Mémoires historiques/Introduction/Chapitre 3 - Les sources/Le Chou king

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PREMIERE PARTIE


LE CHOU KING ET LES MEMOIRES HISTORIQUES


Le Chou king est une collection de textes historiques à laquelle Confucius passe pour avoir donné sa forme définitive. Une tradition très répandue veut que la récension de Confucius ait contenu exactement cent chapitres CXIII-1

Or le Chou king actuel ne comprend plus que cinquante-huit chapitres précédés d’une préface. Si on tient pour digne de foi l’opinion commune, quarante-deux chapitres manqueraient donc et leur disparition définitive aurait été un des résultats de l’édit fatal promulgué par Ts’in Che-hoang-ti. Le Chou king paraît ainsi être un livre incomplet. On peut aller plus loin encore et se demander si, même dans l’état fragmentaire où il nous apparaît, le Chou king a été reconstitué tout entier au même moment ou s’il ne s’y trouve pas des parties qui y ont été introduites à une époque plus tardive que les autres ; et, comme l’âge où on donna les premières éditions du Chou king est précisément celui de Se-ma Ts’ien, la question peut se poser dans ces termes : Le Chou king que connaissait Se-ma Ts’ien était-il le même que celui que nous avons entre les mains ? La solution de ce problème ne peut être résolue que par l’étude attentive de la manière dont fut établi le texte du livre.

La conservation d’une partie du Chou king est attribuée à un certain Fou Cheng qui, au temps de Ts’in Che-hoang-ti (221-210 av. J.-C), avait le titre de « lettré au vaste savoir » (po-che), et qui vivait encore, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, sous le règne de l’empereur Hiao Wen (179-157 av. J.-C.) de la dynastie Han. Voici ce que nous rapporte à son sujet Se-ma Ts’ien lui-même CXV-1 : « Au temps des Ts’in on brûla le Chou king ; maître Fou cacha son exemplaire dans un mur. Puis de grandes guerres s’élevèrent ; il erra de ci et de là. Quand les Han eurent amené la pacification, maître Fou rechercha son Chou king ; il en manquait plusieurs dizaines de chapitres ; il n’en retrouva que vingt-neuf chapitres. » Sans nous arrêter aux autres traditions qui veulent que Fou Cheng n’ait pas eu en sa possession un manuscrit, mais ait seulement retenu de mémoire des parties considérables du livre classique, ce qu’il est essentiel de noter, c’est qu’on ne retrouva d’abord qu’une portion du Chou king. Cette portion est appelée le texte moderne du Chou king, parce qu’elle fut rédigée avec les caractères d’écriture en usage à l’époque des Han.

Quels étaient les 29 chapitres de Fou Cheng ? nous en connaissons d’une manière certaine 28 qui sont CXV-2:

(LISTE A) : 1° le Yao tien ; 2° le Kao-yao mo ; 3° le Yu kong ; 4° le Kan che ; 5° le T’ang che ; 6° le Fan keng ; 7° le Kao tsong yong je ; 8° le Si po K’an Li 9° le Wei tse ; 10° le Mou che ; 11° le Hong fan ; 12° le Kin t’eng ; 13° le Ta kao ; 14° le K’ang'kao ; 15° le Tsieou kao ; 16° le Tse ts’ai ; 17° le Chao kao ; 18° le Lo kao ; 19° le To che ; 20° le Ou i ; 21° le Kiun che ; 22° le To fang ; 23° le Li tcheng ; 24° le Kou ming ; 25° le Pi che ; 26° le Lu hing ; 27° le Wen heou tche ming ; 28° le Ts’in-che CXV-3.

Quant au XXIXe chapitre, les avis sont divisés : plusieurs auteurs veulent que ce soit la Grande Harangue {ta’i che) ; quoique cette opinion soit sujette à des objections que nous exposerons plus loin, il est nécessaire, pour la clarté de l’exposition, que nous l’admettions à titre provisoire.

Remarquons que les 29 chapitres de Fou Cheng en forment 34 si l’on tient compte de certaines subdivisions : en effet, les chapitres P’an keng et Grande Harangue ont été scindés chacun en 3 sections et, du chapitre Kou ming, on a détaché une partie qui forme le K’ang wang tche kao.

Si Fou Cheng n’a fourni au Chou king actuel que 34 chapitres, il reste à déterminer comment furent reconstitués les 24 chapitres restants. Ils ont une même origine qui nous est révélée par les textes suivants :

Se-ma Ts’ien CXVI-1 nous dit : « La famille K’ong possédait le Chang chou en caractères anciens ; or (K’ong) Ngan-kouo le déchiffra au moyen du texte moderne ; c’est ainsi qu’il mit en lumière les livres perdus de sa maison ; il trouva plus de 10 chapitres ; c’est alors que le Chang chou fut augmenté. » — Nous lisons d’autre part dans l’Histoire des Han antérieurs CXVI-2 : « Le Chang chou en caractères anciens sortit d’un mur (de la maison maison) de K’ong-tse. A la fin du règne de l’empereur Ou, le roi Kong du pays de Lou abattit la demeure de K’ong-tse dans le dessein d’agrandir son propre palais ; or il y trouva le Chang chou en anciens caractères ainsi que les Mémoires sur les rites (le Li ki ?), le Luen yu et le Hiao king, en tout plusieurs dizaines de chapitres ; tous ces textes étaient écrits en caractères anciens..... K’ong Ngan-kouo était un descendant de K’ong-tse ; il prit tout ce Chou (king) et s’en servit pour contrôler les 29 chapitres (de Fou Cheng) ; il trouva 16 chapitres de plus. » — Dans un autre passage de ce même ouvrage historique CXVII-1, il est dit : « Puis le roi Kong du pays de Lou abattit la demeure de K’ong-tse dans le dessein d’y établir son palais ; or il trouva, dans le mur abattu, des textes en caractères antiques : il y avait 39 chapitres de rites perdus jusqu’alors et 16 chapitres du Chou king ; après la période t’ien han (100-97 av. J.-C.), K’ong Ngan-kouo les présenta au trône. »

Comme on le voit par ces citations, les manuscrits trouvés dans la maison de Confucius étaient écrits en caractères anciens ; on est donc convenu d’appeler texte antique du Chou king, le Chou king qui fut édité pour la première fois par K’ong Ngan-kouo. Le texte antique du Chou king comprenait la plupart, sinon la totalité, des 29 chapitres du texte moderne de Fou Cheng et apportait en outre 16 chapitres nouveaux.

