Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 17

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 308-313).
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XVII.

DESTIN.


Laurence était si mécontente de Lionel, qu’elle ne l’aimait plus !…

Et puis… faut-il le dire ?… le billet de Gaston avait produit son effet.

Quand madame de Pontanges s’endormit ce soir-là… elle se dit : « Il viendra peut-être demain. »

Il !… ce n’était déjà plus Lionel.

Le lendemain, vers trois heures, Laurence aperçût de loin un tilbury dans l’avenue du château.

« C’est lui ! » pensa-t-elle.

Lui !… ce n’était déjà plus Lionel ;

Lui ! ce jour-là, c’était Gaston.

Le tilbury s’avançait, s’avançait…

Madame de Pontanges alla s’asseoir près du feu et se prépara à la visite de son cousin.

« C’est une imprudence de venir sitôt, pensait-elle ; il n’est arrivé qu’hier à Champigny ; le voyage l’aura fatigué ; il aurait dû se reposer deux jours. »

Sans se rendre compte de ses impressions, Laurence éprouvait une sorte d’embarras à revoir son cousin, depuis la lettre qu’elle avait reçue de lui.

La jalousie de Lionel l’avait éclairée sur les sentiments de Gaston. Elle se rappela le plaisir qu’il avait montré à la revoir et plusieurs choses qu’il avait dites.

Elle avait pris un livre pour se donner une contenance et pour n’avoir pas trop l’air de l’attendre.

Le tilbury entra dans la cour.

On entendit marcher dans les antichambres.

— Voici quelqu’un, dit madame Ermangard ; je vais donner mes ordres. — Elle donnait tant d’ordres, la pauvre femme ! — Quelle aimable surprise ! s’écria-t-elle ; ma nièce est là ; elle sera charmée de vous revoir.

Madame Ermangard ayant fait signe au valet de chambre de la suivre, le visiteur entra sans être annoncé.

Il ferma la porte du salon. Laurence semblait absorbée par sa lecture.

Elle ne releva point la tête.

Mais elle ne put retenir un cri de surprise, et de bonheur peut-être, en voyant Lionel, — Lionel à ses pieds !

— Je n’ai pas pu y tenir, dit-il ; j’étais trop malheureux. Quelle nuit j’ai passée !… Ah ! que j’avais besoin de vous revoir !

Lionel était presque à genoux en parlant ainsi, il pressait entre ses mains la main de Laurence ; sa voix était troublée, son attitude était suppliante.

M. de Marny était fort à son avantage comme cela.

Laurence s’attendrit.

Son regard, d’abord sévère, s’adoucit.

— Soyez bonne, reprit Lionel, pardonnez-moi d’être jaloux… sans raison !

— Non, je ne vous pardonnerai pas d’être ainsi jaloux… sans raison !

Elle mentait.

— Je ne demande qu’à avoir tort, dit Lionel avec grâce.

— Relevez-vous.

Il obéit, se releva et s’assit sur une petite chaise auprès d’elle.

— Quel bonheur d’être venu ici ! je ne m’en vais plus !…

Madame de Pontanges sourit. Lionel continua :

— Avez-vous pensé à moi depuis hier ?

— Oui… mal !

— Je m’en doutais bien.

— Je vous détestais.

— Ah ! je ne le méritais pas. J’ai tant souffert ! C’est que je vous aime comme je n’ai jamais rien aimé. Vous trouvez cela tout simple, vous ; mais moi qui me croyais insensible, je suis tout étonné d’avoir un cœur, un cœur qui bat si vite ; je le croyais mort depuis longtemps, et je le retrouve près de vous avec délices.

Madame de Pontanges regardait Lionel.

« Quelle jolie figure ! » pensait-elle.

Peu à peu sa tendresse se réveillait. Les nuages qui avaient enveloppé son amour se dissipaient. Lionel redevenait ce qu’il avait d’abord été pour elle. Elle recommençait à l’aimer.

— Vous ne me ferez plus de chagrin ? dit Laurence.

— Non, j’aurai confiance en vous. Mais ne me tourmentez pas. Ayez pitié de moi ; je vous aime à en devenir fou.

Ce mot fit pâlir madame de Pontanges. Mille pensées douloureuses l’assiégèrent. Ce mot lui rappelait la tristesse de sa position, l’affreuse réalité de sa vie.

— Non, dit-elle d’une voix tremblante, je ne vous rendrai pas malheureux.

— Je ne demande qu’à vous aimer, qu’à être là, près de vous ; à entendre votre voix qui est si douce ; à vous voir vous regarder vivre ; je ne demande qu’un peu de bonne affection pour toute une vie de dévouement. Mais, de grâce, ne soyez point coquette. Aimez-moi peu… mais n’aimez que moi !…

Les hommes certains de plaire sont toujours très-modestes dans les commencements. Ils n’ont garde d’essayer leur empire ; ils s’établissent d’abord ; ils s’imposent par l’habitude ; et puis quand ils sont devenus indispensables à notre vie, quand on ne peut plus se passer d’eux, alors ils se fâchent ; ils feignent de se décourager ; dans leur menteur désespoir ils s’éloignent… bien confiants, mon Dieu ! car ils savent qu’on les rappellera… hélas ! à tout prix.

