Odes (Horace, Séguier)/III/3 - À César Auguste

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 91-94).


III

À CÉSAR AUGUSTE


Non, rien ne saurait abattre le courage
Du citoyen juste et ferme dans son plan,
      Ni les cris d’une plèbe sauvage,
   Ni le regard d’un féroce tyran,

Ni sur l’Adria l’Auster soulevant l’onde,
Ni de Jupiter le tonnerre si prompt :
      En éclats que se brise le monde,
   Sans l’émouvoir ses débris l’atteindront.

Ainsi résolus, Pollux, l’errant Hercule
Ont franchi le seuil du palais éthéré,

      Où près d’eux Auguste, leur émule
   Repose et boit, de nectar empourpré.

Ainsi l’on te vit, ô Bacchus, dieu paterne,
Plier l’affreux tigre au timon de tes chars ;
      Quirinus ainsi hors de l’Averne
   Put s’élancer sur les chevaux de Mars,

Après que Junon charma la cour céleste
Par les mots suivants : « Ilion, Ilion,
      Que le juge adultère et funeste
   Et la beauté d’une autre région

« En cendre ont réduit, dès que de leur salaire
Un Laomédon osa frustrer nos dieux
      Nous avions, Pallas et ma colère,
   Maudit ton peuple et son roi captieux.

« Il n’étale plus son orgueil, l’hôte infâme
De la Spartiate, et la valeur d’Hector
      Ne sert plus les traîtres de Pergame
   Contre les chocs d’Ajax et de Nestor.

« La guerre a pris fin, qu’alimentaient sans cesse
Nos dissensions. J’abjure désormais
      Ma rancune, et de cette prêtresse
   D’un sang troyen le fils que j’abhorrais.

« À Mars je le rends. Que l’Olympe sur l’heure
S’ouvre devant lui ; qu’il goûte en sûreté

      Le nectar ; qu’il assiste à demeure
   Aux grands conseils de la Divinité.

« Pourvu que toujours entre Ilion et Rome
Gronde un océan, au bonheur des proscrits
      J’aiderai, n’importe en quel royaume.
   Sur les tombeaux de Priam, de Pâris ;

« Pourvu que la chèvre aille bondir, l’hyène
En paix mettre bas, du Capitole entier
      Je prétends que l’éclat se soutienne,
   Et que son joug s’impose au Mède altier.

« Oui, que Rome épande un renom horrifique
Dans tout l’univers, du célèbre détroit
      Séparant l’Europe de l’Afrique
   Aux bords féconds où chaque an le Nil croît :

« Plus grande, en fuyant l’or que Tellus recèle
Et qui de son sein n’eût jamais dû sortir,
      Qu’en osant, d’une main criminelle,
   Pour son bien-être aux temples la ravir.

« Du nord au midi, du couchant à l’aurore,
Que, victorieux, flottent ses étendards
      Aux déserts que le soleil dévore
   Comme aux pays du givre et des brouillards.

« Mais je ne promets aux Romains intrépides
De si beaux destins, que s’ils ne veulent pas,

      Trop pieux, trop fiers de gains rapides,
   Ressusciter leurs antiques États.

« Troie, en renaissant sous un lugubre auspice
Reverrait bientôt le Grec envahisseur
      J’y courrais, à l’assaillant propice,
   De Jupiter, moi, la femme et la sœur.

« Que Phébus trois fois la relève et l’enclave
Dans un mur d’airain, trois fois mes Argiens
      L’abattront ; trois fois l’épouse esclave
   Ira pleurer fils et mari troyens ! »

Muse, où tendez-vous ? sur ma lyre badine
Jure un tel sujet. Téméraire, cessons
      De redire une scène divine
   Et d’en gâter l’effet par d’humbles sons.