Encyclopédie théologique/Morale/Adultere

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Texte établi par Jacques-Paul MigneAteliers catholiques du petit Montrouge (Ip. 72-75).
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ADULTERE.

L’adultère est le crime de ceux qui violent la foi conjugale.

1. Deux mots latins, ad et alter, d’où sont dérivés altération et adultération, sont la racine de ce mot, qui s’applique à la violation de la foi conjugale, pour laquelle les Grecs avaient celui de μοιχεία, dont les Latins avaient fait leur mœchia, que nous n’avons pas francisé. Les jurisconsultes ne donnent ordinairement le nom d’adultère qu’à l’infidélité d’une personne mariée ; mais les théologiens appellent aussi adultère le crime d’une personne libre qui pèche avec une personne mariée, parce que l’une et l’autre coopèrent à la violation de la foi jurée ; si tous deux sont mariés, c’est alors un double adultère.

L’adultère est un des crimes les plus propres à jeter le trouble dans l’ordre social, moral et religieux. Aussi chez tous les peuples on s’en est préoccupé au point de vue de la législation, de la religion et des mœurs. Pour donner à cette matière tous les développements qu’elle demande, nous la considérerons, 1° sous le point de vue politique et civil ; 2° sous le point de vue religieux et chrétien.

ARTICLE PREMIER.
De l’adultère considéré dans ses rapports civils et politiques.

2. Nous ne connaissons qu’un seul peuple de l’antiquité qui ait regardé, dans sa législation, l’adultère comme chose indifférente. Lacédémone, d’après la loi de Lycurgue, avait déclaré que tous les enfants appartenaient à l’Etat qui les élevait et les dotait à ses frais. De là résultait la destruction de la famille et une espèce de communauté de femmes. Dans une telle constitution l’adultère ne pouvait guère être réprouvé, mais à part ce seul peuple civilisé, on ne trouve l’adultère toléré par l’usage que chez quelques peuplades sauvages. Même chez les peuples polygames, qui devraient paraître moins sévères sous le rapport de la pureté du lit nuptial, l’adultère est puni. Ainsi, par exemple, si l’adultère n’est puni que d’une amende à Siam, il est frappé de mort chez les Tucopiens, les Botoumayens, les Nubiens, les habitants de Bornou, etc. Il est réprimé plus ou moins sévèrement par les Nouveaux-Zélandais, les Hottentots et les naturels de Taïti. Chez les Battas, peuple de cannibales habitant l’intérieur de Sumatra, le complice d’une femme adultère subit la loi du vaincu, et sert de proie vivante à la vengeance et à l’appétit carnassier de l’offensé et de ses parents.

3. La loi de Moïse condamne à mort les adultères de l’un et l’autre sexe ; elle n’exempte pas de la peine le coupable non marié. Les Grecs et les barbares de l’antiquité avaient des magistrats spécialement chargés de veiller à la pureté des mœurs des femmes ; les premiers Germains appelaient mundeburdium cette espèce de tutèle. La loi des douze tables interdisait l’adultère ; on n’en connaît pas la pénalité. On présume que c’était la relégation, car l’inceste n’était puni que de la déportation. Les mœurs étaient si corrompues sous Auguste qu’on le pressa de faire des lois plus sévères contre l’adultère : « Faites comme moi, dit-il aux sénateurs, corrigez vos femmes. » Il ne dit pas l’espèce de correction qui lui avait bien réussi. Tibère établit un tribunal domestique. Montesquieu trouve que l’institution en était admirable, en ce qu’elle inspirait la crainte salutaire d’être à la première faute traduit publiquement devant un tribunal. Antonin ordonna que le mari qui déposait une plainte d’adultère contre sa femme devait être exempt de reproche sur ce point. Plus tard il fut ordonné aux époux malheureux de dénoncer les désordres de leurs femmes.

