Marie-Catherine de Brignole, princesse de Monaco, 1736-1813

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Marie-Catherine de Brignole, princesse de Monaco, 1736-1813
Revue des Deux Mondes4e période, tome 150 (p. 583-628).
MARIE-CATHERINE DE BRIGNOLE
PRINCESSE DE MONACO[1]
(1736-1813)


I

Disposée en amphithéâtre au bord du golfe ligurien, environnée de villas verdoyantes qui s’élèvent en étages autour de son enceinte, Gênes, avec ses palais, ses portiques, ses églises innombrables, est, parmi les grandes villes d’Italie, sinon l’une des plus belles, au moins l’une des plus riches et des plus pittoresques. L’étranger qui la visite ressent une impression profonde lorsque, au sortir du labyrinthe de ruelles, étroites et sombres, qui donnent aux vieux quartiers un aspect oriental, s’ouvrent brusquement devant lui les voies larges et claires percées au XVIe siècle, bordées à perte de vue de somptueux édifices. La plus spacieuse de ces rues est la via Nuova, aujourd’hui via Garibaldi, et la longue suite de palais dont elle s’enorgueillit raconte éloquemment la glorieuse histoire de la ville. Ce sont les palais Spinola, Doria. Adorno, Cataldi, l’admirable palais des Doges, maintenant municipal ; c’est enfin, célèbre entre tous par ses nobles proportions comme par les merveilles qu’il renferme, le Palazzo rosso, le Palais rouge, qui tire son nom de la couleur des marbres de sa façade. Là vécurent, pendant des siècles, les membres d’une des plus illustres familles de la république, les Bri-gnole-Sale, dont la dernière descendante[2], morte il y a quelques années, légua à sa ville natale la demeure de ses ancêtres, avec les meubles précieux, les tableaux des grands maîtres, tous les trésors accumulés d’une race opulente, éprise d’art et de beauté. Là vint au monde, en septembre 1739, une petite fille, dont bon nombre de ses concitoyens durent, au jour de sa naissance, envier la future destinée.

Marie-Catherine, — c’est le nom qu’elle reçut au baptême[3], — était la fille et l’unique héritière du marquis Joseph de Brignole-Sale, descendant et frère de doge[4], possesseur d’une fortune évaluée à 1 900 000 livres de rente, époux d’une patricienne de noblesse égale à la sienne[5], dont le renom d’ « éclatante beauté » s’étendait des bords méditerranéens jusqu’aux rives de la Seine. À ce don de la beauté, précieux et redoutable, la marquise de Brignole joignait un esprit étendu, brillant et vif, une rare culture intellectuelle, une sorte d’ « éloquence » qui coulait naturellement de ses lèvres et achevait de séduire ceux qu’avaient d’abord attirés les grâces de son visage. Parlant et écrivant le français aussi purement que sa propre langue, elle se plaisait à faire, presque chaque année, de longs séjours à Paris. Elle y fréquentait tour à tour les cénacles littéraires et les centres mondains, passait de la société des gens de cour aux salons de Mme Geoffrin et de Mme du Deffand, et, dans ces différens milieux, remportait partout un succès dont jouissait son orgueil. L’enfance de Marie-Catherine s’écoula tout entière entre ces deux patries, l’Italie et la France, dont elle n’aurait su dire plus tard laquelle était la plus près de son cœur. Les détails font défaut sur ce début de sa vie. Tout ce qu’on en peut savoir est qu’élevée dans le luxe, pourvue des meilleurs maîtres, entourée de soins minutieux, choyée comme une enfant unique, il lui manqua, dès ce premier âge, le bienfait sans lequel, chez les grands comme chez les humbles, il n’est point de jeunesse heureuse : la paisible douceur d’un intérieur familialement uni. Mme de Brignole, spirituelle et charmante telle que je viens de la dépeindre, gâtait ces qualités par une humeur hautaine, emportée, impatiente de toute contrainte, qu’elle dissimulait au public, et dont elle réservait l’effet à ceux qui vivaient auprès d’elle. Le marquis, homme d’un sens droit, d’un cœur bon et tendre, mais d’esprit un peu lent et de formes un peu rudes, ne se pliait pas docilement aux fantaisies, — parfois audacieuses, — de sa femme ; et s’il cédait enfin devant l’ascendant d’une nature supérieure à la sienne, cette résignation arrachée n’allait pas sans orages et sans luttes. La médiocre entente du ménage s’aggrava singulièrement, plusieurs années après la naissance de leur fille, par l’entrée en scène d’un nouveau personnage, dont le rôle fut trop grand dans l’histoire qui va suivre pour que je puisse me dispenser de le présenter avec quelque détail.

Honoré III, prince de Monaco, inaugurait alors, dans ce minuscule et délicieux Etat, une dynastie nouvelle. Son grand-père maternel, Antoine Ier[6], n’avait laissé en mourant que des filles, dont l’aînée, Louise-Hippolyte, mariée à Jacques de Matignon, duc de Valentinois, exerça quelques mois la souveraineté conjointement avec son époux. Elle succomba à son tour le 29 décembre 1731 ; le duc de Valentinois, après un essai infructueux pour gouverner à lui seul le peuple monégasque, se résigna au bout de deux ans à abdiquer en faveur d’Honoré, le premier des six enfans issus de son mariage, qui, né en 1720[7], venait d’atteindre à peine sa treizième année. Le jeune prince, en recevant le titre, n’eut pas, dans un âge si voisin de l’enfance, la charge effective du pouvoir. L’administration de la principauté resta confiée au gouverneur de Monaco, le chevalier de Grimaldi, fils naturel d’Antoine Ier ; Honoré, comme ses prédécesseurs, passa toute sa jeunesse à la cour de France, où se compléta son éducation mondaine et militaire. Mousquetaire à cheval en 1736, il est trois ans plus tard colonel du régiment de Monaco, avec lequel il prend part à la guerre de succession d’Autriche. Il se distingue à Fontenoy, se fait blesser à Raucoux, voit son cheval tué sous lui à Lawfeld, et déploie dans cette affaire une si brillante valeur que le roi l’en récompense en l’élevant à vingt-huit ans au grade de maréchal de camp.

Mais là s’arrête la part d’éloges que peut légitimement réclamer sa mémoire ; et cette bravoure indiscutable est d’autant plus à retenir qu’elle constitue sa principale et presque son unique vertu. Egoïste et dur, tyrannique avec des formes doucereuses, cachant son ambition sous le masque d’une feinte modestie, opiniâtre, et marchant vers son but par des voies détournées et tortueuses : tel le représente le témoignage de ses contemporains, tel il apparaît aujourd’hui à la lumière de ses écrits et de ses actes. Ces fâcheuses qualités n’éclatèrent toutefois que plus tard au grand jour ; sa dissimulation habile donna longtemps le change sur sa véritable nature ; et son nom, ses alliances, son rang de prince souverain firent de lui, dans sa jeunesse, un parti recherché par ce que la cour de France comptait de plus illustre. Il n’avait pas vingt ans qu’il fut question de son mariage avec la fille du duc du Maine. La fameuse Mme de Staal-Delaunay servait d’intermédiaire entre les deux familles. Une négociation compliquée, politique et matrimoniale à la fois, s’engageait, en avril 1740, entre le duc de Valentinois et la duchesse du Maine, pour obtenir du roi de France qu’Honoré retrouvât à la cour le rang dont avaient joui les princes de la précédente dynastie ; la conclusion du mariage restait subordonnée à cette reconnaissance. Après trois mois de pourparlers, l’opposition du cardinal de Fleury fit échouer l’affaire[8] ; et le duc de Valentinois, sans s’attarder à des regrets inutiles, se rabattit aussitôt pour son fils sur la fille du duc de Bouillon, Louise-Henriette de la Tour d’Auvergne. Cette fois, le projet prit tournure ; le contrat fut rédigé, l’approbation du roi obtenue ; il ne restait plus qu’à signer, quand, au dernier moment, à l’étonnement général, le futur rompit brusquement l’accord et retira sa demande, « par suite de l’opiniâtreté du beau-père, » allègue-t-il dans ses lettres, par quelque inexplicable reflux de son humeur fantasque, pensa plus justement son père, qui, pour châtier cette incartade, le fit enfermer par le roi entre les quatre murs de la citadelle d’Arras. Il y resta plusieurs mois, dans une réclusion étroite, en sortit fort aigri, et très dégoûté du mariage ; près de quinze ans s’écoulèrent sans que nul autre projet fût mis en discussion.

C’est dans cet intervalle, et très probablement en 1750, qu’Honoré III rencontra à Versailles la marquise de Brignole, dont la beauté l’éblouit[9]. Le prince de Monaco, par une alliance qui n’est point rare, joignait à la sécheresse du cœur un goût assez vif pour les femmes ; quelques aventures de jeunesse lui avaient même valu un renom de galanterie, qui n’était pas pour déplaire à l’imagination de la marquise. La communauté d’origine, les anciennes relations de voisinage entre leurs deux familles, sans doute aussi certaines affinités de nature, déterminèrent promptement une intimité dont le dénouement ne se fit guère attendre. Ardente et passionnée, lasse d’un époux dont elle méprisait secrètement la faiblesse, dévote de cette dévotion extérieure qui se restreint à la pratique et ne descend jamais jusque dans la conscience, habituée de bonne heure à la corruption élégante des cours de France et d’Italie, Mme de Brignole ne trouva de secours contre la défaillance ni dans ses sentimens, ni dans ses principes, ni dans les exemples de son entourage. Comme cette comtesse de Grôlée, sa contemporaine et son amie, que l’on pressait de faire, à l’heure dernière, sa confession générale, elle eût pu réduire son histoire à cette explication : « J’ai été jeune, j’ai été jolie, on me l’a dit, je l’ai cru ; jugez du reste ! »

Rendons-lui cette justice qu’elle apporta dans cette liaison une passion sincère, et qu’elle couvrit ses écarts d’un voile de décence, chose assez rare à cette époque pour qu’on lui en fasse un mérite. Le marquis de Brignole, avec sa rigide droiture et ses idées « gothiques, » n’aurait pas eu la complaisance de certains maris à la mode ; l’habileté de sa femme sut maintenir le bandeau sur ses yeux. Il ne connut donc jamais toute l’étendue de sa disgrâce ; mais le peu qu’il en vit fut assez pour le rendre cruellement malheureux. La présence continuelle, à son foyer domestique, d’un homme qu’il n’aimait pas et qu’il n’estimait guère mit, depuis cette époque, sa patience à l’épreuve ; des scènes violentes éclatèrent à diverses reprises, notamment dans le cours de l’année 1754, quand le prince de Monaco, sous prétexte de voisinage[10], rejoignit la marquise à Gênes, et y séjourna plusieurs mois. C’est parmi ces dissentimens et ces tristes querelles que grandit Marie-Catherine, souffrant obscurément d’une situation fausse, dont elle ressentait le malaise sans en discerner les causes, perpétuellement ballottée entre deux partis opposés : une mère qu’elle admirait tout en la redoutant un peu, un père dont la bonté extrême plaisait davantage à son cœur, et la touchait « jusqu’aux larmes. » — « Jamais, s’écrie-t-elle d’un ton pénétré, il n’y eut rien d’aussi bon, d’aussi tendre que lui !… Jamais je ne l’aimerai autant que je le dois ! Je le chéris pourtant avec la plus vive tendresse[11]. »


II

Mme de Brignole vint passer à Paris tout l’été et l’automne de 1755, en compagnie de sa fille. Celle-ci terminait alors son éducation, et débutait dans le monde, où sa beauté naissante faisait aussitôt sensation. Grande, svelte, bien faite, l’harmonieuse souplesse de sa taille parait chacun de ses mouvemens d’une grâce inexprimable. Son visage, moins régulier peut-être que celui de sa mère, le surpassait, au dire de tous, en charme et en physionomie. Des cheveux abondans, de ce blond italien où le soleil semble avoir oublié ses rayons ; des yeux d’un bleu profond, dont l’éclat innocent se voilait de mélancolie, reflétant à la fois l’ingénuité de l’enfance et l’expérience précoce des tristesses de la vie ; un teint clair, uni, transparent, qu’animait à la moindre émotion l’afflux d’un sang chaud et pur : telle apparaissait à seize ans Marie-Catherine de Brignole. « Elle est belle comme un ange ! » s’écrie, la première fois qu’elle l’aperçoit, une de ses contemporaines ; et cette image banale traduisait bien sans doute l’impression qu’elle laissait, car on la retrouve sous la plume de tous ceux qui l’ont approchée et qui ont parlé d’elle. Mme de la Ferté-Imbault[12], — qui l’a beaucoup connue et dont les notes éclairent d’un jour précieux certains points de cette histoire, — assure que le portrait de son âme n’était guère moins flatteur : « Elle a, dit-elle, un caractère charmant pour l’égalité et pour la raison ; elle est douée de beaucoup d’instruction ; et elle a éprouvé tant de chagrins, d’embarras, d’humiliations, qu’elle a été forcée de réfléchir dès qu’elle a eu l’âge de raison. » Simple et modeste ajoute-t-elle, sensible et point coquette, tant d’avantages réunis, — sans compter ceux du nom et de la fortune, — la firent promptement le point de mire des salons parisiens. Même son succès y fut si grand, que sa mère, encore fort admirée malgré ses quarante ans, ne tarda pas à prendre de l’ombrage. Impérieuse et superbe, la marquise de Brignole « ne souffrait point le partage ; » une rivale de seize ans parut insupportable à sa maturité. Ne pouvant cependant, sans s’exposer au ridicule, séquestrer brusquement sa fille et la dérober aux regards, elle résolut au moins de se montrer le plus rarement possible en public avec elle, la confia, sous de frivoles prétextes, à des mains étrangères, chargea des amies de rencontre de la conduire au bal et au spectacle[13]. Ces précautions furent vaines et cette prudence inefficace. Le péril redouté n’en fondit pas moins sur sa tête ; et, par une ironie sanglante, le coup le plus sensible porté à son orgueil lui vint du côté même où elle devait le moins l’attendre.

