Nouvelles propriétés des rayons cathodiques
I. On a imaginé deux hypothèses pour expliquer les propriétés des rayons cathodiques. Les uns, avec Goldstein, Hertz ou Lenard, pensent que ce phénomène est dû, comme la lumière, à des vibrations de l’éther, ou même que c’est une lumière, à courte longueur d’onde. On conçoit bien alors que ces rayons aient une trajectoire rectiligne, excitent la phosphorescence, et impressionnent les plaques photographiques. D’autres, avec Crookes ou J.-J. Thomson, pensent que ces rayons sont formés par de la matière chargée négativement et cheminant avec une grande vitesse. Et l’on conçoit alors très bien leurs propriétés mécaniques, ainsi que la façon dont ils s’incurvent dans un champ magnétique. Cette dernière hypothèse m’a suggéré quelques expériences que je vais résumer sans m’inquiéter, pour le moment, de rechercher si elle rend compte de tous les faits jusqu’à présent connus, et si elle peut seule en rendre compte. Ses partisans admettent que les rayons cathodiques sont chargés négativement ; à ma connaissance, on n’a pas constaté cette électrisation ; j’ai d’abord tenté de vérifier si elle existe, ou non.
II. Pour cela, j’ai fait appel aux lois de l’influence, qui permettent de constater l’introduction de charges électriques à l’intérieur d’une enceinte conductrice close, et de les mesurer. J’ai donc fait pénétrer des rayons cathodiques dans un cylindre de Faraday. A cet effet, j’ai employé le tube à vide représenté par la figure.
ABCD est un cylindre métallique fermé de toutes parts, sauf une petite ouverture alpha au centre de la face BC. C’est lui qui jouera le rôle de cylindre de Faraday. Un fil métallique, soudé en S à le paroi du tube, fait communiquer ce cylindre avec un électroscope. EFGH est un deuxième cylindre métallique, en communication permanente avec le sol, et percé seulement de deux petites ouvertures en beta et gamma. Il protège le cylindre de Faraday contre toute influence extérieure. Enfin, à 0, 10 mètre environ en avant de FG, se trouve une électrode N.
L’électrode N servait de cathode ; l’anode était formée par le cylindre protecteur EFGH : un pinceau de rayons cathodiques pénétrait alors dans le cylindre de Faraday. Invariablement, ce cylindre se chargeait d’électricité négative. Le tube à vide pouvait être placé entre les pôles d’un électroaimant. Quand on excitait ce dernier, les rayons cathodiques, déviés, n’entraient plus dans le cylindre de Faraday : alors ce cylindre ne se chargeait pas ; il se chargeait aussitôt qu’on cessait d’exciter l’électro-aimant. Bref, le cylindre de Faraday se charge négativement quand les rayons cathodiques y pénètrent, et seulement quand ils y pénètrent : les rayons cathodiques sont donc chargés d’électricité négative. On peut mesurer la quantité d’électricité que débitent ces rayons. Je n’ai pas terminé cette étude, mais je donnerai une idée de l’ordre de grandeur des charges obtenues en disant que pour un de mes tubes, à une pression mesurée par 20 microns de mercure, et pour une seule interruption du primaire de la bobine, le cylindre de Faraday recevait assez d’électricité pour porter à 300 volts une capacité de 600 unités C.G.S.
III. Les rayons cathodiques étant chargés négativement, le principe de la conservation de l’électricité porte à rechercher quelque part les charges positives correspondantes. Je crois les avoir trouvées dans la région même où se forment les rayons cathodiques, et avoir constaté qu’elles cheminent en sens inverse, en se précipitant sur la cathode. Pour vérifier cette hypothèse, il suffit d’employer une cathode creuse, et percée d’une petite ouverture par laquelle puisse entrer une partie de l’électricité positive attirée. Cette électricité pourra alors agir sur un cylindre de Faraday intérieur à la cathode. Le cylindre protecteur EFGH, avec son ouverture beta, remplit ces conditions ; je l’ai donc employé, cette fois, comme cathode, l’électrode N étant anode. Le cylindre de Faraday s’est alors invariablement chargé d’électricité positive. Les charges positives étaient de l’ordre de grandeur des charges négatives précédemment obtenues. Ainsi, en même temps que de l’électricité négative est rayonnée à partir de la cathode, de l’électricité positive chemine vers cette cathode. J’ai recherché si ce flux positif formait un deuxième système de rayons absolument symétrique au premier.
IV. Pour cela j’ai construit un tube analogue au précédent, à ceci près que, entre le cylindre de Faraday et l’ouverture beta, se trouve un diaphragme métallique percé d’une ouverture beta’, en sorte que l’électricité positive entrée par beta ne puisse agir sur le cylindre de Faraday que si elle traverse aussi le diaphragme beta’. Puis j’ai répété les expériences précédentes. N étant cathode, les rayons cathodiques émis traversent sans difficulté les deux ouvertures beta et beta’et font diverger fortement les feuilles d’or de l’électroscope. Mais, quand le cylindre protecteur est cathode, le flux positif qui, d’après l’expérience précédente, pénètre par beta, ne réussit pas à séparer les feuilles d’or, sauf aux très basses pressions. En substituant un électromètre à l’électroscope, on voit que l’action du flux positif est réelle mais très faible, et croit lorsque la pression décroît. Dans une série d’expériences, à une pression de 20 microns, elle portait à 10 volts une capacité de 2000 unités C.G.S. ; et à une pression de 3 microns, pendant le même temps, elle la portait à 60 volts. On pouvait, au moyen d’un aimant, supprimer totalement cette action.
V. L’ensemble de ces résultats ne parait pas facilement conciliable avec la théorie qui fait des rayons cathodiques une lumière ultraviolette. Ils s’accordent bien au contraire avec la théorie qui en fait un rayonnement matériel et qu’on pourrait, me semble-t-il, énoncer actuellement ainsi : Au voisinage de la cathode, le champ électrique est assez intense pour briser en morceaux, en ions, certaines des molécules du gaz restant. Les ions négatifs partent vers la région où le potentiel croit, acquièrent une vitesse considérable et forment les rayons cathodiques ; leur charge électrique et, par suite, leur masse (à raison d’une valence-gramme pour 100.000 coulombs) est facilement mesurable. Les ions positifs se meuvent en sens inverse ; ils forment une houppe diffuse, sensible à l’aimant, et pas de rayonnement proprement dit.