Napoléon III et le général Dufour (correspondance 1830-1872)

La bibliothèque libre.
Napoléon III et le général Dufour d’après une correspondance inédite (1830-1872)
Eugène de Bude

Revue des Deux Mondes tome 20, 1904


NAPOLÉON III
ET
LE GÉNÉRAL DUFOUR
D’APRÈS UNE CORRESPONDANCE INÉDITE (1830-1872]

Quand la reine Hortense, réfugiée en Suisse, eut besoin d’un précepteur pour le jeune prince Louis-Napoléon, elle songea tout d’abord à un Genevois, ancien soldat de l’Empereur et dont le dévouement à la cause bonapartiste lui était connu. Les démarches faites à ce moment ne purent aboutir ; mais elles furent l’origine de relations cordiales entre le neveu de Napoléon et l’officier suisse connu sous le nom de général Dufour.

Avant de reproduire ici les lettres[1] que Napoléon III adressait à Dufour, il est bon de rappeler en quelques mots la carrière de ce dernier.

Né en 1787 dans le grand-duché de Bade, à Constance, où sa famille, d’origine genevoise, avait émigré pour des raisons politiques, Guillaume-Henri Dufour vint à Genève à l’âge de trois ans, et c’est là qu’il fit son éducation. Tout enfant, il montrait un goût très vif pour les exercices militaires. C’est avec une vraie passion qu’il suivait les manœuvres des recrues françaises entrées récemment à Genève. On sait qu’en 1798 cette ville avait été incorporée à la France avec le titre de chef-lieu du département du Léman.

A l’âge de vingt ans, il réussit à entrer à l’École polytechnique de Paris, où il passa deux années. Puis après un court séjour à l’École pratique de Metz, il fut envoyé à Corfou, en qualité de lieutenant du génie, afin de protéger cette île, limite extrême, à l’Orient, de l’empire napoléonien, contre les attaques des Anglais. Bientôt nommé capitaine, il prit en main la direction des travaux et les fit avancer rapidement. Au bout de trois ans, la chute de Napoléon le ramène en France. Il fut un des derniers à vouloir quitter son poste et insista auprès du gouverneur de l’île pour que le drapeau impérial fût maintenu le plus longtemps possible, « jusqu’au moment, dit-il, où un brick, portant à l’arrière le pavillon blanc, nous apporta l’ordre attendu, avec celui de remettre aux Anglais les forts, le matériel et les subsistances. » Une flotte française arriva pour prendre la garnison et la ramener en France. Là, il entra dans le 3e régiment du génie. Vers la fin de 1814, il obtint un congé de semestre qu’il alla passer à Genève. Il y séjournait encore lorsque arriva la nouvelle du retour de Napoléon. Dufour, rentré au service, fut envoyé à Lyon, où on le chargea d’exécuter, entre le Rhône et la Saône, d’importans travaux de fortification. Il s’acquitta de cette tâche d’une manière si satisfaisante que ses chefs demandèrent pour lui le grade de commandant. Mais les événemens empêchèrent sa nomination. Après Waterloo, Dufour fut de ceux qui se retirèrent derrière la Loire pour continuer la lutte. Aussi, lors de l’épuration de l’armée qui suivit le second retour des Bourbons, au lieu d’obtenir de l’avancement, fut-il mis en disponibilité et réduit à la demi-solde. On le plaça dans la quatorzième et dernière catégorie, celle des bonapartistes incorrigibles ! Il perdit encore une somme d’environ trois mille francs qui lui était due. Tout ce qui se passait en France n’était pas fait pour l’y retenir. Se séparant à regret de ses camarades, il se hâta d’aller revoir sa ville bien-aimée, sa chère Genève.

Huit années passées sous les drapeaux de l’Empereur avaient allumé dans le cœur de Dufour un culte pour Napoléon qui ne s’est jamais démenti. Mais, ne voulant point servir le nouveau régime, il renonça à la nationalité française, pour se consacrer tout entier au service de sa patrie. En dépit des préjugés anti-bonapartistes, qui étaient alors très vifs autour de lui, il fut nommé professeur de mathématiques à l’Académie, chef du génie cantonal, ingénieur civil du canton, et enfin lieutenant-colonel des milices genevoises. Voyant son avenir assuré, Dufour se maria et se fixa pour toujours à Genève. On l’employa à la délimitation des frontières avec la France ; puis il s’occupa de la carte locale, du cadastre et de divers travaux publics. En 1819, il créa l’école militaire de Thoune, dans laquelle il remplit d’abord les fonctions d’instructeur en chef du génie et de l’état-major, puis de commandant à partir de 1831. En 1827, il avait atteint le grade de colonel, le plus élevé de l’armée suisse en temps de paix. Le gouvernement helvétique avait trouvé le chef capable d’organiser les forces militaires de la Confédération, et il sut en tirer parti.

En 1833, Dufour commence la carte topographique de la Suisse, ouvrage magistral qui ne tarda pas à assurer à son auteur une réputation européenne. Il y travailla trente-deux ans. Grâce à l’emploi de la lumière oblique, il obtint une carte très expressive, très pittoresque, et dont le succès fut complet, lorsqu’on la vit dans son entier étalée à l’Exposition universelle de 1867.

Quand le gouvernement français prétendit exiger de la Suisse l’expulsion du prince Louis-Napoléon, Dufour se déclara avec chaleur pour le maintien du droit d’asile. En 1847, lorsque la lutte entre le parti radical, en majorité protestant, et le parti conservateur catholique fit éclater la guerre dite du Sonderbund, Dufour dut prendre, avec le titre de général en chef, le commandement des troupes dirigées contre les cantons catholiques. Il parvint à étouffer la résistance en deux mois, sans grande effusion de sang. Trois fois encore il fut investi du commandement suprême : en 1849, pour empocher les insurgés badois de violer la neutralité de la Suisse ; en 1856, lorsqu’il s’agit d’occuper le Rhin après l’insurrection de Neuchâtel ; enfin, en 1859, durant la guerre d’Italie. Nommé membre du Conseil d’État de Genève en 1863, il rendit d’éminens services à son pays comme homme politique. Et, à côté du militaire distingué, du magistrat intègre, il y avait encore, chez Dufour un philanthrope éminent. Rappelons en passant qu’il se mit à la tête du mouvement inauguré par l’ouvrage de M. Henri Dunant intitulé : Un souvenir de Solférino, et qui devait aboutir à la<fondation de la Croix-Rouge. Dufour présida, en 1864, le congrès international réuni à Genève en vue de conclure un traité pour la neutralisation des ambulances, du personnel sanitaire et des blessés. Les mérites de Dufour dans la création de cette institution humanitaire ne suffiraient-ils pas à immortaliser son nom ?

Il va sans dire qu’au cours de sa longue carrière, les distinctions honorifiques ne lui manquèrent pas, bien qu’il ne les recherchât nullement. Après avoir reçu la croix de la Légion d’honneur en 1814, il devint officier de cet ordre en 1831, grand-officier en 1852, enfin grand-croix le 25 janvier 1866. Il était décoré de la Couronne de fer de première classe, du grand cordon des ordres des Saints-Maurice et Lazare, de la Rose du Brésil, etc.

Ajoutons, pour être complet, que le général Dufour a publié plusieurs ouvrages estimés sur les travaux de guerre, sur l’artillerie ancienne, sur les fortifications, sur les vaisseaux de guerre dans l’antiquité, sans parler de divers mémoires, tels que celui sur la campagne du Sonderbund, et de nombreux articles de journaux.

Nous arrivons maintenant aux lettres adressées par Napoléon III à Henri Dufour.

La première en date est écrite d’Arenenberg, le 6 octobre 1830. Le prince avait alors vingt-trois ans. Il faisait, ses préparatifs pour se rendre en Italie avec sa mère.

« Je ne veux pas, dit-il, partir de la Suisse sans vous écrire pour vous exprimer encore toute l’amitié que je vous porte et toute la reconnaissance que m’ont fait éprouver vos bons soins pour moi. Nous avons pensé souvent à vous depuis votre départ et nous avons bien regretté que votre séjour ait été si court.

Nous partons le 14 pour l’Italie. J’aurais bien désiré avoir encore ici de vos nouvelles, mais je conçois facilement que vos occupations vous aient empêché de m’en donner. Dieu sait quand je vous reverrai ! L’avenir est gros d’événemens, et je ne puis encore prévoir quelle sera la carrière qui s’ouvrira devant moi. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que je n’en suivrai qu’une honorable ; et, soit dans ma patrie, soit dans des pays étrangers, mon but constant sera de mériter l’estime de mes semblables et de me rendre digne du beau nom que je porte.

Chaque jour qui s’écoule me fait regretter de plus en plus de n’avoir pas été élevé et instruit par vous : je serais bien plus à la hauteur des événemens. J’ai un grand amour pour tout ce qui est beau et généreux ; j’ai un grand désir de bien faire. Mais cela ne suffit pas ; il faut de grandes connaissances, et celles-là, je les aurais acquises avec vous. »

Nous avons de France d’assez bonnes nouvelles ; notre seule politique est de ne pas faire parler de nous publiquement. »


Le départ annoncé pour le 14 octobre dut être différé de quelques jours, et c’est encore d’Arenenberg que, le 15, Louis-Napoléon remercie Dufour de s’être associé aux démarches faites pour permettre aux exilés de rentrer en France.