La constance en amour, — rare en tous temps, — n’était, ainsi qu’on sait, guère en honneur chez nos aïeux du dernier siècle. Le prince de Monaco ne se distinguait pas de ses contemporains. Une liaison de cinq années commençait à peser à son indépendance : plus jeune que sa maîtresse, il songeait à secouer un joug que l’humeur de la hautaine marquise rendait trop souvent incommode. Dans cette disposition, la beauté de Marie-Catherine lui fut, semble-t-il, une révélation imprévue ; l’admiration du public parisien éveilla subitement la sienne ; une flamme nouvelle s’alluma dans ses veines. L’accès intime dont il jouissait dans la maison de la mère lui fournit l’occasion d’entretenir avec la fille un commerce familier et dangereux ; et ce qui pour bien d’autres eût paru un obstacle ne fut, pour cette âme sans scrupule, qu’une facilité de plus. Mme de la Ferté-Imbault, — esprit philosophique et moraliste experte, — disserte savamment sur les motifs secrets de la conduite du prince. En obtenant la main de Mlle de Brignole, Honoré III, affirme-t-elle, comptait « satisfaire du même coup ses trois principaux vices : » son avarice, à cause des grands biens de la famille ; sa galanterie, par la possession d’une des plus jolies filles de son temps ; sa jalousie enfin, car, « en épousant une voisine, il la tenait plus à sa discrétion, » dans son palais de Monaco, que s’il eût recherché quelque princesse française, protégée par la cour de Versailles. Sur ces calculs subtils, sur les moyens qu’employa Honoré pour réaliser sa conquête, j’avoue ne pas avoir d’informations précises. Un roué de quarante ans, hardi et de conscience large, n’est pas à court de ressources pour s’emparer de l’âme d’une jeune fille sans défense. Le fait indiscutable est que j’ai tenu dans mes mains, — et non sans émotion, — un court billet jauni, d’une écriture tremblée, encore presque enfantine : « Moi soussignée, y lit-on, je déclare et promets à M. le prince de Monaco de ne jamais épouser d’autre que lui, quelque chose qu’il puisse arriver, ni jamais écouter aucune proposition qui pût tendre à me dégager. A Paris, ce 29 novembre 1755 — Marie-Catherine de Brignole. » Quand elle signait ainsi, à l’insu de ses parens, sous une obsession que l’on devine, l’engagement solennel qui liait sa destinée, Marie-Catherine avait seize ans depuis quelques semaines. De ces lignes, de cet instant, date tout le malheur de sa vie !

Si peu exemplaire que fût, comme épouse et comme mère, Mme de Brignole, on ne peut s’empêcher de la plaindre, le jour où lui fut révélée, sans doute par l’aveu de sa fille, la trahison odieuse dont elle était victime. Outrage à sa fierté, cruelle déception d’amour, jalousie d’une rivale innocente et qu’il lui était interdit de haïr, tout contribuait à rendre la plaie plus douloureuse, le coup plus pénétrant. Du caractère qu’on lui connaît, il est aisé d’imaginer ce que dut être le premier éclat de sa fureur. Nul témoignage direct n’en est parvenu jusqu’à nous, mais certaines phrases du prince, dans des lettres postérieures, laissent deviner toute l’amertume des reproches qu’il eut à subir. « Vous m’accusez de tant de choses affreuses, écrit-il plusieurs mois après, que je suis bien enfin forcé de me défendre. Peut-être même me trouverais-je en droit de vous attaquer !… — Vous finissez avec une bonté d’âme infinie, — dit-il plus loin avec dépit, — par me plaindre de ce que je ne suis qu’un sot. Je vous remercie de la pitié que je vous inspire ; réservez-la pour une meilleure occasion. » Lorsque le prince de Monaco décochait ces fleurettes à son ancienne maîtresse, l’irritation de la marquise était pourtant envoie de s’apaiser. Honoré venait de renoncer, de son propre mouvement, à l’idée d’un mariage révoltant et funeste ; son ambition, plus forte que sa passion même, le détournait de Marie-Catherine pour le jeter vers une autre proie.

L’espoir constamment poursuivi de retrouver à la cour de France le rang de ses prédécesseurs le poussait en effet, au mois de juillet 1756, à rechercher la main de Mlle de la Vallière[14], qu’il n’avait d’ailleurs jamais vue, mais qui, dit-il lui-même, « par le grand crédit de sa famille, était plus à portée que personne de lui procurer un engagement solide » de la part de Louis XV. L’affaire, à peine entamée, prenait immédiatement une tournure favorable. La duchesse de la Vallière, à laquelle il s’ouvrait d’abord de ses desseins, l’assurait « avec des transports de joie » qu’elle lui donnerait sa fille « du meilleur cœur du monde. » Le duc emportait sa requête à Compiègne, la présentait lui-même au roi, qui n’y paraissait pas hostile. Une entrevue avec Mme de Pompadour donnait encore plus d’espérance ; et un billet confidentiel de M. de Saint-Florentin[15] informait peu après le duc de la Vallière que « le roi consentait que M. le prince de Monaco, et ses enfans seulement, jouissent à la Cour des honneurs dont avaient joui les princes ses prédécesseurs, sans qu’il y soit rien innové, ni qu’ils en puissent prétendre davantage. » Sur quoi, Honoré triomphant voit déjà ville gagnée. Sa vanité flattée lui fait négliger sa prudence ordinaire ; il informe la marquise, tristement retournée en son palais de Gênes, du succès de sa politique ; et, pour se montrer beau joueur, lui renvoie du même coup, par un messager sûr, le fatal engagement souscrit par Marie-Catherine[16]. Il se dessaisit sans regret d’une arme jugée désormais inutile ; l’ivresse de la victoire lui a, pour un moment, rendu l’âme généreuse.

C’était, — il le vit bien, — trop tôt emboucher la trompette, et l’infortuné prince apprit à ses dépens qu’en politique, comme en amour, il ne faut point faire fond sur les promesses des hommes. La lettre du comte de Saint-Florentin, indiscrètement divulguée, soulevait tout à coup des orages à la Cour. Les ducs et pairs du royaume protestaient d’une voix unanime contre une faveur, où ils prétendaient voir l’octroi d’une « grâce nouvelle, » insolite envers un étranger. Devant « ce bruit furieux, » Mme de Pompadour, surprise et comme intimidée, battait en retraite et changeait de langage. Aux nouvelles instances d’Honoré, Louis XV et sa maîtresse opposaient une froideur croissante. Enfin, le 30 juillet, le duc de la Vallière recevait de la main royale un billet décisif, mettant à néant tout espoir : « Mon cousin, c’est après avoir bien examiné toutes les pièces de M. de Monaco que j’ai donné ma décision, et je n’y veux rien changer. Je serai fâché que votre mariage se rompe là ; mais vous n’y perdez rien de vos droits, ni de mes bontés pour vous. »

Après ce rude échec, la situation d’Honoré devenait assez délicate. Lâcher ce que l’on tient d’une main, sans avoir rien reçu de l’autre, est une mortifiante aventure et qui prête aisément à rire. Ce fut Mme de Brignole qui, dans cette déconvenue, vint au secours du prince et, par un revirement bizarre, lui permit de sauver sa mise. Le cœur des femmes a des replis dont l’analyse la plus subtile ne parvient pas toujours à scruter le mystère. À l’amour emporté d’autrefois, au juste courroux d’hier, succède chez la marquise, au cours des mois qui vont suivre, un sentiment nouveau, qui se développe obscurément et tue peu à peu les deux autres. Ce n’est d’abord qu’une pitié légèrement ironique pour la ruine de si belles espérances ; puis, insensiblement, devant le réel abattement d’Honoré, cette compassion devient sincère ; une tendresse protectrice s’éveille, dans l’âme de la femme vieillissante, pour le « pauvre enfant, » dont elle semble avoir oublié le parjure ; et tout doucement, par une transition lente, un progrès presque insaisissable, l’affection transformée s’épure et se fait maternelle. Ce mariage détestable, qui lui a coûté tant de larmes, c’est elle maintenant qui le désire et l’appelle de ses vœux. Elle en renoue de ses mains le fil brutalement rompu ; elle y encourage dans ses lettres celui qu’elle ne nomme plus que son « fils bien-aimé » ; elle presse Marie-Catherine de tenir sa parole ; elle se charge enfin, tâche plus difficile, d’obtenir le consentement du marquis de Brignole.


III

Vers le début de l’an 1757 s’entama cette affaire ; et les six premiers mois virent non moins de démarches, d’intrigues, de va-et-vient et de péripéties, que s’il se fût agi d’un traité solennel entre deux grandes puissances. Le prince de Monaco, fort aigri contre la cour de France, s’était depuis un temps confiné dans sa principauté. Mme de Brignole passait l’hiver à Gênes, avec sa fille et son mari. Ce furent, de Gênes à Monaco, pendant toute cette période, une correspondance incessante, un envoi perpétuel de mandataires et de courriers, transmettant les nouvelles, portant des instructions, concertant une action commune entre les deux alliés. La marquise, femme de tête et d’énergie, dirige toute la campagne ; elle y déploie la science d’un tacticien consommé, habile à alterner la ruse avec la violence. Elle dicte à Honoré la lettre de demande qu’il devra adresser à son futur beau-père ; puis elle essuie bravement le premier feu de la colère du marquis, dont l’explosion prévue la laisse dédaigneuse, impassible. Sur les lèvres du pauvre homme les objections se pressent d’abord en foule : l’âge du prétendant, de vingt ans plus vieux que Marie-Catherine, son caractère ombrageux et sournois, l’antipathie, la frayeur que témoignent ceux qui l’ont approché de près. Un refus net et absolu termine cet entretien, et semble couper court à toutes nouvelles instances. Mais Mme de Brignole ne se décourage pas pour si peu ; elle revient bientôt à la charge, détruit chaque argument avec une spécieuse éloquence ; et son époux alors emploie l’arme des faibles : il boude, ne répond plus, s’enferme dans ses appartemens, y fait monter ses repas, refuse des semaines entières de voir sa femme ni sa fille. Moyen plus efficace, il met sous main ses amis en mouvement, fait répandre le bruit dans le Sénat de Gênes que « l’intérêt de la République s’oppose à ce mariage ; » et l’influence de la marquise a peine à empêcher qu’un décret solennel interdise à l’héritière des Brignole de porter ses grands biens dans un État voisin[17]. Enfin, dans une lettre directe, il s’adresse à ce gendre qu’on lui veut imposer, et le fait en termes si brusques, d’une rudesse si étrange, que l’orgueil d’Honoré s’en offense pour de bon. Le prince fait mine un moment de retirer sa demande ; il ne désarmera que devant les excuses de Mme de Brignole, qui, dans son dépit amer, n’épargne guère celui dont elle porte le nom : « Sa lettre est ridicule, écrit-elle crûment ; mais, outre qu’il n’entend rien à la force des expressions, il y a longtemps que je crois son esprit très embarrassé… — Il m’a menacée, ajoute-t-elle, de s’en aller pour ne plus jamais revenir ; que n’a-t-il pris ce parti plus lot ! »

Les angoisses du malheureux père, pendant ces semaines de luttes, sont un spectacle pitoyable et navrant. Les prières, les fureurs, les larmes de sa femme, la crainte qu’elle lui inspire, la peinture qu’elle lui fait des sentimens de sa fille, minent peu à peu sa volonté, ébranlent sa conviction, le jettent dans des perplexités qui troublent sa raison. Le bon sens, la tendresse paternelle, la déférence conjugale, se livrent, dans cette âme faible et bonne, des combats acharnés. « Ce sont des oui, des non, qui se succèdent si rapidement qu’il n’y a rien à en dire, et que l’on n’y voit goutte ! » Un certain Chabrol, créature du prince de Monaco, que ce dernier entretenait à Gênes pour suivre les phases de l’affaire, informe jour par jour son maître de ces scènes lamentables, et, bien que peu sensible, rend justice au marquis sur la vraie cause de tant d’hésitations. « Tout ce qu’il met ici d’extraordinaire ne vient que d’un excès de tendresse pour Mlle sa fille, dont il ne peut envisager la perte. » Enfin, le 21 mars, le marquis de Brignole mande Marie-Catherine dans sa chambre, et là, seul avec elle, dans un entretien de deux heures, l’adjure solennellement de dévoiler ses sentimens intimes. Si ce mariage est le vœu secret de son âme, il est prêt, déclare-t-il, à sacrifier ses répugnances ; il fera « des excuses à Son Altesse, à Mme la marquise, à sa fille elle-même ; » mais qu’elle parle en toute franchise, et décide librement de son sort.

La réponse de la jeune fille fut telle qu’on la pouvait prévoir. Le sentiment y fut pour peu de chose ; la froideur excessive de ses lettres au prince témoigne éloquemment de la tranquillité de son cœur. Mais le respect de la foi jurée, l’ascendant d’une mère impérieuse, sans doute aussi le prestige, sur une imagination jeune et vive, du rang de princesse souveraine, dictèrent le oui fatal que prononça sa bouche. Sur quoi, « ils s’embrassèrent, et pleurèrent longtemps tous les deux[18]. » Puis, pour sceller l’accommodement, le marquis fit don à sa fille « d’un petit chien qu’elle aimait fort et qu’elle convoitait de longue date ; » car il savait bien, lui dit-il, que nul présent ne saurait la toucher davantage. « Mais il a des diamans, ajoute cyniquement le mandataire du prince, et cela vaudrait mieux ! »

Un billet de Marie-Catherine au prince de Monaco informa ce dernier du succès de sa demande : « Je n’ai aucun mérite, Monsieur, lui dit-elle simplement, à obéir aux ordres de papa ; le consentement qu’il vient de me donner n’a point prévenu le mien. Vous permettrez que je ne réponde point à ce que vous me mandez d’obligeant et de flatteur. Je m’en acquitterais trop mal, et j’ai trop d’intérêt à ne point détruire la prévention favorable où vous êtes à mon égard. » Le marquis, de son côté, pour consacrer l’accord, reparut le soir même au salon de sa femme ; « il y causa gaîment, et passa deux grandes heures à entendre sa fille jouer du clavecin[19]. » La paix semblait donc faite, et l’on aurait pu croire, après tant de traverses, cette affaire épineuse décidément conclue. Il n’en était rien cependant. L’humeur fantasque d’Honoré, son avidité insatiable, furent plus d’une fois encore à la veille de tout rompre ; la rédaction du contrat notamment réserva de fâcheuses surprises. De ces difficultés, de ces contestations mesquines, je me garderai bien de donner le détail. Le seul point à noter, parmi toutes ces chicanes, est le chagrin bruyant de la marquise, lorsqu’elle voit ses chères espérances en danger de faire naufrage. L’expression en est si outrée qu’elle toucherait au comique, si la sincérité n’y éclatait à chaque ligne : « Je suis dans un état affreux, écrit-elle au prince ; je n’ose plus voir ma fille, que lui dirais-je ?… Je suis pénétrée de douleur et de confusion ; la plume me tombe des mains ; je ne vois que des horreurs !… — Mon courage est épuisé, confie-t-elle à un autre correspondant ; si le prince persiste dans ses exigences, tout sera donc fini, tout, hormis mon désespoir qui ne finira qu’avec ma vie ! »

Le calme d’Honoré contraste curieusement avec ces hyperboles. Sans s’arrêter aux invectives, il poursuit froidement son chemin. Les instructions qu’il adresse à son représentant à Gênes sont sèches, nettes, positives, comme un exploit d’huissier. « Si M. de Brignole, lui mande-t-il, ne vous donne pas dès demain une acceptation signée de lui des articles dont vous m’avez envoyé copie, je vous ordonne de partir sans retard, et vous défends expressément de faire ni entendre aucune autre proposition. Je compte que vous serez exact, et je vous le conseille. » Tel est le ton habituel de ses correspondances. Une âme aussi maîtresse d’elle-même devait nécessairement triompher. Après deux mois de discussions, les résistances tombèrent : les premiers jours de juin virent la victoire du prince, l’acceptation complète de toutes ses conditions. « Il faut passer l’éponge sur le passé, » écrit avec résignation la marquise, qui se console de ses déboires en admirant avec sa fille les riches bijoux de la corbeille : « M. de Brignole lui-même, dit-elle, les a trouvés fort beaux ; il invitait tout le monde à les voir, de fort bonne grâce. » La célébration du mariage fut fixée au 15 juin. Une minutieuse étiquette régla tous les détails de la cérémonie. En sa qualité de souverain, Honoré se dispensa de se rendre lui-même à Gênes. Un de ses gentilshommes, Honoré de Monléon, fut chargé de le représenter, tandis que son cousin, Don Marcello Durazzo, épousait par procuration Mlle de Brignole[20]. Puis la jeune épousée, accompagnée de ses parens et d’une suite nombreuse, prit place sur une « galère » magnifiquement parée. Une flottille de la République l’escorta en grande pompe jusqu’au point limitrophe entre les eaux de Gênes et celles de Monaco.

