Novum Organum (trad. Lasalle)/Livre II/Partie II/Section II/Chap I

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Novum Organum
Livre II - Partie II - Section II - Chapitre I
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres6 (p. 75_Ch01-196_com_ch1).


CHAPITRE Ier.
Exemples mathématiques.

XLV.

Nous mettrons au vingt-unième rang ; parmi les prérogatives des faits, les exemples de la verge ou du rayon[1], que nous appelons aussi assez souvent exemples de portée (ou de non plus ultrà) ; car les forces ou actions des corps se font sentir, et leurs mouvemens ont leurs effets dans des espaces, non pas infinis ou fortuits, mais limités, fixés et déterminés. Or, ces espaces, dans toutes les natures qui peuvent être l’objet de nos recherches, il importe fort à la pratique de les déterminer avec précision, et d’en bien marquer les limites ; et cela non-seulement pour ne pas manquer le but dans l’exécution, mais encore afin de donner à la pratique plus d’étendue et de puissance. Car on est quelquefois maître de donner aux forces ou actions une plus longue portée, et de rapprocher, en quelque manière, les choses éloignées, en diminuant l’effet de la distance, comme le font les télescopes, lunettes, etc. Mais il est des vertus (et en assez grand nombre) ; qui n’agissent et n’affectent que dans le seul cas d’un contact immédiat et manifeste ; c’est ce qui a lieu dans le choc des corps, où l’un ne peut déplacer l’autre, si le corps poussant ne touche le corps poussé. Les remèdes qu’on applique extérieurement, comme emplâtres, onguens, etc. exercent pas leur action, et ne produisent pas leurs vrais effets, si on ne les met en contact avec le corps. Enfin, les objets du tact et du goût n’excitent point de sensation, s’ils ne sont contigus aux organes respectifs. Il est d’autres vertus qui agissent à distance, mais à des distances très petites ; propriétés dont on n’a encore observé qu’un petit nombre, quoiqu’elles soient en plus grand nombre qu’on ne le soupçonne. Et pour tirer nos exemples des sources les plus connues, c’est ainsi que le succin (l’ambre jaune) et le jais attirent les pailles et autres corps légers ; que les bulles d’un fluide, approchées l’une de l’autre, se dissolvent réciproquement[2] ; que certains purgatifs tirent les humeurs des parties supérieures du corps, et ainsi des autres effets semblables. Cette vertu magnétique, par laquelle le fer et l’aimant, ou deux aimans, ou deux fers aimantés, se portent l’un vers l’autre, agit dans toute sa sphère d’activité ; sphère qui est déterminée, mais fort petite. Au lieu que, s’il existe en effet une vertu qui émane de la terre même (c’est-à-dire de ses parties un peu intérieures), et qui influe sur une aiguille de fer, du moins quant à sa direction vers les pôles, cette action-là s’exerce à une grande distance.

De plus, s’il est quelque force magnétique qui ait pour cause une certaine corrélation ou affinité entre le globe terrestre et les corps pesans, ou entre le globe de la lune et les eaux de la mer, force dont l’existence est rendue assez probable par cette variation périodique et d’un demi-mois, qu’on observe dans les flux et les reflux ; ou enfin ; une corrélation entre le ciel étoilé et les planètes, par laquelle ces planètes soient élevées et comme appelées à leurs apogées, toutes ces forces agissent à de très grandes distances[3]. On trouve aussi des matières qui s’enflamment ou qui prennent feu à des distances assez grandes ; c’est ce qu’on rapporte de la naphte babylonique[4]. La chaleur se communique aussi à de fort grandes distances ; il en faut dire autant du froid. Par exemple, les habitans des contrées voisines du Canada observent que ces masses glaciales qui, après s’être détachées des terres, flottent dans l’océan septentrional, et se portent, par la mer atlantique, vers ces côtes dont nous parlons, lancent, pour ainsi dire, le froid, et se font sentir de fort loin[5]. Les odeurs également se font sentir à des distances notables ; mais alors il y a toujours quelque émission de substance vraiment corporelle. C’est ce qu’observent ordinairement ceux qui font voile près des rivages de la Floride ou de certaines côtes de l’Espagne, où il y a des forêts entières de citroniers, d’orangers et d’autres arbres odoriférans, ou de grands espaces couverts de romarin, de marjolaine et d’autres plantes analogues[6]. Enfin, les radiations de la lumière et les impressions des sons s’étendent à de fort grandes distances.

Mais toutes ces forces ou vertus, soit qu’elles agissent à de grandes ou à de petites distances, agissent certainement, dans tous les cas, à des distances déterminées et fixées par la nature ; en sorte qu’il se trouve là une sorte de non plus ultrà, qui est en raison de la masse ou quantité de matière des corps, de l’intensité, plus ou moins grande, des vertus ; enfin, des facilités ou des obstacles résultans de la nature des milieux où s’exercent ces actions, toutes choses calculables, et dont il faut déterminer avec soin la quantité. Ce n’est pas tout : les mesures de ces mouvemens que l’on qualifie ordinairement de violens (tels que ceux des armes de trait, des armes à feu, et en, général des corps lancés, des roues et autres semblables), ayant aussi manifestement leurs limites certaines et fixes, doivent également être observées et déterminées avec la plus grande exactitude.

S’il est des vertus qui agissent dans le contact, et non à distances, il en est d’autres qui agissent à distances et non dans le contact, qui en outre agissent plus foiblement à une distance moindre, et avec plus de force à une plus grande distance. La vision, par exemple, s’opère imparfaitement dans le contact ; mais elle a besoin d’un milieu et d’une certaine distance. Cependant je me souviens d’avoir oui dire à un personnage digne de foi, qu’au moment où on lui faisoit l’opération de la cataracte (opération qui consiste à introduire une aiguille d’argent sous la cornée ; à détacher cette pellicule qui forme la cataracte, et à la pousser dans l’un des angles de l’œil), il avoit vu le mouvement de cette aiguille, à l’instant où elle passoit sur sa prunelle. Mais, en supposant même que le fait soit vrai, il n’en est pas moins certain qu’on ne voit bien clairement et bien distinctement les grands corps qu’à la pointe du cône formé par les rayons qui s’élancent de l’objet placé à une certaine distance de l’œil[7]. De plus, les vieillards voient mieux les objets d’un peu loin que de fort près[8]. Quant aux armes de traits et aux corps lancés, il est certain que le coup est moins fort de très près, que d’un peu loin. Ces circonstances, et autres semblables, relatives à cette partie de la mesure des mouvemens, qui a pour objet la détermination des distances, doivent être observées avec le plus grand soin.

Il est un autre genre de mesure locale des mouvemens, qu’il ne faut pas non plus négliger ; il a pour objet, non les mouvemens progressifs, mais les mouvemens sphériques, c’est-à-dire, ceux d’expansion et de contraction, en vertu desquels les corps tendent naturellement, ou se prêtent à occuper un plus grand ou un moindre espace. Car, entr’autres mesures de mouvemens, il importe beaucoup de savoir précisément à quel degré de compression ou d’extension les différentes espèces de corps se prêtent aisément et sans effort ; de marquer le point où ils commencent à résister ; en un mot, de bien déterminer le maximum ou non plus ultrà, à l’un ou l’autre égard. On voit un exemple de la première espèce dans une vessie enflée, lorsqu’on vient à la comprimer. Car, tant que la compression de l’air ne passe pas un certain point, la vessie soutient cet effort ; mais si l’on appuie davantage, l’air ne se laisse plus comprimer, et la vessie se rompt[9].

Mais nous-mêmes, à l’aide d’une expérience plus délicate, nous avons obtenu une détermination plus exacte en ce genre. Nous prîmes une clochette de métal, fort mince, fort légère, et semblable à celles qui nous servent de salière. Nous la plongeâmes dans une cuvette remplie d’eau, de manière qu’elle entraînoit avec soi, jusqu’au fond de la cuvette, l’air renfermé dans sa propre concavité. Sur ce fond, nous avions d’abord mis une balle au dessus de laquelle devoit être placée la clochette ; et tel fut notre résultat dans deux différens cas. Lorsque la balle étoit fort petite par rapport à la concavité de la clochette, l’air se resserroit pour occuper un moindre espace ; mais, lorsque la balle étoit trop grande pour que l’air cédât aisément alors cet air ne pouvant plus soutenir une plus grande pression, soulevoit, d’un côté ou de l’autre, la clochette, et s’élevoit par bulles à la surface de l’eau.

De plus, après avoir éprouvé jusqu’à quel point l’air est compressible, pour savoir ensuite jusqu’à quel degré il est extensible, nous fîmes l’expérience suivante. Nous prîmes un œuf de verre qui avoit un trou à l’un de ses bouts ; à l’aide d’une forte succion, nous le vuidâmes d’air en partie, par ce trou que nous bouchâmes aussi-tôt avec le doigt. Puis, ayant plongé cet œuf dans l’eau, nous ôtâmes le doigt. Cela posé, l’air tendu par la succion, mis, par ce moyen, dans une sorte d’état violent, dilaté fort au-delà de son volume naturel, et tendant, par cela même, à se contracter, à occuper un moindre espace (de manière que si l’œuf n’eût pas été plongé dans l’eau, l’air extérieur s’y seroit porté avec rapidité et en produisant un sifflement) ; cet air, dis-je, en se resserrant, tira l’eau après soi, jusqu’à ce que ce liquide fût dans l’œuf en quantité suffisante pour que l’air n’y occupât plus qu’un espace égal à celui qu’il occupoit avant la succion.

Il est donc certain, comme mous venons de le dire, que les corps très ténus, tels que l’air, sont susceptibles d’un certain degré notable de contraction ; au lieu que les corps tangibles, tels que l’eau, sont beaucoup moins compressibles, ou beaucoup plus difficiles à réduire à un moindre volume. Mais jusqu’à quel point se laissent-ils comprimer ? C’est ce que nous avons déterminé par l’expérience suivante.

Nous fîmes jeter en moule une sphère de plomb creuse, qui pouvoit contenir environ deux pintes, et dont les côtés, assez épais, étoient en état de résister à une très grande force. Nous la remplîmes d’eau par un trou que nous y avions fait. Puis, nous bouchâmes ce trou avec du plomb fondu ; de manière que ce plomb étant refroidi et consolidé, la sphère devenoit toute solide. Ensuite, nous applatîmes cette sphère par deux côtés opposés, en la frappant avec un gros marteau. Une conséquence nécessaire de cet applatissement, étoit que l’eau occupât un moindre espace, la sphère étant de tous les solides (de même diamètre) celui qui a le plus de capacité. Lorsque nous vîmes que les coups de marteau ne faisoient plus rien, nous fîmes usage d’une presse ; en sorte qu’à la fin l’eau ne se laissant plus comprimer, se filtroit à travers le plomb, sous la forme d’une rosée fine. Enfin, déterminant, par le calcul, la diminution de volume qui avoit dû résulter de l’aplatissement, nous sûmes ainsi que l’eau s’étoit comprimée d’autant ; effet toutefois que nous ne pouvions attribuer qu’à la force prodigieuse que nous avions employée pour comprimer cette sphère[10].

Les corps plus solides, plus secs et plus compacts, tels que la pierre, le bois ou le métal, sont encore moins susceptibles de compression et d’extension, ou ne s’y prêtent qu’à un degré presque imperceptible ; mais ils se délivrent de la violence qu’on leur fait, en se brisant ou en se portant en avant, ou par des mouvemens et des efforts de toute autre espèce. C’est ce dont on voit des exemples dans les bois ou les métaux que l’on courbe avec effort ; dans les horloges qui ont pour moteur un ressort composé d’une lame de métal pliée en deux ; dans les armes de trait et les corps lancés ; dans les corps qu’on frappe avec un marteau, et dans une infinité d’autres mouvemens semblables. Or, tous ces effets si diversifiés, il faut en tenir compte dans l’étude de la nature, et les observer avec soin, en y joignant leurs mesures, soit par l’exacte détermination des quantités, soit par simple estimation, soit enfin par des comparaisons ; en un mot, par les moyens qu’on a en sa disposition.

XLVII.

Nous mettrons au vingt-deuxième rang les exemples de cours, auxquels nous donnons ordinairement le nom d’exemples de clepsidre[11], en empruntant le nom de ces horloges dont les anciens faisoient usage, et où ils mettoient de l’eau au lieu de sable. Ce sont ceux qui mesurent les actions ou mouvemens naturels, par les divisions du temps, comme les exemples de la verge les mesurent par les divisions de l’espace[12]. Car toute action ou mouvement naturel a nécessairement une certaine durée. Il en est de lents et de rapides ; mais, quelle que soit leur vitesse, toujours est-il vrai qu’ils s’exécutent dans un nombre d’instans déterminé et fixé par la nature. Ces actions mêmes qui semblent être subites, et qui s’exercent (comme on le dit communément) en un clin d’œil, ne laissent pas, lorsqu’on les considère avec plus d’attention, de paroître susceptibles de plus et de moins par rapport à leur durée.

Par exemple, nous voyons que les révolutions des planètes s’achèvent dans des espaces de temps calculés et connus. Il en est de même du flux et du reflux de la mer. Ce mouvement, par lequel des corps graves se portent vers le globe terrestre, et les corps légers vers la circonférence des cieux, a aussi une certaine durée qui varie selon la nature des corps qui se meuvent, et celle du milieu qu’ils traversent. Le mouvement d’un vaisseau à la voile, ceux des animaux et ceux des armes de trait, et en général des corps lancés, tous ces mouvemens s’exécutent dans des espaces, de temps qui, du moins pris en somme, sont calculables. Quant à ce qui regarde la chaleur, nous voyons que les enfans, durant l’hiver, se lavent, pour ainsi dire, les mains dans la flamme, sans se brûler ; que les faiseurs de tours, à l’aide de certains mouvemens, prestes et précis, renversent et relèvent un vase rempli de vin ou d’eau, et lui font faire le tour entier, sans répandre la liqueur[13]. Il n’est pas jusqu’aux compressions et aux dilatations, ou aux éruptions des corps, qui ne s’opèrent, les unes plus vite, les autres plus lentement, selon la nature du mouvement et du corps mu, mais toujours dans des espaces de temps déterminés. On sait aussi que, dans l’explosion de plusieurs canons tirés tous à la fois, et dont le bruit se fait entendre quelquefois jusqu’à la distance de trente milles, ceux qui se trouvent près de l’endroit où se fait cette décharge d’artillerie, l’entendent plutôt que ceux qui en sont éloignés. Dans la vision, genre de sensation qui dépend d’une action très rapide, pour que l’impression soit sentie, il faut qu’elle soit d’une certaine durée ; c’est ce dont on voit un exemple dans les corps dont l’extrême vitesse rend le mouvement invisible ; tel est celui d’une balle de mousquet. Car le passage de la balle est si rapide, que son mouvement n’a pas le temps de faire impression sur l’organe de la vue[14].

Cet exemple, et d’autres semblables, ont fait naître dans notre esprit un soupçon qui à je ne sais quoi d’étrange et de bizarre. Doit-on croire, nous disionsnous, qu’un ciel serein et semé d’étoiles est vu dans le temps même où il est réellement tel, on qu’il ne l’est qu’un peu de temps après ; et dans l’observation des corps célestes, ne faudroit-il pas distinguer un temps vrai et un temps apparent, comme on distingue un lieu vrai et un lieu apparent ? distinction que les astronomes ne manquent pas de faire relativement aux parallaxes[15] ; tant il nous paroissoit incroyable que les rayons des corps célestes pussent traverser si rapidement tant de milliards de lieues, et frapper l’œil en un instant. Il nous sembloit plutôt qu’ils dévoient employer un certain temps à franchir une si prodigieuse distance (a). Mais ce doute (du moins par rapport à une différence notable entre le temps apparent et le temps vrai) s’est ensuite entièrement dissipé, dès que nous sommes venus à considérer quel immense déchet doivent essuyer les rayons lumineux en parcourant de si grands espaces, et combien l’image formée par le corps réel de l’étoile doit être affoiblie, au moment où l’œil la reçoit ; dès que nous avons considéré de plus qu’ici bas les corps blanchâtres seulement sont aperçus en un instant à la plus grande distance, et tout au moins à celle de soixante milles. Car il n’est pas douteux que la lumière des corps célestes doit, quant à la force de la radiation, l’emporter infiniment, non-seulement sur la couleur d’un blanc éclatant, mais même sur la lumière de toutes les flammes qui peuvent se trouver autour de nous. De plus, cette vitesse prodigieuse du corps même des astres emportés par le mouvement diurne, a étonné certains hommes graves et judicieux ; à tel point qu’ils ont mieux aimé croire au mouvement de la terre, qu’à celui de la sphère céleste ; cette vitesse, dis-je, rend plus croyable la force avec laquelle les astres dardent leurs rayons, et la rapidité avec laquelle leur lumière franchit ces espaces immenses (b). Mais ce qui a le plus contribué à fixer notre opinion sur ce point, c’est que s’il y avoit en effet un intervalle de temps notable entre la présence réelle d’un astre et la vision, les images visuelles seroient souvent interceptées ou rendues confuses par les nuages qui pourroient s’élever tandis qu’elles traverseroient l’espace, et par d’autres semblables changemens survenus dans le milieu qu’elles ont à traverser (c). Quoi qu’il en soit, en voilà assez sur les mesures absolues des mouvemens.

Mais il ne suffit pas de déterminer ces mesures absolues des mouvemens et des actions, il est également nécessaire, il importe même beaucoup plus de les déterminer comparativement ; ces comparaisons mènent à une infinité de conséquences et d’applications utiles. Or, l’on sait que, dans l’explosion d’une arme à feu, on voit la lumière assez longtemps avant d’entendre le coup, quoique la balle doive frapper l’air plutôt que ne le fait la flamme, qui, étant derrière, ne peut sortir qu’après cette balle ; différence qui vient de ce que le mouvement de la lumière est beaucoup plus rapide que celui du son. Nous voyons aussi que l’organe de la vue reçoit beaucoup plus promptement les images visuelles[16], qu’il ne les laisse échapper. Voilà pourquoi une corde d’instrument, poussée par le doigt avec une certaine force, paroît double ou triple ; l’œil commençant à voir la seconde et la troisième image, avant d’avoir cessé de voir la première. C’est par la même raison qu’un anneau qu’on fait tourner, paroît une sphère, et qu’un flambeau qu’on transporte avec une certaine vitesse, semble avoir une queue.

C’est même sur ce fondement de l’inégalité des mouvemens, quant à la vitesse, que Galilée a appuyé l’hypothèse à laquelle il a recours, pour expliquer le flux et le reflux de la mer. Selon lui, le globe terrestre tournant avec plus de vitesse que les eaux placées à sa surface, et ces eaux montant les unes sur les autres, elles s’entassent ainsi et retombent ensuite ; deux effets alternatifs et périodiques qui ont de l’analogie avec ce qu’on observe dans un bassin, en partie rempli d’eau, auquel on imprime un mouvement rapide[17]. Mais il n’a imaginé cette hypothèse qu’en supposant qu’on lui accorderoit ce qu’on ne peut réellement lui accorder ; savoir : le mouvement diurne de la terre ; et d’ailleurs, faute d’être suffisamment instruit de ce mouvement de la mer, qui a lieu de six heures en six heures[18].

Mais un exemple de ce que nous avons en vue, c’est-à-dire, des mesures comparatives des mouvemens, et qui est en même temps une preuve de l’utilité du sujet que nous traitons, ce sont les mines, où des masses énormes de terre, de fortifications, d’édifices et autres corps semblables, sont renversées ou sautent en l’air, par l’explosion d’une très petite quantité de poudre, Voici la raison de ses prodigieux effets. Le mouvement expansif de la poudre, qui donne l’impulsion, est infiniment plus rapide que celui de la pesanteur qui pourroit opposer quelque résistance ; en sorte que le premier mouvement est achevé avant que le mouvement contraire soit commencé. De même, lorsqu’on veut lancer, jeter, chasser fort loin un corps, on y réussit moins par un coup fort que par un coup vif et sec (d) ; sans quoi, comment se pourroit-il qu’une si petite quantité d’esprit dans les animaux, sur-tout dans des animaux aussi gros que le sont la baleine ou l’éléphant, fût suffisante pour mouvoir et gouverner une si grande masse corporelle, si ce n’étoit la vitesse prodigieuse des mouvemens de l’esprit, et la lenteur de cette masse corporelle à résister (e) ?

Enfin, le principe dont il est question ici, est un des principaux fondemens des expériences de la magie, dont nous parlerons ci-après ; expériences où une très petite masse en surmonte une fort grande et la maîtrise ; c’est-à-dire, qu’il faut faire en sorte que de deux mouvemens, l’un, par la grande supériorité de sa vitesse, prévienne l’autre, et s’achève avant que cet autre commence.

Enfin, la considération de ce qui précède ou suit, de ce qui est premier ou dernier, n’est pas non plus à négliger. Par exemple, il est bon d’observer que, dans une infusion de rhubarbe, on obtient d’abord la qualité purgative, puis l’astrictive. Nous avons éprouvé quelque chose de semblable relativement à l’infusion de violette dans du vinaigre ; opération où l’on extrait d’abord l’odeur la plus suave et la plus délicate de la fleur, puis une partie plus terrestre qui altère cette odeur. C’est pourquoi, si l’on met des violettes à infuser durant vingt-quatre heures, l’on n’obtient ainsi qu’une odeur très foible. Mais, comme l’esprit odorant (recteur) de cette fleur est en très petite quantité, si l’on réitère six fois l’infusion, en ayant chaque fois l’attention de ne la faire durer qu’un quart d’heure, et de renouveler les violettes, alors on aura un extrait de la première qualité. Par le moyen de cette réitération, quoique les violettes, ainsi renouvelées, ne soient restées qu’une heure et demie en infusion, on obtiendra une odeur qui ne le cédera point à celle de la plante même, et qui subsistera une année entière. Il faut observer, cependant, que cette odeur ne sera dans toute sa force qu’environ un mois après l’infusion.

