Meschacébéennes/À Mademoiselle N. D., de Nantes

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Librairie de Sauvaignat (p. 95-98).


 
Frêle oiseau qu’emportait, au hasard, la tempête,
Loin des tièdes climats,
Lorsque mon aile était à faiblir toute prête,
J’aperçus un trois-mâts.

D’un vigoureux effort, je m’élance, je vole
Aux vergues du vaisseau,
Et j’y dors, comme si de la forêt créole
C’était un arbrisseau.


Le navire grondant en trente jours arrive,
M’emportant endormi :
Je m’éveille…ô bonheur ! c’est le ciel, c’est la rive,
Le port d’un peuple ami !

Et tout émerveillé de ce lointain voyage,
Abreuvé d’un air pur,
D’une aile indépendante, au-dessus du nuage,
Je me perds dans l’azur ;

Dans l’espace sans fin, comme dans mon domaine,
Libre d’un long repos,
De l’un à l’autre bout du ciel je me promène
Et plane sur les flots ;

Et puis je redescends de l’abîme des nues,
Sur de rians coteaux,
Mêlant un cri sauvage à des voix inconnues
D’harmonieux oiseaux ;

Et de bonheur ému, sur la rive étrangère,
Oublieux exilé,
Loin des bayous aimés de ma belle pinière,
Je semblais consolé ;


Et tout me souriait…je me sentais à l’aise,
Hôte d’un nouveau sol,
Quand soudain, à mes yeux apparaît d’un mélèze
Le lointain parasol…

Je tressaille…et tendant mes deux ailes rapides,
D’extase transporté,
Je vole au dôme vert de l’arbre des Florides,
Du Bayou-Liberté !

Et j’aspire, enivré, son parfum de résine,
Haletant, éperdu,
A son feuillage aimé qui mollement s’incline
Je reste suspendu !

Il me semble revoir ma belle Louisiane !
Bercé d’un songe vain,
Je crois dormir encor sur la verte liane,
A l’ombre du ravin…

Et puis…mon front retombe, avec mélancolie,
Comme un roseau mouvant,
Comme une fleur des bois qui se penche, qui plie
Sous l’haleine du vent.


Et je rêve attristé !…plus rien ne me console.
Mélancolique oiseau,
Je semble, aux pieds de l’arbre, où mourant je m’isole
Implorer un tombeau.







Paris, juillet 1838.