« Vous êtes bien bon, écrit-il, de penser à moi et de me parler de votre amitié. Ah ! quand on a des amis comme vous, on ne peut plus regretter les grandeurs ! car, sur le trône, on n’a pas d’amis ! Vous avez aussi voulu contribuer à faire révoquer l’injuste arrêt qui nous exile ; je vous en remercie, mais je crains que tout le monde n’y échoue. Qui croirait qu’une nation ou plutôt un gouvernement qui peut disposer de trente-deux millions de Français ait peur des Anglais, et que les froids insulaires commandent à la France de laisser dans l’exil les parens de celui qui a tant fait pour elle ? »


On sait comment Louis-Napoléon se trouva mêlé aux mouvemens révolutionnaires qui agitèrent la Romagne en 1830. Les insurgés, qui, avant tout, sentaient la nécessité d’avoir un chef capable à leur tête s’adressèrent au jeune prince. Mais le gouvernement romain s’empressa de le faire conduire à la frontière. Il se rendit à Florence, d’où il écrivit à Dufour, le 32 décembre 1830 :


« Vous apprendrez peut-être avec étonnement que le gouvernement romain a eu peur de moi et qu’il m’a exilé de Rome. Je suis ici auprès de mon père et de mon frère depuis dix jours. »


Sur ces entrefaites, le fils aîné du roi Louis fut emporté en quelques jours par la rougeole. Peu de temps après, la reine, avec le fils qui lui restait, partait secrètement pour Paris ; mais elle ne put y rester longtemps et reçut bientôt l’ordre de quitter la France. Elle alla faire un court séjour en Angleterre ; et c’est de Londres que, le 7 juillet 1831, le prince écrivait à Dufour, qui lui avait exprimé sa sympathie à l’occasion de la mort de son frère :


« J’ai reçu hier votre lettre. Jamais marque d’intérêt ne m’a été plus sensible, et jamais je n’en ai eu plus besoin qu’actuellement. Ah ! si vous aviez connu mon frère, vous comprendriez combien je dois être inconsolable ; mais permettez-moi de passer sous silence les détails d’une époque dont les souvenirs me sont si cruels qu’ils absorbent en moi tout autre sentiment. Il faut que je tâche de me consoler en pensant aux amis qui me restent, et je vous assure que, dans mon cœur, vous êtes bien au premier rang. Je serais bien heureux de vous revoir, de causer avec vous, de vous dire combien je compte sur votre amitié. Nous allons bientôt partir pour la Suisse ; ainsi j’espère avoir le plaisir de vous voir. »


Et le prince termine par ces lignes pleines d’une emphase juvénile :


« L’avenir est encore bien gros d’événemens ; mais, n’importe ce qu’il arrive, on me verra toujours dans le chemin de l’honneur, car je n’oublierai jamais que je suis Français et neveu du grand homme ! »


Le 19 septembre de la même année, revenu à Arenenberg, Louis-Napoléon adresse à Dufour la lettre suivante, où se manifeste ardemment sa sympathie pour la malheureuse Pologne :


« Je vous aurais écrit plus tôt, si, depuis quelque temps, je n’étais un peu malade. Nous voici donc de retour en Suisse. Quand je me retrouve à la même place où j’étais il y a un an, je crois que j’ai rêvé et que tout ce qui s’est passé n’est qu’un songe. Hélas ! je voudrais bien pouvoir me le persuader !

J’éprouverais un grand plaisir à vous voir. Maman aussi en serait charmée. Ainsi, si vos occupations vous le permettent, venez trouver quelqu’un qui vous aime tendrement et qui attache un grand prix à votre amitié. Si vous ne pouvez pas venir, j’irai vous faire une petite visite à Genève, quand je serai entièrement rétabli.

J’ai appris hier la prise de Varsovie ; vous pouvez vous imaginer l’impression que m’a faite cette nouvelle. Que les souverains qui ont vu cette lutte admirable, sans chercher à sauver la victime des mains du bourreau, en soient récompensés par la haine et le mépris du genre humain ! J’espère qu’ils éprouveront un jour, ces êtres sans cœur, ce qu’il en coûte à ceux qui n’embrassent pas la cause de l’humanité, la cause de la civilisation européenne, la cause nationale des peuples qu’ils régissent. Le règne de Louis-Philippe aura été plus méprisable que celui de Louis XV, plus fatal à la liberté que celui de Charles X !

Mais je ne veux pas donner libre cours à mes sentimens blessés ; je suis sûr que vous pensez comme moi, et j’attends que nous nous retrouvions pour pouvoir politiquer à mon aise avec un ami. »


Un an plus tard, nous trouvons le prince plongé dans des travaux militaires. La lecture du Mémorial lui inspire tout un plan de défense pour la France, et il voudrait avoir sur ce point l’avis du colonel Dufour. Il lui écrit d’Arenenberg, le 6 septembre 1832 :


« Depuis que je suis revenu ici, j’ai réfléchi au projet de travail dont je vous avais parlé, et j’ai trouvé dans le Mémorial de Sainte-Hélène un passage qui m’a suggéré beaucoup d’idées. Dans le septième volume, page 63, l’Empereur dit, à propos d’Anvers, qu’il voudrait la rendre capable de recueillir une armée entière dans sa défaite et de résister à une année de tranchée ouverte, pendant laquelle une nation aurait le temps, dit-il, de venir en masse la délivrer et reprendre l’offensive. Cinq ou six places de la sorte étaient d’ailleurs le nouveau système de défense qu’il avait le projet d’établir à l’avenir.

Voici le plan que je voudrais développer. C’est une tâche assez difficile ; aussi aurai-je souvent recours à vos bontés et à vos conseils. Je pense énumérer d’abord les avantages d’avoir cinq ou six grandes places fortes, au lieu des 90 que possède la France ; je suppose la France ayant ses limites naturelles. Ces villes seraient non seulement un centre pour toutes les opérations militaires, mais elles auraient encore l’avantage d’être de petites capitales qui diminueraient l’influence de Paris et ne feraient plus dépendre le sort de la France de la prise de sa capitale. Il me semble que les villes les mieux situées pour réaliser ce projet sont Anvers, Coblenz, Strasbourg, Paris, Lyon, Nantes, Bordeaux.

Paris et Lyon seraient, en cas d’invasion, les deux grands centres d’opération ; Anvers, Coblenz et Strasbourg seraient des points d’appui pour la frontière du Nord ; Nantes serait un refuge sur la Loire, dans le cas où la capitale serait prise ; quant à Bordeaux, il est, je crois, le moins important, en ce qu’il ne défendrait que le Midi contre l’Espagne.

Ce qu’il y a encore de difficile, c’est de rendre une place forte capable de résister un an à un ennemi pourvu de tous les moyens d’attaque. J’ai dans la tête une nouvelle idée exécutable seulement pour les grandes places : c’est de disposer les fortifications de manière à ce qu’il n’y ait que deux ou trois points (et non fronts) attaquables, de sorte que toutes les ressources de l’art seraient employées pour rendre ces points-là aussi redoutables que possible. Comme le désavantage de la défense ne vient que de la divergence des coups des assiégés, tandis que ceux des assiégeans sont convergens, en donnant aux fronts bastionnés un développement circulaire, il n’y aurait que l’intersection des demi-cercles d’attaquable ; ce sont ces points-là qu’il faudrait fortifier avec tout le soin possible.

Voilà, en peu de mots, mon projet, que je n’ai pas encore bien calculé, mais que je vous explique tant bien que mal, afin que vous redressiez mes idées dès le commencement, si elles sont fausses. Vous voyez, colonel, que je compte sur votre amitié, et que j’use de tout le droit que vous m’avez donné de vous demander des conseils. »


Dans les années qui suivent, le prince se trouve plus fréquemment en contact avec Dufour, puisqu’il suit sous sa direction les cours de l’École militaire de Thoune. C’est donc de vive voix, plutôt que par lettres, qu’ils peuvent s’entretenir des sujets qui les intéressent. Bientôt Louis-Napoléon va se poser en prétendant, et il prépare en secret l’expédition qui aboutira à la malheureuse échauffourée de Strasbourg. Pendant ce temps, on songeait à le marier, et voici, dans une courte lettre du 18 janvier 1836, une allusion à ses prétendues fiançailles avec la jeune reine de Portugal, Doña Maria.


« A peine la fausse nouvelle de mon mariage avec Dona Maria avait-elle été répandue que je reçus plusieurs lettres de personnes que je ne connaissais pas : les unes pour me demander des places, les autres pour m’engager à refuser, disant qu’elles seraient très peinées de me voir aller en Portugal. Vous comprenez que les premières m’ont fait rire, tandis que les autres m’ont touché. »


Voici encore une lettre de félicitations, écrite d’Arenenberg le 13 mars 1836, mais où les préoccupations politiques se font jour de plus en plus.


« Nous avons, dit-il, appris avec plaisir que vous êtes de nouveau père ; recevez-en mes félicitations, quoique ce soit encore une fille[2]. Les femmes de nos jours ont une grande influence. Vos filles hériteront sans doute des vertus de leurs parens, et il y a des bonnes graines dont on ne saurait avoir trop de semences.

Les affaires d’Europe s’embrouillent de plus en plus ; mais, malgré tous les élémens de bonheur ou de malheur, il ne se fait rien de grand dans aucun sens. Le règne de Louis-Philippe, s’il n’est pas le règne de l’égalité politique, est au moins celui de l’égalité morale : tout est plat et rien ne s’élève ; tout fermente sans jamais éclater ! Et il en sera ainsi jusqu’au jour où un nouveau Brennus viendra jeter son épée dans la balance politique.

