Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 13

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 297-299).
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XIII.

LES JEUNES FILLES.


En arrivant à Bléville, chez madame d’Auray, Laurence trouva mesdemoiselles Bélin qui se promenaient sur la terrasse.

Les deux jeunes filles échangèrent un regard moqueur en l’apercevant.

La mauvaise humeur qu’avait témoignée madame d’Auray sur la disparition de M. de Marny ne leur avait pas échappé. Elles étaient curieuses de savoir comment Lionel serait reçu, et elles se hâtèrent de rentrer dans le salon pour voir la scène qui allait se passer.

Les jeunes personnes, à Paris, celles du moins qu’on élève dans le monde, sont au courant de toutes les intrigues. La première chose qu’on leur apprend, c’est à plaire, et leur coquetterie s’éveille bien avant leur cœur. Leur imagination est corrompue d’avance ; elles savent comment on trompe avant de savoir comment on aime ; elles ne comprennent pas encore ce que c’est qu’une faute, mais elles sauraient déjà la cacher ; elles sont à la fois naïves et fausses, pures et rouées ; de là vient leur innocence sans candeur, et leur impatience du mariage, qui n’est que de la curiosité. Ce contraste de bien et de mal, ce mélange d’expérience anticipée et d’innocence involontaire, est très-piquant ; il leur donne un air spirituel et original qui est souvent trompeur, et l’on est tout étonné par la suite de voir la jeune personne la plus distinguée, la plus citée pour sa gentillesse, ne paraître après son mariage qu’une femme très-ordinaire et sans esprit.

Madame d’Auray reçut d’un air fort gracieux M. de Marny. Son orgueil était blessé mortellement ; elle voulut paraître indifférente, et pourtant Lionel avait cruellement offensé son amour-propre. C’était bien mal à lui d’avoir déserté sa cour ; madame d’Auray tenait beaucoup à ses élégants  ; elle n’aimait pas à voir s’éclaircir son cortège. — Et puis être quittée pour la duchesse de Champigny ! pour cette voisine rebelle qui ne l’avait jamais priée à aucune de ses fêtes ! — quel outrage !

Cette injure était telle, qu’on ne voulut même pas s’en plaindre ; qu’on affecta de recevoir le coupable avec bonne grâce, ce qui convint à merveille à M. de Marny. — Les hommes s’arrangent si bien de notre dignité, et il faut tant aimer une femme pour découvrir qu’elle est fâchée, quand sa délicatesse l’empêche de se plaindre !

Il y avait aussi un peu de méchanceté dans le silence que gardait madame d’Auray sur ce qu’elle avait nommé l’enlèvement de M. de Marny ; et l’extrême discrétion qu’elle mettait à n’en point parler à madame de Pontanges était une malice que Laurence devait apprécier. — Laurence avait cela de malheureux, qu’à force d’esprit elle comprenait toutes les méchancetés dont elle était incapable.

Comme elle se sentait mal à l’aise dans cette maison !

Nulle sympathie d’idées ; des femmes élégantes qui l’examinaient avec malveillance des pieds à la tête ; une conversation que rien n’alimentait ; l’impossibilité de paraître aimable à ces gens-là… un commérage inanimé sur des personnes qu’elle ne connaissait pas ; tous gens qui avaient en parlant une arrière-pensée qui n’était pas un sentiment…

Laurence sentait son infériorité, — car c’est être inférieure que de n’être pas semblable à la majorité d’un salon. — Elle comprit pour la première fois qu’elle était mal mise… elle fut honteuse de sa modeste parure… Elle comprit encore quelle distance il y avait entre elle et les femmes qui l’entouraient, comme élégance, comme habitude du monde ; enfin elle se sentit provinciale… provinciale jusqu’au fond de l’âme ! Et justement c’était là son grand charme, à mes yeux.

Enfin cette visite lui devint insupportable ; elle la termina. Tant d’émotions l’avaient agitée… elle avait besoin d’être seule.

Le souvenir de mademoiselle Bélin la poursuivit péniblement. Mademoiselle Bélin était fort jolie ; puis elle avait cette assurance, cet aplomb des jeunes filles qui n’ont plus leur mère et qui sont à quinze ans maîtresses de maison… Mademoiselle Clémentine gouvernait seule la maison de M. Bélin, depuis la mort de sa femme ; elle avait l’habitude de commander ; sa sœur Valérie était sous ses ordres. Clémentine avait donc appris de bonne heure à se décider. — Elle était responsable à l’âge où les jeunes filles ne sont ordinairement que soumises, et ses manières distinguées, mais pleines d’assurance, se ressentaient de cette émancipation prématurée.

Laurence, qui était encore en tutelle, malgré cinq années de mariage, se sentit devant mademoiselle Bélin humble et confuse comme une pensionnaire nouvelle devant ce qu’on nomme les grandes en pension ; madame de Pontanges trouva Clémentine supérieure à elle en tout ; elle pensa qu’une personne si répandue dans le monde, si jolie, devait convenir à M. de Marny. — Cependant Lionel ne lui avait point parlé ; il paraissait même ne pas la trouver aimable. N’importe, Laurence était jalouse de Clémentine, de sa beauté, de sa parure… elle enviait cette jeune fille qui ne lui plaisait pas.

Il y a des pressentiments.