil Gen- soul, ou bien quand il faut renouveler dans celui-ci l’eau des bassines, on doit avoir l’attention de se servir d’eau pure, légère et douce. Les eaux de riv- ière et de pluie sont les plus convenables pour le tirage. Celles qui sont crues et dures forment avec la gomme une sorte de savon calcaire qui se précipite sur la soie, la rend dure et nuit à la perfection de ce brillant produit. La chaleur de l’eau dans les bassines doit être de 75° de Réaumur pour faire la battue ; mais une fois que les bouts ont été trouvés et croisés, on abaisse cette température à 65° ou 70° au plus, qui est celle à laquelle on doit continuer le tirage. Cette chaleur suffit d’un côté pour ramollir la gomme et pour dérouler le fil, et de l’autre pour lier les brins tirés ensemble et n’en faire qu’un seul fil. Les cocons doubles exigent pour leur dévidage une tempéra- ture plus élevée. 4° Conditions pour un bon tirage. La machine dont on fait usage pour tirer la soie se nomme, avons-nous dit, un tour Les mécaniciens ont inventé plusieurs machines de cette espèce ; mais la plus généralement répandue est celle qui porte le nom de tour de Piémont avec les perfectionne- menys que Vaucanson, Villard, Tabarin et autres ont apportés à sa construction. Avant de décrire cette machine, disons un mot des conditions qu’il faut remplir pour obtenir un bon tirage. La soie est ordinairement dévidée en fils ou bouts composés d’un certain nombre de brins ou fils de cocons réunis, arrondis et agglutinés par la chaleur et les différents frottements auxquels on les soumet. La fileuse file ordinairement 2 de ces bouts à la fois. Tirés à part d’abord, ils sont ensuite croisés entre eux un certain nombre de fois, et enfin écartés et enroulés séparément sur l’asple ou dévidoir du tour. Voici les conditions principales : Le fil doit, autantquepossible,êtreparfaitementégaldanstoute son étendue. Pour cela il faut que la fileuse rattache avec soin les brins cassés, qu’elle fournisse de nou- veaux cocons à mesure qu’il y en a qui sont épuisés par le dévidage. Comme les brins de soie sont plus faibles et plus déliés vers la fin qu’au commence- ment, elle doit, quand les cocons tirent à leur fin, augmenter le fil d’un ou deux nouveaux brins pour lui rendre la force et l’épaisseur qu’il commence à perdre à mesure que le dévidage avance. Soute- nir l’égalité du brin est une des principales qualités d’une bonne fileuse. Lacroisuredesfilsdoitêtreégale,régulièreetsou- tenue. La croisure est d’une nécessité absolue pour unir d’une manière inséparable les brins qui for- ment les fils, pour en détacher une grande quan- tité d’eau qui se dissipe en vapeur, pour que ces fils sèchent plus promptement sur l’asple, et que chacun d’eux ne se colle pas quand on fait monter l’une sur l’autre ses diverses circonvolutions. Par la croisure, les fils acquièrent le nerf et la force néces- saires pour être mis en œuvre et la consistance qui les rend propres à l’usage auquel on les destine. En outre, elle rend les soies nettes, les déterge, les arrondit également comme pourrait le faire une fil- ière, de façon qu’il ne passe ni bouchon, ni bavure, ni aucune inégalité de grosseur, conditions néces- saires pour former de bonnes soies ouvrées et de beaux tissus. Enfin c’est elle qui, par le frottement en hélice qu’elle fait éprouver aux fils, les empêche de se rompre, de s’écorcher et de devenir bourrus. On croise 18 à 23 fois et plus les soies les plus fines, et un plus grand nombre de fois, à proportion de leur grosseur, les soies communes. Les circonvolutions des fils, en se déposant sur l’asple, ne doivent pas se coller les unes aux autres, ce qui rendrait l’opération subséquente du dévidage impossible ou au moins occasionerait un déchet considérable. La soie, en sortant de la bassine, est