Si l’on tourne son attention vers les plantes aromatiques macérées dans l’esprit de vin, puis distillées, on verra que ce qui s’élève d’abord n’est qu’un phlegme, qu’une substance purement aqueuse, et qui n’est d’aucun usage ; puis monte une eau plus spiritueuse ; ensuite une eau plus chargée de parties aromatiques. Il est dans les distillations une infinité de différences de cette nature qui méritent d’être remarquées : mais en voilà assez pour de simples exemples.

XLVII.

Nous mettrons au vingt-troisième rang les exemples de quantité, que nous appellerons aussi les doses de la nature (en empruntant un terme de la médecine) ; ce sont ceux qui mesurent les vertus (forces, actions) des corps, par comparaison avec leur quantité de matière, et qui nous apprennent suivant quelles proportions cette quantité de matière influe sur l’intensité de la vertu. Or, en premier lieu il est des vertus ou propriétés qui ne subsistent que dans une certaine quantité cosmique ; c’est-à-dire, qui a une certaine corrélation ou proportion avec la configuration et l’ensemble de l’univers. Par exemple, la terre est immobile, et ses parties tombent. Les eaux de la mer ont leur flux et leur reflux ; élévation et abaissement alternatifs, qui n’ont pas lieu dans les fleuves, à moins que la mer n’y remonte. La plupart des vertus agissent aussi en raison du plus ou du moins dans la quantité de matière du corps qui en est doué. Par exemple, les grandes masses d’eau ne se corrompent pas aisément ; les petites, beaucoup plus vite. Le moût et la bière, dans de petites outres, mûrissent plus vite et deviennent plutôt potables que dans de grands tonneaux. Si l’on met des herbes dans une grande quantité de liqueur, on a plutôt une infusion qu’une imbibition ; mais si la liqueur est en petite quantité, on a plutôt une imbibition qu’une infusion. Autre est, sur le corps humain, l’effet du bain ; autre, celui d’un léger arrosement (des douches). De plus, les petites rosées répandues dans l’air ne tombent jamais ; elles se dissipent et s’incorporent avec ce fluide. De même, et comme on peut s’en assurer par ses propres observations, si l’on pousse son haleine sur un diamant, ce peu d’humidité qui s’y attache, se résout et disparoît aussi-tôt, semblable à un léger nuage que le vent dissipe, Un petit morceau d’aimant n’attire pas un aussi gros morceau de fer, que l’aimant tout entier. Il est aussi des propriétés par rapport auxquelles la petite quantité peut plus que Ja grande. C’est ce qui a lieu, lorsqu’il s’agit de percer, de pénétrer ; une pointe aiguë pénètre plus vite qu’une pointe obtuse ; un diamant taillé à facettes entame le verre, et ainsi des autres[19].

Mais il ne faut pas s’en tenir ici aux quantités indéfinies ; il faut de plus tâcher de déterminer les proportions respectives ; je veux dire, le rapport de la quantité de matière dans les corps de chaque espèce, à l’intensité de la vertu. Car on est naturellement porté à croire que cette intensité est précisément proportionnelle à cette quantité ; par exemple, qu’une balle de plomb de deux onces doit tomber deux fuis plus vite qu’une balle d’une once, ce qui est absolument faux[20] et les proportions ne sont pas, à beaucoup près, les mêmes dans tous les genres de propriétés ; elles sont le plus souvent fort différentes, quelquefois même contraires. Ainsi, c’est par l’observation et l’expérience même, qu’il faut déterminer ces mesures, et non d’après des conjectures ou probabilités.

Enfin, dans toute recherche sur les opérations de la nature, il faut s’assurer de la quantité de matière requise pour produire chaque effet, et qui en est comme la dose.

XLVIII.

Nous mettrons, au vingt-quatrième rang, les exemples de lutte, que nous appelons aussi quelquefois exemples de prédominance. Ceux de cette classe indiquent les prédominances ou cessions réciproques des différentes espèces de propriétés ou de vertus. Ils apprennent à distinguer celles auxquelles la supériorité de force donne l’avantage sur les autres, d’avec celles que leur infériorité force à céder aux premières. Car les mouvemens, les tendances, les efforts, les propriétés de toute espèce se composent, se décomposent et se compliquent tout aussi-bien que les corps. Ainsi, nous donnerons d’abord l’énumération et la définition des principales espèces de mouvemens ou de vertus actives. Par ce moyen, leurs forces respectives étant plus faciles à comparer, les exemples de lutte et de prédominance en seront plus sensibles.

Soit le premier de ces mouvemens, le mouvement d’antitypie de la matière[21], lequel réside dans chacune de ses parties, et en vertu duquel elle résiste complètement à son anéantissement ; en sorte qu’il n’est ni incendie, ni poids, ni dépression[22], ni violence, ni laps de temps, qui puisse réduire absolument à rien, telle partie de la matière, quelque petite qu’on puisse l’imaginer ; qui puisse faire qu’elle cesse d’être quelque chose et d’occuper quelque lieu ; qui puisse empêcher (dans le cas même où elle seroit soumise à l’action la plus violente) qu’elle ne se délivre en changeant de forme ou de lieu ; ou qu’enfin, si tout moyen de se dégager lui est ôté, elle ne demeure telle qu’elle est ; quoi qu’on puisse faire, on ne fera jamais qu’elle ne soit rien ou qu’elle ne soit nulle part. Or, ce mouvement, l’école qui tire presque toujours ses définitions ou ses dénominations des simples effets, bons ou mauvais, des choses à définir ou à désigner, et non de leurs causes intimes, le désigne par cet axiome : deux corps ne peuvent exister en même temps dans un seul et même lieu. Ou bien, selon elle, c’est le mouvement qui empêche qu’il n’y ait pénétration réciproque de dimensions. Comme ce mouvement est inhérent à tous les corps sans exception, il est inutile d’en donner des exemples.

Soit le second de ces mouvemens, celui de liaison (ou de continuité de corps à corps), par lequel un corps se refuse à sa séparation, même à celle de la moindre de ses parties, d’avec les autres corps ; tous ces corps tendans à s’unir et à demeurer en contact les uns avec les autres. Comme ce mouvement réside aussi dans tous les corps sans exception, il est clair qu’il est également inutile d’en donner des exemples. C’est celui que l’école désigne par la dénomination d’ horreur du vuide ; mouvement en vertu duquel on attire l’eau par le moyen de la succion ou des pompes, et la chair, à l’aide des ventouses. C’est aussi en vertu de ce mouvement que, dans une cruche percée par le bas, l’eau demeure suspendue et ne coule point, si l’on ne débouche l’orifice supérieur pour donner passage à l’air. Et il produit une infinité d’autres effets semblables[23].

Soit le troisième mouvement, celui que nous appelons mouvement de liberté, par lequel les corps font effort pour se délivrer de toute compression ou extension extraordinaire, et pour recouvrer le volume qui leur est propre. On trouve aussi une infinité d’exemples de ce mouvement. Tels sont (quant à l’effort pour se délivrer de la compression) ceux de l’eau, dans l’action de l’animal qui nage ; de l’air, dans celle de l’oiseau qui vole ; de l’eau encore, dans celle du rameur ; de l’air, dans les ondulations des vents ; enfin ceux des ressorts dans les horloges. Un autre exemple qui n’est pas à mépriser, c’est celui de l’air dans ces canonnières qui servent de jouet aux enfans. Ils creusent un morceau d’aune où de quelque bois de cette espèce, ils font entrer à force, par chacune de ses extrémités, une espèce de bourre, composée d’un morceau de quelque racine qui ait beaucoup de suc[24] ; puis, à l’aide d’une sorte de piston, ils chassent l’une de ces deux bourres vers l’extrémité où est l’autre. Passé un certain point, celle qui est placée à cette dernière extrémité, s’échappe tout-à-coup avec bruit, avant d’avoir été touchée par l’autre ou par le piston, et est lancée fort loin. Quant à l’effort pour se délivrer d’une forte extension, on peut en donner pour exemple le mouvement de l’air qui reste dans les œufs de verre, après une forte succion, les cordes, le cuir, le drap et autres étoffes, tous corps qui, après avoir été détirés, reviennent sur eux-mêmes et se contractent ; à moins que la longue durée de cette extension ne les fasse rester dans l’état où on les a mis. Ce mouvement, l’école le qualifie de mouvement inhérent à la forme de l’élément[25], dénomination très peu exacte, attendu que ce mouvement n’est pas seulement propre à l’air, à l’eau, à la flamme, etc. mais commun à tous les corps, quelle que soit leur consistance (leur densité) ; comme bois, fer, plomb, drap, étoffes, membranes, tous corps qui ont un volume déterminé, certains modules de dimensions dont ils ne s’éloignent qu’avec peine, du moins sensiblement. Mais ce mouvement de liberté se présentant à chaque instant, et tenant à une infinité d’autres phénomènes, il est nécessaire de le désigner avec plus de précision et de le bien distinguer, Car il est tels physiciens qui, n’ayant sur ce sujet que des notions très superficielles, confondent ce mouvement avec celui d’antitypie et celui de liaison ; savoir : l’effort pour se délivrer de la compression, avec le premier, et l’effort pour se délivrer de l’extension, avec le dernier, s’imaginant que les parties des corps se cèdent réciproquement et s’écartent les unes des autres pour empêcher la pénétration réciproque des dimensions ; où que ces corps reviennent sur eux-mêmes et se contractent, pour empêcher que le vuide n’ait lien. Mais, pour que l’air, par exemple, se comprimât au point d’acquérir la densité de l’eau ; ou le bois, au point d’acquérir celle de la pierre, il ne seroit nullement besoin qu’il y eût pénétration de dimensions, et cependant alors la compression de ces deux espèces de corps excéderoit de beaucoup celle qu’ils endurent ordinairement. De même, pour que l’eau se dilatât au point d’acquérir la rarité de l’air ; ou la pierre, au point d’acquérir celle du bois, le vuide ne seroit pas non plus nécessaire ; et cependant alors leur degré d’extension surpasseroit de beaucoup celui auquel ils se prêtent le plus souvent. Ainsi, cette augmentation et cette diminution de densité dont nous parlons, ne sont pas portées assez loin pour qu’on ait à craindre la pénétration réciproque des dimensions, ou le vuide, qui ne pourroient avoir lieu que dans les degrés extrêmes de condensation et de raréfaction ; deux limites en deçà desquelles s’arrêtent et roulent ces mouvemens dont nous parlons, et qui ne sont autre chose que certaines tendances des corps à se maintenir dans le degré de consistance (de densité) qui leur est propre ; ou, si on l’aime mieux, dans leurs formes, à ne s’en pas écarter subitement ; mais seulement par des voies douces qui les engagent, pour ainsi dire, à s’y prêter. Et ce qui est beaucoup plus nécessaire ; comme pouvant mener à une infinité de conséquences utiles, c’est de faire bien comprendre aux hommes que ce mouvement violent, que nous qualifions de méchanique, et que Démocrite (qui, par la manière dont il définit et caractérise ses mouvemens primaires, est au dessous des philosophes les plus médiocres) appelle mouvement de plaie, n’est autre chose que le mouvement de liberté, tendant à relâcher et à étendre un corps comprimé et resserré. En effet, dans toute action consistant, ou à pousser seulement un corps pour l’écarter, ou à lui imprimer un mouvement rapide à travers l’air, l’écartement ou le mouvement rapide en avant n’a point lieu, si les parties du corps à mouvoir ne sont affectées extraordinairement, et comprimées avec une certaine force. Et c’est alors seulement que les parties se poussant ou se chassant les unes les autres de proche en proche, le tout est déplacé, non-seulement en se portant en avant, mais en tournant en même temps sur lui-même, afin que ces parties puissent aussi, par ce moyen, se délivrer de l’état violent où elles sont, ou supporter, toutes plus également, l’action à laquelle elles sont soumises, Mais en voilà assez sur ce mouvement.

Soit le quatrième mouvement, celui d’hyles (tendant à changer le volume d’un corps), mouvement qui est symétriquement opposé à celui de liberté dont nous venons de parler, et qui en est comme le pendant. Car, en vertu du mouvement de liberté, lorsqu’une cause quelconque tend à donner aux corps de nouvelles dimensions, un autre volume, soit en les dilatant, soit en les contractant, ils ont une sorte de répugnance pour un tel changement ; ils s’y refusent, ils le fuient, et tendent de toutes leurs forces à revenir à leur ancien état et à recouvrer le volume qu’ils avoient. Au contraire, par le mouvement dont nous parlons actuellement, les corps tendent à acquérir de nouvelles dimensions ; et ce changement ils s’y prêtent assez promptement, quelquefois même ils y tendent par l’effort le plus puissant, comme on le voit dans l’explosion de la poudre à canon. Or, les instrumens ou moyens de ce mouvement (non pas les seuls, mais certes les plus puissans et les plus fréquens), sont le chaud et le froid. Par exemple, lorsque l’air, par voie d’extension, se trouve dilaté (comme il l’est par la succion dans l’œuf de verre dont nous avons parlé), il tend à revenir, en se contractant, à son premier état. Mais, si ensuite il vient à être échauffé, alors, au contraire, il tend à se dilater ; il souhaite, en quelque manière, d’acquérir de nouvelles dimensions ; il passe volontiers à ce nouvel état, et (pour employer l’expression commune) à cette nouvelle forme. Cependant, après s’être un peu dilaté, il est peu jaloux de revenir à son premier état, à moins qu’on ne l’y invite en le refroidissant ; ce qui, à proprement parler, n’est pas un retour, mais une vraie, une seconde transformation en sens contraire de la première. De même, lorsque l’eau est resserrée et contractée par voie de compression, elle regimbe et veut redevenir ce qu’elle étoit ; c’est-à-dire, se dilater et devenir plus rare[26]. Mais survient-il un froid intense et continu, alors elle se condense spontanément et se change volontiers en glace. Que si ce froid est tout-à-fait continu et n’est interrompu par aucun attiédissement (condition qui a lieu dans les cavernes un peu profondes), elle se convertit en crystal et ne revient plus à son premier état[27].

Soit le cinquième mouvement, celui de continuation (de continuité de partie à partie (ce que Newton appelle force de cohésion). Or, par ce mot, nous n’entendons pas la continuité absolue et primaire d’un corps avec un autre corps, car ce seroit alors le mouvement de liaison, mais la continuité des parties d’un même corps, et sa tendance à continuer de former un même tout spécifique et déterminé. En effet, il n’est pas douteux que tous les corps se refusent à la solution de leur continuité, les uns plus, les autres moins, mais tous jusqu’à un certain point. Car si, ayant d’abord fixé notre attention sur les corps durs, tels que l’acier et le verre, et reconnu qu’ils résistent, avec la plus grande force, à leur discontinuation, nous tournons ensuite nos regards vers les liquides, où cette résistance, à la première vue, semble nulle, ou du moins très foible, nous trouvons néanmoins qu’ils n’en sont pas entièrement destitués ; qu’elle y subsiste réellement ; qu’elle y est comme dans son minimum et s’y décèle par un grand nombre d’effets assez connus, tels que les bulles que forment ces liquides ; la figure arrondie de leurs gouttes, et ce filet délié que forme l’eau des gouttières, la viscosité des corps glutineux et autres faits de ce genre[28]. Mais, de tous les cas où cette tendance se manifeste, celui où elle est le plus sensible, c’est lorsqu’on tente la solution de continuité sur un corps déjà réduit en parties extrêmement petites. Par exemple, dans un mortier, lorsqu’on a pilé et atténué les matières jusqu’à un certain point, le pilon ne fait plus rien. L’eau ne peut s’ouvrir un passage par une fente extrêmement petite. L’air même, nonobstant se grande ténuité, ne pénètre pas d’abord dans les pores d’un corps solide, et ne s’y insinue qu’à force de temps.

Soit le sixième mouvement, celui que nous appelons mouvement vers le gain, ou mouvement d’indigence. C’est celui en vertu duquel les corps qui sont comme relégués parmi les substances tout-à-fait hétérogènes et ennemies, trouvant par hazard l’occasion et la facilité d’éviter ces substances qui leur sont contraires, et de s’unir à d’autres avec lesquelles elles ont plus d’affinité (en supposant même que cette affinité ne soit pas très grande), ne laissent pas de s’unir aussitôt avec ces dernières, et de les préférer comme quelque chose de mieux. Ils semblent regarder cela comme une sorte de gain (ce qui nous a engagés à les désigner par ce mot), et chercher ces substances comme s’ils en avoient besoin[29]. Par exemple, l’or, ou tout autre métal, n’aime point à être environné, enveloppé d’air ; aussi, alors, dès qu’il rencontre quelque corps grossier, comme le doigt, un morceau de papier ou tout autre corps semblable, il s’y attache aussi-tôt et ne s’en sépare pas aisément[30]. De même, le papier, le drap et tout autre corps de cette espèce ne s’accommode pas bien de l’air qui s’insinue dans ses pores, et qui s’y trouve mêlé avec ses parties tangibles ; et c’est par cette même raison qu’il s’imbibe si aisément d’eau, ou de toute autre liqueur, en excluant l’air de ses pores, Enfin, lorsqu’un morceau de sucre, ou une éponge est plongée dans l’eau ou dans le vin, quoique sa partie supérieure soit fort élevée au dessus du niveau de la liqueur, elle ne laisse pas de l’attirer peu à peu jusqu’à son sommet[31].

D’où l’on tire une excellente règle pour les décompositions et les dissolutions. Car, laissant de côté les substances corrosives et les eaux fortes (les acides minéraux) qui s’ouvrent aisément un passage, supposons qu’un corps solide soit combiné avec une substance avec laquelle il n’ait pas d’affinité, et qu’à cette combinaison on ajoute une troisième substance avec laquelle il ait beaucoup plus d’affinité qu’avec celle à laquelle il se trouve actuellement uni comme par force, aussi-tôt ce corps s’ouvre, ses parties s’écartent les unes des autres, son assemblage se relâche, et il reçoit dans ses pores cette troisième substance, en excluant et chassant, pour ainsi dire, celle avec laquelle il s’étoit d’abord uni[32]. Et ce n’est pas seulement dans le cas du contact que ce mouvement de gain fait et peut quelque chose ; car l’action électrique (sur laquelle Gilbert et quelques autres ont débité tant de fables[33], n’est autre chose qu’un certain appétit (une tendance, une force répulsive) d’un corps excité par un léger frottement, lequel, ne souffrant pas aisément le contact de l’air, préfère celui d’un corps tangible, lorsqu’il se trouve à sa portée.

Soit le septième mouvement, celui que nous appelons mouvement d’agrégation majeure, et par lequel les corps se portent vers la masse de leurs congénères ; savoir : les corps graves, vers le globe terrestre ; et les corps légers, vers la circonférence des cieux[34]. Ce mouvement, l’école, d’après des observations très superficielles, l’a décoré du nom de mouvement naturel. Elle ne voyoit, à l’extérieur des corps, rien de sensible et de frappant qui pût produire un tel mouvement ; voilà sans doute pourquoi elle l’a cru naturel et inné dans les corps, ou c’est peut-être parce qu’il est perpétuel. Mais, s’il l’est en effet, doit-on s’en étonner ? Le ciel et la terre sont toujours [35] ; au lieu que les causes, les principes des autres mouvemens sont tantôt présens, tantôt absens. Voyant donc que ce mouvement est sans interruption, et que par-tout où les autres cessent, il subsiste et se présente à chaque pas, ils l’ont en conséquence déclaré le seul propre, inhérent et perpétuel, regardant tous les autres comme extérieurs et accidentels. Mais, dans la vérité, ce n’est qu’un mouvement foible et peu actif ; car, hors les cas où les corps en mouvement ont une très grande masse, il cède aux autres tant qu’ils peuvent avoir leur effet. Et quoique la considération de ce mouvement ait rempli et préoccupé la plupart des esprits, au point de masquer et de faire oublier tous les autres, il n’en est pas mieux connu, et il a donné lieu à une infinité d’erreurs.