Avez-vous lu les guerres ; de César commentées par l’empereur Napoléon ? C’est un chef-d’œuvre. Les dernières pages, où l’Empereur explique et défend César, homme du peuple, contre Brutus assassin et aristocrate, m’ont enthousiasmé. Des idées nettes, grandes, logiques sont toujours belles à entendre ; malheur à ceux qui ne les comprennent pas ! »


Quelques mois plus tard, Louis-Napoléon crut que le moment était arrivé de mettre à exécution le plan qu’il méditait depuis longtemps et auquel des hommes marquans avaient non seulement donné leur approbation, mais promis leur concours.

Nous voulons parler de la tentative de Strasbourg. On sait comment elle échoua et dans quelles circonstances le prince fut embarqué pour l’Amérique. Le 16 mai 1837, il adresse à Dufour une longue lettre où il lui fait part de ses impressions :


« J’ai tardé quelque temps à vous répondre ; mais je ne veux pas remettre à une époque plus éloignée le plaisir de m’entretenir avec un ami. J’ai eu des momens bien cruels à passer ; mais aussi j’ai trouvé bien des compensations, en apprenant, à mon arrivée ici, l’acquittement de mes amis et en recevant des marques non équivoques de dévouement et d’intérêt. Votre lettre m’a fait tant de bien ! Quand on est malheureux, on sent doublement le prix de l’amitié. J’ai bien souvent pensé à, vous ; j’ai bien souvent pensé que vous partagiez tous mes tourmens, tous mes chagrins, que votre bienveillante inquiétude me suivait partout.

Je vous assure que, sans être superstitieux, je crois cependant à une certaine fatalité, quand je pense que j’avais dans les mains tant de chances de réussite, que j’avais fait des plans dont maintenant je sens encore plus toute la rectitude et que nous avons tous été nous jeter dans un affreux casse-cou !… Si j’éprouve bien des regrets, je n’ai aucun repentir, et, si je me trouvais dans les mêmes circonstances, j’agirais comme je l’ai fait ; seulement, je me défierais un peu plus de l’entraînement général.

Vous verrez, dans la brochure que je vous enverrai, tous les détails exacts de mon transfèrement de Strasbourg au Port-Louis. J’ai toujours eu affaire à des personnes qui ont eu pour moi tous les égards et tous les soins possibles. En prison, il y a eu des soldats qui, en faction à ma porte, nie disaient qu’ils étaient pour moi ; des sous-officiers me faisaient des signes d’intelligence quand j’étais à la fenêtre ; enfin, tout a concouru à me faire croire que, si les mesures eussent été mieux prises, j’aurais entièrement réussi. »


La lettre se poursuit par une description du long voyage qu’il vient de faire, et il entre dans des détails qui ne manquent pas de pittoresque.


« Je suis resté, dit-il, quatre mois et vingt jours sur la frégate l’Andromède. Nous sommes partis, le 21 novembre 1836, de Lorient. Pendant dix-sept jours, nous avons eu une tempête continuelle ; les haches étaient sur le pont pour couper les mâts dans le cas où la violence du vent augmenterait encore. Nous croyions aller à New-York, mais le commandant ouvrit des ordres cachetés qui le forçaient de me conduire à Rio-Janeiro. Je restai vingt jours dans la baie, ne pouvant pas débarquer et toute communication avec la terre ferme étant expressément défendue. Je me suis amusé à dessiner la vue, qui est une des plus belles qu’on puisse voir. Le soir, j’allais me promener dans le canot du commandant, car il faisait une chaleur horrible et jamais, je crois, je n’ai eu si chaud que cette année-ci, pendant les mois de décembre, janvier et février. En fait de curiosités, j’ai vu des dorades, poissons dont les couleurs sont superbes, et des milliers de poissons volans : ils s’envolent pour fuir leurs ennemis (les dorades) qui les poursuivent et ils franchissent ainsi un trajet de deux à trois cents pas ; lorsque leurs ailes sont sèches, ils ne peuvent plus voler. Enfin, j’ai vu des nuages verts et un arc-en-ciel de lune.

Je suis arrivé le 30 mars 1837 à New-York ; j’ai quitté la frégate en pleurant, car c’était encore la France ; c’étaient encore des compatriotes que je quittais ! »


Puis il émet des jugemens, un peu hasardés peut-être après un séjour aussi court, sur les institutions américaines. Il croit que le régime républicain n’y est pas très stable et ne pourrait soutenir le moindre choc.


« Les partis, ajoute-t-il, sont aussi exaspérés ici qu’en Europe et le temps n’est pas éloigné, je crois, où la Constitution des Etats-Unis, déjà violée par le pouvoir, sera renversée par le peuple.

Je vais bientôt parcourir l’intérieur du pays. Jusqu’à présent je n’ai vu que New-York ; mais comme on se trompe lorsqu’on nous montre les institutions de ce pays-ci comme des modèles ! Le pays est dans la situation la plus favorable qu’on puisse imaginer pour supporter les institutions républicaines les plus larges ; il n’y a ni voisin, ni population trop forte pour son territoire ; l’égalité règne ici même dans les capacités. Eh bien ! ils ne peuvent supporter la moindre secousse. Hier, le premier journal d’ici disait, en parlant du Président, qu’il ne pourrait pas se promener à pied dans les rues de New-York pendant deux heures sans être assassiné ! Ainsi la haine pour un homme qu’on a élu, pour un homme dont, le mandat n’est que de quatre ans, est aussi forte que celle que l’on ressent quelquefois en Europe pour un monarque héréditaire ! Cela offre matière à de graves réflexions. »


L’exilé termine sa lettre sur une note un peu mélancolique :


« Je retournerai probablement cet automne en Angleterre, car, ici, on est trop loin de tout ce qui vous est cher. Adieu, mon cher colonel. J’accepte votre augure : peut-être le sort se lassera-t-il de poursuivre toujours ma famille ! Mais je vous avouerai que, renfermé depuis vingt et un ans sous le ciel sombre du malheur, je commence à douter que le soleil perce enfin la nue et me montre son éclat ! »


Quelques mois plus tard, le prince était de retour à Arenenberg et la reine Hortense expirait dans ses bras. Louis-Napoléon eût désiré vivre désormais en Suisse, mais le gouvernement français exigea son expulsion. On sait comment ces incidens faillirent amener la guerre et comment, pour éviter des troubles à son pays d’adoption, le prétendant quitta de son plein gré le territoire suisse.

Au moment de partir, le 14 octobre 1838, il trace à la hâte ces lignes adressées au colonel Dufour :


« Je pars dans une heure ; ainsi, quand vous recevrez cette lettre je serai déjà à Mannheim. Je désire de tout mon cœur que mon départ fasse cesser les difficultés… Votre lettre m’a fait grand plaisir, et je vous remercie encore de toute l’amitié que vous m’avez toujours témoignée dans les momens difficiles. Comme je serais heureux de vous voir en Angleterre ! J’aurais, d’un côté, voulu partir plus tôt, afin de faire cesser les mouvemens de troupes ; mais, d’un autre, j’aurais voulu recevoir la réponse de la France avant mon départ. »


Louis-Napoléon se retira en Angleterre, chez « ces froids insulaires » qu’il avait tant dédaignés autrefois, et qui pourtant lui offrirent une cordiale hospitalité. Voici ce qu’il écrivait à Dufour, le 23 janvier 1839 :


« J’ai reçu les deux lettres que vous m’aviez écrites depuis mon départ de la Suisse ; si je ne vous ai pas répondu plus tôt, n’en accusez pas mon cœur, il ne saurait changer à votre égard.

Vous avez vu par les journaux que, lors de mon voyage, j’ai reçu partout sur le Rhin des marques non équivoques de sympathie. Je suis resté peu de jours à Londres et je me suis fixé pour quelque temps à Lewington, jolie petite ville à quatre-vingt-dix milles de Londres, où il y a une bonne société pendant l’hiver et où L’on chasse à courre, exercice qui m’a beaucoup plu, parce qu’il s’agit de franchir au galop tous les obstacles dont la campagne est entrecoupée, comme haies, fossés et barrières. Maintenant, je vais aller visiter les fabriques de Birmingham et de Manchester et je retournerai à Londres pour l’ouverture du Parlement, qui aura lieu le 5 février. Je resterai alors dans la capitale.

Tout le monde que j’ai vu ici a été très bien pour moi. Mais je regrette toujours notre bonne Suisse, où je me trouvais chez moi, tandis qu’ici, malgré toutes les prévenances et les distractions, je me trouve toujours étranger partout et, comme l’oiseau sur la branche, je suis constamment en l’air. L’idée de pouvoir un jour retourner en Suisse m’est bien douce. Mais, quand même le ministère changerait, je crois que, fût-ce dans un an, mon retour en Suisse éveillerait des craintes dans les cantons, qui me deviendraient peut-être défavorables. Quand vous m’écrirez, dites-moi dans quel état est l’opinion à mon sujet.

Je ne vous parle pas politique, les journaux vous montreront assez tout le gâchis constitutionnel et parlementaire de Paris. Au milieu de toutes ces mesquines passions et de ces honteuses disputes, il n’y a que notre gloire militaire qui reste pure et resplendissante toujours du même éclat.

Le colonel Vaudrey est avec moi depuis quelques jours ; il me charge, ainsi que Persigny et Conneau, de vous assurer de son attachement. »

Six mois plus tard, le 17 juillet 1839, à l’occasion d’un voyage projeté par le colonel Dufour, le prince lui écrit :

« L’idée de vous voir ici me sourirait beaucoup, et je voudrais bien que vous la missiez à exécution. J’aurais une chambre à vous offrir et je me ferais un grand bonheur de vous montrer tous les lions de Londres. »

Puis il le remercie pour une carte du canton de Thurgovie dont il lui a fait l’envoi.

