Nietzsche et l’immoralisme/Livre troisième - Les jugements de Nietzsche sur Guyau, d’après des documents inédits

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Félix Alcan (p. 151-179).





LIVRE TROISIÈME

LES JUGEMENTS DE NIETZSCHE SUR GUYAU

D’APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

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La meilleure preuve de ce qu’il y a d’incertain dans les principes de Nietzsche et d’arbitraire dans ses conclusions, c’est que, d’une conception analogue de la vie intensive, un autre philosophe, poète comme lui, novateur comme lui, a su tirer des conséquences diamétralement contraires aux siennes.

I. — La pensée générale de Guyau a été fort bien saisie, en son originalité, par le penseur allemand :

« Selon Guyau, dit-il, « sympathie et sociabilité sont fondamentales, — et non pas, comme le veut l’école anglaise, plus ou moins artificielles et développées plus tard.

« Bentham et les utilitaires cherchent avant tout à éviter la douleur, leur ennemi mortel.

« Spencer voit dans les instincts désintéressés un produit de la société ; Guyau les trouve déjà dans l’individu, dans le fond de la vie. »

Telle est l’annotation de Nietzsche au bas de la page 25 de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.

Avant de marquer le point où l’opposition des deux philosophes va se produire, rappelons leurs points de coïncidence. Les deux penseurs ont pris d’abord pour accordé par tout le monde qu’il faut ou régler la conduite humaine ou la laisser sans règle (ce qui est encore une manière de lui donner une règle, celle de n’en pas avoir). Ils se sont accordés ensuite à chercher le fondement de la règle ou de l’absence de règle (question réservée) dans la nature la plus profonde de la vie, qu’ils considèrent comme étant le fond même de l’existence. Ils se sont accordés à concevoir la vie comme une activité qui trouve dans sa plus haute intensité sa plus haute jouissance. Ils se sont accordés enfin à concevoir la plus haute intensité comme en proportion nécessaire avec la plus large extension.

Reste à déterminer la nature de cette extension. C’est ici le carrefour où s’ouvrent deux routes divergentes et où les deux philosophes vont se tourner le dos. Le point où débute la divergence est indiqué par Nietzsche lui-même. Guyau écrit d’abord à la page 18 ces lignes, dont une partie est soulignée par Nietzsche : « La vie est une sorte de gravitation sur soi ; » c’est là précisément le principe qu’admettent en commun les deux philosophes. « Mais, continue Guyau, l’être a toujours besoin d’accumuler un surplus de force même pour avoir le nécessaire ; l’épargne est la loi même de la nature. Que deviendra ce surplus de force accumulé par tout être sain, cette surabondance que la nature réussit à produire ? » Nietzsche met en marge : « Là gît la faute. » Que veut-il donc dire ? Lui aussi, pourtant, admet que l’être accumule la force de manière à en avoir un surplus, une surabondance. Mais il n’admet pas que cette accumulation résulte d’une espèce de vitesse acquise en vue de se procurer le nécessaire et qui aboutit à plus qu’il n’est absolument besoin. Il voit dans la surabondance le résultat d’un instinct de déploiement de puissance, Macht auslassen, comme il répète sans cesse. Il s’imagine que l’être accumule le pouvoir pour le pouvoir même, — comme si le pouvoir avait un prix indépendamment de l’usage, et de la joie finale qui y est attachée. Il croit donc que l’être fait provision de vie en excès pour « déployer sa puissance sur autrui… an andern Macht auslassen ». Guyau, au contraire, voit dans la surabondance le moyen final de ne pas dépouiller autrui et de s’unir à autrui.

Nous avouons que la position de Guyau nous semble assez logique. Si, en effet, la surabondance de force peut servir à attaquer, elle peut évidemment aussi servir à ne pas attaquer et même à s’associer. — Nietzsche répond, on s’en souvient : Les forts aiment naturellement l’isolement ; ce sont les faibles qui s’associent. — Pas toujours ; aurait répliqué Guyau. En outre, Nietzsche oublie que la surabondance vitale peut et doit se traduire, chez les animaux bien conformés, comme le singe et l’homme, par une surabondance cérébrale, qui aboutit à l’intelligence, à la faculté de représentation, et, par l’intermédiaire de la représentation, à la sympathie.

Placé comme Hercule entre deux voies, celle de l’expansion naturelle vers autrui et celle de l’expansion naturellement agressive contre autrui, chacun devra choisir : il faut nécessairement suivre ou Nietzsche ou Guyau. En suivant la voie de Guyau, on fonde l’altruisme naturel sur la loi même de la vie. Ce n’est pas là l’affaire de Nietzsche, qui veut rester dans l’égoïsme primitif et, pour cela, prêche le déploiement de la puissance sur et contre autrui. Aussi accuse-t-il Guyau de commettre là « une faute », — la faute de contredire Nietzsche. Il l’accuse même d’être en contradiction avec soi : « En son effort, dit-il, pour montrer que les instincts moraux ont leur fondement dans la vie même, l’auteur a oublié qu’il a démontré le contraire, — à savoir que tous les instincts fondamentaux de la vie sont immoraux, y compris ceux qu’on appelle moraux. La plus haute intensité de vie est sans doute en proportion nécessaire de sa plus large expansion ; seulement celle-ci est ennemie de tous les faits altruistiques. Cette expansion se manifeste au dehors comme insatiable vouloir de puissance. » Ce qu’il y a de curieux ici, c’est l’illusion d’optique par laquelle la contradiction entre Guyau et Nietzsche parait à ce dernier une contradiction entre Guyau et Guyau lui-même. En fait, Guyau n’a nullement démontré ni voulu démontrer que « tous les instincts fondamentaux de la vie sont immoraux, y compris ceux qu’on appelle moraux ». Cette thèse est celle même de Nietzsche. Sans doute Guyau l’a prévue et exprimée, mais pour la rejeter finalement, non pour l’admettre. La preuve en est que Guyau, dans un chapitre célèbre, en développant sous forme conditionnelle l’hypothèse de l’indifférence de la nature, a dit : « L’égoïsme serait alors la loi essentielle et universelle de la nature. En d’autres termes, il y aurait coïncidence de ce que nous appelons la volonté immorale chez l’homme avec la volonté normale de tous les êtres. Ce serait peut-être là le scepticisme moral le plus profond. » Les traits qui soulignent ces mots sont de Nietzsche, et ce dernier, se reconnaissant ici lui-même, écrit en marge : moi. L’immoralité foncière de la vie est donc bien l’hypothèse de Nietzsche, non celle de Guyau. Quand Guyau entreprend, comme le dit Nietzsche, de trouver les fondements des instincts moraux dans la vie même, c’est Nietzsche seul qu’il contredit — et qu’il réfute par avance.

