Manoela, récit des Açores
À l’ouest de l’archipel des Açores, si pittoresque et si brillant de végétation, se trouvent deux petites îles pauvres et comme oubliées au milieu de l’Océan-Atlantique : on les nomme Flores et Corvo. Séparées l’une de l’autre par un étroit canal, elles semblent ne former qu’une seule terre. Les grandes vagues de la mer leur livrent constamment de rudes assauts, tandis que le vent du large s’abat avec violence sur leurs côtes découpées d’âpres rochers. Au sommet des plateaux, on aperçoit, autour des maisons couvertes de briques rouges, des champs de blé, des enclos semés de grosses fèves, et aussi des plants de vigne qui produisent un vin excellent. Dans les vallées mieux abritées croissent le figuier aux feuilles épaisses, le myrte odorant et même l’oranger, mais les fruits de ce bel arbre n’arrivent point à une parfaite maturité. Enfin l’île de Flores, mieux partagée que sa compagne, possède un charmant petit parc, planté avec goût, qui sert de retraite à tous les oiseaux que la nature a chargés d’égayer ces tristes parages. J’y ai entendu, par une chaude soirée de printemps, le merle d’Europe au bec jaune siffler joyeusement auprès de son nid.
Placées comme des sentinelles au milieu de l’Océan, les deux îles voient passer bien des navires, mais toujours à une certaine distance des côtes. Les navigateurs qui sont venus reconnaître ces terres élevées les évitent aussitôt, parce qu’elles n’offrent ni port, ni mouillage. Aussi est-ce un événement à Flores comme à Corvo lorsqu’une voile, aperçue de loin, fait mine de se diriger vers la terre. Le premier qui l’a vue annonce la nouvelle à son voisin. Bientôt le bruit se répand partout qu’un navire va s’approcher du rivage pour y prendre des provisions. Alors il se fait un grand mouvement parmi cette population séparée du reste du monde. Chacun descend vers la mer pour tâcher de vendre quelque chose. L’un porte sous son bras un vieux coq, l’autre charge sur son épaule une cruche de vin ; un troisième emplit une corbeille d’oranges vertes ou de poisson salé. Tous s’empressent dans l’espoir d’échanger leurs marchandises contre une pièce d’argent, la denrée la plus rare qui se puisse rencontrer dans une île privée de commerce.
Un matin, — c’était à la fin d’avril 184…, — il arriva qu’un paysan de Flores, occupé à ramasser des cailloux dans la partie la plus élevée de l’île pour enclore son champ de fèves, avisa, bien loin au large du côté du midi, un bâtiment de fort tonnage qui s’avançait toutes voiles dehors. Un léger brouillard courait sur la mer, et le navire disparaissait par instans. Allait-il toucher la côte ou s’éloignerait-il bientôt, comme l’oiseau de passage, qui dédaigne les îles et cherche les continens ? Telle était la question que se posait l’insulaire, et personne, même à bord du navire, ne pouvait encore la résoudre. Le capitaine du bâtiment venait de replier ses cartes ; à l’aide de sa longue vue il avait reconnu, malgré la brume du matin, les contours arrêtés et précis d’une terre. Il savait le nom de celle qui se dressait devant lui ; seulement il n’avait aucune raison sérieuse d’y aborder. Comme il se promenait sur le pont, sa lunette sous le bras et jetant involontairement un regard sur les deux îles à peine visibles à l’horizon, une jeune fille parut devant l’escalier de la dunette
— Señorita, a los pies de usted, lui dit le capitaine en la saluant avec courtoisie.
— La mer, la mer, toujours la mer, répondit la jeune fille d’un ton boudeur ; en vérité, capitaine, vous le faites exprès de ne pas arriver !
— Sans doute, reprit le marin en souriant ; il dépend de moi d’empêcher les gros temps du cap Horn, les calmes de la ligne, et les petites brises qui nous font glisser sur l’eau aussi vite que la tortue sur le sable…
— Voilà près de cent jours que nous avons quitté Lima, et nous sommes encore loin de Cadix, n’est-ce pas ?
— Si le vent voulait souffler, nous y serions dans une semaine… Voyons, señorita, c’est mal à vous de malmener un vieux marin comme moi. Savez-vous bien que je pourrais faire sortir une terre du milieu de l’Océan ?… Cela dépend de vous !
— Contes de nourrice, bons pour endormir les petits enfans, répliqua la jeune fille ; laissez-moi descendre et voir si ma mère est éveillée…
— Teresa, Teresita, reprit le capitaine, voyez-vous cette brume devant nous ?
— Des nuages, et toujours des nuages qui se mirent dans l’eau.
— Sous ces nuages, il y a une île, señorita ! Je la vois, et les matelots la devinent, quoique je ne leur aie rien dit encore…
Teresa, qui avait fait un pas pour descendre, revint sur le pont. Les matelots, réunis à l’avant du navire, se montraient du doigt la terre qu’ils avaient su distinguer au milieu des brumes mobiles chassées par la brise du matin. Ébranlée dans son incrédulité, la jeune fille se pencha sur le bord, et, s’appuyant au bras du vieux capitaine :
— Jésus ! Mariai s’écria-t-elle ; mais c’est une vraie terre ! Oh ! si vous vouliez me permettre de m’y reposer un jour, rien qu’un jour !…
— Nous verrons, dit le capitaine en affectant un air sérieux.
— Je vous en prie, vous seriez si aimable !… Je ne me plaindrais plus de la longueur de la traversée, je ne vous ferais plus la moue… Oh ! si j’avais la terre ferme sous les pieds, vous me verriez courir comme une biche, plus joyeuse, plus heureuse que la reine de toutes les Espagnes. Vous le voulez bien, n’est-ce pas, capitancito ?
— Eh ! oui, répliqua le marin, puisque c’est à cause de vous que je me suis approché de ces îles…
— Ma mère, ma mère, cria vivement Teresa, montez sur le pont ; une terre, une île, là, tout près de nous… Capitaine, il n’y a pas de sauvages au moins ?
— Nous ne sommes plus dans les mers du sud, répliqua le capitaine, et l’Afrique est bien loin…
— Ah ! quel bonheur, mamita ; il faudra prendre de l’argent, beaucoup d’argent. Je veux acheter bien des choses ; il y a si longtemps que je n’ai pu faire la moindre emplette… Ah ! c’est là le plaisir à Lima ! On entre dans tous les magasins de la grande place, le long du portal de Botoneros, où il y a tant de petits Français blonds et frisés comme des chérubins, qui vendent les plus belles soieries !… Et des éventails, et des souliers de satin, et des gants !…
La jeune fille qui babillait ainsi à la manière d’une perruche péruvienne pouvait avoir quinze ans. Vrai type des femmes de Lima qui sont des Castillanes écloses au soleil du tropique, elle avait l’esprit enjoué, la parole vive, l’humeur capricieuse et cette franchise d’allures naturelle à toute la race espagnole. Sa mère, dona Rosario, née à Cadix, où un négociant du Pérou l’avait épousée dans un de ses voyages, était veuve depuis quelques années. Elle avait ressenti le regret du pays natal, et, se trouvant isolée à Lima, elle s’était décidée à retourner dans sa famille. Tandis que sa fille, impatiente de toucher la terre, tirait du fond des malles où elles reposaient depuis trois mois ses plus belles toilettes, comme s’il se fût agi de faire son entrée dans une capitale, doña Rosario s’habillait lentement.
