La Muse au cabaret/Mariage chinois

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La Muse au cabaretLibrairie Charpentier et Fasquelle (p. 251-253).


MARIAGE CHINOIS


Dans un vieux magazine,
N’ai-je pas lu qu’en Chine,
Quand les parents venaient
De mettre un fils en terre,
Péri célibataire,
Qu’aussi bien ils tenaient

Pour sûr que cette vie
D’une autre était suivie,
Leur deuil était cruel ;
D’autant plus que son ombre
Allait souffrir d’un sombre
Célibat éternel !


Alors, ces pauvres brutes,
Sans perdre une minute,
Pour conjurer le sort,
Avisaient une morte,
Qu’elle eût, en quelque sorte,
À se conjoindre au mort.

Quant à la demoiselle,
Ils répondaient pour elle.
— C’était bien suffisant
En ladite occurrence —
Disons-nous pas en France :
« Qui ne dit mot, consent ? »

C’est ainsi, tombes closes,
Qu’on arrange les choses
Chez ce peuple sournois.
Ah ! Seigneur de l’Espace !
Faites que je trépasse,
Avant d’être Chinois !

Mourir, avec l’idée,
Qu’une fois décédée,
Au monde d’ici-bas,
Ma pauvre âme damnée
Se verrait condamnée
À ne reposer pas !


Ô chinoise amertume !
Être un mari… posthume !
Je vous demande un peu…
Une femme qui tombe
Tout à trac, dans ma tombe !
S’en dresse mon cheveu !

Et comme je suppose
Que dans ce lieu morose,
Qu’est la noire Cité,
Il n’est pas de divorce,
Jouir de cette entorse
Pendant l’éternité !