Ne nous frappons pas/Honneur à Mougeot

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Ne nous frappons pasLa revue blanche (p. 99-104).

HONNEUR À MOUGEOT

M. Mougeot est un des plus infatigables sous-secrétaires d’État aux postes et télégraphes que nous ayons possédés depuis longtemps.

Après les mougeottes qu’il inventa, voici les distributeurs automatiques de timbres-poste qu’il inaugure.

Quel sort est réservé à cette nouveauté ? L’avenir se charge de nous renseigner à cet égard ; moi, j’ai confiance.

Cette consécration officielle du distributeur automatique peut être grosse de résultats inattendus.

Après les timbres-poste nous verrons les allumettes, les cigares, tout ce qui sert aux fumeurs, en un mot, distribué mécaniquement.

La mort du bureau de tabac !

Finis negocii petunensis !

Avec quoi désormais, si nous n’avons plus les bureaux de tabac, récompensera-t-on nos veuves de héros ou les vieilles bonnes amies des grands électeurs ?

Encore une question dont se chargera l’avenir. (Pauvre avenir !)

Qui sait si la disparition des bureaux de tabac n’amènera pas, par contre-coup, la suppression des armées permanentes et du suffrage universel !

Quel rêve !

Les distributeurs automatiques, bien que fonctionnant depuis pas mal d’années, n’ont pas encore obtenu en France la généralisation que mérite leur extraordinaire commodité.

Quelques tablettes de chocolat, des bonbons, rien ; un joujou, quoi !

À l’étranger, il en est bien autrement, et sur ce terrain, les cosmopolites (sous ce nom de cosmopolites, je flétris inexorablement tout ce qui n’est pas français), les cosmopolites, dis-je, les sales cosmopolites nous ont battus d’un nombre incalculable de longueurs.

Il y a quelques années, au moment de ma célèbre croisière dans les mers du Sud, nous fîmes escale à Steelcocktown, un port charmant où j’eus la bonne fortune de tomber sur un des rares consuls français qui ne reculent pas devant un mot d’entretien avec compatriotes.

Le bourgogne, notamment, sortait d’une si excellente cave, que la conversation prit, au dessert, une tournure… mettons galante.

— Je suis sûr, s’écria notre consul, que vous ne connaissez pas le Quick-Flirt-Cottage ?

Comment l’aurions-nous connu, je vous le demande un peu, si fraîchement débarqués ?

— Alors, allons-y, poursuivit le bon Français ; mais pas de potin ! La débauche, à Steelcocktown, s’accommode mal du tumulte latin.

Au fond d’une allée peut-être bien de lauriers-roses en fleur ou de tous autres arbustes (je ne pose pas pour le botaniste), se dressait une élégante villa entourée d’un très menu parc.

Une manière de grave gentleman, installé derrière un petit bureau à l’entrée d’un vestibule, nous examina ; puis, très simplement :

Gold ? s’informa-t-il.

Cette question nous invitait à nous munir, contre quelques banknotes, de livres anglaises en or.

Nous acquiesçâmes.

Ensuite, nous voilà dans un salon où, sur les tables, s’étalent des photographies de dames plutôt décolletées dont chacune porte un numéro.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Autant pour la morale que pour le laps, abrégeons.

Bientôt, nous avions fait notre choix.

La pièce d’or glissée dans le slot d’un distributeur automatique nous mit en possession d’une clef garnie d’un numéro adéquat.

Chez la dame, fort jolie d’ailleurs, une autre livre glissée dans le slot d’un autre appareil nous conféra une bouteille de champagne.

Et, ma foi, je ne regrettai pas mes 50 francs (50 francs et quelques pence, la livre anglaise valant un peu plus que 25 francs).