« Elle me rappelle des lieux qui me sont bien chers et où je voudrais bien pouvoir me trouver. »

À cette époque, le prince mettait la dernière main à un ouvrage intitulé : Les idées napoléoniennes.


« Dès que mon ouvrage sera imprimé, écrit-il à Dufour dans la même lettre, je vous en enverrai un exemplaire. Je m’attends à être fortement attaqué, mais j’y suis résigné. J’ai planté mon drapeau de guerre, il fallait aussi planter mon drapeau politique, je l’ai fait. Ce n’est pas en ayant peur de choquer toutes les opinions diverses que l’on groupe des partisans autour de soi ; c’est, au contraire, en mettant en avant des idées qui, tout en étant entières, soient cependant conciliatrices.

J’ai toujours bien des tracas et des ennuis ; la jalousie et la calomnie se fourrent partout où le moindre rayon d’espoir peut pénétrer. On a monté une cabale à Paris contre Persigny, qui est un de mes amis les plus dévoués et les plus capables : on a été jusqu’à le représenter comme un espion ! On voulait me forcer par-là à le renvoyer. Mais on comptait sans son hôte ! Mon caractère n’est pas de cire molle ; jamais je ne ferai volontairement d’injustice. »


La lettre qui suit, datée de Londres, le 7 janvier 1840, montre combien le prince savait qu’il pouvait compter sur l’obligeance de Dufour. D’abord, ce sont des remerciemens à propos d’un tableau dû au pinceau de Mlle Dufour[3], et qui représentait le général Bonaparte, marchant avec une colonne dans les sables de l’Egypte, en vue des Pyramides.


« Tout le monde, dit-il, le trouve extrêmement bien fait, et mon oncle Joseph lui-même a trouvé le principal personnage très ressemblant. J’ai pendu le tableau dans mon cabinet, dont il est le plus bel ornement. Dites-le, je vous prie, à Mlle Dufour, en lui exprimant toute ma reconnaissance.

Un service à vous demander. Je vais faire un journal hebdomadaire de doctrine napoléonienne, dont je serai le seul rédacteur en chef, parce que je suis dégoûté de la manière dont les journalistes, à Paris, traitent la grande question politique. Dans ce but, tous les articles qui seront insérés passeront d’abord sous mes yeux. Je voudrais donc que vous fussiez un de mes correspondans. Vous m’enverriez tous les quinze jours un article sur une question, soit politique, soit militaire ou scientifique. Vous pourriez aussi faire faire à Genève, par des personnes distinguées, des articles que vous m’enverriez. Je donnerais cent francs pour un bon article. Je désire surtout que les personnes que vous emploierez à ce travail mettent dans leurs écrits plus d’idées que de mots, car je déteste le style diffus. Vous voyez, d’après ce que je vous dis, que ce journal traitera des questions non seulement politiques, mais aussi des questions de littérature, d’histoire et d’art militaire.

J’ai encore, mon cher colonel, un autre service à vous demander. Je voudrais avoir près de moi, comme secrétaire, un jeune homme d’un caractère sûr, qui eût de bonnes manières et qui sût parfaitement sa langue. Peut-être pourriez-vous le trouver à Genève. Vous me feriez bien plaisir de le chercher.

Vous voyez, mon cher colonel, que j’use bien de mes amis. »


Trois mois plus tard, les projets de Louis-Napoléon se sont modifiés. De Londres, où il est encore le 17 avril, il s’excuse de la peine inutile qu’il a donnée à Dufour.


« Ne m’accusez pas, dit-il, de légèreté, ma position m’oblige souvent à changer complètement mes plans. Ainsi, par exemple, j’ai abandonné le projet du journal hebdomadaire. Mais que je vous dise à ce sujet que je n’ai jamais songé à en être officiellement le rédacteur. J’en aurais été le directeur, comme par exemple M. Molé passe pour être lame de la Revue des Deux Mondes.

Je ne cherche plus maintenant de secrétaire ; ainsi voilà encore une commission dont je vous demande pardon de vous avoir occupé. Je veux simplement maintenant augmenter un peu mon entourage. Si vous connaissiez, par hasard, un ancien militaire qui soit encore dans la force de l’âge, qui ait nos opinions, et qui consentît à venir tous les ans passer quelques mois avec moi, je vous autoriserais à l’engager à venir me voir. Je paierais son voyage et je lui ferais une pension de quatre à cinq mille francs.

Adieu, mon cher colonel. Je regrette bien souvent de ne pouvoir déposer dans le sein de l’amitié mes craintes, mes soucis, et mes espérances. Que n’êtes-vous plus près ? »


Au moment où il écrivait ces lignes, le prince mettait la dernière main à une nouvelle édition des Idées napoléoniennes, qui portait comme épigraphe les paroles suivantes : « Ce ne sont pas seulement les cendres, mais aussi les idées de l’Empereur qu’il faut ramener. » Il crut le moment venu de hâter lui-même à son profit la résurrection de l’épopée impériale. De là l’entreprise de Boulogne, qui échoua comme celle de Strasbourg. Louis-Napoléon, fait prisonnier, eut à comparaître devant la Chambre des pairs, constituée en Cour de justice. Le 4 octobre 1840, il écrivait, de la prison du Luxembourg, à son ancien maître :


« Comment vous exprimer toute ma reconnaissance pour l’amitié que vous m’avez témoignée dernièrement et dont j’ai apprécié toute la cordialité, par la lettre que vous avez écrite à, mon avocat[4] ? Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai souffert du nouvel échec que j’ai reçu ; mais, heureusement, le procès m’a relevé et, au total, la défaite s’est changée en victoire, au moins pour le parti et la cause que je représente. J’attends l’arrêt du jugement ; voilà trois jours qu’on délibère sans pouvoir s’entendre. On y a gagné qu’il n’y aurait pour personne de peine infamante. Il paraît qu’on me détiendra dans une forteresse… »


C’est en effet du fort de Ham que sont datées les lettres qui suivent. La première est du 20 décembre 1840.


« Je suis bien coupable, dit-il, de ne pas vous avoir écrit depuis que je suis à la citadelle de Ham, car j’ai reçu toutes les lettres que vous m’avez envoyées, et elles m’ont fait bien plaisir. J’ai été bien touché des expressions si tendres et si sincères de votre amitié pour moi. J’ai toujours tardé à vous répondre, parce que je n’aime pas écrire à un ami pour ne lui rien dire ; et, d’un autre côté, toutes mes lettres étant lues, je ne puis guère vous ouvrir mon cœur et vous dire ce qui s’y passe.

Vous savez que le général Montholon et Conneau sont avec moi. Je suis bien heureux d’avoir leur société. Nous nous promenons sur un bastion, et je m’occupe le reste de la journée, ce qui me fait passer le temps assez vite.

Vous aurez vu, par les journaux, les détails de la cérémonie du 15 décembre. Je vous assure que le gouvernement avait bien peur, si j’en juge par toutes les précautions qu’il avait fait prendre. Je vous envoie ci-joint une espèce d’élégie en prose qui m’a été inspirée par cet événement[5].

On a beaucoup parlé d’amnistie, mais je doute très fort qu’elle ait lieu. Je voudrais savoir à quoi m’en tenir, avant de commencer plusieurs travaux que j’ai en vue.

Je ne me laisse pas abattre par la mauvaise fortune, parce que ma conscience me console et me fait espérer. Je plains ceux-là, quelque élevés qu’ils soient, qui ne sentent pas dans leur cœur la justification de leur passé et la prédiction de leur avenir. »


Le prince, pour se distraire, entreprend à la fois toutes sortes de travaux. Le 16 juin 1841, il écrit à Dufour :


« J’ai donné l’ordre à Paris qu’on vous envoie un exemplaire d’une brochure que j’ai publiée dernièrement ; j’espère qu’elle vous fera plaisir. Aujourd’hui, je vous envoie les notes que j’ai rédigées cet hiver sur mon invention pour amorcer les fusils à percussion. Vous voyez que je ne perds pas mon temps et que je sais mettre à profit ma captivité !

Maintenant, j’ai formé le grand projet d’écrire l’histoire de Charlemagne. Dans ce but, il faut que je rassemble beaucoup de matériaux. Ayez la bonté de remettre la lettre ci-jointe à M. de Sismondi, auquel je m’adresse afin qu’il m’indique les ouvrages que je dois me procurer…

Je ne me plains nullement de mon sort, parce que je trouve qu’ici je suis à ma place. Il n’y a rien de plus terrible dans la vie que d’avoir toujours une fausse position.

Conneau, qui se rappelle à votre souvenir, passe son temps… à élever des rossignols ! »


Le 25 août de la même année, le grand Empereur d’Occident est toujours l’objet de ses préoccupations et on peut voir que l’histoire qu’il projetait eût été faite surtout au point de vue militaire.


« J’ai commencé, dit-il, à lire plusieurs ouvrages relatifs à Charlemagne ; mais, ayant égaré votre lettre, j’ai oublié le nom de l’auteur du poème sur la bataille de Roncevaux ; ayez la bonté de me l’indiquer de nouveau. Dites-moi si vous ne connaîtriez pas quelque ouvrage où je pusse trouver des détails sur les armes, sur la tactique, sur la composition des armées, car je n’ai rien trouvé sur ce sujet intéressant dans aucune des histoires que j’ai lues.

