Manuel du Spéculateur à la Bourse/1854/Avertissement

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AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.


L’importance qu’ont acquise les spéculations de la Bourse fait tout le mérite de ce livre.

Déjà plusieurs manuels ont été publiés sur le même sujet ; ils ont été conçus simplement au point de vue du jeu, et se bornent à décrire les procédés et combinaisons de l’agiotage. Nous avons écrit le nôtre sur des considérations plus élevées. Sans rien négliger de ce qui peut être utile au joueur, nous avons recherché par quelles causes, par quelles transformations du crédit, de l’industrie et de la propriété, les valeurs négociables ont pris un si prodigieux développement, qui n’est rien de moins qu’une révolution dans l’économie sociale.

En effet, pendant que les légistes, enfoncés dans l’étude purement abstraite des lois, prétendent faire de nos codes, renouvelés des Douze tables, la règle éternelle des relations économiques, la pratique, plus inventive, s’écarte chaque jour davantage de formules surannées et devenues gênantes, et accuse à chaque pas l’insuffisance du droit.

Pour se faire une idée des changements profonds qu’a subis notre économie, il suffit de comparer les lenteurs et les formalités du Code civil sur le prêt et les mutations de propriété, avec les formes expéditives de la spéculation, qui permettent à des milliards de valeurs de circuler et de s’échanger en quelques instants, sans acte notarié ni sous-seing privé, sans enregistrement, par la simple tradition d’un titre.

Le tableau des valeurs négociables, s’il était possible de le donner complet, ne serait pas autre chose que la statistique du commerce et de la production de la France. On sait de notre pays son organisation administrative, judiciaire, militaire, religieuse. La France économique n’est pas connue. Partout encore la politique prime le travail et aspire à lui dicter des lois ; l’homme d’État est plus considéré que l’industriel ; les intrigues de la diplomatie ont le secret de nous passionner, tandis que les questions de douane et de libre échange, d’importation et d’exportation, de crédit et de salaire, nous trouvent indifférents.

Cependant, le travail, c’est la richesse ; et l’État, c’est l’impôt. Sans prétendre dénier à la politique son importance, nous croyons que les affaires méritent bien autant qu’elle d’attirer l’attention. Un travail sur la Bourse, c’est-à-dire sur le bazar où viennent se coter et s’échanger tous les titres négociables, fonds publics, mines, canaux, chemins de fer, banque de France, institutions de crédit, usines, manufactures, assurances, lettres de changes, etc., peut donc devenir d’un haut intérêt pour l’économiste.

Quelques-uns veulent voir dans les fluctuations de l’agiotage le thermomètre de la richesse publique, et accordent au bulletin financier l’importance d’un oracle. D’autres considèrent la spéculation comme un jeu de hasard ou d’adresse, indifférent, sinon nuisible, aux intérêts de la nation.

S’il est vrai de dire que l’usage touche à l’abus, c’est surtout en matière d’agiotage. La hausse et la baisse sont souvent l’effet de manœuvres qui n’ont rien de commun avec l’état de la prospérité générale ; et parce que des titres peuvent perdre à l’échange 50 p. 0/0, il ne serait pas exact d’en conclure que le capital national a diminué d’autant.Mais d’autre part, indépendamment du jeu stérile dont elles sont l’occasion, les transactions boursières ont une raison légitime, et l’influence qu’elles exercent invinciblement sur la politique est plus légitime encore.

Nous avons essayé dans ce livre de donner le pourquoi, le comment et la tendance des principaux phénomènes de la Spéculation. Notre but serait atteint, si nous avions réussi à ramener sur les questions redoutables qu’elle soulève, l’attention que trop souvent de futiles préoccupations leur dérobent.

Notre dessein est de tenir ce livre toujours au courant des faits qui peuvent surgir dans le monde des valeurs négociables, et d’en faire en quelque sorte le bilan perpétuel des grands intérêts du pays, en tant que ces intérêts sont engagés dans la circulation générale. À cet égard, nous recevrons avec reconnaissance les documents et rectifications que l’on daignera nous faire parvenir.