Soit le huitième mouvement, celui d’agrégation mineure, par lequel les parties de même espèce dans un corps se séparent des parties de différentes espèces, et se rassemblent entr’elles ; par lequel aussi les corps entiers, les touts, en vertu de l’affinité de leur substance, s’embrassent, semblent se caresser, quelquefois même s’attirent à une certaine distance, s’approchent les uns des autres et s’unissent. C’est ainsi que, dans le lait, la crème surnage au bout d’un certain temps ; que, dans le vin, la lie et le tartre se déposent. Car il ne faut pas croire que ces phénomènes soient de simples effets des mouvemens de gravité et de légèreté, en vertu desquels certaines parties se portent vers le haut, et les autres vers le bas ; mais les regarder plutôt comme des effets de la tendance des parties homogènes à se rapprocher les unes des autres, et à se réunir. Or, il est deux différences essentielles qui distinguent ce mouvement de celui d’indigence : l’une est que, dans les effets de ce dernier, la principale cause est l’aiguillon (le stimulus) d’une nature contraire et ennemie qui, en repoussant certaines parties, les pousse, par cela même, les unes vers les autres ; au lieu que, dans les combinaisons résultantes du mouvement dont nous parlons actuellement (en supposant toutefois l’absence de tout lien et de tout obstacle), les parties s’unissent par analogie ou affinité, nonobstant l’absence de toute nature ennemie qui, en les combattant, les unisse plus fortement. L’autre est qu’ici l’union est plus étroite, et se fait, pour ainsi dire, avec plus de choix. Dans le premier cas, si les deux corps, n’ayant pas beaucoup d’affinité l’un avec l’autre, peuvent du moins éviter la substance, ennemie, ils ne laissent pas de s’unir assez bien[36]. Mais, dans le dernier, les substances s’unissent en vertu d’une très forte analogie ; elles sont sœurs, et réunies, semblent ne faire qu’un. Or, ce mouvement-ci se trouve dans tous les corps composés, et y seroit très sensible, s’il n’y étoit lié et comme bridé par les autres appétits (tendances, forces, efforts), et les autres nécessités des corps qui troublent cette union à laquelle ils tendent naturellement.

Trois principales causes peuvent lier (diminuer ou détruire) ce mouvement ; savoir : la torpeur (l’inertie) des corps, le frein de la substance dominante dans le composé, et le mouvement extérieur. Quant à ce qui regarde l’inertie des corps, nul doute qu’il n’y ait, dans tous les corps tangibles, une sorte de paresse[37] susceptible de plus et de moins, une certaine horreur du mouvement ; horreur telle que, si l’on n’a soin de les éveiller, pour ainsi dire, et de les exciter, contens de leur état actuel, ils aiment mieux demeurer tels qu’ils sont, que se remuer un peu pour être mieux[38]. Or, cette inertie, on peut la secouer (diminuer ou détruire) par trois sortes de secours ou de moyens ; savoir : par la chaleur ou par la force, l’action supérieure de quelque corps analogue, ou enfin, par un mouvement vif et puissant. En premier lieu, quant au secours qui se tire de la chaleur, c’est ce qui a donné naissance à ce principe qu’on énonce si affirmativement : que la chaleur est ce gui sépare les substances hétérogènes, et réunit les homogènes ; définition des péripatéticiens, dont Gilbert s’est moqué avec raison ; c’est à peu près, pensoit-il, comme si, pour définir l’espèce humaine, on disoit : l’homme est ce qui sème du bled et qui plante des vignes. En effet, donner de telles définitions, c’est vouloir définir les choses par leurs simples effets, et encore par des effets très particuliers, Mais cette définition dont nous parlons pèche principalement en ce que ces mêmes effets ne sont nullement propres à la chaleur, et qu’elle ne les produit qu’accidentellement, attendu que le froid en fait autant, comme nous le dirons ci-après. La véritable cause de ces effets à expliquer, est la tendance des parties homogènes à s’unir, la chaleur n’ayant d’autre effet que celui de secouer leur inertie[39] qui, auparavant, lioit cette tendance, Quant au secours qui se tire de la vertu communiquée par un corps analogue, on en voit un exemple admirable dans l’aimant armé, qui excite dans le fer la propriété d’attirer d’autre fer, pat l’analogie ou affinité de substance, l’inertie du fer étant secouée (diminuée ou détruite) par la vertu de l’aimant. Enfin, si nous passons au secours qui se tire du mouvement extérieur, nous en voyons un exemple dans ces flèches de bois dont la pointe est également de bois, et qui pénètrent plus avant dans d’autre bois que lorsqu’elles sont armées de fer ; effet qui a pour cause l’analogie de substance, l’inertie du bois étant surmontée par le mouvement rapide de la flèche. Nous avions déjà fait mention de ces deux derniers exemples, dans l’aphorisme sur les exemples clandestins.

Quant aux effets qui peuvent avoir lieu, quand le mouvement d’agrégation mineure est lié par le frein du corps dominant, ils sont très sensibles dans la décomposition du sang et des urines par le froid. Car, tant que ces fluides sont pénétrés d’un esprit plein de vie et d’activité (f) qui gouverne et maintient ensemble leurs parties de différentes espèces, en qualité de maître et de seigneur du tout, les parties homogènes ne se réunissent point, vu ce frein qui les en empêche ; mais si-tôt que cet esprit s’est exhalé ou est suffoqué par le froid, les parties dégagées du frein obéissent à leur tendance naturelle, se rapprochent et s’unissent, Aussi voit-on que tous les corps qui contiennent un esprit âcre et pénétrant, comme les sels et autres substances analogues, se conservent et ne se décomposent pas ; ce qu’on doit attribuer au frein permanent et durable de cet esprit dominant et impérieux qui les maintient ensemble.

Actuellement cherchons-nous un exemple de la manière dont le mouvement d’agrégation mineure est lié par le mouvement extérieur, nous le trouvons sur-tout dans les corps que leur agitation garantit de la putréfaction. Or, toute putréfaction a pour cause la réunion des parties homogènes, d’où résulte (pour nous servir d’une expression commune) la corruption ou dissolution de la première forme, et la génération d’une nouvelle. Car la putréfaction qui fraie le chemin à la génération de la nouvelle forme, est précédée par La dissolution de l’ancienne, qui n’est que la réunion même des parties homogènes. Cette réunion, si rien ne l’empêche, il n’en résulte qu’une simple dissolution ou décomposition ; mais si elle rencontre différens obstacles, alors s’ensuivent dos putréfactions qui sont des rudimens on des ébauches d’une génération nouvelle. Que si le corps (et c’est précisément ce dont il est question dans cet article) est fréquemment agité, à l’aide d’un mouvement extérieur, alors ce mouvement de liaison, qui est foible, facile à vaincre, et qui exige que les corps en question soient en repos de la part des corps extérieurs, ce mouvement, dis-je, est troublé et cesse d’avoir lieu ; explication appuyée d’une infinité d’exemples, C’est ainsi que le mouvement d’une eau courante ou continnellement agitée, la garantit de la putréfaction ; que les vents, en débarrassant l’air de ses parties pestilentielles, le purifient ; que le grain retourné, remué dans les greniers, se conserve mieux ; qu’enfin, tous les corps-agités à l’extérieur, ne se putréfient pas aisément à l’intérieur.

Reste à parler d’un genre de réunion dont les parties d’un composé sont susceptibles, et que nous ne devons pas oublier ; savoir : de celui d’où résulte le durcissement et la dessiccation. Car, dans un corps un peu poreux, tels que le bois, les os, les membranes et autres de cette nature, après que l’humor, converti en esprit, s’est exhalé, les parties grossières se contractent avec plus d’effort, et s’unissent plus étroitement ; d’où s’ensuit le durcissement et la dessiccation ; effet qui, selon nous, a moins pour cause le mouvement tendant à prévenir le vuide, que ce mouvement d’union et d’affinité dont nous parlons.

Quant à ce qui regarde l’attraction à distance, elle est rare, et cependant elle est encore moins observée que fréquente, Si nous en cherchons des exemples, nous voyons qu’une bulle rompt une autre bulle ; que les médicamens tirent les humeurs, en vertu de l’analogie et de l’affinité de substance ; que, de deux cordes montées à l’unisson, l’une étant pincée, met l’autre en mouvement, quoiqu’elles soient sur deux instrumens différens. Ce mouvement paroît même avoir lieu dans les esprits animaux, quoiqu’on ne l’y ait pas encore aperçu ; mais il réside au degré le plus éminent dans l’aimant et le fer aimanté. Ce que nous disons ici des mouvemens de l’aimant, nous fournit l’occasion d’en bien marquer les différences. Il est dans l’aimant quatre vertus, ou genres d’actions, qu’il ne faut pas confondre, mais considérer une à une, et distinctement ; quoique la stupide admiration des hommes les ait empêchés jusqu’ici de faire ces distinctions. La première est l’attraction d’aimant à aimant, de fer à aimant, ou de fer aimanté à autre fer, aimanté ou non. La seconde est la propriété de se tourner vers le nord et le sud ; à quoi il faut joindre la déclinaison[40]. La troisième est la faculté qu’a l’aimant ou le fer aimanté d’agir à travers l’or, le verre, la pierre, etc. La quatrième, enfin, est la communication de la vertu de l’aimant au fer ; du fer aimanté à d’autre fer ; et cela sans communication de substance (g). Mais nous ne parlons ici que de la première de ces quatre propriétés ; savoir : de la vertu attractive. Un autre exemple frappant d’attraction, c’est celle que l’or et le mercure exercent l’un sur l’autre, et qui est si forte, que l’or attire le mercure, même lorsque ce dernier métal est mêlé avec un onguent, et disséminé entre ses parties ; et les ouvriers qui se trouvent continuellement exposés aux vapeurs du mercure, ont ordinairement la précaution de tenir dans leur bouche un morceau d’or, pour ramasser ces émanations ; sans quoi il leur affecteroit violemment le crâne et les os. Aussi voit-on qu’au bout d’un certain temps cet or blanchit. Voilà ce que nous avions à dire sur le mouvement d’agrégation mineure.

Soit le neuvième mouvement, le mouvement magnétique. Quoique celui-ci se trouve compris sous le genre du mouvement d’agrégation mineure ; cependant s’il agit à de grandes distances et sur des corps d’une grande masse, il mérite une recherche à part, sur-tout si, ne commençant pas par le contact immédiat (condition requise pour un grand nombre d’autres mouvemens), et ne s’y terminant pas non plus (comme le font tous les mouvemens agrégatifs), il n’a d’autre effet que d’élever et d’enfler, pour ainsi dire, les corps. S’il est vrai, par exemple, que la lune élève les eaux de la mer, et enfle les substances humides ; que le ciel étoilé attire les planètes vers leurs apogées ; que le soleil entraîne tellement avec soi vénus et mercure ; que ces deux planètes ne puissent s’éloigner de cet astre que jusqu’à un certain point, tous ces mouvenens paroissent ne se bien classer, ni sous le nom d’agrégation majeure, ni sous celui d’agrégation mineure ; mais il semble qu’ils doivent être regardés comme des mouvemens d’agrégation moyenne et imparfaite[41], et qu’à ce titre ils doivent former une espèce à part.

Soit le dixième mouvement, celui de fuite (de répulsion), mouvement tout-à-fait contraire à celui d’agrégation mineure, et par lequel les corps, en vertu d’une certaine antipathie, fuient ou mettent en fuite les substances ennemies, s’en séparent et refusent de se mêler avec elles. Car, quoique, dans certains cas, ce mouvement semble n’être qu’accidentel, ou n’être qu’une simple conséquence du mouvement d’agrégation mineure, et que les substances homogènes ne se réunissent qu’après avoir exclus et éloigné d’elles les substances hétérogènes, cependant on doit le regarder comme un mouvement positif, et en former une espèce distincte ; vu que, dans une infinité de sujets, cette tendance à la répulsion paroît jouer un plus grand rôle que la tendance même à l’union. Ce mouvement se manifeste d’une manière frappante dans les excrétions des animaux. Il n’est pas moins sensible dans la répugnance que plusieurs sens, sur-tout l’odorat et le goût, témoignent pour certains objets qui les affectent respectivement. Car l’odorat rejette tellement une odeur très fétide, qu’il en résulte, par communication, un mouvement d’expulsion dans l’orifice de l’estomac. Une saveur amère et rebutante est tellement rejetée par le palais et le gosier, qu’elle occasionne, par une semblable corrélation, un ébranlement, un mouvement de trépidation dans toute la tête. Ce même mouvement, dont nous parlons, a beaucoup d’autres effets. Il se manifeste dans certaines antipéristases ; par exemple, dans la région moyenne de l’air, dont le froid habituel paroît être une rejection (une répulsion) de la nature froide, occasionnée par le voisinage de la région céleste. Il paroît aussi que ces grandes effervescences et ces inflammations qui ont lieu dans le sein du globe terrestre, sont des rejections de la nature chaude repoussée par l’intérieur de la terre[42]. Car, lorsque le chaud et le froid sont en petite quantité, ils se tuent, pour ainsi dire, réciproquement. Mais s’ils sont en grande masse, et forment, pour ainsi dire, des armées complètes, alors ils se livrent combat, et le plus foible est débusqué par le plus fort[43]. On dit que le cinnamome et les autres substances odoriférantes étant placées près des latrines et des lieux fétides, retiennent plus obstinément leur odeur ; parce qu’alors elles se refusent à leur émission et à leur mélange avec les matières fétides. Nul doute que le mercure, qui tend naturellement à se réunir en un seul corps, ne trouve à cet égard de grands obstacles dans la salive de l’homme, dans la graisse de porc, dans la thérébentine et autres substances de ce genre, qui empêchent ses parties de se réunir, vu le peu d’analogie et d’affinité qu’elles ont avec de telles substances qu’elles fuient, quand elles en sont environnées de tous côtés ; en sorte que la tendance des parties de ce métal à fuir ces autres substances avec lesquelles elles sont mêlées, est plus forte que leur tendance à s’unir à celles de leur propre espèce ; et c’est ce qu’on appelle la mortification du mercure[44]. De plus, si l’huile ne se mêle point avec l’eau, ce n’est pas simplement l’effet de la différence de leurs pesanteurs spécifiques, mais plutôt celui du peu d’affinité qu’elles ont l’une avec l’autre, comme le prouve l’exemple de l’esprit de vin, qui, bien que plus léger que l’huile, ne laisse pas de se mêler très exactement avec l’eau. Mais les sujets où ce mouvement de fuite ou de répulsion se montre de la manière la plus sensible, sont le nitre et autres substances crues de ce genre, qui toutes ont horreur de la flamme, comme on l’observe dans la poudre à canon, dans le mercure et même dans l’or[45]. Quant à ce mouvement par lequel le fer fuit l’un des pôles d’un aimant[46], Gilbert a observé qu’à proprement parler, ce n’est point une fuite, une répulsion, mais l’effet d’une conformité, d’une tendance commune à prendre la situation respective la plus convenable.

Soit le onzième mouvement, celui d’assimilation ou de multiplication de soi-même, ou enfin de génération simple. Or, par génération simple, nous n’entendons pas celle des composés, des mixtes, tels que les plantes et les animaux ; mais celle des corps similaires. Le mouvement dont nous parlons est celui par lequel les corps similaires transforment d’autres corps qui ont de l’affinité avec eux, ou qui du moins sont bien disposés, bien préparés pour cette opération, et les convertissent en leur propre substance ou en leur propre nature. Telle est d’abord la flamme qui, en se multipliant par le moyen de l’huile et des vapeurs huileuses, ses alimens propres, engendre de nouvelle flamme. Tel est aussi l’air qui, en se multipliant par le moyen de l’eau et des vapeurs aqueuses, engendre de nouvel air. Tel est encore l’esprit, soit végétal, soit animal, qui, en se multipliant à l’aide des parties les plus ténues de ses alimens, tant aqueux que huileux, engendre aussi de nouvel esprit. Telles sont enfin les parties solides des plantes et des animaux, comme la feuille, la fleur, la chair, les os, et ainsi des autres ; toutes parties dont chacune tire des sucs alimentaires une substance qu’elle s’assimile, qu’elle s’approprie, et qui sert à réparer ses pertes continuelles. Car personne, sans doute, ne prendra plaisir à extravaguer avec Paracelse, qui, aveuglé par ses distillations, vouloit que la nutrition s’opérât par voie de simple séparation : selon lui, le pain et la viande recèlent un œil, un nez, un foie, etc, dans les sucs de la terre se trouvent cachées la feuille, la fleur, etc. et de même qu’un sculpteur, en retranchant d’une masse grossière de bois ou de pierre tout le superflu, et le rejetant, en tire ainsi la forme d’une feuille, d’une fleur, d’un œil, d’un nez, d’un pied, d’une main, etc. de même aussi cet archée, ou ce sculpteur interne qu’il suppose, tire des alimens, par voie de séparation et de rejection, chaque membre et chaque partie ; voilà ce qu’il prétend[47]. Mais, abandonnant cette ridicule supposition, tenons pour certain que chacune des parties, tant similaires qu’organiques, soit dans les végétaux, soit dans les animaux, commence par attirer et extraire des alimens les mêmes sucs, on du moins des sucs peu différens (ce qu’elle fait avec une sorte de choix[48]) ; qu’ensuite elle se les assimile et les convertit en sa propre substance. Or, cette assimilation simple n’a pas seulement lieu dans les corps animés ; mais les corps inanimés sont aussi doués de cette faculté assimilative, comme nous l’avons dit en parlant de l’air et de la flamme. Il y a plus : cet esprit peu actif et comme mort qui se trouve renfermé dans tout corps tangible, inanimé, ne laisse pas de travailler sans cesse à digérer les parties grossières, et à les convertir en esprit qui puisse ensuite s’exhaler ; d’où résulte la diminution du poids et la dessiccation, comme nous l’avons dit ailleurs. Et en traitant de l’assimilation, il ne faut pas trop dédaigner cette accrétion qu’on distingue ordinairement de l’alimentation, et qui a lieu, par exemple, lorsque la terre grasse qui se trouve entre des cailloux, se durcit et se convertit, à la longue en une substance pierreuse ; ou lorsque ces écailles, dont se revêtent les dents, se changent en une substance qui n’est pas moins dure que la dent même. Car notre sentiment est qu’il existe dans tous les corps une tendance à s’assimiler les autres corps, et qui n’est pas moins universelle que la tendance à s’unir avec les substances de même espèce. Mais cette dernière est souvent liée, ainsi que la première, quoiqu’elle ne le soit pas par les mêmes moyens. Or, ces différentes espèces de liens, ainsi que les différentes manières dont elles s’en dégagent, étant deux sujets qui se rapportent à l’art de restaurer la vieillesse, doivent être observées avec la plus grande attention, Enfin, une observation non moins importante, c’est que, par les neuf espèces de mouvemens dont nous avons parlé jusqu’ici, les corps semblent ne tendre qu’à leur propre conservation ; au lieu que, par ce dixième, dont nous parlons actuellement, ils tendent à leur propagation.

Soit le onzième mouvement, celui d’excitation, qui semble n’être qu’une espèce dont le mouvement d’assimilation est le genre, et auquel, par cette raison, nous donnons quelquefois ce dernier nom. En effet, c’est un mouvement qui tend à se répandre, à se communiquer, à passer d’un corps à l’autre, à se multiplier, tout aussi-bien que cet autre dont nous venons de parler. Et le plus souvent ils se ressemblent par leurs effets, quoiqu’ils diffèrent par les sujets sur lesquels ils agissent, et par la manière d’opérer. Car le mouvement d’assimilation agit avec une sorte d’empire, il commande au sujet respectif, et force l’assimilé à prendre la nature de l’assimilant : au lieu que le mouvement d’excitation procède, en quelque manière, avec art, par voie d’insinuation, et comme à la dérobée ; il invite seulement l’excité à revêtir la nature de l’excitant. De plus, ce sont les corps, les substances mêmes que transforme le mouvement d’assimilation ; par exemple, il résulte de son action, plus de flamme, plus d’air, plus d’esprit, plus de chair, etc. Mais, dans le mouvement d’excitation, ce sont les vertus, les qualités, ou modes seulement, qui se multiplient, et qui passent d’un corps à l’autre : par exemple, il résulte de son action plus de chaleur, plus de vertu magnétique, plus de putridité.

Or, ce mouvement se trouve au degré le plus éminent dans le chaud et le froid ; car, lorsqu’un corps en échauffe un autre, si alors la chaleur se répand, ce n’est point du tout par la communication de la première chaleur, mais seulement par l’excitation successive du dernier corps à ce mouvement, qui est la forme de la chaleur, et dont nous avons parlé dans la première vendange (ou conclusion provisoire), sur la nature de cette qualité. Aussi la chaleur s’excite-t-elle beaucoup plus lentement et plus difficilement dans la pierre et le métal, que dans l’air ; ces deux espèces de corps étant beaucoup plus inhabiles et plus lents à recevoir ce mouvement, En sorte qu’on peut, avec quelque probabilité, soupçonner qu’il est, dans le sein de la terre, telles substances qui refusent tout-à-fait de s’échauffer ; parce que, vu leur extrême condensation, elles sont destituées de cet esprit qui, le plus souvent, est le principe du mouvement d’excitation. C’est ainsi que l’aimant doue le fer d’une nouvelle disposition de parties, et d’un mouvement conforme au sien ; mais, quant à lui, il ne perd rien de sa vertu. De même le levain de pâte et la levure de bière, la présure du lait et certains poisons, excitent et provoquent, dans la pâte, la bière, le fromage, ou le corps humain, un mouvement qui, se communiquant de proche en proche, se répand dans le tout, moins par la force de l’excitant, que par la disposition antérieure de l’excité, et sa facilité à céder.