Je vous remercie bien de l’aimable lettre que vous m’écriviez de Thun pour ma fête ; votre cœur n’oublie pas ceux qui souffrent et le malheur ne ralentit pas votre amitié. Espérons qu’un jour viendra où ce ne seront plus sans cesse des consolations que vos amis auront à vous demander. »


Comme contrepoids à ses travaux sédentaires, il fallait bien au prisonnier un peu d’exercice physique.


« J’ai obtenu, dit-il, la permission de monter à cheval dans la cour, ce qui me fait beaucoup de bien, car cela me fait prendre de l’exercice. Le reste de mon temps se passe à l’étude ou au jardinage, de sorte que je ne m’ennuie pas du tout.

J’apprécie d’autant plus votre bonne et touchante amitié que je vous avoue que, depuis un an, ce sont mes soi-disant amis politiques qui m’ont fait le plus de tort et qui m’ont causé le plus de chagrins. Ils se sont acharnés à accuser mes vrais amis, c’est-à-dire ceux qui avaient risqué leur vie pour moi, et se sont faits les colporteurs de tous les faux bruits qui pouvaient me nuire davantage.

Je suis bien aise qu’on pense encore à moi, à Thun. C’est une consolation pour moi de savoir que, là où j’ai habité, j’ai laissé des amis. »


Les lettres de cette période montrent de quelle façon variée le prince utilisait ses loisirs forcés. Laissons-le raconter à son vieil ami tout ce qui le préoccupe, ses regrets, ses espérances, les petits faits qui composent sa vie de chaque jour, les travaux sérieux grâce auxquels il échappe aux ennuis de la captivité. À ce moment, il ne songe pas encore à une évasion, mais il a des amis qui y pensent pour lui, et le gouvernement de Louis-Philippe n’avait pas tort de se montrer méfiant !


« Le général Montholon, écrit-il le 24 novembre 1841, avait été autorisé à se faire soigner dans une maison de santé ; mais il a été aussitôt réintégré ici, on ne sait pour quel motif. Le gouvernement est toujours très craintif, et je crois que je le gêne beaucoup.

J’ai reçu, la visite de plusieurs députés, de la duchesse de Vicence et de son fils ; enfin je suis en France au milieu de soldats qui me témoignent une grande sympathie ; je ne désire pas échanger cette position contre une meilleure en pays étranger. »


Au commencement de 1842, le 6 janvier :


« J’ai, dit-il, bien des remerciemens à vous faire pour la belle carte du canton de Genève que vous m’avez envoyée. Je la trouve encore plus claire que celle que fait l’Etat-major en France.

Je suis bien touché de la proposition que vous me faites, au nom de mademoiselle votre fille, de me copier un des tableaux auxquels je puis tenir ; mais, dans ma position toujours incertaine, je me suis habitué à ne plus attacher de sentimens aux choses inanimées ; car j’en ai trop perdu pour ne pas m’y accoutumer. »


Six mois plus tard, il écrit, le 25 août :


« Pardonnez-moi mon silence, qui est bien coupable ; mais j’ai été très occupé d’un ouvrage sur les sucres[6] que je tenais à terminer le plus tôt possible afin qu’il parût avant la réunion des conseils généraux. J’en augure un très bon résultat.

Aujourd’hui, profitant d’une occasion, je puis vous parler d’un fait qui vous fera plaisir. Il y a un mois environ, un régiment a passé par ici. J’étais à me promener sur le rempart, et officiers, sous-officiers et soldats sont venus en foule me témoigner par leurs saluts leur vive sympathie. J’ai été bien content de cette démonstration ; je n’ai point désespéré de l’avenir. Avec de la patience, on vient à bout de tout.

Je reçois de temps à autre quelques visites, et plus mon séjour se prolonge, plus je gagnerai dans l’opinion. »


Dufour partageait évidemment ces espérances, comme nous le voyons par le début de la lettre que lui écrit Louis-Napoléon, le 7 novembre 1842.


« Votre lettre m’a fait le plus grand plaisir, car elle était la vive et franche expression d’une amitié qui m’honore et qui, dans ma position, est une grande consolation pour moi. Parfois je suis bien triste en pensant aux calomnies qu’on a débitées contre moi et, dans ma position présente, il m’est difficile d’y répondre. Cependant, je ne me laisse pas abattre : une bonne conscience est le premier des biens.

Ma brochure sur les sucres m’a fait beaucoup d’amis ; je vais en faire une seconde édition. Le comité des fabricans l’a adoptée comme le meilleur plaidoyer et l’a distribuée à tous les membres des conseils généraux.

Pendant les mauvais jours, je fais de la menuiserie, je fabrique des fauteuils et des canapés. Quand je dis des, je n’en ai pas encore fini un ! S’il pouvait tenir dans une lettre, je vous l’enverrais. »


Puis vient, le 1er décembre de la même année, un simple billet de remerciement :


« J’ai reçu avec grand plaisir la statuette représentant le vieux grognard, que vous m’avez envoyée. Ce brave orne ma cheminée et me rappelle deux souvenirs également chers, l’époque impériale et votre tendre amitié. Remerciez enfin vos aimables filles de leurs petits ouvrages. »


Trois mois plus tard, il écrit, le 22 février 1843 :


« Je m’empresse, en apprenant les troubles de Genève[7] de vous écrire pour vous prier de me donner de vos nouvelles, car je suis inquiet de vous savoir au milieu des émeutes ; et vous savez qu’une amitié aussi sincère que la mienne peut facilement s’alarmer.

« J’ai reçu votre brochure sur les vaisseaux de guerre des anciens[8] et vous en remercie ; elle m’a fort intéressé.

Je m’occupe dans ce moment d’électro-chimie et d’économie politique. Je veux lire tout ce qui a été écrit sur le malaise des classes ouvrières. »


Le prince laisse écouler quelques mois sans donner de ses nouvelles à Dufour, et c’est au tour de celui-ci à se montrer inquiet. Une lettre, datée du 19 août 1843, vient excuser ce long silence :

« C’est que vraiment, dit le prisonnier, ici les jours, les semaines, les mois ne comptent pas : ils se ressemblent tous tellement ! Et puis, souvent, j’éprouve une paresse invincible pour écrire des lettres, même à des amis intimes comme vous. Excusez-moi donc, tranquillisez-vous sur ma santé. Quant à la constance de mes sentimens de tendresse pour vous, j’espère que vous n’en doutez pas.

Je ne m’occupe pas exclusivement de physique, mais encore de mon Manuel d’artillerie, que je veux définitivement terminer. J’ai trouvé de bons renseignemens dans votre cours de tactique. Si par hasard vous aviez encore des notes sur des actions partielles de l’artillerie pendant les dernières guerres (comme, par exemple, la défense du capitaine Foy près de Schaffhouse), vous me feriez grand plaisir de me les envoyer. Dites-moi aussi si vous auriez des exemples, pris dans des récits de batailles, où l’on dirait le nombre d’hommes ou de chevaux mis hors de combat par un boulet ou un obus. »


Nous allons voir, par les lettres qui suivent, que le prince fut absorbé, pendant près de deux ans, par des études sur l’artillerie. On n’ignore pas que, tandis qu’il faisait partie de l’armée suisse en qualité de capitaine, il avait publié, en 1834, un Manuel d’artillerie qui avait été très estimé par les spécialistes. C’est ce travail qu’il reprend en l’élargissant. Il entreprend à ce sujet des recherches historiques et archéologiques très étendues. Il met alors à contribution la science de son ancien maître pour l’aider à élucider une foule de détails techniques.


« Depuis que je ne vous ai écrit, lisons-nous dans une lettre du 7 janvier 1844, je me suis occupé, alternativement, de mon ouvrage d’artillerie et d’expériences de physique. J’avais cru un moment avoir trouvé le moyen de faire aller les machines par le magnétisme, mais je n’ai pu produire qu’une faible force.

Quant à mon ouvrage sur l’artillerie, j’avais fait mon introduction, qui est devenue si volumineuse et si importante que je me suis déterminé à en faire une œuvre à part. Je traite dans ce chapitre de tout un nouveau système d’artillerie ; et, avant de proposer mon nouveau système, je fais tout l’historique de l’artillerie de campagne seulement. Je puise dans toutes les sources, mais j’ai bien peu de renseignemens sur les anciens affûts qu’on menait en campagne du temps de Charles VIII, Louis XII, etc. Comme vous vous êtes, je crois, occupé de semblables recherches pour votre savant ouvrage sur les machines de guerre, vous me feriez grand plaisir de me citer les auteurs où je pourrais trouver quelque chose de certain.

Nous parlons souvent de vous avec Conneau et nous nous rappelons ces momens heureux où nous allions passer la soirée dans votre aimable famille, au coin de votre feu. J’espère que ce temps reviendra un jour.

On a permis à un de mes amis, M. Laity[9], qui est sorti de prison, de demeurer à Ham et de venir me voir trois fois par semaine. »


Dès lors, les lettres deviennent de plus en plus fréquentes, et presque exclusivement consacrées au sujet favori du prince, l’artillerie.


« Je vous écris, dit-il en date du 24 janvier 1844, pour vous prier de me donner un ou deux renseignemens dont j’aurais grand besoin pour l’ouvrage dont je m’occupe en ce moment.

1° Je voudrais savoir dans quel ouvrage je pourrais trouver des dessins des anciennes armes portatives.

