Notices, Mémoires et Documents publiés par la Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire Naturelle du département de la Manche/Compte-rendu sommaire des séances de l’année 1929, Henri Merlier

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Sommaire

Compte-rendu sommaire des séances

de l’année 1929



Séance du Jeudi 3 Janvier

Président : M. le Dr Le Clerc.

Compte-rendu financier de 1928. — M. Lecarpentier, trésorier, donne lecture du compte-rendu financier de 1928. Ce travail établit que, toutes dépenses payées, il reste à l’actif de la Société, au 31 décembre 1928, un boni de 5.456 fr. 07, soit 1.405 fr. 93 de plus qu’au 31 décembre 1927 ; et à l’actif du Musée un boni de 2.715 fr. 90, soit 1.011 fr. 95 de plus qu’au 31 décembre 1927.

De chaudes félicitations sont votées à M. Lecarpentier pour sa gestion, grâce à laquelle la Société voit, d’année en année, s’accroître ses ressources.

Notice sur l’ingénieur Duhamel. — Dans la séance publique annuelle de l’Académie des Sciences, du 17 décembre 1928, M. Lacroix, secrétaire perpétuel, a lu une notice historique sur le 3e fauteuil de la section de minéralogie. Or, un de nos compatriotes, originaire de Nicorps, près Coutances, l’ingénieur Duhamel qui, le premier, étudia, pour essayer de la mettre en valeur, la mine de mercure du Mesnil-Dol, à la Chapelle-En-juger, occupa ce 3e fauteuil. M. le Dr Le Clerc donne lecture des très intéressantes pages consacrées par M. Lacroix à ce savant normand trop peu connu. Jean-Pierre-François Guillot Duhamel, né le 31 août 1730, appartenait à une vieille famille normande. Son père, voulant en faire un avocat, le plaça chez un procureur. Le jeune homme, qui n’aimait point la chicane, prit la fuite et demanda asile à un grand’oncle, qui, après avoir longtemps végété comme ingénieur, s’était fait capucin et était devenu gardien de son Ordre et supérieur de la province. Le capucin accueillit avec bonté son petit-neveu et lui apprit la géométrie ; puis il l’adressa à Perronet, directeur de l’école des Ponts et Chaussées, qui n’eut qu’à se louer de l’intelligence et du travail de son nouvel élève. Daniel Trudaine, intendant des finances, après avoir créé l’école des Ponts et Chaussées (1747), avait conçu le projet d’une école des Mines, mais pour la réaliser, il fallait tout d’abord trouver des maîtres. Il n’y en avait pas dans le royaume ; il résolut d’en créer. Pour cela, il choisit, parmi les meilleurs élèves de l’école des Ponts et Chaussées, Gabriel Jars et Duhamel, et il les envoya étudier l’art des mines en Saxe, en Styrie, en Hongrie, etc. Leur voyage dura trois ans, et ils en rapportèrent un ouvrage intitulé : Voyages métallurgiques, dans lequel ils firent connaître en France beaucoup de faits nouveaux sur les mines, leur exploitation et le traitement des minerais.

Malheureusement, ils ne purent recueillir le fruit de leur travail. Depuis leur départ, bien des événements s’étaient passés ; le Trésor public était vide, et des projets de Trudaine il n’était plus question. Duhamel se tourna alors vers l’industrie privée. Il entra au service du duc de Broglie, propriétaire de forges dans le Limousin. En 1767, il est le premier à monter en France, à Ruffec, une usine pour la fabrication en grand de l’acier cémenté, à l’aide d’un procédé de son invention, et cet acier fait une concurrence heureuse à celui de l’Angleterre. Duhamel se trace alors un vaste programme de création de fonderies et de forges dans les Landes, afin d’utiliser le bois et le minerai de fer de ce pays. Tout est prêt, quand le propriétaire de son usine s’oppose à son départ et le fait appréhender par la force armée. L’intervention du Roi lui rend la liberté, mais son entreprise dans les Landes meurt de cette aventure. Cependant elle a attiré tous les yeux sur lui. En 1775, Duhamel est nommé commissaire du conseil pour l’inspection des forges et des fourneaux et, sous Necker, en 1781, il devient inspecteur général des mines.