Soit le treizième mouvement, celui d’impression, qui est encore une espèce du genre compris sous le nom de mouvement d’assimilation. De tous les mouvemens qui se communiquent et se répandent, c’est le plus subtil. Nous avons cru devoir le constituer en espèce propre et positive, à cause de la différence importante qui le distingue des deux premiers. Car le mouvement d’assimilation proprement dit, transforme les corps mêmes, et de telle manière que, si vous ôtez le premier moteur, cela n’influe point du tout sur les effets ultérieurs. Par exemple, ni la première inflammation du corps qu’on allume, ni la première conversion d’une substance non-aériforme en air, n’influe sur la flamme, ou sur l’air qui est ensuite engendré. De même le mouvement d’excitation subsiste assez longtemps, quoiqu’on ôte le premier moteur : par exemple, il subsiste dans le corps échauffé, après qu’on a ôté le corps échauffant ; dans le fer aimanté, quand on a ôté l’aimant ; enfin, dans la masse de farine, après qu’on a ôté le levain. Au lieu que le mouvement d’impression, quoiqu’il ait aussi la faculté de se répandre et de se communiquer, ne laisse pas de dépendre perpétuellement du premier moteur ; en sorte que, ce moteur étant ôté, ou cessant d’agir, ce mouvement cesse et périt aussi-tôt. Aussi ne faut-il qu’un instant, ou du moins qu’un temps fort court, pour le faire naître. Pour distinguer ce mouvement d’assimilation ou d’excitation, de celui dont nous parlons actuellement, nous appelons le premier, mouvement de la génération de Jupiter, parce qu’en effet sa génération subsiste ; et le dernier, mouvement de la génération de Saturne, parce qu’à peine né, il est aussitôt dévoré et absorbé. Or, celui-ci se manifeste dans trois choses : dans les rayons de la lumière, dans les vibrations des sons, et dans les phénomènes magnétiques, du moins quant à la communication. En effet, la lumière ôtée, les couleurs disparoissent à l’instant, ainsi que toutes ses autres images[49]. Si, après avoir frappé un corps sonore, on fait cesser l’ébranlement occasionné par cette percussion, le son périt presque aussi-tôt. Car, quoique les sons soient susceptibles d’être agités par les vents, dans le milieu qui leur sert de véhicule, à peu près comme les corps flottans le sont par les ondes ; cependant, pour peu qu’on approfondisse ce sujet, on conçoit aisément que le son ne dure pas autant que le résonnement[50]. En effet, lorsqu’on frappe sur une cloche, le son paroît durer assez long-temps, ce qui peut aisément induire en erreur ; et en effet, l’on se tromperoit fort, si l’on s’imaginoit que le son, durant tout ce temps-là, demeure comme flottant, comme suspendu dans l’air ; ce qui est absolument faux. Car ce résonnement n’est rien moins que le même son individuel et continu, mais un son qui se renouvelle d’instans en instans[51]. Et c’est ce dont il est aisé de s’assurer, en touchant le corps frappé, pour arrêter son mouvement : par exemple, si l’on saisit la cloche avec assez de force pour arrêter son mouvement (ses vibrations), le son périt aussi-tôt, et elle cesse de résonner. C’est ce qu’on observe aussi dans les instrumens à corde. Si, après le premier coup donné à une corde, on la touche ou avec le doigt, si c’est une harpe ; ou avec la plume, si c’est un tympanon ou une mandoline, le résonnement cesse à l’instant, De même, si-tôt qu’on ôte l’aimant, le fer tombe. Mais on ne peut ôter ainsi la lune à l’océan, sur lequel elle agit, ni la terre aux corps pesans, tandis qu’ils tombent. Ainsi, on ne peut tenter sur l’action de ces deux grands corps, une expérience semblable à celles dont nous venons de parler ; mais, dans les deux cas, la loi est la même[52].

Soit le quatorzième mouvement, celui de configuration ou de situation, par lequel les corps appètent (tendent à) non telle union ou telle séparation, mais telles situations respectives, telle distribution dans un tout ; en un mot, telle configuration. Ce mouvement est très difficile à apercevoir, et a été jusqu’ici fort mal observé. Dans certains cas même il semble presque inexplicable, quoiqu’il nous paroisse n’être rien moins que tel. Par exemple, demande-t-on pourquoi le ciel tourne plutôt d’orient en occident, que d’occident en orient[53] ; ou pourquoi il tourne autour de deux pôles, dont l’un est situé près des deux ourses, plutôt qu’autour d’orion ou de tout autre point du ciel[54] ; une telle question semble avoir pour principe je ne sais quel étonnement stupide ; ces choses-là, pense-t-on, devant se tirer immédiatement de l’expérience, être admises purement et simplement comme positives[55]. Il n’est pas douteux qu’il n’y ait dans la nature bien des choses qu’on doit regarder comme les dernières de toutes, et comme inexplicables ; mais celle dont nous parlons paroît n’être pas de ce nombre, et notre sentiment est qu’elle a pour cause une certaine corrélation ou harmonie entre les parties de l’univers ; corrélation qui n’a pu encore être saisie et déterminée par l’observation. Que si l’on admet l’hypothèse du mouvement de la terre d’occident en orient, les mêmes questions ont également lieu. Car d’abord, pourquoi la terre tourne-t-elle sur des pôles quelconques ? En second lieu, pourquoi ces pôles doivent-ils être placés où ils sont, plutôt qu’ailleurs ? Voilà deux questions auxquelles il faut répondre dans tous les cas. La polarité de l’aimant ; je veux dire, sa direction et sa déclinaison, se rapportent aussi au mouvement dont nous traitons. De plus, il est, comme on n’en peut douter, dans les corps, tant naturels qu’artificiels, sur-tout dans ceux qui ont de la consistance, et non dans les fluides, une position respective, un arrangement, une distribution de parties déterminée et constante ; une sorte de tissu ; des espèces de fibres assemblées de telle manière ; toutes choses qu’il importe de connoître, et qu’il faut tâcher de découvrir. Sans la connoissance de cette texture intime, on ne peut maîtriser ces corps et les modifier à volonté. Quant à ces cercles et à ces ondulations qu’on observe dans les liquides, et à la faveur desquels, lorsqu’ils sont comprimés, leurs parties, avant de pouvoir se délivrer de cette compression, se soulèvent réciproquement, afin de partager entr’elles cette action à laquelle elles sont soumises, et de la supporter toutes également[56] ; ce phénomène, nous l’avons, avec plus de fondement, attribué au mouvement de liberté.

Soit le quinzième mouvement, celui de transmission (par les porcs ou meatus), lequel consiste en ce que les vertus ou actions des corps éprouvent plus ou moins d’obstacles ou de facilité à leur transmission, de la part des milieux qui leur servent de véhicules ; différences dépendantes de la nature de ces corps, des vertus qui opèrent, et du milieu où ils exercent leur action. Car tel milieu convient à la lumière ; tel autre, au son ; tel autre encore, au chaud et au froid ; tel autre enfin, aux vertus magnétiques. Il en faut dire autant des autres actions, envisagées respectivement et sous ce point de vue.

Soit le seizième des mouvemens à dénombrer, le mouvement royal (car telle est la dénomination que nous employons pour le caractériser), ou le mouvement politique, par lequel les parties qui, dans un corps, prédominent et commandent, mettent, pour ainsi dire, un frein aux autres, les domptent, les subjuguent, les gouvernent et les forcent à se réunir, à se séparer, à s’arrêter, à se mouvoir, à se placer ; non pas en obéissant simplement aux tendances qui leur sont propres, mais de la manière la mieux appropriée, et tendante le plus directement au bien-être de cette partie qui commande ; en sorte qu’il y a là une sorte de gouvernement et de police, que la partie régnante exerce sur les parties sujettes (i). Ce mouvement réside au degré le plus éminent dans les esprits des animaux. Tant qu’il est dans sa force, il règle tous les mouvemens des autres parties, et les tempère les uns par les autres. Il se trouve aussi dans les autres corps, mais à un degré inférieur ; comme nous l’avons observé en parlant du sang et des urines, qui ne se dissolvent point, avant que l’esprit qui mêloit leurs différentes parties, et les maintenoit ensemble dans l’état de combinaison, ait été émis ou suffoqué. Or, quoique, dans la plupart des corps, les esprits dominent, vu la rapidité de leurs mouvemens et leur force pénétrante ; cependant le mouvement dont nous parlons, ne leur est pas tout-à-fait particulier. Mais, dans les corps mêmes qui, étant très condensés, ne sont pas intimement pénétrés d’un esprit plein de vie, de force et d’activité (tel que celui du mercure et du vitriol), ce qui domine, ce sont les parties grossières[57]. En sorte que, si l’on ne trouve quelque moyen pour secouer ce joug, pour rompre ce frein, on ne doit point se flatter de pouvoir opérer quelque nouvelle transformation dans les corps de cette espèce. Or, comme le but propre de cette série, de cette distribution de mouvemens, n’est autre que de rendre leurs prédominances plus faciles à découvrir par le moyen des exemples de lutte, en nous voyant ainsi faire mention de cette prédominance parmi les mouvemens, on sera porté à croire que nous perdons de vue notre objet actuel ; mais ce seroit s’abuser que de le penser. Car, dans cette dernière application du mouvement royal, ce n’est pas de la prédominance des mouvemens et des forces que nous parlons, mais seulement de la prédominance des parties dans les corps ; ce qui est tout-à-fait différent, vu que c’est cette dernière sorte de prédominance qui constitue l’espèce particulière de mouvement dont nous parlons ici.

Soit le dix-septième des mouvemens à dénombrer, le mouvement spontanée de rotation, par lequel les corps qui aiment à se mouvoir, et qui se trouvent bien placés, jouissent de leur nature, n’obéissent qu’à leur propre impulsion, ne tendent qu’à eux-mêmes, et semblent ne rechercher que leurs propres embrassemens[58]. En effet, les corps paroissent susceptibles de trois différens états : ils peuvent ou se mouvoir sans tendre à aucun terme, ou se tenir tout-à-fait en repos, ou se porter vers un terme. Et quand ils y sont arrivés, selon que leur nature les détermine, ils tournent sur eux-mêmes, ou se reposent. Quand ceux qui se trouvent bien placés aiment le mouvement, ils se meuvent circulairement, c’est-à-dire, d’un mouvement éternel et sans fin. Mais ceux qui, étant bien placés, ont horreur du mouvement, demeurent dans un parfait repos. Ceux qui ne sont pas bien placés, se meuvent en ligne droite (comme s’ils choisissoient le plus court chemin) vers la masse de leurs congénères. Or, ce mouvement de rotation est susceptible de neuf différences.

La première est celle du centre autour duquel les corps se meuvent.

La seconde est relative aux pôles sur lesquels ils font leurs révolutions[59].

La troisième se rapporte à la grandeur de la circonférence qu’ils décrivent dans leur révolution ; grandeur proportionnée à la distance où ils sont du centre de cette révolution[60].

La quatrième dépend de l’espace qu’ils parcourent dans un temps déterminé, selon que la rotation est plus lente ou plus rapide.

La cinquième est relative à la direction, au sens dans lequel ils se meuvent ; par exemple, d’orient en occident, ou d’occident en orient.

En sixième lieu, ils peuvent, dans leur révolution, s’éloigner du cercle parfait, par des spires plus ou moins distantes de leur centre (du centre de cette révolution).

7°. Ou par des spires plus ou moins distantes de leurs pôles.

8°. Ou par des spires plus ou moins écartées les unes des autres.

La neuvième et dernière différence naît de la variation de leurs pôles, si ces pôles sont mobiles ; différence qui n’appartient pas proprement à la rotation ; à moins que cette variation ne soit l’effet d’un mouvement circulaire[61].

Ce mouvement, suivant une opinion commune et invétérée, est regardé comme propre aux corps célestes. Mais c’est un point qui a donné lieu à une grande et longue dispute entre les astronomes, tant anciens que modernes, dont quelques-uns ont attribué à la terre même le mouvement de rotation ; dispute qui n’est pas encore terminée[62]. Cependant, une question qui méritoit tout autrement d’être discutée (si toutefois cet autre point n’est pas hors de dispute), c’est de savoir si le mouvement dont il s’agit (en supposant que la terre soit immobile), se termine aux limites de la région céleste, ou si plutôt on ne doit pas penser que, descendant, pour ainsi dire, de là, il se communique à l’air et aux eaux de l’océan. Quant à cet autre mouvement de rotation, qui a lieu dans les armes et les corps lancés, comme dards, flèches, balles d’armes à feu, et autres corps semblables, nous le renvoyons à l’aphorisme où nous avons traité du mouvement de liberté.

Soit le dix-huitième mouvement, celui de trépidation, qui, dans le sens des astronomes, nous paroît assez douteux[63]. Quant à nous, lorsque nous promenons nos regards sur la nature entière, pour découvrir toutes les tendances des corps, ce mouvement-là se présente à notre esprit, et nous paroît devoir être constitué en espèce (k). Or, celui-ci nous semble être un mouvement d’éternelle captivité ; je veux dire que les corps qui, eu égard à leur nature, ne se trouvent ni tout-à-fait bien, ni tout-à-fait mal placés, sont dans un perpétuel mouvement de trépidation ; qu’ils sont alors dans une sorte d’inquiétude, ne sachant pas se contenter de leur état actuel, et n’osant se porter plus avant, C’est un mouvement de cette nature qu’on observe dans le cœur et le pouls des animaux. Il est nécessairement dans tous les corps qui, étant dans un état d’incertitude et de suspension entre les avantages et les inconvéniens, et faisant effort pour se délivrer des derniers, se portent, pendant quelque temps, vers les premiers, et sont de nouveau repoussés vers le point d’où ils étoient partis (l).

Vient enfin le dix-neuvième et dernier mouvement, qui semble mériter à peine ce nom, et qui est pourtant un mouvement très réel. Qu’il nous soit permis de l’appeler mouvement tendant à l’inertie, ou d’horreur pour le mouvement[64]. C’est par celui-ci que la terre, en vertu de sa seule masse, demeure immobile[65], ses extrémités se portant vers son milieu[66]. C’est aussi en vertu de cette tendance que tous les corps extrêmement condensés ont horreur du mouvement, et que, pour toute détermination, ils ont celle de ne se point mouvoir. L’on a beau les exciter, les agacer d’une infinité de manières pour les engager à se remuer, néanmoins ils conservent leur nature autant qu’il leur est possible. Que si enfin l’on parvient à les mettre en mouvement, ils ne cessent de travailler pour recouvrer leur repos, qui est leur état naturel, c’est-à-dire, qu’ils tendent de toute leur force à ne se plus mouvoir ; et quant à ce dernier point, pour l’obtenir, ils ne manquent pas d’activité ; ils tendent à ce but avec assez de légèreté et de rapidité, comme ennuyés et impatiens de tout délai à cet égard[67]. Or, ce mouvement, nous ne pouvons en voir tout au plus qu’une partie et qu’une foible image ; car, en vertu de cette espèce de concoction et de digestion que les corps célestes font subir à tous les corps tangibles qui se trouvent près de nous, non seulement aucun de ces corps ne se trouve au plus haut degré de condensation, mais même tous sont combinés avec une certaine quantité d’esprit.

Nous avons désormais dénombré et défini les espèces et les élémens simples des mouvenens, des tendances et des vertus actives, qu’on peut regarder comme les plus universelles dans la nature, et cette esquisse que nous en donnons, suppose une certaine connoissance de la nature ; cependant nous n’avons garde de prétendre qu’à ces espèces indiquées, on n’en puisse ajouter d’autres ; qu’en suivant de plus près les veines et les ramifications des choses, on ne puisse changer ces divisions, et en donner de plus exactes ; enfin, qu’on ne puisse les réduire un plus petit nombre : bien entendu qu’on ne se contentera pas de certaines divisions abstraites, et telles que seroient celles qu’on voudroit faire en disant : que les corps appètent ou leur conservation, ou leur exaltation, ou leur propagation, ou la jouissance de leur nature ; ou même en disant : que les mouvemens des corps tendent à la conservation et au bien, soit de l’univers entier, comme les mouvemens d’antitypie et de liaison ; ou des grandes communautés (des grandes masses), comme les mouvemens d’agrégation majeure, de rotation, et d’horreur du mouvement ; ou enfin, des formes spécifiques et particulières, comme les autres mouvemens. Car, quoique ces distinctions soient assez fondées ; cependant, si elles ne sont pas déterminées par les propriétés de la matière, conformes à la texture réelle des composés, et tracées d’après les vraies lignes de démarcation, elles sont de peu d’utilité et de pure spéculation. Cependant elles peuvent suffire pour le moment, et être d’un assez grand usage, quand il ne s’agit que de vérifier les prédominances des forces ou vertus, et de chercher les exemples de lutte ; ce qui est notre objet actuel.

En effet, parmi ces mouvemens que nous venons d’indiquer, il en est d’absolument invincibles : quelques-uns, plus forts que les autres, les lient, les brident, les maîtrisent, les gouvernent, les modifient. Ceux-ci sont de tous les mouvemens ceux qui agissent à la plus grande distance, et qui ont la plus longue portée. Ceux-là agissent avant coup, et préviennent tous les autres par leur célérité. Il en est enfin qui se favorisent, se conservent, se fortifient, s’étendent et s’accélèrent réciproquement.

Par exemple, le mouvement d’antitypie est tout-à-fait invincible et comme de diamant. Mais le mouvement de liaison est-il également invincible ? C’est sur quoi il nous reste quelques doutes ; car nous n’oserions décider cette question ; savoir : si le vuide, soit accumulé, soit disséminé, a réellement lieu. Mais, ce dont nous ne doutons nullement, c’est que la raison qui a déterminé Leucippe et Démocrite à introduire l’hypothèse du vuide ; savoir : que, sans le vuide, un même corps ne pourroit occuper et remplir tour à tour de grands et petits espaces, est absolument fausse. Car ces changemens de volume ne sont au fond que les effets de certains plis de la matière, qui se plie et se replie, pour ainsi dire, dans l’espace, entre certaines limites et sans l’interposition du vuide[68]. Et il n’est pas vrai qu’il y ait dans l’air deux mille fois plus de vuide que dans l’or, comme ils le prétendent. C’est ce dont nous sommes suffisamment convaincus par la connoissance que nous avons des puissans effets, et de la force supérieure des substances pneumatiques qui, selon eux, nageroient dispersées dans le vuide, comme des grains d’une fine poussière, et par beaucoup d’autres preuves[69]. Quant aux autres mouvemens, ils sont tantôt dominans, tantôt dominés, à raison de leur force, de la quantité de matière qui en est douée, de leur vitesse, de la distance à laquelle ils agissent ; enfin, à raison des obstacles ou des facilités qu’ils éprouvent pour exercer leur action.

Par exemple, tel aimant armé attire et tient suspendu un morceau de fer soixante fois plus pesant ; jusques-là, c’est le mouvement d’agrégation mineure qui l’emporte sur celui d’agrégation majeure. Mais, si vous augmentez le poids du fer, c’est alors le second mouvement qui prévaut. Un levier de telle force soulève un corps de tel poids ; jusqu’ici c’est le mouvement de liberté qui a l’avantage sur le mouvement d’agrégation majeure ; mais le poids à soulever est-il plus grand, ce même mouvement aura le dessous. Un cuir tendu avec une certaine force, ne se rompt pas ; et alors c’est le mouvement de continuité qui surmonte le mouvement d’extension ; mais si vous étendez le cuir avec encore plus de force, il se rompt, et le mouvement de continuité est surmonté. L’eau s’écoule par une fente de telle grandeur ; et dans ce cas, le mouvement d’agrégation majeure l’emporte sur le mouvement de continuité. Si la fente est trop petite, alors le premier succombe, et le mouvement de continuité a le dessus. Si, n’ayant mis dans un fusil que du soufre pulvérisé avec la balle, vous faites feu, la balle n’est pas chassée. Ici c’est le mouvement d’agrégation majeure qui a l’avantage sur le mouvement d’expansion. Mais si vous chargez avec de la poudre, alors ce qui prévaut c’est le mouvement expansif dans le soufre, aidé par le mouvement d’expansion et celui de répulsion, combinés dans le nitre ; et ainsi des autres. Enfin, ces exemples de lutte qui indiquent les prédominances des vertus ou forces, et qui montrent selon quelles proportions et quelles mesures déterminables par des nombres, elles prédominent ou succombent, sont d’une si grande utilité, qu’il ne faut épargner ni temps ni peine pour en rassembler de toutes les espèces.

Il faut aussi observer avec soin la manière dont succombent certains mouvemens, et jusqu’à quel point ils cèdent aux mouvemens supérieurs. Je veux dire qu’il faut tâcher de savoir s’ils cessent tout-à-fait, ou si, continuant à faire effort, ils ne sont que liés et suspendus. En effet, dans les corps que nous connoissons, il n’est point de véritable repos ni dans les touts, ni dans les parties ; et ce à quoi l’on donne ordinairement ce nom, n’est qu’une apparence (m). Or, tout repos apparent est l’effet ou de l’équilibre, ou de la prédominance absolue des mouvemens[70] : de l’équilibre, comme dans une balance qui, lorsque les poids mis dans les bassins sont parfaitement égaux, demeure immobile ; de la prédominance, comme dans une cruche percée par le bas, où l’eau reste en repos et demeure suspendue par la prédominance du mouvement de liaison. Cependant il faut, comme nous l’avons dit, observer jusqu’à quel point les mouvemens qui succombent, font effort. Supposons, par exemple, qu’un lutteur, étant tenu à terre, étendu de son long, les bras et les jambes liées, ou retenues par tout autre moyen, de manière qu’il ne puisse se remuer, tende, de toutes ses forces, à se relever, quoique tous ses efforts soient inutiles, ils n’en sont pas moins réels ni moins grands. Or, pour décider cette question ; savoir : si le mouvement qui succombe par la prédominance d’un autre mouvement, est totalement anéanti, ou s’il subsiste et continue de faire effort, quoique cet effort ait cessé d’être visible, il faudroit laisser de côté ces conflits et luttes de mouvemens, où il est difficile & apercevoir, et tourner son attention vers les concours et combinaisons de mouvemens, où il seroit peut-être plus apparent. Par exemple, ayant bien déterminé l’espace qu’un fusil peut faire parcourir à la balle, ou celui qui est entre le tireur et ce qu’on appelle le blanc, il faudroit tâcher de savoir si le coup de cette balle seroit plus foible, en tirant de bas en haut, cas où le coup ne seroit l’effet que d’une seule espèce de mouvement, qu’en tirant de haut en bas, autre cas où le coup seroit l’effet composé du mouvement de la gravité, combiné avec le mouvement imprimé par la poudre.

