Encyclopédie théologique/Morale/Luxure

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Texte établi par Jacques-Paul MigneAteliers catholiques du petit Montrouge (IIp. 116-121).
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LUXURE.

1. La passion la plus générale et la plus forte, la plus séduisante et la plus dangereuse, la plus douce en apparence et la plus violente en effet, c’est l’amour, l’amour charnel. Puissions-nous le caractériser convenablement, en faire comprendre l’étendue, en développer les excès, et lui appliquer des remèdes convenables !

2. L’amour est de tous les âges. Dès la première enfance avant l’âge de raison, l’enfant est sollicité par la nature corrompue à des actes d’indécence. On ne peut avoir


fait un pas dans la vie, suivi un instant l’enfance, sans en être convaincu. Si nous osions rapporter ce que nous savons sur ce point, on serait autant étonné qu’effrayé des actes auxquels des enfants de quatre ans se sont laissé entraîner. Quelques-uns ont épuisé leurs forces, ruiné leur tempérament. Nous rappelons ces faits pour éveiller la vigilance des parents et des maîtres, qui s’endorment trop facilement sur ce sujet. L’amour existe aussi dans les glaces de la vieillesse. Il y a des vieillards à cheveux blancs qui ressemblent à ces montagnes volcanisées, dont le sommet est couvert de neige. Elles recèlent dans leur sein les brasiers les plus ardents. L’âge où l’amour s’exerce avec le plus de violence est l’âge de puberté. Il se présente alors sous mille formes. Tout semble l’insinuer la belle nature, l’harmonie, les jeux, les spectacles, lui servent d’aliment.

3. L’amour se cache sous le voile de la douceur c’est un fruit agréable à la vue, mais qu’il est amer au goût ! C’est un poison qui dévore, un feu qui consume, un vin qui enivre les plus forts. Celui qui est assez insensé pour s’abandonner à ses fureurs est perdu tout entier. Voyez ce squelette ambulant, dont les yeux sont renfoncés, les joues creuses la bouche livide dont tout l’être fait naître le dégoût:c’est une victime de l’amour. Voyez cet homme dont l’esprit est agité, inquiet, affaibli ; une seule pensée l’occupe, le possède, le poursuit, c’est une pensée impure. Ses affaires languissent, sa fortune se dissipe, sa vivacité s’éteint, la folie le gagne ; c’est encore une victime de l’impureté. Voyez enfin cet homme sombre et rêveur ; il avait reçu de la nature un cœur excellent, des inclinations heureuses. Aujourd’hui il n’a plus un sentiment élevé, un moment de bonheur il est régenté par un tyran qui le tourmente, l’abaisse, l’avilit, le martyrise. Ce tyran est encore l’amour. Hercule file lâchement aux pieds d’Omphale, Samson livre sa tête à Dalila, Salomon perd toute sa sagesse au milieu des femmes étrangères.

4. Cependant l’amour peut être légitime; Dieu l’a consacré à la conservation de l’univers. Lorsqu’il est avoué par la raison, que dans une union sainte et consacrée par la religion, il a pour but les fins du Créateur, non-seulement il n’est pas un mal mais il est un devoir qui doit régner en maître entre les époux. Nous tracerons les qualités de l’amour conjugal en traitant de la chasteté des époux. Ce n’est pas de cet amour que nous voulons actuellement nous occuper. Nous flétrissons l’amour illégitime qui cherche à se produire en dehors d’une union sainte.

Pour apprécier convenablement l’amour nous rechercherons quelles en sont les causes et ses remèdes. Nous nous en tenons à ces considérations générales, parce que nous consacrerons un article particulier à chacune des espèces de péché de luxure. Voy. Adultère, Fornication, Pollution, Sodomie, Tactus impudici, Debitum comjugale, Délectation morose.. Nous prions instamment le Seigneur qu’il daigne diriger lui-même noire plume, afin de ne pas blesser les oreilles pieuses.