De ses inspections, il allait rapporter des observations précieuses sur les mines et les minerais de Huelgoat en Bretagne, des perfectionnements dans le traitement des minerais de cuivre, de plomb et d’argent. En 1777, il divulgue ses procédés de cémentation de l’acier. Ses mémoires sur de nombreuses ques- tions de métallurgie affluent à l’Académie royale des sciences dont il est successivement nommé correspondant (1785) et associé minéralogiste (1786). Enfin quand, en 1783, fut créé, à la Monnaie, la première école des Mines, il y reçut la chaire d’exploitation et de métallurgie. Dans cette école, puis dans celle qui la remplaça, en 1794, il professa avec grand succès, et c’est à lui que revient l’honneur d’avoir, pour la première fois, enseigné ces techniques en France.

On lui doit une Géographie souterraine (1787), le premier traité paru en France sur le lever des plans et le tracé des galeries de mines ; ce n’est pas un ouvrage de haute science, mais il a fourni aux mineurs des règles rationnelles là où n’existaient que des pratiques empiriques. Il a laissé aussi, en manuscrit, une partie de ses cours sous le titre l’Art du mineur. M. Aguillon, l’historien de l’école des Mines, qui a examiné ce manuscrit, a noté que le programme du cours d’exploitation des mines de Duhamel ne différait guère de celui professé encore aujourd’hui. Duhamel mourut le 19 février 1816. Cuvier, le grand savant, dans le bel éloge qu’il a fait de lui, l’a mis au nombre « des bienfaiteurs de notre pays. »


La formation territoriale de la Normandie. — Tel est le titre d’une étude qu’a envoyée M. Adigard des Gautries et dont M. le Président donne lecture. C’est un chef-d’oeuvre de critique que les membres de la Société ont eu le plaisir de lire in-extenso dans le volume de nos Mémoires de l’an dernier. Ils ont pu se rendre compte du soin avec lequel notre collègue confronte les documents. Pas une assertion qui, chez lui, ne soit appuyée des plus sérieuses références. L’église du Mesnil-Vigot. — C’est une sorte de monographie que, sous ce titre, nous offre Mlle Grout. Cette église, extérieurement, « apparaît quelconque. Comme la plupart de nos petites églises, elle est bâtie en forme de croix latine, avec un court transept ; de solides murs, sans ornements ; un toît d’ardoises ; un clocher à bâtière. Le mor- tier récent de ses joints, le bon état de ses embrasures en « pierre de Caen » semblent lui assigner une construction de date rapprochée ; en fait, l’église paraît avoir été construite an- térieurement à l’an mil, probablement au VIIIe ou IXe siècle, Mais tout le possible a été fait pour dissimuler une naissance aussi ancienne. Bien des fois elle a été réparée, reconstruite, partie après partie, agrandie, modifiée. Il ne semble pas témé- raire de dire qu’elle montre en ses murs des pierres qui y furent amenées voilà dix siècles. L’examen des documents confirme l’examen archéologique et l’on peut, par synchro-

nismes; soupçonner — en le regrettant — ce qui a disparu. Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/206 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/207 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/208 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/209 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/210 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/211 Page:Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du département de la Manche - Notices, Mémoires et Documents - 1930 - Volume 42.djvu/212
Séance du Jeudi 7 Mars

Président : M. le Dr Le Clerc.

Distinction. — Des félicitations sont votées à notre collègue M. Cochepain, architecte départemental, — un vrai artiste — à l’occasion de sa récente nomination comme officier d’Académie.

