Notes Eglogues/Églogue V

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Traduction par divers traducteurs sous la direction de Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètesFirmin Didot (p. 467).
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Églogue V. (III d’après M. Désaugiers.)

C’est cette églogue qui nous a fait connaître par deux vers déjà cités quelles furent les deux premières compositions pastorales de Virgile, et, par son sujet, quelle date il faut lui assigner. Elle est de l’année 712, si, comme on l’a cru dans l’antiquité, Virgile a eu l’intention de célébrer, sous le nom de Daphnis, Jules César, sa mort et son apothéose.

Les triumvirs, avant d’aller combattre le parti républicain qui se fortifiait dans la Macédoine, décernent les honneurs divins à Jules César, par un décret qui reçoit son exécution aux kalendes de janvier 712 (le 7 janvier) ; et ils lui dédient un petit temple au forum. Octave se qualifie politiquement de Divi filius. À son retour en Italie, il devait distribuer aux soldats vétérans les terres qui leur avaient été promises.

Virgile, menacé comme les autres propriétaires, et pour qui l’amitié de Pollion n’était point une garantie suffisante, avait le plus grand intérêt à plaire à ce triumvir. Or, le poëte composant son églogue dans cette même année 712 (c’est la date que, suivant Heyne, on lui donne communément), églogue destinée à célébrer un personnage qui, après avoir péri d’une mort cruelle, est élevé au rang des dieux, comment ne pas présumer que le poëte avait en vue l’apothéose qui venait d’avoir lieu, et dont le bruit remplissait l’Italie et le monde ? Concevrait-on que, dans la nécessité où il était de se faire des protecteurs, il eût consacré son talent poétique, dans cette églogue, à un être imaginaire ou obscur, plutôt qu’à la mémoire de celui dont on vengeait alors la mort, et par l’héritier duquel il devait espérer d’être récompensé ? Non sans doute. Au moment où cette églogue parut, personne ne put s’y méprendre. Le nom même de Daphnis, par sa signification grecque, rappelait le laurier dont le dictateur couvrait son front chauve. Les notes suivantes viendront à l’appui de cette opinion, qui, comme on l’a dit, a été, chez les anciens, la plus accréditée.

v. 20. Extinctum Nymphæ crudeli funere Daphnin Flebant. L’expression crudeli funere présente l’idée d’une mort prématurée et sanglante, telle que le fut celle de César. Il faut rapprocher de ce beau morceau celui du premier livre des Géorgiques où le mot extincto est appliqué, comme ici, à César.

Ille etiam extincto miseratus Cæsare Romam.

v. 22. Quum complexa sui corpus miserabile gnati, Atque deos, atque astra vocat crudelia mater. Par cette mère de Daphnis, il faut, comme Servius, entendre Vénus, de qui on faisait descendre Jules-César par Énée. Dans l’églogue qui suit, César est surnommé Dionæus, d’un des noms grecs de cette déesse. Ovide, dans le XVe livre des Métamorphoses, représente aussi Vénus éplorée à la mort de César, et s’empressant de recueillir son âme au moment où elle se séparait du corps.

v. 34. Tu decus omne tuis ; postquam te fata tulerunt, Ipsa Pales agros, atque ipse reliquit Apollo. La Gaule cisalpine, après la mort de César, fut horriblement ravagée dans la guerre de Modène. C’est sans doute à ces malheurs que Virgile fait allusion.

v. 43. Daphnis ego in silvis, hinc usque ad sidera notus, Formosi pecoris custos, formosior ipse. Ici l’allusion à César et au peuple romain est claire. Formosior ipse, c’est-à-dire, comme l’explique Servius, chef d’un peuple illustre, j’étais moi-même plus illustre encore.

v. 54. Et puer ipse fuit cantari dignus. Cette expression puer paraît d’abord ne pouvoir s’appliquer à Jules César, qui mourut à l’âge de 56 ans ; mais, comme le fait observer le P. Larue, César, placé au rang des dieux, avait repris sa jeunesse dans la coupe d’Hébé. Puer est ici un terme de caresse. Au surplus, ce mot avait des acceptions très-diverses, dont nous ne saisissons plus bien les nuances ; et ici, par exemple, il ne peut d’aucune manière être appliqué, dans son sens primitif d’enfant, à celui qui avait soumis les tigres au joug et institué les fêtes de Bacchus.

v. 56. Candidus insuetum miratur limen Olympi, Sub pedibusque videt nubes et sidera Daphnis. Ici, le poëte s’élève, sans sortir toutefois du ton pastoral. C’est l’apothéose d’un dieu champêtre, qui va protéger les bergers et fertiliser les campagnes. Dans l’églogue suivante l’astre de César est aussi présenté comme devant mûrir dorénavant, par son influence, les moissons et les vignes.

v. 80. … Damnabis tu quoque votis. Votum était une promesse faite à un dieu, et dont la violation livrait le coupable à sa colère. Ceux qui avaient fait des vœux s’appelaient voti rei ; et ceux qui ne les avaient pas accomplis, voti damnati.