5. Des sources de l’impureté et des remèdes qu’on peut leur appliquer. — Les causes de l’impureté sont infinies. Elle naît souvent des objets qui semblent avoir le moins de rapport avec elle. Les moralistes ramènent ordinairement toutes les sources d’impureté aux pensées, aux désirs, aux regards, aux paroles, aux actions. Cette division nous paraît convenable ; elle envisage l’impureté dans tous ses degrés. Elle remonte à la source du fleuve et le suit jusqu’à la mer corrompue où il va se jeter.

I. Des pensées comme source d’impureté et des remèdes à leur appliquer.

6. Le christianisme a pénétré toute la profondeur de la nature humaine ; il a compris qu’il ne suffit point de condamner le vice et les actes contraires à la loi ; qu’il faut en tarir la source pour cela il a remonté jusqu’aux pensées. La pensée est en effet le premier mobile de nos actions c’est elle qui fait naître le désir, qui donne l’impulsion aux principes qui produisent les actes libres. Qu’est-ce qu’une action ? ce n’est qu’une pensée réalisée. Les pensées ont donc une très-grande influence sur l’homme s’il était possible de connaître celles dont une personne se nourrit habituellement, il serait facile de connaître ses actes les plus ordinaires.

Si toutes les pensées ont une grande influence sur les déterminations de l’homme, il n’en est point qui aient une plus grande puissance que les pensées impures. Elles ont un attrait tout particulier, leur douceur est enivrante, leur voix est celle d’une sirène enchanteresse. Elles excitent des émotions suaves, font bondir le cœur, lancent le feu dans les veines, peignent les images les plus délirantes. Rien n’échappe à la pensée : ni les détours, ni les désirs, ni les mouvements du cœur, ni les impressions du corps, ni les actions les plus insensées.

De semblables pensées, lorsqu’elles sont la nourriture habituelle du cœur, sont un indice presque certain de chutes déplorables. Un ange du ciel ne pourrait résister à un semblable danger comment l’homme, faible, débile pourrait-il se soutenir en augmentant sa faiblesse ? Il sera certainement vaincu, s’il se livre à de semblables pensées. Au point de vue rationnel, aussi bien qu’au point de vue religieux et moral, la pensée impure librement acceptée est donc une grande faute. Celui qui se nourrit d’images lascives, qui se repaît de pensées impures, est coupable d’un grand péché.

8. Je sais qu’on apporte pour excuse l’impossibilité de tarir la source des pensées impures qu’elles s’imposent aux âmes chastes, qui les ont en horreur, et qu’étant involontaires elles ne peuvent être une faute. Il est cartain que si elles sont réellement involontaires, elles n’imposent aucune responsabilité. Quoiqu’il nous soit impossible d’entrer dans la conscience d’un homme pour le juger, nous croyons cependant devoir observer qu’il y a sur ce point beaucoup d’illusion. Nous allons tracer la conduite que doit tenir toute personne sincèrement amie de la pudeur. Chacun pourra voir s’il l’a suivie, et possédera un moyen de juger ses pensées.

Premier remède contre les pensées impures.

9. Le premier remède, qui est le plus important de tous, qui s’étend à toutes les vertus aussi bien qu’à la pudeur, c’est de s’habituer à réfléchir sur ses pensées. L’homme qui a assez de fermeté d’âme pour repousser de son esprit toutes les pensées oiseuses, les imaginations futiles et dangereuses, s’ouvre la carrière du véritable mérite. En s’appliquant la méditation des vérités sérieuses, en recherchant l’utile, même dans les récréations, les pensées s’agrandissent, les puissances de l’âme se fortifient. C’est l’habitude des réflexions utiles qui a fait les grands hommes. Si, contre notre désir, notre imagination s’échappe encore, si elle voltige sur mille objets séduisants, ayons des moments marqués pour nous interroger nous-mêmes demandons-nous compte de nos pensées. Si notre conscience nous atteste que nous n’aurons pas lieu d’en rougir en présence de l’univers assemblé, soyons en paix ; si elles ont pour objet ce qu’il serait honteux de faire ou de regarder, repoussons-les de notre esprit. Je sais que cette tâche sera souvent difficile. Les pensées mauvaises nous poursuivent sans cesse, s’attachent à nos pas, marchent à nos côtés. Pour les repousser avec succès, il faut avoir recours au

Second remède.