enduite de sa gomme amollie par la chaleur, et si les divers tours que le fil fait sur l’asple se touchaient dans leur longueur, ils se colleraient, ce qu’en terme de l’art on appelle bouts baisés. On a évité cet incon- vénient dans le tour piémontais et dans tous ceux qu’on a proposés depuis sur son modèle, au moyen d’un mécanisme particulier appelé va-et-vient, que nous expliquerons plus bas, et qui constitue le réglage, c’est-à-dire qui fait enrouler le fil en zig-zag sur l’as- ple, de manière que ce fil se distribue sur une partie de la longueur de cet asple et ne vient se coucher de nouveau sur l’écheveau qu’après un certain nombre de révolutions. Il faut éviter le vitrage ; on donne ce nom à un arrangement vicieux des fils sur l’asple causé par le mouvement trop souvent répété du va-et-vient, qui ne donne pas à ces fils un temps suffisant pour sécher avant qu’on puisse coucher dessus un nou- veau fil. On remédie aisément à ce défaut en modi- fiant le mécanisme. Ainsi, dans les anciens tours du Piémont, le fil ne repassait sur lui-même qu’après 875 révolutions de l’asple ; dans les nouveaux tours, ce nombre ayant paru trop limité, il ne se croise plusainsiqu’après2601révolutions,nombrebien suffisant pour lui donner le temps de sécher. On voit donc que cette disposition des fils facilite le sec- ond dévidage, prévient les ruptures et par suite les nœuds qui rendent les fils inégaux dans leur gros- seur, nuisent à la beauté de l’organsin, au tissage régulier et à la perfection des étoffes. La fileuse doit faire attention qu’il ne se forme pas de mariages. En terme d’art, on donne ce nom à un défaut qui provient souvent de la croisure ou de bourillons qui montent, ou bien de ce qu’un des fils étant plus fort que l’autre, le fait casser et l’en- traîneavecluisurlemêmeécheveau,cequiforme

152 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. un fil double que l’asple enveloppe sur une certaine longueur avant que la fileuse s’en aperçoive. Pour porter remède à cet inconvénient, les nouveaux mécanismes permettent de faire et de refaire avec unemerveilleusefacilitélacroisure,derenouerles fils et d’enlever les mariages. 5° Tour à tirer la soie. Le tour de Piémont, perfectionné par Vanca- son, Villard, Tabarin et autres, dont on voit une coupeverticaledanslafig.149etdontlafig.150 représente une vue perspective prise par-dessus, se compose aujourd’hui d’un bâtis en bois AA à l’extrémité duquel sont 2 montants qui soutien- nent l’asple ou dévidoir C, sur les lames duquel la soie se forme en écheveau. D est la manivelle qui fait tourner celui-ci et dont l’arbre porte une roue tème de roues dentées, H I K se commandant l’une l’autre, et combinées de telle manière qu’elles ne se retrouvent dans la position initiale d’où elles sont toutes parties au commencement du mouvement qu’après 2 601 révolutions. C’est cette disposition quiproduitleva-et-vientetparsuiteleréglageoudis- tribution en zigzag du fil sur l’asple. Sur le milieu du bâtis du tour sont 2 traverses X et Y, portant des cavités dans lesquelles peut tourner librement un arbre ou axe vertical L. Cet arbre, du côté du système des roues dentées, a un bras Q dont l’ex- trémité, terminée en fourchette, reçoit le bout d’une bielle P ; l’autre extrémité est percée d’un œil qui entre sur une cheville excentrique O, portée par la roue K. Au-dessus de la traverse supérieure X, l’arbre L porte un autre bras incliné à l’horizon M, terminé par 2 potences sur lesquelles sont placés 2 Fig. 151. dentéeE, fig.151,qui engrène dans un pignon F moulé sur l’arbre du dévidoir, ce qui facilite et accélère le mouve- ment de celui-ci. Sur l’autre extrémité de l’arbre ou axe de cet asple, est également monté ( fig. 149) un second pignon G qui engrène dans un sys- Fig. 149.

Fig. 150.