Les passages qu’on vient de lire de l’Histoire des Han antérieurs présentent cependant quelques difficultés :

Le roi Kong CXVII-2, fils de l’empereur King et frère consanguin de l’empereur Ou, fut nommé roi du pays de Lou la troisième année de l’empereur King (154 av. J.-C.) ; il mourut vingt-huit ans après, c’est-à-dire en l’an 127 avant J.-C, la quatorzième année seulement du règne de l’empereur Ou qui fut sur le trône pendant cinquante-quatre ans. Le Livre des Han antérieurs est donc inexact quand il dit qu’à la fin du règne de l’empereur Ou, le roi Kong abattit la maison de Confucius et y trouva l’ancien texte du Chou king. Cet événement n’a pu avoir lieu qu’au commencement de ce règne ou au temps de l’empereur King ; la seconde hypothèse est la plus probable, car un texte du Luen heng CXVIII-1 de Wang Tch’ong dit formellement que ce fut sous l’empereur King que le roi Kong abattit la demeure de Confucius. La découverte de l’ancien texte du Chou king est donc antérieure d’un demi-siècle environ à la date que nous serions tenté d’adopter si nous suivions l’autorité de Pan Kou.

En outre, K’ong Ngan-kouo fut impliqué dans l’affaire des sortilèges qui éclata en 91 avant J.-C. ; nous savons d’ailleurs qu’il mourut prématurément CXVIII-2. Ainsi, Kong Ngan-kouo était encore vivant une soixantaine d’années après la découverte de l’ancien texte du Chou king, et, puisqu’il mourut jeune, il n’était sans doute pas encore né quand on fit cette trouvaille. L’ancien texte du Chou king était donc connu avant ses travaux ; le mérite de K’ong Ngan-kouo fut de le rendre plus intelligible en l’expliquant au moyen du texte moderne de Fou Cheng.

Quels étaient les 16 chapitres qui ne se trouvaient pas dans le texte moderne du Chou king et que Kong Ngan-kouo reconstitua ?

La plus ancienne énumération que nous en ayons est celle que nous a laissée Tcheng Hiuen, qui vivait de l’an 127 à l’an 200 de notre ère (Mayers, Manual, n° 59); c’est la suivante CXIX-1 :

(LISTE B) : 1° le Choen tien ; 2° le Mi tso ; 3° les 9 chapitres du Kieou kong ; 4° le Ta Yu mo ; 5° le I Tsi ; 6° le Ou tse tche ko ; 7° le Yn tcheng ; 8° le T’ang kao ; 9° le Bien yeou i té; 10° le Tien pao ; 11° le I hiun ; 12° le Se ming ; 13° le Yuen ming ; 14° le Ou tch’eng ; 15° le Lu ngao ; 16° le Kiong ming.

Ces 16 chapitres en formaient 24 si on distingue entre elles les neuf parties du n° 3. Ces 24 chapitres nouveaux ajoutés aux 34 du texte moderne donnent un total de 58. Cependant, d’après le témoignage de Tcheng Hiuen CXIX-2, le chapitre Ou tch’eng (n° 14 de la liste ci-dessus) disparut pendant la période kien-ou (25-56 ap. J.-C); c’est ce qui explique pourquoi, dans le wen tche du Ts’ien Han chou (chap. xxx), à l’article du Chang chou kou wen king en 46 cahiers, l’auteur ajoute : cela fait 57 chapitres; ces 57 chapitres sont les 34 de Fou Cheng, plus les 24 de K’ong Ngan-kouo, moins le Ou tch’eng. Le Chou king tel qu’il était reconstitué à la fin de la dynastie des seconds Han devait donc se composer des 57 chapitres suivants CXIX-3 :

(LISTE C) : I. — Livres de Yu (Choen) et des Hia : 1° Yao tien ; 2° Choen tien ; 3° Mi tso ; 4°-12° les 9 chapitres du Kieou kong ; 13° Ta Yu mo ; 14° Kao-yao mo ; 15° I Tsi ; 16° Yu kong ; 17° Kan che ; 18° Ou tse tche ko ; 19° Yn tcheng.

II. — Livres des Chang : 20° Tang che ; 21° Tien pao ; 22° Tang kao ; 23° Hien yeou i té ; 24° I hiun ; 25° Se ming ; 26° Yuen ming ; 27°-29° P’an keng ; 30° Kao-tsong yong je ; 31° Si po k’an Li ; 32° Wei tse.

III. — Livres des Tcheou : 33° -35° la Grande Harangue (Tai che) ; 36° Mou che ; 37° Hong fan ; 38° Lu ngao ; 39° Kin t’eng ; 40° Ta kao ; 41° K’ang kao ; 42° Tsieou kao ; 43° Tse ts’ai ; 44° Chao kao ; 45° Lo kao ; 46° To che ; 47° Ou i ; 48° Kiun che ; 49° To fang ; 50° Li tcheng ; 51° Kou ming ; 52° K’ang wang tche kao ; 53° Kiong ming ; 54° Pi che ; 55° Lu hing ; 56° Wen heou tche ming ; 57° Ts’in che.

Or, si on se reporte aux éditions actuelles du Chou king, on constate que la table des chapitres ne coïncide pas avec la liste précédente. La tradition qui a prévalu jusqu’ici constitue le Chou king avec 33 chapitres de texte moderne attribués à Fou Cheng et 25 chapitres de texte ancien attribués à Kong Ngan-kouo. Les 33 chapitres de texte moderne sont les suivants :

(LISTE D) : 1° Yao tien ; 2° Choen tien ; 3° Kao-yao mo ; 4° I Tsi ; 5° Yu kong ; 6° Kan che ; 7° Tang che ; 8° -10° P'an keng ; 11° Kao-tsong yong je ; 12° Si po k’an Li ; 13° Wei tse ; 14° Mou che ; 15° Hong fan ; 16° Kin t’eng ; 17° Ta kao ; 18° Kang kao ; 19° Tsieou kao ; 20° Tse ts’ai ; 21° Chao kao ; 22° Lo kao ; 23° To che ; 24° Ou i ; 25° Kiun che ; 26° To fang ; 27° Li tcheng ; 28° Kou ming ; 29° Kang wang tche kao' ; 30° Lu hing ; 31° Wen heou tche ming ; 32° Pi che ; 33° Ts’in che.

Les 25 chapitres du texte ancien sont les suivants :

(LISTE E) : 1° Ta Yu mo ; 2° Ou tse tche ko ; 3° Yn tcheng ; 4° T’ang kao ; 5° Tchong-hoei tche kao ; 6° I hiun ; 7-9° T’ai kia ; 10° Hien yeou i té ; 11°-13° Yue ming ; 14°-16° Grande Harangue ; 17° Ou tch’eng ; 18° Lu ngao ; 19° Wei tse tche ming ; 20° Ts’ai tchong tche ming ; 21° Tcheou koan ; 22° Kiun-tch’en ; 23° Pi ming ; 24° Kiun ya ; 25° Kiong ming.