Jusque-là tout marchait à souhait. Un incident survint qui pensa tout gâter. Lorsque l’on fut en vue du port de Monaco, Mme de Brignole, fort entichée de sa naissance, prétendit que le prince vînt en personne chercher sa femme sur le vaisseau qui la portait. Refus péremptoire d’Honoré, à qui sa dignité interdit, déclare-t-il, de « s’avancer au-delà du quai de débarquement. » Indignation de la marquise, qui, dans ces conditions, s’oppose au départ de sa fille. Et le conflit engendre un débat passionné, des pourparlers interminables, un mécontentement général dans la flottille génoise, qui remet à la voile et se retire à Bordighera. Pendant ce grave discord, le temps était devenu fort mauvais ; et la triste fiancée, violemment éprouvée par la mer, méditait avec amertume, à bord de son navire ballotté par les flots, sur l’inconvénient des grandeurs et la cruauté de l’étiquette[21]. La discussion dura huit jours, et faillit un moment entraîner une rupture complète. Enfin le comte Balbi, frère de Mme de Brignole, dépêché en ambassadeur, s’avisa pour tout concilier d’un biais ingénieux. Il fit construire un pont, de la galère génoise au quai de Monaco. Sur ce fragile échafaudage, les deux époux, suivis de leurs cortèges, s’avancèrent, à distance égale, au-devant l’un de l’autre. Le cérémonial fut sauvé, la vanité trouva son compte ; et si l’amour ne fut pas de la fête, c’est qu’on avait sans doute omis de le prier.


IV

Les débuts du ménage furent toutefois plus heureux que ces préliminaires ne l’eussent fait présager. A défaut de passion véritable, peu de femmes, dans cette première période, refusent à leur époux une sympathie confiante, une bonne volonté tendre, qu’il appartient à celui-ci d’arrêter en son essor ou de transformer par la suite en attachement durable. Honoré, comme tant d’autres, bénéficia d’abord de cette disposition. « Mon bonheur sera parfait, lui écrivait Marie-Catherine la veille même du mariage, si je puis effectivement espérer que le vôtre en dépende. Je ne négligerai jamais rien de ce qui y pourra contribuer… et ma vie vous prouvera que je suis incapable d’abuser de votre confiance[22]. » Tout nous la montre résolue à tenir ces promesses avec une entière bonne foi. Chez cette enfant candide, un peu craintive, comprimée sous le joug d’une mère despotique, s’éveille une âme sensible, vibrante, avide de tendresse, reconnaissante des moindres attentions, toute prête, pour peu qu’il l’eût voulu, à se livrer sans réserve à l’homme dont elle porte le nom. La naissance d’un fils, le 11 mai 1758[23], après des couches laborieuses, resserre encore cette bonne entente ; et quand, deux ans après, le prince de Monaco s’absente pour précéder sa femme de quelques mois à Paris, les lettres qu’elle lui adresse respirent une affection sincère : « On me trouve triste, lui mande-t-elle le lendemain de son départ, et comment pourrais-jé être autrement, n’étant pas avec vous ?… Je me fais cependant friser pour être belle, mais je ne veux le paraître qu’à vos yeux. Je vous ai promis, ajoute-t-elle, un journal de mes actions ; car, pour celui de mes pensées, vous pouvez aisément le connaître : je ne pense qu’à vous[24]. »

Ce journal qu’elle annonce, elle le tient en effet avec une fidélité scrupuleuse. Honoré, jaloux et méfiant, non content de prescrire que, pendant son absence, Marie-Catherine demeure à Gênes, au milieu de sa famille, exige un compte exact de l’emploi de ses journées, des lettres qu’elle reçoit, des personnes qu’elle fréquente ; elle se soumet docilement à cet ordre. De ces menus récits, quotidiens et détaillés, je détacherai seulement quelques lignes çà et là, petits tableaux d’intérieur ou traits de caractère. La vie qu’elle mène, dans le palais de Gênes ou dans la belle villa située aux portes de la ville, est « unie, calme et solitaire. » Les heures se passent à lire, à travailler à l’aiguille, ou bien encore à faire « de la très bonne musique. » Les exercices de dévotion tiennent une place importante : « Si je ne deviens pas sainte dans ce pays-ci, il y aura bien du malheur. Car, outre que j’entends tous les jours une messe fort longue, nous disons ensuite un chapelet, et une telle quantité d’oraisons que cela dure deux heures. — Je ne sais trop, ajoute-t-elle avec malice, si maman serait aussi dévote, au cas que papa ne fût pas là ! » Les soins donnés à son enfant occupent fort la jeune femme ; elle est fière de son « chef-d’œuvre, » et cette admiration s’exprime avec une naïveté touchante : « Il est en vérité toujours plus charmant ! s’écrie-t-elle. Il est fait à peindre, et la tête m’en tourne. Ce matin, nu dans l’eau, il était de toute beauté, et ressemblait beaucoup aux portraits d’enfans de Van Dyck… Il embrasse son cher papa de Monaco, car c’est ainsi qu’il vous appelle. Vous l’aimeriez à la folie, si vous le connaissiez. » Peu de visiteurs étrangers traversent cette paisible existence, la jalousie du prince peut se rassurer sur ce point. A peine quelques intimes, le soir, pour faire le pharaon : « Nous y jouons tous les soirs ; il y a cent livres en banque ; on met deux sols par carte ; mais ceux qui aiment le jeu augmentent le chiffre sans s’en apercevoir, et maman est du nombre… Elle perd depuis quelques jours assez honnêtement, ce qui la met de fort mauvaise humeur. Pour moi, en cinq jours, j’ai perdu trente francs, quoique vous soyez persuadé que je raffole du jeu, et que maman assure qu’elle le déteste. »

Dans ce familier babillage se glissent parfois quelques propos d’un ordre plus sérieux, des conseils politiques, qui témoignent d’un esprit pratique et judicieux. Elle recommande à son époux d’user avec Choiseul de prudence et de ménagemens, de « le cultiver avec soin sans se fier aucunement à lui, » car nul homme, assure-t-elle, n’est moins d’accord avec son apparence. La meilleure marche à suivre est de le prendre par l’intérêt, de lui montrer l’utilité d’avoir à Monaco « un prince de la plus sûre confiance, et qui soit pour la France un ami véritable. » Il faut surtout, dit-elle, « qu’il nous soutienne toujours contre le roi de Sardaigne ; car, si ce dernier devenait jamais le maître de nos côtes, il empêcherait le commerce de France, et serait une barrière pour les armées de terre et de mer. C’est ce qu’il convient de persuader au ministre. » Que l’on ne s’étonne pas de ce nouveau langage. Ces quelques mois de recueillement ont achevé de mûrir l’âme de Marie-Catherine et de donner l’essor à son intelligence. Traitée en enfant par sa mère, en jouet de luxe par son mari, elle prend maintenant conscience et possession d’elle-même. Sa personnalité se dégage, ses goûts se forment, sa volonté s’affirme ; et lorsque enfin, dans les derniers jours de 1760, le prince de Monaco la mande en France auprès de lui[25], ce n’est plus une timide et novice écolière, mais une femme véritable qu’il voit débarquer à Paris. La surprise qu’il éprouve de cette métamorphose tournera bientôt en dépit : avec un homme de cette trempe, du dépit à la violence, le pas est aisément franchi.

C’est aux eaux de Plombières, le 23 novembre de l’année suivante, qu’eut lieu la « présentation » officielle de la princesse de Monaco. Chacun sait l’importance qu’on attachait alors à cette cérémonie. Les yeux de toute la Cour, convoquée pour ce spectacle, se fixaient sur la femme présentée, épiant malignement un geste maladroit, une parole déplacée, un manquement à l’étiquette, une faute dans l’ajustement. Toute une réputation de beauté, de goût, d’élégance, dépendait de cette courte et difficile épreuve. Ce fut pour Marie-Catherine une journée de triomphe. Belle à miracle, modeste sans embarras, assurée sans hauteur, elle lut dans tous les regards les signes certains du succès : la bienveillance souriante du roi, l’admiration des hommes, l’envie de toutes les femmes. Chacun dès ce moment s’empressa autour d’elle ; de cette cour, la plus belle du monde, elle fut une des plus belles parures ; une troupe d’adorateurs escorta tous ses pas. L’un d’eux, parmi cette foule nombreuse, se fit bientôt remarquer, non seulement par son rang qui l’élevait fort au-dessus des autres, mais par sa vive passion, sa constance, son assiduité, et ce n’était rien moins qu’un prince du sang royal, Louis-Joseph de Bourbon-Condé.

Veuf depuis huit mois[26], avec deux enfans en bas âge, le prince de Condé comptait vingt-cinq ans à peine. Il arrivait de l’armée, et, pour la première fois depuis son deuil, venait de reparaître à la Cour. Les talens qu’il avait montrés dans les premières campagnes de la guerre de Sept ans lui valaient, à cette époque, une popularité, dont il n’était pas indigne. Malgré son ambition et son désir de plaire, le premier abord chez lui n’était pourtant pas engageant ; de la sauvagerie de son enfance, il conserva longtemps, en dépit de ses efforts, une humeur concentrée, une difficulté d’expansion, que l’on taxait souvent de dissimulation et de sécheresse de cœur. Ceux qui le connaissaient mieux lui rendaient plus de justice, et le proclamaient bon, sensible, loyal et chevaleresque. Tel est bien, en effet, le fond de sa nature ; ses défauts, ses faiblesses, ne sont, pour la plupart, que le fruit de l’éducation et du milieu où il vécut. Arrivé à la vie publique sous le règne de la Pompadour, il croit trop aisément au pouvoir des petits moyens, et confond volontiers l’intrigue avec la politique. Frivole, le mot est peut-être excessif ; du moins est-il enclin à traiter légèrement les choses réputées graves, tout en attachant trop de prix aux propos de salons, aux préjugés de caste, aux vanités du monde. Mais il redevient grand sur les champs de bataille. Là, il est vraiment un Condé. Dans la flamme de son regard, l’accent bref de sa voix, la netteté de son coup d’œil, l’heureuse précision de ses ordres, revit une étincelle de l’âme de son glorieux aïeul.

Sa manière d’être avec les femmes se ressent des contradictions de cette nature complexe. Il prend feu rapidement, s’indigne des obstacles, prétend du premier coup emporter toutes les résistances ; et cette témérité lui a plus d’une fois réussi. Mais s’il échoue dans son attaque, il ruse, il parlemente, il louvoie et s’obstine, et ne désarme pas qu’il n’en soit venu à ses fins. La comtesse de Genlis met cette ténacité au compte de « l’ambition » du prince. Il professait, dit-elle, qu’une jolie femme est toujours propre à quelque intrigue, et que, pour s’assurer d’elle, il n’est qu’une bonne manière. Ce sont propos perfides de coquette dédaignée. Toute la suite de sa vie dément cette calomnie. Ses amours lui nuisirent plus qu’elles ne le servirent ; et sa persévérance n’est que l’orgueil d’une âme qui ne peut supporter l’idée de la défaite. Une fois arrivé à son but, il reste tendre, et devient infidèle. Son cœur, ainsi qu’il dit, demeure « inébranlable, » mais son esprit voltige, et court à de nouvelles conquêtes. Son physique est d’accord avec ses prétentions : sa taille, peu élevée, est svelte, bien prise ; son visage long, mince, au nez aquilin, à la bouche spirituelle, n’est pas dépourvu d’agrément. S’il n’a l’usage que d’un seul œil[27], cette défectuosité, qui vient de naissance, est invisible à qui n’en est pas averti. Il a l’intelligence ouverte, cultivée, sait, lorsqu’il s’abandonne, causer avec charme, donne à ses lettres un ton élégant et facile. En faut-il davantage, quand on est prince du sang, pour devenir un soupirant dangereux auprès d’une femme de vingt ans, dénuée d’expérience, mariée à un homme d’âge mûr, avare et tyrannique, qui la gouverne avec rudesse, et va la maltraiter demain ?

Le prince de Monaco, rendons-lui cette justice, n’épargna rien pour assurer et hâter sa disgrâce. L’aveuglement dont il fait preuve au début est dans la tradition classique. Jaloux de tout le monde, il n’excepte de ses soupçons que le seul prince de Condé. Celui-ci, non moins fidèle à son rôle, fait la cour au mari, le traite en confident et en ami intime ; Honoré s’en montre flatté, répond à ces avances, ne manque pas un souper du prince, l’accompagne au spectacle, emmène régulièrement sa femme aux réceptions, aux brillantes « séries » de Chantilly[28]. Imprudence plus grave encore, cette époque est celle qu’il choisit pour commencer à délaisser sa femme. Il l’abandonne à Paris, isolée, sans appui, pendant des saisons entières, tandis qu’il se consacre, dans son domaine de Thorigny[29], à l’élevage des chevaux, qui devient en peu de temps sa passion exclusive. Là, seul avec ses palefreniers, il passe toutes ses journées dans les cours du château, en tenue négligée, « sans bas et sans culotte, en petite robe légère, à faire trotter ses poulains[30], » prend rapidement, à ce métier, les goûts, les mœurs et le langage des gens qui composent désormais sa société préférée. Lorsque la princesse le rappelle, le prie aimablement de hâter son retour, demande avec douceur « si les plaisirs de Thorigny lui font complètement oublier une femme qui l’aime et serait bien aise de le voir, » à peine prend-il le temps de lui répondre ; il se borne le plus souvent à dicter à son secrétaire quelques lignes brèves, banales, indifférentes.