— Chère mère, disait Teresa, pressez-vous donc ! Je vois bien qu’il faut que je vous aide… Quel éventail voulez-vous ? Ah ! mes souliers me gênent un peu, depuis si longtemps que je ne les ai mis !…
En parlant ainsi, la jeune fille sautait et faisait des pirouettes dans la cabine.
— Tiens-toi donc tranquille, niña, répondit doña Rosario ; tu as tout mis sens dessus dessous, et tu me fais tourner la tête… Voyons, me voilà prête, allons sur le pont, et montre-moi cette fameuse terre qui te rend folle de joie.
Elles montèrent ensemble sur le pont. L’île sortait tout entière du sein des eaux, et le navire, glissant sur une mer tranquille, s’en approchait assez rapidement. Quelques barques montées par des pêcheurs couverts de capotes noires à capuchon allaient et venaient le long du rivage. Sur les rochers, on apercevait les habitans de la campagne qui attendaient la venue des étrangers ; ils se tenaient immobiles, la tête penchée en avant, comme les pingouins qui font sentinelle sur les récifs des Malouines. À mesure qu’il avançait, le capitaine diminuait prudemment la voilure de son navire. Les pêcheurs rôdaient avec défiance autour du grand bâtiment ; ils craignaient d’avoir affaire à quelque négrier en détresse qui pourrait bien enlever de force les provisions dont il avait besoin et prendre le large sans les payer. L’isolement rend timide, et l’on a peur des inconnus dans une petite île qui n’a pour toute défense que sa pauvreté. Après maintes évolutions cependant, une barque s’aventura tout auprès du navire, et l’un des pêcheurs qui avait aperçu des dames à bord se décida résolument à accoster. Il fit un geste de la main, on lui lança une corde, et en un clin d’œil il fut sur le pont.
— Enfin j’ai un pilote ! dit le capitaine, et, s’adressant au pêcheur : — Peut-on jeter l’ancre ici ?
Le pêcheur répondit par un signe de tête affirmatif ; puis, se dépouillant de sa lourde capote, il saisit la roue du gouvernail. C’était un beau jeune homme aux traits mâles et réguliers, au teint hâlé, aux grands yeux noirs. Obéissant à l’impulsion de la barre, le navire tourna sur lui-même ; les voiles, à peine gonflées par une petite brise, s’aplatirent sur les mâts, et l’ancre tomba.
— Eh bien ! nous restons ici ? demanda Teresa.
— Croyez-vous que je puisse promener mon navire sur les cailloux et sur le sable ? répondit le capitaine avec un sourire. Venez par ici, à tribord. La chaloupe du pêcheur vous mènera à terre.
Doña Rosario, qui n’était pas très leste, descendit l’échelle à grand’peine. Teresa murmura un peu de ce qu’il lui fallait s’asseoir avec ses robes de soie sur les bancs humides d’une barque tout imprégnée d’odeur de poisson, puis elle agita bruyamment son éventail et finit par rire aux éclats. Cinq minutes après, la chaloupe touchait au rivage ; le capitaine sauta à terre et tendit la main aux deux dames. Quand elle sentit la terre ferme sous ses petits pieds, Teresa poussa un cri de joie. — Bonjour, bonjour, mes braves gens, disait-elle en saluant du geste les indigènes qui s’inclinaient sur son passage ; quelle langue parle-t-on ici ? hein !… Réponds donc, toi, petit garçon, au lieu de secouer ainsi ce vieux coq que tu tiens par les pattes.
— Vossa mecé quer comprar hum gallo[1] ? répétait l’enfant, et à chaque fois qu’il allongeait le bras, le pauvre coq râlait d’une façon pitoyable.
— Vossa mecé quer comprar leite, vinho[2] ? criaient à l’unisson les cultivateurs descendus des hautes régions de l’île et les duègnes à cheveux gris qui entouraient les étrangers en leur présentant à l’envi le lait et le vin enfermés dans des cruches de grès.
— Voilà qui devient assourdissant, s’écria doña Rosario. Parler tous à la fois, et du portugais encore !… Teresa, Teresa, que fais-tu là, ma fille ?
— Je bois du lait frais, répondit Teresa, qui élevait gaiement au-dessus de sa tête une cruche à deux anses ; tiens, ma petite, voilà pour toi ; comment t’appelle-t-on ?
— Elle se nomme Manoela, répondirent en masse les villageois ; senhorita, donnez-nous quelque chose, un petit reis, hum reizinho por amor de Deos ! — Et les mots por amor de Deos, prononcés d’abord à demi-voix, éclatèrent bientôt comme une clameur.
— J’entends un peu votre langue, répliqua Teresa, mais je n’entends rien à votre monnaie ; voilà des réaux, en voilà à pleines mains ; prenez, ramassez et faites silence.
— Teresa, lui cria encore sa mère, viens donc et laisse là cette troupe de mendians !
— Ce sont des visages humains, répliqua Teresa ; il y a longtemps que je n’en ai vu. Tenez, chère mère, regardez un peu celle qu’ils appellent Manoela : n’est-ce pas qu’elle est jolie ?… Approchez, Manoela, approchez, n’ayez pas peur. Dites-moi, je vous prie, où est la ville ?
— Devant nous, senhorita ; de l’autre côté de l’île se trouve la ville de Santa-Cruz.
— Très bien. Et ce chemin tout plein de sable, cette grève que nous foulons, bordée çà et là de maisons d’une chétive apparence, est-ce un village !
— C’est le village de Lagens, senhorita.
— Il n’y a donc point ici de boutiques, point de magasins, rien de curieux à voir ?
Manoela secoua la tête.
— Quelle triste vie on doit mener dans ce pays ! s’écria Teresa.
— Le plaisir est comme la richesse, répondit Manoela : il n’y en a pas pour tout le monde ici-bas.
— Je n’y avais pas encore pensé, dit à demi-voix la jeune Péruvienne ; il y a donc des gens qui ne s’amusent jamais ? — Puis elle leva un regard curieux et compatissant sur Manoelita, dont les traits calmes portaient l’empreinte de la mélancolie et de la résignation. Sans trop savoir pourquoi, celle-ci suivait les deux dames étrangères, examinant à la dérobée leurs brillantes toilettes. Les habitans des rares maisonnettes abritées derrière les rochers la regardaient passer, et il y en eut plus d’un qui l’appela avec de grands gestes, pour lui demander tout bas à l’oreille : Quelles sont ces dames-là ? d’où viennent-elles ? où les conduis-tu donc ainsi ?…
Manoela était fort embarrassée de répondre ; Teresa marchait toujours en avant, respirant l’air de la terre, enfonçant ses petits pieds dans le sable, souriant aux enfans, qui la contemplaient la bouche béante, et aux duègnes qui la saluaient. Doña Rosario, sa mère, commençait à trouver la promenade peu attrayante.
— Senoras, demanda alors le capitaine, qui les accompagnait toujours, votre intention est-elle de traverser l’île et d’aller jusqu’à Santa-Cruz ?