Considérons d’abord le texte moderne (liste D). La liste de ces 33 chapitres est au fond identique à celle (liste A) des 28 chapitres attribués à Fou Cheng. Elle n’en diffère que par certaines subdivisions qui ont permis de porter le nombre des chapitres de 28 à 33 : le Yao tien a été distingué en Yao tien et Choen tien ; le Kao-yao mo en Kao-yao mo et I-tsi ; le Kou ming, en Kou ming', et K’angwang tche kao ; enfin les trois parties du P’an keng sont considérées comme formant trois chapitres. Or, si nous nous reportons à la liste (liste B) des chapitres du texte antique citée par Tcheng Hiuen, nous voyons que le Choen tien et le I Tsi en faisaient partie. On en tire la conclusion que le Choen tien et le I Tsi de l’ancien texte de Kong Ngan-kouo ont été perdus et qu’on a suppléé à leur absence en donnant leur nom dans le Chou king traditionnel à des parties des chapitres du nouveau texte appelés Yao tien et Kao yao mo.

Considérons maintenant le texte antique du Chou king traditionnel (liste E) et comparons-le au texte antique tel que devait l’avoir édité Kong Ngan-kouo (liste B). Les différences sont considérables. Neuf chapitres seulement ont les mêmes titres dans les deux listes ; ce sont :

(LISTE F) : 1° Ta Yu mo ; 2° Ou tse tche ko ; 3° Yn tcheng ; 4° T’ang kao ; 5° I hiun ; 6° Hien yeou i té ; 7° Ou tch’eng ; 8° Lu ngao ; 9° Kiong ming.

Sept des chapitres mentionnés par Tcheng Hiuen ont disparu ; ce sont :

(LISTE G) : 1o Choen tien ; 2o Mi tso ; 3o les neuf chapitres du Kieou kong ; 4o I Tsi ; 5o Tien pao ; 6o Se ming ; 7o Yuen ming.

Ces sept chapitres en forment quinze, si on compte les neuf sections du Kieou kong comme autant de chapitres distincts.

Enfin seize chapitres du texte antique du Chou king traditionnel n’existaient pas du tout dans le vrai texte de K’ong Ngan-kouo ; ce sont :

(LISTE H) : 1o Tchong hoei tche kao ; 2o-4o T’ai kia ; 5o-7o Yue ming ; 8o Wei tse tche ming ; 9o-11o Grande Harangue ; 12o Ts’ai tchong tche ming ; 13o Tcheou koan ; 14o Kiun-tc’hen ; 15o Pi ming ; 16o Kiun ya.

Frappés des différences qui existent entre la liste B et la liste E, les meilleurs critiques chinois modernes se sont tous rangés à l’opinion que le texte antique de K’ong Ngan-kouo avait été perdu et que le texte que nous avons maintenant sous ce nom était apocryphe. Le texte du pseudo-K’ong Ngan-kouo CXXII-1 dut faire son apparition sous le règne de Yuen-ti (317-323), premier empereur de la dynastie des Tsin orientaux. Ce fut à cette époque en effet qu’un nommé Mei Tsi prétendit avoir retrouvé le texte de K’ong Ngan-kouo et présenta à l’empereur les chapitres qui sont aujourd’hui encore dans le Chou king. Comme d’autre part Tcheng Hiuen (127-200 ap. J.-C.) connaissait encore le véritable texte antique de K’ong Ngan-kouo, c’est pendant la centaine d’années qui s’écoula entre la mort de ce commentateur et la requête de Mei Tsi à l’empereur Yuen que ce véritable texte antique dut disparaître CXXII-2 ; on suppose que ce fut, plus exactement encore pendant les troubles qui désolèrent la période yong kia (307-313) ; on sait en effet qu’en l’année 311 le palais impérial fut brûlé et que tous les livres qu’il contenait furent détruits ; cet événement est appelé par les Chinois la quatrième grande catastrophe littéraire CXXIII-1.

Quant à la partie appelée texte moderne, elle peut être considérée dans son ensemble comme représentant assez fidèlement les 28 premiers chapitres de Fou Cheng. Cette récension remonterait donc au second siècle avant notre ère. Les seules modifications qui y furent apportées consistent dans un certain nombre de leçons nouvelles que K’ong Ngan-kouo y introduisit en corrigeant le texte moderne de Fou Cheng au moyen du texte antique. En outre, dans le Chou king traditionnel le dédoublement des trois chapitres Yao lien, Kao-yao mo et Kou ming n’a pas été sans amener quelques changements dans le texte ; c’est ainsi que les 28 premiers mots du Choen tien sont une interpolation destinée à donner un début régulier à ce chapitre qui se rattachait autrefois intimement au Yao tien et en faisait partie intégrante CXXIII-2.

Si la théorie précédente est exacte, il en résulte que Se-ma Ts’ien dut connaître un Chou king assez différent de celui que nous avons entre les mains. C’est ce que prouve en effet l’étude des Mémoires Historiques.

En premier lieu Se-ma Ts’ien connaît le texte moderne de Fou Cheng et en reproduit même la plus grande, partie dans son oeuvre. Dans le chapitre I des Mémoires historiques, nous lisons le Yao tien et le Choen lien ; dans le chapitre II, le Yu kong, le Kao-yao mo, le I Tsi et le Kan che ; dans le chapitre III, le T’ang che, un passage du P’an keng, le Kao tsong yong je et le Si po k’an Li ; dans le chapitre IV, le Mou che et une partie du Lu hing ; dans le chapitre V, une partie du Ts’in che ; dans le chapitre XXXIII, le Kin t’eng, une partie du To che et la presque totalité du Ou i et du Pi che ; dans le chapitre XXXIV, une partie du Kiun che ; dans le chapitre XXXVIII, le Wei tse et le Hong fan. On voit par la multitude même de ces citations que Se-ma Ts’ien connaissait bien le texte moderne de Fou Cheng et qu’il en faisait le plus grand cas.

Les Mémoires historiques confirment l’opinion qui veut que le texte de Fou Cheng n’ait pas distingué le Choen tien du Yao tien, ni le I Tsi du Kao yao mo ; en effet, dans les Mémoires historiques, le Choen tien suit immédiatement le Yao tien et les deux chapitres forment un tout continu ; le paragraphe qui se trouve dans les éditions actuelles au début du Choen tien n’existe pas chez Se-ma Ts’ien ; c’est donc bien une addition des éditeurs qui ont voulu plus tard donner une tête à ce chapitre artificiellement détaché du Yao tien. De même le Kao yao mo et le I Tsi se succèdent sans aucune solution de continuité. Cette constatation n’a rien qui doive nous surprendre, puisque nous avons vu CXXIV-1 que Se-ma Ts’ien estimait à 29 le nombre des livres retrouvés par Fou Cheng ; s’il avait compté le Choen tien et le I Tsi comme des chapitres séparés, le nombre 29 ne se comprendrait plus.