En dépit de ces maladresses, malgré tant d’ardeur d’un côté, tant de froideur de l’autre, Marie-Catherine, durant bien des années, résiste et lutte avec courage. La tendresse qu’elle inspire la touche assurément ; la constance de Condé a dissipé ses premières méfiances ; elle croit à la sincérité d’un amour si persévérant. Mais ce sentiment qu’elle partage, elle le veut chaste et sans reproche ; elle se complaît dans ce beau rêve et fuit, sourde à toutes les instances, les occasions de défaillance[31]. Est-ce pureté instinctive d’une âme que toute souillure effraie ? Orgueil d’un cœur hautain qui répugne à toute déchéance, et dédaigne, comme indigne de soi, la vulgarité de la chute ? Principes de religion, respect de la foi jurée, ou, plus modestement, frayeur de la vengeance d’un mari jaloux et brutal ? Peut-être une de ces causes, peut-être toutes ensemble. Nos actions les plus simples ont des mobiles complexes ; nul ne peut se vanter d’en pénétrer tout le mystère. Mais, — bien qu’en telle matière l’affirmation soit délicate et provoque aisément le sourire, — les présomptions sont ici, semble-t-il, tout en faveur de la vertu. Les assurances de la princesse, celles même de ses amies, paraîtraient peut-être suspectes. Il n’en est pas de même des lettres de Condé qui datent de cette époque, lettres confidentielles, égarées dans quelque tiroir, dont le ton ne laisse guère de doute sur l’innocence de celle à qui elles furent adressées. On en pourra juger par celle, — choisie presque au hasard, — dont je donne ici la teneur, et l’on verra si rien, dans ce galant badinage, ressemble à la correspondance de deux amans heureux :

« Paris, 6 juillet 1764. — Il n’y a, princesse, rien de nouveau à Paris depuis votre départ[32], qu’une désolation générale. Les Amours sont en défaut, comme les chiens de M. le duc d’Orléans, et les Ris pleurent toute la journée. Cette consternation m’a engagé à venir à la Cour. Je n’y ai rien vu de remarquable, que la grande Brancas au milieu d’un camp, ayant un grand chapeau bordé par-dessus sa cornette, et ressemblant à un parfait grenadier. Personne pourtant ne s’est présenté pour l’engager. Mme d’Egmont est ici. Dans une conversation que nous eûmes hier, elle déplorait le malheur et les inconvéniens attachés aux jours d’une jeune et jolie femme. J’ai pris la liberté de lui représenter qu’elle se divertissait toute la journée, que, selon son désir, elle pouvait se coucher avec les poules ou avec l’aurore, que les Amours étaient à ses ordres, qu’elle les chassait et les retenait suivant l’ennui ou la dissipation qu’elle en pouvait retirer, et qu’avec ces petits dédommagemens et un peu de philosophie, elle pouvait supporter le malheur de son état. Ce que je vous en dis n’est que pour vous engager à soutenir les inconvéniens du vôtre… Le chevalier de Durfort est dans ma chambre. Son visage est moins altéré, il s’est blanchi à Compiègne. J’imagine que la douce peau de sa dame est comme la lance de Télèphe, qui guérissait les blessures qu’on en avait reçues. Quoi qu’il soit, le remède est bon ; je suis souvent tenté d’en user, seulement par précaution. Vous avez sur les cœurs le même empire, et les maux de votre absence seront guéris par votre retour. Adieu, princesse, je vous assure de mon attachement et de mon respect. »


V

Nous nous jugeons nous-mêmes selon notre conscience. Le monde, — et c’est justice, — forme son opinion d’après ce qu’il voit de nos actes. Condé et Monaco, ces deux noms retentissans, furent bientôt associés dans l’esprit du public. La passion affichée de l’un, l’évidente sympathie de l’autre, devinrent à la cour et à la ville le propos ordinaire. La médisance, comme on peut croire, poussa jusqu’au bout l’aventure : à ces amans épris l’on eût cru faire du tort, en supposant un seul instant qu’ils se fussent arrêtés en route. Il fut dès lors inévitable que quelque écho de ces rumeurs arrivât aux oreilles du prince de Monaco. Si l’on en croit Marie-Catherine, les premières insinuations vinrent de sa propre belle-sœur, la comtesse de Valentinois, née Ruffec, femme envieuse et intrigante, qui la détestait de longue date. Des accusations plus précises affolèrent bientôt Honoré. Une nuée de billets anonymes fondit sur le jaloux, lui disant l’heure, le lieu, les circonstances des rendez-vous, fouettant sa colère par de grossières railleries : « Mme de Monaco a soupé ici hier, — écrit « une amie » inconnue, — il y avait quarante personnes. En vérité, je ne conçois pas comment elle ose se montrer dans le monde !… Est-ce que vous n’imaginiez pas qu’elle serait comme sa mère ? Vous n’aviez donc pas pensé à cela avant de l’épouser ? » — « Saviez-vous depuis longtemps M. le Prince ? interroge un autre vengeur de morale. Il y a trois ou quatre ans que cela dure. Vous auriez dû vous en apercevoir, car il passait sa vie chez vous. Nous nous disions : si le prince découvre l’intrigue, il l’enfermera à Monaco. On s’attendait que vous prendriez quelque parti violent. » On imagine, sur un tempérament brutal, l’effet de ces excitations. La première explication fut terrible : aux insultes succédèrent les gestes menaçans ; Marie-Catherine épouvantée craignit un moment pour sa vie. Mais cette explosion passagère ne fut rien, assure-t-elle, au prix du « long supplice » qui commença pour elle. De nombreux témoignages, recueillis par la suite dans le procès de séparation, viennent confirmer ses dires. Odieuses imputations, surveillance humiliante de chaque sortie, de chaque visite reçue, de chaque mot échangé dans le monde, reproches sanglans adressés en public, scènes révoltantes devant les domestiques, réconciliations imposées, plus injurieuses que les querelles ; on ne peut lire sans une pitié profonde cette monotone et triste litanie. La mauvaise chance voulut que, justement à cette époque, eussent lieu à Chantilly des réceptions extraordinaires où fut conviée toute la Cour. Le prince héréditaire de Brunswick y vint, dans l’été de 1767, passer quelques semaines chez le prince de Condé. Ce furent, pendant quinze jours de suite, des fêtes incomparables, soupers, feux d’artifices, promenades sur les canaux en des gondoles parées, « bals champêtres, » où des milliers de villageois, « vêtus d’habits de basin blanc ornés de rubans multicolores, » se mêlent aux nobles invités et dansent avec eux sur les pelouses. Le prince de Monaco, en dépit de ses soupçons, crut devoir paraître au château et y mener sa femme ; mais sa jalousie en éveil sut en rendre, pour elle, le séjour intolérable. Sans cesse attaché à ses pas, il épie ses moindres paroles, lui interdit la promenade et la danse, la contraint, lorsqu’il va souper, à s’enfermer dès neuf heures dans sa chambre, y entre par surprise, plusieurs fois dans la nuit, pour s’assurer qu’elle est effectivement couchée ; et, quand le prince de Condé, par une inspiration maladroite, insiste pour garder ses hôtes une journée de plus sous son toit, la colère d’Honoré est telle que, remonté chez lui, il s’élance sur sa femme, et fait mine de la précipiter dans les fossés du château[33].

À ces procédés violens, Marie-Catherine oppose au début une inaltérable douceur. Ses lettres à son mari, durant cette année 1767, témoignent de sa patience, de sa bonne volonté. Elle est prête, pour acheter le repos, à tous les sacrifices ; elle offre spontanément de renoncer à une intimité qui est l’unique bonheur de sa vie. Elle est « fâchée des inquiétudes causées par le voyage à Chantilly ; » aussi a-t-elle décliné pour l’avenir toute invitation de ce genre : « Je ne suis pas, ajoute-t-elle joliment, comme le chien du jardinier ; car j’ai plaisir à savoir que tout le monde s’amuse, et la pensée du plaisir des autres me console un peu de ne le point partager. » Elle se prive, pendant les absences d’Honoré, de toutes distractions, ne va plus à la Cour, reste au logis avec ses deux enfans, qui seront désormais « les seuls sujets intéressans » pour elle. « Cette vie, dit-elle sans amertume, serait peut-être ennuyeuse pour une autre ; mais elle me plaît : elle est douce, uniforme et tranquille. » Pour dissiper tous les soupçons, elle autorise même son mari à décacheter ses lettres : « Vous ne trouverez dans aucune d’elles rien qui puisse blesser votre délicatesse, et vous m’offensez fort en disant que vous n’avez pas assez de confiance en moi pour les lire. » Et, quand toutes ces avances sont repoussées avec rudesse, la plainte qui lui échappe reste encore mesurée et discrète : « Je sais bien que j’ai toujours tort. Je ne m’en connais qu’un seul, que je ne me pardonne pas, c’est de m’être ruiné la santé par un excès de complaisance que personne n’aurait eu. Le proverbe a raison : Qui se fait brebis, le loup le mange ! »

L’année qui suit voit le triste ménage tourner au véritable enfer. Aux scènes, aux invectives, le prince ajoute maintenant des humiliations de tous genres. Il se lance dans la galanterie, entretient des maîtresses, affiche avec ostentation une actrice on renom de la Comédie Italienne. Un jour, en plein théâtre, il interpelle à haute voix l’Arlequin, lui défend d’approcher d’aussi près, — même sur les planches et dans la pièce, — la femme dont il se proclame le seul seigneur et maître ; il cause un tel scandale que le spectacle cesse, que l’Arlequin, soutenu par le public, dit vertement son fait au prince, et que le parterre, par ses huées, contraint l’interrupteur à quitter brusquement la place. Marie-Catherine, de son côté, ne tarde pas à se donner des torts. Elle regimbe maintenant sous l’outrage, secoue ouvertement le joug, brave des défenses dont l’injustice révolte sa fierté. Cela s’excuse sans doute ; mais elle va plus loin, et dépasse la mesure : elle cherche à s’étourdir, se grise dans les plaisirs frivoles, fait fi de l’opinion du monde, se compromet imprudemment par des légèretés inutiles. Une aventure, insignifiante en soi, défraie un moment la chronique. A la fin d’un souper chez Mme de Beuvron, la princesse et le comte de Thiard pénètrent ensemble dans un boudoir, isolé au bout de l’appartement ; un petit meuble élégant, propre à celer des billets doux, tente leur curiosité ; indiscrètement, ils cherchent à l’ouvrir, la clé dont ils se servent se brise dans la serrure ; vainement ils s’évertuent à réparer le dégât, un valet les surprend pendant l’opération ; il n’est pas d’autre issue que de tout confesser à la maîtresse de maison : « Ah ! Madame, dit celle-ci, cela est-il possible ? Il faut que vous le disiez vous-même pour que cela puisse se croire ! » Et l’histoire se répand, fait le tour des salons, provoque mille commentaires : « Le maladroit cavalier, conclut Horace Walpole, d’employer si lourdement son temps dans un boudoir, avec la plus jolie femme de France et si portée à la curiosité[34] ! »

La nouvelle attitude de Mme de Monaco hâta l’inévitable dénouement. Le prince exaspéré ne connaît plus de ménagemens, passe des menaces aux voies de fait, prétend user de violence et séquestrer sa femme ; si bien qu’elle tombe malade, crache le sang, dépérit, et Tronchin consulté s’alarme pour ses jours[35]. Des parens interviennent, l’évêque du Mans, Louis-André de Grimaldi, cousin d’Honoré III, le comte de Valentinois, son frère : « Mais, moi, je dors, je mange bien, j’engraisse, répond brutalement Honoré. — Sans doute, mais avec tout cela, vous la menez au tombeau. — Tant mieux, j’en serai plus tôt quitte ! » On n’en peut tirer autre chose[36]. En des circonstances si extrêmes, nul ne s’étonna d’apprendre, en juillet 1769, que la princesse, quittant la maison conjugale, s’était retirée dans un couvent de Paris, Elle écrivait le même jour à l’archevêque, implorant l’autorisation de quitter cet asile pour la Visitation du Mans : « Je ne me propose pas, ajoute-t-elle mélancoliquement, d’éviter des peines. Je n’ignore pas que l’on en trouve partout, et que l’on doit faire son bonheur de ne rien espérer d’heureux. » La permission fut accordée, elle vécut un temps, au Mans, dans une tranquille retraite. Quelques lettres de Condé, respectueuses et tendres, y vinrent distraire sa solitude : « Je ne saurais, dit-il, vous peindre l’affliction où j’ai trouvé la communauté (de Paris) le jour de votre départ. Les larmes que j’ai vues couler ont adouci les miennes… Je vous regrette bien sincèrement, parce que je vous suis véritablement attaché. L’amitié que j’ai pour vous me fera passer de cruels momens, ils ne pourront être amortis que par l’assurance que vous me donnerez que vous passez des jours plus sereins, et que vous jouissez d’une santé meilleure… »

Les prières et les larmes de la marquise de Brignole amenèrent, une fois encore, sinon un raccommodement, du moins une courte trêve. La marquise, de son palais de Gênes, assiste avec désespoir à la rupture d’une union qu’elle a cimentée de ses mains. Eperdue devant la ruine imminente de son œuvre, elle va de l’un à l’autre, donne tort successivement à chacun des époux[37], adjure tantôt sa fille et tantôt son « aimable fils » d’avoir pitié de sa vieillesse, voit dans le malheur qui s’apprête « un châtiment du Ciel pour ses propres péchés. » Marie-Catherine, émue, cède à de telles instances. Elle revient à Paris, reprend sa lourde chaîne, fait provision de patience ; et cette résignation ne sert qu’à provoquer des exigences nouvelles. Le prince l’informe un jour des déterminations qu’il a prises ; il va quitter la France sans esprit de retour, emmener sa femme à Monaco ; elle ne franchira plus désormais les limites de la principauté. La pauvre créature s’affole devant cette perspective ; elle se voit livrée sans défense « au despotisme d’un mari qui, souverain du pays, aurait sur elle l’autorité la plus absolue ; » le palais orgueilleux qui surmonte le rocher de Monaco ne serait pour elle qu’ « une prison, » en attendant sans doute qu’il devînt « un tombeau. » Tout plutôt que courir ce risque ! Sa résolution est irrévocable : princesse étrangère, elle fait appel aux juges de France ; elle remet sous leur protection « et sa liberté et sa vie[38]. »


VI

« Ma femme, écrit le prince de Monaco, est sortie de ma maison le 26 juillet 1770, à onze heures du matin. Elle n’est point rentrée pour dîner, et j’appris le soir à huit heures qu’elle s’était retirée dans un couvent de Bellechasse. Le lendemain, elle se transporta dans celui de l’Assomption, où elle est restée jusqu’au 16 janvier 1771. » On ne trouvera pas ici le détail du procès qui s’engagea, la semaine suivante, devant le parlement de Paris. Ce qu’on a lu dans les pages qui précèdent en fait assez connaître les élémens principaux. L’information, rapidement menée, fut accablante pour Honoré. Ses parens les plus proches, ses amis les plus intimes, ses plus anciens serviteurs[39], déposent unanimement contre lui, peignent sa tyrannie sous les plus effrayantes couleurs. Le prince au reste ne cherche pas à se défendre. Tout au plus envoie-t-il de brèves « observations, » pour expliquer et atténuer quelques-uns des griefs qui lui sont reprochés. Il s’y attache surtout à justifier son droit d’emmener Marie-Catherine, « sa femme et sa sujette, » dans la principauté : il n’y médite contre elle aucun mauvais dessein ; « les juges, allègue-t-il spécieusement, ne doivent pas présumer le crime ; et nulle loi ne condamne un homme à avoir les deux mains coupées, sous prétexte qu’il en peut faire mauvais usage. » Mais il ne s’arrête guère à ces contestations, et, — non sans dignité, — prend les choses de plus haut. Prince de Monaco par droit de naissance, cette souveraineté, dit-il, « constitue son état essentiel. » Il « manquerait à soi-même et à sa postérité si, dans une affaire de cette sorte, il se reconnaissait justiciable d’aucun tribunal étranger. » Il proclame donc hautement l’incompétence du parlement, la nullité de toute sentence prononcée contre lui, et adresse à Louis XV un mémoire, d’assez fière allure, pour rappeler ces principes et établir son droit. Le roi, embarrassé et mécontent, renvoya le mémoire à Choiseul[40], en recommandant le secret. Il n’y fut fait aucune réponse ; la protestation d’Honoré s’enfouit, pour n’en jamais sortir, dans les cartons du ministère, et le procès suivit son cours. Ce fut le plus rude coup porté par la cour de France à l’orgueil et aux prérogatives séculaires des princes régnans de Monaco.