 

CHAP.7e PRÉPARATIONS DE LA SOIE 153 guidesougriffesenfildeferouenverre,autravers desquels passe la soie avant de s’enrouler sur l’asple. — On voit aisément ainsi comment la roue K, par ses révolutions, tire et pousse successivement la bielle P, puis le bras O, imprime à l’autre bras M ce va-et-vient, ou mieux ce mouvement alternatif en arc de cercle qui sert à distribuer le fil sur l’asple, et ne lui permet de se coucher sur lui-même qu’après le nombre établi de révolutions. Dans l’ancien tour de Piémont, la fileuse, après avoir assemblé ses fils, et les avoir passés à travers les filières placées au-dessus de la chaudière, les rou- lait entre le pouce et l’index pour leur donner la croisure, les séparait ensuite, les passait à travers les guides du va-et-vient et les livrait à la tourneuse qui les attachait aux lames de l’asple et mettait aussitôt ce dernier en action. Cette disposition présentait des inconvénients : elle laissait à la discrétion des ouvrières le nombre de tours à donner à la croisure, et ne pouvait mettre à l’abri de leur négligence sur ce point. La croisure donnée aux fils dans un seul sens ne faisait frotter l’un contre l’autre que la moitié de leur surface, ce qui ne leur donnait pas le degré de pureté et d’éclat des soies bien tirées. Pour remédier à ces inconvénients, vauganson imagina la double croisure, qui a été perfectionnée depuis par d’autres mécaniciens, et qui offre l’avan- tage aujourd’hui de former deux croisures, dont l’une est en sens inverse de l’autre, et de fixer inva- riablement le nombre de tours de cette croisure, sans qu’il soit à la liberté de la fileuse de croiser plus ou moins. Voici la construction de la croisade per- fectionnée, telle qu’elle est employée dans les atel- iers français. Sur le devant du tour est placée cette croisade qu’onvoitencoupedanslafig.149,pardessusdans lafig.150,etdefacepar-devantdanslafig.152. Elle se compose de 2 montants verticaux et égaux Fig. 152. NNquisupportentunchâssisquadrangulaireRR. Ces montants ont, sur leur face intérieure, une rainure profonde dans laquelle peut tourner, mon- ter ou descendre librement, mais sans ballotter, une lunette à gorge S S, qui porte 2 guides implantés sur sa circonférence intérieure. Cette lunette est sus- pendue à une corde sans fin croisée T, qui passe sur une poulie U, laquelle a le même diamètre que la lunette et est traversée par un arbre reposant sur des coussinets fixés sur le châssis R. Sur chacune des faces de cette poulie est attachée une corde V tendue par des poids, et dont l’une est enroulée aut- our de l’arbre quand l’autre pend de toute sa lon- gueur. On conçoit qu’en tirant la corde enroulée on fait tourner la poulie, et par suite la lunette, d’un nombre de révolutions égal aux enroulements que la corde faisait sur l’arbre ; en même temps, la corde pendante, qui était restée jusqu’ici dévelop- pée, s’enroule à son tour sur cet arbre d’un nombre de tours égal à celui dont l’autre se déroule, mais en sens contraire. On voit ainsi que si les 2 fils de soie, en sortant de la bassine et des barbins Z Z placés au-dessus, sont passés successivement à travers les filières de la lunette, puis des griffes du va-et-vient, et qu’on déroule ensuite en la tirant une des cordes de la croisade, ces fils vont se croiser en avant et en arrière de la lunette et en sens contraire, d’un nom- bre de tours identiquement égal à celui que la corde aura fait faire à la poulie U, et pour que le mécan- isme soit entièrement à l’abri de la négligence de l’ouvrière, ce mouvement de déroulement, une fois commencé, continue seul au moyen de contre- poids, jusqu’à ce que la corde tirée soit entièrement développée. Le nombre des enroulements de la corde dépend de celui des tours qu’on veut donner à la croisure. Mais quel que soit ce nombre, il est trèsfacile,quandunbrindesoiecasse,quandilse formeunmariage,etc.,d’yporterremède.Onn’a qu’à tirer la corde enroulée pour défaire la croisure, à renouer ou rétablir les bouts défectueux, reformer la croisure en tirant la seconde corde et continuer le travail avec une perte très légère de temps et peu de déchets. § ii. — Du moulinage des soies. 1° Des moulins. Les soies, après avoir été tirées, reçoivent avant d’être tissées diverses préparations qui sont plutôt du domaine des fabriques et des manufactures, mais qu’il est important pour l’éducateur de vers à soie de connaître. La 1re de ces opérations est le dévidage qui a pour but de transporter, sur de petits guindres ou sur des bobines, les fils enroulés sur les asples, ce qui se fait à la main au moyen d’un rouet ou par le secours de machines qui, en dévidant un grand nombre de fils à la fois, accélèrent le travail. La 2e opération à laquelle on soumet la plus grande partie des soies est celle du moulinage propre- ment dit, et qui consiste à faire éprouver aux fils un