Un problème plus délicat se pose lorsqu’il s’agit de déterminer si, en copiant les chapitres du Chou king que nous venons de nommer, Se-ma Ts’ien se sert du texte moderne ou du texte antique. L’oeuvre de K’ong Ngan-kouo avait été double : d’une part il avait découvert un certain nombre de chapitres inconnus à Fou Cheng, d’autre part, à l’aide du texte établi par son prédécesseur il avait déchiffré les parties de son manuscrit identiques à celles qu’on connaissait déjà ; il eut ainsi l’occasion de modifier certaines leçons de son devancier et c’est pourquoi, à côté du texte moderne de Fou Cheng, il existait, pour ces mêmes chapitres, un texte antique présentant de nombreuses variantes. La question est donc celle-ci : Quand il s’agit des chapitres qui existaient à la fois dans le texte moderne et dans le texte antique, lequel de ces deux textes choisit Se-ma Ts’ien ?

Pan Kou CXXV-1 nous dit à ce sujet : « Or Se-ma Ts’ien s’instruisit aussi à l’école de K’ong Ngan-kouo ; c’est pourquoi dans les chapitres Yao tien, Yu kong, Hong fan, Wei tse, Kin t’eng, tels que les rapporte le livre de Se-ma Ts’ien, il y a beaucoup de leçons du texte antique. »

Ce témoignage est exact dans une certaine mesure, comme on peut le voir par les exemples suivants :

Dans le Yao tien (dans la partie qui constitue aujourd’hui le Choen tien) les Mémoires historiques et le Chou king traditionnel écrivent 肇士有二州 . Le texte moderne qu’on retrouve dans les débris du grand commentaire de Fou Cheng donnait la leçon 兆 ou peut-être 垗 , au lieu de 肇 CXXV-2.

Dans le Yu kong, les Mémoires historiques écrivent 蠙珠皐魚 . Le texte moderne qu’on retrouve dans le Dictionnaire Chouo wen donnait la leçon 玭 au lieu de 珠 CXXV-3.

Dans le Ou i, les Mémoires historiques écrivent 高宗x國五十五年 . Le texte moderne qu’on retrouve dans les framents des livres canoniques gravés sur pierre par Ts’ai Yong en 175 après J.-C, donnait la leçon 百年 , « cent années », au lieu de « cinquante- cinq ». Le Chou king traditionnel donne la leçon a cinquante-neuf années », où il faut sans doute voir une erreur de Mei Tsi, au IVe siècle de notre ère CXXVI-1.

Cependant, en regard de ces exemples peu nombreux, on pourrait en citer une foule d’autres qui prouvent que que Se-ma Ts’ien se sert de préférence du texte moderne du Chou king :

Dans le Yao tien, les Mémoires historiques écrivent 便在伏物  ; c’est la leçon du grand commentaire de Fou Cheng. Le Chou king traditionnel suit le texte antique et écrit : 平在朔昜 CXXVI-2. — Dans la partie du Yao tien qui est devenue le Choen tien, les Mémoires historiques écrivent 歸至于祖禰廟 , ce qui est conforme au texte de Fou Cheng ; le Chou king traditionnel donne la leçon 歸格于藝祖 CXXVI-3.

Dans le Yu kong, les différences qui existent entre le texte des Mémoires historiques (chap. II) et celui du Livre des Han antérieurs (chap. Ti li tché) proviennent pour la plupart de ce que Pan Kou suit les leçons du texte antique, tandis que Se-ma Ts’ien adopte celles du texte moderne CXXVI-4.

Il serait facile de multiplier ces citations.

Ainsi Se-ma Ts’ien, tout en connaissant le texte antique, se sert en règle générale du texte moderne du Chou king ; sa préférence est explicable si l’on considère que le texte moderne est plus aisément intelligible que le texte antique où les caractères archaïques abondent.

Par amour pour la clarté, Se-ma Ts’ien va plus loin encore et il se permet souvent de remplacer de sa propre autorité une expression difficile du Chou king par un équivalent ou une glose en langue vulgaire. Nous ne donnerons qu’un exemple de cette manière de procéder qui est on ne peut plus fréquente chez cet auteur. Dans le Choen tien du Chou king traditionnel, on lit : 納于大麓  ; Se-ma Ts’ien écrit : 入山林 CXXVII-1. Il remplace donc le mot 納 par le mot 入 qui est plus usité et il subtitue au mot 麓 les mots 山林 qui en sont l’explication ; le Dictionnaire Chouo wen dit en effet: 林 - 於山為麓 , « une forêt se rattachant à une montagne est ce qu’on appelle li. »

Après avoir montré l’usage que fait Se-ma Ts’ien des parties du Chou king qui se trouvaient simultanément dans le texte moderne et dans le texte antique, considérons les chapitres qui n’existaient que dans le texte antique. Nous sommes amenés à faire une constatation très importante : Aucun des chapitres qui constituent le texte antique du pseudo- K’ong-Ngan-kouo dans le Chou king traditionnel ne se retrouve dans les Mémoires Historiques. Cette remarque apporte une confirmation singulièrement forte à la théorie des critiques chinois les plus récents : Si Se-ma Ts’ien, qui cite plus de la moitié du texte moderne du Chou king, ne donne pas un seul des chapitres qui n’appartiennent qu’au texte antique, c’est qu’il ne connaissait pas ce texte antique, c’est que le texte antique du Chou king traditionnel n’existait pas à son époque.

Mais, dira-t-on, le fait allégué ici ne prouve qu’une chose, c’est que Se-ma Ts’ien n’a eu entre les mains que le texte moderne de Fou Cheng ; il ne s’ensuit pas que le texte antique du Chou king traditionnel ne soit pas réellement celui de K’ong Ngan-kouo ; pour que la démonstration soit complète, il faut qu’on montre, d’une part que Se-ma Ts’ien a vu le texte antique du vrai K’ong Ngan-kouo, et d’autre part que ce texte était différent de celui qui a cours aujourd’hui.

Or, en premier lieu Se-ma Ts’ien a connu le texte antique de K’ong Ngan-kouo ; il nous dit lui-même que cet érudit ajouta plus de dix chapitres au Chou king et nous apprenons par Pan Kou que Se-ma Ts’ien avait suivi les enseignements de K’ong Ngan-kouo CXXVIII-1.