Aussi pensons-nous que les mots : « Ici gît la faute » peuvent précisément s’appliquer à Nietzsche ; car, nous l’avons montré, c’est une faute de confondre toute expansion d’activité avec une agression, de croire que ce qui est en plus des besoins stricts de la vie individuelle, ce qui est comme un luxe, ne peut être employé que contre les autres, comme si la lutte ne provenait pas des nécessités et besoins, non du superflu et du surabondant ! Les sens supérieurs, tels que la vue, ont été d’abord produits par et pour des besoins, mais, une fois développés, s’ils peuvent encore servir à attaquer ou à se défendre, ils peuvent également servir à marcher de concert avec autrui ou à contempler les mêmes objets qu’autrui avec la même admiration. On se rappelle que, pour Guyau, la vie a deux faces : par l’une elle est nutrition, assimilation et conquête, par l’autre, production et fécondité ; parmi les besoins mêmes de la vie, à côté de l’égoïste nutrition, Guyau a montré que la génération n’a déjà plus la même direction exclusivement centripète et qu’elle est une sorte d’invitation naturelle à l’altruisme. Le développement spontané de la vie, de la tendance à être, à être plus, à être mieux, produit le développement des tendances vers autrui comme celui des tendances vers soi. Le moi s’élargit lui-même et finit par embrasser autrui. Sans doute il ne peut entièrement se supprimer (à moins qu’il ne s’agisse du dévouement jusque dans la mort), mais la moralité ne commande pas, d’ordinaire, de ne plus être et de ne plus être nous-mêmes ; ce qu’elle nous commande, c’est d’être aussi les autres, d’exister dans les autres et pour les autres.

Nietzsche termine sa longue note du frontispice en appréciant la théorie de Guyau sur la génération, principe d’altruisme : « Il s’en faut, dit-il, que la génération soit un symptôme d’un caractère altruistique : elle résulte d’une division et lutte dans un organisme gorgé de proie, qui, n’ayant pas assez de puissance dominatrice, est incapable d’organiser intérieurement toutes ses conquêtes. » À vrai dire, ni l’essence intime de la nutrition ni celle de la génération ne sont encore scientifiquement connues, et l’on ne peut construire un système philosophique ou moral sur l’inconnu. Heureusement, la question de savoir si l’homme raisonnable, en société, doit être égoïste ou altruiste, ne dépend pas de celle de savoir si la nutrition est une destruction de substance ou une construction, ni de celle de savoir si la génération est déjà une sorte de don de soi, ou, au contraire, une lutte et sécession de cellules qui arrivent à se séparer pour vivre indépendantes, comme les États du Nord et ceux du Sud dans la guerre américaine de sécession. On peut seulement dire que, au point de vue physiologique, la théorie de Nietzsche sur la génération est des plus contestables ; les naturalistes admettent plutôt, avec Guyau, que la génération est une surabondance de nutrition qui s’épanche au dehors, non l’effet d’une sorte de guerre intestine.

En tout cas, quand il s’agit des êtres sentants, voir une lutte dans la génération et ses suites, c’est pousser le goût de l’agressif jusqu’au paradoxe. Quelle lutte y a-t-il dans l’amour maternel ou paternel pour la progéniture, dans l’amour d’un sexe pour l’autre, dans l’amour des petits pour leurs parents ? La famille n’est-elle qu’un théâtre d’agressions réciproques ?

« Nous sommes ouverts de toutes parts, dit Guyau (p. 246), de toutes parts envahissants et envahis. » Ja ! répond Nietzsche, qui croit reconnaître là sa volonté de puissance envahissante. Il se trompe en voyant dans cette invasion, non pas une simple expansion, mais une agression. Guyau, par cette ouverture de notre être qui nous permet d’être envahis et d’envahir, ne désigne nullement un instinct d’attaque et de lutte, mais une pénétration naturelle et pacifique des sensibilités ou des intelligences les unes dans les autres.

Les conditions mêmes de la vie personnelle enveloppent, pour Guyau, une vie non individuelle et partiellement altruiste. Où Nietzsche croira voir la tendance à exploiter autrui, à écraser autrui, Guyau reconnaît la tendance à s’unir aux autres, à ne faire qu’un avec eux pour former un tout plus vivant : « la vie la plus riche, dit-il, se trouve être aussi la plus portée à se prodiguer, à se sacrifier dans une certaine mesure, à se partager aux autres ». Quelle est donc la vraie loi d’évolution par laquelle la vie arrivera, selon le mot de Nietzsche, à se « dépasser toujours elle-même » ? Guyau répond, en s’appuyant sur la biologie comme sur la psychologie et la sociologie : « L’organisme le plus parfait sera aussi le plus sociable, et l’idéal de la vie individuelle, c’est la vie en commun. » Tel est le vrai sens de la loi posée par Guyau, et qui avait frappé Nietzsche, à savoir que « la plus haute intensité de la vie a pour corrélatif nécessaire sa plus large expansion ». Guyau ajoute : « Vie, c’est fécondité, et réciproquement la fécondité, c’est la vie à pleins bords, c’est la véritable existence. » Il soutient que la vie féconde est la vie généreuse et aimante, non la vie isolée dans un moi altier et impénétrable. « La vie ne peut être complètement égoïste, même quand elle le voudrait. Il y a une certaine générosité inséparable de l’existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche intérieurement. Il faut fleurir ; la moralité, le désintéressement, c’est la fleur de la vie humaine. » Non moins poète que Nietzsche, mais d’une raison plus saine et plus ferme, il nous rappelle, dans une page souvent citée, que l’on représente la charité sous les traits d’une mère qui tend à des enfants son sein gonflé, de lait, et, au lieu de voir là une négation de la vie, il y voit la suprême affirmation de la vie. « C’est qu’en effet la charité ne fait qu’un avec la fécondité débordante ; elle est comme une maternité trop large pour s’arrêter à la famille. Le sein de la mère a besoin de bouches avides qui épuisent ; le cœur de l’être vraiment humain a aussi besoin de se faire doux et secourable pour tous ; il y a chez le bienfaiteur même un appel intérieur vers ceux qui souffrent. » Devant cette page, Nietzsche n’a pas osé mettre de contradictions, mais il n’y pouvait mettre d’approbation : c’eût été condamner son propre système, selon lequel charité ou pitié est le plus grand des vices.

« Nous avons constaté, conclut Guyau, jusque dans la vie de la cellule aveugle, un principe d’expansion qui fait que l’individu ne peut se suffire à lui-même ; la vie la plus riche se trouve être aussi la plus portée à se prodiguer, à se sacrifier dans une certaine mesure, à se partager aux autres. » Par là se trouve « replacée au fond même de l’être la source de tous les instincts de sympathie et de socialité ». — Après avoir lu ces pages, Nietzsche écrit, p. 25 : « Mais c’est là une complète mésinterprétation. Sécrétions et excréments à part, tous les vivants veulent avant tout, déployer leur puissance sur les autres. » Guyau n’aurait pas eu de peine à répondre : « Déployer sa puissance » cette formule métaphysique n’est pas plus claire que la bonne vieille formule psychologique : « déployer ses puissances, déployer ses facultés ». Quand l’école de Cousin nous redisait sans cesse de développer nos facultés et plaçait là le bien, nous ne nous sentions pas très avancés, et nous demandions : — Quelles facultés, quelles puissances, et qu’est-ce qu’une faculté, qu’est-ce qu’une puissance ? Et combien n’y a-t-il pas de manières d’exercer ses facultés ? Le voleur et l’assassin exercent aussi les leurs et déploient leurs puissances, soit celle du bras, soit celle de la ruse. Le mot Macht n’a pas le privilège de porter en lui toute lumière : il est encore plus métaphysique que les « puissances » cousiniennes, car il désigne une simple « potentialité » qui ne vaut que par ce qui l’actualise.