Les noms de lieux Scandinaves en Normandie. — M. le Présidennt fait part de la correspondance reçue. Parmi les lettres qu’il lit, il en est une de M. Franz Dahl, professeur à l’Université de Copenhague, faisant connaître que la Commission des Noms de lieux, officiellement créée par le Danemark pour l’étude de la toponymie de ce pays, vient de commencer une enquête sur les noms de lieux Scandinaves en Normandie « destinée, à éclairer par voie de comparaison les principes en usage au temps des Vikings dans la toponymie danoise. » En conséquence la Commission des Noms de lieux propose de faire avec nous l’échange de nos publications. — Adopté.

Le Lavoir public de Carentan à la fin du XVIII siècle. — Lecture est donnée au nom de M. Alfred Butot d’une étude sur « le Lavoir public de Carentan à la fin de l’Ancien Régime. » c’est une contribution intéressante et qui ne manque pas d’humour à l’histoire municipale de Carentan. Pour moderniser et agrandir un des nombreux lavoirs de fortune que comptait la Ville, il fallait un terrain. On le demanda (10 juillet 1784) à « Mesdames les Religieuses » de la cour du Quartier, rue Holegate, qui bénévolement abandonnèrent à cette fin une parcelle sise aux Fontaines. En suite de quoi, le sieur Lesage de Néville, homme d’affaires de la Congrégation, fut chargé par l’assemblée municipale de se transporter au couvent « pour y assurer ces Dames en commun, Madame la Supérieure spécialement, de la reconnaissance de la ville et qu’elle conservera dans tous les temps le souvenir de leur bienfaisance. » Quatre ans après, la municipalité — au mépris de la donation de Louis XIV en faveur des mêmes religieuses — offrait à la Commission intermédiaire provinciale le Prêche, de la rue Holegate, pour inhumer les non-catholiques, marins, soldats, étrangers qui décéderaient fortuitement à Carentan. Et en 1790, ce fut la curée des biens conventuels. Les 22 vergées de terre du Prêche furent adjugées à Guillaume Gislot, le 16 janvier 1791, pour 21.000 livres. Ainsi s’affirmait — et se prouvait — la reconnaissance des édiles de Carentan dès lors qu’ils n’avaient plus rien à espérer de « Mesdames les Religieuses ».

La première pierre du Lavoir avait été posée le 22 août 1784. Duval, secrétaire-greffier de l’hôtel de ville, « a consigné ce petit événement au Registre des délibérations, en lettres calligraphiées, émaillées de capitales et de fautes d’orthographe... Comme on a dû le fêter, ce lavoir ! Une demi-page réservée aux signatures du procès-verbal en est restée à tout jamais blanche et vierge de paraphes : ils ont oublié de signer ! »

Mais il ne suffit pas de poser une pierre pour construire un lavoir, et, le 15 février 1785, le Directeur des Ponts-et-Chaussées, M. Boullée, demanda une somme de 1.380 francs pour « parfinir » l’ouvrage. Le Conseil de ville et les notables[1] votèrent difficilement cette somme. Les réfractaires signèrent avec une mention restrictive. L’un : « pour ma présence, sans approbation ». Quatre autres : « pour ma présence seulement ». Au total : 7 voix pour, 5 voix contre. Le 28 juin, nouvel appel de fonds pour parer à un accident imprévu. Enfin, l’année suivante, le lavoir était livré au public. On y avait dépensé 10.783 livres (107.830 francs-papier de nos jours).

Une poésie de Mlle Mouillard. — Le secrétaire général lit une poésie nouvelle de Mlle Jeanne Mouillard. Mlle Mouillard nous avait déjà donné la Ballade du Printemps, puis Mai. Elle nous donne aujourd’hui Avril. Mais les mois ont beau changer. Le talent du poète ne varie pas. Plus d’un vers aurait eu le suffrage du « divin Théo ». Ceux-ci, par exemple :

On voit aussi les pâquerettes
S’épanouir dans l’air léger ;
Le soleil leur jette un baiser
Qui fait rougir leurs collerettes.

Cette poésie figure, avec les autres du même auteur, au 41e volume de nos Mémoires.


  1. Représentants élus par les corps de métier.