En second lieu, on trouve dans les Mémoires historiques deux chapitres dont les titres sont attribués à deux chapitres de l’ancien texte dans le Chou king traditionnel CXXVIII-2 ; ce sont le Tangkao (Mém. hist., chap. III, p. 2 v°) et la Grande Harangue (Mém. hist., chap. IV, p. 3 v° et 4 r° ; on en retrouve une citation dans le chap. XXXII, p. 1 v° et 2 r°). Ces textes sont entièrement différents de ceux que nous avons sous les mêmes noms dans le Chou king traditionnel.

Cependant, sur ces deux chapitres, il en est un, la Grande Harangue, qui, quoique rangé dans l’ancien texte par le Chou king traditionnel, ne se trouve pas dans la liste (liste B) des chapitres du véritable texte antique. Par conséquent le seul chapitre du véritable texte antique qui soit incorporé dans les Mémoires historiques est le Tang kao. Mais cet unique spécimen CXXVIII-3 est une preuve suffisante que Se-ma Ts’ien avait entre les mains le texte des chapitres ajoutés par K’ong Ngan-kouo et que ce texte, conformément à l’opinion des critiques chinois actuels, n’était point celui que nous présente le Chou king traditionnel.

Maintenant, c’est un fait remarquable que Se-ma Ts’ien n’ait puisé qu’en une seule occasion à la source abondante que le texte antique aurait dû lui ouvrir. Il est singulier en outre que l’oeuvre attribuée à K’ong Ngan-kouo ait disparu comme par enchantement entre le IIIe et le IVe siècles de notre ère. Nous sommes amenés ainsi à faire un pas de plus que les critiques chinois, et, après avoir contesté avec eux l’authenticité du texte qui a cours aujourd’hui sous le nom de Kong Ngan-kouo, nous mettons en doute la valeur de celui-là même qui dut apparaître à l’époque des premiers Han. A vrai dire, nous ne saurions en nier l’existence qui nous est attestée par le témoignage formel de Se-ma Ts’ien et par l’usage qu’il en fait en une occasion. Mais K’ong Ngan-kouo avait-il vraiment retrouvé seize chapitres nouveaux ou plutôt ne les avait-il pas reconstitués, comme d’autres le firent après lui, au moyen de centons plus ou moins habiles ? Nous adoptons cette dernière hypothèse qui nous paraît lever toutes les difficultés : en effet, Se-ma ts’ien aurait eu raison, dans ce cas, de ne pas attacher une grande valeur à ces textes et de n’en user qu’avec une extrême discrétion ; en outre, tandis que les chapitres dus à Fou Cheng résistaient victorieusement à l’épreuve du temps parce qu’ils étaient admis de tous comme authentiques, les chapitres de Kong Ngan-kouo cédèrent la place à d’autres restitutions faites avec un art égal ou plus grand par les savants qui le suivirent. Ne nous lamentons donc pas avec les érudits chinois sur la perte des livres de Kong Ngan-kouo ; leur disparition même et le peu d’emprunts que leur fait Se-ma Ts’ien sont la preuve qu’ils n’avaient pas une très grande importance.

Si Kong Ngan-kouo et d’autres après lui purent essayer de rétablir le texte de certains chapitres perdus du Chou king, ce serait faire injure à leur bonne foi que de croire qu’ils les forgèrent de toutes pièces. Ils se contentèrent de rassembler avec plus ou moins d’ingéniosité des fragments épars, de manière à en former quelques-uns des chapitres dont le titre, et l’analyse sommaire leur étaient fournis par la préface du Chou king. Se-ma Ts’ien nous donne en effet la preuve que ces fragments existaient en grand nombre ; il cite souvent des passages du Chou king qui ne se trouvent plus dans ce livre. En voici quelques exemples :

Dans le IIIe chapitre des Mémoires historiques (p. 1 v°), on lit un texte qui doit être le chapitre T’ang tcheng ( 湯征 ) dont nous n’avons plus que le titre dans la préface CXXX-1.

Chapitre LXVIII, p. 4 r° : « Le Chou {king) dit : Celui qui met sa confiance dans la vertu triomphe, celui qui met sa confiance dans la force se perd. »

Chapitre LXXIX, p. 9 r° : « Le Chou (king) dit : Là où on a eu de la chance, on ne doit pas s’attarder longtemps. »

En d’autres endroits, Se-ma Ts’ien cite des fragments du Chou king en les rapportant à des sections déterminées de ce recueil :

Chapitre XXIX, p. 1 r° : « Les livres des Hia disent : Quand Yu arrêta les eaux débordées, pendant treize années il passa devant sa demeure sans y entrer ; pour aller sur la terre ferme, il montait en char ; pour aller sur l’eau, il montait en bateau ; pour aller sur la boue, il se servait d’une sorte de van ; pour aller sur les montagnes, il se servait de crampons. »

Chapitre LXXXVIII, p. 2 v° : « C’est pourquoi les livres des Tcheou disent : Il faut (consulter) les trois hauts dignitaires et les cinq grands officiers CXXX-2. »

La conclusion à laquelle nous arrivons est donc celle-ci : à côté des chapitres trouvés par Fou Cheng il existait (et, à vrai dire, il eût été bien singulier qu’il n’existât pas) un certain nombre de citations éparses du Chou king. Se-ma Ts’ien les connaissait puisqu’il en reproduit plusieurs, mais il n’avait qu’une confiance médiocre dans les travaux ingénieux par lesquels ses contemporains avaient essayé de les coordonner.

Dans la discussion qui précède, nous avons eu plus d’une fois à mentionner la Grande Harangue et le lecteur aura sans doute remarqué qu’une certaine obscurité plane sur l’origine de ce chapitre. Le texte que nous donne Se-ma Ts’ien (Mém. hist., ch. IV et chap. XXXII) faisait-il réellement partie des vingt-neuf chapitres de Fou Cheng, et, s’il faut répondre par l’affirmative, comment expliquer que ce chapitre soit le seul du texte moderne qui soit entièrement différent dans les Mémoires historiques de ce qu’il est dans le Chou king traditionnel ? Si au contraire il fait partie du texte antique comme le veut le Chou king traditionnel (liste E), pourquoi n’apparaît-il pas dans la série des chapitres du vrai K’ong Ngan-kouo (liste B) ?