Les enquêtes terminées, les témoins entendus, le parlement fixa la date du 10 décembre pour rendre sa sentence. Mais un grave événement remit soudain tout en question, comme si quelque étrange maléfice eût frappé ce mariage funeste, et que, malaisé à conclure, sa dissolution même dût susciter d’inattendus obstacles. Cette année 1770 avait vu s’aviver la querelle des parlemens et de la royauté ; les choses s’envenimèrent dans les premiers jours de décembre, et, le 10 au matin, le parlement de Paris, par une résolution subite, suspendit ses séances et cessa ses fonctions. L’émoi fut grand dans tout le royaume ; une inquiétude universelle accueillit le brusque arrêt d’un des rouages essentiels de l’État ; au souci de la chose publique s’ajouta pour beaucoup celui de l’intérêt privé. Pour la princesse de Monaco, cette disparition de ses juges, le jour même assigné pour proclamer sa délivrance, fut un terrible coup de foudre. Sa tête se perdit ; un véritable affolement égara son esprit, et gagna par contagion celui qui, après elle, souhaitait le plus vivement le gain de son procès.

L’épisode qu’on va lire n’est pas le plus glorieux de la vie de Condé ; il fit grand bruit en son temps, et, pendant des années, le souvenir en pesa sur la réputation du prince. Condé, comme les autres princes du sang, avait embrassé publiquement la cause des parlemens. Dès l’origine de la lutte, il s’était de lui-même exilé de la cour, et, confiné à Chantilly, protestait par son langage et par son attitude contre la politique des ministres du roi. Aussi son crédit était grand auprès des magistrats ; sa recommandation, dans le procès en cours, assurait le triomphe de la cause juste et bonne qui lui tenait si fortement au cœur. Le coup d’audace du 10 décembre le tira de sa quiétude. La nouvelle aussitôt reçue, il accourt à Paris ; les larmes de son amie achèvent de le troubler : Mme de la Ferté-Imbault, qui le vit journellement pendant toute cette période, affirme qu’il semblait réellement « hors de lui. » Les jurisconsultes qu’il va voir, les politiques auxquels il s’adresse, lui laissent peu d’espoir d’une solution prochaine. Il voit déjà s’éterniser, pour celle qu’il aime avec ardeur, une situation incertaine, qui d’un moment à l’autre peut devenir dangereuse[41]. Il médite pour la sauver mille projets chimériques, et les abandonne tour à tour. Un fait imprévu, la disgrâce de Choiseul, éclata sur ces entrefaites, et fournit l’occasion cherchée. Le jour même de l’événement, le prince s’en va trouver les chefs du parlement, Lamoignon, Saint-Fargeau, ses amis personnels, leur affirme hardiment que la chute du ministre présage un revirement favorable à leur cause, laisse entendre que « le roi lui-même » l’autorise secrètement à tenir ce langage[42]. Que le parlement, leur dit-il, reprenne sans délai ses fonctions ; cette marque de bonne volonté désarmera les dernières préventions ; le prince de Condé, d’accord avec Louis XV, se chargera ensuite de rétablir la bonne entente entre le trône et la magistrature.

Ces conseils furent suivis. Le lendemain, 31 décembre 1770, le parlement de Paris, sur la foi de ces promesses, se rassembla et tint séance. La première cause appelée fut celle de la princesse de Monaco. Il n’y eut point de plaidoiries ; l’affaire dura quelques minutes à peine ; l’arrêt fut rendu « tout d’une voix. » Il prononçait, en faveur de Marie-Catherine, « la séparation de corps et d’habitation, » faisait défense au prince « de plus hanter ni fréquenter son épouse, ni d’attenter directement ou indirectement à sa liberté, » ordonnait la restitution intégrale de la dot. Huit jours plus tard, la lutte politique reprenait, plus violente que jamais ; le chancelier de Maupeou accentuait l’attitude agressive du pouvoir ; le parlement, le 8 janvier, quittait à nouveau ses fonctions ; et le roi, le 17 du même mois, dans ses « lettres de jussion, » désavouait formellement son cousin le prince de Condé : « C’est en vain, dit-il aux magistrats, que vous cherchez à colorer votre résistance du vain prétexte d’espérances conçues et ensuite évanouies… Personne ne vous en adonnées, et personne n’a été autorisé à le faire. »

Je n’ai pas à décrire la colère d’Honoré devant le triomphe de sa femme. Le dédain de ses droits souverains, les termes sévères de l’arrêt, le subterfuge employé pour précipiter la sentence, tout augmente son dépit et son indignation[43]. Un rescrit envoyé à son peuple dénonce solennellement « la révolte de son épouse, » la déclare « déchue de son rang, de son titre et de ses honneurs, » fait défense à quiconque de lui donner « un nom auquel elle a renoncé elle-même par sa félonie. » Il fait juger et condamner à mort, par les magistrats de Monaco, ceux de ses sujets dont les dépositions l’ont le plus vivement irrité, les fait exécuter en effigie dans la principauté. Vengeance plus effective, il frappe la mère dans ses enfans, interdit toute visite, tout commerce avec elle, fait renvoyer par son portier les lettres suppliantes où elle implore de leurs nouvelles[44].

Si l’on en croit certains pamphlets de la Révolution, un duel aurait eu lieu, à l’issue du procès, entre le prince de Monaco et le prince de Condé, duel où le premier eût été légèrement blessé ; Honoré aurait, peu après, provoqué de nouveau son rival, mais Louis XV aurait cette fois interdit la rencontre. Les documens authentiques que j’ai eus sous les yeux ne soufflent mot de cette histoire, qui n’a d’ailleurs rien que de vraisemblable. Quoi qu’il en soit, c’est surtout à sa femme que s’en prend la rancune du prince de Monaco. Dès 1771, il harcèle le roi de France de mémoires et de suppliques, pour que Marie-Catherine, « étant déchue de son rang de princesse, ne soit plus désormais admise à se présenter à la Cour. » Cette requête est repoussée, et les années s’écoulent sans apaiser sa haine. A l’avènement de Louis XVI, il renouvelle ces tentatives, fait appel à l’austérité du « couple vertueux qui règne maintenant sur la France ; » et il semble un moment près d’avoir gain de cause. Quand la princesse de Monaco fait demander à Marie-Antoinette la faveur de lui faire sa cour : « Je n’aime pas les femmes séparées, » répond sèchement la reine. Marie-Catherine insiste, s’adresse directement à la jeune souveraine, la prie de lui faire connaître le jour fixé pour la prochaine présentation ; elle reçoit pour riposte cette lettre froide et hautaine[45] : « Je vous aurais répondu plus tôt, Madame, si je n’avais voulu attendre pour parler au Roi. Je suis fâchée d’avoir à vous mander que la présentation est décidée entièrement pour demain. Je le suis aussi de voir que cette affaire vous affecte autant. Le temps vous désabusera des conséquences défavorables que vous envisagez aujourd’hui. J’espère qu’au moins vous serez toujours dans le cas d’être contente de mes sentimens pour vous. MARIE-ANTOINETTE. » Cet ajournement sans date ressemble fort à un refus. Il faut, pour parer ce rude coup, tout le crédit du prince de Condé, une démarche auprès du roi, l’intervention puissante du vieux comte de Maurepas.


VII

La répugnance de Marie-Antoinette s’explique par les allures nouvelles qu’a prises, au lendemain de l’arrêt, Mme de Monaco. La séparation prononcée a levé ses hésitations, emporté ses derniers scrupules. Elle se livre sans résistance au sentiment qui, dès longtemps, la domine et l’entraîne, et le fait hardiment, sans voile, la tête haute. Pour se rapprocher de Condé, elle se fait construire à Paris un hôtel élégant, au bout de la rue Saint-Dominique, tout contre le Palais-Bourbon. A Chantilly, la liaison est encore plus publiquement avouée ; elle y séjourne des saisons entières, en tête à tête avec le prince, dans une intimité complète et quasi conjugale. Entre l’hypocrisie et le scandale, son horreur du mensonge a promptement fait un choix ; sa conscience, semble-t-il, ne lui reproche rien ; elle s’absout de sa faute par sa sincérité. Sa passion, en effet, est ardente et profonde, et sa tendresse s’augmente de sa reconnaissance. La constance patiente de Condé, dix ans de dévouement et de soins attentifs, ont vengé les souffrances, les déceptions cruelles, les humiliations du passé. Elle a trente ans à peine ; sa merveilleuse beauté brille de tout son éclat ; elle voit une vie nouvelle, heureuse, pleine de promesses, s’ouvrir en souriant devant elle.

Les deux années qui suivirent le procès parurent justifier cette confiance. Elles s’écoulent presque entières au château de Chantilly. L’affaire des parlemens, les principes affichés dans cette lutte par le prince de Condé, le tiennent éloigné de la Cour ; il vit dans la retraite ; la société de sa maîtresse suffit à remplir ses instans ; leur existence est calme, silencieuse, sans nuages. La surprenante évolution du prince rompit trop tôt cette douce tranquillité. Le 6 décembre 1772, le chancelier de Maupeou eut la satisfaction de porter à Louis XV la lettre inattendue où Condé, changeant brusquement de drapeau, passait au parti de la Cour, et se rendait sans conditions. Les motifs de cette volte-face sont encore obscurs aujourd’hui. Fut-ce scrupule monarchique, ambition de marier sa fille dans la famille royale, ou simple lassitude d’une guerre interminable ? L’abbé Barthélémy, bien placé pour être bon juge, penche pour cette dernière hypothèse[46], et il compare le prince à ce gouverneur hollandais qui, assiégé depuis peu dans sa ville, refusait de capituler : « Je ne puis pourtant, observait-il, rendre à la première sommation une place que je dois garder. — Eh ! monsieur, lui dit son secrétaire, il y a quinze ans que vous la gardez ! — C’est juste, » dit le gouverneur, et sur-le-champ il la rendit.

Accueilli par Louis XV avec joie, Condé reparaît de ce jour à Paris, à Versailles, à Compiègne, dans toutes les réunions de Cour, reprend cette vie brillante, agitée et mondaine, dont une longue habitude lui a fait un besoin. De ce jour également commencent pour son amie les soucis, les tourmens, et bientôt les chagrins. Non pas que l’affection du prince se détourne de celle dont l’existence est désormais rivée étroitement à la sienne. Il ne peut se passer de la douceur de sa présence. Elle lui est nécessaire ; elle seule possède toute sa confiance. « Vous êtes, lui répète-t-il, non seulement la meilleure, mais la seule amie que j’aie au monde… Ce n’est que pour vous seule que je puis aimer la vie. » Il est, en écrivant ces lignes, de la plus parfaite bonne foi ; la place qu’elle occupe dans sa vie est et restera la première. Mais cette fidélité du cœur, — la seule, à ses yeux, essentielle, — n’empêche pas les caprices, les engouemens rapides, tout ce « papillonnage » dont les mœurs de l’époque ne font qu’un jeu léger, un passe-temps élégant, qu’on ne saurait prendre au sérieux sans se couvrir de ridicule. La liste est longue, dans les chroniques du temps, des femmes qui, sans bruit ni scandale, distrairont en passant les loisirs du prince de Condé. Elles traversent son existence sans y laisser de trace, fantômes d’un jour dont le lendemain emporte la mémoire.