Nietzsche offre l’exemple d’une complète possession de l’homme par son idée ; il est tellement convaincu que l’existence est d’essence agressive, c’est tellement là, chez lui, une idée-fixe, qu’il appelle lui-même idée-fixe la conception opposée de Guyau, selon laquelle l’existence est d’essence communicative et expansive. Toutes les lois que cette conception revient dans L’Esquisse d’une morale, Nietzsche met en marge : « idée-fixe », et il ne se demande pas si sa propre pensée à lui ne fera pas aux autres le même effet.

La divergence de Guyau et de Nietzsche s’accentue dans tous les détails. On ne saurait trop citer l’admirable parole de Guyau dans l’Esquisse d’une morale (p. 194) : « J’ai deux mains, l’une pour serrer la main de ceux avec qui je marche dans la vie, l’autre pour relever ceux qui tombent. Je pourrai même, à ceux-ci, tondre les deux mains ensemble. » — Zarathoustra, au contraire, veut « que l’on pousse encore ceux qui tombent », et c’est avec honte qu’il « se lave les mains qui ont aidé celui qui souffre ». — « Je m’essuie même encore l’âme. » — « En vérité, dit Zarathoustra, j’ai fait ceci et cela pour ceux qui soutirent ; mais il m’a toujours semblé faire mieux quand j’apprenais à mieux me réjouir. » Tous ces paradoxes eussent, semblé à Guyau n’avoir rien de « sain », au sens physique comme au sens moral du mot.

Cherchant dans le développement même de nos activités naturelles, y compris l’intelligence, la source de l’altruisme, Guyau dit à la page 21 : « La pensée, en effet, est impersonnelle et désintéressée ». — Nota bene, écrit en marge Nietzsche, qui sent l’importance du rôle attribué à l’intelligence dans les origines de la moralité. Mais Nietzsche, devant ce fait qui ruine son système, se rebiffe et écrit encore en marge : « L’impersonnalité relative de la pensée dépend de la nature de troupeau qui appartient à la conscience. » C’est ici que, à notre tour, nous pouvons nous écrier : idée fixe Nietzsche est tellement obsédé par la haine du « troupeau » qu’il veut retrouver le troupeau jusque dans la conscience et l’intelligence. Et sans doute, il y a quelque chose de social ou, si l’on veut, de grégaire, soit dans la pensée et ses formes, soit, dans la conscience même, qui se pose en s’opposant à autrui, au troupeau des autres êtres. Mais, en vérité, comment expliquer par le caractère grégaire les lois fondamentales de l’intelligence, identité, causalité, etc. ? Est-ce parce que l’intelligence a une nature de troupeau que les planètes ont l’obligeance de s’éclipser juste au moment, prévu par l’intelligence de l’astronome ? Les planètes font-elles aussi partie du troupeau ? À la bonne heure ! L’intelligence nous met en effet en société avec le monde entier, mais ce n’est pas, semble-t-il, de la même façon que s’associent les moutons de Panurge pour se jeter dans un trou.

À la page 27, Guyau, faisant allusion à la théorie des idées-forces, dit que « l’intelligence a par elle-même un pouvoir moteur » ; Nietzsche met en marge : « Cela est essentiel ; on a jusqu’ici laissé de côté la pression intérieure d’un force créatrice. » Mais, puisque Nietzsche admettait avec nous que l’intelligence a ou peut avoir une force créatrice, comment n’admet-il pas aussi avec nous que cette force tend, non à isoler l’homme du tout, mais à l’unir au tout, conséquemment à le moraliser ?

Reconnaissant de nouveau le pouvoir de l’intelligence, Nietzsche amis Nota bene devant le passage où Guyau, résumant la théorie qu’il avait proposée dans sa Morale anglaise contemporaine, déclare que « tout instinct tend à se détruire en devenant conscient » (p. 53). De même, quand Guyau parle d’une « obligation esthétique » (p. 47) et que, à la page suivante, il ajoute : « génie et beauté obligent », Nietzsche souligne et met. en marge : Bien. L’obligation esthétique, sans être l’impératif catégorique, a pourtant ce caractère de briser la prison du moi et de n’être plus le sentiment d’un déploiement de notre puissance sur les autres, encore moins contre les autres !

On se rappelle la page où Guyau dit que, « quand on ressent un plaisir artistique, on voudrait ne pas être seul à en jouir. On voudrait faire savoir à autrui qu’on existe, qu’on sent, qu’on souffre, qu’on aime. On voudrait déchirer le voile de l’individualité. » Nietzsche s’écrie : « Déployer sa puissance, Macht auslassen ! » Nous ne voyons pourtant pas (quoiqu’on puisse tout trouver dans les sentiments humains) comment le plaisir esthétique peut être un déploiement de puissance au sens de domination sur autrui. Guyau répond lui-même, dans la phrase suivante : « C’est plutôt le contraire de l’égoïsme. Les plaisirs très inférieurs, eux, sont égoïstes. Quand il n’y a qu’un gâteau, l’enfant veut être seul à le manger. Mais le véritable artiste ne voudrait pas être seul à voir quelque chose de beau, à découvrir quelque chose de vrai, à éprouver un sentiment généreux[1]. » Nous regrettons que Nietzsche n’ait pas pris la peine de réfuter ces lignes, qui sont la réponse immédiate de Guyau à son exclamation : Macht auslassen ![2]

Nietzsche a de nouveau placé son exclamation favorite à la page suivante (p. 22) et, cette fois, avec plus de raison. « Nous avons besoin de produire, dit Guyau, d’imprimer la forme de notre activité sur le monde ». Nietzsche aussitôt de souligner et d’écrire : « Ja ! ecco ! Macht auslassen ! Oui ! Voilà ! Déployer sa puissance ! » Et en effet, Guyau parle ici de la « fécondité de la volonté » ; il trouve donc en passant cet instinct de déploiement qui est réel dans le vouloir, mais que Nietzsche a vu exclusivement, au lieu de le voir accompagné d’autres penchants non moins importants. En outre, imprimer la forme de son activité sur le monde n’a en soi rien de l’agression chère à Nietzsche. Ce dernier place au cœur même de la vie ce qu’il appelle « l’imposition de sa propre forme » ; il ne dit plus avec Guyau imprimer, mais imposer et, à la faveur de ce changement, il introduit l’idée de domination sur autrui : Macht an andern auslassen. Où Guyau ne voyait que la lutte de la volonté intelligente contre la matière, Nietzsche voit la lutte contre d’autres volontés et le besoin de les « subjuguer ». Il avait, encore un coup, la bosse de la combativité. N’a-t-il pas voulu, tout à l’heure, retrouver la combativité jusque dans le plaisir esthétique et dans le besoin de communication à autrui, si naturel à ce plaisir !

