Odes et Ballades/Fin

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Odes et BalladesOllendorf24 (p. 173-174).


ODE HUITIÈME.

FIN.


Ubi defuit orbis.


I

 
Ainsi d’un peuple entier je feuilletais l’histoire !
Livre fatal de deuil, de grandeur, de victoire.
Et je sentais frémir mon luth contemporain,
Chaque fois que passait un grand nom, un grand crime,
Et que l’une sur l’autre, avec un bruit sublime,
Retombaient les pages d’airain.

Fermons-le maintenant, ce livre formidable.
Cessons d’interroger ce sphinx inabordable
Qui le garde en silence, à la fois monstre et dieu.
L’énigme qu’il propose échappe à bien des lyres ;
Il n’en écrit le mot sur le front des empires
Qu’en lettres de sang et de feu.

II



Ne cherchons pas ce mot. — Alors, pourquoi, poëte,
Ne t’endormais-tu pas sur ta lyre muette ?
Pourquoi la mettre au jour et la prostituer ?
Pourquoi ton chant sinistre et ta voix insensée ?… —
C’est qu’il fallait à ma pensée
Tout un grand peuple à remuer.


Des révolutions j’ouvrais le gouffre immonde ?
C’est qu’il faut un chaos à qui veut faire un monde ;
C’est qu’une grande voix dans ma nuit m’a parlé ;
C’est qu’enfin je voulais, menant au but la foule,
Avec le siècle qui s’écoule
Confronter le siècle écoulé.

Le génie a besoin d’un peuple que sa flamme
Anime, éclaire, échauffe, embrase comme une âme.
Il lui faut tout un monde à régir en tyran.
Dès qu’il a pris son vol du haut de la falaise,
Pour que l’ouragan soit à l’aise,
Il n’a pas trop de l’océan !

C’est là qu’il peut ouvrir ses ailes ; là, qu’il gronde
Sur un abîme large et sur une eau profonde ;
C’est là qu’il peut bondir, géant capricieux,
Et tournoyer, debout dans l’orage qui tombe,
D’un pied s’appuyant sur la trombe,
Et d’un bras soutenant les cieux !


26 mai 1828.