10. Pour prêter un appui au premier remède, il est nécessaire d’en employer un second il faut être constamment occupé. Malheur à ceux dont les jours se passent à rien faire ! qui vivent dans une habitude de dissipation, qui ne s’occupent que de plaisirs passés, qui en recherchent sans cesse de nouveaux ! Les pensées vaines pénètrent dans leur esprit, l’occupent tout entier ; elles le nourrissent de fantômes : comment les plaisirs sensuels et les appétits de la chair ne feraient-ils pas sentir leurs aiguillons ? La passion pénètre par toutes les voies ; comment les pensées seraient-elles pures ?

Lorsqu’on est occupé de choses sérieuses, que l’esprit y est sincèrement appliqué, les pensées étrangères ne peuvent se montrer avec la même énergie, ni avec la même insistance. C’est de là que vient cette maxime Diabolus irivenia ! te semper occupatum. Dans une vie bien remplie, les pensées mauvaises trouvent peu d’espace pour se faire jour le démon est vaincu.

Il y a des moments d’un repos nécessaire. Pour les âmes livrées aux pensées mauvaises, il faut que les récréations elles-mêmes soient une occupation. Cette occupation ne sera pas fatigante, mais elle devra remplir l’esprit. L’homme de cabinet trouvera dans les arts d’agrément dans l’exercice honorable de ses facultés corporelles, en cultivant des fleurs, etc., un délassement qui lui procurera de bien douces jouissances. L’hommede peine se livrera à une lecture sainte, à une conversation sage et utile ; il puisera dans cet heureux repos des forces nouvelles pour continuer son travail.

Les pensées impures font souvent invasion pendant la nuit. Dans les moments d’insomnie, les âmes véritablement amies de la pudeur se rappellent les occupations du jour, se livrent à la méditation de vérités sérieuses, ou bien récitent des prières vocales ; elles font ainsi une sage diversion.

Troisième remède.

11. Les pensées mauvaises résistent quelquefois à toutes les occupations. Saint Jérôme, dans la solitude de Bethléem, au milieu de ses grands travaux, était sans cesse poursuivi par le souvenir des plaisirs de Rome. Quelquefois les attaques sont violentes, acharnées, continues ; rien ne peut les repousser. Dans ces moment terribles, les âmes sincèrement amies de l’innocence sont livrées à toutes les douleurs de leur cœur et à toute l’amertume de leur âme. Les pensées les plus belles, celles de Dieu et du ciel, les images les plus fortes, celles de la mort et de l’enfer, passent devant les yeux : c’est un combat acharné entre le bien et le mal. Ces âmes se sentent défaillir, elles vont être vaincues ; aussitôt elles se jettent aux pieds du crucifix, elles l’arrosent de leurs larmes, elles le pressent sur leur cœur : la bataille est gagnée, la victoire est complète, la paix est rétablie.

Que ces considérations nous apprennent non-seulement à corriger les écarts d’une imagination déréglée, mais encore à cultiver les pensées vertueuses, qui poussent l’âme dans la route du bien ! Alors de belles pensées, des idées pures nous élèveront au-dessus de nous-mêmes et feront de nous tous des anges de la terre !

II. Des désirs considérés comme source d’impureté, et des remèdes à leur appliquer.

12. Les désirs inondent l’âme de l’homme. Il ne s’élève pas plus de vagues sur la haute mer que de désirs dans notre cœur, qui est un abîme sans fond. Le désir est un degré de plus que la pensée. Celle-ci n’est qu’une image, une complaisance. sans la volonté de réaliser l’objet de la pensée. Le désir, au contraire, veut l’exécution ; s’il ne la réalise pas, c’est qu’il est arrêté par quelques considérations étrangères à la vertu qu’il veut violer. Si la volonté est réputée pour le fait, le désir est donc aussi criminel que l’acte lui-même. Oh ! que celui qui se livre à des désirs impurs considère les suites malheureuses du péché, qu’il mesure la profondeur de l’abîme où il voudrait se laisser entraîner ! Peut-être qu’il comprendra l’énormité du vice impur, et qu’il en repoussera le désir.

