Odes et Ballades/Préface de 1823

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Préface de 1823
Odes et BalladesOllendorf24 (p. 7-10).


1823.[1]


Il est permis peut-être aujourd’hui à l’auteur d’ajouter à ce peu de lignes quelques autres observations sur le but qu’il s’est proposé en composant ces Odes.


Convaincu que tout écrivain, dans quelque sphère que s’exerce son esprit, doit avoir pour objet principal d’être utile, et espérant qu’une intention honorable lui ferait pardonner la témérité de ses essais, il a tenté de solenniser quelques-uns de ceux des principaux souvenirs de notre époque qui peuvent être des leçons pour les sociétés futures. Il a adopté, pour consacrer ces événements, la forme de l’Ode, parce que c’était sous cette forme que les inspirations des premiers poëtes apparaissaient jadis aux premiers peuples.

Cependant l’Ode française, généralement accusée de froideur et de monotonie, paraissait peu propre à retracer ce que les trente dernières années de notre histoire présentent de touchant et de terrible, de sombre et d’éclatant, de monstrueux et de merveilleux. L’auteur de ce recueil, en réfléchissant sur cet obstacle, a cru découvrir que cette froideur n’était point dans l’essence de l’Ode, mais seulement dans la forme que lui ont jusqu’ici donnée les poètes lyriques. Il lui a semblé que la cause de cette monotonie était dans l’abus des apostrophes, des exclamations, des prosopopées et autres figures véhémentes que l’on prodiguait dans l’Ode ; moyens de chaleur qui glacent lorsqu’ils sont trop multipliés, et étourdissent au lieu d’émouvoir. Il a donc pensé que si l’on plaçait le mouvement de l’Ode dans les idées plutôt que dans les mots, si de plus on en asseyait la composition sur une idée fondamentale quelconque qui fût appropriée au sujet, et dont le développement s’appuyât dans toutes ses parties sur le développement de l’événement qu’elle raconterait, en substituant aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne les couleurs neuves et vraies de la théogonie chrétienne, on pourrait jeter dans l’Ode quelque chose de l’intérêt du drame, et lui faire parler en outre ce langage austère, consolant et religieux, dont a besoin une vieille société qui sort, encore toute chancelante, des saturnales de l’athéisme et de l’anarchie.

Voilà ce que l’auteur de ce livre a tenté, mais sans se flatter du succès ; voilà ce qu’il ne pouvait dire à la première édition de son recueil, de peur que l’exposé de ses doctrines ne parût la défense de ses ouvrages. Il peut, aujourd’hui que ses Odes ont subi l’épreuve hasardeuse de la publication, livrer au lecteur la pensée qui les a inspirées, et qu’il a eu la satisfaction de voir déjà, sinon approuvée, du moins comprise en partie. Au reste, ce qu’il désire avant tout, c’est qu’on ne lui croie pas la prétention de frayer une route ou de créer un genre.

La plupart des idées qu’il vient d’énoncer s’appliquent principalement à la première partie de ce recueil[2] ; mais le lecteur pourra, sans que nous nous étendions davantage, remarquer dans le reste le même but littéraire et un semblable système de composition.

Nous arrêterons ici ces observations préliminaires qui exigeraient un volume de développements, et auxquelles on ne fera peut-être pas attention ; mais il faut toujours parler comme si l’on devait être entendu, écrire comme si l’on devait être lu, et penser comme si l’on devait être médité.



La première édition de ce recueil d’odes était suivie de trois poëmes de différents genres qui n’entraient pas dans le but de cette publication et que l’on a cru devoir supprimer[3]. Cette seconde édition est augmentée de deux odes nouvelles, Louis XVII et Jéhovah.


  1. On retrouvait en tête de la deuxième édition, publiée, en 1823, sous le titre : Odes, la préface de l’édition originale citée entre guillemets et suivie du texte que nous donnons ici. (Note de l’éditeur.)
  2. Les onze premières odes de l’édition de 1823 traitent de sujets historiques, (Note de l’éditeur.)
  3. Les derniers Bardes. — Idylle (publiée ici sous son titre primitif : Les deux âges. — Raymond d’Ascoli (Le jeune banni). — On trouvera à l’appendice, p. 435, 486 et 492, ces trois poëmes. (Note de l’éditeur.)