Notes (Pensée des jardins)/De la folie chez les végétaux

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Société du Mercure de France (p. 44-45).

DE LA FOLIE CHEZ LES VÉGÉTAUX

J’ai lu que la vie des poissons d’eau douce est toute employée à réagir contre le courant, car ils mourraient dans la mer.

Je songe aux arbres qui, eux, sont dans la constante recherche de leur équilibre aérien. Avec quel soin ce chêne, ou ce cèdre, a dû peu à peu s’échafauder, poussant une branche où elle compensât les rameaux précédents ! Ainsi le tronc, aidé par la racine qui s’harmonise avec l’arbre tout entier, figurerait assez la canne d’un géant soutenue par le bout du doigt de la Terre. Mais c’est ici la canne qui agit pour se maintenir et qui, d’elle-même, exécute le va-et-vient du bras de l’équilibriste. Telle est la tâche de l’arbre, tâche plus compliquée encore et, peut-être, émouvante, lorsque je vois ce figuier lutter tout à la fois pour la lumière et pour la stabilité. Obligé de déjeter sa masse vers l’ouverture où elle puisse respirer, il serait entraîné dans une chute par le poids de ses rameaux si sa racine ne compensait l’effort de ce poids par l’effort dont elle se noue au mur. Telle est la vie de ce figuier, semblable à celle d’un poète : la recherche de la lumière et la difficulté de se tenir.

Il est des pommiers qui, préférant la beauté de leurs fruits au maintien de leur équilibre, se brisent. Ils sont fous.