Il faut encore recueillir avec soin les principes relatifs à ces prédominances, et qu’on rencontre sur sa route ; par exemple, celui-ci : plus le bien appété est commun, plus le mouvement qui y porte a de force. C’est ainsi que le mouvement de liaison, qui se rapporte à la communauté (au système entier) de l’univers, est plus fort que le mouvement de gravité, qui ne se rapporte qu’à la communauté (au système) des corps denses. Et cet autre principe : que les appétits ou tendances qui n’ont pour objet qu’un bien privé, ne prévalent pas ordinairement sur ceux qui ont pour objet un bien public, si ce n’est dans les petites quantités[71]. Et ces deux principes, plût à Dieu qu’ils prévalussent dans l’état civil et politique !




Commentaire du premier chapitre.

(a) IL nous semble plutôt que la lumière devant employer un certain temps à franchir une si prodigieuse distance. En comparant la différence observée entre le temps vrai et le temps apparent de l’occultation du premier satellite de jupiter, par la planète principale, avec la distance de ce satellite à la terre, on a trouvé que la vitesse de la lumière est à peu près de quatre à cinq millions de lieues par minute ; d’où il suit qu’elle emploie environ sept minutes pour venir du soleil à nos yeux ; par conséquent, si l’on suppose que la distance de l’étoile La plus basse à la terre, égale environ 75 000 fois celle du soleil à cette planète (ce qui est peut-être bien au dessous de la réalité}, la lumière emploieroit environ un an à venir de cette étoile à notre œil ; ainsi l’étoile qui me paroit se lever en ce moment, s’est levée réellement l’année passée, à pareil jour, à pareille heure, à pareille minute, etc. C’est ce lever réel de l’année passée que je vois aujourd’hui ; et tout le ciel apparent d’aujourd’hui n’est que le ciel réel de l’année passée, à pareil jour. Cette conséquence qui effraie l’imagination, n’étonne pas la raison qui en sent la justesse et la nécessité ; et les preuves qui établissent ce paradoxe, sont, par leur nature, plus fortes que celles qui constatent les faits les plus authentiques de notre histoire.

(b) Et la rapidité avec laquelle les rayons de la lumière franchissent ces espaces immenses, etc. La circonférence d’un grand cercle du globe terrestre est à peu près de 9 000 lieues, de 25 au degré de 57 060 toises. Vingt-quatre heures font 1 440 minutes. Ainsi, chaque point de l’équateur terrestre parcourt environ six lieues et quart par minute, et 238 toises par seconde, Actuellement supposons, comme dans la note précédente, que la distance de l’étoile la plus basse à la terre soit à celle du soleil à cette planète, comme 75 000 à 1 ; et que la distance du soleil à la terre ne soit que de 30 000 000 de lieues (deux quantités plutôt au dessous qu’au dessus de la réalité). Cela posé, si cette étoile faisoit en vingt-quatre heures une révolution autour de nous, elle parcourroit à peu près 4 908 738 938 lieues par minute. De plus, comme le pouls d’un homme de complexion moyenne et bien sain, bat environ soixante fois par minute, et même est un peu plus fréquent, cette étoile parcourroit près de 81 812 316 lieues durant le temps d’un battement de pouls. Que seroit-ce donc des étoiles visibles les plus éloignées ? que seroit-ce enfin de la vitesse de celles que nous ne voyons pas ? Car, supposer que la distance de la terre à telle des étoiles invisibles, est à celle de cette même planète à la plus éloignée de toutes les étoiles visibles, comme la dernière de ces deux distances est à la cent-millième partie d’une ligne, ce ne seroit pas seulement faire une supposition très modérée, mais même en faire une très mesquine. Actuellement imaginons une sphère qui ait pour rayon l’effrayante ligne que nous venons de tirer, et faisons-la tourner autour de nous ; quelle vitesse ! Si Bacon eût pensé à tout cela, il eût mieux aimé laisser tourner ce globule de 9 000 lieues.

(c) Les images visuelles seroient souvent interceptées par les nuages qui s’éleveroient, etc. L’auteur nous paroit ici être un peu en contradiction avec lui-mème : il vient de dire qu’à la distance de soixante milles, il n’y a aucun intervalle de temps sensible entre le moment de l’inflammation de la poudre, et celui où on la voit. Il avoit dit, dans une de ses tables de comparution, que les nuages ne s’élevoient jamais jusqu’à la hauteur du Mont-Olympe, hauteur qui n’est certainement pas d’une lieue, pas même d’une demie. Ainsi le temps que la lumière emploie à venir de la région des nuages à nos yeux, est imperceptible. Or, les nuages n’empêchent point du tout le mouvement des rayons lumineux, depuis les étoiles jusqu’à la région de ces mêmes nuages, et ils ne peuvent arrêter ou ralentir le mouvement de ces rayons, qu’à l’instant même où ils traversent cette région. Ainsi, d’après ses propres suppositions, il n’est pas vrai que, si le mouvement de la lumière étoit progressif, les nuages retarderoient la vision. La vérité est que, dans certains cas, ils l’empêchent tout-à-fait ; et que, lorsqu’ils ne l’empêchent pas entièrement, ils ne causent aucun retardement. Voici ce qu’il falloit dite pour s’exprimer avec plus d’exactitude, et donner un sens à ce passage. Si la lumière employoit un temps notable à venir de la région des nuages jusqu’à mon œil (par exemple, cinq minutes), et qu’au moment où les rayons d’une étoile, supposons sirius, traverseroient cette région, un petit nuage passât entre ces rayons et mon œil, cinq minutes après, quoiqu’il n’y eût plus alors de nuage entre sirius et mon œil, je cesserois de voir cette étoile ; parce que cet instant-là seroit celui où les rayons seroient parvenus à mon œil, s’ils n’eussent pas été interceptés cinq minutes auparavant. Et il arriveroit souvent que, par un temps fort serein, où il n’y auroit que quelques nuages semblables, et fort éloignés les uns des autres, l’on verroit certaines étoiles disparoître tout à coup ; quoiqu’il n’y eût actuellement aucun nuage entre ces étoiles et le spectateur. Or, cela n’arrive jamais. Ainsi, le temps que la lumière emploie à venir de la région des nuages jusqu’à nous, est tout-à-fait insensible.

(d) On y réussit moins par un coup très fort, que par un coup vif et sec. Ceci est manifestement contraire à l’expérience. Si, au jeu de mail, vous donnez un coup sec à la boule, vous ne la chassez pas aussi loin que si vous prolongez un peu plus le coups et il en est de même de plusieurs autres jeux où l’on emploie aussi des corps élastiques. Voici la raison qu’en donne Camus, trait des forces mouvantes, Lorsque vous donnez à un corps élastique un coup vif et sec, les parties opposées à celles qui ont reçu le coup, réagissent et se meuvent vers le point frappé ; ce qui est autant de perdu pour le mouvement eu avant. Mais, outre que cette prétendue explication ne s’accorde point avec la véritable loi des corps élastiques (laquelle, dans le cas supposé, alloue au corps choqué le double de la vitesse commune, qui est égale au quotient de la quantité de mouvement du corps choquant, divisée par la somme des masses), une autre raison du même effet, qu’il semble n’avoir pas aperçue, et qui est plus directe en même temps qu’elle est plus vraie, c’est celle-ci : Lorsque le coup donné à la boule est vif et sec ; la puissance alors n’étant appliquée au mobile que dans un instant extrêmement court, et le mobile se détachant d’elle aussi-tôt, elle n’agit sur lui que dans cet instant si court où elle le touche. Mais, lorsque le coup est un peu prolongé, la puissance qui alors suit le mobile pendant quelque temps, y est ainsi appliquée pendant un certain nombre d’instans égaux au premier. Dans le second, le cinquième, etc. instant, elle lui communique de nouveaux degrés de vitesse qui se joignent au premiers et de cette accumulation de degrés résulte une accélération de mouvement, analogue à celle que produit la force de pesanteur, dans un corps qui tombe, au toute autre force constante appliquée à un corps quelconque.

(e) Si ce n’étoit la vitesse prodigieuse de l’esprit, et la lenteur de la masse corporelle à résister. À quoi l’on peut ajouter que l’esprit animal étant un fluide très subtil, et qui pénètre aisément la totalité du corps ou de la partie mise en action, son mouvement peut ainsi se distribuer plus exactement et plus complètement à toutes les petites parties de cette partie, ou du corps tout entier ; distribution qui n’est rien moins qu’une circonstance indifférente. Car l’expérience nous apprend que de deux fardeaux de même poids, le plus aisé à porter c’est le plus volumineux, pourvu toutefois que son volume ne soit pas excessivement grand, qu’il ne le soit pus assez pour empêcher de le saisir et de le porter commodément ; et cela toujours par la même raison, qu’à la faveur de ce plus grand volume, son poids est distribué à un plus grand nombre de parties du corps, et qu’un plus grand nombre de parties de ce fluide vivifiant qui contracte la fibre, et qui est le principe de tout effort, peuvent alors résister à ce poids. Au lieu qu’un fardeau très pesant et de peu de volume, écrase les parties auxquelles il est appliqué, et n’est balancé que par la force de cette très petite portion du fluide vivifiant, qui peut se loger dans ces parties.

(f) Car, tant que ces fluides sont pénétrés d’un esprit plein de vie, de force et d’activité, etc. Si, au lieu de ces figures et de ces expressions poétiques, déplacées en physique, et qui n’expliquent rien, Bacon nous disoit comment cet esprit peut empêcher les parties homogènes de se réunir, notre esprit seroit un peu plus satisfait. Or, cette explication si difficile à saisir, il n’est pas impossible d’en approcher. 8i nous en croyons Hippocrate, où plutôt notre expérience, de ces différentes forces qui nous vivifient et qui exécutent toutes nos fonctions, la principale est une force expulsive (vis expultrix, c’est l’expression de Galien) ; et ce qui semble le prouver, c’est que, dans tous les cas où la force vitale reçoit quelque grand accroissement, toutes les excrétions sont augmentées considérablement ; ce qui ne pourrait être, si la force qui agit en nous ne chassoit du centre à la circonférence *. Or, cette force ne pouvant résider dans le néant, et rester, pour ainsi dire, en l’air, elle réside sans doute dans un fluide assez subtil, pour pénétrer aisément dans les vaisseaux les plus étroits, fuide qui est en même temps très expansile et très expansif, c’est-à-dire, qui a la propriété de se dilater lui-même, et de dilater les corps qui en sont pénétrés. Or, si telle est la propriété de ce fluide, il n’est pas fort étonnant qu’il tienne écartées les unes des autres les parties homogènes de notre sang ; qu’en empêchant ainsi les parties de chaque espèce de se réunir à celles de même espèce, et en les forçant à se mêler ou à rester mêlées avec celles d’espèce différente, il empêche, par cela même, la décomposition du tout. Dès-lors, il n’y a plus rien ici d’abstrus ni de mystérieux, sur-tout si l’on suppose que ce fluide animal n’est autre que la matière solaire (ou seule, ou combinée avec quelque autre), dont nous sommes continuellement à portée d’observer les effets qui, considérés en masse, peuvent être tous compris sous les dénominations communes de répulsion, d’expansion et de développement.

(g) Et cela sans communication de substance. Qu’en savez-vous ? De ce que vous ne voyez point de substance communiquée, vous concluez qu’il n’y a point de communication de substance. Mais ne se pourroit-il pas que la vertu magnétique résidât dans un fluide, comme la vertu électrique, ou du moins en fût dépendante ; et que le frottement mettant ce fluide en mouvement, le fit passer dans le fer, à peu près comme le verre frotté transmet au conducteur qui est en contact avec lui, ou qui en est peu éloigné, son propre fluide, ou celui des corps environnans, ou l’un et l’autre ; avec cette différence que le fluide magnétique demeurât invisible, et ne fût sensible que par ses effets ? On sait que, dans ces derniers temps, on est parvenu à aimanter des aiguilles de fer ou d’acier (du moins quant à la polarité), en leur faisant éprouver une forte commotion, et à changer à volonté leurs pôles, en leur donnant cette commotion par les deux extrémités opposées alternativement *2. Le fluide électrique, disent quelques physiciens, traversant rapidement l’aiguille dans le sens de sa longueur, y produit une certaine disposition. Mais, peut-être aussi, la commotion y fait-elle passer et rester certain fluide ; par exemple, le fluide même qui l’occasionne. Lorsqu’ayant fait communiquer avec un conducteur chargé d’électricité, un corps an-électrique, et isolé, vous voyez le dernier attirer les corps légers, puis les repousser : si l’on vous demande quelle est la cause de ces phénomènes, vous répondez que c’est le fluide électrique, parce que vous voyez ce fluide passer du conducteur dans le corps isolé, pour peu qu’ils soient voisins l’un de autre, et sans se toucher. Eh bien ! lorsqu’ayant fait passer ce même fluide dans une aiguille de fer, vous voyez cette aiguille acquérir la polarité, pourquoi ne faites-vous pas la même réponse si clairement indiquée par le fait ? Toutes ces explications négatives se réduisent à dire : ce que je ne vois pas, n’existe point ; et l’on tombe dans ce paralogisme, dès que, s’éloignant trop de l’observation, on donne tout au raisonnement et aux suppositions. À quoi bon vouloir tout expliquer, leur dirois-je ? Donnez le fait, on vous fait grâce de l’explication ; ou, donnez-la pour ce qu’elle est, pour une simple conjecture, destinée à provoquer et à préparer observation, non à la suppléer, lorsqu’elle est possible. La vraie méthode est de ne tirer de l’observation que des conséquences immédiates, et de ne se permettre de déduire de celles-ci, d’autres conséquences même immédiates, qu’après avoir vérifié et comme sanctionné les premières par de nouvelles observations. C’est le bâton de l’aveugle dans la main d’un homme clairvoyant et circonspect.

(h)  Il paroît aussi que ces effervescences et ces inflammations qui ont lieu dans le sein du globe terrestre, etc. Pour entendre plus aisément ce passage ; il faut se rappeler ce que nous disions dans une des notes précédentes, que Bacon avoit probablement adopté cette opinion de plusieurs philosophes anciens : que l’espace où roulent les corps célestes est la région du chaud, et que la terre est naturellement froide : ils l’appelloient même le premier froid, comme ou le voit dans le traité qui porte ce nom, et qu’on attribue à Plutarque ; ce qui est à peu près la même chose que si l’on attribuoit à J. J. Rousseau le système de Newton, mais qui pourroit appartenir à Parménide ou à Empedocle, les deux philosophes parmi les anciens qui aient le mieux senti l’insuffisance de l’hypothèse d’un seul principe d’action pour rendre raison de la vicissitude des choses ; et la nécessité de supposer dans la totalité de l’univers, et dans ses moindres parties, la présence perpétuelle des deux forces diamétralement opposées, et alternativement prédominantes, dont nous parlons si souvent. Quoi qu’il en soit, des deux phénomènes dont il s’agit ici, l’un s’explique aisément par la supposition du feu central ; et pour expliquer l’autre, il suffit de supposer que la chaleur produite par les rayons directs du soleil, la seule qui se fasse sentir dans la région moyenne de l’air, est très foible ; et que celle qui règne en certains temps et en certains lieux, à la surface du globe, a pour cause l’action concourante et multipliée des rayons solaires réfléchis vers les mêmes points, et rendus convergens par les matières spéculaires qui se trouvent convenablement disposées.

(i) En sorte qu’il y à là une sorte de gouvernement et de police. Considérant l’effrayante complication des moindres composés, et le peu de proportion qui se trouvoit entre les limites de mon esprit et le nombre infini d’observations, de relations et de combinaisons qu’il faudroit embrasser pour devenir vraiment savant en quelque genre que ce fût ; et convaincu que les parties de ce vaste univers, toutes immédiatement ou médiatement contiguës les unes aux autres, toutes sans cesse agissantes et réagissantes les unes sur les autres, étant ainsi nécessairement toutes causes et effets ; buts et moyens, principes et fins les unes des autres, tout tient à tout, et il y a de tout dans tout *3 : que les véritables sciences, toutes contiguës les unes aux autres, comme les parties de l’univers qu’elles représentent, sont les membres également nécessaires d’un seul corps indivisible et immense qui déborde en tout sens l’étroite capacité de l’entendement humain : enfin, que les diverses sciences étant moins la considération des différentes parties de l’univers, que les différentes manières d’en considérer chaque partie pour savoir à fond une seule chose, il faudroit savoir tout ; alors je commençai à savoir que je ne savois rien, et à croire que je ne pouvois rien apprendre. Il me paroissoit impossible d’acquérir sur le sujet le plus limité des connoissances suffisantes, s’il n’existoit quelque voie plus abrégée que ces longues analyses auxquelles je me croyois condamné, et où je ne voyois ni commencement ni fin. Mais ensuite je m’aperçus qu’il se trouvoit dans chaque composé un élément dominant, une sorte de roi qui, bien connu et bien travaillé, mettoit en état d’acquérir sur les autres élémens les connoissances nécessaires, et d’agir sur tous avec peu de moyens, avec de petits moyens, quelquefois même avec un seul et fort commun. Ce principe une fois bien senti, et sachant désormais par où commencer et par où finir, je me disois, par exemple, en m’exerçant sur un petit composé pour apprendre à opérer sur les grands avec facilité : Qui este qui mène la France ? c’est telle société. Qui est-ce qui mène cette société ? c’est tel homme que tous les autres écoutent et copient, qu’ils craignent ou admirent, où plutôt qu’ils admirent, parce qu’ils le craignent ; c’est donc cet homme qu’il faut étudier et travailler pour être utile à la France. Reste à découvrir la femme qui gouverne cet homme ; enfin, à se procurer le chiffon qui séduit, ou à trouver le mot qui réduit, cette femme ; et alors tout sera fait. Il en faut dire autant des composés physiques, sur-tout des composés organiques, où la partie dominante est presque toujours la pire. Qui connoîtroit aussi-bien le principe d’action de cet univers, que nous connoissons celui de notre imperceptible contrée, pourroit peut-être, avec un seul doigt, ébranler le monde entier.

(k) Ce mouvement-là se présente à notre esprit, et nous paroît devoir être constitué en espèce. N’est-il pas surprenant que le grand homme auquel nous serons d’interprète, n’ait pas senti qu’un mouvement qui se trouve tout à la fois dans l’atmosphère, dans les eaux de l’océan, dans le pouls de l’homme (c’est-à-dire, dans le cœur et les artères), dans la poitrine, dans les doigts qui écrivent le contraire ; dans la bouche qui le nie, et d’autant plus fréquent, qu’elle le nie avec plus de chaleur ; dans tous les mouvemens de tous les animaux, dans tout le système solaire, du moins à la surface des planètes, dont toutes les parties sont alternativement dilatées et contractées, et peut-être dans le monde entier, comme nous verrons plus bas : n’est-il pas, dis-je, surprenant qu’un si grand génie, toutes ces choses bien considérées, n’ait pas senti qu’un mouvement si universel mérite non-seulement une place dans son énumération, mais même la première ? Car la plupart des dix-neuf mouvemens qu’il dénombre et définit dans cet aphorisme, rentrent dans l’une ou l’autre des deux parties de ce mouvement de trépidation, de vibration, dont il est ici question, ou dans toutes les deux, comme il nous serait facile de le faire voir.

(l) Il se trouve nécessairement dans tous les corps qui, étant dans un état de suspension entre des avantages et les inconvéniens, etc. Les avantages et les inconvéniens n’existent que pour les êtres animés, qui peuvent les sentir, les comparer et se déterminer d’après cette comparaison. Les corps inanimés ne sont pas susceptibles de semblables motifs ; et il ne faut attribuer des mouvemeus purement méchaniques qu’à des forces de même nature. Nous ne saurions trop le redire, toutes ces expressions morales n’expliquent rien en physique, et accoutument à s’y payer de mots. Ne vaudroit-il pas mieux (à l’exemple de Zoroastre, de Parménide, d’Empédocle, de Telèse, de KirKer, de l’auteur de la Balance naturelle, et de tous ceux qui ont senti l’insuffisance de l’hypothèse d’un seul principe d’action, pour expliquer la succession alternative des mouvemens opposés et toutes ses conséquences), supposer que ce mouvement de trépidation ou de vibration, cette succession alternative de Systole et de Diastole, dont notre auteur veut rendre raison, a pour cause la présence perpétuelle de deux forces, alternativement supérieures, répandues dans la totalité de l’univers et dans ses moindres parties, et dont des directions sont diamétralement opposées ; l’une, attractive et contractive, agissant de la circonférence au centre ; l’autre, répulsive et expansive, agissant du centre à la circonférence ; forces dont chacune combat l’autre perpétuellement, sans pouvoir jamais l’anéantir ; et dont la prédominance alternative ; en faisant subir à l’univers entier une continuelle métamorphose, y maintient sur un fonds matériel, indestructible et toujours le même, un éternel équilibre : puis à cette première supposition ; ajouter les suivantes, tout aussi nécessaires, et qui sont ou des faits généraux, ou des conséquences immédiates de l’observation.