Les remèdes aux désirs impurs sont ceux que nous avons assignés aux pensées car il


y a entre celles-ci et le désir une très-grande liaison. De la pensée au désir le pas est glissant : qu’on leur applique courageusement les remèdes prescrits, et on pourra compter sur la victoire.

III. Des paroles considérées comme source d’impureté, et des remèdes à leur appliquer.

13. Les conversations peuvent être un souverain danger, surtout entre des âmes tendres et sensibles ; Lorsque la confiance mutuelle s’est établie entre deux personnes, elles s’ouvrent entièrement leur cœur, elles se communiquent toutes leurs pensées, elles se font part, de leurs impressions. Ainsi une âme haletante sous le poids de la passion se dévoile à une autre, atteinte peut-être du même mal. Les charbons de feu rapprochés s’attisent, s’allument, s’enflamment. Alors il se glisse dans les veines un fluide spécial, qui porte dans l’être tout entier un charme qui émeut les plus insensibles.

Cependant la plupart des jeunes personnes font leurs délices de semblables conversations ; elles ne voient rien de criminel dans leurs discours. Ames malheurenses ! Il n’y a rien de coupable dans vos entretiens ! Dites-nous donc si vous êtes ce que vous étiez ? Pourquoi êtes-vous distraites et oisives ? D’où viennent ces fantômes qui vous suivent partout ? Quelle est la cause de ces émotions qui vous souillent ! Pourquoi les mêmes conversations vous sont-elles si chères ? Pourquoi étes-vous rêveuses après vos entretiens ? Vous nous dites que vous êtes innocentes ! Vous mentez ; votre conscience vous accuse : elle vous avertit que vous n’êtes pas pures.

Si ces conversations existent entre des personnes de différents sexes, le danger augmente : la vertu est exposée au plus grand péril. Encore quelques jours, et les anges du ciel pleureront la chute la plus déplorable.

Le remède à ces grands maux, c’est d’abord de les prévenir. Une personne honnête ne doit pas se permettre une seule parole contraire aux lois les plus sévères de la pudeur ; elle n’en souffre jamais en sa présence. Il faut donc éviter avec le plus grand soin les personnes qui font de l’amour, de la galanterie, des chroniques scandaleuses, l’objet ordinaire de leurs entretiens. Lorsque le mal a pris naissance, que les conversations impures ont pris leur cours, il faut les rompre à l’instant même. Mais on est retenu par les liens de l’amitié ; on ne veut pas, pour quelques discours légers, rompre avec une amie d’enfance : c’est-à-dire qu’on ne veut pas conserver l’innocence de son cœur. Celui qui sait l’estimer ce qu’elle vaut abandonnerait vingt amis pour la conserver. Il faut encore se montrer plus sévère relativement aux entretiens entre personnes de différents sexes ; ils sont interdits par la prudence et par la décence. Une personne réellement amie des bonnes mœurs ne se permet pas de longs et fréquents entretiens de cette nature ; elle se rappelle que si un regard indiscret a suffi pour faire tomber David, de longues et inutiles conversations mettent en grand péril les âmes même sincèrement vertueuses.

Les lectures peuvent produire sur les cœurs de plus puissants effets que les conversations. Je ne croirai jamais qu’une personne puisse conserver son cœur pur, si elle fait sa lecture ordinaire de romans, où l’amour joue le rôle principal. Dans ces écrits, cette passion est représentée sous les plus riches couleurs ; elle y est seule la source des beaux sentiments et du bonheur. Croit-on qu’avec le feu que la nature a mis dans les veines du lecteur, il lira sans impression ces pages brûlantes, où le cœur se livre tout entier à l’amour, sans crainte comme sans remords ? Ah ! bientôt le crime ne sera plus qu’une faiblesse pardonnable, et il finira peut-être par devenir an acte de vertu aussi beau pour le lecteur que pour le héros.

