Observations sur quelques grands peintres/Le Guide

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LE GUIDE.


Il est plus difficile de fixer son jugement sur les ouvrages du Guide que sur ceux des autres grands peintres : pendant quelque temps l’École française le regarda comme le peintre le plus parfait : aujourd’hui peut-être on ne lui rend pas assez de justice. Il a eu plusieurs manières opposées ; il a fait des tableaux avec le plus grand soin ; il en a fait de négligés ; il a beaucoup travaillé pour sa réputation, beaucoup pour réparer promptement les pertes qu’il faisoit au jeu. Souvent sa couleur est mâle et vigoureuse ; ses travaux d’Hercule ont de la force et de l’énergie ; son Massacre des Innocens, de la chaleur et de l’expression ; son tableau de St. Pierre, qui est à Bologne, est d’une extrême vérité ; dans celui de l’Enlèvement de Déjanire, il joint la noblesse et l’expression au plus riche coloris : mais quoiqu’il ait fait quelques ouvrages dans une manière vigoureuse, il en a fait bien davantage encore dans un ton doux et clair ; la force et l’expression ne sont pas les qualités qui le distinguent. Un des caractères les plus prononcés, les plus originaux de son talent, et qui en fait la physionomie constante, c’est sa belle manière de peindre large, facile, ferme et moelleuse en même temps, et l’une des plus séduisantes. Il a bien mieux peint les femmes que les hommes ; il a donné à leurs mains, à leurs cheveux une beauté tout-à-fait neuve ; il leur a donné des caractères de tête aimables et beaux ; personne mieux que lui n’a peint leur puissante douceur, ce calme de la sensibilité qui touche quelquefois autant que la plus vive émotion ; c’est pour cela que, bien que le Guide soit en général foible d’expression, il arrive souvent au cœur.

Un de ses plus beaux tableaux, est celui de l’Enlèvement de Déjanire, dont nous venons de parler ; la noblesse de la Déjanire, la vérité, l’expression du Centaure, la beauté de la couleur, celle de l’exécution, tout concourt à faire de cet ouvrage, l’un des chefs-d’œuvres de la peinture ; il est du nombre de ces tableaux rares, faits pour enrichir les palais des plus puissans souverains ; on peut le mettre au rang de ces heureuses productions dont les beautés ont une unité si parfaite, qu’on n’imagine pas qu’un autre artiste eût pu réussir mieux dans le même sujet, et qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il n’eût pas eu autant de succès. L’Aurore que le Guide a peinte au palais Bentivoglio à Rome, est encore un de ses ouvrages célèbres : on peut en juger par la gravure de Morghen, placée avec honneur dans les plus riches collections d’estampes. Son tableau du Ravissement d’Hélène, fait pour le roi d’Espagne, arrêté par les circonstances en Italie, transporté depuis à Paris, maintenant exposé au Musée Napoléon, eut le plus heureux succès lorsqu’il parut ; Félibien en fait la description avec complaisance, et le regarde comme un des meilleurs ouvrages du Guide ; le temps ne lui a pas conservé la même place ; et quoiqu’on y trouve une foule de détails remplis de charme et de grâces, la foiblesse de la composition et de l’expression, la froideur et le ridicule costume de Pâris lui ont fait perdre une partie de la renommée que d’abord il sembla mériter. Son tableau peint dans l’église de Saint Grégoire à Rome, plus estimé cependant que le Ravissement d’Hélène, n’a pu garder aussi le rang que les amateurs lui donnèrent à sa naissance : alors il eut des suffrages bien plus nombreux que celui du Dominiquin qui est dans la même chapelle ; la postérité n’a pas confirmé ce jugement ; la facilité et le charme du pinceau n’ont pu la séduire assez pour l’empêcher de voir combien le Dominiquin étoit supérieur à son rival pour la justesse, la force du dessin, des pensées et des expressions, parties qui, sans doute, lui ont paru plus essentielles.

Il a fait beaucoup de demi-figures ; il se plaisoit surtout à peindre des têtes de femme les yeux levés vers le ciel : on lui pardonne cette répétition, parce qu’elle lui a réussi ; et parce que de beaux yeux ne sont jamais si beaux que dans cette situation, qui déploie toute leur forme, dans laquelle ils se remplissent de la plus brillante lumière, et qui leur donne toujours une expression attachante, celle de l’affliction ou celle qui implore ; il semble que dans ce moment ils présentent à l’esprit et à la vue l’image du pouvoir divin qui peut tout accorder, et celle du charme mortel qui peut tout obtenir.

Le dessin du Guide a de la vérité, de la grâce, souvent de la noblesse, souvent des incorrections, et rarement de l’énergie. Il n’a pas bien entendu les grandes ordonnances ; ses pensées sont généralement communes ; le choix de ses attitudes n’est pas toujours noble, souvent même il n’est pas conforme à la nature ; quoique son coloris plaise, on convient cependant que ses teintes sont quelquefois trop uniformes ; quelquefois ses figures semblent découpées, et il ne donne pas assez de relief aux objets qu’il a peints ; il a affecté un ton gris, verdâtre, qui, très-fin et très-agréable, donne souvent à ses chairs l’air de chairs mortes ; l’harmonie de sa couleur argentine qui, malgré ses défauts, a un véritable mérite, a séduit beaucoup d’artistes. Pendant long-temps, et sa couleur, et la beauté de son pinceau, et sa manière de draper large, plus remplie de goût que de vérité, furent les objets de l’adoration et de l’imitation de la plupart des peintres ; mais ils ressembloient aux femmes qui s’efforcent d’imiter les agrémens d’une coquette aimable, et qui n’en faisant que la charge, n’y gagnent que du ridicule. Toujours harmonieux, agréable, et jamais sublime, le Guide fut, sans contredit, un grand peintre ; mais il ne fut pas toujours un grand peintre d’histoire : quelque reproches, cependant, que l’on puisse lui faire, on est forcé de convenir qu’il avoit reçu de la nature le don des grâces qui, répandues dans toutes les parties de ses ouvrages, y portent un enchantement qui leur donne beaucoup de prix.

La grâce noble et majestueuse de Raphaël élève l’âme ; celle du Corrège, voluptueuse, céleste, charme ; celle du Dominiquin, de le Sueur, touche ; la grâce de l’Albane, jolie, un peu fardée, plaît aux yeux ; celle du Guide, douce, aimable, parée, plaît et intéresse.