1°. Passé un certain degré d’accroissement, un certain maximum, chacune des deux forces diminuant en conséquence de son accroissement même, les circonstances ou conditions nécessaires à son action, se fait ainsi obstacle à elle-même, augmente, par cela seul, les conditions favorables à l’action de son opposée, et lui donne enfin l’avantage, que l’autre, par une gradation toute semblable, lui cède à son tour ; et c’est ainsi que chacune prédomine alternativement.

2°. L’action de l’une de ces deux forces ; savoir : de la force répulsive ou expansive, est intermittente, et, pour ainsi dire, à coups, par saccades, ou par ondulations vives et instantanées (si l’on veut embrasser, d’une seule vue, les actions qui ont lieu selon tous les rayons de la sphère dont le corps expansif occupe le centre), supposition conforme à celle qu’a faite Euler on expliquant les phénomènes de la lumière.

Le chaud et le froid ne sont que deux cas particuliers de ces deux actions combinées ; ce sont deux mouvemens de vibration, l’un accompagné de dilatation, et l’autre, de contraction, comme Bacon le suppose, ou plutôt le conclut lui-même dans sa première vendange.

4°. Actuellement s’agit-il de la réalité de ces deux forces, c’est-à-dire, de trouver les sujets réels dans lesquels elles résident, ils ne sont pas difficiles à découvrir. La force contractive et continue n’est autre que l’attraction newtonienne, résidante dans toutes les parties de la matière que nous appelons inerte, et dont sont, en grande partie, composés notre propre corps ; tous ceux des trois règnes, notre globe pris en entier, ainsi que les autres planètes, leurs satellites, les comètes, etc. et probablement aussi certaine portion de chaque soleil. La force expansive et intermittente réside dans toutes les parties de la matière que nous appelons active *4, dont sont, en grande partie, composés les soleils sans nombre dont l’espace est semé ; et dans toutes leurs émanations, soit dans celles qui flottent librement dans l’espace, soit dans celles qui se trouvent disséminées entre les parties de la matière inerte, qu’on peut regarder comme autant de petits soleils qui représentent le grand ; et dont l’action, lorsqu’elle est libre, est analogue à celle de cet astre *5.

5°. J’appelle réaction vive, ou le mouvement par lequel les parties de la matière inerte, après avoir été écartées les unes des autres par la force répulsive des molécules de la matière active, tendent à se rapprocher ; à se porter vers celles de leur espèce ; ou celui par lequel les molécules de la matière active, après avoir été serrées et comme pincées par celles de la matière inerte, étant délivrées de leur prison, par la jonction d’autres parties de leur espèce, qui rend leur action supérieure, ou par le relâchement de l’assemblage du composé où elles se trouvent etc. obéissent à leur force répulsive ou expansive, se repoussent réciproquement, et écartent les parties de la matière inerte qui les environnent. J’appelle réaction morte celle du grand Newton, c’est à-dire, celle par laquelle un corps tend à persévérer dans son état actuel, soit de repos, soit de mouvement, et résiste à tout changement. La dernière n’est qu’une cause conditionnelle de toute action ; un corps inerte fait, par sa résistance même, qu’il y a une action ; vu qu’il ne peut y avoir d’action sans une résistance à vaincre : au lieu que l’autre est un mouvement réel et positif, soit actuel ; soit dispositif *6.

Ces suppositions une fois admises, il est facile d’expliquer et le mouvement de trépidation ou de vibration dont il s’agit dans cet article, et les mouvemens circulaires qui n’en sont que les effets ou les combinaisons ; et ce qui paroitra plus étonnant, la figure constante des constellations ; explication qui sera organisée de manière qu’elle deviendra une nouvelle preuve de la nécessité de supposer, avec les forces attractives, des forces répulsives aussi générales.

1°. L’on conçoit aisément que, dans un composé que la chaleur dilate, chacune de ses molécules ayant obéi à la force expansive qui l’a un peu éloignée du centre, dès que cette force intermittente cesse d’agir, la force opposée, ou contractive et continue, s’emparant de cette molécule, la meut dans une direction contraire à la première, et la rapproche du centre en la portant même à un point qui en est un peu moins éloigné que celui d’où la force expansive l’avoit tiré ; qu’ensuite celle-ci la reprenant, la porte à un point un peu plus éloigné du centre que celui où elle l’avoit portée dans la première vibration ; et ainsi de suite, Qu’au contraire, dans un composé qui se contracte par le froid, la force contractive, quoique balancée dans chaque vibration par la force expansive et intermittente, qui, dans les instans où elle agit, éloigne du centre la molécule, gagne sur celle-ci une petite quantité ; et que, dans une suite de semblables vibrations, elle rapproche de plus en plus chaque molécule du centre du composé : supposition qui montre la manière dont le mouvement de vibration ou de trépidation peut se combiner également avec le mouvement expansif et le mouvement contractif, comme Bacon l’avoit conclu dans sa première vendange ; et qui d’ailleurs est parfaitement d’accord avec l’ordre connu de la nature, où nous voyons que tout recule en avançant, ou décroit en croissant ; et avance en reculant, ou croit en décroissant ; mais en avencant ou croissant, dans un cas, plus qu’il ne recule ou ne décroît, et en reculant ou décroissant, dans le cas opposé, plus qu’il ne croit ou n’avance. On en voit un exemple dans la manière dont la chaleur et la lumière croissent du solstice d’hiver au solstice d’été ; et décroissent ensuite du dernier au premier. Il en est de même de tous les phénomènes vitaux, de nos sensations, de nos passions, de nos pensées, de nos talens et de nos défauts, de nos vertus et de nos vices, de la réputation et de la fortune des individus, du progrès et de la décadence des empires, de tout, en un mot. C’est une grande clef, et dans la nature ; il n’y a point de vraie continuité, tout marche par saccades et par élans. Tout recule, pour sauter plus loin ; et tout, pour avoir sauté trop loin, est ensuite forcé de reculer : tel le monde de l’homme, tel le monde entier.

2°. Les mouvemens révolutifs s’expliquent avec la même facilité. Par exemple, s’il s’agit du corps humain et de la circulation du sang, l’on conçoit aisément que le fluide vivifiant, l’esprit animal, en un mot, (qui paroit n’être autre chose qu’une certaine portion de la matière solaire, modifiée par les fluides du corps, mais sur-tout par une autre substance aériforme et de nature aqueuse ou aérienne avec laquelle elle est plus ou moins combinée) ; que cet esprit, dis-je, extrait du sang, par le cerveau, et de l’air atmosphérique, par les poumons, une fois dérivé au cœur avec le sang qui en est tout pénétré ; et dans certain cas, appelé à cet organe par les nerfs (comme par la voie directe), et en plus grande quantité, se déploie dans chaque ventricule alternativement par une sorte d’explosion analogue à celle de la poudre à canon, et le dilate. Puis, les fibres dont est composé cet organe presque tout musculeux, se contractant en vertu de leur ressort naturel, c’est-à-dire, de la force de cohésion ou d’attraction, pat laquelle toutes leurs parties tendent à s’unir, où du moins à se rapprocher, la capacité du ventricule, qui avoit été augmentée par la dilatation, est diminuée ; contraction et diminution de capacité d’où résulte l’impulsion du sang dans les artères ; savoir : du ventricule gauche, dans les deux branches, haute et basse, de l’aorte ; et du ventricule droit, dans l’artère pulmonaire. Puis le sang revient des extrémités, hautes et basses, dans le ventricule droit, y occasionne une seconde explosion et une seconde dilatation, suivie d’une seconde contraction, et ainsi de suite : les artères combinées avec les veines, formant deux longs canaux qui, eu s’abouchant par leurs extrémités, forment ainsi un seul canal, continu, rentrant sur lui-même et fermé *7. De ces oscillations des deux ventricules du cœur, lesquels alternent l’un avec l’autre, et dont chacun alterne avec son oreillette respective, il doit résulter et il résulte en effet un mouvement de circulation dans toute la masse du sang : mouvement qui a également lieu dans toute l’étendue des limites du globe terrestre, mais par un méchanisme un peu différent.

3°. Par exemple, les eaux de l’océan, des rivières, fleuves, lacs, etc. dilatées, atténuées et sublimées par l’action des rayons solaires et par celle des vents, après avoir flotté durant quelque temps dans l’atmosphère, sous la forme de vapeurs, tantôt visibles, tantôt invisibles, s’élevant jusqu’à la moyenne région de l’air, où règne en tout temps un froid glacial, s’y condensent et s’y réunissent en gouttes de pluie, en grêlons, en flocons de neige, etc. puis retombant, ou immédiatement dans les ruisseaux, les rivières, les fleuves et la mers ou, médiatement, par la pente des montagnes, retournent, par les lits de ces grands et petits courans, à la mer d’où elles sont sorties en grande partie, et sortiront de nouveau en vertu des mêmes causes, pour y retourner encore par les mêmes chemins.

4. Les débris de tous les composés qui se trouvent à la surface de notre globe, flottent dans l’atmosphère pendant un certain temps, et y circulent aussi par des causes et un méchanisme fort analogues. Car toutes les régions de cette surface, sur-tout les deux zônes tempérées, se trouvent placées entre les extrêmes du chaud et du froid, soit de haut en bas, soit dans la direction des méridiens. Or, comme la force contractive, dont le maximum est au nord, en tout temps (du moins pour notre hémisphère), et dans la moyenne région de l’air, durant l’été, ou à la surface de la terre, durant les grandes gelées, est rarement en équilibre avec la force expansive, dont le maximum est dans la zone torride eu tout temps ; et à la surface de la terre, durant l’été, ou dans la moyenne région de l’air, durant les grandes gelées, il doit résulter de cette rupture continuelle de l’équilibre, des mouvemens alternatifs de haut en bas ou de bas en haut, et dans la direction des méridiens. Enfin, comme l’allée et le retour de ces fluides ne se font jamais précisément sur la même ligne, il en doit résulter des mouvemens de circulation dans les deux sens.

5°. Il ne seroit pas non plus difficile de faire voir que le mouvement de circulation des planètes autour du soleil peut résulter de la combinaison de deux mouvemens alternatifs, dans deux plans tout-à-fait ou presque perpendiculaires l’un à l’autre. Car, si, ayant mis en vibration un pendule, on donne à la balle un petit choc latéral, tendant à lui faire faire d’autres vibrations, dans un plan perpendiculaire ou oblique au premier, elle décrira ou un cercle, ou une espèce d’ellipse, plus ou moins alongée *8. Mais, pour faire voir quels sont, dans les planètes, ces deux mouvemens de vibration, et quelles sont leurs causes, il faudroit se jeter dans un raisonnement fort composé ; il faudroit de plus attaquer, non pas le fond du système de Newton, qui est inébranlable, mais telle de ses parties, par exemple, la supposition du mouvement projectile, et par conséquent entrer dans des discussions qui excéderaient certainement les limites d’une note où d’un commentaire, et peut-être aussi celles de notre esprit. Il est plus difficile de raisonner beaucoup sur un tel sujet, sans se tromper, que de se taire ; et l’ignorance vaut mieux que l’erreur. Ainsi, nous nous bornerons pour le moment à un raisonnement extrêmement simple qui tend plus directement à notre but.

6°. Depuis deux où trois mille ans que les Asiatiques ou les Européens font des catalogues célestes, les étoiles se maintiennent toutes ou presque toutes dans des situations et à des distances respectives à peu près les mêmes. Or, je dis que, si tous ces soleils semés dans l’espace s’attiroient réciproquement, ils ne resteroient pas long-temps dans les mêmes situations et aux mêmes distances respectives ; car un certain nombre de corps ne peuvent rester long-temps dans les mêmes situations ; etc. que dans trois cas.

1°. Lorsque chacun de ces corps étant comme parfaitement isolé, il ne tend vers aucun autre Corps, et aucun autre corps n’agit sur lui. Comme alors chacun de ces corps n’est plus en prise à aucune cause qui puisse le mouvoir et le déplacer, ils doivent tous rester où ils sont.

2°. Lorsque tous ces corps sont en équilibre entr’eux, et y demeurent constamment, c’est à-dire, lorsque toutes les actions exercées sur chacun d’eux (les masses, l’intensité des forces, et les distances aux points d’appui, ou aux centres communs de gravitation, se compensant parfaitement), sont parfaitement égales. Car alors, chacun n’étant déterminé par aucune cause à se mouvoir vers tel de ceux qui l’environnent, plutôt que vers les autres, doit nécessairement rester où il est, comme si aucune cause n’agissoit sur lui.

3°. Lorsque les forces avec lesquelles ces corps agissent les uns sur les autres, sont de telle nature que, dans le cas même où ces actions cesseroient d’être égales, et où l’équilibre résultant de leur égalité seroit rompu par quelque cause intérieure où extérieure, ces forces mêmes tendroient à rétablir l’équilibre qui en est l’effet.

Or, 1°. nous pensons avec Bacon et tous les grands hommes qui l’ont précédé ou suivis qu’aucun être n’est isolé ; qu’il n’est point d’île dans l’univers ; que tous les corps, sans exception, et quel que soit leur éloignement respectif, agissent et réagissent, peu ou beaucoup, les uns sur les autres.

2°. Il n’est point dans la nature d’égalité mathématique, d’égalité parfaite, même entre deux corps, à plus forte raison entre une multitude innombrable de corps ; telle que peut être celle des soleils semés dans l’espace.

3°. La loi le plus générale et la plus invariable que nous connoissions dans la nature, c’est la tendance perpétuelle et irrésistible du système entier, de toutes les parties de la matière à changer ; et si, à certains égards, elle est susceptible de constance à d’autres, elle varie sans cesse, sur-tout par rapport à la quantité de substance où d’action réunie dans chaque corps, grand ou petit. Si donc l’égalité de force ou d’action, que nous supposons entre ces soleils, avoit lieu un instant, elle ne pourroit subsister.

4°. Reste donc le troisième cas, Or, je dis que, si les forces que les soleils exercent les uns sur les autres, étoient attractives, l’équilibre une fois rompu, ces forces mêmes tendroient à le rompre, et le romproient en effet de plus en plus ; que la plus petite altération dans un seul de cette multitude innombrable de soleils, finiroit par rompre l’équilibre universel, et par replonger l’univers entier dans le chaos. En effet, pour peu qu’un seul de ces soleils éprouvât de diminution dans sa masse, soit par quelque explosion, ou par toute autre cause tendant à la diminuer, et à augmenter d’autant celle des soleils environans ; dès-lors ce soleil, ainsi diminué, tomberois sur le plus gros, ou, en général, sur le plus fort de ses voisins, par un mouvement accéléré, dont l’accélération iroit toujours en augmentant, et à la fin s’y réuniroit. Puis, ce dernier, ainsi augmenté en masse et en force, attireroit, d’années en années les soleils voisins, avec bien plus de force qu’il n’auroit attiré le premier : il les attireroit avec une force et une vitesse qui croîtroient en raison composée de l’inverse des quarrés des distances qui iroient toujours en décroissant, et de la directe de sa masse qui augmenteroit continuellement, par l’addition successive de tous les soleils voisine et éloignés ; les premiers tirant, de proche en proche, tous les autres après’eux. À la longue, tous ces soleils tombant les uns sur les autres, en entrainant avec eux comètes, planètes, satellites, etc. et tous sur celui qui le premier auroit attiré un de ses voisins, ne composeroient plus enfin qu’une sphère unique, immense et toute de feu, qui s’arrêterait on ne sait où, jusqu’à ce qu’une seule et grande explosion, ou plusieurs explosions successives redistribuassent le feu dans l’espace à peu près comme il l’est aujourd’hui ; et c’est peut-être là ce vaste incendie, cette conflagration universelle que le grand Héraclite a prédite, sans nous dire sur quelles raisons il fondoit cette conjecture. Quoi qu’il en soit, pour peu qu’un seul de ces soleils éprouvât de déchet, l’équilibre se romproit ; avant qu’un soleil tombât tout-à-fait sur l’autre, non-seulement on le verroit s’en approcher sensiblement ; mais tous les soleils voisins s’approchant alors du centre commun de gravitation de ces deux soleils, entraineroient de proche en proche, et déplaceroient successivement tous les autres, en se déplaçant eux-mêmes.

Actuellement je demande s’il est probable que, sur cette multitude de soleils, aucun, pas un seul sur un si grand nombre, n’éprouve jamais de diminution ; cette supposition, si l’on considère la tendance universelle et irrésistible de la matière au changement, est si peu vraisemblable, qu’elle peut même passer pour absurde. Or, comme nous le disions plus haut, depuis deux ou trois mille ans qu’on fait des catalogues célestes, voit-on un certain nombre d’étoiles s’approcher sensiblement d’une d’entr’elles ? Non ; donc elles ne s’attirent pas réciproquement, et ce n’est point une attraction réciproque qui les maintient ainsi à des distances et dans des situations respectives, toujours à peu près les mêmes *9.

Si au contraire l’on supposoit, comme l’expérience y invite, que la force qui maintient si constamment en équilibre tous ces soleils, est une force répulsive, expansive et écartante ; dès-lors, quand un soleil, en vertu d’une cause quelconque, commenceroit à tomber sur un autre soleil, comme en s’en approchant, il seroit soumis à l’action combinée de deux forces répulsives qui iroient toujours en augmentant, et qui toutes deux tendroient de plus en plus à l’écarter de l’autre soleil, elles le forceroient ainsi à s’arrêter au point de l’espace où cette double force seroit en équilibre avec la force qui tendroit à l’en rapprocher : et ce que nous disons de ces deux soleils, il faut le dire de tous les autres.

Il paroit donc que la figure constante des constellations, et la situation fixe de tous ces soleils qui demeurent toujours à peu près dans les mêmes situations et aux mêmes distances respectives, à pour cause un certain équilibre de forces répulsives qui se sera établi avec le temps, après bien des allées et venues, des balancemens ou oscillations dans l’espace. Chaque tourbillon ou système solaire est comprimé par ceux qui l’environnent ; tous se contretiennent, et rien ne bouge. La force répulsive de la matière de chaque soleil est comme infiniment petite, lorsqu’elle arrive à un autre soleil, vu la prodigieuse distance qui les sépare ; mais la matière que lance vers lui chacun des autres soleils ; n’ayant pas plus de force, elles se balancent aussi bien réciproquement que si elles étoient plus fortes ; l’équilibre dépendant moins de l’intensité absolue des forces et des actions contraires, que de leur égalité.

Il y a donc dans la nature des forces répulsives aussi générales que les forces attractives, comme nous l’avons supposé : supposition qui ; étant d’accord avec la dilatation opérée chaque jour par notre soleil à la surface de notre globe *10, peut être admise en attendant quelque chose de plus certain. Or, comme nous l’avons fait voir en commençant ; la supposition des forces répulsives, combinée avec celle des forces attractives, suffit pour expliquer, d’une manière très méchanique et très satisfaisante, non-seulement ce mouvement de trépidation ou de vibration dont il s’agit principalement dans cet article, et dont notre auteur veut rendre raison, mais même les mouvemens révolutifs qui en sont l’effet. Ainsi nous n’aurons pas besoin de supposer, comme lui, des corps inanimés qui ont des amours et des haines, des désirs et des craintes, un but et des projets ; qui balancent les avantages et les inconvéniens, qui hésitent, qui doutent, qui réfléchissent.

(m) Dans Les corps que nous connaissons, il n’est point de veritable repos ; ce à quoi l’on donne ce nom, n’est qu’une apparence. Parmi les grands corps que nous connoissons, nous ne distinguons que quatre espèces ; savoir : les soleils, les planètes, leurs satellites et les comètes *11, qui, à proprement parler, ne sont que des planètes à grande révolution, à ellipse fort alongée. Or, les soleils étant tous dans un état habituel d’inflammation, leurs parties sont dans une agitation perpétuelle, sans compter que le nôtre fait en vingt-cinq jours et demi une révolution autour du centre commun de gravitation de tout le système, lequel est dans l’intérieur de cet astre. Les planètes les plus connues ont toutes un mouvement de rotation ou diurne, et un mouvement de circulation ou annuel, leurs jours et leurs années étant de différentes durées ; mais toutes, sans exception, ont un mouvement de circulation. De plus, les satellites ou planètes du second ordre, ayant un mouvement de révolution autour de leurs planètes principales, ont aussi chacun au moins trois mouvemens. Les comètes font aussi leurs révolutions autour du soleil : tous les petits corps qui font partie des unes et des autres, participent à leurs mouvemens ; et tous les corps qui sont à leur surface, ne fussent-ils soumis qu’à la dilatation et à la contraction alternatives, que la force expansive de la matière solaire et la force opposée y opèrent chaque jour, ils auroient déjà tous trois, quatre ou cinq espèces de mouvements. À quoi l’on peut ajouter tous ces mouvemens irréguliers qui peuvent résulter des attractions réciproques et combinées du tous ces grands corps. Ainsi, non-seulement il n’est point de repos absolu dans les corps que nous connoissons, mais même nous ne connoissons aucun corps qui n’ait qu’une seule espèce de mouvement.