L’homme véritablement sage surveille toutes ses lectures ; il repousse tout écrit dont le sujet principal est l’amour ; il ne se permet pas de lire ces romans licencieux, que tant de jeunes gens dévorent ; il repousse de sa maison ces journaux qui jettent un appât à la corruption pour attirer des lecteurs. Le roman feuilleton est une grande plaie sociale. Notre siècle passe par une bien rude épreuve ! Peut on être surpris que le vice impur ait poussé des racines profondes dans notre société ; puisque la nourriture jetée tous les matins à ceux qui veulent la recueillir est remplie du poison le plus subtil ?

IV. Des regards considérés comme source d’impureté, et des remèdes à leur appliquer.

IV. L’œil de l’homme est appelé à juste titre la porte de l’âme. C’est par lui qu’elle reçoit les plus vives impressions. Ils savaient ce que peuvent produire les regards, ces anciens peuples de l’Egyple, qui, l’œil fixé sur les objets les plus indécents cherchaient la satisfaction de leurs sens. Qui est-ce qui n’a éprouvé ce que peuvent produire des regards imprudents ? Un coup d’œil jeté sur un tableau, sur une gravure où la nature est seulement couverte d’un voile léger, laisse un libre cours à l’imagination, trouble, émeut les âmes innocentes ; elles ont besoin de détourner leurs yeux. Le libertin seul éprouve du plaisir ; s’il demeure froid et indifférent, il a depuis longtemps perdu la pureté de ses mœurs la satiété le rend insensible.

L’homme vertueux veille sans cesse sur ses regards ; jamais son œil ne porte sur lui cette indécente curiosité, qui est le symbole d’une âme impure. Il étend à tout ce qui l’environne le soin qu’il apporte sur sa personne : les tableaux de son salon sont des modèles de décence ; les gravures de ses livres sont couvertes du voile de ta pudeur ; sa femme, ses enfants, ses domestiques, emploient dans leur tenue tout le soin et la modestie qu’il y apporte lui-même ; il ne tolère aucune mode, si elle n’est conforme à la


plus sévère décence ; sa société est toujours une société distinguée, autant par ses bonnes mœurs que par ses bonnes manières ; son salon demeure fermé à l’immodestie. S’il se rencontre avec une de ces coquettes dont la mise affectée laisse trop apercevoir l’intention, il détourne le regard, et lui donne, si la prudence le permet, un conseil commandé par la charité.

V. Des actions contraires à la pureté, et des remèdes qu’on doit leur appliquer.

15. On n’attend pas de nous que nous entrions dans le détail de toutes les actions contraires à la pudeur. La liste des impudicités est trop longue, les excès auxquels on se laisse entraîner sont trop horribles, pour que nous pénétrions dans toute la profondeur du vice. Nous nous bornerons à quelques considérations qui seront suffisantes pour exciter l’horreur que ces péchés méritent, et pour éveiller la conscience de tous ceux qui pourraient s’engager témérairement dans cette funeste voie. Nous parlerons d’abord de l’impureté solaire ; nous traiterons ensuite des péchés commis entre différentes personnes.

§ 1. Des impuretés solitaires.

La question que nous abordons est une des plus délicates de la théologie morale. Peindre ces actes d’impureté solitaire, qui ont une si funeste influence sur l’homme tout entier, qu’ils rendent pâle, efféminé, engourdi, lâche, paresseux, stupide et même imbécille, c’est quelquefois un danger, il faut cependant avertir l’enfance et la jeunesse du péril qu’elles courent.

A l’âge de la puberté, tout semble entraîner les jeunes gens sur la pente fatale du vice impur ; l’imagination est vive, le cœur tendre, l’âme ardente ; les passions font par leur nouveauté les plus vives impressions. Tout se réunit pour inspirer au jeune homme le désir de se livrer au plaisir, de courir après la jouissance. Celui qui veut persévérer dans la vertu doit donc s’attendre à un combat acharné et de tous les instants. Ames vertueuses, ne soyez point épouvantées à la vue des combats qu’il faut livrer ! Consolez-vous : Dieu ne vous défend pas d’être combattues ; il vous défend de vous laisser vaincre. Il ne dépend pas de vous de ne pas avoir de passion mais avec la grâce de Dieu, il dépend de vous de régner sur elles. Si vous avez le courage des saints, si comme eux vous recourez à la pénitence et à la macération de la chair, au jeune, à la vigilance continuelle, la victoire est à vous. Vos tentations, loin d’être pour vous une cause de punition, seront une source de gloire. Cessez de vous affliger de vos combats intérieurs, ils seront les trophées de votre triomphe.