En cette même page 22, Guyau fournit une des plus frappantes réfutations de l’égoïsme universel et exclusif, lorsqu’il montre que le travail, cet exercice de la volonté et de la « puissance », aboutit lui-même à unir l’homme aux autres hommes, loin de l’isoler. « Travailler, dit Guyau, c’est produire, et produire, c’est être à la fois utile à soi et aux autres. » Nietzsche, au lieu de réfléchir sur ce fait, qui dérange son système, souligne le mot aux autres et s’écrie en marge : « Pourquoi ? au contraire ! » Le pourquoi n’était pas difficile à trouver. Dans le monde social, le travail n’est utile à l’individu même qu’à la condition de l’être aux autres, sans quoi il ne lui rapporterait rien. Le simple maçon qui construit votre maison n’est utile à soi-même qu’à la condition de vous être utile ; autrement, il ne gagnerait pas un centime à porter des pierres et à les superposer. Quand même un homme ne bâtirait une maison que pour lui, la maison une fois bâtie servira encore aux siens et, après sa mort, à une foule d’autres, lit si, au lieu d’une maison, vous produisez une découverte scientifique, vous rendez service à l’humanité encore plus qu’à vous-même. Ces faits sont élémentaires, ils sont de sens commun. Mais Nietzsche, lui, méprise le sens commun, et il pousse ici l’exclamation inattendue : au contraire ! C’est-à-dire que celui qui produit et est ainsi utile à lui-même, loin d’être utile du même coup aux autres, comme le soutient Guyau, nuirait aux autres Cette fois, c’est nous qui ne comprenons plus ce qui demandons : « pourquoi ? » Nous voyons bien que le genre de travail qui consiste à s’embusquer dans un bois et à frapper les voyageurs d’un coup de couteau pour leur prendre leur bourse est nuisible à autrui, mais en quoi le travail du chirurgien qui panse le blessé est-il nuisible à ce dernier ?

Par l’analyse des conditions de la sensibilité, de l’intelligence, de la volonté, et par l’énoncé des lois de leur expansion, Guyau a voulu faire en morale une juste part à l’idée de socialité, dont l’individualisme outré de Nietzsche devait méconnaître l’importance, et dont l’évolutionnisme, dont le darwinisme, dont le positivisme comtiste avaient déjà montré la portée scientifique. Quand, à la page 49, Guyau appelle « les devoirs moraux des formes de l’instinct social ou altruiste », Nietzsche s’écrie : « Idée fixe (en français) : les devoirs moraux comme formes diverses de l’instinct social ou altruiste ! » Nietzsche n’en revient pas d’étonnement ! À la page 165, Guyau suppose un spectateur témoin d’une attaque, et demande : « Pourquoi se mettra-t-il à la place de celui qui se défend, et non de l’autre ? » Nietzsche, dont nous connaissons l’humeur agressive et qui fait partout l’éloge de l’attaque, s’empresse de répondre : « Ce n’est pas du tout là toujours le cas. » — Mais, continue Guyau, « ne prenons-nous pas toujours parti pour le plus faible ? » — « Pourquoi ? répond Nietzsche ; volonté de puissance ! » — C’est donc, selon Nietzsche, uniquement pour déployer notre force dominatrice que nous prenons le parti des faibles ; notre apparente sympathie n’est pour nous qu’une nouvelle occasion de développer notre pouvoir sur autrui. Le penseur altruistique et le penseur égoïstique sont en pleine opposition ; mais il faut convenir que l’interprétation exclusive du nouveau La Rochefoucauld par la « puissance propre » est encore plus suspecte que celle de l’ancien par « l’amour propre ».

On se souvient que, des conditions vitales de l’existence individuelle et collective, Guyau déduit une loi d’expansion, qu’il substitue comme équivalent à l’impératif catégorique et à l’obligation proprement dite. Il n’admet pas pour cela le scepticisme moral, quoiqu’il en ait marqué avec pénétration les vraies bases. À la page 124, en effet, Guyau montre que, pour le scepticisme moral, la moralité pourrait se réduire à une illusion intérieure ou sociale nécessaire, à un des arts dont la vie même a besoin. « L’art forme un moyen terme entre le subjectif et le réel ; il travaille par des méthodes scientifiques à produire l’illusion, il se sert de la vérité pour attraper les yeux. Qui nous dit que la moralité n’est pas de la même façon un art (c’est Nietzsche qui souligne) à la fois beau et utile ? Peut-être nous charme-t-elle aussi en nous trompant. Le devoir peut n’être qu’un jeu de couleurs intérieures. » Nietzsche, après avoir marqué tout le passage de deux traits en marge, ajoute : moi.

Ce que Guyau, pour sa part, retiendra de cette tentation de scepticisme, c’est la légitimité du doute, qui lui semble nécessaire même en morale, surtout à l’égard des impératifs. On sait qu’il a soutenu, — comme nous l’avions fait déjà dans la Critique des systèmes de morale contemporains, — l’importance morale du doute : il avait même posé les bases d’une « morale du doute ».— « On a assez longtemps, dit-il page 126, accusé le doute d’immoralité, mais on pourrait soutenir aussi l’immoralité de la foi dogmatique. » Nietzsche souligne, met un trait en marge et ajoute : moi. Et de même, à la page 125, il approuve ces lignes : « La nécessité sociale de la morale et de la foi, ajouteront les sceptiques, peut n’être que provisoire. » — « Gut ! » On sait que Nietzsche considère la morale comme devant cesser un jour d’être nécessaire et Guyau lui-même admettait une sorte d’état amoral et anomique, conçu d’ailleurs tout autrement que l’immoralisme de Nietzsche, comme constituant l’état idéal et peut-être futur de la société humaine.

Nietzsche ne pouvait manquer d’approuver la manière dont Guyau répond aux partisans plus ou moins aveugles de la foi, qui sont si nombreux en philosophie depuis Kant. Guyau écrit, page 128 : « Mais, dira-t-on, s’il est irrationnel d’affirmer dans sa pensée comme vrai ce qui est douteux, il faut bien pourtant l’affirmer parfois dans l’action. — Soit, mais c’est toujours une situation provisoire et une affirmation conditionnelle ; je fais cela, — en supposant que ce soit mon devoir, que j’aie même un devoir absolu. Mille actions de ce genre ne peuvent pas établir une vérité. La foule des martyrs a fait triompher le christianisme, un petit raisonnement peut suffire à le renverser. Comme l’humanité y gagnerait d’ailleurs, si tous les dévouements étaient en vue de la science et non de la foi, si on mourait non pour défendre une croyance, mais pour découvrir une vérité, quelque minime qu’elle fût ! Ainsi firent Empédocle et Pline, et de nos jours tant de savants, de médecins, d’explorateurs ; que d’existences jadis perdues pour affirmer des objets de foi fausse, qui auraient pu être utilisées pour l’humanité et la science[3] ! » Tout ce beau passage a frappé Nietzsche, qui l’accueille par un « Bravo ! » Trois ans plus tard, dans l’Antéchrist[4], Nietzsche écrivait à son tour : « Il est si peu vrai qu’un martyr puisse démontrer la vérité d’une chose que je voudrais affirmer qu’un martyr n’a jamais rien eu à voir avec la vérité… Les supplices des martyrs ont été un grand malheur dans l’histoire ; ils ont séduit… La croix est-elle donc un argument ? Mais, sur toutes ces choses, quelqu’un seul a dit le mot dont on aurait eu besoin depuis des milliers d’années, — Zarathoustra. » — En parlant ainsi et en se croyant seul, Nietzsche n’oublie-t-il point, une fois de plus, tous les livres qu’il avait lus ?