2° Pourriez-vous me donner le dessin d’une de ces coulevrines, que les Suisses avaient à Grandson et à Morat ? Ces coulevrines, portées par des coulevriniers, étaient, comme vous savez, dans le principe, des espèces d’arquebuses.

3° Sur combien d’hommes de hauteur combattaient les Suisses dans le XVe siècle et au commencement du XVIe ? Je n’ai trouvé ce détail dans aucun auteur.

Quand vous répondrez à cette dernière question, ayez la bonté de citer l’auteur et l’endroit où vous aurez pris ce renseignement.

L’ouvrage que je fais m’intéresse beaucoup, mais il me faudrait être près d’une grande bibliothèque et malheureusement… Cependant, on m’envoie de la Bibliothèque royale, au fur et à mesure, tous les livres dont j’ai besoin. Mais, où je trouve le plus de difficulté, c’est dans la description des anciens affûts. Il doit cependant y avoir des livres ou des manuscrits qui en fassent mention en détail. »

Nouvelle lettre deux semaines plus tard, le 6 février :


« Je viens vous remercier de l’extrême obligeance que vous avez eue de m’envoyer si promptement les renseignemens que je vous avais demandés. Ils m’ont causé une véritable joie, car rien n’est plus curieux que le dessin des pièces prises à Morat

Et permettez-moi, à ce sujet, de vous faire encore quelques questions.

1° Puisque le canon en fer de Morat existe encore, on peut savoir le diamètre de l’âme ; tâchez, je vous prie, de le savoir.

2° Les mortiers à main étaient-ils aussi en fer ? Lançaient-ils des boulets de fer ou de pierre ?

3° Pourriez-vous me donner la longueur de la coulevrine à main, son calibre et son poids ?

Vous voyez, mon cher colonel, que j’use bien de votre complaisance ; mais j’ai pris mon ouvrage en tel amour que, depuis que je m’en occupe, je suis tout joyeux. Le temps s’écoule avec rapidité et je l’emploie utilement.

Le nom d’arquebuse ne vient pas, comme l’ont dit tous les étymologistes, de l’italien, mais de l’allemand. On disait autrefois haquebutte, nom qui dérive clairement de l’allemand hakenbuchse. Les auteurs italiens du XVe siècle disent clairement que la haquebutte est d’invention allemande. Or, maintenant, je cherche quelle a pu être la forme de la première arquebuse à croc allemande. Si vous m’aidiez dans cette recherche, vous me feriez plaisir. »


Et, plus loin, en date du 1er mars :


« Je vous remercie bien, écrit le prince, du dernier dessin que vous m’avez envoyé ; il a un grand intérêt pour moi. Si je ne craignais pas d’être importun, je vous prierais encore de me rendre un service. Quoiqu’on ait la bonté de m’envoyer de la Bibliothèque royale de Paris tous les livres et manuscrits dont j’ai besoin, rien ne vaut le dessin de pièces anciennes encore existantes. Ainsi la description géométrique des pièces ayant appartenu à Charles le Téméraire, qui sont encore à Neuveville, serait très précieuse pour moi. Pourriez-vous charger quelqu’un de me faire ces dessins sur les lieux, en rétribuant la peine du dessinateur ?

Je voudrais qu’en outre on mît par écrit le métal des pièces, le calibre exact ; et, pour les canons, s’ils étaient destinés à avoir un avant-train ; pour les roues, si elles ont des boîtes ou non ; enfin, comment la pièce est retenue dans son encastrement, et comment est placée la lumière.

Vous voyez, mon cher colonel, que je compte bien sur votre amitié pour venir si souvent vous importuner ; mais vous savez que, lorsqu’on est dans ma position, on s’enthousiasme pour certaines occupations, parce qu’elles nous font tout oublier, excepté nos amis ! »


Le 22, il revient à la charge, à propos de ces mêmes dessins :


« Je suis bien fâché, dit-il, du contretemps qui vous empêche de m’envoyer les dessins que je vous avais demandés ; mais enfin faites ce que vous croirez le mieux. Je tiens beaucoup à les avoir, et il faudra bien en passer par ce qu’on demandera.

Lorsque vous m’enverrez le rouleau, adressez-le-moi sous l’enveloppe de M. Demarle, commandant du château de Ham ; comme cela, il arrivera plus sûrement.

Dans mes recherches, j’ai trouvé dans Valturius, De re militari, imprimé à Vérone, en 1472, des dessins superbes de trébuchets ; je les ai copiés dans l’espoir de vous faire plaisir[10], si quelquefois vous vouliez faire une seconde édition de Votre intéressant Mémoire sur l’artillerie des anciens et celle du moyen âge. Je vous les envoie.

Je travaille beaucoup, mais mon ouvrage n’est pas près d’être terminé. J’ai trouvé bien des choses curieuses ! »


Sur ces entrefaites, les pièces demandées arrivent, comme nous le voyons par la lettre suivante, datée du 8 juin :


« Je vous remercie bien des dessins que vous m’avez envoyés ; je les ai reçus et les ai trouvés très bien. La seule chose que j’aimerais savoir est si l’on a un souvenir qu’il y ait eu des avant-trains. Une ouverture près des crosses ferait croire à l’existence d’une cheville ouvrière. Je vous envoie ce que je vous dois et vous remercie d’avoir obtenu un prix si modéré.

J’ai écrit comme hors-d’œuvre une petite brochure[11] que je vous enverrai. Je vous renouvelle, mon cher colonel, l’assurance de ma sincère et inaltérable amitié.

P. -S. — Quoique vous ayez dit le contraire, je croirais que les canons de Charles le Téméraire lançaient des boulets de plomb. C’est au moins plus conforme aux habitudes d’alors. »


Comme on le voit, l’ex-capitaine d’artillerie ne partage pas toujours les opinions de son ancien maître. Une lettre du 1er décembre 1814 nous en apporte une nouvelle preuve.


« Mon ouvrage avance, écrit-il, mais lentement, parce que, plus je vais, et plus mon plan s’agrandit. J’ai été obligé de traiter tant soit peu des machines usitées au moyen âge, et je vous avoue que je ne suis pas de votre avis. Je ne crois pas qu’au moyen âge il y ait eu une seule machine ayant pour moteur la torsion des cordes. Les anciens noms usités chez les Romains existaient, il est vrai, mais on les appliquait aux trébuchets. Ainsi Collado donne le dessin d’un trébuchet et l’appelle batiste. Cependant, j’ai besoin de lire encore plusieurs ouvrages avant d’être convaincu de ce que je vous dis.

Je suis heureux qu’il n’y ait pas eu d’amnistie, et je ne veux pas de ce que vous appelez très honnêtement la clémence royale. Conneau est amnistié, mais il a demandé à rester en prison ; il me charge de vous dire bien des choses. »

Le 7 janvier 1845, le prince revient sur cette question des batistes pour la discuter à fond.


« J’ai reçu, dit-il, votre lettre du 28 décembre, le 1er janvier de cette année au matin, en sorte que vous avez été la première personne qui m’ait souhaité la bonne année. J’espère et je veux croire que ces vœux, provenant d’un de mes plus chers amis, me porteront bonheur.

Je suis toujours très occupé de mon ouvrage, dont la première livraison paraîtra dans six semaines ou deux mois. La note que vous m’envoyez ne fait que me convaincre davantage qu’il n’y avait pas de balistes au moyen âge. Et permettez-moi de vous le dire, vous êtes tombé dans la même erreur qu’ont commise une foule d’écrivains en traduisant les mots latins ballista et ballistarii par balistes et balistaires. J’ai une foule de preuves, inutiles à mettre ici, qui montrent que toujours, au moyen âge, les auteurs appelaient baliste l’arbalète, et ballistarii les arbalétriers. Ainsi les ordonnances de Jean et de Charles V disent sans cesse, pour la levée des troupes, quatuor millia ballistarii, etc. Le compte que vous me donnez veut donc dire : item, deux grosses arbalètes à tour (torte) ; item, quatre arbalètes à deux pieds ; item, deux petites arbalètes ; item, deux arcs d’arbalète, etc. En effet, il y avait des arbalètes à deux pieds et à un pied, c’est-à-dire qu’on bandait avec un ou deux pieds. De même, dans votre intéressant mémoire sur l’artillerie des anciens, vous avez, d’après M. Capefigue, traduit par balistaires les deux cents arbalétriers anglais présens à la bataille de Lincoln[12].

Mais, au lieu de vous donner une leçon, ce qui serait l’histoire de maître Jean, je viens vous en demander une.

Dans les anciennes chroniques, je lis ceci : Les trébuchets sont de deux espèces : 1° ceux dont le contrepoids est fixé invariablement à la verge ; 2° ceux dont le contrepoids est lui-même mobile autour de la verge (comme dans vos dessins). Les premiers tirent plus juste, les seconds tirent plus loin, à égalité de poids et de construction. Or, j’ai cherché, par les calculs, à me rendre compte de ce fait, et je n’y suis point parvenu. En effet, dès que le centre de gravité du contrepoids est placé à la même distance de l’axe, l’équilibre est le même, lorsque la machine est au repos ; mais, lorsque le contrepoids descend, il décrit une courbe différente suivant qu’il est fixe ou mobile sur la flèche. Cela doit-il influencer la portée ?

Vous me ferez grand plaisir aussi de me faire rechercher, dans quelques chroniques de Berne ou de Zurich, quelle était l’ordonnance des Suisses à Saint-Jacques, à Grandson et à Morat. Je ne crois pas les détails que vous m’avez donnés très exacts. Je voudrais aussi savoir comment ils plaçaient leurs coulevriniers, leurs piquiers et leurs hallebardiers. En général, je ne crois qu’aux récits de contemporains, et c’est pour cela que j’aurai peut-être rectifié bien des erreurs.