— Oui, répliqua Teresa ; je marcherai tant qu’il y aura de la terre devant nous. Y a-t-il loin, ma petite, d’ici à la grande ville ?
— Oh ! non, dit Manoela, une ou deux heures de marche.
— Allons, en avant ! s’écria Teresa, en avant, en avant ! je n’aurai jamais fait une aussi longue route à pied.
Doña Rosario n’avait pas d’aussi bonnes jambes que sa fille. Elle fit donc quelques objections et se plaignit bien haut de ce qu’il n’y avait pas dans cette île quelque bonne grande mule au pas sûr, à l’allure régulière, comme on en voit à Lima et dans toute l’Andalousie. Le capitaine, qui ne voulait pas laisser plus longtemps son navire à l’ancre le long d’une côte dangereuse, retourna à bord et donna rendez-vous aux deux dames sur la rive opposée de l’île de Flores.
— J’espère franchir en quelques heures le détroit de Corvo, dit-il en prenant congé. Dans l’après-midi, je serai devant Santa-Cruz, où j’irai vous rejoindre. À ce soir.
— Allez à votre navire, répondit Teresa, promenez-vous sur la mer tant qu’il vous plaira ; Manoela nous servira de guide. N’est-ce pas, ma petite, tu veux bien venir avec nous ?
— Oui, je le veux bien, et puis, à moitié chemin, nous trouverons. la maison de ma mère, où vous pourrez vous reposer.
— Et prendre quelque chose ? car j’ai bon appétit.
— Tout ce qu’il y a dans notre humble maison est à votre service, répliqua Manoela.
— J’accepte, s’écria vivement Teresa, et ma mère aussi… Ah ! quel plaisir de dîner sous une tonnelle, comme dans ce livre traduit du français où l’on me faisait lire quand j’étais enfant ! Vous savez bien, ma bonne mère, ces contes où il y a des images qui représentent des demoiselles bien obéissantes, raides comme des poupées, avec des robes en fourreau et des petites collerettes ?…
— Les contes del señor Verquin, répondit solennellement doña Rosario ; un beau livre que j’avais emporté de Cadix pour édifier la jeunesse de Lima…, laquelle est beaucoup plus turbulente que les demoiselles dont tu parles.
Par malheur il n’y avait pas de tonnelle dans le jardin de la vieille Josefa, mère de Manoelita. La pauvre maison, lézardée en maints endroits, n’avait pour ornement à l’extérieur qu’un cep de vigne fort ancien, qui semblait vouloir empêcher les murs de crouler, tant il les enlaçait avec vigueur dans ses rameaux longs et flexibles comme des câbles. Quelques poules picoraient paisiblement devant la porte, sous la conduite d’un petit coq fort éveillé qui releva fièrement la tête et jeta un cri de surprise à la vue des deux dames étrangères marchant vers lui, sous la conduite de Manoela. Les poules, averties par leur seigneur et maître, regagnèrent tumultueusement la maison, et la vieille Josefa, soupçonnant quelque visite inaccoutumée, parut sur le seuil. C’était une grande femme sèche, portant assez noblement ses cheveux gris, et qui avait pu être aussi jolie que sa fille ; mais il y avait de cela longtemps.
Quand on est pauvre, on n’aime pas à étaler son indigence aux regards des indifférens. La venue des deux dames étrangères fit froncer le sourcil à la duègne, et Manoela ne put s’empêcher de ressentir un certain embarras lorsque Teresa, d’un air dégagé, s’arrêta devant la porte en disant : — Bonjour, ma bonne dame… Nous trouverons bien quelque chose à manger ici, n’est-ce pas ? Ah ! vous avez là une fille charmante !… Ne rougissez pas ainsi, petite ; si vous aviez habité les grandes villes, vous sauriez bien ce que valent vos grands yeux bleus encadrés de beaux cheveux noirs !
— J’ai bien peu de chose à vous offrir, mesdames, répliqua la duègne. — Et elle promenait un regard attendri sur les poules qui se pressaient autour de ses jambes.
— Petit, petit, petit, fit Teresa en jouant avec son éventail. Oh ! les charmantes poulettes !… Voulez-vous me les vendre ?
— Qu’en veux-tu faire ? dit doña Rosario ; comment les emporter d’ici ? Où les mettras-tu dans le navire ?
— Cela me regarde, chère mère… Voyons, je les paierai bien une piastre la pièce. — Puis elle s’assit sur un banc à l’ombre du cep de vigne, tandis que Manoela posait sur la table un pain blanc, des œufs, du lait et quelques raisins secs.
Le repas était frugal ; mais quand on touche la terre après une longue traversée, tout réjouit les yeux et tout plaît au goût. La duègne, que la vente de ses poules mettait en humeur de faire du commerce, tira du fond de son alcôve, comme pour y chercher quelque chose, de grands paniers de jonc qui servaient à serrer ses effets.
— Pour le coup, dit impétueusement Teresa, voilà des paniers qui me seront d’une grande utilité à bord du navire. On n’a guère d’armoires dans une cabine… Je les achète, c’est entendu !
— Si cela peut vous faire plaisir, répondit la vieille Josefa… J’y tenais pourtant beaucoup ;… ils ont été tressés par mon défunt mari huit jours avant son départ pour l’expédition de dom Pedro… Le pauvre homme avait obtenu les galons de sergent-major d’artillerie, et, au débarquement devant Oporto, il attrapa un biscaïen au milieu de la poitrine…
— Je vous plains, madame, dit doña Rosario avec gravité, ce sont là des peines dont on ne se console jamais…
— La vérité est qu’il ne me rendait guère heureuse, le pauvre homme, reprit la duègne ; avant de partir, il m’avait ruinée, et il m’a laissée dans la misère…
L’oraison funèbre que débitait lentement la vieille Josefa fut interrompue par la brusque apparition d’une chèvre blanche, qui s’élança d’un bond auprès de Manoela et se mit à faire des cabrioles à ses côtés. La jolie petite bête se dressait sur ses pieds de derrière, ramenant ses pieds de devant sous les touffes de sa longue barbe soyeuse.
— Elle est à vous ? demanda vivement Teresa.
Manoela répondit par un signe affirmatif. — Cédez-la-moi, cédez-la-moi, je vous en prie, continua la jeune Péruvienne ; n’est-ce pas, ma mère, vous le voulez bien ?
Habituée à satisfaire tous les caprices de sa fille, doña Rosario hasarda pour la forme quelques observations, qui furent aussitôt réfutées ; mais Manoela ne donnait pas son consentement. Silencieuse, attristée, elle faisait claquer ses doigts au-dessus de la tête de la chèvre blanche, qui exécutait avec coquetterie mille gracieuses courbettes.
— Ah ! reprit la duègne, vous pouvez la prendre, la vilaine bête ; elle broute les tiges de ma vigne et saccage mon champ de fèves !
Manoela leva sur sa mère un regard suppliant ; elle passait ses mains autour du cou de la chèvre blanche, qui faisait entendre un petit bêlement et regardait sa maîtresse avec des yeux humides.