La morale de l’impératif catégorique paraissait à Guyau une des formes de la morale de la foi, malgré tout ce que Kant peut dire d’une « raison pure » ou d’une « volonté pure ». Guyau, dans sa critique de Kant, dit à la page 115 : « Tous ces éléments, l’agréable, l’utile, le beau, se retrouvent dans l’impression produite par la raison pure ou la volonté pure. Si la pureté était poussée jusqu’au vide, il en résulterait l’indifférence sensible et intellectuelle, nullement cet acte déterminé de l’intelligence et de la sensibilité qu’on appelle l’affirmation d’une loi et le respect d’une loi ; il n’y aurait plus rien à quoi put se prendre notre jugement et notre sentiment. » Nietzsche répond : « Bravo ! » De même, il marque son approbation pour la page 120, où Guyau soutient que « l’évidence intérieure du devoir ne prouve rien », l’évidence étant « un état subjectif dont on peut rendre compte par des raisons subjectives aussi », La vérité, ajoute Guyau, est une synthèse ; « c’est ce qui la distingue de la sensation, du fait brut ; elle est un faisceau de faits. Elle ne tire pas son évidence et sa preuve d’un simple état de conscience, mais de l’ensemble des phénomènes qui se tiennent et se soutiennent l’un l’autre. Une pierre ne fait pas une voûte, ni deux pierres, ni trois ; il les faut toutes ; il faut qu’elles s’appuient l’une sur l’autre ; même la voûte construite, arrachez-en quelques pierres, et tout s’écroulera : la vérité est ainsi ; elle consiste dans une solidarité de toutes choses. Ce n’est pas assez qu’une chose soit évidente, il faut qu’elle puisse être expliquée pour acquérir un caractère vraiment scientifique. » Nietzsche a noté bien toute cette page. Lui qui nous a maintes fois répété la maxime des Assassins : « Rien n’est vrai », il a trouvé dans Guyau une conception du vrai qu’il approuve.

II. — On sait que, par opposition tout ensemble à la foi morale de Kant et au scepticisme moral, Guyau soutenait que le devoir est un pouvoir qui demande à s’épandre, un surcroît de vie à la fois intellectuelle et sensible qui demande à déborder, que celui qui peut, au sens positif et fécond, a le sentiment qu’il doit. Et c’est là, croyons-nous, sinon toute la vérité, du moins une grande et profonde vérité. Mais Guyau, on l’a vu, ne faisait pas de ce pouvoir demandant à agir une sorte de radical égoïsme, une poursuite de la puissance sur autrui et aux dépens d’autrui ; il était réservé à Nietzsche de soutenir cette thèse, d’autant plus séduisante à ses yeux qu’elle était plus étrange et qu’elle aboutissait à placer le bien là où tout le monde avait jusqu’alors placé le mal, le devoir faire là où on avait placé ce qu’on doit ne pas faire. Pour Nietzsche, l’impératif en morale est une vengeance d’esclaves, une œuvre de « ressentiment ». Les forts et les maîtres n’ont pas d’impératif ; ils font ce qu’ils veulent, ils arrivent, sans obstacles ou en brisant les obstacles, à la satisfaction de leur volonté de puissance. Les faibles, au contraire, ne peuvent satisfaire tous leurs désirs ; dès lors, pour se consoler et se venger, ils déclarent mauvais les désirs qu’ils sont impuissants à satisfaire et mauvaise la satisfaction de ces désirs, que les forts ne se refusent pas ; ils proclament la nature immorale, ils inventent l’altruisme pour corriger l’égoïsme naturel, les préceptes rationnels et l’impératif catégorique pour ramener les forts au niveau des faibles. Revanche de vindicatifs[5].

Reconnaissez-vous dans cette étonnante genèse, renouvelée des sophistes grecs, la vraie origine des idées morales ? La trouvez-vous supérieure à celle que propose Guyau : pouvoir d’expansion et de communication universelle qui, dès qu’il a conscience de soi, se traduit à lui-même, comme en une pression intérieure et un débordement irrésistible, par un sentiment de devoir : « tu peux, donc tu dois » ?

La déformation progressive des vérités les plus simples est le procédé inconscient, mais constant, de Nietzsche, et c’est par là qu’il s’oppose à Guyau, dont la hardiesse n’exclut jamais la rectitude de bon sens. S’agit-il d’expliquer, par exemple, le sentiment qui nous porte à rendre le bien pour le bien, à acquitter, sous la forme du devoir, ce que nous devons à autrui, Guyau y verra une expansion d’un sentiment de personnalité intense joint à un sentiment intense du lien avec les autres personnalités. Nietzsche, lui, dit d’abord : « C’est notre fierté qui nous ordonne de faire notre devoir. » Soit, il y a dans l’acquittement d’une dette morale une sorte de « fierté », de dignité, de respect de soi ; — mais Nietzsche a bien soin de n’y ajouter ni le respect d’autrui, ni l’affection pour autrui, ni le sentiment de ce pouvoir intérieur qui, dit Guyau, se traduit en devoir. Continuant alors son exposition de demi-vérités : « Nous voulons, dit Nietzsche, rétablir notre autonomie en opposant à ce que d’autres firent pour nous quelque chose que nous faisons pour eux [6]. » Soit encore, pourvu qu’on s’explique. De l’idée de fierté à celle de dignité, de celle de dignité à celle d’autonomie, il y a certainement une transition naturelle. Mais il y a aussi une transition possible entre fierté et amour égoïste de l’indépendance, puis de la puissance, puis de la domination. Par cette tangente, Nietzsche va s’échapper et retourner à son idée-fixe du Wille zur Macht. « Car, dit-il, les autres ont empiété sur la sphère de notre pouvoir et y laisseraient la main d’un façon durable, si par le devoir nous n’usions de représailles, c’est-à-dire si nous n’empiétions sur leur pouvoir à eux. » Et voilà comment la reconnaissance devient représaille, disons presque vengeance, comment le devoir devient un moyen d’exercer le pouvoir d’empiétement et de domination ! Une chose aussi rationnelle et aussi instinctive tout à la fois que de sympathiser avec celui dont on a éprouvé la sympathie et de lui rendre le bien pour le bien, se transforme pour Nietzsche en un calcul méphistophélique où, sous couleur de rendre le bien, c’est en réalité le mal que nous rendons, par une agression déguisée sous les apparences d’un retour d’affection et de bienveillance ! Une vérité de sens commun est devenue un paradoxe ; une observation presque banale a fini, en s’amplifiant d’hyperbole en hyperbole dans une cervelle mal équilibrée, par se changer en une sorte de grandiose insanité. Si un tel procédé était conscient et voulu, il serait la sophistique par excellence, l’idéal même de Méphistophélès ; mais, dans la tête ardente de Nietzsche, rien n’est

plus sincère que le faux, dont il fait avec le vrai un inextricable mélange. Une grande partie de son succès est due à ce procédé de paradoxe systématique, qui estime folie de bonne foi[7].

