Notre-Dame d'Oubli (Guaita)

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Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 95-98).


FLEURS D'OUBLI




Notre-Dame d'Oubli


I


Vierge au calme fronts Notre-Dame d’Oubli,
Douce est votre voix qui berce, aux jours néfastes,
En de bleus sommeils, l’infortuné pâli :
Pour son pauvre cœur, d’amertume rempli,
Douce est votre voix, et doux sont vos yeux chastes,
Vierge au calme front, Notre-Dame d’Oubli !


Quand tout nous abandonne,
Prenez pitié de nous :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !


II


Votre main d’albâtre, ô Mère généreuse,
Tient le calice où dort la Sérénité,
Philtre ensorceleur des cerveaux, où se creuse
La tombe du Spleen et de l’Anxiété…
— Posez sur le front du poëte attristé
Votre main d’albâtre, ô mère généreuse !

À vos genoux
Nous tombons, ô Madone !
Prenez pitié de nous
Quand tout nous abandonne !

III


Le Déshérité vous allume un autel
En son pauvre cœur, d’apaisement avide.
À tous souvenirs votre culte est mortel ;
L’homme sait cela ; mais son amour est tel
Qu’en son pauvre cœur, désormais morne et vide,
Le Déshérité vous allume un autel.

Quand tout nous abandonne,
Prenez pitié de nous :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !


IV


Vous ouvrez encor le Refuge suprême
À notre Esprit las, atone ou harassé ;
Et mieux que le prêtre, à l’onction-extrême,

Nous corroborez, avec votre saint-chrême !…
Ô Vierge terrible, à l’œil chaste et glacé,
Vous ouvrez encor le Refuge suprême !

Ayez pitié de nous
Quand tout nous abandonne :
Nous tombons, ô Madone,
À vos genoux !


Janvier 1884.