Les témoignages que nous trouvons sur la manière dont fut découvert le texte de la Grande Harangue sont les suivants :

D’une part, Kong Yng-ta (574-648 ap. J.-C.), dans le premier chapitre de son « Sens correct du Chang chou », cite un passage de l’ouvrage de Lieou Hiang (86-15 av. J.-G.) intitulé Pie lou, où il est dit : « A la fin du règne de l’empereur Ou (140-87 av. J.-G.), il y eut des gens du peuple qui trouvèrent le texte de la Grande Harangue dans une muraille ; on le présenta aux lettrés au vaste savoir (titre de certains fonctionnaires) qui furent chargés de le lire et de l’expliquer ; au bout de quelques mois tous se mirent à le répandre en en faisant l’objet de leurs enseignements CXXXI-1. » Le commentaire du Wen siuen (sur lequel cf. Wylie, Notes on Chinese Littérature, p. 192) cite ce même texte et ajoute : « C’est le chapitre Grande Harangue en texte moderne CXXXII-1. »

D’autre part, Wang Tch’ong ( Ier siècle ap. notre ère) dit, dans le XXVIIIe chapitre de son Luen heng CXXXII-2 : « Au temps de l’empereur Hiao Siuen (73-49 av. J.-C), une jeune fille du Ho nei CXXXII-3 trouva dans une vieille mai- son détruite un chapitre du I (king), un chapitre du Li (ki) et un chapitre du Chang chou ; on les présenta au trône ; l’empereur Siuen les remit par décret aux lettrés au vaste savoir ; ce fut à la suite de cela que le I (king), le Li (ki) et le Chang chou eurent chacun un chapitre de plus et que le Chang chou eut pour la première fois le nombre de ses chapitres fixé à vingt-neuf. » En outre, K’ong Yng-ta cite l’historien des Han postérieurs d’après lequel CXXXII-4, « la 14e année kien ngan (209 ap. J.-C.) . de l’empereur Hien, le vice-président des eunuques, Fang Hong et d’autres dirent : La première année pen che (73 av. J.-C.) de l’empereur Siuen, une jeune fille du Ho-nei qui possédait une vieille maison en ruines, y trouva les trois chapitres de la Grande Déclaration en texte antique. »

Ces témoignages sont unanimes à ne pas attribuer la Grande Harangue à K’ong Ngan-kouo ; c’est ce qui explique pourquoi les commentateurs les plus anciens ne font pas rentrer ce chapitre parmi ceux de l’ancien texte, tandis que les éditeurs du IVe siècle de notre ère, en compilant le texte qu’ils mirent faussement sous le nom de K’ong Ngan-kouo, y firent rentrer la Grande Harangue avec d’autres chapitres (liste H) dont le titre ne se trouve point dans le véritable texte antique (liste B).

Maintenant, la première des citations que nous avons faites rapporte la découverte de la Grande Harangue à la fin du règne de l’empereur Ou et les secondes la fixent à l’année 73 avant J.-G. Faut-il entendre qu’il s’agit de deux textes différents de la Grande Harangue, l’un qu’on pourrait appeler le texte moderne, comme semble le donner à entendre le commentaire du Wen siuen, l’autre étant l’ancien texte comme l’affirme l’historien des Han postérieurs ? Ou bien convient-il de supposer que, la fin du règne de l’empereur Ou étant l’année 87 et n’étant distante que de quatorze années de l’an 73, les deux découvertes prétendues distinctes n’en sont qu’une seule assignée par erreur à des dates différentes ? Dans cette seconde hypothèse le passage du commentaire du Wen siuen (cf. p. CXXXII, note 1) devrait être traduit : « C’est maintenant (c’est-à-dire dans les éditions usuelles) le chapitre Grande Harangue » ; en outre, la date 73 avant J.-C. devrait être considérée comme la seule correcte, car les témoignages qui nous la fournissent sont plus précis que l’unique affirmation de Lieou Hiang.

Si on adopte la première manière de voir, Se-ma Ts’ien aurait pu connaître le texte qui fut trouvé à la fin du règne de l’empereur Ou et ce serait ce texte même qu’il nous donnerait sous le nom de Grande Harangue. Dès lors il ne pourrait pas faire rentrer la Grande Harangue au nombre des vingt-neuf chapitres de Fou Cheng. Quel serait donc le vingt-neuvième chapitre ?

Un critique moderne, Tch’en Pien-sieou CXXXIV-1, a soutenu avec beaucoup d’ingéniosité que le vingt-neuvième chapitre de Fou Cheng était, aux yeux de Se-ma Ts’ien, la préface du Chou king. En effet, il est certain que Se-ma Ts’ien a connu la préface du Chou king, car il en fait un usage constant dans son oeuvre et en cite successivement, en divers endroits, presque tous les paragraphes ; en outre, il attachait à ce texte une grande importance, puisqu’il en attribue formellement la composition à K’ong-tse : « (K’ong-tse), dit-il CXXXIV-2, fit une préface aux mémoires du Chou king, en remontant jusqu’à l’époque de T’ang (Yao) et de Yu {Choen) et en descendant jusqu’à Mou, duc de Ts’in, et il mit un ordre entre ces faits. » Ailleurs encore il écrit : « K’ong-tse se servit des écrits des historiens pour mettre en ordre le Tch’oen ts’ieou ; il note les années initiales, et détermine les saisons, les jours et les mois ; telle fut son exactitude ! Mais quand il fit une préface au Chang chou, alors il s’abstint en général de marquer les années et les mois ; si accidentellement il les donne, cependant beaucoup (de dates) faisaient défaut et il ne put les écrire. Ainsi, sur les matières douteuses, il nous a transmis des doutes ; telle fut sa bonne foi !CXXXIV-3 »

Mais, si la préface, telle que nous l’avons aujourd’hui CXXXIV-4, forme un tout et peut être considérée comme un chapitre spécial du Chou king, il n’en était pas ainsi autrefois ; la préface a été constituée par la coordination de paragraphes indépendants qui, à l’origine, servaient d’entête aux divers chapitres : or, du temps de Se-ma Ts’ien, cette fusion ou cette réunion n’avait pas encore été opérée ; en effet, dans les Mémoires historiques, les paragraphes de la préface restent isolés les uns des autres ; bien plus, ils se succèdent dans un ordre qui n’est pas toujours celui qu’ils ont reçu dans la rédaction définitive de la préface ; ainsi Se-ma Ts’ien place le Hien yeou i té après le T’ang kao, tandis que la préface le range après le T’ai kia CXXXV-1 ; enfin l’historien rappelle certains paragraphes que ne comporte plus la rédaction actuelle de la préface ; tel est le paragraphe où il est parlé d’un chapitre intitulé T’ai meou CXXXV-2. De ces remarques il résulte que ce qu’on appelait la préface du Chou king, au temps de Se-ma Ts’ien, était l’ensemble des paragraphes qui se trouvaient disséminés au début des divers chapitres. Se-ma Ts’ien n’a donc pas pu considérer la préface comme un chapitre particulier du Chou king et ce n’est pas elle qu’il compte dans rémunération des vingt-neuf chapitres de Fou Cheng.