— Non, mon enfant, répliqua doña Rosario ; gardez cette petite bête, qui vous aime, et à laquelle vous semblez attachée. Gardez-la, Manoela ; ma fille en serait ennuyée avant deux jours.
— Ah ! vous auriez tort de vous en priver, interrompit la duègne avec vivacité ; aussi bien, quand Manoela ne l’aura plus avec elle, peut-être sera-t-elle plus active au travail… Les jeunes filles d’à présent ne savent plus rien faire. Ah ! si j’avais eu un garçon !
Manoela pleurait silencieusement ; il y avait dans la voix de sa mère un accent de dureté qui effraya Teresa, si peu habituée aux rudes paroles. Se penchant à l’oreille de la jeune fille : — Ma chère petite, lui dit-elle, votre mère a l’air bien méchant !
— Oh ! non, senhorita ; seulement elle m’en veut de ce que je ne gagne pas assez d’argent…
— N’est-ce que cela ? reprit la jeune Péruvienne. Attendez que je dise un mot à ma mère.
Il s’établit entre doña Rosario et sa fille un colloque à voix basse très animé, et qui dura bien cinq minutes. La mère résistait à quelque nouveau caprice de sa fille, et celle-ci, parlant avec une volubilité extrême, frappait la terre de son petit pied, et appuyait ses argumens d’une pantomime fort animée. Peu à peu la mère fut réduite au silence ; elle poussa un soupir, qui était le signe certain de sa défaite, et Teresa triomphante s’écria avec transport : — Doña Josefa, votre fille me plaît ; elle me plaît beaucoup, je la prends sous ma protection… Vous entendez, Manoelita ? Donnez-moi votre main, relevez la tête, essuyez vos yeux bleus et ne pleurez plus. C’est chose convenue entre ma mère et moi ; puisque vous ne voulez pas me céder votre chèvre, je vous emmène toutes les deux…
— Teresita, Teresita… disait doña Rosario en lui appuyant son éventail sur le bras pour arrêter ses imprudentes paroles.
— Eh bien ! ma chère mère, si vous le désirez, je laisserai les poules et les paniers. Je ne veux pas dévaliser la maison ; non, il faut être raisonnable. Manoela et sa chèvre blanche nous suivront à Cadix. Est-ce entendu ?
La vieille Josefa ouvrait de grands yeux ; elle semblait tenir en arrêt les petites mains de Teresa, qui dénouait précipitamment un coin de son mouchoir. Dans ce mouchoir résonnaient de belles onces d’or à l’effigie péruvienne, représentant le soleil qui darde ses rayons au-dessus des sommets du Potosi.
— Mesdames, s’écria la duègne en essayant de pleurer, je n’ai que ma fille pour m’aider à vivre… A mon âge, on n’est plus propre à grand’chose ; on ne peut plus gagner sa pauvre vie…
— Voilà dix onces d’or pour remplacer le travail de votre fille, reprit Teresa, et deux autres pour le prix de la chèvre.
— C’est de la bonne monnaie au moins ? demanda la duègne en allongeant les doigts ; nous autres pauvres gens, nous n’avons point de balance pour peser ces pièces-là…
— Oui, oui, c’est de bon or rouge, dit Teresa, de l’or du Pérou, le premier de l’univers !
— Oh ! les jolies pièces ! continua la vieille. Allons, Manoela, remercie donc ces bonnes dames. Tu ne peux pas manquer d’être heureuse avec des gens aussi riches !
Manoela demeurait interdite et confuse. Elle se voyait chassée de la maison maternelle, échangée sans regret et même avec joie contre dix pièces d’or. Durant les seize années de sa courte existence, elle avait souffert bien souvent des brusqueries de sa mère, mais elle avait pris son mal en patience. Les gens pauvres, attristés par la misère, n’ont guère l’usage de prodiguer à leurs enfans des marques de tendresse et d’affection. Tout en les aimant beaucoup, il leur arrive parfois de les malmener, comme pour les habituer aux rudes épreuves de la vie. Manoela supposait qu’il en était ainsi pour elle, d’autant plus qu’elle se montrait envers sa mère pleine de respect et de déférence. Quelquefois, il est vrai, quand une parole acerbe l’avait blessée, elle sortait de la maison pour aller respirer l’air vif de ses vallées balayées par le vent de la mer et écouter cet immense bruit de la vague qui endort les douleurs d’un cœur attristé. À son retour, la vieille Josefa l’accusait de perdre son temps et de courir sans raison à travers l’île. Un jour, Manoela ramena la chèvre blanche d’une de ses promenades rêveuses. Où l’avait-elle rencontrée ? qui la lui avait donnée ? C’était là son secret. Un lien mystérieux unissait ces deux créatures timides et avides de liberté. La Branca, — ainsi se nommait la chèvre, — mal accueillie par la duègne, s’était attachée à Manoela, qu’elle ne quittait jamais, à moins que la jeune fille ne lui fît signe de se coucher derrière la maison. À aucun prix, Manoela n’eût consenti à se défaire de la Branca ; elle était donc atterrée de voir que sa mère l’abandonnait elle-même pour une poignée d’or. L’avarice est une passion que la jeunesse ne comprend pas. Quand la jeune fille eut reconnu que sa mère ne l’aimait pas autant qu’elle le pensait, elle crut lire sur le visage souriant et épanoui de Teresa l’expression de la sympathie. Elle se jeta donc au cou de la jeune Péruvienne en versant des larmes abondantes.
— Eh ! niña, tu vas m’étouffer, s’écria celle-ci un peu surprise d’un si brusque élan de familiarité, me voilà toute décoiffée…
Puis, s’adressant à la mère de Manoela : — Votre fille sait coudre, n’est-ce pas ? Elle sait manier l’aiguille, tailler, broder…
— Que oui ! dit la duègne ; d’ailleurs elle est bien avisée, et elle aura bien vite appris ce que vous lui montrerez.
Manoela comprit par ces paroles qu’il s’agissait d’entrer au service des deux dames étrangères et d’abdiquer toute liberté. Elle croyait rêver ; elle cherchait à s’expliquer comment la rencontre fortuite d’une jeune fille qui l’avait abordée sur la plage quelques heures auparavant avait pu changer ainsi toute sa destinée. Elle ne savait ni où elle allait, ni pourquoi elle partait. Sa petite île si pauvre lui apparaissait comme un paradis d’où on la chassait sans qu’elle eût commis aucune faute. Les jours les plus monotones de son existence se teignaient dans son souvenir de reflets charmans, comme les horizons lointains d’une plaine aride et morne sur laquelle le soleil couchant verse ses rayons empourprés.
Les préparatifs du départ furent bientôt achevés. Manoela prit son petit paquet sous son bras, et embrassa sa mère avec un serrement de cœur, en lui disant à demi-voix : — Pourquoi m’éloigner de vous ?