Encore un mot. La seule preuve que je trouve de l’emploi d’une baliste au XVIe siècle, c’est le dessin rapporté par Juste Lipse, et j’avoue que je ne sais comment expliquer ce fait unique. »

Dufour, avec une inépuisable complaisance, cherchait à satisfaire aux demandes de son correspondant. Et, cependant il avait à cette époque bien d’autres préoccupations. En effet la campagne du Sonderbund, dont nous avons parlé au début de cet article, fut précédée et préparée, en Suisse, par une foule de graves incidens.


« Vous êtes bien bon, écrit Louis-Napoléon le 14 février 1845, de vous occuper de mes recherches archéologiques, lorsque vous devez être si tristement affairé par les graves événemens qui se préparent en Suisse. Espérons que tout se calmera sans effusion de sang. Il serait bien cruel de voir, au XIXe siècle, les guerres de religion se renouveler dans un État libre ! »


Mais le prince, tout entier à ses études favorites, n’en continue pas moins à recourir aux bons offices de Dufour. Il lui écrit, le 24 mars :


« Je voudrais, si cela est possible et pas trop cher, que quelqu’un me fît le travail suivant. D’après le récit d’auteurs contemporains, trouver combien de bataillons les Suisses avaient fourni soit à Grandson, soit à Morat, et plus tard à Novare et à Marignan ; sur combien d’hommes de profondeur étaient ces bataillons ; comment étaient disposés les piquiers, les hallebardiers, et les coulevriniers (handbuchsenschüzen) ; enfin, si ces batailles étaient sur une ou plusieurs lignes. Voilà tout ce que je désire savoir…

J’ai trouvé dans les cahiers de la Société des artificiers de Zurich quelque chose de curieux, et, puisque vous êtes à Zurich, vous me feriez grand plaisir de vous informer de quel auteur est tiré le passage suivant (ann. 1828, p. 8) : « Au XIIe siècle, il paraît qu’on employait aux mines, près de Goslar, la composition de salpêtre, soufre et charbon, pour faire sauter des rochers ; et, au commencement du XIIIe siècle, le fils d’Henri Cœur de Lion (je pense que c’est d’Henri VI dit le Cruel, empereur d’Allemagne, qu’il est ici question) employa une semblable composition pour renverser un mur de forteresse. » Si les auteurs originaux où sont pris ces renseignement peuvent se trouver à la Bibliothèque royale de Paris, je n’ai besoin que d’en savoir le titre ; sinon, je voudrais pouvoir me procurer les passages originaux. »


Quelques jours plus tard, le 28 mars, il écrit de nouveau pour tâcher d’éclaircir un point, à propos de Charles le Téméraire.

« Je voudrais, dit-il, avoir l’état de ce qui fut trouvé à Grandson dans le camp du Duc, état qui a été publié en 1790. Je n’ai aucune foi au dire des chroniqueurs suisses qui parlent de 400 à 500 canons ; d’après les chroniques bourguignonnes, il en a perdu 113, ce qui est déjà beaucoup pour une armée de vingt mille hommes. »


Nous touchons à la fin de la captivité de Louis-Napoléon. Il fait imprimer l’avant-propos de son ouvrage[13] et l’envoie au colonel Dufour Mais la publication va se trouver interrompue par les événemens qui aboutissent à l’évasion de Ham. Il écrit le 28 janvier 1846 :


« Vous avez raison d’être étonné de mon silence ; mais, si vous saviez combien j’ai été tourmenté tous ces temps-ci, vous m’excuseriez d’autant plus que je ne pouvais vous dire quelque chose de positif sur mon sort futur. Voici les faits. Mon père, sentant sa santé s’affaiblir, a fait des démarches pour qu’on me permît d’aller auprès de lui. On a répondu qu’il fallait que je donnasse quelque garantie. J’ai alors écrit au ministre de l’Intérieur que, si on me permettait d’aller auprès de mon père, je promettais de revenir me constituer prisonnier à la première sommation. Le ministre m’a fait répondre que cela serait une grâce déguisée et que la grâce dépendait du Roi seul. En dessous, on me fit dire également que, si je m’adressais au Roi, ma demande serait accordée. Je me décidai donc à renouveler la même proposition au Roi. Celui-ci la reçut avec une grande bienveillance, dit que la garantie que j’offrais était suffisante, et s’apitoya sur la santé de mon père. Puis, le 23 janvier, je reçus une dépêche du ministre de l’Intérieur, qui contenait ces mots révoltans : Pour que la clémence du Roi puisse s’exercer, il faut que la grâce soit méritée et franchement avouée. Je m’empressai de faire connaître cette belle réponse aux députés éminens de toutes les nuances et tous en ont été indignés ! Aussi je ne considère pas la question comme résolue encore. »


La solution à laquelle il s’arrêta, ce fut de travailler lui-même à se v remettre en liberté, et, quelques mois plus tard, le 25 mai 1846, eut lieu l’évasion dont nous n’avons pas à rappeler les circonstances. Après avoir franchi la frontière belge, le prince se rendit, non pas en Italie où semblait l’appeler son devoir filial, mais en Angleterre où il retrouva des amis dévoués. Le 20 août 1846, il écrit de Bath à son vieil ami :


« Je me reproche vivement de ne vous avoir pas encore écrit depuis les événemens qui me sont arrivés, car je sais tout l’intérêt que vous prenez à mes joies comme à mes douleurs. Mais j’ai été, pendant les derniers deux mois, si incertain de mon sort, si occupé et préoccupé, que j’ai toujours remis au lendemain le plaisir de vous écrire.

La perte cruelle que je viens de faire[14] m’a vivement affecté, comme vous le jugez bien, et votre lettre m’a fait grand bien ; car, lorsqu’on est malheureux, la sympathie d’un ami tel que vous est un baume salutaire. Je m’attendais, hélas ! depuis longtemps à la mort de mon père, mais j’espérais que le gouvernement français ne pousserait pas l’inhumanité et la rancune jusqu’à m’empêcher d’aller fermer les yeux de mon père. Il faut dire, à la louange des Anglais et de leur gouvernement, qu’ils ont fait pour moi tout ce qu’ils ont pu et qu’ils ont fortement désapprouvé la conduite de leurs alliés.

Je suis venu aux eaux de Bath, me remettre un peu des rhumatismes que j’ai attrapés à Ham. C’est un bel endroit, mais horriblement triste.

Maintenant que je suis fixé en Angleterre, j’espère que, l’été prochain, si vos affaires vous le permettent, vous ferez peut-être un petit voyage jusqu’ici. J’aurai, je pense, alors un chez moi, et je serai bien heureux de vous offrir l’hospitalité.

Le premier livre de mon grand ouvrage a enfin paru ; il vous parviendra bientôt.

J’oubliais de vous dire que, pendant mon séjour à Ham, on est venu m’offrir de me mettre à la tête d’une compagnie pour le percement de l’isthme de Nicaragua (Amérique centrale), ayant pour but la réunion des deux océans. Je n’ai pas refusé la proposition et j’ai écrit une brochure[15] sur ce sujet, qui va paraître en anglais et que je vous enverrai. La brochure ne sera pas livrée au public, mais distribuée par moi âmes connaissances.

J’espère que vous aurez été content du testament de mon père ; il est digne du frère de l’Empereur. »


Pendant le séjour du prince en Angleterre, ses préoccupations ne l’empêchent pas de s’intéresser à ce qui se passe soit à Genève, où une insurrection venait d’éclater, le 7 octobre 1846, soit dans le reste de la Suisse, troublée par les luttes sanglantes du Sonderbund.


« Les événemens de Genève, écrit-il de Brighton le 18 octobre, m’ont vivement inquiété, car j’ignore le rôle que vous y avez joué. Je crains que vous ne vous soyez trouvé dans une position embarrassante[16] ; aussi il me tarde bien d’avoir de vos nouvelles : écrivez-moi bientôt. »


Le 12 décembre 1847, il écrit de Londres au général Dufour, pour le complimenter sur l’heureuse issue de la guerre civile.


« Je viens de recevoir votre lettre du 7 décembre, au moment où j’allais moi-même vous écrire pour vous féliciter d’avoir si promptement et si habilement terminé une lutte qui aurait pu devenir funeste pour la Suisse, si elle se fût prolongée. Vous ne doutez pas, j’espère, de tout l’intérêt que je portais à vos opérations et combien j’ai été heureux de voir l’énergie, l’humanité et la modestie dont vous avez fait preuve. Aussi tout le monde s’est plu à faire votre éloge, même ceux dont les opinions étaient opposées à la Diète.

Ici, les journaux en général ont été défavorables à la cause de la Diète, et ils ont prétendu que les excès commis à Fribourg l’avaient été par les troupes fédérales. Cependant le correspondant du Times a écrit des articles qui ont fait sensation et qui étaient favorables à la cause fédérale. »


Mais nous voici en 1848. La révolution de Février a renversé Louis-Philippe. Le neveu de l’Empereur prépare son entrée en scène. Son nom sort de l’urne au mois de juin ; toutefois, cette élection n’est pas ratifiée par l’Assemblée. Le 16 août, Louis-Napoléon entretient Dufour de l’hésitation, réelle ou feinte, qu’il éprouvait à laisser porter sa candidature pour les élections nouvelles qui devaient avoir heu en septembre.