Si la préface n’est pas le vingt-neuvième chapitre de Fou Cheng, la seule hypothèse qui soit encore possible est que ce vingt-neuvième chapitre n’est autre que la Grande Harangue. Ainsi les témoignages qui rapportent la découverte de la Grande Harangue soit à la fin du règne de l’empereur Ou, soit en l’an 73 avant J.-C, concernent un texte de ce chapitre qui n’est point celui qu’a connu Se-ma Ts’ien et c’est pourquoi il est probable que la date 73 avant J.-C, postérieure à l’achèvement des Mémoires historiques, est la seule exacte. La Grande Harangue citée par Se-ma Ts’ien faisait partie du texte moderne du Chou king et constituait l’un des chapitres de Fou Cheng ; peu après la mort du grand historien, on remit au jour un autre texte qui est sans doute le texte dit antique que nous avons maintenant dans le Chou king traditionnel. Le texte exhumé en l’an 73 se substitua graduellement à celui de Fou Cheng parce qu’il est le seul chapitre du texte antique qui ait été découvert avant l’époque où le texte moderne de Fou Cheng fut définitivement accepté de tous et reconnu pour inviolable.

Résumons ce qui précède : le Chou king est une des sources les plus importantes de Se-ma Ts’ien, comme on le voit par la multiplicité des citations qu’il en donne ; mais le Chou king dont il se sert se réduit presque uniquement aux vingt-neuf chapitres du texte moderne de Fou Cheng et aux paragraphes dont la réunion a formé plus tard la préface ; nous devons donc voir, dans le texte moderne et la préface, les parties les plus anciennement reconstituées du Chou king. Quant au texte antique attribué à K’ong Ngan-kouo dans le Chou king traditionnel, Se-ma Ts’ien ne le cite en aucune occasion, ce qui prouve que ce texte, sans être une pure invention de faussaires, a été établi au moyen de fragments coordonnés avec art par des érudits postérieurs à Se-ma Ts’ien qui ont mis leur oeuvre sous l’autorité du nom de K’ong Ngan-kouo. Enfin, un travail analogue avait été réellement fait, à l’époque de Se-ma Ts’ien lui-même, par K’ong Ngan-kouo ; mais, puisque les Mémoires historiques ne donnent qu’une seule citation (le T’ang kao) de ce véritable texte antique, c’est l’indice qu’il ne jouissait pas du même crédit que le texte de Fou Cheng et qu’il n’y a pas lieu d’en regretter outre mesure la disparition.





CXIII-1. Le plus ancien texte qui nous donne ce témoignage est la Petite préface du Chou king ( 小序 ) ; la Petite préface passe pour être l’oeuvre de Confucius lui-même ; elle est en tous cas antérieure à Se-ma Ts’ien qui l’attribue formellement à Confucius et la cite souvent ; si on fait le relevé des chapitres mentionnés dans la Petite préface, on voit qu’il y en avait 100 répartis sur 81 sujets, — K’ong Ngan-kouo, contemporain de Se-ma Ts’ien, dit aussi, dans sa préface au Chou king, que ce livre comptait à l’origine cent chapitres (voy. ce texte de K’ong Ngan-kouo dans Legge, Chinese Classics, t. III, prol,. p. 4, note 5). — Enfin nous relevons dans un commentateur de Se-ma Ts’ien, Se-ma Tcheng (Mém. hist., ch, LXI, p. 1 r°), la curieuse citation suivante :

書緯稱孔子求得黃帝玄孫帝魁之書迄秦穆公凡三千三百三十篇乃刪以一百篇爲尙書十八篇爲中侯。 « Un appendice du Chou king (on appelle wei des traités anciens qui se rattachaient aux divers livres canoniques par les sujets dont ils parlaient) dit : K’ong-tse rechercha et trouva les écrits concernant l’empereur K’oei (il doit être ici question de Yao, mais je ne puis expliquer pourquoi il est appelé K’oei), arrière-arrière-petit-fils de Hoang-ti et alla jusqu’au duc Mou, du pays de Ts’in ; il y avait en tout 3330 chapitres ; il en fit la récension et, de cent chapitres il composa le Chang chou (ou Chou king), de dix-huit chapitres il composa le Tchongheou (je n’ai pas pu déterminer quel ouvrage était désigné par ce titre, mais il est souvent cité dans l’encyclopédie Yuen kien lei han). »

CXV-1. Mémoires historiques, chap. cxxi, p. 4 ro

CXV-2. Voir l’ouvrage du critique moderne Tch’en Pien-sieou 陳編修 dans le Hoang ts’ing king kié, ehap. MCCXI, p. 1 r°.

CXV-3. En se reportant au deuxième index placé à la fin de ce volume, on trouvera tous ces titres écrits en chinois.

CXVI-1. Mémoires historiques, chap. CXXI, p. 4 r° : 孔氏有古文尚書而安國以今文讀之因以起其家逸書得十餘篇蓋尚書滋多於是矣。

CXVI-2. Ts’ien Han chou, chap. XXX, p. 3 v° : 古文尚書者出孔子壁中。武帝末魯共王懷孔子宅欲以廣其宮而得古文尚書及禮記論語孝經凡數十篇皆古字也。。。孔安國者孔子後也悉得其書以考二十九篇得多十六篇。

CXVII-1. Ts’ien Han chou, chap. XXXVI, p. 22 r° : 及魯恭王壞孔子宅,欲以為官,而得古文於壞壁之中逸禮有三十九書十六篇天漢之後孔安國獻之。

CXVII-2. Ts’ien Han chou, chap. LIII, p. 2 v° : 魯恭王餘....以孝景前三年徙王魯....二十八年薨。

CXVIII-1. Luen heng, chap. XXVIII, p. 1 v° : 至老景帝時魯共王裹子教授堂以烏殿得百篇x墻壁中。 Wang Tch’ong 王充 vécut environ de 19 à 90 après J.-C. (ap. Mayers, Manual, n° 795); son ouvrage, le Luen heng, se trouve dans le Han Wei ts’ong chou.

CXVIII-2. Mémoires historiques, chap. XLVII, p. 12 r°.

CXIX-1. Voyez le Chang chou kou wen chou tcheng dans le Hoang Ts’ing king kie, chap. XXIII,p. 5 r°. —L’auteur de cet ouvrage se nomme Yen Jo-k’iu 閻若璩  ; il cherche à rectifier l’opinion traditionnelle à l’aide de ce que nous pouvons apprendre par les lettrés de l’époque des Han ; il oppose à la thèse généralement acceptée de K’ong Yng-ta 孔穎達 (574-648 ap. J.-C.) les enseignements beaucoup plus anciens de Tcheng Hiuen (127-200 ap. J.-C).