4. Les lois des peuples modernes réprouvent toutes l’adultère. Cependant leur législation a un caractère tout spécial ; c’est qu’au lieu de regarder l’adultère comme un crime contre la société, elle tend à ne le regarder que comme un tort contre le conjoint. – En Angleterre, par une pruderie de langage bien étrange, l’adultère se nomme criminal conversation ; une forte amende quelquefois l’exil, en constituent la pénalité. Les lois françaises n’ont pas toujours admis la même pénalité contre l’adultère. Avant la première révolution, les femmes adultères pouvant payer pension étaient renfermées pour deux ans dans un monastère ; elles étaient forcées d’y passer leur vie si leur mari refusait de les reprendre. Si le mari était pauvre, la femme pouvait être renfermée dans un lieu de refuge comme les filles débauchées (Courtin, Encyclopédie moderne). Le Code pénal de 1791 avait gardé le silence sur ce crime. Le Code Napoléon qui régit la pénalité actuelle a réparé cette omission. Il établit une différence entre l’homme et la femme adultère, fondé sans doute sur ce que l’infidélité du mari ne fait à la personne associée à son sort qu’un tort passager, tandis que l’adultère de la femme peut avoir des conséquences durables et permanentes en introduisant dans la famille des enfants qui lui sont étrangers. C’est sur ce motif que la loi déclare que l’adultère de la femme, sans en spécifier l’espèce, suffit pour demander la séparation de corps (Cod. civ., art. 299). Il exige que le mari ait tenu une concubine dans sa maison pour que la femme puisse demander cette séparation (Art. 230). Voy. Séparation de corps. La femme qui est convaincue d’adultère est condamnée à la réclusion dans une maison de correction, pour un temps déterminé, qui ne peut être moindre de trois mois, ni excéder deux années. Toutefois le mari reste maître d’arrêter l’effet de cette condamnation en consentant à reprendre sa femme (Code pénal, art. 337 Code civil, art. 308, 309). Le mari qui est convaincu d’avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale est puni d’une amende de cent francs à deux mille francs (Code pénal, art. 239). Le complice de la femme encourt la même amende, et subit de plus l’emprisonnement de la femme (Code pénal, art. 338 ;. – Ce qui nous montre que la loi française semble aussi mettra l’adultère au rang des crimes qui n’intéressent que le conjoint et non la société, c’est l’article 336 du Code pénal qui déclare que l’adultère de la femme ne pourra être dénoncé que par le mari, qui ne peut jouir de cette faculté s’il tient une concubine dans la maison conjugale (Code pénal, art. 399). Le mari tenant une concubine dans la maison conjugale ne peut être poursuivi que sur la plainte de la femme (Art. 339). La législation française, en ne regardant l’adultère que comme un crime purement relatif au conjoint, tombe dans une très-grave erreur ; il suffit d’en examiner les effets pour comprendre qu’il a une très-grande influence sur l’ordre social tout entier.

5. L’adultère produit les plus grands maux ; il trouble la famille, y apporte une guerre intestine. C’est de là que naissent les divisions éclatantes, les séparations scandaleuses, les diffamations réciproques, les haines déclarées entre les familles. À quels excès n’est pas capable de se porter la fureur de l’homme trompé dans son honneur, dont le cœur est brisé dans ses affections les plus chères ? La loi a si bien compris l’effet que l’adultère doit produire sur l’époux innocent, qu’elle déclare excusable meurtre commis par le mari sur sa femme surprise en flagrant délit d’adultère (Cod. pén., art. 324). Qui pourrait énumérer les forfaits que l’adultère a fait commettre ? Il a mis le poignard assassin entre les mains de l’époux ; placé entre les doigts de la femme, trop faible pour saisir le poignard, une coupe pleine d’un poison homicide. Voyez encore ces enfants dont le cœur est brisé, n’osant demander où est leur père, craignant d’aller se jeter entre les bras de leur mère. Après ces grands maux, parlerons-nous de l’incertitude jetée dans les fortunes du vol commis par les enfants adultérins sur les enfants légitimes ? Ah ! malheur à l’époux infidèle, et mille fois malheur à l’épouse adultère !

6. Le moraliste ne doit pas seulement montrer la gravité du mal ; il doit aussi en rechercher la source et indiquer les remèdes qu’on peut lui appliquer.

Sans doute, la source primitive et originelle du mal se trouve dans cet entraînement de la nature qui porte les sexes l’un vers l’autre ; dans la corruption que le péché originel a mis dans notre cœur. Le mariage ayant été établi pour remédier à cette corruption et pour satisfaire cet entraînement, il semble que dans l’union de deux époux le penchant devrait être, sinon détruit, du moins affaibli. Mais il y a des causes qui sont le fait des hommes. Nous en trouvons dans l’éducation et dans la manière dont se font les mariages.