— Pour ton bonheur, ma fille, répliqua la vieille Josefa, qui tenait toujours les pièces d’or dans ses mains ; que ferais-tu ici ? Montre-toi bien obéissante au moins !…
Il y a des gens qui ne peuvent traverser un jardin sans arracher une fleur ou sans cueillir un fruit. D’une main distraite et capricieuse, ils attirent à eux tout ce qui flatte leur regard. Ainsi était Teresa ; contente d’emmener à sa suite la pauvre jeune fille enlevée à son humble cabane, elle ne doutait pas que celle-ci ne fût parfaitement heureuse de la suivre. Elle marchait donc gaiement auprès de sa mère, doña Rosario, parlant déjà du plaisir qu’elle aurait à se faire coiffer chaque matin par la Manoelita. Celle-ci s’avançait à pas lents, accompagnée de la fidèle Branca. La tête basse, le cœur gonflé, elle allait droit devant elle, incapable de résister aux désirs de sa mère, et aussi subjuguée par la volonté tenace de doña Teresa, qui agissait sur elle comme un aimant. La jeunesse, la beauté et la richesse donnent à certains êtres privilégiés un ascendant irrésistible sur les natures simples et douces.
Manoela, qui ne voulait point être vue des habitans de Santa-Cruz, conduisit les deux dames vers une petite plage éloignée de la ville de quelques centaines de pas. Le capitaine, qui regagnait la terre dans son canot, laissant le navire louvoyer au large sous la conduite du pilote, vint aborder au même lieu.
— Capitaine, lui dit Teresa, nous vous amenons deux passagères, l’une de première classe, et qui prendra place dans la cabine ; l’autre que vous pourrez loger au pied du grand mât, dans le parc aux moutons.
— Ah ! Teresita, s’écria le marin, il y a plus de caprice que de raison dans votre petite tête !
— Que voulez-vous ? interrompit doña Rosario, les jeunes filles d’à présent sont d’une obstination que rien n’égale…
— Si ce n’est la faiblesse des mères, murmura le vieux marin en tournant sur les talons.
À la nuit, le capitaine avait regagné le navire avec ses passagères. Déposée dans le parc aux moutons, — on appelle ainsi la partie de la chaloupe destinée à recevoir les animaux de cette espèce qui doivent être mangés pendant le voyage, — la Branca s’était élancée tout aussitôt hors de sa prison. Elle courait sur le pont, montrant sa tête à l’entrée du logement des matelots et sur le haut de l’escalier de la chambre. La pauvre bête, inquiète et dépaysée, cherchait partout Manoela. Celle-ci, assise auprès de Teresa, pleurait, la tête dans ses mains. En vain la jeune señorita lui adressait de douces paroles pour la consoler, et lui racontait les plaisirs de son enfance dans cette joyeuse ville de Lima, que l’on nomme le paradis des femmes.
— Tu vois bien qu’elle est un peu troublée, disait à sa fille doña Rosario, laisse-la se remettre ; demain tu lui répéteras toutes ces jolies histoires-là. Manoela, ma petite, voilà une couchette pour vous ; allez dormir…
— Si madame veut bien me le permettre, répondit Manoela, j’irai là-haut prendre l’air ; j’étouffe ici…
Manoela monta sur le pont ; la Branca arriva d’un bond auprès d’elle en lui prodiguant mille caresses.
— Tu m’aimes, toi, pauvre petite bête, murmura la jeune fille… Nous ne verrons plus nos rochers, nous ne verrons plus celui qui t’apporta toute petite auprès de moi… Oh ! ma pauvre île…
En se parlant ainsi à elle-même, Manoela regardait à travers les ténèbres du côté de l’île de Flores, qui se montrait encore à l’horizon, comme une grosse tache d’un noir plus foncé. Elle souffrait, et personne autour d’elle ne prenait garde à sa douleur. Tous les étrangers qui l’entouraient n’étaient-ils pas heureux de continuer leur route et de s’éloigner de cette petite île qui n’occupait aucune place dans leur souvenir ? À ce moment-là cependant quelqu’un pensait à la pauvre fille, et courait, d’un cœur joyeux, vers la maisonnette où il espérait la rencontrer.
La chaloupe de pêcheurs, qui avait accompagné le navire depuis son apparition sur la côte opposée, touchait au rivage, non loin de Santa-Cruz. De cette barque s’élançait à terre le grand jeune homme qui avait servi de pilote au bâtiment. Coupant au plus court à travers l’île pour retourner à son village de Lagens, le pêcheur marchait à grands pas. Malgré l’obscurité, il arpentait à larges enjambées les sentiers sinueux et inégaux. Quand il fut à la hauteur de la petite maison habitée par la vieille Josefa, le jeune homme s’arrêta un instant comme pour réfléchir, puis il prit à travers champs. Arrivant par le jardin derrière la cabane, il frappa un petit coup sur le volet.
— Qui va là ? demanda la vieille.
— C’est moi, c’est Diogo, répondit le pêcheur.
— D’où viens-tu, mon garçon ? Que me veux-tu à cette heure ?… Il est bientôt minuit.
— Je viens de piloter un navire, et je retourne à Lagens. Ah ! j’ai gagné une bonne journée !… Si j’avais souvent des navires à conduire comme celui-là, ma fortune serait bientôt faite… Où est donc la Branca, mère Josefa ? Elle ne vient point me dire bonsoir ! Ouvrez-moi la porte, je vous en prie, et allumez votre lampe… J’ai quelque chose à vous montrer… Demain je n’aurai pas le temps de revenir.
La vieille eût bien volontiers refermé le volet et renvoyé à un autre jour l’importun Diogo ; mais celui-ci lui avait rendu plusieurs fois de petits services : il venait au printemps bêcher son enclos, et maintenant qu’elle était seule, n’aurait-elle pas plus qu’auparavant l’occasion de recourir à sa complaisance ? Elle alluma donc sa lampe et ouvrit la porte.
— Merci, mère Josefa, dit Diogo en entrant. Tenez, voilà un beau petit châle de crêpe de Chine qui m’a été donné par le capitaine du navire, sans compter une forte rétribution en argent… Mais où est donc Manoela ?
— Elle est partie, elle est à Santa-Cruz… Tu disais donc que ce châle de crêpe de Chine ?…
Diogo replia le châle de crêpe de Chine et le remit dans sa poche ; puis, croisant ses bras robustes sur sa poitrine, il regarda fixement Josefa : — Manoela est à Santa-Cruz ! Elle est partie !… La vérité, dites-moi la vérité : où est Manoela ?
— Partie, répéta la duègne un peu effrayée, partie avec les dames qui sont sur le navire, et qui l’ont prise en affection. Son sort est assuré, mon garçon, et moi, j’ai fait aussi une bonne journée.
— Elle est partie ! s’écria Diogo, que les sanglots étouffaient, et c’est moi qui ai conduit ici ce maudit navire !… Pourquoi l’avez-vous laissée s’en aller ?… Ah ! si j’avais été là !… N’est-ce pas qu’elle a pleuré en partant ? N’est-ce pas qu’elle est sortie d’ici en larmes ?
— C’est vrai, répliqua la vieille ; elle a été un peu émue de me quitter… C’est bien naturel.
— On vous a donc donné de l’argent ?
— Mieux que cela : de grandes pièces d’or.