154 ARTS AGRICOLES : ÉDUCATION DES VERS À SOIE LIV. IV. certain degré de torsion, afin de leur donner la force nécessaire pour résister au travail du tissage. Cette torsion se donne le plus généralement au moyen d’une grande machine appelée moulin. Le plus com- munément employe est le moulin de Piémont. vaugan- son avait aussi inventé pour cet objet une machine que sa complication a fait abandonner. D’autres mécaniciens, plus heureux, tels que mm. BeLLy, Beauvais de Lyon, Bugaz de St.-Chamond (Loire), durand, aux Blaches (Ardèche), amareTTi de Ver- ceil, etc., en ont proposé d’autres qui ont été mis avec succès en activité dans le midi de la France. Le moulin de Piémont est une sorte de grande cage circulaire, tournant de gauche à droite sur un axecentraletvertical,etmueparunhomme,des animaux, un cours d’eau ou par le secours de la vapeur. Cette machine a depuis 11 jusqu’à 15 pieds et au-delà de diamètre et 7 à 15 pieds de hauteur. Suivant sa grandeur, elle est divisée en 2, 3 ou 4 vargues ou étages, qui portent un certain nombre de fuseauxoubrochesmuniesd’ailettesetdebobines, comme dans les métiers à filer le coton ou la laine, et sur lesquelles la soie, déroulée de dessus les guin- dres ou les bobines où elle a été reportée par le dévid- age, s’enroule et se tord en même temps au degré déterminé par diverses pièces du mécanisme. Le nombre des guindres et des broches et bobines mis en mouvement varie suivant la grandeur du mou- lin. Ceux de 11 pi. ont ordinairement 12 guindres pour chaque vargue et 72 broches ; ceux de 15 pi., 16 guindres et 96 broches, etc. Ces différentes par- ties reçoivent le mouvement du moulin lui-même au moyen de dispositions particulières, celui des broches ayant lieu de droite à gauche. Telle est à peu près l’idée qu’on peut se faire du moulin de Piémont qui, pour être décrit, exigerait un très grand nombre de planches. Nous allons maintenant donner une idée des diverses espèces de soies qu’on prépare avec ce moulin ou d’autres sem- blables, et de quelques produits de ce genre qu’on trouve communément dans le commerce. 2° Des principales espèces de soies tirées et ouvrées et du pliage. Onnommesoiegrégeougrèzelasoiequin’aété soumise à aucune autre opération que celle du tirage, et qui est le produit immédiat du cocon, quel que soit le nombre des brins, qui peut varier de 2 à 20 et au-delà. La soie ouvrée est celle qui a subi une préparation quelconque qui la rend propre à dif- férents emplois dans les manufactures. La soie crue ou écrue est celle qui, suivant sa destination, a, sans avoir subi de débouilli, été tordue et retordue au moulin. La soie cuite a, au contraire, été débouil- lie dans l’eau chaude pour en faciliter le dévidage ; quant à la soie décreusée, c’est celle qui a été débouil- lie au savon pour lui enlever le vernis de nature gommeuse qui l’enduit, lui donner ainsi plus de mollesse et de douceur, et la rendre plus propre au blanchiment et à la teinture. Avant d’aller plus loin, disons ce que c’est que le titre de la soie. On entend par ce mot le poids de la soie sur une longueur déterminée qui, indépendam- ment de la beauté du fil, sert à déterminer sa valeur vénale. La longueur choisie est 400 aunes (475 mèt. 40), et c’est le poids en grains anciens de cette lon- gueur de soie qui détermine le titre. Ainsi la soie dont une pelotte ou écheveau de 1200 aunes pèse un gros, est au titre de 24 deniers ; si elle pesait un gros et 24 grains, elle serait au titre de 32 deniers, et à celui de 48 si elle pesait 2 gros. La principale espèce de soie qu’on travaille au moulin est l’organsin, qui est un fil composé de 2 bouts de soie grége, quelquefois de 3 et même de 