7. Quels sont les principes de l’éducation d’une jeune personne ? Cherche-t-on à lui inspirer la retenue, la modestie ? Non. On veut que les femmes soient des objets de séduction pour les sens bien plus que pour l’esprit et le cœur. On orne leur esprit de choses frivoles, on met entre leurs mains le roman et le feuilleton. Mais si on prétendait en faire des femmes perdues, s’y prendrait-on autrement ? « Que diriez-vous, disait Voltaire, d’un maître à danser qui aurait appris son métier à un écolier pendant dix ans, et qui voudrait lui casser la jambe parce qu’il l’a trouvé dansant avec un autre ? » L’éducation est donc une des principales sources du mal. Nous disons que la manière dont se font les mariages n’est pas une cause moins importante. Qu’est-ce qui préside actuellement aux unions matrimoniales ? Est-ce la sympathie de l’esprit et du cœur ? Avant de consommer une aussi hardie entreprise, examine-t-on sérieusement la conduite, le caractère des personnes ? Point du tout. On met sur la balance l’emploi, la fortune. S’il y a beaucoup d’or, tout est pour le mieux. De là il arrive qu’un homme blasé sur tous les plaisirs s’arrête un instant sur l’objet qu’il a pris pour épouse, vole bientôt à d’autres objets. Une femme, ne voyant dans celui qu’on lui a donné pour mari ni rapport d’âge, ni sympathie du cœur, cherche ailleurs des plaisirs qu’elle ne trouve pas avec celui qui lui a été choisi pour époux. Elle déserte l’autel conjugal pour aller sacrifier sur un autel étranger.

Les remèdes à un si grand mal seraient, 1° dans une réforme complète des principes de l’éducation. Que l’éducation soit plus sérieuse, surtout plus religieuse ; qu’on ôte de la main du jeune homme et de la jeune fille le roman et le feuilleton, pour les accoutumer à mener une vie constamment occupée, on aura fait beaucoup pour les bonnes mœurs. Nous ne parlons pas des mariages, ils auront un article particulier.

Nous croyons aussi que si la loi était plus sévère, que si le crime prenait un caractère social, qu’il fût poursuivi comme le vol ce serait encore mettre un obstacle sérieux au débordement des mœurs. On ne tolère pas un vol public ; pourquoi tolère-t-on les adultères publics ? C’est avec raison que Montesquieu loue le tribunal domestique établi chez les Romains. S’il remplissait bien le but de son institution, il devait empêcher bien des adultères.

ARTICLE II.
De l’adultère considéré sous le point de vue religieux et chrétien.

8. La religion n’a jamais eu assez d’anathèmes pour poursuivre l’adultère. On est effrayé de la pénalité portée par les canons pénitentiaux contre ce crime. Quinze ans d’une pénitence sévère, dont la plus grande partie passée au pain et à l’eau, et puis des aumônes, des prières, des mortifications, la privation de la communion pendant toute sa vie. Aujourd’hui que nous sommes habitués à faire de petites pénitences pour les plus grands péchés, nous sommes étonnés d’une telle sévérité. Nous ne le serions pas, si nous mesurions l’offense sur la grandeur et la sainteté de Dieu. Dans la suite, la discipline


de l’Eglise s’est montrée moins sévère ; mais elle a eu soin de rappeler ses anciens canons sur l’adultère et de mettre ce péché au nombre des cas réservés, pour apprendre aux confesseurs que c’est l’un de ces crimes qui doivent fixer leur attention d’une manière toute spéciale. Si aujourd’hui les évêques de plusieurs diocèses ont cessé de le porter sur la table de leurs cas réservés, c’est sans doute parce que malheureusement ce péché est devenu trop commun.

Dans l’article précédent, nous avons fait connaître les funestes effets qui peuvent suivre de l’adultère nous voulons ici en étudier les conséquences, 1° par rapport aux époux 2° par rapport aux coupables 3° par rapport à la famille.

§ 1er. Conséquences de l’adultère par rapport aux époux.

9. L’injure causée par l’époux coupable à l’époux innocent est tellement grave, que les politiques et les hérétiques se sont demandé si le lien le plus puissant et le plus auguste qui puisse unir un homme à une femme n’en était pas rompu. Au mot Divorce, nous montrerons ce qu’il faut penser de leur opinion. Mais ce qui est incontestable, c’est qu’elle produit le pouvoir de la séparation et que quelquefois elle la nécessite. Cette question se présentera au mot Séparation.