« J’ai été, dit-il, comme vous le pensez, très occupé par les derniers événemens, et ma position est encore tout aussi difficile qu’elle l’était il y a six semaines. D’un côté, il y a un grand nombre de mes compatriotes qui veulent me nommer à l’Assemblée nationale, croyant que ma présence dans cette foule de neuf cents personnes peut influencer les destinées du pays, et, quoique je les croie dans l’erreur, il ne me convient pas de les décourager. De l’autre, j’ai la ferme conviction qu’avant de pouvoir établir quelque chose de solide, il faut laisser aux utopies et aux passions le temps de s’user. »


Une fois nommé président de la République, le prince entreprend une série de voyages en France, dont le but, disait-il dans un de ses discours, « est, par ma présence, d’encourager les bons, de ramener les esprits égarés, de juger par moi-même des sentimens et des besoins du pays. » Au mois de juillet 1850, il passe deux jours à Lyon ; quelques semaines plus tard, le 4 octobre, il écrivait au général Dufour, dans une lettre datée de l’Elysée :


« J’ai bien regretté de ne pas vous avoir vu à Lyon, lors de mon passage par cette ville. J’ai été bien content de mon voyage, et la réception que j’ai reçue m’a vivement touché. J’ai regretté que la Suisse ne m’ait pas envoyé complimenter, ainsi que l’ont fait toutes les puissances limitrophes ; mais il paraît qu’entre républiques on ne se fait pas de politesses ! »


A la fin de l’année suivante, avait lieu le coup d’État, qui devait amener bientôt le rétablissement de l’Empire. Dans l’été de 1852, Louis-Napoléon parcourt le midi de la France, recevant partout un accueil enthousiaste. C’est alors qu’il prononce à Bordeaux un discours dont le retentissement fut immense, grâce surtout au mot fameux : « L’Empire c’est la paix ! »

Peu de temps après, le 8 novembre 1852, il écrit de Saint-Cloud à son correspondant :


« A mon retour de mon grand voyage, j’ai été bien heureux de recevoir votre bonne lettre du 15 octobre. Car je crois qu’on a au moins autant besoin d’amitiés sincères dans la bonne que dans la mauvaise fortune. En effet, quand on est très haut placé on se trouve tout aussi isolé que lorsqu’on est dans l’exil. Voilà une réflexion qui vous paraîtra triste, quand tout sourit autour de moi !

Hier le Sénat en corps est venu me porter le sénatus-consulte. La roue a tourné, et l’Empire recommence ; Sainte-Hélène est vengée ainsi que Waterloo ! »


Pendant la durée de l’Empire, les lettres de Napoléon III deviennent naturellement moins nombreuses et plus courtes. D’autres soucis l’absorbent, il n’a plus le loisir de se livrer à de longues effusions. Cependant il n’oublie pas son vieil ami ; et il répond affectueusement lorsque Dufour le félicite, par exemple, d’avoir échappé à quelque attentat tel que ceux de Pianori ou d’Orsini, ou qu’il lui présente de bons vœux de fête.

Nous laisserons de côté, puisqu’elle a déjà été publiée[17], la correspondance qui s’établit entre l’Empereur et Dufour, vers la fin de 1856, à propos des affaires de Neuchâtel. Bornons-nous, pour cette période, à donner quelques lignes d’une lettre reçue par Dufour au commencement de 1857. Napoléon III lui écrit le 8 janvier, du Palais des Tuileries :


« Je vous remercie de vos vœux de bonne année ; croyez que les miens sont bien sincères, pour vous comme pour votre pays. J’espère que les hommes qui sont dans les Conseils de la Suisse ouvriront les yeux à l’évidence et qu’ils ne compromettront pas l’avenir de leur patrie pour une vaine question d’amour-propre. »


En 1861, à l’occasion des troubles qui accompagnèrent l’annexion de la Savoie[18], l’Empereur écrivait de Biarritz, le 7 octobre :


« Je regrette bien qu’il y ait toujours des rixes sur nos frontières, car je désire fort vivre en paix avec la Suisse ; et aucune puissance n’est autant intéressée que la France à sa neutralité comme à son indépendance. »


Neuf ans plus tard, l’Empire s’effondre dans la défaite. L’ancien prisonnier de Ham connaît de nouveau les angoisses de la captivité. De Wilhelmshöhe, il écrit à son fidèle ami, le 14 septembre 1870 :


« Votre lettre m’a vivement touché, car c’est lorsqu’on est malheureux qu’on reçoit avec plus de plaisir des marques d’affection. Je pensais bien que vous partagiez mes douleurs. Quant à moi, je supporterais plus facilement l’infortune qui m’a frappé, si j’étais seul à en souffrir ; mais mon armée, mais mon pays, dans quelle triste situation je les ai laissés ! Il faut cependant se roidir contre le malheur, tout en se soumettant aux décrets de la Providence. »


La dernière lettre, celle qui clôt la correspondance entre Napoléon III et le général Dufour, est datée de l’île de Wight, le 30 août 1872. L’exilé n’avait plus que cinq mois à vivre : on sait qu’il mourut à Chislehurst le 9 janvier 1873.


« Vous savez, dit-il, combien vos lettres me font plaisir ; aussi n’ai-je pas besoin de vous dire l’accueil que j’ai fait aux vœux que vous m’exprimez pour le 15 août. Quoique l’état des choses soit peu encourageant, j’espère du moins que vous vivrez assez pour voir notre pays sortir de l’état de confusion et d’abattement où il est plongé.

Nous sommes ici au bord de la mer, où la belle nature nous console de l’inconstance des hommes. »


Le général Dufour, qui avait alors plus de quatre-vingt-cinq ans, devait survivre encore deux ans et demi à son ancien élève. La mort de celui-ci fut pour lui un véritable chagrin. Dans son cabinet de travail, il aimait à s’entourer de souvenirs napoléoniens ; et c’est là, devant les portraits du grand Empereur et de son neveu, que nous avons eu le privilège de transcrire les lettres qu’on vient de lire. Si peut-être cette correspondance n’ajoute rien d’essentiel à l’histoire du second Empire, du moins permet-elle de pénétrer plus intimement dans la connaissance du caractère et des sentimens de Napoléon III. C’est à ce titre qu’il nous a paru intéressant de la publier.


EUGENE DE BUDE.


  1. Ces lettres (ont été conservées soigneusement par la famille du général Dufour, et nous tenons à la remercier ici de l’amabilité avec laquelle elle nous a permis de puiser dans ce précieux dépôt.
  2. Dufour eut successivement quatre filles, dont une seule, Mlle Amélie Dufour, survit actuellement.
  3. Il s’agissait de sa fille aînée, qui épousa plus tard le colonel L’Hardy. Elle avait un réel talent pour la peinture et a laissé la réputation d’une artiste distinguée.
  4. Dufour avait fait de nombreuses démarches, soit auprès de Berryer, soit auprès de divers membres influens de la Chambre des pairs, pour obtenir que la sentence ne fût pas trop rigoureuse.
  5. Cette pièce, à laquelle Napoléon III attribuait une certaine valeur, puisqu’il l’a recueillie dans l’édition de ses Œuvres, en 1854, est intitulée : Aux mânes de l’Empereur. En voici le début : « Sire, vous revenez dans votre capitale et le peuple en foule salue votre retour : mais moi, du fond de mon cachot, je ne puis apercevoir qu’un rayon du soleil qui éclaire vos funérailles. »
  6. Analyse de la question des sucres, brochure publiée en août 1842.
  7. Il y eut à cette époque à Genève, comme dans beaucoup d’autres cantons, des troubles politiques, et même des insurrections sanglantes, qui ne prirent fin qu’en 1846, lorsque J. Fazy s’empara du pouvoir.
  8. C’était une Notice sur les vaisseaux de guerre des anciens, que Dufour avait publiée en 1840.
  9. Le lieutenant Laity avait publié une brochure intitulée : Le prince Napoléon à Strasbourg, qui lui valut d’être condamné à cinq ans de prison par la Cour des pairs.
  10. Dufour avait fait une étude spéciale de cette question des trébuchets anciens. Il s’était livré à ce sujet à des calculs et des expériences dont Louis-Napoléon a tiré profit pour ses Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie. Voir en particulier le tome II, p. 26 et suivantes.
  11. Sur l’extinction du paupérisme. Ce petit ouvrage eut trois éditions successives et fut traduit dans plusieurs langues.
  12. On retrouve ces discussions, presque mot pour mot, dans le second volume des Études sur l’artillerie.
  13. Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie. Ce travail, que nous avons mentionné plus haut, est en deux volumes : le premier parut en 1846, mais le second ne devait voir le jour qu’en 1851, alors que Louis-Napoléon était président de la République.
  14. Le roi Louis était mort à Livourne le 25 juillet 1846.
  15. Cette publication fut faite à Londres, chez Mills ; voici la traduction du titre : Projet touchant le canal de Nicaragua en vue de relier l’Océan Atlantique et la Mer Pacifique.
  16. Louis-Napoléon avait deviné juste. Dufour, voyant que l’aigreur des partis allait faire couler le sang, refusa le commandement des troupes, la responsabilité lui paraissant trop lourde.
  17. Campagne du Sonderbund et événemens de 1856, ouvrage posthume du général Dufour, Genève, 1876.
  18. Moins heureux qu’en 1856, où il avait préparé les bases de l’arrangement pacifique entre la Suisse et la Prusse dont Napoléon III prit l’initiative au mois de janvier suivant, Dufour échoua au sujet de la question de Savoie. Il ne put obtenir la cession du Chablais et du Faucigny en faveur de son pays.