Ne nous frappons pas/Un nouveau projet de recrutement de la noblesse

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UN NOUVEAU PROJET DE RECRUTEMENT DE LA NOBLESSE

Avec la religieuse attention qu’un tel écrivain comporte, j’ai lu la dernière chronique de Paul Adam sur le recrutement d’une nouvelle noblesse.

Tout d’abord, je me sentis séduit par l’originale conception du jeune maître ; mais au bout d’une courte réflexion, les inconvénients du système préconisé m’apparurent avec une remarquable netteté.

Certes, il serait bon, à mille points de vue, d’instaurer une nouvelle noblesse, mais tenez pour certain que dans une démocratie comme la nôtre, toute noblesse qui ne sera pas de recrutement égalitaire n’aura aucune chance de durée.

Le mérite ? Oui, je sais, mais quel gouvernement sera jamais assez intègre ou perspicace pour aller trouver, là où il terre souvent, le vrai mérite ?

Je vous le demande ?

Ferez-vous passer des examens ou des concours pour conférer des titres de baron, comte, marquis, etc., de même qu’il en existe en vue de créer des bacheliers, des licenciés, des docteurs, etc. ?

Non, n’est-ce pas ? Alors ?

De recrutement égalitaire, ai-je dit, et je le maintiens.

Voici donc ce que je propose au gouvernement en général et à la grande-chancellerie en particulier.

Tous les ans, l’État organisera une immense tombola à un franc le billet, tombola dont les lots consisteront en certain nombre de titres nobiliaires.

Le gros lot sera un titre de prince.

Suivent dix titres de duc, cinquante titres de comte, etc., etc., et pour finir mille titres de baron.

(Ces chiffres, bien entendu, sont fantaisistes. Une commission instituée ad hoc, réglementera l’économie du système.)

Dès lors, plus de jalousies, plus d’envieuses récriminations, puisque n’importe qui, votre voisin, vous-même, pouvez, du jour au lendemain, porter le tricorne et l’épée.

(Car il ne serait pas admissible qu’on créât de nouveaux nobles sans les affubler des brocarts de jadis, des ors et des galons de nos vieilles aristocraties.)

Ces titres seront personnels et non transmissibles, de telle sorte que les loteries annuelles ne perdront jamais de leur intérêt, le nombre de trépas des nobles se trouvant réglé sur la création des nouveaux titres (le contraire serait plus exact, mais je n’ai pas le temps de corriger. Je rectifierai dans les prochaines éditions).

Sans compter que le gouvernement trouvera chaque année un joli profit pécuniaire qui lui permettra peut-être de dégrever les pauvres contribuables que nous sommes.

Ainsi soit-il.