Ainsi du moins en est-il de Condé ; mais la princesse de Monaco se trouve d’un autre avis. Comme elle s’est donnée sans réserve, elle prétend tout garder pour elle ; elle se soucie fort peu des distinctions subtiles entre le caprice et le sentiment, les faiblesses de la chair et la constance du cœur. Sa passion exclusive n’admet aucun partage, et sa jalousie italienne, ingénieuse à se torturer, incapable de se contenir, éclate en larmes amères, en douloureux reproches. Vive et sincère est sa souffrance, vif et sincère aussi l’étonnement de Condé devant ces façons insolites. L’indignation naïve qu’il en ressent, le ton dont il se disculpe, marquent d’un trait curieux la physionomie de ce temps : « Comment est-il possible ; — écrit-il à sa maîtresse après une scène de ce genre, — que l’aigreur l’emporte toujours sur le sentiment que vous dites avoir pour moi ? Il eût dû vous porter au contraire à m’écrire : « Je suis enchantée que vous ayez trouvé un moyen de « vous dissiper. » Mais il n’est pas en vous de me procurer une tranquillité qui ferait le charme de la vie ! « Jamais, dit-il une autre fois, « je ne pourrai me faire à un pareil courroux pour une chose aussi simple !… Vous vous occupez de votre bonheur, et point du tout du mien. Mon cœur sent vivement tous vos torts… » Et il termine sa philippique par cette exclamation : « Ah ! pourquoi Dieu m’a-t-il donné un cœur aussi sensible ? Le mauvais présent qu’il m’a fait ! »

Ce ne sont pourtant là que de légères querelles, des brouilleries sans lendemain, qu’une parole affectueuse apaise, que suivent des raccommodemens tendres. Un « esclandre » du prince, plus bruyant que les autres, faillit, en 1779, amener de plus graves conséquences[47]. L’héroïne de l’histoire fut une des dames d’honneur de la duchesse de Bourbon, la comtesse de Courtebonne[48], veuve de jeunesse douteuse et de beauté médiocre, mais spirituelle, hardie, célèbre par ses aventures. Elle était fort aimée par le marquis d’Agoult, capitaine des gardes du prince, et lui avait donné, dit-on, une promesse de mariage. Elle n’entreprit pas moins d’attacher Condé à son char, y réussit sans peine, et, fière de ce succès, afficha hautement sa conquête. D’Agoult, irrité et jaloux, montre partout l’écrit signé de l’infidèle, se répand sur son compte en propos malveillans ; et le prince, pour venger la dame, exige en termes durs la démission de l’officier des gardes. Le lendemain, 20 décembre, Condé se rendait à Versailles ; comme il touchait au pont de Sèvres, d’Agoult, qui l’attendait, apparaît brusquement, monte à la portière du carrosse, et, sans souci de la distance des rangs, demande insolemment raison du congé qu’il a reçu. A peine le prince laisse-t-il s’achever la phrase : « Soit, lui dit-il froidement, demain, au Champ de Mars, à huit heures, à l’épée ; » puis il relève la glace, et poursuit tranquillement sa route. Le combat eut lieu à l’heure, dite ; il fut vif et dangereux. D’Agoult, rapporte Grimm, « se battait en homme furieux ; » il fut atteint, au premier engagement, d’une légère blessure à la cuisse ; le duel n’en continua pas moins, et Condé, peu d’instans après, reçut un coup d’épée qui lui traversa le bras et fit tomber son arme. Les témoins arrêtèrent la lutte, le prince se fit panser en hâte, et courut à Versailles implorer la clémence du Roi pour son imprudent adversaire. Cette faveur lui fut accordée. D’Agoult, qui, au premier moment, avait fui à Bruxelles, revint bientôt à Paris, et reprit sans encombre son service à la Cour.

Obtenir le pardon du Roi n’était pas le plus difficile ; Mme de Monaco se montra moins commode à fléchir. L’éclat qu’avait eu l’aventure, la vivacité du caprice de Condé, la durée insolite de cette nouvelle « passade, » portèrent jusqu’à l’excès sa peine et son irritation. Les scènes qui s’ensuivirent furent longues et violentes ; on put croire un moment à une rupture complète ; et quand le repentir du prince eut enfin apaisé tout cet emportement, l’accord ne se fit pas sans conditions sévères[49] : l’exclusion absolue de Mme de Courtebonne des réceptions de Chantilly, l’obligation imposée à la duchesse de Bourbon de renvoyer sa dame d’honneur. À ce prix seulement l’amant infidèle put espérer sa grâce.


VIII

Ces orages ne sont pas les seuls qui agitent l’âme de la princesse et troublent son repos. Elle souffre, — ainsi qu’il est dans l’ordre, — des suites inévitables d’une situation fausse. La grande place qu’elle a prise dans la vie de Condé, la puissante influence, en dépit des fugues passagères, qu’elle exerce sur son esprit, éveillent dans l’entourage du prince des ombrages, des craintes légitimes. Le duc de Bourbon, la princesse Louise de Condé, subissent avec dégoût le contact journalier de la maîtresse déclarée de leur père. Le respect et la crainte peuvent leur fermer la bouche, mais leur mépris pour la Madame, — comme ils la nomment entre eux, — éclate ouvertement dans toute leur attitude, l’hostilité de leurs regards, la glace de leur accueil, le silence écrasant qui s’établit à son approche. Moins réservée, plus agressive est la belle-fille du prince, la jeune duchesse de Bourbon[50], cette bizarre, étourdie et audacieuse princesse, spirituelle sans tact ni mesure, dangereuse sans méchanceté, ne connaissant de loi que celle de son caprice, et n’arrivant, en fin de compte, avec ce beau système, qu’à faire son propre malheur et le malheur des autres. Ne s’avise-t-elle pas, certain soir, de faire jouer à Chantilly un « proverbe » de sa façon ? Les acteurs principaux sont le prince de Condé, Mme de Monaco et le duc de Bourbon. Tout entiers à leurs rôles, ils n’y voient pas malice ; mais la représentation jette parmi le public un singulier malaise. Le sujet est l’histoire d’un homme léger et faible, dominé, sans y prendre garde, par une femme ambitieuse, intrigante et jalouse ; dans chaque scène, dans chaque phrase, chaque détail de la pièce, se trouve une allusion, une raillerie transparente, une mordante parodie. Les interprètes du drame, — mis en éveil par l’embarras, les chuchotemens des spectateurs, — s’aperçoivent un peu tard qu’ils se sont joués eux-mêmes ; et l’on juge du tapage qui suit cette découverte ! Une orageuse explication met toute la famille aux prises ; peu s’en faut qu’elle ne brouille le père avec le fils, l’époux avec sa femme. Et quand, l’année suivante, une séparation trop prévue disloque à tout jamais le ménage du duc de Bourbon, c’est à Mme de Monaco que l’opinion publique s’en prend de cette rupture ; c’est elle que, bien à tort, chacun accuse tout haut de s’être patiemment ménagé cette vengeance[51].

L’accusation est calomnieuse : Marie-Catherine n’a pas tant de noirceur dans l’âme. Incapable d’une longue rancune, elle ne songe guère aux représailles ; son chagrin et ses larmes sont sa meilleure défense. A la longue, cependant, cette guerre à coups d’épingle agit sur son humeur. Sa gaîté disparaît et sa douceur s’altère. Redoutant sans cesse quelque attaque, elle se tient sur ses gardes, mesure toutes ses paroles, perd de son naturel et de son abandon. Dans l’entourage du prince, on lui trouve « l’air pédant, » on se divertit tout bas de sa mine « sérieuse et guindée, » de l’austérité de ses propos, de ses singulières prétentions à « prêcher la morale[52]. » La jeune comtesse de Bombelles qui, en 1781, passa quelques semaines au château de Chantilly, trace dans ses lettres à son mari un assez amusant tableau de toute cette société. On y prépare, lorsqu’elle arrive, deux comédies-vaudevilles : l’Épreuve délicate et l’Amant jaloux ; Mme de Monaco ne fait point partie de la troupe, et les répétitions sont joyeuses, pleines d’entrain. Le prince de Condé remplit le rôle de l’amoureux ; il fredonne ses couplets d’une voix « faible et très fausse, » mais joue avec finesse, esprit et légèreté. Il s’interrompt entre chaque scène pour causer gracieusement avec les interprètes, accable toutes les femmes de complimens galans, et débite « mille folies, » dont il rit le premier du meilleur cœur du monde. Le duc de Bourbon renchérit sur son père par sa gaîté bruyante ; la princesse Louise elle-même, bonne, indulgente et douce, participe volontiers à l’animation générale. Mais parfois, au plus fort de cette joie légère, la porte du salon s’ouvre, Mme de Monaco paraît… et c’est, dans l’assistance entière, comme un « changement à vue. » Il semble qu’ « un rideau se tire sur tous les visages ; » les fusées de rire s’éteignent, les conversations cessent ; le prince quitte brusquement la compagnie des dames, va s’asseoir avec embarras à côté de sa maîtresse, de l’air humble et contrit d’un « petit garçon » pris en faute ; et la plus piquante comédie n’est pas celle qui se joue sur les planches du théâtre.

On ne s’étonnera pas qu’en de telles conditions Mme de Monaco prenne Chantilly en grippe, et rêve quelque abri plus discret où, loin des visages hostiles, elle possède pour elle seule, quelques mois chaque année, celui qui, malgré tout, garde toute sa tendresse et tout son dévouement. Aussi ne cache-t-elle pas son contentement intime, le jour où elle découvre, après de longues recherches, dans un site qui lui plaît, à bonne distance de Paris, « ni trop loin ni trop près, » le riche et beau domaine dont la possession va la faire indépendante et libre, maîtresse d’organiser sa vie selon ses goûts. « Enfin me voici dame de Betz ! » s’écrie-t-elle joyeusement ; et la construction du château, l’aménagement du parc, l’embellissement de cette « retraite champêtre, » vont devenir pendant plusieurs années son occupation favorite. Le lieu qu’elle a choisi est le berceau antique des sires de Lévignen, la terre de Betz, près Crépy-en-Valois[53]. Non loin des débris grandioses du château féodal, s’élève bientôt une vaste et splendide demeure[54], où le goût sûr de la châtelaine entasse les objets d’art, les meubles précieux, les tableaux de maîtres, une merveilleuse bibliothèque, « véritable encyclopédie des connaissances humaines. » Tout à l’entour s’étend un parc immense, dessiné par Robert, le plus beau, disait-on, « des jardins anglais » qui fussent alors en France. Des massifs d’arbres exotiques, des parterres de fleurs rares, des eaux vives et jaillissantes, les ruines du vieux château encadrées avec art dans ce décor moderne, font des « jardins de Betz » une incomparable féerie, plus d’une fois célébrée par les poètes du temps[55].

Disposant de toute sa fortune, affranchie de tout contrôle, la princesse trouve dans ces travaux un aliment précieux à son activité ; et, si ses fantaisies sont parfois singulières, du moins témoignent-elles d’une imagination vive, fertile et romanesque. Un « temple à l’Amitié » rappelle et symbolise le sentiment profond qui remplit son existence ; des marbres, des bas-reliefs, une statue de la Déesse due au ciseau de Pigalle, décorent l’élégant édifice. Au pied de la statue elle fait graver ces vers :

Du bonheur ici-bas source pure et féconde,
Tendre Amitié, mon cœur se repose sur toi.
Le monde où tu n’es pas est un désert pour moi ;
Dans le fond d’un désert tu me tiens lieu du monde.

Soucieuse d’exactitude, elle consulte Barthélémy[56] sur les us des anciens pour le mobilier de leurs temples, et l’abbé lui répond gravement par une dissertation savante : « Au reste, conclut-il, l’Amitié est une déesse de tous les temps ; on peut la meubler comme on veut. » Une invention plus surprenante est celle de l’ermitage. Dans un coin reculé du parc, se cache dans le feuillage une modeste chaumière, attenant à une chapelle, à « une grotte servant d’oratoire, » à un petit enclos où poussent quelques légumes. En ce lieu solitaire habite, aux gages de la princesse, un véritable ermite. Un règlement sévère, qu’elle a rédigé de sa main[57], fixe étroitement le programme de sa vie. Vêtu d’une robe de bure, il ne pourra sortir que « pour assister aux offices avec l’habit de son état, » n’aura « nulle relation » avec les gens du voisinage, n’enfreindra jamais le silence, travaillera de ses mains, cultivera ses légumes, élèvera ses pigeons, « donnera à son entour un air agréable. » Pour tenir cet emploi, l’ermite aura de la châtelaine ses vêtemens professionnels, du bois mort à discrétion, quelques paquets de chandelles, et cent livres par an. Et le plus curieux de l’histoire est qu’Alexis Herbin, — ainsi se nomme le titulaire, — se montre content de son sort, se conforme douze ans à ce « cahier de charges, » et, relevé de ses engagemens par la Révolution, continue son métier d’ermite en sa paisible cabane, où il meurt en 1811, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

Dans son domaine de Betz, sous l’ombrage apaisant des arbres séculaires, seule avec ses fermiers, ses serviteurs et son ermite, Marie-Catherine retrouve le calme et la sérénité. Elle se fait une âme villageoise, se passionne pour ses foins, ses fruits et ses moissons, demande à la simple nature le baume de ses blessures et l’oubli de ses maux. Un grand bonheur vient bientôt l’y chercher, dont, depuis de longues années, elle avait perdu l’habitude. Ses fils, maintenant majeurs, mariés[58], libres de leurs actes, se souviennent de leur mère et vont la voir à Betz. A chaque séjour, ils s’y plaisent davantage, y passent des semaines et des mois. Même, vers 1788, l’aîné, le duc de Valentinois, se fait nommer maire de la commune, et en remplit l’office jusqu’à l’époque de la Terreur. Un hôte plus assidu encore est, — l’on s’en peut douter, — le prince de Condé. Loin du monde de la Cour et des pernicieuses influences, il redevient, dans cette intimité champêtre, le tendre amoureux d’autrefois, fidèle, dévoué, attentif. Il s’intéresse aux choses rustiques avec simplicité, dirige les ouvriers, surveille plantations et cultures, apporte à chaque visite, pour embellir l’habitation, « des merveilles » en estampes, en livres, en tableaux[59]. Ses lettres, lorsqu’il s’absente, sont plus fréquentes, plus longues, plus confiantes que jadis. Elles content à son amie toutes les nouvelles du jour, la tiennent soigneusement au courant de tout ce qui la touche. Elles expriment — ce qui plaît davantage à son cœur — un attachement chaque année plus sérieux et plus fort ; il trouve pour l’en convaincre des accens pénétrans : « Mon cher amour, je vous adore, mon premier besoin est de vous le dire… Je meurs d’impatience de vous voir, et je vous aime plus que jamais ; » c’est le refrain de toutes ses lettres. Il la rassure délicatement contre un retour possible aux légèretés passées : « Vous me parlez de galanteries ; je vous assure que j’en suis fort loin, et bien revenu de tout cela. » Et ce n’est jamais sans regret qu’il quitte cette chère correspondance : « J’étais si bien, là, avec ma plume, mon papier devant moi, et vous dans ma tête et mon cœur[60] ! » Ce langage n’est point feint, ces assurances sont sincères. Le temps, qui brise ou fortifie, exerce ici son action bienfaisante. Sous sa main souple et forte, les angles s’atténuent, les aspérités s’aplanissent, les nuances, autrefois disparates, se fondent et s’harmonisent. Aux vives ardeurs de la jeunesse, à la passion orageuse de l’âge mûr, mêlée de combats et de larmes, succède, par une pente insensible, cette chose rare et charmante, la tendresse douce et grave d’un couple vieillissant, pacifiée, épurée, ennoblie par l’âge et la durée, faite de sécurité, de confiance et de gratitude, intimité sans crime où les âmes seules ont part, fleur d’automne au parfum délicat et subtil, plus intense que l’amitié, moins troublant que l’amour. Pour parfaire et couronner l’œuvre, une seule chose manque encore, l’épreuve décisive du malheur, supporté en commun, allégé par l’effort d’un dévouement mutuel. Ce complément cruel et nécessaire, la Révolution qui s’approche se chargera de le fournir ; et les grandes catastrophes vont susciter les grandes vertus.