— Et vous avez vendu votre fille pour ces grandes pièces d’or ! dit Diogo en faisant un pas vers la mère de Manoela. Et qu’est-ce que ces dames-là vont faire de votre fille ? Une servante, une femme de chambre, et vous ne la reverrez jamais !… Comme si elles ne pouvaient pas trouver ailleurs du monde pour les servir ! Mais non, il leur fallait la perle de notre île, et elles l’ont emportée en passant… Et moi qui venais vous dire : — Mère Josefa, il me manquait un peu d’or pour compléter une somme ronde que j’ai cachée dans les rochers ; cet or, je l’ai gagné aujourd’hui ; voulez-vous m’accorder votre fille ?
— Il n’est plus temps, que veux-tu que j’y fasse ? dit la vieille Josefa. Va te reposer, Diogo, laisse-moi en paix ; nous parlerons de cela un autre jour…
— Un autre jour ! interrompit le pêcheur ; croyez-vous donc que j’aie pris mon parti sur le départ de Manoela ? Ah ! si j’avais su que vous étiez ennuyée d’elle, si vous m’aviez dit : — Je te la donne pour cent piastres, pour deux cents piastres, au lieu de vous demander une dot, j’aurais payé sa rançon. La pauvre enfant ! Vous étiez donc bien fatiguée de l’avoir auprès de vous ?
— Elle était plus souvent à courir sur les rochers qu’à côté de moi, répliqua sèchement la duègne. À la moindre observation que je lui adressais, elle prenait sa course.
— Parce que vous vouliez lui rendre les tapes que vous aviez reçues autrefois de votre mari.
— Diogo, s’écria la vieille avec colère, es-tu venu ici pour m’insulter ?
— Non, reprit le pécheur, bien au contraire, je venais tout exprès pour m’agenouiller devant vous et vous demander de me prendre pour votre fils. Tenez, me voici à genoux, donnez-moi votre main, mère Josefa, et répondez-moi, je vous en conjure. Elle était bien méchante, n’est-ce pas, cette charmante fille, que toutes les mères vous enviaient ?
— Je ne dis pas cela.
— Elle aimait à vagabonder, n’est-il pas vrai ? Elle n’était ni sage ni honnête ?
— Jamais je n’ai dit cela.
— Elle n’était point jolie non plus, n’est-il pas vrai ? Il se peut que vous l’ayez été encore davantage, mère Josefa ; mais enfin, avouez que votre fille n’a pas de rivale dans toute l’île.
— Je sais bien qu’elle a bonne mine, la Manoela.
— C’est cela ; on a une fille charmante d’esprit et de cœur, fraîche comme un printemps, belle comme une rose, et puis on lui dit : — Bah ! une bourse pleine d’or vaut mieux que toi. Adieu. — Parlez franchement, mère Josefa : n’est-ce pas que vous regrettez déjà votre fille ?
— Relève-toi, Diogo, dit la duègne à demi-voix. Tu es un bon garçon et tu aimes ma fille, à ce qu’il paraît. L’amour tourne la tête aux jeunes gens.
— Parlez franchement, répéta Diogo : n’est-ce pas que vous la regrettez ?… Laissez donc couler cette petite larme qui brille sur votre paupière, personne ne la verra que moi, et cela vous fera du bien.
La vieille femme attira le jeune pêcheur dans ses bras, et le pressa sur son cœur en pleurant. — Pourquoi me dis-tu tout cela, mon fils, puisqu’il n’est plus temps ?
— Et moi je vous dis qu’il est encore temps, interrompit Diogo. Il n’y a pas de vent cette nuit, et le navire qui emporte Manoela doit être en calme tout près de l’île. Voulez-vous que je vous ramène votre fille ?
— Si je le veux ! s’écria la duègne, mais tu rendras la joie à mes vieux jours !…
— Eh bien ! les pièces d’or, donnez-moi les pièces d’or, répliqua le pêcheur ; il faut que je les rende aux dames qui vous les ont laissées…
— Ces dames-là sont si riches ! elles n’y songent peut-être plus ?
— Les pièces d’or !… répéta Diogo, garder l’argent d’autrui ? y pensez-vous, mère Josefa ?
— Ces pièces sont si belles ! De l’or du Pérou comme tu n’en avais jamais vu avant aujourd’hui…
— Maudite avarice ! s’écria Diogo en frappant du pied. Donnez vite les pièces, il faut que je parte… Si la brise se lève, le navire s’éloignera, et tout est perdu… La vieille Josefa, haletante et troublée, fouillait sa paillasse d’une main tremblante. C’était là qu’elle avait caché le trésor qu’il lui fallait sitôt abandonner. Elle tirait une à une les grandes onces d’or qui semblaient se coller à ses doigts. Le pêcheur les lui enleva d’une poignée pour les enfermer dans une petite bourse en cuir, puis il fit un pas vers la porte.
— Diogo ! lui cria la duègne saisie d’une subite épouvante, tu ne me trompes pas au moins ? — Le pêcheur secoua les épaules pour toute réponse et se prit à courir à travers champs.
— Diogo, Diogo, répéta encore la vieille Josefa, prête à se trouver mal, il y en a douze… Si tu ne réussis pas dans ton voyage, tu me les rapporteras… Ah ! mon Dieu, s’il allait me voler !…
Le pêcheur ne l’entendait plus. D’un pas rapide, courant et sautant, il gagnait les rochers pour descendre voir la mer, et cherchait des yeux, à travers l’obscurité de la nuit, les voiles du grand navire qu’il s’agissait pour lui de rejoindre au plus vite.
Pour abréger son chemin, Diogo se laissa glisser le long des rocs escarpés au pied desquels la vague a creusé des grottes profondes, toutes remplies de sable fin. Les goélands, que le pêcheur éveillait en passant, s’envolaient effrayés et poussaient de grands cris, puis ils revenaient se poser sur les roches noires en attendant le jour. Les étoiles brillaient au ciel ; la mer calmée semblait reposer dans son immensité, à peine si la houle, se levant à de faibles hauteurs par un mouvement régulier, marquait le dernier effort de la marée montante. La vague, parvenue à son extrême limite, baignait la quille d’une petite barque échouée sur le sable et fixée au rivage par un grappin. Le pêcheur n’eut pas de peine à la mettre à flot ; appuyant contre la poupe son épaule vigoureuse, il la lança en avant, et l’esquif commença de voguer. En quelques coups de rames, Diogo gagna les eaux plus profondes, et dès que la brise matinale ridant la surface de la mer vint lui rafraîchir le visage, il hissa la voile. La barque, poussée par ce vent léger, s’avança lestement. De son côté, le grand navire recevait aussi dans sa large voilure les premières bouffées de cette brise longtemps attendue. Resté en calme durant la soirée et une partie de la nuit, il avait été ramené par le flux de la marée vers les rochers qui forment la pointe orientale de l’île de Flores. Désormais, il allait s’élever de la côte et faire route vers l’Europe : le bruit du sillage annonçait aux marins ennuyés qu’il s’était remis en marche. — Tant qu’il ne ventera pas plus que cela, pensait le pêcheur, j’irai plus vite qu’eux, et je suis sûr de les atteindre ; mais si la brise augmente… Il ramait donc par intervalles pour aller plus rapidement encore, puis il s’arrêtait et cherchait à distinguer au large le gros navire, toujours caché par les ténèbres. Plusieurs heures se passèrent ainsi, heures d’angoisse pour Diogo, qui sentait la mer grossir et la vague se creuser sous la quille de la petite barque. Enfin les étoiles pâlirent, une teinte blanche, légèrement nuancée de rose, colora le ciel, puis les flots. Le pêcheur reconnut qu’il était au vent du navire, dont la voilure blanche échafaudée autour des mâts s’élevait en pyramide du milieu des vagues à quelques milles de lui. Il laissa donc porter de ce côté avec un cri de joie. Les huit coups de cloche appelant au quart du matin les matelots de service étaient arrivés jusqu’à son oreille en ricochant sur les flots.