  1. De radiation ou de rayonnement.
  2. Désunissent les parties l’une de l’autre, et se réunissent pour ne former qu’un seul tout.
  3. Lorsque le soleil, la terre et jupiter se trouvent sur la même ligne (ces deux planètes étant du même côté), cette dernière planète, appelant, pour ainsi dire, à elle le globe terrestre, doit allonger un peu la ligne des apsides et l’ellipse que la terre décrit cette année-là autour du soleil. En sorte que, si toutes les planètes étaient sur une même ligne ; savoir : vénus et mercure d’un côté du soleil, et la terre, la lune, mars, jupiter et saturne du côté opposé, alors saturne tirant à lui jupiter, qui tireroit à lui mars, lequel attireroit la lune qui attireroit aussi la terre du même côté, il résulteroit, de toutes ces attractions réunies uns altération très sensible dans le mouvement annuel de la terre, son orbite elliptique s’alongeroit considérablement, elle s’éloigneroit beaucoup du soleil, et se refroidiroit sensiblement. Mais, cet alignement cessant bientôt, la terre, semblable à un ressort qu’on abandonneroit à lui-même après l’avoir comprimé, se rapprocheroit du soleil à peu près autant qu’elle s’en seroit éloignée ; la chaleur augmenteroit à sa surface à peu près autant qu’elle auroit d’abord diminué ; et cette planète feroit des espèces de vibrations accompagnées d’une augmentation ou d’une diminution de chaleur, alternatives et réciproquement proportionnelles au quarré de la variation de sa distance à l’astre central. Il ne seroit même pas tout-à-fait impossible de déterminer le temps qui s’écoule entre les deux époques où cet alignement à lieu. Il semble que, pour avoir cette détermination, il suffiroit de chercher, pour chacune des quatre planètes dont nous parlons, les intervalles de temps écoulés entre plusieurs de ses oppositions diamétrales, prises deux à deux ; de prendre ensuite quatre termes moyens ; enfin de les multiplier les uus par les autres : et le produit total exprimeroit la distance entre les deux époques.

    Pour ce qui est de la quantité de l’éloignement et du rapprochement dont il s’agit, c’est au citoyen Lalande qu’il faut demander cette détermination ; ce problème ne seroit qu’un jeu pour lui, car Newton a pesé les quatre planètes ; et cette loi de Kepler (les cubes des distances de toutes Les planètes à l’astre central sont comme les quarrés de leurs temps périodiques) donne les distances respectives de Mars, de Jupiter et de Saturne ; quantités relatives qu’il est aisé de convertir en quantités absolues, à l’aide de la distance absolue de la terre au soleil, et de celle de la lune à la terre, qu’on a déterminées par le moyen de leurs angles parallictiques, et du rayon terrestre qui sert de base à l’arpenteur céleste.

  4. Voyez dans les vies de Plutarque la relation de l’entrée d’Alexandre dans Babylone.
  5. Dans mon voyage à Terre-Neuve, lorsque nous traversions la banquise ; c’est-à-dire, ce nombre infini de glaces, de toute forme et de toute grandeur, dont la mer, dans ces parages, est presque entièrement couverte, et qui s’étendent jusqu’à soixante, soixante-dix et même quatre-vingts lieues des côtes, j’observai qu’au moment où quelqu’une de ces masses énormes étoit, par rapport à nous, à peu près dans la direction du vent régnant, ce vent qui avoit effleuré et, en quelque manière, léché cette masse glaciale, étoit très froid et très pesant ; effet dont une partie se faieoit sentir, non-seulement à nous, mais même à nos voiles et à notre vaisseau, dont il augmentoit la vitesse, excepté à l’instant où la glace étant précisément dans la direction du vent, nous l’ôtoit en partie ; ce qui occasionnoit un calme de quelques minutes.
  6. Durant ce même voyage dont j’ai parlé dans la note précédente, en allant de Terre-Neuve à Marseille, lorsque nous approchions du cap Saint-Sébastien en Portugal ; nous vîmes, un matin à la pointe du jour, notre chien se tenir aux sabords en levant fréquemment le nez et flairant d’une manière marquée, ce qui nous fit juger que nous étions beaucoup plus près de terre que nous n’avions cru l’être d’après notre estime, En effet, une heure après, nous respirâmes nous-mêmes l’odeur de ces orangers et citronniers dont parle ici Bacon.
  7. Lorsque les rayons qui viennent de chaque point d’un corps lumineux par lui-même ou éclairé par réflexion, peuvent, après avoir été réfractés et rendus convergens par les trois humeurs de l’œil, se réunir assez pour ne former qu’une espèce de point sur la rétine ou sur la choroïde (car Petit, Jurin, Lecat et les autres écrivains qui ont traité cette matière, ne sont point d’accord sur la partie de l’œil qui est l’organe immédiat de la vue et le siège propre de la faculté visuelle), alors la vision est claire et distincte, Mais, lorsque les trois humeurs de l’œil étant trop réfringentes, les rayons, après les trois réfractions, sont trop convergens ; ils se réunissent trop tôt et en deçà de la partie sensible de l’œil. Au contraire, lorsque ces humeurs étant trop peu réfringentes, les rayons, après les trois réfractions, ne sont pas assez convergens, ils se réunissent trop tard et au-delà de cette partie sensible. Dans ces deux cas, au lieu de ne former qu’un point sur la partie sensible de l’œil, ils y forment un petit cercle ; et tous ces petits cercles empiétant les uns sur les autres, il en résulte une image confuse, et l’objet est vu confusément. C’est pourquoi l’on donne aux myopes, dont les humeurs trop réfringentes réunissent trop tôt les rayons lumineux, un verre concave qui, en les rendant moins convergens, fait qu’ils se réunissent plus tard ; et aux presbytes, dont les humeurs trop peu réfringentes les réunissent trop tard, un verre convexe qui, en rendant ces rayons plus convergens, fait qu’ils se réunissent plutôt.
  8. Parce que les humeurs de leurs yeux étant moins réfringentes que celles des yeux des jeunes gens ; il faut, pour que les rayons lumineux se réunissent sur la partie sensible de l’œil, qu’ils soient moins divergens lorsqu’ils entrent dans l’œil, et par conséquent qu’ils viennent d’un objet plus éloigné.
  9. Ce n’est pas que l’air, en pareil cas, ne puisse plus souffrir la compression ; car on le comprime bien davantage dans la crosse de l’arquebuse à vent, ou dans la capacité du vaisseau connu sous le nom de fontaine de compression ; et le docteur Desaguliers est parvenu à comprimer ce fluide douze cents fois plus qu’il ne l’est dans son état ordinaire et moyen : mais c’est que la vessie venant à se rompre, et l’air n’y étant plus retenu, il ne peut plus y être comprimé, quoiqu’il puisse l’être davantage dans des vaisseaux d’une plus grande résistance.
  10. On attribue ordinairement cette belle expérience à l’académie del Cimento en Toscane ; et ce n’est pas la seule qu’on ait dérobée à notre auteur, sans le citer, comme on le verra dans ses dix centuries d’histoire naturelle, dont nous publierons la traduction immédiatement après celle-ci.
  11. L’original dit : d’exemples à l’eau (ad aquam) ; mais, comme cette dénomination ressemble trop au cri de ces utiles et robustes citoyens qui distribuent presque gratuitement aux habitans de la capitale la plus insipide et la plus nécessaire de toutes les liqueurs ; nous avons cru devoir le changer.
  12. Ils mesurent les mouvemens en déterminent le temps que les corps emploient à parcourir des espaces connus, comme les exemples de la verge les mesurent en déterminant les espaces que les corps parcourent dans des temps connus.
  13. La véritable cause ici est bien la vitesse avec laquelle ils tournent ce vaisseau ; mais ce n’est pas seulement en tant que ce vaisseau, après avoir été retourné, revient à la situation droite, avant que la liqueur ait eu le temps de tomber ; c’est sur-tout lorsque le mouvement est fort vif, parce qu’en vertu de la force centrifuge, produite par ce mouvement, la liqueur tendant successivement à s’échapper par les tangentes aux différens points du cercle qu’elle décrit, elle presse ainsi le fond du vaisseau. Et comme, dans les instans où ce vaisseau est renversé, la force centrifuge est plus grande que la force de pesanteur, l’effet de la première l’emportant, la liqueur ne doit pas tomber.
  14. La durée de son passage est beaucoup plus courte que celle que devroit avoir l’impression de son image pour devenir sensible.
  15. La parallaxe d’un astre est l’arc céleste compris entre le point du ciel auquel un spectateur placé au centre de la terre rapporteroit le centre de cet astre, et le point auquel le rapporteroit un autre spectateur placé à la surface du globe : cet arc est la mesure de l’angle parallactique qui à son sommet au centre de l’astre ; et pour côtés, deux lignes tirées de ce centre à ces deux points du ciel ; angle égal à celui qui, ayant aussi son sommet au centre de cet astre, a pour base le rayon terrestre. C’est ordinairement de celui-ci qu’on se sert pour déterminer la distance de cet astre à la terre ; parce que, dans le triangle rectangle dont cet angle fait partie, on a une base connue ; savoir : ce rayon.
  16. Qu’il faut moins de temps pour rendre sensible l’impression de l’image visuelle, que pour faire cesser ce sentiment.
  17. L’eau n’acquérant pas d’abord toute la vitesse du mouvement imprimé au bassin, reste, pour ainsi dire, en arrière, et semble se porter vers le côté postérieur de ce bassins puis, quand elle a acquis toute cette vitesse, elle retombe et se remet de niveau.
  18. Selon toute apparence, Galilée, physicien de profession, et même le premier physicien de son temps, étoit beaucoup mieux informé de ces choses-là que le chancelier Bacon, qui, sur certaines parties de le physique, principalement sur l’astronomie ; et sur cette partie des phénomènes inférieurs qui s’y rapporte, ainsi que les marées, n’étoit pas même au courant de son siècle, comme je m’en aperçois fréquemment en comparant ses opinions avec une infinité d’observations qui alors avaient déjà été faites. Mais Galilée pensoit peutêtre que cette accumulation des eaux qui ne peut aller à l’infini, et qui a nécessairement un terme, parvient en six heures au point de son maximum ; et qu’ensuite, les eaux sont forcées de retomber peu à peu en six autres heures, pour se relever de nouveau et retomber encore. Cette explication sans doute n’est pas excellente ; mais il vaut mieux prêter de telles idées à Galilée, que le supposer, à l’exemple de notre auteur, mal instruit des faits qu’il connoissoit le mieux.
  19. Nous avons dit ailleurs qu’un des principaux moyens de la nature est la division et la subdivision. Mais comment la nature peut-elle opérer, à l’aide d’un grand nombre de petits corps, ce qu’elle ne peut faire à l’aide d’un petit nombre de grands, même en supposant la somme des quantités de mouvemens beaucoup moindre dans le premier cas que dans le second ? c’est ce que nous allons faire voir, 1°. Les petits corps ont, relativement à leur solidité, plus de surface que les grands : ainsi ; à proportion de leur solidité, ils ont plus de prise que les grands sur ceux qu’ils attaquent, et donnent aussi plus de prise à ceux par lesquels ils sont attaqués ; ils touchent et sont touchés par un plus grand nombre de points. 2°. Ils sont plus mobiles. 3°. Ils sont plus pénétrans : par exemple, un fluide dont les parties sont très déliées, peut agir à l’intérieur des corps comme à l’extérieur. 4°. Par cela même que des molécules très déliées trouvent moins d’obstacles, elles peuvent réitérer plus souvent leur action. 5°. Non-seulement la subdivision des corps les met en état de modifier les autres corps par des actions plus multipliées ; mais leurs parties ainsi détachées sont aussi plus actives : comme elles sont, en quelque manière, isolées, elles n’exercent et n’épuisent point leurs forces sur d’autres ; il leur en reste donc davantage pour agir. Par exemple, soient les trois particules A, B, C, qui aient la propriété de s’attirer réciproquement et d’attirer d’autres molécules analogues, si ces trois molécules se trouvant réunies et cohérentes forment un tout, comme alors chacune d’elles exerce et épuise même sa force attractive sur les deux autres, il ne lui en reste plus, ou presque plus pour agir sur une quatrième D, ou sur plusieurs autres. Au lieu que, si elle est isolée, toute sa force attractive lui restera pour agir sur les deux autres, ou sur d’autres encore également isolées D, E F, etc. ou sur un assemblage d’autres. Elle sera donc plus active. C’est une considération qui a trop souvent échappé aux plus grands physiciens.
  20. Dans un vuide parfait, elles emploieroient toutes deux précisément le même temps à tomber de la même hauteur ; mais, dans un fluide, dans l’air, par exemple, la balle de deux onces tombera un peu plus vite que l’autre. Car la vitesse de chaque balle est, toutes choses égales, en raison inverse de la résistance que lui oppose le milieu qu’elle traverse. La résistance du milieu est, toutes choses épales, en raison directe de la surface des corps qui le traversent. Or, les grands corps ont, proportionnellement à leur solidité, moins de surface que les petits ; car, les solidités des corps de figure semblable croissant comme les cubes de leurs diamètres ; et leurs surfaces, seulement comme les quarrés de ces mêmes diamètres, il s’ensuit qu’un corps, dont le diamètre est double, triple, etc. de celui d’un autre corps de figure semblable, a deux, trois, etc. fois moins de surface, relativement à sa solidité. De plus, la quantité de mouvement des corps qui tombent, est, abstraction faite de la résistance des milieux, en raison directe de leurs masses ; puisque, dans le vuide, ils tombent tous avec la même vitesse. Ainsi, quoique la surface de la grosse balle soit, absolument parlant, plus grande que celle de la petite et qu’elle perde, par la résistance de l’air, une quantité de mouvement plus grande que celle qui est perdue par la petite balle ; en vertu de la même cause ; cependant, comme la quantité de mouvement perdue par la grosse balle est plus petite, par rapport à la quantité totale de son mouvement, que la quantité de mouvement perdue par la petite balle ne l’est par rapport à la quantité totale du mouvement de celle-ci, il s’ensuit qu’après la soustraction des deux quantités de mouvement que perdent les deux balles par la résistance de l’air, le quotient de la quantité de mouvement de la grosse balle, divisée par sa masse, est plus grand que le quotient de la quantité de mouvement de la petite balle, aussi divisée par sa masse. Or, ces deux quotiens expriment les vitesses des deux balles, après cette soustraction. Donc la grosse balle doit tomber un peu plus vite que la petite.
  21. L’impénétrabilité de la matière.
  22. La dépression est une pression de haut en bas ; telle est celle qu’exerce un corps pesant sur celui qui le supporte.
  23. On a prouvé depuis, par une infinité d’expériences ; que tous ces effets devoient être attribués à la pesanteur de l’air
  24. De filasse, ou de papier un peu mâché.
  25. La nature de la matière, sous la forme de tel élément (par exemple, d’air, d’eau, de terre, ou, si l’on veut, de pierre, de métal, de laine, etc.), étant d’être de telle densité, d’avoir telle quantité de matière, sous tel volume, si, par une force extérieure, on rapproche ou éloigne les unes des autres les particules matérielles de tel composé spécifique, de manière que le tout occupe un plus grand ou un moindre espace, elles tendent naturellement à revenir aux points où elles étaient, et à faire reprendre au tout le volume qu’il avoit.
  26. À la vue d’un pareil style, je regimbe moi-même, et voudrois redevenir ce que j’étais ; c’est-à-dire, d’écrivain esclave des pensées d’autrui, écrivain libre de mes propres pensées. J’invite le lecteur à ne pas imputer au laquais la sottise du maître.
  27. Quelques physiciens ont adopté cette opinion, qui paroît assez fondée. Je me suis assuré, par moi-même, que les glaces des pays septentrionaux sont beaucoup plus compactes et plus dures que celles de nos climats. On conçoit que, si elles eussent été exposées à un froid plus continu et durant grand nombre de siècles, elles le seroient devenues encore davantage, et peut-être au point de ne pouvoir plus être fondues, que par un feu très actif. Si cette planète a fait autrefois partie du soleil, comme elle étoit alors dans un état de liquéfaction, il s’ensuit que les solides les plus durs qui s’y trouvent aujourd’hui, ne sont que des liquides gelés à force de siècles. Le froid semble être le principe de toute solidité, ou plutôt ces deux modes paroissent être l’effet d’une même cause. Car toute solidité dépend principalement du rapprochement et de la cohérence des parties des composés. Or, Le froid, considéré dans le corps senti, n’est que ce rapprochement même ; et, dans l’être sentant, il n’en est que la sensation.
  28. Au lieu de faire deux mouvemens distincts de celui de liaison et de celui de continuité, supposez que les corps entiers et leurs parties tendent à se réunir, en vertu d’une force inhérente à toutes les parties de la matière, vous aurez le système de l’attraction universelle établi par Newton. Ce n’est pas au hazard que nous disons inhérente, quoique ce grand homme, dans un temps où l’impulsion cartésienne étoit encore à la mode, ait eu la prudence de ne pas employer cette expression trop affirmatives car, si toutes les parties de la matière, sans exception et dans tous les temps ; s’attirent réciproquement, cette propriété leur est donc inhérente. Quand vous dites toutes les parties de la matière, il ne reste plus rien qui puisse être cause extérieure de l’attraction, elle ne peut plus être un simple effet, et elle est nécessairement cause elle-mème.
  29. S’il existe en effet des forces attractives et des forces répulsives, comme il le prétend, le mouvement par lequel un corps fuit les substances qui lui sont contraires, pour s’unir à celles avec lesquelles il a de l’affinité, n’est point une espèce particulière de mouvement ; mais une simple conséquence des deux autres.
  30. Ce phénomène peut être attribué à deux autres causes ou conditions ; savoir : le poli des surfaces et la pesanteur de l’air.
  31. Ces deux derniers phénomènes s’expliquent par la propriété connue des tubes capillaires, qui paroit n’être qu’un cas particulier de la loi de l’attraction.
  32. C’est ce qui se prouve aisément par l’exemple collectif de tous les précipités chymiques ; et ce passage pourroit bien être le germe de tout ce que nos chymistes ont avancé depuis sur les affinités et les combinaisons qui en résultent. En le traduisant, il me semble que j’assiste au cours de Macquer, de Rouelle, de Bucquet, etc. Mais, d’ailleurs, ils ont pu être conduits, comme notre auteur, à la découverte de ce méchanisme, par des comparaisons du physique au moral, Lorsque deux hommes étant unis par des convenances réciproques, mais un peu foibles, il en survient un troisième qui a plus d’affinité avec l’un des deux qu’avec l’autre, et qu’ils n’en ont entr’eux, il se fait alors une sorte de précipité moral ; le nouveau venu délogeant l’un des anciens, et s’unissant avec l’autre, il se forme une nouvelle combinaison. C’est ainsi que s’assemblent et se désassemblent, pour se rassembler encore, les atomes, les individus, les composés, les planètes, les mondes. Voici quelle est la source de toutes ces analogies et des métaphores qu’elles fournissent à l’auteur. Ce que l’attraction et la répulsion sont dans le monde physique, l’amour et la haine le sont dans le monde moral. Ces deux sentimens, en unissant ou séparant les individus humains, composent ou décomposent les touts moraux, comme ces deux forces, en unissant ou séparant les élémens de la matière, composent ou décomposent les touts physiques. Un même agent, un même esprit anime le tout ; ainsi, une même loi doit gouverner les deux mondes : ce qui échappe dans l’un, on l’aperçoit dans l’autre, et la plus sûre méthode pour les bien connoître tous deux, c’est de les comparer sans cesse.
  33. Ces prétendues fables se sont trouvées, toute vérification faite, être des histoires ; et la prétendue histoire que Bacon nous donne ici des phénomènes électriques, s’est trouvée n’être qu’une fable. Car, ni la personne qui communique avec le conducteur, ni ce conducteur même, ni la feuille de métal que cette personne attire d’abord avec son doigt et repousse ensuite, n’ont été frottés ; ce qui l’a été, c’est seulement le plateau, le globe ou le tube, etc. de verre, de soufre, de résine etc, Mais Bacon ignoroit la plupart de ces faits, dont quelques-uns même n’avoient pas encore été observés, et cette mauvaise explication peut nous servir du moins à sentir que les conjectures du génie le plus pénétrant et le plus vaste ne valent pas un simple fait.
  34. Cette assertion paroît aujourd’hui fort ridicule ; après avoir paru fort raisonnable pendant plus de deux mille ans ; mais les raisons par lesquelles on la combat, ne valent pas mieux que celles dont on l’appuyoit. Au fond, elle n’est combattue que par le sophisme de l’habitude et de la mode, qui veut que tout pèse, et qui ne pèse rien. Les faits tendans à prouver que tous les corps compris dans les limites du globe terrestre, et mème le feu, sont pesans, renferment tous une équivoque, et ne sont rien moins que concluans, Ils prouvent seulement la pesanteur des corps qui étoient dans l’état d’ignition, lorsqu’on les a pesés. Mais avant de chercher si le feu est pesant, je demande, moi, si le feu existe ; c’est-à-dire, si c’est une certaine substance particulière dans laquelle résident les propriétés que nous attribuons à ce que nous appelons le feu, et dont nous attachons l’idée à un mot, dont il nous seroit impossible de donner une vraie définition ; ou si ce n’est qu’une certaine espèce de mouvement dont une infinité de corps seroient susceptibles. Or, cette question n’est rien moins que décidée, je ne sais même si Boërrhave a pensé à se la proposer.
  35. La terre est toujours ici, puisqu’elle nous porte : mais le ciel n’est jamais , puisqu’il n’existe pas. Physiquement parlant, qu’est-ce que le ciel ? et où est-il ? Si nous levons les yeux, nous ne voyons qu’un grand espace vuide où brillent de loin en loin quelques soleils, et un très petit nombre de planètes, de comètes, etc. que nous appelons des corps célestes, quoiqu’ils ne soient pas plus célestes que la terre.
  36. J’ignore si ce mouvement a quelque réalité dans le monde physique ; mais je sais qu’il n’est que trop réel dans le monde moral. C’est rarement par une bienveillance réciproque que les hommes se réunissent, c’est presque toujours par des haines communes et trop souvent la prétendue amitié n’est que la coalition de deux méchans qui se liguent pour nuire à un troisième. Tant que les deux premiers sont jaloux l’un de l’autre, ils restent divisés ; mais dès qu’ils envient ce troisième encore plus qu’ils ne s’envient réciproquement, ils se liguent, et devenus complices ils semblent être amis. De même, cette force répulsive, que la vanité spirituelle exerce en tout temps contre la sotte vanité, condense la sottise et coalise les sots. Pour les tenir séparés, il est bon que les gens d’esprit se mêlent un peu plus avec eux.
  37. Elle est proportionnelle à la quantité de matière puisque, pour mouvoir un corps dont la masse est double, il faut une force ou quantité de mouvement également double.
  38. En vertu de la force d’inertie, un corps qui est en repos tend à y rester, et un corps qui est en mouvement tend aussi à y rester et à continuer de se mouvoir d’un mouvement uniforme, suivant la ligne droite qu’il décrit actuellement, où suivant la tangente au point où il se trouve dans la courbe qu’il décrit, et, pour tout dire, tend à persévérer dans l’état où il est.
  39. La chaleur a deux effets : l’un, de mettre en mouvement les particules du composé, de les mettre en vibration ; l’autre, de dilater ce corps, d’écarter ses parties, de relâcher l’assemblage ; ce qui permet aux parties hétérogènes de se séparer, et aux parties homogènes de se réunir.
  40. Et l’inclinaison.
  41. Les différences qui peuvent dépendre des masses et des distances respectives des corps attirans et des corps attirés, ne sont que des différences de quantité, et non des différences spécifiques. Ainsi, à proprement parler, ces trois classes n’en forment qu’une seule.
  42. Il veut dire que chacun des deux contraires, en repoussant l’autre, le refoule, pour ainsi dire, et l’accumule sur la limite commune à tous deux ; ce qui semble supposer que le chaud et le froid sont deux substances, et contredire un peu sa première vendange. Voyez La note (h).
  43. C’est encore là une opinion des anciens, dont je crois qu’Héraclite est l’auteur.
  44. Il semble cependant que si les parties du mercure n’ont point d’affinité avec ces substances auxquelles on les mêle, et dont on suppose qu’elles sont environnées, elles doivent se porter les unes vers les autres, et ne former plus qu’un seul corps ; et que si au contraire elles ont plus d’affinité avec ces substances qu’elles n’en ont les unes avec les autres, elles doivent se fuir réciproquement, s’unir avec les particules de ces substances, et y être disséminées.
  45. L’auteur paroît avoir eu connoissance de la terrible explosion de l’or fulminant.
  46. Deux aimans ou deux fers aimantés, ayant chacun deux pôles, se repoussent par leurs pôles semblables, et s’attirent par leurs pôles différens. Or, tout fer mis en contact avec l’aimant ou avec le fer aimanté, devient lui-même, du moins pour quelque temps, un aimant qui a aussi deux pôles.
  47. Je crois que l’invention de cet archée, espèce d’âme amphibie, tenant de l’esprit et de la matière, que les réveurs de ce temps-là logeoient dans le pilore, et que Fabre, notre contemporain, a domicilié dans le plexus solaire ; que cette invention, dis-je, appartient à Vanhelmont, et non à Paracelse ; du moins, on l’attribue ordinairement au premier. Si le corps humain est tout animé, ce qui l’anime doit être répandu dans toutes ses parties et n’avoir point de siège particulier, de chef-lieu ; à moins qu’on ne suppose qu’il y a, par exemple, dans telle partie, une pinte d’âme, dans telle autre une chopine, et un demi-septier dans une troisième. Quoi qu’il en soit, si, par ce mot d’âme, ils entendoient seulement une matière spiritueuse, il falloit bien sans doute la loger quelque part, soit dans telle partie, soit dans le tout. Mais s’ils vouloient parler d’une substance vraiment spirituelle, ils n’avoient plus besoin de chercher le lieu de sa résidence ; les esprits n’ayant point d’existence locale, n’ont pas besoin de domicile : ils ne sont nulle part, et ne logent qu’en eux-mêmes, ce qui constitue la plénitude de l’existence.
  48. Cette parenthèse semble contredire ce qui précède : si ces sucs sont peu différens, peut-on dire, il n’y a presque plus de choix à faire. Mais il veut dire que, parmi les différens sucs qui peuvent se trouver dans les substances alimentaires, chaque partie choisit ceux qui sont les plus propres pour être animalisés, et les travaillant ensuite à sa manière, leur donne sa qualité spécifique et se les assimile.
  49. On doit se rappeler que, dans l’aphorisme sur la première classe d’exemples, il prétend que les couleurs ne sont que des images de la lumière, sans nous dire quelle signification il attache à ce mot d’image. Dans la langue reçue, l’image d’une chose en est la représentation ; or, il ne s’agit ici de rien de semblable, Ainsi, ce terme étant tout-à-fait impropre, nous y substituerons celui de mode ou de modification, éclairés, dans le choix de cette expression, par le grand Newton.
  50. Ce mot n’est pas reçu, mais il est ici absolument nécessaire ; la signification attachée au mot retentissement n’étant pas assez générale.
  51. Ni le son, ni la lumière, ni la chaleur, ni le froid, ne sont des sensations continues, mais des assemblages d’une multitude de sensations d’une durée infiniment courte, qui se succèdent avec une rapidité infinie, et dont nous ne pouvons saisir les intervalles ; ce qui nous paroît s’appliquer à toutes les espèces possibles de sensations, et pouvoir s’expliquer ainsi : toute sensation a pour cause des vibrations. Car, si le mouvement n’a une certaine durée ou continuité, il n’y a point de sensation. Mais, dans un si petit espace, et dans des parties qui n’ont pas beaucoup de jeu, le mouvement ne peut être continu, s’il n’est ou circulaire ou alternatif : or, dans la fibre qui est fixée par ses deux extrémités, il ne peut être circulaire ; donc il est alternalif.
  52. Il veut dire que, dans les deux cas, l’attraction ne peut avoir lieu sans la présence du corps attirant. Voilà, pour le dire en passant, l’attraction que la lune exerce sur l’océan, et celle que le globe terrestre exerce sur les corps pesans, comparées à celle que l’amant exerce sur le fer. Ce passage ne seroit-il pas la pomme de Newton ?
  53. Pourquoi la terre et les autres planètes, devoit-il dire, tournent-elles plutôt d’occident en orient que d’orient en occident ? Parce que la comète qui est la mère commune de toutes nos planètes, répond M. de Buffon, a heurté le soleil de tel côté plutôt que de tel autre. Une comète inconsidérée heurte cet astre en passant, elle en détache six gros morceaux. Le mouvement projectile imprimé à chacun, et combiné avec la force centripète qui tend à le faire retomber dans le soleil, produit ce mouvement qui le fait tourner autour de l’astre attirant ; et comme le mouvement projectile des six morceaux est l’effet d’une impulsion unique et simultanée, ils doivent tourner tous dans le même sens et presque dans le même plan. Il est vrai que tout corps projeté qui est soumis en même temps à l’action d’une force dont la loi est de décroître en raison inverse des quarrés des distances, doit décrire une section conique qui passe par le point de projection, et qu’en supposant même que cette courbe ne passe pas par ce point, la direction du mouvement projectile produit par une telle cause, feroit, avec la direction de la force centripète, un angle si aigu, qu’il n’en pourroit jamais résulter un mouvement dans une courbe elliptique fort approchante du cercle, comme celle que décrit la terre : deux considérations qui gênent un peu l’explication. Mais alors nous faisons venir une seconde comète, et lui enjoignons de heurter la terre, non pas en plein corps, mais finement et comme pour faire la bille au même, d’où résulteront deux très bons effets ; d’abord le pirouettement du globe terrestre, et voilà le mouvement diurne ; puis un mouvement projectile dont la direction fera, avec celle de la force centripète, un angle presque droit, et voilà le mouvement annuel dans une orbite presque circulaire. Enfin, nous faisons venir successivement cinq autres comètes, auxquelles nous donnons les mêmes ordres, relativement aux cinq autres morceaux, en recommandant à une d’entr’elles de prendre la bille un peu plus pleine pour Mars, afin d’allonger davantage son ellipse, etc. et voilà tout expliqué ; il ne nous manque plus que des preuves ; car des explications ne sont point des démonstrations, et une hypothèse, pour être solide, ne doit être qu’une allonge de l’observation. Mais quel est votre sentiment sur ce point ? diront peut-être quelques lecteurs. Nous pensons, répondrons-nous, que l’hypothèse de M. de Buffon a pour elle de très fortes probabilités, quoiqu’il n’ait peut-être pas assez supposé. Quand nous promenons nos regards dans l’espace, nous n’y voyons que des soleils, tout est soleil, tout est feu dans l’univers, et les planètes méritent à peine qu’on en parle. La masse de notre soleil est immense en comparaison de celle de nos six planètes primaires, prises en somme ; selon toute apparence, ces miettes sont sorties de ce gros morceau.
  54. Il faudroit dire : pourquoi l’axe du mouvement diurne de le terre est dirigé plutôt vers un point situé entre les deux ourses, que vers orion où tout autre point du ciel ?
  55. Le positif est composé de toutes ces choses sur lesquelles l’expérience, la raison, la coutume, ou la convenance, défendent de disputer, et même de raisonner ; tels sont les loix établies, les règles des jeux, les dogmes d’une religion dominante, les petites loix qui composent l’usage du monde et le code de la politesse ; enfin certains systèmes très fondés, mais qui, pour la plupart des hommes, ne sont que des articles de foi, comme le système newtonien, etc.
  56. Cette explication est mal exprimée, mais elle n’en est pas pire : il paroit qu’il connoissoit fort bien cette loi qui est la base de toute l’hydrostatique : lorsqu’on presse quelque partie d’un fluide, la pression se communique à toutes ses parties. Cela posé, si je jette une pierre dans un canal, toutes les colonnes verticales du fluide, qui se trouvent sous cette pierre, étant alors plus pressées que les autres, deviennent plus fortes ; elles doivent donc, pour rétablir l’équilibre, soulever un instant celles qui les environnent immédiatement, Mais celles-ci étant soulevées deviennent plus fortes que celles qui les environnent aussi immédiatement, et doivent par conséquent les soulever encore. Ainsi, la pression exercée par cette pierre doit occasionner un soulèvement successif de colonnes, selon toutes les directions, et dans un espace dont la partie du fluide, touchée par cette pierre, est le centre. De là, ces cercles qu’on observe en pareil cas, et qui vont en s’agrandissant de plus en plus.
  57. Parce qu’alors ce n’est plus ni la vitesse, ni la subtilité des parties qui produisent les grands effets les effets Les plus importans ; mais la masse. Et c’est ce qui arrive, lorsque la fin du composé n’est pas le mouvement ; mais au contraire le repos et la stabilité.
  58. Quelle physique ! Voilà toutes les planètes personnifiées et transformées en autant de Narcisses.
  59. Il semble regarder toujours ces deux pôles comme deux pivots.
  60. Dans cette énumération, il confond le mouvement de rotation avec celui de circulation. Il est vrai que le cercle ou toute autre courbe que décrit un corps, a aussi ses pôles, Mais ce n’est pas ce qu’il veut dire.
  61. Comme celle des pôles de la terre, qui est l’effet de leur révolution autour des pôles de l’écliptique, dans l’espace de vingt-cinq mille neuf cent vingt ans, et d’où résulte la précession des équinoxes. À son énumération, il auroit dû ajouter la différence relative à l’espèce de la courbe rentrante que décrit le corps circulant.
  62. Mais qui l’a été depuis par la découverte de l’aberration des étoiles fixes ; preuve directe du mouvement annuel de la terre, et preuve indirecte de son mouvement diurne.
  63. Selon toute apparence ; il veut parler du mouvement de libration de la lune ; mouvement par lequel cette planète qui paroit nous présenter toujours le même hémisphère, la même face (vu que, depuis l’époque où l’on a fait de ses taches une sorte de carte, elle peut servir en tout temps à y voyager avec les yeux), ne laisse pas de nous montrer un peu plus, tantôt de sa partie orientale, tantôt de sa partie occidentale ; ce qui a l’air d’une sorte de libration ou de balancement, et n’est probablement qu’une apparence : il est, dis-je, à présumer qu’il veut parler de cette libration ; car je crois que le mouvement de nutation de l’axe de la terre n’étoit pas encore connu, ou du moins suffisamment prouvé par l’observation.
  64. La bizarrerie de cette expression vient de ce qu’il désigne indistinctement par ce nom de mouvement, non-seulement les mouvemens actuels, mais même les mouvemens simplement dispositifs, les simples tendances, forces ou efforts.
  65. Newton, au contraire, nous dit que la terre, en vertu et en raison de cette même masse, est attirée par le soleil, et tend par conséquent à se mouvoir vers cet astre, quoiqu’ici bas la matière même du soleil, et tous Les feux artificiels que nous connoissons, aient une force expansive et répulsive : lequel croire ? ni l’un ni l’autre, s’il le faut.
  66. Les parties de sa surface se portent vers son centre ; non qu’elles tendent à un centre imaginaire, mais seulement parce qu’elles tendent à s’unir. Si toutes les parties du globe terrestre s’attirant réciproquement, tendent les unes vers les autres, elles tendent, par cela même, vers leur centre commun, qui est le centre du globe.
  67. Je ne sais si notre auteur, au lieu d’appliquer à la physique tous ces termes moraux, n’auroit pas mieux fait de transporter dans la morale l’observation physique qu’il fait ici. En effet, il est une certaine activité turbulente qui passe pour diligence, mais qui n’est rien moins que ce qu’elle paroit. Au fond, tous ces gens qui travaillent si vite, ne sont que des paresseux qui courent au repos. Quand on aime à voyager, on marche lentement pour faire durer le voyage ; ne veut-on qu’arriver, on prend la poste.
  68. Voilà une phrase très satisfaisante pour ceux qui se paient de mots ; mais combien elle est foible contre cette réflexion si simple ! Les derniers élémens de la matière sont-ils tous de telle figure et de telle grandeur qu’ils puissent remplir exactement tout l’espace ? Nous pouvons hardiment répondre que non, vu l’invraisemblance et même l’absurdité de l’affirmative. Donc les derniers élémens laissent du vuide entre eux. Donc il y a du vuide dans l’univers. Voyez une des notes précécédentes, où nous nous sommes fort étendus sur ce sujet.
  69. Il se peut que les substances pneumatiques remplissent Les vuides que laissent entre elles les parties des corps tangibles. Actuellement les parties de ces substances pneumatiques, peut-on demander, se touchent-elles parfaitement et par tous les points de leurs surfaces ; ou laissent-elles entr’elles quelques vuides ? Cette même question revient toujours.
  70. Comment le repos peut-il être l’effet de la prédominance absolue d’un mouvement ? Dès qu’un mouvement prédomine, c’est celui-là qui a lieu, et le repos ne peut résulter que de l’égalité parfaite de deux mouvemens dont les directions sont diamétralement opposées. Mais il faut se rappeler qu’il comprend, sous ce nom de mouvemens, et les mouvemens proprement dits, et les simples tendances.
  71. Au premier coup d’œil, ces deux principes paraissent identiques ; car, si la tendance au bien commun à plus de force que la tendance au bien particulier, la tendance au bien privé ne prévaut pas ordinairement sur la tendance au bien public ; mais voici ce qu’il veut dire et ne dit pas : la tendance au bien universel est plus forte que la tendance au bien d’un système particulier, et cette dernière plus forte que la tendance au bien individuel.