III. — De même que Guyau, avant Nietzsche, a battu en brèche l’idée d’obligation, on sait qu’il a voulu détruire l’idée proprement dite de sanction et d’expiation morale. Il écrit à la page 146 : « Déjà Bentham, MM. Maudsley, Fouillée, Lombroso se sont attaqués à l’idée de châtiment moral ; ils ont voulu enlever à la peine tout caractère expiatoire et en ont fait un simple moyen social de répression et de réparation. » Nietzsche met deux traits en marge et ajoute : « Feuerbach ». Nietzsche lui-même sera de ceux qui rejettent, avec la loi morale, la sanction morale comme telle, quoique, d’ailleurs, il maintienne la nécessité de la force pour faire dominer sur les autres les plus puissants, qu’il appelle avec Calliclès les meilleurs.

Guyau montre, à la page 182, que le remords produit une certaine antinomie. « De même que les organismes supérieurs sont toujours plus sensibles à toute espèce de douleur venant du dehors, et qu’en moyenne, par exemple, un blanc souffre plus dans sa vie qu’un nègre, de même les êtres les mieux organisés moralement sont mieux exposés que d’autres à cette souffrance venant du dehors et dont la cause leur est toujours présente : la souffrance de l’idéal non réalisé. Le vrai remords, avec ses raffinements, ses scrupules douloureux, ses tortures intérieures, peut frapper les êtres non en raison inverse, mais en raison directe de leur perfectionnement. » — « Très bien, » dit Nietzsche. Lui-même, à plusieurs reprises, analysera la « mauvaise conscience » ; mais, poussant encore au paradoxe, on se rappelle qu’il y voit une des formes de déviation de l’instinct de cruauté ; le remords est la cruauté « envers soi-même »[8]. L’idée de cruauté exerce décidément sur Nietzsche une sorte de fascination maladive.

M. Lichtenberger avait été déjà frappé de voir fortement souligné un beau passage où Guyau dit (p. 180) : « Supposons, par exemple, un artiste qui sent en lui le génie et qui s’est trouvé condamné toute sa vie à un labeur manuel ; ce sentiment d’une existence perdue, d’une tâche non remplie, d’un idéal non réalisé, le poursuivra, obsédera sa sensibilité à peu près de la même manière que la conscience d’une défaillance morale." Nietzsche ajoute en marge : « Ma propre existence à Bâle ! » Le philosophe condamné à la philologie éprouvait la « mauvaise conscience » et se torturait lui-même « cruellement ».

IV. — Bien connues sont les conclusions si neuves de Guyau sur le risque en morale et en métaphysique ; elles ont attiré l’attention de Nietzsche : « Il y avait, dit Guyau, dans le pari de Pascal, un élément qu’il n’a pas mis en lumière. Il n’a guère vu que la crainte du risque, il n’a pas vu le plaisir du risque » (p. 219). Nietzsche souligne deux fois et met en marge : « gut !! » avec deux points d’exclamation. Le fait est que Nietzsche parlera sans cesse, lui aussi, de l’ivresse du risque. Rappelons-nous les paroles déjà citées de Zarathoustra : « Commander est plus difficile qu’obéir ; commander m’est toujours apparu comme un danger et un risque. Et toujours, quand ce qui est vivant commande, ce qui est vivant risque sa vie[9]. »

« Plus nous irons, ajoute Guyau (p. 216), plus l’économie politique et la sociologie se réduiront, à la science des risques (Nietzsche souligne) et des moyens de les compenser, en d’autres termes, à la science de l’assurance ; et plus la morale sociale se ramènera à l’art d’employer avantageusement pour le bien de tous ce besoin de se risquer (cette fois, c’est Guyau qui souligne) qu’éprouve toute vie individuelle un peu puissante. En d’autres termes, on tâchera de rendre assurés et tranquilles les économes d’eux-mêmes (souligné par Guyau), tandis qu’on rendra utiles ceux qui sont pour ainsi dire prodigues d’eux-mêmes (souligné par Guyau). » Nietzsche met un double trait en face du passage, avec la note bien. Il y a là un important accord théorique et pratique des deux penseurs.

Page 221 : « On devrait offrir toujours un certain nombre d’entreprises périlleuses à ceux qui sont découragés de vivre (souligné par Nietzsche). Le progrès humain aura besoin pour s’accomplir de tant de vies individuelles qu’on devrait veiller à ce qu’aucune ne se perde en vain. Dans l’institution philanthropique dite des dames du Calvaire, on voit des veuves se consacrer à soigner des maladies répugnantes et contagieuses ; cet emploi, au profit de la société, des vies que le veuvage a plus ou moins brisées et rendues inutiles est un exemple de ce qu’on pourrait faire, de ce qu’on fera certainement dans la société à venir. » En face de ce passage, par une heureuse opposition avec soi, le farouche ennemi de la pitié a mis : bien ! Il était d’ailleurs lui-même doux, pitoyable et bon.

Quelques lignes plus loin, Guyau remarque que, dans l’ordre social, il faudrait employer toutes les capacités : « Or, il y a des capacités spéciales pour les métiers périlleux et désintéressés, des tempéraments faits pour s’oublier et se risquer toujours eux-mêmes. Cette capacité pour le dévouement a sa source dans une surabondance de vie morale. » Nietzsche souligne et approuve : « gut ! » Ne voit-il donc encore dans celle surabondance que l’expansion du désir de puissance, tandis que Guyau y voit surtout celle du désir d’union et d’amour ?

« Il y a toujours dans l’héroïsme quelque naïveté simple et grandiose… Les cœurs les plus aimants sont ceux qui sont le plus trompés, les génies les plus hauts sont ceux où l’on relève le plus d’incohérences. » Nietzsche souligne et met N. B.

« Il y a aussi des instants de la vie où il semble qu’on soit sur une cime et qu’on plane : devant ces instants-là, tout le reste devient indifférent. » — « Oui », s’écrie Nietzsche.

Il a dû se reconnaître encore en partie dans la page 113, par lui remarquée, où Guyau parle de l’antique doctrine d’Ariston qui n’admettait « aucune différence de valeur, aucun degré entre les choses » ; un être humain, déclare Guyau à ce sujet, « ne se résignera jamais à poursuivre un but en se disant que ce but est au fond indifférent et que sa volonté seule de le poursuivre a une valeur morale… C’est l’analogue de ce travail qu’on fait accomplir aux prisonniers dans les prisons anglaises, et qui est sans but : tourner une manivelle pour la tourner ». — Tel est pourtant le travail que nous proposera tout à l’heure « le maître de l’éternel retour » ; Zarathoustra voudra créer des valeurs dans un monde où rien, en définitive, n’a de valeur ; il voudra les créer par un acte de puissance qui se déploie, en attendant que le retour fatal ail tout ramené au même point, que la grande année ait accompli sa révolution pour la recommencer encore, à l’Infini. Nietzsche a mis au bas de la page de Guyau cette exclamation mélancolique : « En vain, Umsonst ! » C’est l’exclamation qui revient tant de fois dans ses œuvres, quand il veut nous prêcher le consentement à l’éternelle vanité de l’effort humain.