C’est l’heure où l’on fait la propreté à bord des bâtimens, car on a l’habitude, quand on navigue, de frotter et de laver sa maison flottante comme si l’on s’attendait à recevoir des visites. Pieds nus, les pantalons relevés jusqu’aux genoux et les chemises de laine retroussées au-dessus du coude, les marins lançaient à grand renfort de bras des seaux d’eau sur le pont, tandis que le mousse s’efforçait de faire reluire le cuivre de l’habitacle. Au milieu de ce remue-ménage, la pauvre Branca, fort effrayée, bondissait d’un côté sur l’autre, poursuivie par les seaux d’eau salée, fuyant les balais, les fauberts et les vadrouilles, que des bras agiles agitaient en tous sens. L’officier de quart, assis sur la dunette, prenait plaisir à voir les sauts et les gambades de la jolie bête, qui flairait encore la terre et bêlait tristement en regrettant son île.
Cependant la barque du pêcheur approchait rapidement. Quand il ne fut plus qu’à une encablure du navire, il amena sa voile, et fit signe, qu’il voulait parler. L’officier de quart ayant ordonné de mettre en travers, une corde fut jetée à Diogo, qui s’amarra le long du bord. La Branca, qui l’avait reconnu, appuya ses pattes de devant sur la lisse, puis se prit à courir vers l’escalier de la chambre où se trouvait Manoela. Au même instant arrivait sur le pont le capitaine du navire, que l’on avait averti de la présence du pêcheur.
— C’est vous, pilote, lui dit le marin ; que voulez-vous ?
— Parler aux dames que vous avez à bord, capitaine.
— Elles dorment d’un profond sommeil, et n’ont pas coutume de recevoir des visites de si bonne heure.
— Je m’en doute bien, reprit Diogo ; mais le temps presse pour vous comme pour moi, nous ne pouvons rester arrêtés plus longtemps ici… Auriez-vous l’obligeance de leur dire que la mère de Manoela redemande sa fille, et renvoie l’argent qui lui a été donné.
En parlant ainsi, il remettait au capitaine les onces d’or renfermées dans la bourse en cuir. Celui-ci descendit dans la chambre, et, après avoir frappé discrètement à la porte de la cabine, il transmit à Teresa le message du pêcheur.
— C’est bon, c’est bon, répliqua la jeune fille ; qu’il emmène Manoela et sa chèvre, et tout ce qu’il voudra !… pourvu que l’on me laisse dormir. Entends-tu, petite ? Eh ! Manoela…
— Qu’y a-t-il donc ? demanda doña Rosario.
— Rien, ma mère ; la vieille femme d’hier a regret d’avoir laissé partir sa fille, et elle la réclame…
— Elle a renvoyé l’argent, ajouta le capitaine ; je l’ai là, entre les mains…
Manoela, debout, prête à partir, son petit paquet sous le bras, d’autant mieux éveillée qu’elle n’avait pu dormir de toute la nuit, regardait alternativement les deux dames, attendant d’elles un mot d’adieu. La Branca faisait retentir avec impatience sur les marches de l’escalier la corne de ses pieds agiles.
— Adieu, petite, adieu, dit Teresa en se retournant pour mieux se rendormir ; garde ton argent, je te le donne. Je suis sûre que j’aurai la migraine toute la journée pour avoir été éveillée si matin.
— Mais, ma fille, interrompit doña Rosario, ce sont là des prodigalités inexcusables…
— Chère mère, dit Teresa d’un ton boudeur, je n’entends plus, je n’écoute plus, je dors… Puisque cela me fait plaisir, qu’il en soit ainsi !
— Voilà qui est tout à fait concluant, répliqua le capitaine à demi-voix ; puis, s’adressant à Manoela, qui ouvrait de grands yeux pleins de larmes provoquées par l’émotion : — Eh bien ! mon enfant, vous êtes expédiée en douane, vos papiers sont en règle, vous n’avez qu’à appareiller.
Manoela éprouvait un sentiment sincère de reconnaissance qu’elle eût voulu exprimer à doña Teresa. Cette jeune fille, qui se faisait obéir à son gré par tous ceux qui l’entouraient et qui laissait tomber de sa main des onces d’or sans les compter, lui apparaissait comme une petite fée capricieuse, mais bienfaisante. Elle déposa un baiser timide sur les boucles de cheveux noirs qui flottaient autour du cou de la jeune Péruvienne endormie, et fit une grave révérence du côté de doña Rosario, qui lui répondit par une grimace de mauvaise humeur. Manoela traversa le pont rapidement, un peu honteuse d’être regardée par les matelots, qui souriaient et semblaient comprendre ce qui se passait dans le cœur du grand pêcheur. Celui-ci tendit la main à la jeune fille et l’aida à descendre dans la barque sans lui adresser une seule parole. Manoela était si troublée qu’elle avait peine à se soutenir. La Branca ne se fit pas prier pour quitter le navire ; elle partit d’un élan si rapide qu’elle franchit la lisse et tomba dans la mer, d’où elle remonta facilement dans le canot, Diogo l’ayant saisie par sa longue touffe de barbe.
— Évente le grand hunier, borde la grand’voile ! cria l’officier de quart ; en route, timonier ! — Le grand navire reprit sa route vers Cadix, et la barque cingla du côté de l’île.
Si Diogo avait eu dans sa barque tous les trésors du Pérou, il n’eût pas ressenti une joie plus vive. Assis à la barre, il regardait avec des yeux ravis la belle Manoela qu’il avait un instant perdue, et qu’une décision subite autant que hardie venait de lui rendre. Celle-ci, appuyée au pied du mât, baissait la tête et frissonnait de temps à autre. L’air vif du matin et l’agitation des vagues, bien hautes pour le frêle esquif, lui donnaient froid et lui faisaient peur. Diogo l’enveloppa de son gros caban.
— Tiens, lui dit-il en souriant, te voilà comme la madone de notre église, toute cachée dans un manteau brun ; il te manque la couronne… Prends toujours cela pour te garantir la tête. — Parlant ainsi, il lui roulait en forme de turban le châle de crêpe de Chine qui lui avait été donné la veille. Manoela, tout effrayée qu’elle fût du bruit des flots, se pencha sur la mer pour y voir sa coiffure, et tendant la main au pêcheur :
— Que tu es bon ! lui dit-elle.
— Tu m’avais pourtant quitté, reprit Diogo en hochant la tête ; tu avais fui notre pauvre île, comme un oiseau qui sort de sa cage…
— Cette petite fée du Pérou avait ensorcelé ma mère, dit doucement Manoela.
— Qui sait si la vieille Josefa ne va pas me faire la moue de ce que je te ramène auprès d’elle ?
