Meschacébéennes/À M. Adrien R***, IV
Assument pennas, sicut aquilae, volabunt,
et non deficient.
(ISAIE, 40.)
Oui, nous fuirons un jour la sombre Nécropole !
Nous irons, voyageant de l’un à l’autre pôle.
Comme l’errant Humboldt et Victor Jacquemont,
Au creux de tout volcan, au sommet de tout mont,
Nous oserons monter et nous voudrons descendre :
Des vieilles nations nous foulerons la cendre.
Oh ! nous retrouverons, au lointain Orient,
Les pas de Lamartine et de Chateaubriand.
Nous verrons la cité, Médine impérissable,
Le grand désert, vêtu de son manteau de sable,
Et le Calvaire saint que Klopstock a chanté,
Et le Jourdain tari comme un ruisseau d’été.
Oui, quand vibre ta voix, chaude de poésie,
Mon âme te répond, d’émotion saisie,
Et je me dis : « C’est bien, le poëte a raison ! »
Mon cœur tressaille encor de ta comparaison :
« Peuple, lève les yeux, le couple d’aigles passe :
» Il va de monde en monde et d’espace en espace ! »
Paisibles habitans, restez, restez ici :
A nous, Gènes, Venise, Ischia, Portici !
Silence ! vieux colons, plus rien ne nous arrête ;
A vous un coin de terre et le monde au poëte !
Silence ! c’est l’instinct qui l’entraîne sans frein,
C’est son bonheur à lui qu’une quille d’airain
Sur l’abîme houleux jetant un blanc sillage :
Oh ! Messieurs, il est beau qu’un jeune homme voyage !
Non, ne l’arrêtez pas ; laissez, laissez partir ;
Il vous rapportera quelque grand souvenir :
Près du pin embrasé, quand le coup de nord gronde,
Il vous racontera les choses du vieux monde ;
Oui, fier, il vous dira, d’un accent imprévu,
Tout ce qu’il ressentait et tout ce qu’il a vu.
Laissez, laissez ; je veux réaliser mon rêve :
Un invisible bras m’emporte et me soulève ;
Il faut pour alléger le poids de mes ennuis
La zone italienne aux amoureuses nuits !..
Adieu tout ce qu’on aime et tout ce qu’on regrette !
Est-ce ma faute, à moi, si l’instinct m’inquiète,
Si Lutèce toujours m’apprête un repentir ?
A peine débarqué, si je veux repartir ?
Est-ce ma faute, dis, homme insensible et sage,
Réponds, si je ne suis qu’un oiseau de passage,
A mon aile s’il faut, à chaque nouvel an,
Un nouveau point du globe où tende son élan !…
Juin 1837.