§ 2. Conséquences de l’adultère par rapport aux coupables.

10. Lorsque deux personnes ont eu le malheur de se laisser entraîner au crime d’adultère, il se forme entre elles un lien, un attachement particulier, qui peut avoir les conséquences les plus funestes. Le désir de s’épouser peut les porter au crime. C’est donc avec beaucoup de sagesse que l’Eglise, voulant couper le mal jusque dans sa racine, a établi un empêchement dirimant de mariage entre les personnes qui ont commis le péché d’adultère en se promettant le mariage. Cet empêchement est connu sous le nom du crime. Nous lui consacrons un article particulier. Voy. Crime, nos 6 et 7.

§ 3. Des conséquences de l’adultère par rapport à la famille.

11. L’adultère peut introduire dans la famille une personne étrangère, qui vient prendre la nourriture qui appartient aux enfants légitimes, et partager avec eux le bien que leur laisse l’époux dont il est seulement le fils putatif. De là naît l’obligation de restituer.

12. Lorsqu’il est certain qu’il est né un enfant d’un commerce adultérin, le père naturel de cet enfant et la mère sont obligés solidairement de réparer le tort causé à l’époux et aux enfants légitimes. Le père manquant à sa part de restitution, elle incombe entièrement sur la mère, comme celui-là est tenu de réparer tout le dommage si la mère s’y refuse.

Il est aisé d’établir le principe, mais il est souvent plus difficile de l’exécuter ; car la mère n’ayant pas la libre disposition des biens de la communauté, comment peut-elle faire pour indemniser son époux et les enfants légitimes ? Ou peut faire plusieurs hypothèses. Ou elle a des biens dont elle puisse disposer, ou elle n’en a pas. Si elle a des biens dont elle puisse disposer, elle peut avantager ses enfants légitimes, soit par des dons manuels, soit par acte testamentaire. Si cependant une restitution par acte authentique devait trahir le mystère, nous croyons qu’il y aurait trop d’inconvénients à forcer une femme à recourir à ce moyen. Il faudrait se contenter de restitutions manuelles. Si la femme n’a pas de biens dont elle puisse disposer, le cas devient plus embarrassant. Trois moyens ont été proposés par les docteurs. Travailler avec ardeur, se retrancher sur la toilette ; en un mut, économiser sur toutes les dépenses que le rang et la condition permettent à une femme. Ce moyen est excellent mais il sera souvent insuffisant. Le second moyen est d’engager le fils adultérin à se faire religieux. Mais, pour se faire religieux, il faut de la vocation, et d’ailleurs, aujourd’hui, dans notre France, les institutions monastiques sont si peu nombreuses, que ce moyen est à peu près illusoire. Quelques docteurs ont indiqué un troisième moyen c’est que la mère déclare à l’enfant adultérin sa criminelle origine, et le détermine à renoncer à sa part d’hérédité. Toutes les règles du droit disent que le fils n’est point obligé de croire sa mère ; parce que, comme le remarque Azor, après les jurisconsultes romains sur la loi Filium, au digeste, De his qui sunt sui vel alieni juris semper prœvalet factum matrimonii, nisi quando evidenter constiterit conceptio ex adulterio. Dans ces circonstances, il ne reste d’autre ressource à la mère coupable que de faire pénitence de son crime ; de réparer le tort fait à son époux par une plus vive affection et des soins plus tendres.

13. Dans le doute si l’enfant est né du commerce adultérin ou du commerce légitime, les théologiens pensent communément qu’on doit présumer en faveur de la légitimité. In dubio melior est conditio possidentis. Or, la possession est ici en faveur de l’époux.

14. Quelques casuistes ont demandé s’il faut mettre au rang du péché d’adultère le crime d’une femme qui s’abandonne à un autre homme avec la permission de son mari. Une telle concession est un crime ; elle pourrait peut-être dispenser la femme de la restitution, mais jamais elle ne pourra changer la nature du péché. Une femme mariée, dit l’Apôtre, est liée par la loi du mariage à ton mari tant qu’il est rivant mais une fois qu’il et mort, elle est dégagée de la loi qui la liait d son mari (Rom. vii).