— Oh ! non, dit Manoela ; je réponds que non.
— Après tout, si elle ne veut pas de toi… Change l’écoute, Manoela ; n’allons pas tomber sous le vent de l’île… Très bien. Oh ! quelle fameuse femme de pêcheur que la Manoelita !
— Je te dis qu’elle m’accueillera bien, reprit la jeune fille, et toi aussi, Diogo… La petite fée m’a rendu les pièces d’or. Tiens, les vois-tu ?
Ils voguaient, en causant ainsi, bercés par les vagues et poussés par une forte brise qui les ramenait au rivage. La Branca dormait à leurs pieds aussi tranquillement que si elle eût été couchée sous le gros cep de vigne, devant la cabane de Josefa. Manoela n’avait plus peur ; la terre se montrait plus près d’elle, et elle était assurée d’être bien reçue par sa mère. Qu’il y avait d’espérance et de joie dans cette barque qui berçait les deux jeunes gens ! Ces vingt-quatre heures, marquées par tant d’incidens imprévus, de tristesses et de larmes, avaient avancé leurs affaires plus que ne l’auraient fait des années de leur monotone existence. Un seul jour avait suffi pour mûrir cette affection mutuelle qui ne demandait qu’à se développer, et qui semblait languir dans ce petit pays voué à la pauvreté et à l’isolement.
Sur les rochers qui bordent le petit port de Santa-Cruz, il y avait un certain nombre d’oisifs occupés à suivre des yeux la barque arrivant de la haute mer. On se perdait en conjectures sur cette voile hardie qui marchait droit au rivage. À mesure qu’elle s’approchait, les curieux reculaient prudemment : c’était à qui n’entrerait pas le premier en relations avec les étrangers aux allures suspectes. Manoela n’avait point songé à dérouler le châle qui entourait son front, et le caban couvrait toujours ses épaules. Enfin, au moment où il abaissait sa voile, au moment où la proue touchait le sable, Diogo, se redressant de toute sa hauteur, cria à un gros pêcheur de ses amis : Holà ! Pero, hale le canot au plein !
La Branca avait déjà sauté à terre ; Pero, très troublé de s’entendre appeler par son nom, s’enfuit de toutes ses forces à la vue de la bête blanche qu’il crut revenir du sabbat. Diogo fut obligé de prendre pied lui-même pour attirer la barque hors des atteintes du flot ; alors Manoela put descendre, et les visages terrifiés des spectateurs reprirent leur sérénité en reconnaissant la belle fille que l’on appelait à Santa-Cruz, comme à Lagens, la perle de l’île.
Sans s’arrêter à la ville, Diogo et Manoela se dirigèrent vers la seule maison où l’on connût le mot de cette énigme. Ils attachèrent la Branca par une de ses cornes pour l’empêcher de se jeter à travers champs, car la pauvre bête avait si grand’faim qu’elle eût tout ravagé le long de la route. Quand la maisonnette de la vieille Josefa se montra au milieu de la vallée, Diogo s’arrêta et dit à sa compagne :
— Tu es émue, Manoela ; veux-tu que j’aille seul en avant ?
— Pourquoi donc est-ce avec des larmes que l’on revoit les lieux que l’on a quittés en pleurant ! s’écria la jeune fille. Je me sens pourtant aussi heureuse aujourd’hui que j’étais désolée hier !…
— Ah ! c’est que les femmes pleurent toujours ;… il paraît que cela leur va bien, répondit le pêcheur. Puis, faisant quelques pas en avant : — Eh ! mère Josefa, où êtes-vous ? Nous voilà tous les trois !…
La vieille ouvrit sa porte lentement et avança la tête : — Qui est là ? demanda-t-elle… Ah ! c’est toi, Diogo… Je suis bien malade depuis la scène que tu es venu me faire cette nuit…
— Voilà qui va vous guérir, répliqua le pêcheur ; tenez, reconnaissez-vous votre fille et la Branca, qui donne des coups de tête pour courir en avant.
— Ah ! oui, te voilà, Manoela ; on t’a donc laissée revenir ?… Diogo était comme un furieux cette nuit…
— Eh bien ! mère Josefa, continua le pêcheur, est-ce que ça ne vous fait pas du bien de revoir Manoela et de l’embrasser ? Voyons, ouvrez-lui donc vos bras !…
La vieille ouvrit ses longs bras maigres, et sa fille s’y précipita avec l’élan d’une tendresse exaltée. Tout en prodiguant à sa mère les plus vives caresses, Manoela lui glissa dans la main les pièces d’or rapportées par elle, en lui disant à l’oreille : — Elles me les ont rendues, reprenez-les !…
— Ah ! ma fille, ma chère fille, s’écria la duègne subitement rétablie, je me sens toute ragaillardie de te revoir. Ah ! Diogo, mon garçon, tu m’as rendu la vie en me ramenant Manoela… Je t’en serai éternellement reconnaissante…
— En ce cas, répondit Diogo, à table et dînons ; la promenade m’a ouvert l’appétit, et c’est comme si j’avais été à la pêche, car j’ai donné un fameux coup de filet. Au dessert, mère Josefa, vous nous servirez de ce vieux vin que vous cachez ici, derrière l’alcôve, et nous boirons de bon cœur à votre santé d’abord…
— Tu es bien aimable, mon petit Diogo.
— Et puis à la nôtre, car je vous demande, séance tenante, la main de votre fille. Vous ne pouvez me la refuser, puisqu’elle a rapporté elle-même sa rançon !
Au moment où l’on se mettait à table dans la maisonnette animée d’une joie subite, le grand navire perdait de vue la petite île de Flores. Doña Teresa, qui venait d’achever sa toilette, s’asseyait pour déjeuner auprès de sa mère, et dévorait nonchalamment un pot de confitures de goyaves. Doña Rosario, — qui était de l’ancienne école, — allumait une cigarette de maïs en humant son café, et le capitaine, étendu sur un fauteuil, rongeait des puros de première qualité sur les rayons de sa cabine.
— Ah ! dit Teresa en portant la main à son front, quelle vilaine petite île vous nous avez fait voir là, capitaine !… J’en emporte une migraine affreuse !
— Vous m’aviez pourtant promis de ne plus me faire la moue et de ne plus bouder ! répondit le marin…
— Et cette petite fille que j’avais pris la peine d’amener ici… Je suis bien aise d’en être débarrassée !… Une petite pleureuse qui soupirait après son rocher et n’écoutait rien de ce que je lui contais !
— Et cette chèvre, qui répandait une odeur infecte ! ajouta doña Rosario en se pinçant les lèvres pour lancer la fumée de sa cigarette par les narines. Je suis enchantée qu’elle soit partie ; seulement je regrette que cette relâche nous ait coûté si cher.
— Je le regretterais aussi pour ma part, reprit le capitaine, si nous n’avions fait deux heureux.
— Des heureux sur ce rocher ? interrompit Teresa.
— Pourquoi pas ? dit le marin. Vous avez doté Manoela, et moi j’ai doté le pêcheur. Après tout, un pareil résultat vaut bien un petit mal de tête, et j’en conclus que nous n’avons pas perdu notre journée.
TH. PAVIE.