Notre-Dame d'Oubli (Guaita)
FLEURS D'OUBLI
Notre-Dame d'Oubli
Vierge au calme fronts Notre-Dame d’Oubli,
Douce est votre voix qui berce, aux jours néfastes,
En de bleus sommeils, l’infortuné pâli :
Pour son pauvre cœur, d’amertume rempli,
Douce est votre voix, et doux sont vos yeux chastes,
Vierge au calme front, Notre-Dame d’Oubli !
Quand tout nous abandonne,
Prenez pitié de nous :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !
Votre main d’albâtre, ô Mère généreuse,
Tient le calice où dort la Sérénité,
Philtre ensorceleur des cerveaux, où se creuse
La tombe du Spleen et de l’Anxiété…
— Posez sur le front du poëte attristé
Votre main d’albâtre, ô mère généreuse !
À vos genoux
Nous tombons, ô Madone !
Prenez pitié de nous
Quand tout nous abandonne !
Le Déshérité vous allume un autel
En son pauvre cœur, d’apaisement avide.
À tous souvenirs votre culte est mortel ;
L’homme sait cela ; mais son amour est tel
Qu’en son pauvre cœur, désormais morne et vide,
Le Déshérité vous allume un autel.
Quand tout nous abandonne,
Prenez pitié de nous :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !
Vous ouvrez encor le Refuge suprême
À notre Esprit las, atone ou harassé ;
Et mieux que le prêtre, à l’onction-extrême,
Nous corroborez, avec votre saint-chrême !…
Ô Vierge terrible, à l’œil chaste et glacé,
Vous ouvrez encor le Refuge suprême !
Ayez pitié de nous
Quand tout nous abandonne :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !
- Janvier 1884.