IX

La vie de la princesse de Monaco, pendant les dix années qui suivent, peut se résumer en ces lignes : fidélité absolue et constante à la fortune, au drapeau de Condé, partage complet et sans réserve des fatigues, des périls, des misères du vieux prince, dans la campagne sans espoir où l’ont engagé ses principes, les idées qu’il se fait du devoir monarchique. Retracer en détail cette période de son existence, ses pérégrinations, les épreuves qu’elle subit, les péripéties qu’elle traverse, serait refaire, après tant d’autres, l’histoire de l’armée de Condé[61]. Je rappellerai seulement, d’une plume volontairement rapide, les phrases principales de cette longue odyssée. Elle commence au lendemain même du sac de la Bastille, le 15 juillet 1789. Le soir fatal où le prince de Condé se décide à chercher au dehors un secours pour le trône en péril, Mme de Monaco passe avec lui la frontière. Etrangère à la France, n’ayant rien, — semblait-il alors, — à craindre pour elle-même des bouleversemens qui se préparent, elle obéit sans hésiter à la seule impulsion de son cœur. Pour ne pas quitter l’homme qu’elle aime, elle sacrifie sans un soupir son bien-être, son repos, la douceur de la vie ; elle accepte avec joie sa nouvelle destinée de princesse vagabonde. Bruxelles, Lucerne, les bords du Rhin sont les premières étapes du triste pèlerinage. Si, lors du voyage en Piémont, elle devance Condé de quelques jours, c’est pour préparer ses logemens dans la villa, voisine de Gênes, qu’elle tient de sa famille[62], seul coin de terre qu’elle possédera bientôt. Un an plus tard, elle est au camp de Worms : Condé, chef de l’armée qui s’organise, y tient une véritable cour, dont elle fait les honneurs. Pour le seconder dans sa tâche, elle renonce à sa « sauvagerie, » triomphe de son dégoût du monde. Tous les officiers royalistes, gentilshommes ou roturiers, qui affluent au château de Worms, sont touchés de ses douces paroles, gagnés par sa grâce souriante[63]. Gœthe, qui la vit vers cette époque chez le baron de Stein[64], n’échappe pas à cette séduction ; le portrait qu’il a tracé d’elle traduit cette impression en termes singuliers : « Elle se montrait, dit-il, éveillée et charmante. On ne pouvait rien voir de plus gracieux que cette svelte blondine, jeune, gaie, folâtre ; pas un homme qui eût résisté à ses agaceries. Je l’observai avec une entière liberté d’esprit, et je fus bien surpris de la trouver vive et joyeuse… »

Cette « blondine svelte, » au minois éveillé, comptera bientôt cinquante-trois ans. Sa beauté triomphante résiste aux efforts du temps, aux fatigues, aux privations de ces années de misère. Un mystérieux ressort soutient contre l’épreuve sa santé jadis frêle. Son courage, son abnégation, lui assurent à jamais, elle n’en peut plus douter, le cœur reconnaissant du seul ami qu’elle ait au monde ; cette certitude la dédommage de tout ce qui lui manque. Son âme brûle d’une joie intérieure, qui l’élève au-dessus des souffrances passagères ; le vent d’aucune tempête n’en saurait éteindre la flamme. Elle accompagne allègrement, à travers toute l’Europe, la marche infatigable des infortunés Condéens, qui courent d’échec en échec, décimés par les « Patriotes, » haïs et jalousés de leurs propres alliés, jamais découragés, toujours prêts à mourir pour leur cause. A chaque étape, dans chaque ville qu’ils traversent, ils sont certains d’apercevoir, à l’appui d’une fenêtre ou sur le seuil d’une porte, un doux visage, aux lignes encore pures, qu’encadre une chevelure blonde mêlée de quelques fils d’argent. Parfois ils défilent devant elle, la saluent de l’épée, s’inclinent avec respect devant tant de fidélité, évoquent au fond de leur mémoire les héroïques chevauchées des grandes dames de la Fronde. Au bivouac, elle partage la table de Condé, cette table d’une frugalité légendaire, où se dressent, « en guise de surtout, deux boules noirâtres, qui ne sont autres que les miches de munition, » où fréquemment, ce pain lui-même manquant, on se contente pour tout souper d’un plat de pommes de terre[65]. Pour soulager tant de détresse, pour aider à payer la maigre solde de la troupe, elle abandonne peu à peu tous ses biens, vend ses diamans, son argenterie, ses souvenirs de famille. A ce métier, la ruine vient vite : quelques années après le début de la guerre, de ses dix-neuf cent mille livres de rente, il ne lui reste « pas un sol ; » l’héritière des Brignole est maintenant aussi pauvre que le dernier des Condéens.

La Révolution, comme on pense, n’a pas épargné la compagne de son plus irréconciliable adversaire. Sa qualité de princesse étrangère ne peut la sauver d’être inscrite sur la liste des émigrés. La Terreur va plus loin, et confisque tous ses biens en France ; le beau domaine de Betz est vendu aux enchères, ainsi que tout ce qu’il contient[66]. Encore, grâce à sa retraite lointaine, est-elle quitte à bon compte : la plupart de ceux dont elle porte le nom sont frappés de façon plus dure. Honoré III, arrêté comme suspect le 28 septembre 1793, n’est relâché qu’au bout d’un an, et meurt six mois après, des suites de sa captivité. Son fils aîné, le duc de Valentinois, également arrêté à Paris, passe plus de quinze mois en prison[67]. Son second fils, le prince Joseph, échappe au même sort par la fuite ; mais la jeune femme de ce dernier, la belle-fille de Marie-Catherine, cette délicieuse princesse de Monaco-Stainville, restée auprès de ses deux filles, paie de sa tête son amour maternel. Qui ne connaît les détails de sa fin, ferme et touchante jusqu’au sublime, son refus, « pour ne pas se salir d’un mensonge[68], » de se déclarer enceinte, sa lettre à ses enfans, d’une si noble éloquence, ses cheveux blonds qu’elle coupe avec un éclat de vitre, « de peur qu’ils soient souillés par la main du bourreau, » le rouge dont elle couvre ses joues pour en dérober la pâleur aux regards curieux de la foule, et les derniers mots qu’elle adresse, au pied de l’échafaud, à l’une des femmes à son service qui va y monter après elle : « Du courage, mon amie, il n’y a que le crime qui puisse montrer de la faiblesse » ? Ce meurtre s’accomplit le matin du 9 Thermidor ; elle a pris place dans la dernière charrette !

Plus heureuse que les siens, Marie-Catherine au moins traverse saine et sauve l’effroyable tourmente. L’éloignement, la rareté des nouvelles, l’exaltation guerrière entretenue par d’incessans combats, atténuent même sans doute, pour la poignée de fidèles qui suivent la fortune de Condé, l’horreur des événemens qui ensanglantent le sol de la patrie. C’est sur les bords du Danube qu’ils apprennent la mort de Louis XVI ; au camp de Steinstadt, près de la Forêt-Noire, celle du petit martyr du Temple ; ils proclament son successeur entre deux actions de guerre. En 1797, ils sont dans les steppes de Russie ; le bruit de la paix générale leur parvient, trois ans plus tard, au milieu des montagnes de Styrie. Pas un moment, Mme de Monaco n’a paru se lasser de cette vie errante, incertaine ; partout où le vieux prince a planté les piquets de sa tente, il Ta trouvée à ses côtés, vaillante, sereine, insoucieuse du lendemain. Lorsque enfin, en 1801, le licenciement du corps de Condé inaugure une ère de loisirs et de calme, l’Angleterre offre au couple inséparable un accueil hospitalier ; et Wanstead-House, nid de verdure au bord d’une fraîche rivière, abrite sous son toit modeste leur union cimentée par douze ans de misère.

L’existence de Wanstead-House est aussi heureuse qu’elle peut être après tant de désastres ; au moins est-elle unie et sans secousses. Tous deux vivent dans la solitude ; les « petits travaux du jardin » suffisent à leur activité ; après le souper tête à tête, le trictrac ou le loto occupent la fin de la soirée ; c’est la simplicité monotone d’un ménage bourgeois et rustique. Ils en jouissent comme d’une nouveauté ; et, sans porter leurs yeux au-delà de l’étroit horizon, appliquent volontiers à leur sort les belles paroles du sage : parva domus, magna quies, un grand repos dans une petite demeure. Seuls les soucis d’argent troublent cette quiétude. Des grandes richesses d’antan, rien ne leur est resté ; ils vivent de la maigre pension que fait aux princes du sang le gouvernement britannique ; elle est insuffisante pour deux. Afin d’arracher quelques livres de plus, il faut humilier son orgueil, implorer les ministres, marchander sou par sou, jurer « sur son honneur » que, faute de cette dernière ressource, le seul avenir possible est « de mourir de faim[69]. » En juin 1804, deux mois après la mort du duc d’Enghien, Condé en est réduit à demander à Pitt de reporter sur la princesse de Monaco une partie de la pension, désormais inutile, de son malheureux petit-fils. La lettre[70] est douloureuse à lire. C’est de la pauvreté l’effet le plus cruel, de briser le ressort des fiertés légitimes, de courber à la longue des âmes qui, sans faiblir, ont bravé les pires catastrophes.


X

La communauté de vie à Wanstead, la façon ouverte et publique dont Condé, dans ses lettres aux autorités anglaises, associe à son nom celui de la princesse, laissent assez prévoir le parti que se disposent à prendre ces amoureux septuagénaires. Déjà, en 1795, lors de la mort d’Honoré III, le bruit du mariage a couru dans l’armée condéenne[71]. La nouvelle était fausse. Si, comme il est à croire, le projet fut dès lors conçu, des motifs politiques en différèrent l’exécution pendant bien des années. La chose traîna même si longtemps que, lorsqu’elle arriva, personne n’y songeait plus, et que ce fut, à la Cour et dans le public, une surprise générale. Les scrupules religieux de Mme de Monaco sont le grand motif qu’elle invoque pour triompher des hésitations du prince et secouer sa longue inertie. Le visible chagrin dont elle souffre, la crainte de voir se rompre une intimité de quarante ans, le souvenir ineffaçable de son dévouement et de ses sacrifices[72], ne permettent pas à Condé d’ajourner davantage la satisfaction qu’elle implore. En décembre 1808, sa résolution est prise, et la date est fixée. Mais son orgueil redoute les sourires railleurs du public, les commentaires désobligeans sur cette réparation tardive. Aussi tous les préparatifs se font-ils « dans le plus grand secret. » Ses enfans eux-mêmes, écrit-il, ne devront rien savoir « qu’une fois la cérémonie faite. »

La lettre qu’il adresse au roi[73] pour obtenir son consentement est d’un ton noble et digne ; il en faut citer des extraits : « J’ai une permission à demander à Votre Majesté ; j’ose espérer qu’elle me l’accordera sans peine : c’est de me permettre d’épouser la veuve d’un prince souverain, duc et pair de votre royaume, la princesse douairière de Monaco. Notre bonheur mutuel y est attaché ; mais il n’échappera pas à Votre Majesté que cette union est trop convenable pour que les parties contractantes eussent l’air d’en rougir, en tenant le mariage secret, et en laissant croire que Votre Majesté n’y a consenti qu’à regret… » Il demande en conséquence une lettre publique du roi accordant à sa future femme le rang de princesse du sang, avec tous les honneurs qui y sont attachés. « Si Votre Majesté, ajoute-t-il, fait notre bonheur, j’ai l’honneur de la prévenir que notre intention, — la seule qui convienne à notre âge, — est que le mariage se fasse dans une chambre, et sans la plus petite cérémonie d’invitation. Tout sera prêt et conclu trois ou quatre jours après que j’aurai reçu la permission de Votre Majesté. Par conséquent cela ne passera pas la semaine de Noël. » La lettre se termine par cette déclaration qui, à soixante-douze ans, est d’assez fière allure : « Si l’on représentait à Votre Majesté ma démarche comme une retraite du service de sa cause, je désavoue d’avance cette interprétation ; car je suis prêt à partir le lendemain, soit pour l’Espagne, soit pour tout autre endroit, — sans en excepter la France, — où il plaira à Votre Majesté de m’envoyer ou de me mettre à sa suite. Je ne serais pas digne de celle que j’épouse, si je pouvais balancer un moment à remplir mon devoir. »

L’approbation sollicitée ne se fit pas attendre. Le courrier du lendemain apportait à Condé deux lettres de la main royale. Dans Tune, « c’est le roi qui parle et le fait d’un ton plus grave ; » il accorde son consentement, ainsi que les prérogatives attachées au rang de princesse du sang. La seconde lettre est « du parent, de l’ami du nouveau ménage, » qui s’exprime, dit-il, « à son aise ; » elle est cordiale, spirituelle, et quelque peu railleuse[74]. « Si nous sommes assez heureux, dit Louis XVIII en terminant, pour voir la fin de notre inaction, je suis bien certain que Madame la princesse de Condé attachera votre cuirasse, non sans émotion, mais d’une main assurée. » Cinq jours après, nouveau billet du Roi, adressé cette fois à Madame de Monaco[75] ; cette prose auguste est d’un aimable tour, on ne me reprochera pas d’en faire profiter le lecteur : « Ma cousine, c’est la première fois que j’écris à Madame la princesse de Monaco, et, Dieu merci, ce sera la dernière ; ainsi il faut bien employer le protocole dans toute sa rigueur. Je suis extrêmement sensible au remerciement que vous me faites ; je n’ai pourtant fait en cette circonstance qu’user de mon droit d’aînesse, et plût à Dieu que je l’employasse toujours aussi agréablement ! M. le prince de Condé sera, j’en suis sûr, heureux par vous ; vous le serez par lui ; et croyez, je vous prie, que cette idée contribue d’avance efficacement à ce bonheur particulier que vous voulez bien me souhaiter. Sur quoi, je prie Dieu qu’il vous ait, ma cousine, en sa sainte et digne garde. — Louis. »

Tout se passa suivant le programme arrêté. La bénédiction nuptiale fut donnée par l’évêque d’Uzès[76], le jour de Noël, à minuit, dans la chapelle de Wanstead, sans autre assistance que les quatre témoins[77]. Puis, dans la modeste demeure, tout reprit son train coutumier, et le triomphe de la morale fut discret, simple et silencieux. Le seul changement visible est que la nouvelle princesse de Condé doit désormais paraître quelquefois à la cour de Gosfield[78], où la famille royale lui fait le plus gracieux accueil. Mais sa santé déjà chancelante éloigne le plus possible ces occasions de fatigue, et, lorsque l’étiquette la contraint d’y faire un séjour, elle y mène une vie à part et volontairement retirée. « La voir, dit un contemporain, est une faveur dont peu de gens sont honorés. » Lord Jerningham, qui eut ce rare privilège, la dépeint[79] comme passant ses journées dans sa chambre, à demi couchée sur un large fauteuil, auprès d’un feu mourant, qui seul éclaire la vaste pièce. Condé, assis presque à ses pieds « sur un tabouret bas, » lui tient assidue compagnie, et ne la laisse que vers neuf heures du soir, pour faire « le loto du Roi. »

Les soins mutuels qu’ils se prodiguent sont véritablement touchans. Quand, en 1809, le prince souffre deux mois d’un grave accès de goutte, elle ne le quitte ni jour ni nuit ; elle se fatigue et se tourmente si fort, qu’elle en tombe malade à son tour ; et c’est alors lui qui la veille, s’installe à son chevet, et ne permet à nulle main mercenaire de lui rendre les soins que son état exige. A dater de cette époque, la santé de la princesse décline visiblement ; des douleurs vives, des fièvres persistantes, des bronchites répétées, ruinent peu à peu ses forces. Une crise plus violente éclate, les premiers jours de mars 1813. Ce n’est d’abord, croit-on, qu’un simple rhumatisme ; mais la poitrine se prend ensuite, et, malgré médecins et remèdes, il faut bientôt renoncer à l’espoir : « Tout, tout est perdu pour moi, écrit le prince au duc de Bourbon, et l’abondance de mes larmes ne me permet plus que de les verser dans le sein de mon fils ! » C’est elle, dans ces derniers instans, qui relevé son courage ; elle voit venir la mort avec douceur et fermeté, réclame d’elle-même, sans vaines terreurs, les secours de la religion, met ordre à ses affaires, et expire sans souffrances, le 28 mars au soir, la main dans la main de celui qui, pendant cinquante ans, fut sa seule affection et sa raison de vivre.