4, qui sont d’abord tordus séparément au moulin, tors auquelondonnelenomdepremierapprêtoufilage, et qui se donne à droite et varie suivant la qual- ité, la nature ou la destination de la soie. À ce 1er apprêt succède le doublage, opération qui consiste à réunir au nombre de 2, 3 ou 4, sur des guindres ou sur des bobines, les fils tordus, soit à la main, au moyend’unrouet,soitavecdesmachinesappro- priées à cet objet et appelées moulins à doubler. Ces fils de soie réunis sont alors reportés au moulin à organsiner pour recevoir le second apprêt ou tors qui se donne à gauche, et qui roule les uns sur les autres les fils assemblés, de manière qu’ils ne paraissent n’en composer qu’un seul. C’est le fil, lorsqu’il a subi cette 2e torsion, beaucoup moins considérable que la 1re, qui reçoit le nom d’organsin, et qu’on emploie principalement pour la chaîne dans la fab- rication des étoffes de soie. La trame, dont le nom indique l’usage, c’est-à-dire qu’elle est employée à faire la trame des étoffes, est une soie montée à 2 ou 3 bouts qui n’ont pas subi de 1er apprêt, et dont le tors, qui se donne comme le 2e apprêt de l’organsin et dans le même sens, est très léger et sert seulement à réunir les fils, en leur con- servant la mollesse nécessaire à cette sorte de soie. Le poil est une soie grége à un seul bout qui a subi l’apprêt au moulin. Cet apprêt varie avec la finesse de la soie ; le principal emploi de cette soie, connue dans le commerce sous le nom de poil d’Alais, est pour la passementerie, la rubannerie, la broderie, etc. On fait usage en France de plusieurs espèces de soiesgrèges:l°lessoiesfermes,parmilesquelleson distingue la grège d’Alais et de Provence, qui se com- pose de la réunion de 12 à 20 cocons, et se distingue en plusieurs qualités qui sont converties en soies ovalées de différentes grosseurs, en soies à coudre, en soies plates et cordonnets ; la grège du Levant, dite Brousse, la grége de Valence, toutes deux tirées de 15 a 25 cocons, et la grège de Vérone, tirée de 15 à 30 cocons qui, avec la grége de Reggio, dite San-Batilli, servent au même usage que celle d’Alais, puis les grèges de Bengale, de la Chine, etc. ; 2° les soies fines (grége blanche et jaune de France), employées à la fabrication des rubans, gazes, baréges, etc., et ouvrées en trames et organsins. Parmi les soies ouvrées on distingue l’organsin de Piémont, monté à 2 ou 3 bouts et qui s’emploie pour chaîne ; l’organsin du pays, monté de même dans le

CHAP.7e PRÉPARATIONS DE LA SOIE 155 Vivarais et en Provence, et qui sert au même usage ; les trames doubles qui, outre leur destination ordinaire, servent encore dans la passementerie et la bonnete- rie ; la trame double (nankin) du bourg de l’Argental (Ardèche),quiestunesoied’unblancsupérieur, employée à la fabrication des blondes. La soie ovale ou avalée réunit plusieurs bouts de soie grége (2 à 12 et quelquefois 16) qui sont faible- ment tordus au moyen d’une petite machine nom- mée ovale. Cette soie sert à faire des lacets, des brod- eries, à coudre des gants et dans la bonneterie. La soie plate est une grége commune assem- blée par 20 à 25 brins et employée pour broder la tapisserie. La grenadine est une grége ouvrée à 2 bouts et très serrée, généralement employée à faire les effilés ou à la fabrication des grosses dentelles des environs du Puy, et du tulle bobin. La plus fine sert à faire les blondes noires. La grenade ou rondelettine est montée à 2 bouts très tordus ; elle s’emploie dans la passementerie et la fabrication des boutons ; il en est de même de la demi-grenade ou rondelette pour la fabrication de laquelle on emploie communément les doupions. La soie ondée dont on se sert pour nouveautés est montéeà2boutsdontl’unestgrosetl’autrefin. Le gros bout reçoit un premier apprêt à droite ou à gauche à volonté ; le bout fin est avec ou sans apprêt, en observant, lorsqu’il y a de l’apprêt, que ce soit en sensinversedeceluidugrosbout.Ces2boutssont ensuite doublés pour recevoir le 2e apprêt toujours ensensinversedeceluidugrosbout.C’estaussi par des procédés particuliers qu’on apprête en crèpe la soie grége ou cuite ou teinte en couleur, ou avec brin cuit et brin cru, pour la fabrication de l’étoffe de ce nom ; et en marabouts pour la fabrication des rubans