Nietzsche a été vivement frappé par les pages bien connues de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, où Guyau résume admirablement l’hypothèse de l’indifférence de la nature : « la nature en son ensemble n’est pas forcée d’être féconde ; elle est le grand équilibre de la vie et de la mort (c’est Nietzsche qui souligne). Peut-être sa plus haute poésie vient-elle de sa superbe stérilité. L’Océan, lui, ne travaille pas, ne produit pas, il s’agite ; il ne donne pas la vie, il la contient ; ou plutôt il la donne et la retire avec la même indifférence. » Nietzsche, dans ces lignes, reconnaît sa doctrine d’éternel équilibre et d’éternel retour : aussi écrit-il en marge : moi.

V. — Guyau a réfuté sans le savoir, à plusieurs reprises, le système moral de Nietzsche. Par exemple, à la page 175, il prévoit le césarisme de Nietzsche, son mépris des « faibles », son opposition à la « pitié », et il écrit : « L’engouement des peuples pour les Césars ou les Napoléons passera par degré ; la renommée des hommes de science nous apparaît déjà aujourd’hui comme la seule vraiment grande et durable… Plus nous allons, plus nous sentons que le nom d’un homme devient peu de chose ; nous n’y tenons encore que par une sorte d’enfantillage conscient ; mais l’œuvre, pour nous-mêmes comme pour tous, est la chose essentielle. Les hautes intelligences, pendant que dans les hautes sphères elles travaillent presque silencieusement, doivent voir avec joie les petits, les infimes, qui sont sans nom et sans mérite, avoir une part croissante dans les préoccupations de l’humanité… Les questions de personnes s’effaceront pour laisser place aux idées abstraites de la science ou au sentiment concret de la pitié et de la philanthropie… À la justice distributive — qui est une justice toute individuelle, toute personnelle, une justice de privilège (si les mots ne juraient pas ensemble) — doit donc se substituer une équité d’un caractère plus absolu et qui n’est au fond que la charité. Charité pour tous les hommes, quelle que soit leur valeur morale, intellectuelle ou physique, tel doit être le but dernier poursuivi même par l’opinion publique. » Devant cette page profonde, qui est la négation de tout son système aristocratique et despotique, Nietzsche va-t-il réfléchir, se demander s’il n’y aurait pas lieu d’examiner la question de plus près ? Non, il est embarqué : « Périssent les faibles et les ratés. » Aussi, au bas de la page de Guyau, il se contente de mettre cette exclamation : Incredibile ! Mais ce qui est « incroyable », n’est-ce pas que l’esprit de système aveugle un philosophe au point qu’il ne prenne pas la peine de définir ce que c’est qu’un « faible » et de se demander si, parce qu’on est né dans une condition misérable, parce qu’on a été privé des moyens de s’instruire, peut-être des moyens mêmes de vivre, on est pour cela un « raté », qu’il faut aider à disparaître !

Guyau a encore prévu l’hypothèse la plus fondamentale de Nietzsche : il s’est demandé si « la fécondité de nos diverses puissances ne pouvait pas aussi bien se satisfaire dans la lutte que dans l’accord avec autrui, dans l’écrasement des autres personnes que dans leur relèvement ». — Non, répond-il ; en premier lieu, la volonté qui lutte voit sa puissance diminuée par la résistance même qu’elle provoque : « les autres ne se laissent pas écraser si facilement ; la volonté qui cherche à s’imposer rencontre nécessairement la résistance d’autrui ». Il y a donc plus de puissance véritable à se faire approuver, estimer, aimer, qu’à se faire craindre et haïr. Guyau ajoute une remarque qui est la réfutation radicale de l’individualisme nietzschéen. Même si la volonté triomphe de la résistance, dit-il, elle ne peut en triompher toute seule : « il lui faut s’appuyer sur des alliés, reconstituer ainsi un groupe social et s’imposer, vis-à-vis de ce groupe ami, les servitudes mêmes dont elle a voulu s’affranchir à l’égard des autres hommes, ses alliés naturels ». Le fait est que nous avons vu Nietzsche lui-même, au lieu de s’en tenir à l’isolement du moi, imaginer un groupe de « maîtres » alliés et amis, entre lesquels il rétablit des liens et des devoirs aussi étroits que ceux des moralistes ; il se borne donc à déplacer et à rétrécir la morale au lieu de la supprimer, il nous ramène au régime fermé, à la prison des vieilles aristocraties. — Non seulement, continue Guyau, toute lutte aboutit à « limiter extérieurement la volonté », mais encore, en second lieu, « elle l’altère intérieurement ». En effet, « le violent étouffe en lui toute la partie sympathique et intellectuelle de son être, c’est-à-dire ce qu’il y a en lui de plus complexe et de plus élevé au point de vue de l’évolution ». La « dureté » (dont parle Zarathoustra), si elle est autre chose que fermeté dans la justice et dans l’amour même, n’est plus que brutalité ; or, comme le dit Guyau, en brutalisant autrui, le violent s’abrutit plus ou moins lui-même ». La violence, « qui semblait une expansion victorieuse de la puissance intérieure », finit donc par en être « une restriction ». — « Donner pour but à sa volonté l’abaissement d’autrui, c’est lui donner un but insuffisant et s’appauvrir soi-même. » Ce n’est pas tout encore, et Guyau démontre que le dernier degré de cette prétendue expansion de la vie (où Nietzsche cherchera le mouvement ascendant de la santé débordante) entraîne au contraire le déclin physiologique, la désorganisation, le déséquilibre final de la vie, disons même la maladie et la folie de la volonté. « Par une dernière désorganisation plus profonde, la volonté en vient à se déséquilibrer complètement elle-même par l’emploi de la violence ; lorsqu’elle s’est habituée à ne rencontrer au dehors aucun obstacle, comme il arrive pour les despotes, toute impulsion devient en elle irrésistible ; les penchants les plus contradictoires se succèdent alors, c’est une ataxie complète, le despote redevient enfant, il est voué aux caprices contradictoires, et sa toute-puissance objective finit par amener une réelle impuissance subjective.[10]» Ainsi Guyau, après une analyse de profonde psychologie et de science rigoureuse, avait d’avance prononcé le mot décisif qui condamne Nietzsche : la prétendue morale des « maîtres » est une morale d’ « enfants », quand ce n’est pas une morale de « fous ».

Le jugement de Guyau sur Napoléon est bien plus vrai que celui de Nietzsche, qui s’est laissé fasciner, comme un romantique, par le romanesque napoléonien. « Certains caractères, dit Guyau, ont surtout la fécondité de la volonté, par exemple Napoléon Ier ; ils bouleversent la surface du monde dans le but d’y imprimer leur effigie ; ils veulent substituer leur volonté à celle d’autrui, mais ils ont une sensibilité pauvre, une intelligence incapable de créer au grand sens du mot, une intelligence qui ne vaut pas par elle-même, qui ne pense pas pour penser et dont ils font l’instrument passif de leur ambition[11]. » Aussi leur puissance finit-elle par se perdre en impuissance : leur « volonté de pouvoir » s’est trahie elle-même.