Les funérailles eurent lieu à Wimbledon, dans le comté de Surrey. Si peu somptueuses qu’elles fussent, elles dépassèrent encore les ressources de Condé : pour assurer aux restes de sa femme une sépulture convenable, le prince dut faire appel à la générosité du Régent d’Angleterre. Sur ce sol étranger, accordé par aumône, repose celle dont j’ai tenté de faire revivre les traits pâlis, à demi effacés. Son existence, qu’absorba tout entière un sentiment unique, ne fut que peu mêlée aux grands événemens de son temps ; sans ambition et sans intrigue, elle ne sut qu’aimer et souffrir, et sa figure mélancolique n’eût sans doute eu droit qu’au silence de la postérité. L’histoire cependant, — si peu qu’elle parle d’elle, — n’a guère épargné sa mémoire. Sans compter les pamphlets de la Révolution, qui la traînent dans la boue, beaucoup de ses contemporains, dans leurs souvenirs ou dans leurs lettres, accompagnent son nom d’épithètes flétrissantes. Le long scandale de sa liaison publique effarouche leur pudeur ; ses chagrins et son dévouement n’ont pu faire absoudre sa faute. Ceux qui liront ces lignes seront peut-être moins sévères. À cette victime des hommes, longtemps résignée, révoltée plus tard, mais jamais malfaisante et toujours malheureuse, qu’ils ne craignent point d’accorder un peu de pitié attendrie. L’indulgence n’est-elle pas souvent la meilleure forme de la justice ?


PIERRE DE SEGUR.

  1. Sources principales : Archives de Monaco, de Chantilly, de Beauvais, de Versailles. — Archives nationales. — Papiers de la famille d’Estampes.
  2. Mme la duchesse de Galliera.
  3. Célébré, le 17 septembre 1739, en l’église Saint-Frémon de Gênes.
  4. Gian Francesco de Brignole (1695-1760), frère du marquis, fut élu doge de Gênes le 4 mai 1746, et conserva ces fonctions jusqu’en 1749, où il fut nommé sénateur à vie.
  5. Elle était née Anna Balbi, et appartenait aussi à une famille de doges.
  6. Prince héréditaire de Monaco depuis 1701, mort le 21 février 1731, le dernier des Grimaldi qui ait régné à Monaco.
  7. Le 10 septembre 1720. L’abdication eut lieu en novembre 1733.
  8. Les archives de la principauté contiennent une intéressante correspondance de Mme de Staal-Delaunay au sujet de cette négociation.
  9. Souvenirs Inédits de la marquise de la Ferté-Imbault. Archives de la famille d’Estampes.
  10. Il venait à cette époque de faire un voyage dans sa principauté.
  11. Lettres de la princesse de Monaco. (Arch. de Monaco.)
  12. Fille unique de Mme Geoffrin (1715-1791). Ses papiers sont conservés dans la famille d’Estampes.
  13. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.
  14. Adrienne-Émilie-Félicité, fille de Louis-César de La Baume le Blanc, duc de la Vallière, et de Julie de Crussol d’Uzès. Elle épousa, à la fin de cette même année, le duc de Châtillon.
  15. Ministre de la maison du Roi depuis 1749.
  16. L’enveloppe porte ces mots, de l’écriture du prince : « Ce paquet appartient à Mme Anna Balbi de Brignole, de Gênes, et ne doit être remis qu’à elle en mains propres, ou à son ordre signé de sa main. A Paris, ce 19 juillet 1756. » (Arch. de Monaco.)
  17. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.
  18. Lettres de Chabrol. (Arch. de Monaco.)
  19. Lettres de Chabrol (Arch. de Monaco).
  20. Monaco, par G. Saige, 1897.
  21. Pièces du procès au Parlement de Paris. (Arch. nationales.)
  22. Lettres de la princesse. (Arch. de Monaco.)
  23. Honoré-Charles-Maurice-Anne, duc de Valentinois. La princesse eut un second fils, Joseph-Marie-Jérôme-Honoré, qui naquit le 10 septembre 1763.
  24. Lettres des 29 septembre et 1er octobre 1760. (Arch. de Monaco.)
  25. La princesse, en allant rejoindre son mari, laissait son fils à ses parens : « Je n’ai pas encore eu le courage, écrit-elle, d’annoncer mon départ à mon père. Maman aura moins de chagrin : je crois que mon enfant a pris la place que j’occupais dans son cœur. »
  26. La princesse de Condé, née Rohan-Soubise, était morte le s’mars 1760, après sept ans de mariage.
  27. Son père, le duc de Bourbon, était borgne, d’un accident survenu à la chasse, et tous ses enfans, légitimes ou bâtards, naquirent borgnes du même œil. (Mémoires de Mme de Genlis.)
  28. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault. (Arch. de la famille d’Estampes.)
  29. Propriété du prince de Monaco en Normandie.
  30. Lettres de la princesse de Monaco, de novembre 1762.
  31. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.
  32. La princesse était en ce moment à Gênes, dans sa famille.
  33. Déposition des témoins. (Arch. nationales.)
  34. Correspondance de Mme du Deffand avec Horace Walpole.
  35. La consultation de Tronchin est dans les pièces du procès.
  36. Déposition des témoins. (Arch. nationales.)
  37. « Ma fille n’est point légère, écrit la marquise à son gendre : elle vous aimait solidement. Découvrez-moi votre cœur ; si vous trouvez dans sa conduite quelque chose à réformer, confiez-le-moi. Mais, vous, n’avez-vous rien à vous reprocher ? Ce que vous me mandez me perce le cœur… Aurez-vous le courage d’ajouter à l’horreur qui m’accable, vous, mon aimable fils ? N’empoisonnez pas le peu de jours qui me restent à vivre ! » — Le marquis de Brignole était mort dans l’intervalle. Ses dernières lettres à sa fille témoignent de ses angoisses à son sujet : « J’ai tout lieu de craindre que vous ne soyez pas heureuse. Le silence que vous gardez me fait trembler que ce que j’ai toujours appréhendé de M. de Monaco ne fût vrai. »
  38. Première plainte de la princesse de Monaco. (Arch. nationales.)
  39. Le prince, pour intimider ces derniers, fit publier à nouveau un antique édit de la principauté, portant que les domestiques convaincus de faux témoignage devront être « promenés, montés sur un âne, par les voies publique ? , avec une rame sur l’épaule, et recevront deux fois le fouet en public. »
  40. Voici le billet du Roi à Choiseul, au sujet de cette affaire : « De Compiègne. 13 août 1770. Je vous renvoie le mémoire de M. de Monaco. Si on le communique au Procureur général, je crois qu’il pourrait le contredire en plusieurs points. Mais l’essentiel est le silence absolu qu’il promet et qu’il fera bien de tenir. Gardez le Mémoire au dépôt secret des Affaires étrangères. » (Arch. de Monaco.)
  41. Le prince de Monaco, si l’on en croit la princesse, songea à « faire jeter par force sa femme dans un carrosse » et à l’emmener à Monaco.
  42. Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault. — L’Espion anglais. — Mémoires du temps.
  43. Voici la lettre, pleine de doucereuse amertume, par laquelle le prince annonce à sa belle-mère l’issue du procès : « 14 janvier 1771. Madame votre fille vous fera sans doute part, ma bonne maman, du succès de ses vœux. Cet événement intéresse trop sa réputation pour que je puisse y être indifférent ; mais il ne change rien à mon état, puisque depuis six mois elle a abandonné sa maison et ses enfans. Cependant les jurisconsultes que j’ai consultés ont voulu que je fisse un acte à Monaco pour la rappeler à ses devoirs. Je ne me flatte pas que cela la détourne du mauvais chemin qu’elle a pris, et je crois qu’il ne nous reste plus d’autres ressources que de pleurer sur elle. » La marquise de Brignole répond à « son aimable fils » en se plaignant d’être la plus malheureuse des mères, et en reprochant à sa fille de l’avoir « moins considérée qu’une simple connaissance, puisque ce n’est qu’une fois l’affaire consommée qu’elle a appris ce qui faisait la nouvelle du public. »
  44. Une lettre de la princesse de Monaco au marquis de Castries, en date du 9 mars 1771, expose éloquemment sa douleur de cette privation : « La barbarie avec laquelle M. de Monaco me refuse constamment mes enfans me force, Monsieur, à vous importuner. Je vous demande en grâce d’obtenir de M. de M… que j’aie la satisfaction de les voir. J’ai écrit, depuis ma sortie du couvent, plusieurs fois à mon fils pour me procurer cette faveur, inutilement à la vérité, mais au moins on lui permettait de me répondre. Cette faible consolation lui a paru un trop grand bonheur pour moi. Il a eu la cruauté, depuis quinze jours, d’empêcher mon fils de me répondre, et il l’a poussée au point de défendre à son suisse de recevoir mes lettres, qui m’ont été renvoyées. J’aime trop tendrement mes enfans pour ne pas réclamer tous les droits que la nature me donne, et ne pas employer tous les moyens possibles de satisfaire le sentiment le plus cher à mon cœur. Vous êtes vous-même un père tendre, et devez juger aisément de ce que je souffre ! » Dans une autre lettre, elle rappelle que, quelques années auparavant, quand son fils aîné fut inoculé, elle s’était « enfermée avec lui pendant six semaines, malgré la défense des médecins. » Le prince ne vit pas une seule fois son fils, et, pour tout remerciement, dit ensuite à sa femme : « S’il lui était arrivé malheur, c’est à vous que je m’en serais pris. »
  45. Archives de Beauvais.
  46. Lettre du 7 décembre 1772 à Mme du Deffand.
  47. Correspondance de Grimm, de Bachaumont, etc.
  48. Née Gouffier.
  49. Correspondance de Mme de Bombelles (Archives de Seine-et-Oise). Je dois l’indication de ces lettres à l’obligeance de M. le comte Fleury.
  50. Née princesse Bathilde d’Orléans.
  51. Correspondance publiée par M. de Lescure. — Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.
  52. Correspondance de Mme de Bombelles. (Arch. de Seine-et-Oise.)
  53. D’après une tradition rapportée par le prince de Condé, le domaine de Betz aurait jadis abrité les premiers rois de France, Clotaire et Chilpéric.
  54. Le Gendre en fut l’architecte.
  55. Voir notamment les Jardins de Betz, poème, par Cerutti ; Paris, 1792.
  56. Auteur du Voyage d’Anarchasis (1715-1796).
  57. Archives de Beauvais.
  58. L’aîné, le duc de Valentinois, avait épousé en 1776 la fille unique du duc d’Aumont, héritière des Mazarin. Le cadet, le prince Joseph de Monaco, s’allia en 1782 à la fille du comte de Choiseul-Stainville.
  59. Correspondance du prince de Condé avec la princesse de Monaco. (Arch. de Beauvais.)
  60. Lettres de 1787 et 1788. Ibidem.
  61. On peut consulter notamment le récent et consciencieux ouvrage de M. R Bittard des Portes — Paris, 1896.
  62. Mémoires inédits du comte d’Espinchal.
  63. Souvenirs de M. de Romain.
  64. Près d’Ems, sur la Lahn. — Poésie et Vérité, par Gœthe.
  65. Histoire de l’Armée de Condé, par R. Bittard des Portes.
  66. Le procès-verbal de la vente est aux archives de Beauvais.
  67. Monaco, par G. Saige, 1897.
  68. Lettre de la princesse J. de Monaco à Fouquier-Tinville. (Arch. nationales.)
  69. Lettre du prince de Condé. (Arch. de Chantilly.)
  70. 22 juin 1804. Ibidem.
  71. Voir la lettre du duc d’Enghien, citée dans la Revue des Deux Mondes du 15 février 1898 : la Dernière des Condé.
  72. Lettres de Condé. (Arch. de Chantilly.)
  73. 17 décembre 1808. Ibidem.
  74. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 février 1898.
  75. 23 décembre 1808. (Arch. de Chantilly.)
  76. M. de Béthisy.
  77. Les deux enfans du prince de Condé reçurent la nouvelle du mariage le lendemain de la cérémonie. Voici la lettre par laquelle le prince fit part de la nouvelle à sa fille, la princesse Louise : « 24 décembre 1808. — Vous êtes une trop bonne fille, ma chère enfant, pour n’être pas bien aise de mon bonheur. Je vais épouser, par permission du Roi, la personne que j’aime le plus, et le Roi, avec toutes ses grâces ordinaires, lui assure, à cette occasion, le rang, les droits des princesses du sang. Toutes les précautions sont prises, en nous mariant séparés de biens, pour que nos enfans ne puissent jamais avoir la moindre contestai ion ensemble après notre mort. Je reçois votre compliment d’avance, et je ne doute pas que vous fassiez le vôtre, avec votre grâce ordinaire, à la femme que j’épouse. Le mariage va se faire dans la chapelle de Wanstead, sans la plus petite cérémonie ni invitation. Je vous embrasse. » (Arch. de Chantilly.)
  78. Séjour de Louis XVIII jusqu’en 1811, où il se fixa à Hartwell.
  79. The Jerningham letters, publiées par Egerton Castle.