Le Bec en l’air/Much Ado

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Le Bec en l’airPaul Ollendorff. (p. 255-259).

MUCH ADO


Heureusement, tout s’arrangea.

Il n’y avait, en cette affaire, qu’un simple malentendu, et nos relations diplomatiques avec la Chine purent reprendre plus cordiales que jamais.

Rappelons brièvement les faits.

Dans les différentes occasions où le vice-roi du Petchili se trouva en contact avec les notabilités françaises, lors de son voyage en notre pays, on ne fut pas peu surpris de s’apercevoir que ce Chinois ponctuait la conversation de bruits étranges, de petits tumultes incongrus, apanage ordinaire des gens mal élevés.

Certaines personnes se contentèrent d’en sourire : « Dame ! disait-on, un vice-roi du Petchili… ! »

D’autres messieurs prirent la chose plus au sérieux et prononcèrent les mots de cochon et d’individu qui se f… de la France.

M. Hanotaux fut tellement affecté de ces incidents qu’il en contracta une soudaine jaunisse, laquelle nécessita son départ immédiat pour Vichy.

Mais, si notre ministre était aux eaux, de fidèles émissaires suivaient l’homme d’État chinois en Angleterre et surveillaient son attitude.

Si le vice-roi du Petchili se tenait silencieux et congru devant Sa Gracieuse Majesté, la France avait le droit de se juger insultée.

Au cas contraire, l’honneur était sauf.

Cette dernière occurrence triompha, et le vent fut désormais aux bruits de paix, si j’ose m’exprimer ainsi.

Je trouve dans la Cloche illustrée (un journal havrais des plus intéressants et magistralement dirigé par M. Albert René) de curieux détails sur les incidents qui mirent fin à cette crise diplomatique dont pantelait l’Europe.

Tout d’abord, M. Jules d’Ingouville, le correspondant en Angleterre de la Cloche illustrée, relève une erreur commune à tous les Français.

On eut tort en France de prendre pour irrespectueuses les petites détonations de Li-Hung-Tchang.

Au contraire, il fallait les considérer comme autant de manifestations de bonne camaraderie. « Vous voyez, signifiait ce laisser-aller, je ne me gêne pas, je fais comme chez moi, je vous considère comme des copains. »

Et cela est si vrai que les Anglais, fort connaisseurs en mœurs chinoises, attendaient anxieusement et souhaitaient fort lesdites manifestations.

Par un sentiment de tact qui lui fait le plus grand honneur, Li-Hung-Tchang réserva la primeur de ses chinoises cordialités pour la famille royale.

C’était au cours de la visite détaillée que le vice-roi fit au château d’Osborne.

On en était aux écuries.

Très fier de ses canassons, le prince de Galles présenta tout d’abord le fameux Parsimmon, le crack de son écurie.

— Il a battu Saint-Frusquin d’une tête dans le Derby d’Epsom, dit le prince.

— Alors, il court très vite ?

— Très vite.

— Eh bien ! si vite que coure votre cheval, je parie qu’il ne rattrapera pas celui-là !

Celui-là !… Vous avez compris, n’est-ce pas, de quoi il s’agissait ?

La glace était rompue.

Victoria rit, à se tenir les côtes, de cette spirituelle boutade.

Le prince de Galles, tous ses enfants, les petits Connaugt et tous les mômes royaux ne s’étaient jamais tant amusés.

C’était plaisir que de voir rigoler ces jeunes princes comme de simples va-nu-pieds irlandais.

Une heure après, M. Hanotaux avisé de ces incidents, s’écriait devant plusieurs personnes que je pourrais nommer : « Beaucoup de bruit pour rien ! »