Laurence ne répondit pas ; pourtant son émotion était profonde.

C’était la première fois qu’on lui parlait d’aimer.

Ce langage si tendre enivrait son cœur.

Et Lionel parlait si bien cette langue ; il était si aimable quand il voulait plaire ! Sans être convaincu, il savait déjà persuader. Qu’était-ce donc lorsqu’il disait vrai, lorsque sa voix, son regard, son âme, étaient en harmonie avec ses paroles !

C’était un charme irrésistible.

— Oui, vous m’aimez ! s’écria Laurence avec passion, je le sens !…

Et lui leva les yeux au ciel pour toute réponse.

— Je suis heureuse, dit-elle. Et elle essuya ses larmes.

— Laurence !… s’écria Lionel en lui saisissant la main.

Monsieur le prince de Loïsberg !


dit un valet de chambre, annonçant une visite.

« Que le diable l’emporte ! » pensa Lionel.

Et il se leva pour saluer le prince.

— C’est vous, mon cousin… vous êtes bien aimable, dit madame de Pontanges avec embarras ; mais quelle imprudence de venir sitôt !

— C’est une indiscrétion peut-être… dit le prince avec amertume. Puis se reprenant : — Car vous ne m’aviez pas invité, ajouta-t-il.

— Vous serez toujours le bienvenu à Pontanges, mon cousin. Mais asseyez-vous donc ; je crains que vous ne soyez fatigué.

M. de Loïsberg prit un fauteuil.

— Je devais venir de meilleure heure, dit-il ; mais il est arrivé beaucoup de monde chez ma sœur ; elle n’a pas voulu me laisser partir ; il est plus tard que je ne le croyais, et je vois avec peine que j’ai peu d’instants à rester près de vous.

Ce qui voulait dire :

« Rassurez-vous, je ne vous gênerai pas longtemps. »

M. de Loïsberg observait Laurence et M. de Marny avec attention.

« Elle l’aime… Ferdinand a raison ! » pensait-il.

Lionel affectait un air tranquille, l’air d’un homme qui n’a rien à redouter d’un rival : sa politesse envers le prince était prévenante et pleine de grâce ; il semblait faire les honneurs du château. Le maintien embarrassé de madame de Pontanges, au contraire, faisait pitié, et M. de Marny venait au secours de cet embarras avec une adresse vraiment compromettante.

Lionel savait éloigner le prince en agissant ainsi ; son attitude heureuse, sa fatuité naïve devaient le décourager.

Lionel triste, — le prince restait… Lionel joyeux, — le prince devait lui céder les armes ; il n’était pas homme à combattre un rival aimé. — Et Lionel, qui excellait dans l’art de spéculer sur toutes les délicatesses, vit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de la modeste fierté de M. de Loïsberg, et comprit qu’il était urgent d’affecter devant lui une confiance qu’il n’avait pas.

Cependant la conversation était traînante ; Laurence questionna le prince sur son duel, sur sa blessure ; il évita de répondre. Comme tous les gens de bon goût, M. de Loïsberg n’aimait pas qu’on s’entretînt de lui. Lionel alors évoqua le souvenir de M. de R…, et l’on discuta quelques instants sur ses ridicules et sur son talent.

Dès qu’il put convenablement repartir, le prince se leva, et fit à madame de Pontanges un salut très-respectueux, mais très-expressif aussi, — peut-on se servir de ce mot pour un salut ? Il était impossible de dire plus clairement : « J’ai tout deviné, vous ne me reverrez plus. »

Et madame de Pontanges éprouva un sentiment pénible en lui disant : — Au revoir. — Elle sentait que ce mot était sans avenir.

Oh ! s’il était venu une heure plus tôt !

Lui qui se réjouissait tant d’une journée passée près d’elle !

Que d’événements ne seraient pas arrivés !

Si Laurence l’avait revu le premier ce jour-là, Lionel n’aurait peut-être pas reçu son pardon… il n’aurait pas repris son empire… peut-être même ne l’aurait-elle plus aimé.

Ô destinée !…

Toute la vie dépend d’un hasard.

L’homme qui doit décider de tout votre avenir vient le jour où vous êtes sortie… Le soir où vous l’attendez, une visite imprévue, une affaire prolongée le retiennent… C’est un indifférent qui vient…

Et de grands malheurs s’amassent !…

Et les événements se compliquent.

Et les cœurs s’engagent séparément.

Puis, un beau jour, le sort vous repousse l’un vers l’autre ;

Vous ramène le bonheur manqué…

Trop tard !…

Hélas ! il est flétri, empoisonné d’avance… et vous n’avez plus à offrir à ses fêtes qu’un front pâli par les inquiétudes, des yeux fatigués par les larmes, un cœur épuisé par la douleur !