 *.  Les vaisseaux du corps humain, dira-t-on, sont cylindriques ou coniques ; une force qui contracteroit leurs fibres circulaires, rétréciroit leur capacité, et tendroit par cela même l’expulsion, en comprimant les fluides qu’ils contiennent, et les déterminant vers les orifices de ces vaisseaux où la pression est moindre. Or, comment une force expansive pourroit-elle contracter ces fibres ? Je réponds que la force expansive détermine ou favorise l’expulsion de différentes manières : savoir, en relâchant la fibre, en rendant plus fréquentes les oscillations des émonctoires, en dilatant leurs orifices extérieurs, en dilatant toute la masse des humeurs, en les rendant plus fluides, etc. Au lieu que la force qui contracte excessivement, ferme ou rétrécit les orifices extérieurs de ces vaisseaux, coagule les fluides, diminue leur volume, etc. Mais l’on conçoit aisément que chacun de ces deux effets opposée n’a lieu qu’entre certaines limites ; qu’il est un degré de contraction qui favorise l’expulsion, et un degré d’expansion qui l’empêche.

 *2.  On auroit dû tenter aussi ces expériences sur d’autres métaux, et même sur des substances de toute espèce. Peut-être, à la fin, eût-on reconnu que la polarité et les autres propriétés magnétiques ne sont point particulières à l’aimant et au fer aimanté : mais le simple effet d’une certaine disposition particulière, dont beaucoup d’autres substances sont susceptibles ; ou d’un certain fluide qui peut la donner à tous, ou à presque tous les corps, en s’accumulant dans leur intérieur.

 *3.  Tout nous touche en ce monde, puisque tout s’y touche.

 *4.  Nous l’appelons active, parce qu’elle tend à préparer, produire, conserver, faciliter, augmenter et rétablir l’action ou le mouvement. Car, d’abord, elle a elle-même un mouvement de répulsion, d’expansion, du centre à la circonférence, qu’elle imprime, lorsque son action est libre, aux parties de la matière inerte qui se trouvent en contact avec elle ; puis, en écartant ces parties les unes des autres, et donnant du jeu à leur assemblage, elle les met ainsi, par l’espace qu’elle leur donne, en état d’obéir à leurs tendances particulières, et de se porter ou vers le centre de leur composé respectif, lorsqu’elle s’est exhalée elle-même, ou les unes vers les autres, ou de l’intérieur du composé à l’extérieur. Nous appelons l’autre, matière inerte, parce que ses molécules tendant à se réunir, et par conséquent à serrer tout assemblage dont elles font partie, elles tendent, par cela même, à faire cesser le mouvement, et à ralentir ou à gêner celui qui subsiste.

 *5.  Si ce qui anime les êtres organisés, n’avoit pas beaucoup d’analogie, et même d’identité avec le soleil, on ne verroit pas dans la saison où les rayons de cet astre frappent la surface du globe en plus grande quantité et avec plus de force, les animaux, les plantes, les phénomènes de la vie animale et végétative, se multiplier si sensiblement.

 *6.  Le lecteur observera de lui-même que je ne donna point mes suppositions pour des principes ; et que, si je me trompe, du moins je ne trompe point.

 *7.  Dans la description de ce canal continu, pour simplifier, an peut faire abstraction des branches ou rameaux de l’aorte qui abouchent avec le ventricule gauche, par le moyen de l’oreillette gauche et de la veine cave qui abouche avec le ventricule droit ; ainsi que du chemin que fait le sang chassé par le ventricule droit, et porté par l’artère pulmonaire dans les poumons : puis rapporté, par la veine pulmonaire, au ventricule gauche ; l’essentiel ici étant d’avoir un canal continu, fermé, formant une courbe rentrante, et communiquant avec deux cavités qui se dilatent et se contractent alternativement.

 *8.  Le lecteur doit appliquer tout ce que nous venons de dire sur les mouvemens révolutifs et originaires des mouvenens alternatifs, à tous les endroits de cet ouvrage où l’auteur parle de ce qu’il appelle le mouvement spontanée de rotation ; cette longue note étant destinée à éclairer plusieurs parties de cet ouvrage, ces idées ainsi liées et réunies en un seul corps, n’en seront que plus faciles à rappeler.

 *9.  Lorsque, dans une des notes précédentes, nous disions que ce mouvement projectile que Newton combine avec la force centripète, pour faire tourner les planètes autour du soleil, pouvoit avoir pour cause l’attraction latérale de quelque constellation composée d’un grand nombre d’étoiles fort grosses et moins éloignées de nous que les autres, nous raisonnions d’après l’hypothèse newtonienne ; mais, dans cette note-ci, nous exposons notre propre sentiment.

 *10.  Nous ne devons pas dissimuler une réponse que nous fit M. de la Grange, dans une conversation que nous eûmes avec lui sur ce sujet, au mois d’août 1789. Comme nous lui objections contre l’hypothèse de la force attractive du soleil, cette dilatation qu’il opère chaque jour à la surface de notre globe ; et qui semble annoncer dans la matière de cet astre, une force répulsive, il se pourroit, nous répondit-il, que le corps, le noyau du soleil eût une force attractive qui déterminât les planètes à graviter sur cet astre ; et que sa couche extérieure qui est dans l’état d’ignition et même d’inflammation, eût une force répulsive et expansive qui opérât la dilatation dont vous parlez. Mais, outre que cette dernière supposition est sujette à bien des difficultés, elle ne résout point du tout l’objection tirée de la constante figure des constellations depuis deux ou trois mille ans. Au reste, c’est aux hommes tels que lui qu’est réservé le droit de décider de telles questions ; nous ne pouvons que solliciter et agacer, pour ainsi dire, son génie.

 *11.  On peut regarder l’anneau de saturne comme une espèce de satellite.