Je ne sais quelles autres objections Guyau aurait pu faire à Nietzsche s’il eût connu son système, mais assurément, de ce que la vie se « surmonte » sans cesse, conclure qu’elle est ipso facto « empiétement, exploitation, violence », lui eût semblé un. paradoxe qu’aucun lyrisme ne justifie. Le meilleur moyen de se dépasser soi-même n’est-ce pas, comme il le dit, de « se répandre en autrui », d’aimer les autres et d’agir pour humanité ?

Nietzsche, qui se croit un avancé, eût semblé à Guyau un retardé, un réactionnaire non seulement en politique, mais en philosophie. De fait, il s’est enrôlé dans ce qu’on peut appeler la grande réaction contre la raison et contre la science. Cette réaction a pris la forme de l’irrationalisme, qui méprise l’intelligence et abandonne l’intelligibilité à la « petite science », et qui croit que la réalité est, en son fond, illogique, incompréhensible, inintelligible pour toute intelligence, cette intelligence fût-elle parfaite. C’est le vieux mystère des religions auquel on donne aujourd’hui un nom plus jeune et qu’on appelle, avec Schopenhauer, la Volonté. Volonté de vivre ou volonté de pouvoir, peu importe ; c’est toujours je ne sais quoi d’aveugle et d’illogique qu’on oppose à l’intelligence et à la raison. Au fond, la « Volonté » est elle-même un nom nouveau de Dieu ; seulement, au lieu d’être le bon Dieu, elle devient le mauvais Dieu ou le Diable. Qui empêchera d’ailleurs les croyants de dire : « Puisque vous prétendez que la science et la raison sont superficielles et que l’illogique règne, je vais à la messe. Cela est moins dangereux, pour vous et pour moi, que de parier pour la volupté, l’égoïsme et la domination. Chacun son goût ! » De son côté, le philosophe demandera si l’être ne veut pas la puissance en vue de quelque jouissance attachée à l’exercice même de ses fonctions ou pouvoirs, et si ses fonctions elles-mêmes ne forment pas une hiérarchie que l’on peut scientifiquement et philosophiquement déterminer. À ce point de vue, les fonctions humaines se classeront selon une échelle de vie ascendante où, précisément, l’agression et l’exploitation caractérisent les plus basses, tandis que, comme Guyau l’a soutenu, le travail, le désintéressement et le pouvoir de s’unir à autrui caractérisent les plus hautes.

Au-dessus de la morale scientifique, Guyau accordait une part prépondérante à l’invention morale, — qui est, au fond, l’inspiration sociale de l’individu, — mais il ramenait l’invention même à une sorte de travail supérieur, plus exempt d’effort, plus libre, qui est toujours guidé par la raison et la science. « Le travail vaut la prière ; il vaut mieux que la prière, ou plutôt, il est la vraie prière, la vraie providence humaine ; agissons au lieu de prier. » Et, complétant cette idée du travail par celle du risque qui en est inséparable, il terminait son Esquisse par la magnifique comparaison avec le Léviathan : « Nous sommes comme sur le Léviathan dont une vague avait arraché le gouvernail et un coup de vent brisé le mât. Il était perdu dans l’Océan, de même que notre terre dans l’espace. Il alla ainsi au hasard, poussé par la tempête, comme une grande épave portant des hommes ; il arriva pourtant. Peut-être notre terre, peut-être l’humanité arriveront-elles aussi à un but ignoré qu’elles se seront créé à elles-mêmes. Nulle main ne nous dirige, nul œil ne voit pour nous ; le gouvernail est brisé depuis longtemps, ou plutôt il n’y en a jamais eu, il est à faire : c’est une grande tâche, et c’est notre tâche. » On a justement rapproché ce passage de celui où Nietzsche, lançant sa barque dans l’orageuse traversée par delà le Bien et le Mal, s’écrie : « En avant serrons les dents ouvrons l’œil la main ferme au gouvernail Nous dépassons la morale, nous comprimons, nous écrasons peut-être par là notre reste personnel de moralité, puisque nous allons, puisque nous nous aventurons dans cette direction, — mais quelle importance avons-nous ? Jamais encore un monde plus profond ne s’est révélé aux regards des voyageurs intrépides et des aventuriers[12] ». Pour Guyau, ce voyage héroïque n’est pas au delà du bien, il est la conquête du bien même ; il ne dépasse pas la morale, il est la morale même.

L’éthique immoraliste et égoïste de Nietzsche, selon nous, est en majeure partie fausse ; la morale altruiste de Guyau est en grande partie vraie. Je ne dis pas qu’elle soit la vraie, mais je dis qu’elle est vraie à son point de vue et sur son domaine propre, qui est celui de la nature et de la vie bien comprises. Guyau était, d’ailleurs, le premier à reconnaître et à marquer les limites de toute morale de la vie ; il croyait qu’on y peut ajouter des spéculations cosmologiques et des croyances sur le fond des choses, mais il se représentait ces croyances comme tout individuelles et hypothétiques. La doctrine, la vie et la mort de Guyau ont été celles d’un sage, dont l’esprit ferme et le cœur sain ne se laissent troubler par rien, pas même par les plus cruelles souffrances ; la doctrine de l’infortuné Nietzsche si courageux, lui aussi, et si digne de la plus profonde sympathie, est de celles qui peuvent aboutir à la perte de la raison : pour vouloir être un surhomme, on risque de devenir un soushomme.



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  1. Dans les Vers d’un Philosophe, Guyau avait déjà dit :
    Lorsque je vois le beau, je voudrais être deux.
  2. Nietzsche combat, comme Guyau, la doctrine de l’art pour l’art, et il la combat comme lui au nom de la vie. (Voir plus haut, Intr., ch. II). Guyau et Nietzsche ont d’ailleurs tous les deux la plus profonde aversion pour le dilettantisme ; tous les deux voient le sérieux de la pensée, le sérieux de l’art, le sérieux de la vie. Nietzsche parle « de la grande passion de celui qui vit sans cesse dans les nuées orageuses des plus hauts problèmes et des plus dures responsabilités, qui est forcé d’y vivre, qui n’est donc nullement contemplatif, en dehors, sûr, objectif. »
  3. Esquisse d’une morale, p. 128.
  4. Page 324 de la trad. franç.
  5. Généalogie de la morale, trad. franç., p. 10.
  6. Aurore, p. 121.
  7. Il y a une épithète qui revient sans cesse dans la bouche de Nietzsche : c’est celle de méchant, qu’il prend dans un bon sens et qui devient à ses yeux un compliment. Il se reconnaît à lui-même un goût de perversité, dont il s’enorgueillit. Il aurait pu aussi se reconnaître un goût de fausseté et de sophisme. Malheureusement, il y a là des tares et stigmates de cette « dégénérescence » qu’il avait pourtant, comme Guyau, en si grande horreur. Sa psychologie frise ici cette pathologie dont Guyau parle en son chapitre sur les décadents. Il semble que la raison de Nietzsche, même aux moments où elle montre le plus de force et de finesse, soit toujours prête à une fugue vers la déraison.
  8. Voir plus haut.
  9. Zarathoustra, trad. franç., page 158.
  10. Éducation et Hérédité, p. 53. Cf. Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, p. 102 de la deuxième édition.
  11. Esquisse d’une morale, p. 100.
  12. Par delà le Bien et le mal, § 23. Voir Palante, Précis de sociologie, 186.