CXIX-2. Hoang Ts’ing king kié, chap. XXVIII, p. 9 r° : 武成逸書建武之際亡 .

CXIX-3. Hoang Ts’ing king kié, chap. XXVIII, p. 9. — Il est à remarquer que la liste qui suit coïncide avec celle qui nous est donnée comme étant la table des livres laqués de Tou Lin 杜林 (cf. Legge prolég. au Chou king, p. 29). Tou Lin ne fit que remettre au jour, au commencement commencement de la seconde dynastie Han, l’ancien texte établi par K'ong Ngan-kouo (Hoang Ts’ing king kié. chap. XXVIII, p. 1 v°). Ce fut sur le texte de Tou Lin que Ma Yong 馬融 (79-166 ap. J.-C ) et Tcheng Hiuen (127-290.ap. J.-C.) firent leurs commentaires ; c’est donc en se servant des débris qui nous ont été transmis des oeuvres de ces deux auteurs que la critique chinoise moderne a pu découvrir les différences qui existent entre le texte de Tou Lin et par suite de Kong Ngan-kouo d’une part et, d’autre part, le texte qui nous est présenté faussement par le Chou king traditionnel comme ayant été établi par

CXXII-1. 僞孔氏 .

CXXII-2. Yen Jo-k’iu. dans H, T. K. K., chap. XXVIII, p. 3 r°.

CXXIII-1. Cf. Wylie, Notes on Chinese Literature, p. 6.

CXXIII-2. D’une manière générale, l’opinion que nous exposons ici est soutenue par tous les critiques qui ont vécu sous la dynastie actuelle et dont les écrits ont été incorporés dans les deux magnifiques collections intitulées Hoang Ts’ing king kié et Siu hoang T’sing king kié (que je désigne respectivement par les abréviations H. T. K. K. et S. H. T. K. K.); nous pouvons citer parmi eux Kiang Cheng (H. T. K. K., chap. CCCXC-CCCCIII) : Toan Yu-ts’ai (H. T. K. K., chap. DLXVII-DXCIX); Wang Ming-cheng (H. T. K. K., chap. CCCCIV-CCCCXXXIII) ; Suen Sing-yen (H. T. K. K., chap. DCCXXXV-DCCLXXIII) ; Yen Jo-k’iu (S. H. T. K. K., chap. XXVIII-XXXVI) ; Ting Yen-kien {S. T. H. K. K., chap. DCCCXLIV). — Tout en rendant hommage au grand talent dont le Dr Legge a fait preuve dans sa traduction du Chou king, il nous semble que sa discussion critique du texte de ce livre {Chinese Classics, III, proleg., p. 15-34) fait trop facilement bon marché des travaux considérables de l’exégèse moderne.

CXXIV-1. Voyez le texte cité plus haut, p. CXV.

CXXV-1. Ts’ien Han chou, chap. LXXXVIII, p. 9 v° : 而司馬遷亦從安國問。故遷書載堯典禹貢洪範微子金滕諸篇多古文說。

CXXV-2. Cf. Kiang Cheng, dans H. T. K. K., chap. CCCXC, p. 37 r° et Tch’en Pien-sieou, dans H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 21 r°.

CXXV-3. Tch’en Pien-sieou dans H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 21 r°.

CXXVI-1. Telle est l’opinion de Tch’en Pien-sieou (H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 21 r°). — Le texte précité se trouve dans les Mémoires historiques, chap. XXXIII, p. 2 v°, et dans le Chou king de Legge, p. 467.

CXXVI-2. Mémoires historiques, chap. I, p. 5 v° et 6 r°, et Chou King de Legge, p. 21. — Cf. plus loin, p. 48, n. 1.

CXXVI-3. Mémoires historiques, chap. I, p. 8 r° et Chou King de Legge, p. 37. — Cf. plus loin, p. 64, n. 3.

CXXVI-4. Cf. Tch’en Pien-sieou (H. T. K. K., chap. MCCXLI, p. 25 et suiv.).

CXXVII-1. Mémoires historiques, chap. i, p. 6 v° et Chou king de Legge, p. 32.

CXXVIII-1. Voyez plus haut, p. CXVI, note 1 et p. CXXV, note 1.

CXXVIII-2. Ce sont les numéros 4 et 14-16 de la liste E.

CXXVIII-3. Cf. Chou king de Legge, p. 190, et notre traduction des Mémoires historiques t. I, p. 185, note 3.

CXXX-1. On lira plus loin (p. 177, n. 2), dans les notes à notre traduction de ce passage, les raisons qui nous déterminent à y reconnaître le T’ang tcheng. — V. aussi Kiang Cheng (H. T. K. K., chap. CCCXCLII, p. 1 v° et 2 r°).

CXXX-2. Voyez encore chap. XL, p, 14 r° ; chap. LXIX, p. 5 v°; chap CXII, p. 3 v° ; chap. CXXIX, p. 1 v°. — Ces passages ont été relevés par Yen Jo-k’iu (S. H, T. K. K., chap. XXXII, p. 23 v°).

CXXXI-1. ...... ... Cité par Tch’en Pien-sieou (H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 1 r°).

CXXXII-1. . Cf. Tch’en Pien-sieou, H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 1 r°.

CXXXII-2. Le Luen heng (cf. Mayers, Manual, n° 795 et Hutchinson, dans China Review, vol. VII) est réimprimé dans le Han Wei ts’ong chou ; cette citation se trouve au chap. XXVIII, p. 1 r°. .

CXXXII-3. Aujourd’hui la préfecture de Hoai-k’ing, dans la partie du Ho-nan située au nord du fleuve Jaune.

CXXXII-4. — Tous ces textes sont cités par Tch’en Pien-sieou {H. T. K. K., chap. MCCLI, p. 1).

CXXXIV-1. Dans le Hoang Ts’ing king kié, chap. MCCLI, l" section.

CXXXIV-2. Mémoires historiques, chap. XLVII, p. 9 v° : 序書傳上紀唐虞之際下至秦繆編次其事。

CXXXIV-3. Id., chap. XIII, p. 1 r° : 孔子因史文次春秋記元年正時日月蓋其詳哉至於序尚書則畧無年月或頗有然多闕不可錄故疑則傳疑蓋其慎也。

CXXXIV-4. M. Legge l’a traduite dans son Chou king, p. 1-14.

CXXXV-1. Mémoires historiques, chap. III, p. 3 r° (cf. plus loin, p. 187), et Legge, Chou king, p. 6, § 20.

CXXXV-2. Mémoires historiques, chap. m, p. 3 vo (cf. plus loin, p. 191, n. 2.)