Nous devons aussi parler à ces âmes qui sentent l’horreur du vice, qui sont touchées des charmes de la vertu, et qui se laissent cependant subjuguer par une habitude qu’elles méprisent. Elles voudraient briser leurs chaînes, se délivrer d’un honteux esclavage, leurs efforts semblent vains ; quelques jours de victoire écoulés, et ils retombent dans leurs anciennes iniquités.

O Dieu ! qu’il est difficile de vaincre des habitudes invétérées d’impureté ! Dirons-nous ce que nous avons trop souvent rencontré dans la guérison de ces funestes maladies. Nous avons vu le mal résister six et huit ans à une médication très-vigoureuse. Les jeûnes les plus rigoureux, des mortifications excessives, des pénitences peut-être cruelles, demeuraient pour ainsi dire sans effet. Oh ! qu’elles sont à plaindre les âmes affaiblies par les longues impuretés solitaires ! Toutefois, qu’elles ne se déconcertent pas, il n’y a pas de passion invincible aux forces humaines soutenues par la grâce de Jésus-Christ. Non, jamais l’habitude la plus invétérée et la plus puissante ne sera insurmontable que pour ces âmes qui préfèrent les honteux plaisirs à la gloire de la vertu. Pour vaincre, il suffit de le vouloir sincèrement. Pour cela il faut méditer sur les vérités les plus terribles, fuir les occasions et les lieux marqués par les plus grandes chutes ; s’imposer des pénitences sévères, invoquer avec ardeur le secours du ciel ; il est nécessaire de prendre la résolution de persévérer pendant toute la vie dans cette voie laborieuse, si ce combat est toujours commandé. Les saints nous ont donné sur ce point des exemples d’un courage constant et énergique. Dans un moment de tentation, saint-Bernard se précipite dans un étang glacé, saint Benoît se roule sur des épines aiguës, saint Augustin lutte contre lui-même pendant de longues années.

Oh ! si les parents connaissaient tout le prix de l’innocence, s’ils savaient les maux effroyables qu’entraîne l’impureté, avec quels soins ils veilleraient sur leurs enfants, avec quelle tendre sollicitude ils suivraient tous leurs pas ! Comme ils examineraient dans leur vie, dans leur personne, s’il n’y a rien qui annonce l’invasion du vice impur à la moindre apparence, qu’ils n’aient aucun repos, qu’ils ne prennent pas de sommeil avant d’avoir découvert la vérité ! Si le malheur existe, qu’ils emploient pour le guérir toutes les mesures que la prudence et un sage directeur leur conseilleront.

§ 2. Des actes d’impuretés entre différentes personnes.

16. Il y a des degrés infinis dans les péchés de cette nature. Il existe une distance immense entre les enjouements indiscrets, les liaisons et les familiarités suspectes, et ces péchés infâmes qui souillent la couche nuptiale, ou rendent l’homme semblable à la brute. Ces vices admettent des degrés de culpabilité ; ces actes, quels qu’ils soient, sont très-criminels devant Dieu. Nous n’essayerons pas de pénétrer davantage le mystère ; nous voulons seulement en rechercher les suites, et en indiquer les remèdes.

Suites de l’impudicité. – Ce vire malheureux produit trois effets bien déplorables : il fait oublier tous les devoirs, il porte aux plus grands crimes, il cause le malheur de celui qui en est la victime.


Toutes les passions font plus ou moins oublier ses devoirs ; mais il n’y en a point pour les faire fouler aux pieds comme l’impudicité. Il n’y a pas d’intérêt, d’honneur, de conscience qu’elle ne soit disposée à sacrifier. Le père dominé par ce vice oublie ce qu’il doit à ses enfants. Le juge lui sacrifie les droits de la justice. L’ami lui immole les plus saints devoirs de l’amitié. Une épouse déchire le serment de fidélité qu’elle a fait aux pieds des autels. Une fille foule aux pieds l’honneur qui aurait dû diriger ses pas dans la carrière de la vertu.