de gaze. Les soies grèges et ouvrées sont soumises dans le commerce à un mode particulier de pliage, qui n’est pas toujours le même pour les diverses espèces et pour celles des diverses provenances. Générale- ment ces soies sont réunies en matteaux composés de 4, 5, 6, 7 ou 8 flottes, échets ou écheveaux, tordus et pliés de façon qu’ils ne se dérangent pas. On assem- ble quelquefois un certain nombre de ces matteaux pour former des masses, et c’est avec ces masses ou ces matteaux qu’on compose des balles qu’on recouvre de toile et dont le poids est très variable. Parexemple,lessoiesgrègesfinesdeFrancesont pliées en matteaux de 490 à 595 millimètres, pesant 90 à 100 grammes, réunis en masses de 1 à 10 et emballés en toile fine écrue recouverte de toile com- mune, les balles pesant de 60 à 75 kilog. L’organsin du pays est plié en matteaux tortillés attachés à un des bouts par un fil de soie, pesant de 60 à 70 gram., et en balles de 75 kilog. environ, etc. 3o Bourre ou filoselle, fantaisie, blanchiment et teinture des soies. Les diverses parties des cocons qui n’ont pu être dévidés, les déchets qu’on fait au dévidage, soit par les bouts baisés ou les mariages, les bourres qui nuisent à l’égalité des soies, etc., ne sont pas rejetés, et dans cette industrie tout trouve un emploi utile et avantageux. Toute l’enveloppe grossière qui entoure le cocon etquiestconnuesouslenomdefiloselle,bourrede soie, fleuret, bave, etc., les cocons tachés ou gâtés par une cause quelconque, et qui forment ordinaire- ment une matière dure, sèche, tenace et cassante, sont jetés dans l’eau ou on les laisse macérer pour dissoudre la plus grande partie de la matière gom- meuse dont ils sont imprégnés. On les soumet ensuite à la presse pour en faire sortir le plus d’eau gommée possible, on remet dans de nouvelle eau, et c’est en répétant ces opérations qu’on parvient à dégommer complètement. Alors on exprime l’eau à la presse, ou fait sécher, on bat fortement, on enduit légèrement d’huile et on carde. C’est en travaillant ainsi cette bourre à plusieurs reprises qu’on la met en état d’être filée, tissée ou tricotée. On file la bourre, soit au rouet et à la quenouille, soit au fuseau comme le chanvre et le lin, soit par machine, comme la laine et le coton. Dans cet état celle qui est cardée et filée à 1, 2 ou 3 tirages, ou montée à 2 bouts pour chaîne ou trame par des machines,prendlenomdefantaisiefineetsertàla bonneterie, à la fabrication des châles de Lyon dits de bourre de soie, et à celle d’un assez grand nombre de belles étoffes. Celle qui est filée à la main s’ap- pellefantaisiecommuneetsert,àNîmes,àlapasse- menterie, à la fabrication des bas, à la tapisserie, etc.Onconnaîtaussi,souslenomdefleuretmonté, des déchets de soie écrue, cardés et montés très retors dans les environs de Lyon, où ils forment ce qu’on appelle des galettes qui servent à la passemen- terie et à former la chaîne des galons d’or et d’ar- gent. Les déchets de cardes, battus et cardés de nou- veau, sont transformés en ouate de soie. On mélange quelquefois la bourre ou la soie avec la laine ou le duvet de cachemire, et on les file ensemble. Ce dernier article, qu’on travaille surtout à Lyon, porte le nom de Thibet. Les peaux, ou dernière enveloppe du ver dans le cocon et qui reste dans les bassines sans avoir pu être dévidée, sont traitées de même que la bourre et employées au même usage. On ouvre aussi quelquefois ces peaux et on les découpe avec des instruments appropriés pour la fabrication des fleursartificielles.Lescôtesetfrisons,sortedesoie grossière de plusieurs pieds de longueur que la file- use tire à la main de dessus les cocons jetés dans la bassine avant de trouver la bonne soie, sont, de même que la bourre, cuits, blanchis, cardés et filés, et transformés en fantaisie. La soie ouvrée destinée à faire des tissus raides est simplement blanchie, au moyen de l’acide sul- fureux, dans des soufroirs adaptés à cet objet. Quant à celle qu’on emploie pour la fabrication des tissus moelleux et doux, elle est soumise à une opération particulière pour lui enlever le vernis naturel qui la recouvre et lui donne encore de la raideur. Cette opération, qui se nomme décreusage, consiste prin- cipalement en trois préparations : 1o le dégommage