L’oubli des devoirs fait bientôt faire un pas nouveau, c’est celui du crime : on ne peut lire deux lignes de l’histoire sans y rencontrer un des forfaits de telle abominable passion. C’est elle qui, lançant le brandon de la discorde, a suscité ces guerres désastreuses qui ont désolé la terre ; c’est elle qui, transportant le champ de bataille dans le sein des familles, a armé le frère centre sa sœur, la fille contre » a mère, le mari contre sa femme. C’est elle qui saisit la coupe empoisonnée et va au chevet du lit d’un époux lui donner, avec les caresses de l’amour, le breuvage empoisonné. C’est elle qui a jeté la honte et le déshonneur sur ces nobles familles qui avaient toujours marché dans les sentiers de l’honneur et de la vertu. Arrêtons-nous dans celle trop longue et trop malheureuse lutte des crimes de l’amour impudique. ·

Quelle compensation l’impudicité apporte-t-elle à tant de honte et à tant de crimes ? Les jouissances qu’elle procure rendent-elles heureux ? Heureux ! l’homme peut-il l’être lorsqu’il porte sur son front le signe de l’ignominie, et que sa conscience lui reproche ses fautes ? Tout le trouble, les maux qu’il a causés viennent tour à tour passer devant ses yeux. La désolation de sa famille, la perte de son honneur, la ruine de ses enfants, et par-dessus tout l’image de Dieu qui se montre effrayante, armée d’un glaive de feu. Au dehors, l’objet de sa passion le tyrannise, ses froideurs le déconcertent, ses infidélités réelles ou prétendues le martyrisent ; ainsi l’objet qui devait adoucir ses maux devient. lui-même son plus grand tourment. Le public vient aussi augmenter ses peines par ses regards indiscrets, ses rires moqueurs ; la société honorable le repousse de son sein, il demeure isolé. Tout cela pèse sur l’impudique comme un poids que la main la plus forte ne pourrait soulever.

O passion funeste ! ennemi le plus redoutable du genre humain ! quand donc l’homme comprendra-t-il ses maux dont tu es la source ? quand, averti par sa conscience, poussé par le désir de la paix, emploiera-t-il les moyens commandés par la prudence ?

§ 3. Des remèdes contre l’impudicité.

17. L’impudicité n’est point une de ces maladies qu’il soit permis d’abandonner à elle-même et dont on puisse espérer la guérison du temps et des circonstances : abandonné à lui-même, le mal ne fait que s’ aggraver. Il faut dans cette médication employer de grands remèdes tandis que les malades refuseront de les accepter, il n’y a pas de guérison à attendre.

Le premier et le plus essentiel moyen de succès, c’est de rompre toute espèce de liaison, de détruire toute relation. La plupart des coupables refusent d’accepter ce moyen. Ils se persuadent qu’en veillant avec plus de soin sur eux-mêmes, ils pourront renoncer au mal et revenir à une innocente amitié. C’est là une grande illusion de l’amour propre et de la passion ; cette résolution suffit peut-être pour maintenir pendant quelques jours ou quelques semaines, dans la ligne du devoir, mais bientôt on retombe dans ses égarements. Il n’y a qu’un moyen de sécurité,


c’est la fuite. On objecte encore la crainte du monde : il sera surpris d’une rupture, il en cherchera le motif ; que dira-t-il ? Si un impudique était réellement ami de son honneur et de sa réputation, je lui dirais de ne point se faire illusion ; il n’a pas jusqu’alors échappé à la critique du monde. Oh ! quel serait la désespoir de cette femme, si elle savait les soupçons qu’elle fait naître, je ne dirai pas parmi les personnes vertueuses qu’on pourrait soupçonner d’une délicatesse excessive ; elles sont les plus indulgentes, car la vertu ne pense pas le mal ; mais parmi le monde, et le monde le moins vertueux. En rompant toute liaison, on fera taire toutes les langues médisantes, et une réputation flétrie en sortira peut-être avec honneur.